M. Jacques Genest. Ça ne passe pas ? (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Vous pouvez les refaire !
M. François de Rugy, ministre d’État. Vous comprendrez que je reprenne mon souffle sur ce sujet…
« Les circonstances n’ont pas permis leur examen,…
M. David Assouline. Benalla est passé par là !
M. François de Rugy, ministre d’État. … mais les discussions se sont poursuivies, en particulier avec le Sénat et avec son président. Les événements des derniers mois nous ont confortés dans notre conviction que ces textes étaient utiles, et le grand débat nous a permis de les enrichir.
« La garde des sceaux est prête à présenter dès ce mois-ci trois nouveaux textes en conseil des ministres. Ces textes reprennent le cœur des engagements du Président de la République, y compris l’inscription de la lutte contre le changement climatique à l’article 1er de notre Constitution. Ils sont recentrés sur trois priorités : les territoires, avec l’autorisation de la différentiation, l’assouplissement du cadre relatif à la Corse ainsi qu’aux outre-mer ; la participation citoyenne, avec un nouveau titre dans la Constitution, la transformation du Conseil économique, social et environnemental en conseil de la participation citoyenne, la possibilité de former des conventions de citoyens tirés au sort, la facilitation du recours au référendum d’initiative partagée et l’extension du champ de l’article 11 ; la justice, avec l’indépendance du parquet et la suppression de la Cour de justice de la République.
« En parallèle, des gestes ont été faits pour parvenir à un consensus avec le Sénat. »
M. Roger Karoutchi. Lesquels ?
M. François de Rugy, ministre d’État. « Les dispositions relatives au fonctionnement des assemblées ont été retirées. Nous avons considéré qu’il appartenait aux assemblées elles-mêmes de décider de leurs réformes. »
M. Roger Karoutchi. C’est sûr !
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. François de Rugy, ministre d’État. « Les dispositions relatives au cumul des mandats dans le temps ont été assouplies pour en exclure les maires de communes de petite taille et prévoir une entrée en vigueur progressive. Le Président de la République a accepté de revoir sa proposition de baisse d’un tiers du nombre de parlementaires pour viser une réduction d’un quart, qui permet une juste représentation territoriale et l’introduction d’une dose significative de proportionnelle. »
M. Alain Richard. Quel silence !
M. François de Rugy, ministre d’État. « La réalité, aujourd’hui, c’est que nous sommes proches d’un accord sur le projet de loi constitutionnelle,…
M. Roger Karoutchi. Non !
M. François de Rugy, ministre d’État. … mais que ce n’est pas encore le cas sur le projet de loi organique,…
M. Roger Karoutchi. Non plus !
M. François de Rugy, ministre d’État. … et en particulier sur la question de la réduction du nombre de parlementaires. Et le Sénat a été très clair sur le fait qu’il n’y aurait d’accord sur rien s’il n’y avait pas accord sur tout. (Eh oui ! sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Éliane Assassi s’esclaffe.) Nous allons donc continuer à chercher à nous rapprocher,…
M. Antoine Lefèvre. Encore un effort !
M. François de Rugy, ministre d’État. … mais nous ne mobiliserons pas du temps parlementaire pour in fine constater le désaccord du Sénat. » (Exclamations et rires sur diverses travées.)
Mme Éliane Assassi. Il n’y aura donc pas de révision !
M. François de Rugy, ministre d’État. « Nous ne renonçons pas à nos ambitions, qui, nous le pensons, sont conformes à la demande de nos concitoyens. Nous attendrons le moment propice (Ah ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Roger Karoutchi s’esclaffe.) et la manifestation de volonté du Sénat, qui, peut-être, ne viendra qu’après le renouvellement de la Haute Chambre en 2020. Nous pouvons aussi voter seulement la proportionnelle à l’Assemblée nationale, sans changer le nombre de députés. Et le Président de la République a la faculté d’interroger directement les Français sur la réduction du nombre de parlementaires. »
M. Bruno Retailleau. Chiche !
Mme Sophie Primas. Ils n’en ont rien à faire de ça !
M. François de Rugy, ministre d’État. « Ma conviction est que nous ne devons pas résister au désir de changement exprimé par les Français. »
Mme Éliane Assassi. Les gens veulent du pouvoir d’achat d’abord !
M. François de Rugy, ministre d’État. « Transformer l’action publique, c’est réformer nos administrations et notre service public, à Paris et sur le terrain.
