Mme Esther Benbassa. Oh !
M. Alain Marc. … menaces anonymes bien sûr, car ces gens ne sont pas très courageux !
Ces actes commis par des individus qui cherchent à imposer leurs opinions par la violence ou par l’intimidation ne sont pas acceptables. Ceux qui agissent ainsi savent-ils que les sangliers qui pullulent ou les chevreuils ne peuvent être régulés que par les chasseurs ?
Si les citoyens ont le droit d’exprimer leurs convictions au sujet du bien-être animal ou de la consommation de viande, en revanche, au sein d’un État de droit, aucun individu ne saurait imposer ses opinions au moyen de la force.
Comme l’a rappelé notre collègue François Bonhomme dans son rapport, « la République respecte la liberté et les choix de vie de chacun de ses citoyens » ! Face à la radicalisation de certains groupuscules, une réaction s’impose afin de mettre un terme à ces actes.
Oui, contre ceux qui attaquent les boucheries ou s’introduisent dans les élevages, une plus grande fermeté paraît nécessaire.
Oui, la volonté d’imposer ses convictions ou d’empêcher certaines activités par la force ou la menace doit être sanctionnée. Car la violence et l’intimidation n’ont pas leur place sur le territoire de la République.
Face à l’évolution inquiétante des actes de ces extrémistes animalistes, véganes ou antispécistes, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité modifier l’article 431-1 du code pénal, afin d’apporter une réponse plus efficace et plus ferme à deux types d’infractions : d’une part, les violences, les menaces et les dégradations dirigées contre des boucheries ou des abattoirs au nom de la défense de la cause animale, d’autre part, les entraves à la chasse qui ont lieu régulièrement dans nos forêts domaniales.
Toutefois, ce texte pose plusieurs problèmes.
En premier lieu, la formulation du texte pourrait susciter des difficultés en raison de son caractère très général, au regard de l’exigence constitutionnelle à la fois de clarté et de précision de la loi pénale.
En second lieu, des questions ont été soulevées sur l’utilité d’adopter de nouvelles dispositions législatives dans la mesure où diverses incriminations pénales peuvent déjà être utilisées pour sanctionner ce type de comportements – peut-être ne sont-elles pas convoquées assez souvent.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de nombreuses dispositions législatives ou réglementaires permettent de poursuivre les entraves, mais aussi les menaces, les violences et les dégradations. Toutefois, nous constatons que les amendements de précision qui ont été examinés en commission tendent à améliorer de façon significative le texte initial.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. C’est vrai !
M. Alain Marc. Aussi, certains membres du groupe Les Indépendants s’abstiendront, quand d’autres voteront cette proposition de loi. Pour ces derniers, dont je suis, il est bon de mettre un coup d’arrêt aux violences de ces groupes d’activistes, quelles qu’elles soient : si nous, le législateur, ne faisons rien, nous risquons de voir se développer des actions d’autodéfense qui seraient préjudiciables à la vie démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre collègue Jean-Noël Cardoux soumet aujourd’hui à notre examen un texte dont l’intitulé peut laisser perplexe et, pour ne rien vous cacher, la première lecture de l’exposé des motifs ne m’a guère davantage éclairé. Plus précisément, je n’avais pas de réponse à une question simple : quels sont précisément les personnes et les actes visés par ce texte ?
Après le débat approfondi que nous avons eu la semaine dernière en commission des lois, il me semble que nous avons une réponse : ce texte vise les actes des militants véganes ou antispécistes à l’encontre des commerces ou de certaines activités comme la chasse.
Je ne méconnais pas l’actualité de ces problématiques et, comme un certain nombre des orateurs qui m’ont précédé, je condamne avec la plus grande force tous ces délits ou contraventions au droit qui posent des difficultés très importantes dans le pays.
Le débat en commission mercredi dernier a été nourri et, comme moi, plusieurs membres du groupe UC ont fait part de leurs réticences sur ce texte. Bien entendu, les critiques formulées ne visent en aucun cas à légitimer telle ou telle forme d’action militante, mais il nous paraît indispensable que, sous couvert d’intentions louables, nous ne portions pas atteinte aux libertés publiques de manière disproportionnée.
Or la rédaction initiale du texte était extrêmement peu précise, visant à faire entrer dans la définition du délit d’entrave le fait d’empêcher « tout évènement ou toute activité autorisée par la loi ». Il convient de rappeler à ce stade que c’est de notre code pénal qu’il est question cet après-midi. Celui-ci, sans être sacré, présente un caractère particulier et la formulation très générale, pour ne pas dire vague, de l’infraction que je viens de rappeler risquait sans doute d’être jugée incompatible avec le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines.
