M. Éric Jeansannetas. Très bien !
M. Jean-Yves Roux. C’est pourquoi nous demandons qu’un courrier récapitulant toutes les informations pratiques et mentionnant les moyens de joindre effectivement l’agence soit adressé à tous les maires. La pertinence de ces informations devra être testée au préalable.
C’est pourquoi nous suggérons que les sous-préfectures puissent accueillir des permanences de la nouvelle agence.
C’est pourquoi nous demandons que des expérimentations soient très rapidement menées dans des départements pour adapter ce guichet aux demandes.
C’est pourquoi nous proposons que le traditionnel rapport au Parlement, prévu dans la proposition de loi, s’élabore en temps réel et s’enrichisse en permanence des remarques des utilisateurs, les maires et leurs équipes. Nous proposons ainsi de donner un autre sens à l’application des lois, a priori, ici au Sénat, et que l’ANCT puisse en bénéficier. Nous sommes ouverts à cette évolution, pour autant que l’ANCT dispose des compétences et moyens requis.
Monsieur le ministre, la réussite de cette agence nous oblige tous, élus comme Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici de nouveau réunis pour examiner les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires.
Alors que la première lecture a permis un travail constructif entre les deux assemblées, une question épineuse les a néanmoins divisées, rendant tout compromis impossible en commission mixte paritaire. Elle demeure en nouvelle lecture : la gouvernance prévue par l’Assemblée nationale pour ce qui a vocation à devenir une agence des territoires, au premier rang desquels les territoires les plus fragiles, ne nous convient pas ; elle ferait de cette énième institution une réponse inadéquate à un problème plus qu’actuel.
Mes chers collègues, où en sommes-nous ? De quoi s’agit-il ?
Si l’Agence nationale de la cohésion des territoires ne constitue pas le remède miracle aux inégalités et disparités territoriales que le mouvement des « gilets jaunes » a mises sur le devant de la scène politique, elle représente bien un premier pas pour y répondre sur le long terme et, en ce sens, les élus doivent y être associés.
Le débat, disais-je, a été constructif entre les deux assemblées : les principaux apports du Sénat, qui visaient à améliorer le fonctionnement de l’institution et à définir son périmètre d’intervention, ont été confortés lors de la première lecture du texte par l’Assemblée nationale.
Toutefois, en ce qui concerne la gouvernance de l’agence, il y a discorde. Alors que le Sénat défendait l’instauration d’une parité, au sein du conseil d’administration, entre les représentants des élus locaux et nationaux, d’une part, et les représentants de l’État, de ses établissements publics et du personnel de l’agence, d’autre part, les députés ont redonné la majorité aux représentants de l’État, contre le souhait exprimé par la Haute Assemblée.
De nouveau, au stade de la commission mixte paritaire, les deux assemblées ne sont pas parvenues à un accord concernant la gouvernance de la future institution, malgré la volonté du Sénat d’aboutir à un compromis.
La Haute Assemblée a proposé un amendement par lequel elle acceptait la représentation majoritaire de l’État au conseil d’administration, à condition que les représentants des élus disposent d’un droit de veto en cas de désaccord des trois quarts d’entre eux avec une décision dudit conseil d’administration.
Nous comprenons très bien pourquoi l’État est réticent à accepter une telle solution de compromis : il revient à celui qui finance de décider. Toutefois, dans le cas présent, à la veille d’un nouvel acte de décentralisation censé ouvrir la voie à la différenciation, pour définir avec chaque territoire une réponse adaptée et sur mesure, il serait inopportun de laisser à l’État seul un pouvoir de décision unilatérale au sein d’une agence conçue pour être au service des collectivités, de leurs projets, de leur cohésion.
En nouvelle lecture, le texte n’a été que peu modifié par l’Assemblée nationale ; les députés ont simplement adopté une dizaine d’amendements rédactionnels ou visant à apporter des précisions juridiques opportunes.