« À la suite d’un long travail préparatoire, j’ai signé deux instructions qui remodèlent nos administrations, à Paris et sur le terrain. Dès janvier prochain, 95 % des décisions individuelles seront prises sur le terrain. »
L’attention semble moins vive que lorsque j’évoquais le nombre de parlementaires…
M. Roger Karoutchi. Si, si, on écoute !
M. François de Rugy, ministre d’État. Ce sujet est pourtant important pour les territoires que vous représentez.
« Les services locaux seront renforcés, réorganisés pour plus de cohérence, les administrations centrales allégées et rendues plus agiles.
« Dans le même temps, nous achèverons d’ici l’été l’examen de la loi de transformation de la fonction publique, et nous donnons plus de pouvoir aux managers. La mission Thiriez démarre ses travaux sur la haute fonction publique, pour rénover profondément son recrutement, sa formation et la gestion des carrières. C’est un dossier déterminant pour l’État, parce que pouvoir bénéficier des meilleurs éléments, et des plus dévoués, a toujours été essentiel. Je m’en occuperai personnellement.
« Le service public, c’est une promesse républicaine, en particulier pour les territoires isolés, la ruralité, les quartiers, l’outre-mer. Des personnes, un accueil, un conseil : quel que soit l’endroit où l’on habite, on doit pouvoir rencontrer un de ses représentants. C’est le sens de la création des maisons France services que le Président de la République a souhaitée.
« Depuis plusieurs années, les maisons de services au public ont tenté d’apporter une première réponse. Certaines le font déjà remarquablement. Je l’ai vu à Montmoreau, en Charente. Mais reconnaissons ensemble que les maisons de service public sont très variées et proposent des niveaux de service très différents. Nous devons changer d’échelle et de logique : partir des besoins de nos concitoyens, dépasser les frontières des administrations, oublier que nous sommes l’État, le département, la Caisse primaire d’assurance maladie ou la Caisse d’allocations familiales. Cela veut dire des choses simples, comme des horaires d’ouverture élargis, des agents polyvalents, capables d’offrir immédiatement des réponses, d’accompagner vers la bonne porte d’entrée. Dès le 1er janvier 2020, je veux 300 maisons France services pleinement opérationnelles. Et, d’ici la fin du quinquennat, nous en aurons une par canton.
« J’aurai également le plaisir de signer avant le 14 juillet les contrats de convergence et de transformation avec les collectivités ultramarines ; des contrats qui mettent en œuvre nos objectifs de développement économique et social dans ces territoires et qui s’inscrivent résolument dans la transition écologique. Je veux redire, comme je l’avais fait lors de ma première déclaration de politique générale, à nos compatriotes ultramarins notre volonté de faire appliquer en toutes circonstances ce que j’ai appelé un “réflexe outre-mer”. Nous tiendrons nos engagements.
« Transformer l’action publique, enfin, c’est répondre à l’aspiration fortement exprimée dans le grand débat pour plus de simplicité et plus de proximité.
« Je suis favorable, pour ma part, à un nouvel acte de décentralisation, mais je sais que cela prend du temps et que les positions des territoires sont moins unies que nous ne le voudrions tous. C’est bien normal, d’ailleurs, car notre système est devenu compliqué.
« Ma conviction, c’est qu’il faut d’abord conforter les maires, qui sont plébiscités par nos concitoyens, pour répondre au sentiment de fracture territoriale.
« Je vous propose donc de procéder en deux temps. D’abord, en prenant des mesures pour favoriser l’engagement des maires. Elles seront rassemblées dans un projet de loi que le Gouvernement présentera dès le mois de juillet et que je proposerai au Sénat d’examiner dès la rentrée. » La première lecture aura donc lieu au Sénat. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. C’est normal, c’est la Constitution !
M. François de Rugy, ministre d’État. « Ensuite, nous devrons nous accorder avec les élus et leurs représentants sur la meilleure méthode pour clarifier le fameux “millefeuille territorial”. Il faut aller vers des compétences clarifiées, une responsabilité accrue, des financements clairs, comme le Président de la République nous y a invités. »
M. Philippe Dallier. Depuis le temps qu’on entend ça !
M. François de Rugy, ministre d’État. « J’irai demain solliciter l’approbation de la politique du Gouvernement au Sénat. » (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Bienvenue !
Mme Éliane Assassi. On se demande pourquoi il le fait demain !
M. François de Rugy, ministre d’État. « Mes prédécesseurs l’ont peu fait, et encore, seulement lorsque le Sénat était clairement dans la majorité. Convenez avec moi que c’est loin d’être le cas en ce qui concerne mon gouvernement… »
M. Roger Karoutchi. Ah ça !
M. Roger Karoutchi. Courageusement !
M. François de Rugy, ministre d’État. … sans penser revenir avec une majorité. Mais ce sera l’occasion pour le Gouvernement de détailler ce chapitre territorial de l’acte II, et le vote permettra à chacun de se prononcer et à nous tous d’y voir plus clair. » (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Cécile Cukierman. C’est scandaleux comme méthode !