Je précise d’ailleurs que nous sommes en train d’examiner une proposition de loi et que nous ne bénéficions pas de l’éclairage juridique du Conseil d’État avant de l’examiner. Par conséquent, c’est bien à la commission des lois de cette maison d’examiner cette question.
Cet après-midi, il ne s’agit pas de modifier le code de l’environnement, comme c’était le cas avec l’amendement créant un délit spécifique d’entrave à la chasse adoptée par le Sénat, au mois d’avril dernier, lors de l’examen du projet de loi Biodiversité.
Que l’on soit pour ou contre cet amendement défendu par Jean-Noël Cardoux, il avait au moins le mérite de la clarté : il tendait à définir un délit qui ne concernait que l’entrave à la chasse, et il n’était pas question de modifier le droit pénal et le code pénal.
L’ensemble de ces éléments m’a conduit, avec plusieurs de mes collègues, à voter contre cette proposition de loi en commission.
L’opposition que nous avons formulée alors n’a pas été vaine, puisque, aujourd’hui, notre collègue Jean-Paul Prince, en collaboration avec l’auteur du texte, Jean-Noël Cardoux, et avec notre rapporteur, François Bonhomme nous propose une nouvelle rédaction de l’article unique de la proposition de loi. Celle-ci lève de nombreuses imprécisions ; elle permet également d’opérer une distinction salutaire entre les activités professionnelles, qu’elles soient commerciales ou artisanales, et les activités de loisir, comme la chasse.
Il est normal que la peine encourue lorsqu’il s’agit d’entraver une activité de loisir soit plus faible que lorsqu’il s’agit d’empêcher d’exercer une activité professionnelle.
Lors de la réunion du groupe Union Centriste aujourd’hui, nous avons largement débattu de ce texte et, à juste titre, de nombreux collègues ont fait valoir leur indignation face à des comportements violents à l’égard de certains commerçants ou à l’égard de chasseurs, comme face à l’intrusion dans des propriétés privées, comme des exploitations agricoles, ou à des actes de vandalisme.
Tous ces actes sont insupportables, et nous les condamnons évidemment. Quelle que soit la cause que l’on défend, on ne peut pas avoir recours à la violence dans notre pays. Toutefois, n’avons-nous pas déjà les outils juridiques pour faire cesser cette violence exercée contre des personnes ou contre des biens et pour en réprimer les auteurs ? Bien sûr que si !
Il est donc important de faire la part des choses. Nul besoin de légiférer aujourd’hui pour pouvoir poursuivre un militant qui aurait eu un comportement violent envers un boucher ou qui aurait incendié un poulailler. Nul besoin non plus d’un nouveau texte pour condamner l’auteur d’actes de vandalisme dans une exploitation agricole ou de vols d’animaux, ou celui qui viendrait dégrader une permanence parlementaire. L’ensemble de ces comportements tombe déjà, et c’est heureux, sous le coup de la loi pénale.
À juste titre, Philippe Bonnecarrère a rappelé ce matin en commission que ce texte participait d’une tendance préoccupante et alarmante : tout mettre dans la loi pénale et décliner à l’excès notre droit pénal spécial.
Cela explique que, au terme des débats que nous avons eus à la fois en commission des lois, à deux reprises, et lors de la réunion de notre groupe ce matin, nous voterons très majoritairement cette proposition de loi, si l’amendement proposé par Jean-Paul Prince est adopté. Un certain nombre de nos collègues nous ont indiqué vouloir s’abstenir. À titre personnel, je voterai ce texte amendé.
Avant de conclure, je tiens à attirer l’attention de la Haute Assemblée sur un point qui me semble extrêmement important.
Un certain nombre d’organisations agricoles se sont récemment mobilisées, car elles n’ont pas compris la décision prise en commission des lois la semaine dernière. Je pense qu’il faut leur adresser un message très clair : le monde agricole, lors de certaines mobilisations, bloque parfois des ronds-points, l’entrée d’un supermarché ou d’une préfecture, ou entrave la liberté d’aller et de venir, de se rendre dans un commerce ou le fonctionnement de nos administrations.
Je ne voudrais pas que ce type d’actes militants, qui sont socialement assez bien acceptés par nos compatriotes, parce qu’ils sont le fait des agriculteurs, soient pénalement sanctionnés.
