Mme Samia Ghali. Cet amendement vise à enrichir le principe de « logement adapté aux besoins et aux possibilités » déjà inscrit dans la loi, afin qu’il réponde à l’ensemble des problématiques que rencontrent les personnes délogées pendant leur relogement.
La proposition de relogement doit être adaptée aux besoins, aux possibilités, mais aussi aux ressources des personnes relogées, afin que celles-ci ne subissent pas une double peine.
De ce fait, inscrire dans la loi et encadrer les critères de relogement des personnes victimes de l’habitat insalubre est essentiel. Les personnes déplacées ne sont pas responsables de l’avis de péril qui frappe leur logement. Elles ne doivent donc pas subir la charge supplémentaire induite par un nouveau logement plus cher que l’ancien ou l’allongement des temps de trajet vers le lieu de travail ou de scolarisation des enfants.
Malheureusement, on l’a vu à Marseille, de nombreuses personnes, sur les 2 000 personnes concernées par le relogement après une procédure de péril, ont dû aller habiter à l’autre bout de la ville, sans transports en commun. Les enfants sont obligés de traverser la ville pour se rendre à l’école et rentrent trop tard le soir pour faire leurs devoirs. C’est très compliqué.
Je l’ai dit, il a fallu sept mois pour élaborer une charte de relogement, d’où l’intérêt d’inscrire quelques principes clairs dans la loi. Il s’agit de protéger la personne délogée, qui n’a pas choisi d’habiter dans un logement voire un immeuble en péril et qui doit en subir les conséquences pendant de longs mois, voire quelques années.
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme Guillemot, MM. Daunis et Iacovelli, Mmes Conconne, Ghali et Artigalas, MM. M. Bourquin, Courteau, Duran, Montaugé, Tissot, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 4 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la deuxième phrase du premier alinéa du II de l’article L. 521-3-1 du code de la construction et de l’habitation, les mots : « l’offre d’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités » sont remplacés par les mots : « deux offres fermes de relogement adaptées aux besoins et aux ressources ».
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre …
Renforcer la protection des occupants de l’habitat indigne
La parole est à Mme Annie Guillemot.
Mme Annie Guillemot. Je souscris tout à fait aux propos que vient de tenir ma collègue Samia Ghali. Le maire doit formuler trois propositions de relogement, le marchand de sommeil une seule, généralement très éloignée, ce qui pose d’énormes problèmes à la famille. Je pense à la scolarisation des enfants, mais aussi aux femmes dont beaucoup travaillent au cœur des villes, par exemple dans les hôtels.
Notre amendement s’inscrit également dans la logique d’une plus grande protection des occupants d’habitat indigne. En cas de relogement définitif ordonné par l’autorité compétente, c’est le propriétaire indélicat qui doit s’occuper du relogement des occupants. Nous pensons qu’il faut frapper plus fort. Il y a un paradoxe à confier le relogement du locataire victime à son propriétaire délictueux, notamment en cas de relogement définitif, au risque de laisser les occupants dans la spirale de l’habitat indigne.
S’agissant d’un logement définitif, et pour limiter le risque de retour vers un autre logement insalubre, notre amendement prévoit que le propriétaire fera deux offres de relogement, au lieu d’une actuellement, répondant aux besoins et aux ressources du locataire ou de l’occupant.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. L’amendement n° 15 vise à préciser les critères du relogement. Nous comprenons votre intention, madame Ghali, mais une partie des dispositions entre déjà dans la notion de besoins et de possibilités : je pense à l’accessibilité, aux ressources et à la composition du foyer.
Vous exigez en outre que le relogement respecte la typologie du logement originel. Je vous mets en garde, car ce critère ne va pas forcément dans le sens que vous souhaitez. Il faudrait alors laisser des ménages en état de suroccupation, ce qui est souvent le cas dans les situations auxquelles vous faites référence. Cela irait donc à l’encontre du relogement des familles.
Enfin, s’agissant de la condition de trajet, je comprends les habitants de Marseille qui ont dû quitter leur logement et souhaitent être relogés dans leur quartier ou à proximité. Néanmoins, cette condition, vous le savez, n’est pas toujours réalisable. Certains locataires peuvent ne pas vouloir rester dans leur quartier. Surtout, il paraît préférable d’assurer un toit au locataire, même loin de son quartier initial. Exiger une condition de trajet me paraît dès lors extrêmement contraignant.