Toutefois, à l’article 3, l’Assemblée nationale a adopté un amendement tendant à modifier la composition et le fonctionnement du conseil d’administration, ces nouvelles dispositions s’inspirant de la position sénatoriale. Mais ne soyons pas dupes : le dispositif introduit en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale est un ersatz de ce que nous attendons et ne changerait rien au droit de regard réel des collectivités territoriales. Si le dispositif accorde un droit de veto aux élus locaux, celui-ci n’ouvre droit qu’à une seule nouvelle délibération, sans vrai pouvoir de blocage pour les représentants des élus par la suite. Cela traduit un manque de confiance dans les bienfaits de la concertation entre les élus et l’État en vue d’une meilleure cohésion territoriale.
C’est donc très naturellement que notre commission, sous la houlette du rapporteur, Louis-Jean de Nicolaÿ, dont je salue au passage l’excellent travail, a incorporé au texte la solution de compromis que nous avons proposée en commission mixte paritaire.
Le groupe Union Centriste, en cohérence avec la position exprimée par le Sénat depuis le début de l’examen de la proposition de loi, soutiendra donc le texte ainsi amendé. En donnant aux représentants des élus la possibilité de s’opposer à une décision du conseil d’administration à la majorité qualifiée, on ne joue pas le rapport de force : on garantit leur association étroite aux décisions de l’agence, pour que celle-ci puisse véritablement assurer sa mission, à savoir accompagner la logique de projets qui anime aujourd’hui la France rurale et développer dans ce domaine la coordination entre l’État et les collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, dont je salue l’excellent travail, mes chers collègues, la création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires était évoquée de longue date par de nombreux groupes politiques et diverses associations. Mon groupe l’a déjà indiqué lors de débats antérieurs : l’intention est bonne, mais il faut que l’ensemble du dispositif soit parfaitement défini pour qu’il puisse s’insérer dans une organisation durable de l’aménagement du territoire, en évitant surtout d’alourdir encore le millefeuille institutionnel.
Il est de notre devoir constitutionnel de proposer aux élus locaux une institution utile, pragmatique et conforme à leurs attentes.
La création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires doit permettre de lutter contre les multiples fractures territoriales et, avant tout, de soutenir ceux qui en ont le plus besoin : les zones rurales, bien entendu. L’action de cette agence devra se concentrer sur les territoires le plus en difficulté, en incluant les zones de revitalisation rurale, ainsi que les zones de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs.
Toutefois, il faudra veiller à ce que ce nouvel acteur n’ajoute pas une couche de complexité bureaucratique au quotidien des élus locaux : nous sommes, en France, des spécialistes de la création d’usines à gaz ! Les élus locaux attendent surtout de l’État une lisibilité globale et un accès facilité, au profit de leurs territoires.
La nouvelle agence devra impérativement faire sienne cette ambition de simplification et de transparence, pour mieux répondre aux besoins et aider les élus de terrain. Elle devra également être aussi déconcentrée que possible, pour agir au plus près des élus et de leurs préoccupations quotidiennes.
Il faudra aussi réfléchir à simplifier davantage le paysage de l’intervention territoriale de l’État, pour tendre vers le guichet unique. En attendant, une coordination renforcée entre la nouvelle agence et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’Ademe, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH, la Caisse des dépôts et consignations et les agences régionales de santé devra être mise en place.
Je tiens à souligner les améliorations substantielles apportées au texte par le Sénat et l’Assemblée nationale s’agissant de la transparence et du fonctionnement de l’agence, de la parité dans les instances de gouvernance, de la prise en compte des territoires les plus fragiles ou encore du soutien au réseau d’associations dans tous les territoires.
La réussite de l’agence dépendra essentiellement de la représentation des élus locaux au sein de ses instances. Ils devront pouvoir contribuer directement aux choix stratégiques : c’est le point essentiel !
Il est regrettable que les discussions aient échoué en commission mixte paritaire sur la question de la gouvernance, alors même que les élus locaux sont le mieux à même de savoir ce qui convient pour leurs territoires.