M. Laurent Duplomb. Ils tombent déjà sous le coup de la loi !
M. Loïc Hervé. Cela a été rappelé tout à l’heure, le monde agricole et le monde rural souffrent. Je ne voudrais pas que la Haute Assemblée envoie comme message qu’elle souhaite que ces actes militants soient davantage sanctionnés. Je le répète, ces actes importants sont socialement et politiquement assez légitimes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Josiane Costes applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour apprécier ce texte, il me semble important de le remettre dans son contexte.
Nous voyons bien ce qui est visé par les auteurs de cette proposition de loi : il s’agit de réprimer les entraves à l’exercice des libertés, ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisées par la loi. Nous pouvons tous, cela a été dit, souscrire à cet objectif. En effet, il ne faut pas oublier que l’histoire nous a montré que c’est souvent par des violences interdisant aux citoyens l’exercice de leurs droits et de leurs libertés constitutionnelles que des groupes ou des partis extrémistes ont imposé leur domination à des sociétés jusque-là démocratiques.
De fait, nous désapprouvons les manifestations qui font entrave à des activités légales et à l’expression de libertés publiques. Cela étant, la seule question que nous devons nous poser, en tant que législateur, est celle de savoir si les modifications proposées sont ou non pertinentes au regard du droit existant.
Or, premier constat, l’ensemble des textes existants permet déjà de sanctionner les actes de violence. L’article 431-1 est sur ce point relativement clair.
Deuxième constat, les modifications proposées aboutissent, à notre avis, à ne plus définir strictement le délit d’entrave, cela a été souligné à plusieurs reprises, ce qui est contraire au principe de l’intelligibilité de la loi. En effet, si l’on remplace les mots : « à l’aide de menaces » – l’un des éléments constitutifs du délit d’entrave – par les mots : « par tous moyens » – soit une référence générale –, les juges seront confrontés à la difficulté de caractériser les moyens d’entrave et de les imputer personnellement au prévenu. À cet égard, nous partageons complètement les propos de M. le secrétaire d’État.
À ce problème de preuve s’ajoute la complexification de la qualification. Le droit en vigueur vise le délit d’entrave, alors que l’alinéa 5 de l’article unique de la proposition de loi mentionne le fait « d’empêcher » la tenue d’un évènement. La distinction entre l’entrave et l’empêchement semble incertaine.
Troisième constat, les modifications semblent contraires au principe de légalité criminelle, qui exige la définition par la loi des comportements répréhensibles. En envisageant de réprimer ce qui viendrait « empêcher », qui plus est « par tous moyens », « tout évènement ou toute activité » dont on suppute qu’ils seraient autorisés parce que non expressément interdits, les auteurs de la proposition de loi invitent le législateur à incriminer l’ensemble du champ social.
Dans un état de droit, un comportement punissable doit au préalable avoir été défini comme tel dans la loi, cela a été rappelé. Quels que soient les inconvénients résultant de l’imperfection des textes répressifs et de l’opportunité de sanctionner un comportement déviant inédit, ce principe constitue une garantie contre l’arbitraire. L’article 114-4 du code pénal rappelle ce principe intangible : « La loi pénale est d’interprétation stricte. »
Finalement, compte tenu de la fragilité juridique de la proposition de loi, la commission des lois s’est très majoritairement, mais pas tout à fait à l’unanimité, comme l’a souligné une collègue, prononcée contre le texte.
Nos débats ont montré que, si les termes de l’actuel article 431-1 du code pénal semblent mesurés, l’extension du domaine, telle que la propose le texte, viendrait à dénaturer le sens originel et introduirait dans notre droit un délit d’entrave général disproportionné, voire dangereux, qui viserait toute contestation collective.
Cette proposition de loi est une nouvelle illustration de ce que le doyen Carbonnier appelait « l’effet macédonien », c’est-à-dire une réaction générale et abstraite face à une agression concrète et particulière de moins grande ampleur.
Cela appelle de notre part une grande vigilance, car cette proposition de loi témoigne de ce phénomène, par lequel le législateur est sollicité en vue de restreindre la liberté de tous. Cette vigilance s’est, je crois, largement exprimée lors de l’examen du texte en commission des lois, et c’est plutôt rassurant sur notre institution.