La commission demande donc le retrait de l’amendement n° 15 ; à défaut, elle a émis un avis défavorable.
L’amendement n° 4 rectifié bis tendant à prévoir deux offres de relogement va retarder le relogement effectif de l’occupant par les pouvoirs publics, qui n’interviennent qu’après avoir constaté la défaillance du propriétaire. Le contentieux sur le fait de savoir si l’offre du propriétaire est adaptée ou non risque de doubler, retardant le relogement, ce qui n’est pas l’objectif. Nous cherchons avant tout à obtenir rapidement un résultat. La commission a donc émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Julien Denormandie, ministre. Je suis très sensible à l’amendement de Mme la sénatrice Ghali, en écho à la situation vécue à Marseille. Combien de fois les associations et les collectifs des personnes sinistrées m’ont fait part de leur désarroi devant les propositions de relogement, sur lesquelles je m’étais beaucoup impliqué, formulées notamment par les bailleurs sociaux, mais il n’y a pas suffisamment de logements sociaux en centre-ville.
Du fait de la structuration même du bâti, on peut se trouver dans l’incapacité de proposer un logement respectant la même typologie, madame la sénatrice. À ce titre, je demande le retrait de l’amendement ou, à défaut, émettrai un avis défavorable, même si je suis particulièrement sensible à la situation dénoncée.
J’émets les mêmes réserves que Mme la rapporteur sur votre amendement n° 4 rectifié bis, madame la sénatrice Guillemot. Je l’ai dit, les sommes bloquées au titre du tiers payant des APL sont reversées dans 95 % des cas, parce que les travaux sont effectués. Nous souhaitons, comme vous, déclarer la guerre aux marchands de sommeil, mais les situations d’indécence, d’insalubrité peuvent être le fait de propriétaires n’ayant pas réalisé les travaux par négligence, incapacité financière… Le fait de leur demander deux offres retarderait énormément les procédures de relogement. C’est pourquoi je demande également le retrait de l’amendement ou, à défaut, émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Samia Ghali, pour explication de vote.
Mme Samia Ghali. J’entends vos arguments, monsieur le ministre, et je sais combien vous êtes impliqué dans la problématique marseillaise, mais je ne plaisantais pas lorsque j’ai dit que la charte de relogement avait mis sept mois à aboutir. Je sais tout le travail que vous réalisez sur la question du logement, madame la rapporteur, et celui que vous avez accompli à Nice en construisant du logement social, notamment grâce à l’aide à la pierre non utilisée par la ville de Marseille. Si l’on ne vous avait pas laissé faire, nous pourrions peut-être reloger aujourd’hui les habitants de Marseille…
Quoi qu’il en soit, habiter en centre-ville, par exemple, est un choix. Si l’on vous envoie dans une cité à l’autre bout de la ville, où vous n’avez pas vos habitudes, c’est une autre façon de vivre. Les familles s’inquiètent en attendant les enfants qui rentrent tard le soir de l’école et ne savent plus comment faire. Voilà la réalité !
J’évoquais la charte du relogement et le fait de prévoir quelques contraintes afin d’apporter une garantie aux gens qui subissent le péril tout en payant des loyers souvent très élevés – le prix des loyers dans le secteur privé n’est pas celui du logement social, il importe aussi de le rappeler.
Le reportage récemment diffusé sur le service public au sujet du logement insalubre à Marseille montrait notamment la pression exercée par certains propriétaires sur des personnes âgées vulnérables. C’est tout à fait anormal. Après l’émission, un journaliste m’a demandé d’essayer de reloger une dame qui intervenait dans le reportage, parce que cette dame avait reçu des menaces de son propriétaire ! Nous devons lutter contre ces pressions, car les personnes vivant dans des logements insalubres ne l’ont pas choisi et paient bien souvent scrupuleusement leur loyer, sinon, croyez-moi, le propriétaire se rappelle à leur bon souvenir ! C’est aussi une façon de protéger tout le monde.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Samia Ghali. Je comprends votre positionnement, mais comprenez aussi le mien. C’est la raison pour laquelle je maintiendrai cet amendement, ne serait-ce que pour les habitants de la rue d’Aubagne qui attendent encore d’être relogés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour explication de vote.