Il existe bien un désaccord de fond entre les sénateurs, qui ont souhaité que le conseil d’administration de l’ANCT soit constitué, à parité, de représentants de l’État et du personnel de l’agence, d’une part, et de représentants des élus locaux, d’autre part, et les députés, qui entendent que l’État ait la majorité dans cette instance, parce que l’agence sera une institution nationale publique, financée par l’État.
Le Sénat a fait un pas important en proposant de permettre à l’État, malgré la parité, d’opposer un veto à une décision qui n’irait pas dans le sens qu’il souhaite, mais ce fut en vain !
Quant à la proposition de l’Assemblée nationale de permettre une seconde délibération en cas de blocage, elle ne saurait être satisfaisante. Le fait qu’il soit le financeur ne peut justifier que l’État ait le dernier mot.
Il est regrettable que le Sénat ne soit pas entendu sur ce point, pourtant fondamental pour la bonne relation entre les collectivités territoriales et l’État. Il est évident que la République ne peut pas fonctionner sans une collaboration étroite entre l’État et les collectivités locales.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient la position de la commission sur la question de la gouvernance de l’agence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons ce matin la proposition de loi portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires telle qu’adoptée en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale le 21 mai dernier. La commission mixte paritaire avait abouti à un accord sur le texte organique, mais échoué sur la proposition de loi ordinaire.
L’Agence nationale de la cohésion des territoires doit constituer pour les élus un guichet unique, simple et efficace, permettant de soutenir les projets des collectivités territoriales – une agence au service des projets, donc !
Le texte déposé par M. Jean-Claude Requier et nos collègues du groupe du RDSE porte l’empreinte d’une double ambition : d’une part, faciliter la conception et la réalisation des projets territoriaux envisagés par les équipes municipales, notamment dans les territoires les plus en difficulté ; d’autre part, renforcer les relations entre les services déconcentrés de l’État et les représentants locaux, pour une plus grande efficacité.
Cette structure, dont la création a été annoncée lors de la Conférence nationale des territoires qui s’est tenue au Sénat il y a deux ans, puis devant le Congrès des maires de France voilà un an, est – cela a été rappelé – la traduction législative, d’initiative parlementaire, d’une volonté exprimée par les élus, mais aussi d’un engagement présidentiel. C’est un premier pas en vue d’atteindre l’objectif d’un aménagement durable, innovant et cohérent de nos territoires.
À l’issue de la première lecture au Sénat, l’Assemblée nationale avait repris de nombreux amendements adoptés en commission et en séance.
S’agissant, par exemple, de la prise en compte des territoires les plus fragiles, la liste des territoires prioritaires pour l’intervention de l’agence, figurant à l’article 1er, a été précisée. Elle a été complétée par le Sénat, puis par les députés, afin d’inclure les territoires caractérisés par des contraintes géographiques ou par des difficultés en matière sociale et environnementale. Ont aussi été intégrées à cette liste les zones mentionnées à l’article 174 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « Parmi les régions concernées, une attention particulière est accordée aux zones rurales, aux zones où s’opère une transition industrielle et aux régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents telles que les régions les plus septentrionales à très faible densité de population et les régions insulaires, transfrontalières et de montagne. »
Je ne reviens pas sur l’ensemble des mesures : elles ont déjà été rappelées.
À l’issue de la navette, nous étions parvenus à un quasi-consensus sur le dispositif, s’agissant notamment du champ d’action de l’agence. Reste la problématique des modalités de gouvernance, jugées par certains trop favorables à l’État.
En première lecture, j’avais exprimé ici une conviction : la réussite de l’agence et sa reconnaissance comme outil pertinent par les acteurs locaux dépendront essentiellement du type d’organisation et de gouvernance retenu.
Représentant le groupe La République En Marche du Sénat en commission mixte paritaire, j’ai souligné qu’il était prévu, aux termes de l’alinéa 10 de l’article 3, que la présidence du conseil d’administration soit assurée par un élu local. Ce serait un signe fort, car la présidente ou le président aura une capacité d’action et une faculté d’impulsion et de dialogue importantes. En outre, nous n’imaginons pas que l’État – ou un préfet – puisse s’enferrer dans des propositions qui seraient refusées par les élus locaux. Si, malgré tout, tel était le cas, le dispositif proposé en commission mixte paritaire par la présidente de la commission saisie au fond à l’Assemblée nationale et adopté par l’Assemblée en nouvelle lecture conduirait à l’élaboration d’une nouvelle proposition par l’État, ce qui devrait, en toute logique, débloquer la situation.