Eu égard à ces éléments, et parce que nous désapprouvons, comme les auteurs de ce texte, les actes violents et répréhensibles qui ont eu lieu contre des activités légalement autorisées, il nous semble plus opportun et proportionné de reprendre la proposition faite par notre rapporteur en commission des lois : préciser que l’entrave réprimée à l’article 431-1 du code pénal peut prendre la forme de menaces, coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, mais aussi d’actes d’obstruction ou d’intrusion, ce qui permettra de qualifier un peu plus le terme « entrave ». C’est dans cet esprit que nous avons déposé l’amendement que nous examinerons tout à l’heure.
En revanche, nous groupe sera opposé à toute extension du champ d’application de l’article 431-1 qui pourrait signifier une criminalisation de l’ensemble du champ social, car cela reviendrait à avaliser l’inversion du rapport entre le principe de légalité criminelle et le comportement répréhensible.
Or il ne faut pas inverser cet équilibre, qui est précieux pour l’exercice des libertés publiques et des libertés constitutionnelles. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il y a plus d’un siècle, l’écrivain britannique Chesterton l’avait prophétisé : « Un temps viendra où l’on devra tirer l’épée pour défendre le droit de dire que, l’été, les feuilles sur les arbres sont vertes. »
M. Loïc Hervé. Belle référence !
M. Guillaume Chevrollier. Nous y sommes, en dépit du dérèglement climatique, qui brouille le rythme des saisons et fait désormais jaunir les feuilles en été.
Nous vivons en effet à une époque où il faut savoir réaffirmer les évidences et où l’on ne peut le faire parfois sans risquer gros.
La proposition de loi que nous examinons prévoit d’étendre le délit d’entrave, afin de pouvoir sanctionner toute action qui empêcherait l’exercice d’une liberté ou d’une activité autorisée par la loi. Aujourd’hui, en effet, nous devons légiférer pour sanctionner ceux qui entravent une liberté ou une activité légale et protéger ceux qui exercent cette activité légale. On marche sur la tête !
Je remercie donc Jean-Noël Cardoux, auteur de la proposition de loi, qui, par ce texte, rappelle deux évidences qui sont au fondement de notre démocratie : que la liberté commence là où s’arrête celle des autres et que la France est un État de droit. Cela signifie que, dans notre pays, on ne doit pas pouvoir empêcher ce qui est autorisé.
Deux actions légales sont visées de manière de plus en plus récurrente : l’élevage et les activités de boucherie, mais aussi, plus largement, toutes les activités liées au monde rural. Dans mon département, je suis régulièrement interpellé par des éleveurs ou des exploitants victimes d’intrusions dans leur exploitation agricole par des individus ou des associations anti-viande, notamment.
Non seulement ces activistes sont pris en flagrant délit de violation de propriété et de non-respect des règles de biosécurité, mais ils font du mal à nos éleveurs et à notre agriculture. Or c’est grâce à nos éleveurs que la France est encore une puissance agricole de premier plan, représentant à elle seule 17 % de la production européenne.
Je rappelle que, dans chaque filière agricole, il y a des hommes et des femmes qui font bien leur travail et qui ont à cœur de nourrir la population. J’ajoute que nos éleveurs ont engagé de réels efforts pour améliorer le bien-être animal et mettre en œuvre un certain nombre d’avancées.
Sur le terrain, monsieur le secrétaire d’État, la situation est tendue. Certains agriculteurs, excédés, menacent d’intervenir eux-mêmes en séquestrant les individus. Imaginez les drames qui pourraient advenir ! Nous devons donc tout faire pour protéger les agriculteurs et éviter qu’ils ne se fassent justice eux-mêmes, au risque d’être par la suite eux-mêmes condamnés.
Comme l’a indiqué l’auteur de la proposition de loi, les actes d’intimidation concernent toutes les activités liées au monde rural. Nous devons donc enrayer la montée en puissance de ces pratiques et poursuivre leurs auteurs avec fermeté. Le monde rural ne saurait être victime d’intimidations sans protection de notre part. Il nous faut agir.
En tant que législateur, nous sommes les garants des droits et des libertés de valeur constitutionnelle. À ce titre, il apparaissait fondamental qu’une clarification juridique soit apportée, pour mieux définir le délit d’entrave et permettre des poursuites au civil et au pénal. La présente proposition de loi repose donc sur le constat que si les interdictions sont en règle générale assorties de sanctions, le législateur réprime plus rarement le fait de faire obstacle à ce que la loi autorise.