Mme Annie Guillemot. Effectivement, nous devons être pragmatiques et efficaces, et je pense que nous envoyons un mauvais signal aux marchands de sommeil, car tout maire qui se respecte aidera le propriétaire pauvre incapable de présenter deux offres. J’ai été maire pendant dix-huit ans, dans le cas des copropriétés privées dégradées, j’ai souvent aidé des propriétaires dans l’incapacité de réaliser les travaux à reloger leurs locataires dans de bonnes conditions. Le marchand de sommeil, lui, propose un relogement à Tataouine-les-Eaux, qui n’est pas acceptée, et c’est le maire qui se retrouve à devoir faire trois propositions à la famille. C’est pourquoi je vous invite à inverser la situation.
Dans des copropriétés de plusieurs milliers de logements, comme à Marseille aujourd’hui, un maire peut se retrouver avec 160 mises en vente, comme cela m’est arrivé, et donc 160 familles à reloger ! Il y a donc un problème. Selon moi, nous sommes dans l’erreur, parce que, sous couvert d’efficacité, tout repose sur le maire.
À Marseille, par exemple, quand les gens ne sont pas responsables, procède-t-on à des réquisitions ?
Mme Samia Ghali. Non !
Mme Annie Guillemot. Dans ma commune, j’ai pris cinq mesures de réquisition, ce qui n’était pas pour faire plaisir à tout le monde. Je regrette que cela n’ait pas été fait à Marseille. On est en train de reloger des gens loin de chez eux, en particulier des enfants loin de leur école, Samia Ghali l’a souligné, alors qu’ils n’ont déjà plus rien. Je me souviens d’une lycéenne qui s’est retrouvée sans rien, son logement ayant brûlé, à trois semaines du bac. C’est terrible !
Nous avons commencé à prendre des mesures fortes à l’encontre des marchands de sommeil…
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Annie Guillemot. … et s’ils réagissent par des violences sur les locataires, ce n’est pas pour rien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Je partage votre conclusion sur les signaux qui ont été envoyés aux marchands de sommeil, ce qui nécessite un accompagnement très fort des locataires.
Le problème des deux offres, c’est que nous allons provoquer la thrombose de l’ensemble du système, parce qu’il n’y a pas que des marchands de sommeil. Évidemment, le marchand de sommeil fera deux propositions à Tataouine-les-Eaux !
Vous évoquez à juste titre la question des réquisitions. J’ai été interpellé à ce sujet par les collectifs lors d’un énième déplacement à Marseille et j’ai joué cartes sur table, car vous savez aussi bien que moi que la réquisition, dans notre pays, prend des années. Il suffit, par exemple, que le propriétaire présente un pseudo-devis de travaux dans les six mois pour arrêter la procédure.
Mme Samia Ghali. Changeons la loi !
M. Julien Denormandie, ministre. Qu’ai-je fait ? J’y suis allé franco, rue de la République, où l’on m’avait signalé des logements vacants. Mes services ont identifié les trois principales foncières et j’ai pu contacter le directeur général de deux d’entre elles. Je leur ai présenté la situation et les ai invités à faire un acte citoyen : en dix jours, cent logements étaient libérés, qui sont aujourd’hui en voie d’être occupés.
Mme Samia Ghali. Il en faut 1 700 !
M. Julien Denormandie, ministre. Pour ce qui est de l’État, je me suis rendu compte que la caserne du Muy, en plein centre-ville, comportait plus d’une dizaine d’appartements susceptibles, après rénovation, d’être mis à disposition. C’est ce que nous avons fait. C’est plus rapide que la réquisition.