En résumé, pour être approuvée par le conseil d’administration, une délibération devra réunir les suffrages de la majorité des membres présents, ainsi que, au sein de cette majorité, ceux de la majorité des représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements. Sans cela, le président ou la présidente, qui sera un élu local, aura l’obligation d’inscrire à l’ordre du jour du prochain conseil d’administration une nouvelle délibération portant sur le même objet.
Il me semble que l’Assemblée nationale et le Sénat auraient dû pouvoir s’entendre en commission mixte paritaire. Cette absence d’accord retarde la création de l’ANCT, au détriment des territoires. J’avais déjà déploré la difficulté que nous avons à légiférer dans un délai compréhensible par les citoyennes et les citoyens et efficace au regard de la mise en œuvre des textes concernés.
L’introduction d’un mécanisme de seconde délibération du conseil d’administration, mis en jeu sur l’initiative des représentants des collectivités territoriales, me semble être une proposition pertinente. Il s’agit d’une démarche de compromis, visant à permettre que ce texte soit mis en œuvre le plus rapidement possible ; mon groupe la soutiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons en nouvelle lecture, à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire, la proposition de loi d’initiative sénatoriale créant une Agence nationale de la cohésion des territoires, présentée par le Gouvernement comme l’outil d’un nouvel acte de décentralisation. Il s’agit d’un sujet important.
Je dirai d’abord quelques mots de la méthode employée. Vous le savez, mes chers collègues, nous regrettons le recours à une proposition de loi pour créer cette agence : cela nous prive d’une étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État. Comment nous satisfaire de légiférer à l’aveugle, alors que tous les arbitrages sur les moyens et les contours de cette agence n’ont pas été rendus ?
Ce flou politique vient se télescoper avec la réforme de l’État en cours, qui trouve sa traduction dans les circulaires du Premier ministre appelant à plus de déconcentration et à la suppression des services publics de proximité, ou encore dans le projet de loi de transformation de la fonction publique, qui organise la privatisation de l’appareil de l’État et un grand plan social dans la fonction publique.
Pour l’ensemble de ces réformes, et particulièrement en vue de la création de cette agence, nous pensons que de nombreuses consultations des élus et de la population auraient dû être menées dans les territoires, au plus près des besoins et des réalités.
Au terme de nos débats, nous avons donc le sentiment d’un rendez-vous manqué, d’un texte qui passe à côté des enjeux et des attentes.
Pourtant, le besoin d’ingénierie est criant, notamment dans les territoires ruraux, et ce encore plus depuis la suppression de l’Atesat, l’assistance technique fournie par les services de l’État.
Lors du premier passage de ce texte devant le Sénat, en novembre dernier, notre groupe a fait le pari du débat et de l’intelligence collective au service des territoires. Nous avons ainsi formulé de nombreuses propositions sur les missions, la composition et les modalités d’action de cette agence. Sans obtenir gain de cause sur tout, nous avons participé à l’élaboration d’un texte sénatorial intéressant.
Malheureusement, loin d’enrichir le texte, l’Assemblée nationale en a raboté la portée et a supprimé les avancées adoptées par le Sénat. En définitive, l’agence aurait pour seule fonction de jouer un rôle de guichet unique pour les collectivités, avec l’unique ambition de mutualiser les moyens existants. Ce serait une agence au périmètre restreint, mais pouvant contractualiser avec l’ensemble des opérateurs de l’État et agir sur les services de l’État et leurs directions déconcentrées.
Nous estimons, pour notre part, que l’État ne peut être cantonné au seul rôle de prestataire : il est aussi le garant de l’égalité républicaine, pour tous et partout, ou du moins il devrait l’être.