M. François de Rugy, ministre d’État. « Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai appelé au dépassement pour relever les défis, mais je reconnais que le Gouvernement aussi doit dépasser ses habitudes, ses inclinations, pour changer de méthode. Le sentiment d’urgence nous a parfois conduits à prendre des décisions rapides, pas assez concertées. »
M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai !
M. François de Rugy, ministre d’État. « C’est toujours une erreur et, au final, cela fait perdre du temps. Dans ma vie de maire, j’ai pu constater qu’écouter c’est toujours mieux pour se faire entendre.
« En cette troisième année aux responsabilités, nous voulons faire évoluer notre manière de gouverner. Nous sommes et nous demeurerons des réformateurs, mais nous devons davantage associer les Français à la fabrique de nos décisions. Les transformations que nous avons engagées, beaucoup de nos concitoyens ont pensé que nous les faisions sans eux ; certains ont même cru que nous les faisions contre eux. Je pense notamment aux retraités et aux Français des territoires isolés. C’est à nous de les convaincre que nous les faisons pour eux (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.),…
M. André Reichardt. Ça va être dur !
M. François de Rugy, ministre d’État. … à nous de changer de méthode pour les faire avec eux.
« C’est le sens de la mobilisation nationale qui réunit sur les territoires élus, partenaires sociaux, associations, services de l’État, pour identifier ce qu’on doit changer au service de l’emploi et de la transition écologique. C’est le sens aussi du développement d’une forme de démocratie directe » – et participative –, « parce que le grand débat n’est pas une parenthèse, mais un besoin de fond de nos démocraties. Le sens enfin de cette attention que nous devons apporter à ce “fameux dernier mètre” qui sépare parfois une décision prise dans un lointain bureau ministériel des Français, qui, seuls, comptent.
« Changer de méthode, c’est aussi changer de ton. La détermination, la conviction, la passion que nous mettons à défendre nos idées ne devraient jamais nous conduire à l’arrogance, à l’agressivité, à la caricature. (Rires et applaudissements ironiques sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.) Regardons avec lucidité notre scène politique et nos débats médiatiques. Ils ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux. Je ne donne aucune leçon,…
M. Rémy Pointereau. Vous ne faites que ça !
M. François de Rugy, ministre d’État. … et je ne m’exonère d’aucune responsabilité dans ce domaine, mais nous avons à traiter de belles questions, qui méritent mieux que des raccourcis, des outrances ou des postures. Ces belles questions méritent, elles aussi, que nous dépassions nos vieilles habitudes ; que nous nous écartions de ces partitions vieillies qui nous font jouer, mal le plus souvent, les mêmes rengaines fatiguées. »
M. François Calvet. On n’est pas à la maternelle !
M. François de Rugy, ministre d’État. « Nous pouvons faire tellement mieux ! La France, qui est souvent belle dans la tradition et la permanence, n’est jamais aussi grande que dans l’effort et le dépassement. Dans le pays des Lumières, ce n’est jamais l’argument d’autorité qui doit prévaloir ; dans le pays des Lumières, on doute et on se respecte. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
« Je ne me résigne pas au rétrécissement du débat public, et je souhaite que nous portions ensemble l’espoir d’un ressaisissement, sans gommer nos différences. Il est un joli mot, qui vient de la rude et grave républicaine romaine, mais qui semble parfois faire défaut dans nos démocraties, c’est celui de “civilité” ; une civilité qui va au-delà de la politesse de façade et qui concerne, au fond, le respect que l’on doit à tout membre d’une même communauté. Si vous le voulez bien, c’est, après le dépassement, le second terme que j’aimerais placer au cœur de notre projet, pour marquer le respect, la considération que chacun a le droit le plus fondamental de revendiquer.
« Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, notre feuille de route est claire pour l’année qui vient, mais notre vision pour le pays va bien au-delà d’une année de travail, aussi intense soit-elle. Nous souhaitons réconcilier la France avec elle-même. Notre pays, qui a tout et que le monde envie, a perdu confiance. En tout cas, des millions de ses citoyens ont perdu confiance en lui.
« Cette confiance, nous voulons la rebâtir, en renouant avec l’idée de rassemblement, car notre pays a besoin d’unité et de respect, en renouant avec l’idée de puissance, gage de notre grandeur et de nos modes de vie, en remettant l’humain au cœur de nos préoccupations.