Mes services et mon cabinet connaissent mon impatience au sujet de la réquisition. N’oubliez pas, par exemple, que la loi ÉLAN a prévu la réquisition de bureaux pour les transformer en centres d’hébergement d’urgence. Vous connaissez la Constitution aussi bien que moi, le droit de propriété étant ce qu’il est, les procédures sont toujours longues. Au-delà de la réquisition, il convient donc d’identifier les propriétaires, de les appeler à faire un acte citoyen et de libérer ainsi des logements. Cela va souvent plus vite. Je suis sûr que, lorsque vous étiez maire, vous procédiez régulièrement ainsi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si l’on ne peut pas réquisitionner en France, c’est parce que nous n’avons jamais déployé de stratégie systématique sur le logement vacant. J’insiste sur ce point.
La réquisition agit comme une épée de Damoclès. Nous avons des masses de logements vacants, mais nous ne savons pas s’ils sont vraiment transformables en logements ni combien il faudrait investir pour les rénover… La question des relogements se pose pourtant de façon cruciale, de même que celle des logements-tiroirs en cas d’habitat insalubre.
Je me bats depuis longtemps pour rendre obligatoire la connaissance des logements vacants dans les intercommunalités.
Nous devrions absolument informer les propriétaires sur les dispositions d’aide à la rénovation et utiliser l’arme de la réquisition pour ne pas laisser autant de logements vacants sur le territoire national alors que certaines personnes ne sont pas logées dans des conditions décentes.
Quoi qu’il en soit, en l’état actuel des choses, il faut adresser aux propriétaires un signal extrêmement rigoureux sur l’obligation de relogement. Plus ils devront faire de propositions de relogement, moins leurs opérations de marchands de sommeil seront rentables.
Par précaution, je voterai l’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme Guillemot, même s’il peut avoir des effets négatifs.
Mais si l’on ne s’attaque pas à la question du relogement au moyen des logements vacants, nous n’arriverons pas à atteindre nos objectifs !
Mme la présidente. La parole est à Mme Samia Ghali, pour explication de vote sur l’amendement n° 4 rectifié bis.
Mme Samia Ghali. Monsieur le ministre, sur la question de la réquisition, vous avez pu, grâce à votre travail, reloger 100 familles dans des logements refaits à neuf que j’ai eu la chance de visiter avec vous. Mais il y a encore des milliers de logements vides rue de la République à Marseille !
Je ne peux donc laisser dire qu’il est impossible de reloger faute de logements sociaux, alors que 34 000 logements sont libres en centre-ville !
Vous avez vu ces logements vacants, monsieur le ministre, et vous comprenez bien que l’on pourrait reloger sans difficulté les 1 500 familles qui ne sont pas encore relogées, dont 300 vivent à l’hôtel et 200 dans un appart-hôtel.
Encore une fois, ne nous cachons pas derrière cette proposition de loi pour nous rassurer et nous donner bonne conscience.
En réalité, la loi permet déjà d’agir, et c’est bien dans ce cadre légal que vous avez inscrit votre action, monsieur le ministre. Quand la volonté politique existe, on peut régler les problèmes. À l’inverse, quand on ne veut pas les régler, il est facile de s’abriter derrière les insuffisances de la loi. On arrive souvent à obtenir beaucoup de choses par la discussion, comme le prouve votre réussite dans le cas que j’ai cité.
Mme la présidente. Ce n’était pas vraiment une explication de vote, ma chère collègue… (Sourires.) Dois-je comprendre que vous allez voter l’amendement n° 4 rectifié bis ?
Mme Samia Ghali. Oui, bien sûr !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 22 rectifié est présenté par Mmes Guillemot et Conconne, MM. Lurel et Antiste, Mme Jasmin, MM. Kanner, Daunis et Iacovelli, Mme Artigalas, MM. M. Bourquin, Courteau, Duran, Montaugé et Tissot, Mme Ghali et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 34 est présenté par Mme Estrosi Sassone, au nom de la commission.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 4 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport présentant les solutions permettant de remédier aux conséquences de la suppression de l’APL-accession sur la réalisation de travaux par les propriétaires occupants et sur la lutte contre l’habitat indigne, notamment dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution. Le rapport présente également les avantages et les inconvénients d’un rétablissement de l’APL-accession.
La parole est à Mme Catherine Conconne, pour présenter l’amendement n° 22 rectifié.
Mme Catherine Conconne. Monsieur le ministre, si l’on devait décerner la palme de la fausse bonne idée au Gouvernement, on pourrait choisir la suppression de l’APL accession, un dispositif qui permettait d’accompagner les ménages à faibles revenus.