Les politiques successives de réduction de l’action de l’État marquent un renoncement à cette égalité républicaine. Baisse des dotations, fermeture d’hôpitaux, de maternités, de classes, de bureaux de poste, de gares, suppression de l’ingénierie publique territoriale : on assiste à un renforcement constant des inégalités sociales, environnementales et territoriales. Les territoires sont pourtant des acteurs majeurs de la transition écologique, énergétique et sociale, de la lutte contre le réchauffement climatique, qui sont notre priorité, la priorité !
Il s’agit d’une véritable contradiction avec l’ambition affichée : comment faire mieux dans ces conditions ? Cette agence ne pourra pallier, comme par enchantement, le désengagement de l’État en matière de politiques d’aménagement des territoires.
Cet outil placera, encore une fois, les collectivités en compétition pour obtenir en même temps une aide d’ingénierie et des subsides ; ce n’est pas notre conception de la relation entre l’État et les collectivités. Bien loin des objectifs affichés, ce sont les plus grandes collectivités, qui disposent déjà d’ingénierie et de services spécialisés à même de décrypter les rouages du système, qui en seront les premières bénéficiaires. C’est un contresens au regard des missions que cette agence est censée remplir au profit des territoires les plus fragiles, même si je salue la prise en compte des spécificités des territoires de montagne.
Si l’échelon intercommunal est pertinent, nous regrettons que les communes ne puissent pas saisir directement l’agence. Nous avions déposé un amendement en ce sens.
Concernant la composition du conseil d’administration de l’agence, la suppression par l’Assemblée, avec l’aval du Gouvernement, d’une représentation égalitaire des élus et de l’État, qui relève pourtant du bon sens, est regrettable. Même si un processus de double délibération, utilement renforcé par notre commission, est mis en œuvre, l’État garde finalement la main sur tout et l’on tourne le dos à un rapport équilibré. Nous sommes bien loin d’une décentralisation renforcée et du renouvellement d’un pacte de confiance avec les élus locaux.
Une autre déception tient à la suppression de notre apport concernant la prise en compte, dans les missions de cette agence, de la lutte contre la pollution des sols. C’est pourtant un problème majeur pour les territoires, la santé publique et l’environnement.
L’agence, à moyens constants, ne pourra manifestement pas répondre à la demande : j’en veux pour preuve les baisses de budget et de moyens des entités devant la composer. Il en va de même pour les opérateurs associés par convention : je pense notamment au Cérema, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, qui va perdre un quart de ses effectifs.
L’agence aura des missions tellement larges qu’il est difficile d’en définir les priorités. Dans le même temps, on relève un nouveau recul de la décentralisation, puisque le préfet devient le pivot de toutes les politiques de l’État dans les territoires. C’est une manière de revenir à la verticalité dans l’utilisation des subsides de l’État.
En définitive, il s’agit bien plus d’une réforme de l’organisation de l’État dans les territoires que d’un nouvel acte de décentralisation fondé sur la libre administration des collectivités et leur autonomie financière.
Je veux encore exprimer une autre inquiétude. Alors que le Sénat avait voulu préserver les ressources de l’ANRU et, plus globalement, les crédits de la politique de la ville, l’Assemblée nationale a supprimé cette mesure. Il serait inconcevable d’affaiblir la politique de la ville, ou ce qu’il en reste, pour alimenter la nouvelle agence.
Faute d’ambition politique et de moyens suffisants, nous craignons donc que l’Agence nationale de la cohésion des territoires devienne un « machin » supplémentaire, une simple coquille vide.
Malgré toutes ces remarques de fond, et pour tenir compte de la volonté d’équilibre du Sénat, concernant notamment la prise en compte des représentants des élus locaux dans le processus de décision, nous nous abstiendrons sur ce texte, lançant ainsi un appel à l’Assemblée nationale pour qu’elle revoie sa copie. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, même si l’on peut regretter que la commission mixte paritaire n’ait pu aboutir à un accord, on doit se satisfaire de l’examen en nouvelle lecture de cette proposition de loi portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires, très attendue par les élus locaux. À cette occasion, je veux exprimer, encore une fois, nos interrogations et nos doutes sur le bon fonctionnement de cette agence.