« Une France fidèle à elle-même, puissance industrielle, militaire et culturelle, une France travailleuse, solidaire et écologique, qui puise dans ce qu’elle produit la ressource de la justice sociale et qui ne vit pas au crédit de ses enfants, ni de leur environnement.
« Je me tiens devant vous pour tenir les engagements du Président de la République et mettre fidèlement en œuvre l’intégralité de ce que je viens de vous annoncer. Et j’ai l’honneur d’engager devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement que je dirige sur ce programme. » (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration de politique générale dont il vient d’être donné lecture au Sénat.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, demain, à neuf heures trente, une déclaration de politique générale du Gouvernement sera prononcée par M. le Premier ministre. Elle sera suivie d’un débat et d’un vote, en application de l’article 49, quatrième alinéa, de la Constitution.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche.
M. Éric Kerrouche. Lors du scrutin public n° 149 du 11 juin 2019 sur l’ensemble du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, M. Michel Boutant, Mme Claudine Lepage, MM. Jean-Yves Leconte et Jean-Jacques Lozach ont été comptabilisés comme n’ayant pas pris part au vote, alors qu’ils auraient souhaité voter contre ce texte.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
4
Création d’un statut de l’élu communal
Discussion d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, la discussion de la proposition de loi créant un statut de l’élu communal, présentée par M. Pierre-Yves Collombat et plusieurs de ses collègues (proposition n° 305, résultat des travaux de la commission n° 534, rapport n° 533).
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que je devrai lever la séance au terme d’un délai de quatre heures réservé à l’espace du groupe CRCE, soit au plus tard à vingt heures quarante-sept.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi.
M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la proposition de loi. Vous êtes sûr qu’il n’y a pas encore un membre du Gouvernement qui veut parler ?…
M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales. Je peux partir si vous voulez !
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas vous qui êtes en cause, monsieur le ministre,…
M. Pierre-Yves Collombat. … mais on attend depuis un certain temps…
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, encore aujourd’hui les mots mêmes de « statut de l’élu communal » sonnent comme une incongruité, que dis-je, un gros mot, une injure à tous ces hussards de la République honorés de se dévouer gratuitement pour nos communes, à en croire les croyants, non pratiquants d’ailleurs, de cette morale très exigeante. Nous allons voir si les temps sont venus de mettre fin à cette hypocrisie séculaire : reconnaître que la commune est le terreau de la République et de la démocratie françaises, le premier garant de la cohésion sociale, le premier pourvoyeur de services publics de proximité, le premier investisseur public et, directement ou indirectement, le deuxième employeur public ; et, en même temps, que les élus qui l’administrent, qui la font vivre, resteront éternellement privés de la reconnaissance de leur fonction essentielle et de la sécurité que représenterait un statut de l’élu communal.
Un statut, en effet, fixe l’ensemble des garanties et des obligations qui, s’attachant à une personne, à un groupe, à un territoire, les distingue des autres, facilitant ainsi l’accession du plus grand nombre aux fonctions électives, sans préjudice professionnel ou financier, et permettant la représentation de la population dans toute sa diversité. Instituer un tel statut serait prendre au sérieux notre Constitution, laquelle donne un fondement politique aux institutions locales. Selon les termes de celle-ci, « l’organisation » de la France est « décentralisée » – c’est l’article 1er – ; « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon » et elles « s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences » – c’est l’article 72.
Les communes sont donc loin d’être des institutions destinées à donner un vernis démocratique à une administration d’État déconcentrée ou, encore moins, à offrir un passe-temps à des notables rentiers.
Prendre au sérieux l’idée de décentralisation, ce serait d’abord reconnaître symboliquement l’importance de la mission de ceux qui administrent et donnent vie à la commune, ce que fait d’ailleurs la loi fondatrice de la nouvelle décentralisation du 2 mars 1982, qui prévoyait déjà une loi instituant un statut de l’élu local. Celle-ci sera semi-enterrée sous les couches de projets et propositions destinés à « améliorer » ou « faciliter » telle ou telle « condition d’exercice des mandats locaux ».
Mais c’est pour les élus de la commune que l’hypocrisie bat des records, puisque pour eux seuls a été conservé l’article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales, issu de la loi du 21 mars 1831, prévoyant que « les fonctions de maire, d’adjoint et de membre du corps municipal sont essentiellement gratuites ». Par ailleurs, aux termes de cette loi, « aucun électeur ne pourra déposer son vote qu’après avoir prêté entre les mains du président serment de fidélité au roi des Français, d’obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume ». Étrange hommage de la République à la Monarchie de Juillet !