Récemment, lors de la conférence du logement qui s’est tenue au ministère des outre-mer, vous nous avez promis de réparer cette erreur, monsieur le ministre. J’ai entendu le Président de la République faire son mea culpa sur la suppression de ce dispositif lors du grand débat, et nous attendons donc de vous un certain nombre d’explications.
Ce soir, nous sommes contraints de nous livrer à des contorsions pour essayer de vous interpeller, via une demande de rapport, sur l’impérieuse nécessité de rétablir l’APL accession.
Si vous aviez encore un doute sur le caractère indispensable de cet accompagnement de l’État pour les ménages modestes, je vous invite à la Martinique, monsieur le ministre, un pays où, en 1848, l’abolition de l’esclavage a « libéré » des gens qui n’avaient rien, sinon leur force de travail, ceux que l’on appelle les sin tierras en Amérique latine. Ils ont été poussés hors de leurs habitations parce qu’il fallait désormais les payer et, cahin-caha, ils commencèrent à se reconstruire une vie, se posant ici ou là, sur la terre de l’autre, sur celle de la ville ou sur le littoral, dans la zone des cinquante pas géométriques… Ils ont construit leurs maisons de bric et de broc avec quelques planches et quelques tôles et ils tentent de les améliorer au fur et à mesure.
L’accession de ces personnes aux droits sociaux a été très longue, et nous attendons encore la parution des décrets de la loi relative à l’égalité réelle outre-mer.
Une fois l’âge de la retraite atteint, à 70 ans ou 80 ans, ces personnes touchent entre 300 euros et 500 euros par mois. L’APL accession leur permettait d’emprunter, de réhabiliter des maisons et d’augmenter leur reste à vivre.
Mme la rapporteur et Mme la présidente de la commission des affaires économiques ont vu ce qu’était l’habitat spontané sous nos cieux.
Malheureusement, nous ne pourrons pas demander le rétablissement de cet accompagnement de l’État, qui tomberait sous le coup de l’article 40 de la Constitution et des contraintes budgétaires… D’où la contorsion à laquelle nous nous livrons, en demandant un rapport pour démontrer que la suppression de l’APL accession était vraiment une fausse bonne idée.
Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet, monsieur le ministre ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur, pour présenter l’amendement n° 34.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Je souscris pleinement à l’intervention de notre collègue Catherine Conconne. Sophie Primas et moi-même lui apportons de nouveau tout notre soutien. Nous avons en effet vu de nos propres yeux l’impact considérable de la disparition de l’APL accession dans la loi de finances pour 2018, plus particulièrement en outre-mer.
Depuis cette suppression, certaines opérations de résorption de l’habitat indigne sont ralenties, voire complètement stoppées – malheureusement, ce dernier cas est le plus fréquent.
Cela représente certes une économie d’environ 50 millions d’euros pour le budget de l’État, mais je vous assure, monsieur le ministre, au vu du nombre considérable d’opérations qui ne se feront pas, que ce n’est pas une bonne idée.
L’arrêt de ces opérations laisse certains de nos concitoyens dans des situations d’habitats spontanés véritablement inhumaines. Ils n’aspirent pourtant qu’à être propriétaires, mais, pour cela, ils ont impérativement besoin de l’APL accession. Tous les témoignages que nous avons recueillis vont dans ce sens.
En effet, chère Sophie Primas, nous pouvons citer l’exemple de Marie-Thérèse, dont le seul souhait est de quitter cet habitat informel dans lequel elle vit depuis de si longues années, mais à condition de devenir propriétaire. Or elle ne pourra pas accéder à la propriété dans l’immédiat, à moins que vous n’annonciez le rétablissement de l’APL accession dans la prochaine loi de finances, monsieur le ministre.
Bien évidemment, nous serons de nouveau tous mobilisés en ce sens. Outre l’arrêt des opérations de résorption de l’habitat indigne, que j’ai déjà mentionné, sa suppression a également eu un impact considérable sur la réalisation de travaux par les propriétaires occupants très modestes.