Le texte a été enrichi en première lecture successivement par le Sénat et par l’Assemblée nationale, notamment en ce qui concerne les missions attribuées à l’agence. Celles-ci sont marquées par une extrême ambition. Ainsi, à l’article 1er, l’Assemblée nationale a étendu le champ d’intervention prioritaire de l’agence aux territoires caractérisés par des contraintes géographiques ou des difficultés en matière démographique, économique, sociale ou environnementale. De même, une attention particulière est portée, à juste titre, aux zones mentionnées à l’article 174 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, à savoir les zones rurales, celles où s’opère une transition industrielle et les régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents. Enfin, l’agence assurera la promotion des projets innovants de ces territoires.
Le champ d’action s’élargit encore plus à l’article 2, aux termes duquel « l’Agence a pour mission, en tenant compte des particularités, des atouts et des besoins de chaque territoire, de conseiller et de soutenir les collectivités territoriales […] dans la conception, la définition et la mise en œuvre de leurs projets, notamment en faveur de l’accès au service public, de l’accès au soin […], du logement, des mobilités, de la mobilisation pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les quartiers urbains en difficulté, de la revitalisation commerciale et artisanale des centres-villes et des centres-bourgs, de la transition écologique, du développement économique, du développement des usages numériques. À ce titre, elle facilite l’accès des porteurs de projets aux différentes formes, publiques ou privées, d’ingénierie juridique, financière et technique, qu’elle recense. »
Ainsi, les missions de l’agence sont nombreuses, diverses et variées, cohérentes, certes, mais tentaculaires, touchant à tous les secteurs et domaines des territoires concernés.
La première question à se poser est de savoir si l’agence aura véritablement les moyens de faire face à l’immensité des besoins. Nous savons que les projets sont nombreux et, même si nous nous réjouissons que la mise en place d’un contrat unique de cohérence territoriale, proposée par le Sénat à la suite du rapport Morvan, ait été approuvée par l’Assemblée nationale, on peut penser que la tâche sera immense.
N’oublions pas que l’agence fonctionnera à moyens constants et devra faire face à des missions nouvelles sans abandonner celles qu’assumaient jusqu’à présent le CGET, l’Agence du numérique et l’Épareca, l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux. Les organismes partenaires tels que l’ANAH ou l’Ademe ont un plan de charge bien rempli, tant les problématiques liées au logement, à l’environnement et à la maîtrise de l’énergie sont importantes. De même, le Cérema est sur une trajectoire de réduction substantielle de ses effectifs, à hauteur de plus de 100 personnes par an jusqu’en 2022. Sans moyens supplémentaires, il sera donc difficile à l’agence de fonctionner.
Une deuxième question concerne le mode opératoire. Là aussi, on peut se féliciter de ce que l’Assemblée nationale ait repris des dispositions que nous avions défendues en vain au Sénat, notamment le recensement des différentes formes d’ingénierie existantes, qui peuvent être mobilisées en appui en faveur du développement des territoires, ainsi que pour faciliter et développer les coopérations territoriales, notamment entre les métropoles, les communautés urbaines et les territoires environnants.
Je pense que les comités locaux de cohésion territoriale que le Sénat a créés dans chaque département devront être constitués rapidement, de façon qu’ils puissent, au-delà de la simple information des demandes d’accompagnement émanant des collectivités territoriales et de leurs groupements, faire des recommandations pour que cet accompagnement puisse s’opérer dans les meilleures conditions.
Mes chers collègues, la fracture territoriale, qui nous préoccupe tous, ne pourra être réduite que par la conjonction d’actions fortes et cohérentes. En tant qu’ensemblier, l’agence que nous souhaitons créer peut y contribuer. Cela suppose toutefois des moyens importants, qui doivent être mobilisés partout où ils se trouvent, et une organisation réactive et agile, afin de ne pas décevoir ceux qui croient encore à la possibilité d’agir au plus près de nos concitoyens, c’est-à-dire au cœur même des territoires. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Fouché applaudit également.)