Accessoirement, supprimer l’article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales, comme le prévoit le présent texte, permettrait de sortir du dilemme qui fait actuellement des indemnités de fonction soit le salaire d’une fonction publique croupion – c’est le cas du rapport Mauroy de 2000 –, soit une forme de dédommagement soumis à impôt et à cotisations sociales, ce qui n’est pas banal pour un dédommagement. Un dédommagement d’on ne sait quoi – perte de revenu même si on est retraité, frais divers… – cohabitant avec la compensation de frais annexes, comme les frais de représentation !
Tout cela resterait une entorse à la logique si, de glissement en glissement, « l’indemnité » n’était pas devenue pour Bercy un salaire comme les autres, imposable selon les modalités communes, et pour les percepteurs sociaux un revenu à taxer comme les autres. Ainsi l’article 10 de la loi de finances pour 2017, sans crier gare, supprimait-il la possibilité de déclaration fiscale séparée des indemnités électives et des autres revenus, entraînant de fait une majoration importante de l’impôt pour nombre d’élus : « Les indemnités de fonction perçues par les élus locaux en application du code général des collectivités territoriales sont imposables à l’impôt sur le revenu suivant les règles applicables aux traitements et salaires. » Étranges « fonctions gratuites » !
On s’aperçoit aussi que, outre la valeur symbolique de la reconnaissance de la fonction communale, instituer un statut de l’élu municipal est le seul moyen d’endiguer la dérive qui fait de l’élu territorial, et particulièrement communal, dans l’exercice de ses fonctions, exercées – je le rappelle – au nom de la collectivité et dans l’intérêt général, un simple citoyen ou un professionnel. En effet, si la longue liste des responsabilités des élus n’a rien à voir avec celle du citoyen lambda ou même d’un chef d’entreprise, d’un médecin ou d’un avocat, il en va différemment de sa responsabilité pénale. Au mieux, elle est la même ; souvent, elle est plus lourde, au motif que l’intéressé est « investi d’un mandat électif public », d’un pouvoir général de police ou « dépositaire de l’autorité publique ».
Le meilleur résumé de la situation nous est donné par Camille et Jean de Maillard : aujourd’hui, « on n’est plus citoyen que pour s’abstenir d’agir, à moins de vouloir assumer une responsabilité dont on devient l’infamant débiteur ». Tant qu’on refusera d’articuler principe d’égalité devant la loi et réalité de l’inégalité devant les charges, responsabilités et obligations, ce qui devrait être au cœur d’un authentique statut de l’élu territorial, on en restera là… Tant qu’il y aura évidemment des amateurs au rôle « d’infamant débiteur ».
Trois urgences : préciser les notions de « prise illégale d’intérêts » et de « délit de favoritisme », ce que le Sénat a déjà fait à l’unanimité à trois reprises, mais qui a disparu dans le trou noir de la navette ; préciser l’article 122-4 du code pénal en donnant force de loi à l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 10 octobre 2012 relaxant le maire de Cousolre, dans le Nord, précédemment condamné pour avoir donné une gifle à un adolescent provocateur.
Mais l’institution d’un statut de l’élu communal ne saurait se limiter à une reconnaissance des responsabilités particulières des administrateurs communaux élus et à l’amélioration des conditions d’exercice de leur mandat. Elle doit aussi préciser les droits des conseillers municipaux, tout particulièrement ceux de l’opposition, trop souvent tributaires de la bonne ou mauvaise volonté du maire et de sa majorité.
Pour que la commune soit réellement la « cellule de base » de la démocratie, il faut que ce soit un lieu réel de débat informé sur un pied d’égalité. Avant de succomber aux charmes imaginaires de la démocratie « post-représentative », l’urgence est pour moi de revivifier la démocratie représentative, en donnant toute sa place à un débat démocratique trop souvent réduit à l’exposé de discours parallèles – pour ne pas dire à un dialogue de sourds. La démocratie, avant d’être le pouvoir des majorités, c’est d’abord le débat démocratique à égalité d’information.
Tel est l’esprit de cette proposition de loi, qui évidemment aborde aussi l’ensemble des dispositions pratiques susceptibles d’améliorer les conditions d’exercice des mandats municipaux : disponibilité des élus, formation, sécurité matérielle, professionnelle et juridique pour s’en tenir à l’essentiel. À vous de dire, chers collègues, monsieur le ministre, si vous entendez lui donner une suite ou lui réserver l’habituel enterrement de première classe qui suit en général les propositions de loi que j’ai faites jusqu’à présent ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)