Toutefois, nous ne pouvons pas demander dans ce texte le rétablissement de l’APL accession, comme nous l’avons fait dans les lois de finances précédentes, et comme nous le ferons de nouveau dans le prochain projet de loi de finances.
C’est pourquoi, même si nous ne sommes pas favorables par principe à cette solution, nous proposons la remise au Parlement d’un rapport qui présenterait les solutions permettant de remédier aux conséquences de la suppression de l’APL accession sur la réalisation des travaux par les propriétaires occupants, particulièrement les plus modestes, mais également sur les moyens de lutte contre l’habitat indigne, notamment en outre-mer.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame le rapporteur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Ce rapport exposerait également les avantages et les inconvénients d’un rétablissement de l’APL accession. Au regard de l’urgence de la situation, nous demandons que le Gouvernement puisse le remettre dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi.
Mme la présidente. L’amendement n° 18 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 9 rectifié, présenté par Mme Conconne, MM. Lurel et Antiste, Mmes Jasmin et Guillemot, MM. Daunis et Iacovelli, Mme Artigalas, MM. M. Bourquin, Courteau, Duran, Montaugé et Tissot, Mme Ghali, M. Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 4 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur les modalités de mise en place d’un dispositif pérenne applicable aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution visant à accompagner les ménages modestes vers l’accession sociale à la propriété et, pour les propriétaires modestes, vers la réhabilitation de leur logement.
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre …
Mesures d’urgence pour lutter contre l’habitat indigne et dégradé en Outre-mer
La parole est à Mme Catherine Conconne.
Mme Catherine Conconne. Les amendements nos 22 rectifié et 34 font le job, mes chers collègues, et je vais retirer l’amendement n° 9 rectifié.
Je me saisis toutefois du temps de parole qui m’est offert pour féliciter la présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, et la rapporteur de cette proposition de loi, Dominique Estrosi Sassone.
Leur présence à la Martinique a été remarquée et remarquable : elles ont effectué un excellent travail et ont été extrêmement à l’écoute des populations.
On parle d’habitat insalubre et indigne en France hexagonale, mais, chez nous, il s’agit plutôt d’un habitat spontané qui s’est érigé petit à petit. Lorsque vous étudiez le logement en Martinique, c’est toute l’histoire de ce pays qui se déroule devant vous. Il n’existe pas de meilleure empreinte.
Mes chères collègues, vous avez pris le temps de découvrir ces situations, qui n’ont pas d’équivalent en France hexagonale, et vous avez su trouver les mots pour décrire ce contexte si particulier. Je vous remercie solennellement, mesdames, de vous être déplacées, d’avoir compris les enjeux et d’être aujourd’hui nos meilleures ambassadrices pour dénoncer la fausse bonne idée de la suppression de l’APL accession. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Cela étant, le présent amendement étant satisfait, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 9 rectifié est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements identiques nos 22 rectifié et 34 ?
M. Julien Denormandie, ministre. Nous débattrons en effet de ce sujet dans le cadre du projet de loi de finances.
Les conséquences de la suppression de l’APL accession sur la lutte contre l’habitat indigne dans nos territoires ultramarins dépassaient largement l’objet de notre réforme. On ne retrouve pas les mêmes effets en métropole, et c’est en effet une grande différence.
Dans la réforme de l’APL accession, nous nous étions d’ailleurs engagés à mettre en place un système temporaire pour permettre de finaliser et d’accompagner tous les dossiers en cours au début de l’année 2019.
Nous nous étions engagés également à diligenter une mission, afin que les experts du Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, puissent émettre des préconisations.
Si vous le souhaitez, je m’engage à vous transmettre toutes les informations dont je disposerai dans le cadre de ce rapport afin d’éclairer nos débats sur le prochain projet de loi de finances.
Enfin, lors des assises du logement ultramarin, organisées avec ma collègue Annick Girardin, et auxquelles vous avez participé, madame la sénatrice, nous nous sommes interrogés sur ce que pourrait être un système pérenne de lutte contre l’habitat indigne.
Toutefois, au moment où je vous parle, nous n’avons pas encore atterri (Mme Catherine Conconne s’exclame.), et je ne peux pas vous décrire le système définitif que nous retiendrons dans le cadre de la loi de finances.