En l’état, il semble que, dès lors qu’aucune effraction n’est constatée, les intrusions ne sont pas pénalisables. L’article 431-1 du code pénal sanctionne d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, les peines étant aggravées en cas de violences ou de dégradations, les entraves à l’exercice de certaines libertés, précisément désignées par la loi. Il s’agit des libertés d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de manifestation.
L’objectif est de pouvoir sanctionner, par exemple, des blocus, des interruptions de représentations, des invasions de terrains rendant impossible pour les élèves l’accès à leur établissement, les actions qui empêchent des commerçants de vendre leurs produits, des consommateurs d’en acheter, ou encore des spectateurs d’assister à un spectacle.
L’article unique du texte prévoit ainsi de modifier la définition du délit d’entrave.
Mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera majoritairement en faveur de ce texte. Je vous invite à faire de même. Là où la liberté dans notre pays est menacée, il est de notre responsabilité de la protéger. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)
M. le président. La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite essayer de rassurer un peu.
La commission des lois a eu, au cours de deux séances successives, des débats approfondis sur ce texte. La semaine dernière, nous n’étions pas parvenus à un accord avec l’auteur de la proposition de loi, l’amendement qui avait été adopté en commission n’ayant pas paru suffisant à la majorité des membres de la commission.
L’auteur de la proposition de loi, Jean-Noël Cardoux, que je salue, a accepté, à la suite de cette réunion, de poursuivre son travail. Il s’est rapproché d’un certain nombre de collègues, notamment de M. Prince et de M. le rapporteur, qui a fait un travail considérable sur cette question, afin d’essayer de trouver une solution.
Ce travail n’a pas été inutile, car il nous a permis de parvenir à un bon équilibre, ce qui n’avait pas été le cas la semaine dernière. De mon point de vue, monsieur le secrétaire d’État, le délit est désormais caractérisé de manière suffisante. Le code pénal sanctionne déjà les violences et les atteintes aux biens ; la proposition de loi que nous allons, je l’espère, amender dans un instant n’a donc pas à le faire.
Pour éclairer le contexte général, nous pouvons rappeler que les actes de violence et de destruction se multiplient, ce qui est intolérable. Récemment encore – cela a été porté à votre connaissance –, un élevage de volailles a été incendié dans l’Orne. Un tel acte exige une répression très ferme, mais il n’est pas visé par la proposition de loi. Ce texte caractérise le nouveau délit qu’il s’agit de mettre en place par l’obstruction ou l’intrusion. Ces activités devront avoir été pacifiques, car, en cas de violences, elles pourraient être poursuivies en vertu des dispositions actuelles afférentes du code pénal.
On parle d’obstruction lorsque, par exemple, des personnes empêchent l’accès à une boucherie ou font stationner des véhicules afin d’empêcher le démarrage d’une chasse, mais d’autres activités pourraient être visées de la même manière. « Obstruction » et « intrusion » sont des termes précis.
L’amendement que la commission des lois a adopté ce matin vise également les actes faisant obstruction à des activités sportives ou de loisirs, ce qui est nouveau. Lorsque nous disons que nous voulons sanctionner l’obstruction à une activité commerciale, nous explicitons en fait la règle de la liberté du travail. Cette liberté s’applique aussi au commerce, à l’agriculture. On peut considérer que, en mentionnant la liberté du travail, expression qui peut paraître désuète à certains, ces secteurs sont couverts, mais cela va mieux en le disant. C’est pourquoi nous comptons bien le dire.
De cette manière, nous couvrons non seulement les activités professionnelles auxquelles il serait fait obstruction pacifiquement, mais dont on empêcherait réellement la mise en œuvre, mais aussi les activités sportives ou de loisirs.
Bien sûr, nous ne plaçons pas au même niveau les activités sportives ou de loisirs et les activités professionnelles. C’est la raison pour laquelle l’amendement que nous avons accepté tend à prévoir des peines nettement plus légères en cas d’obstruction à une activité de loisirs qu’en cas d’obstruction à une activité économique ou à la liberté du travail.
Enfin, bien sûr, la liberté d’expression et la liberté de manifestation sont pour la commission des lois des exigences très importantes, auxquelles je suis particulièrement sensible, croyez-le bien. Je le dis à l’intention d’Esther Benbassa, mais aussi de Loïc Hervé, qui s’est longuement exprimé en commission sur ce point. Nous avons d’ailleurs à cœur de défendre ces libertés constamment, et non uniquement dans le cadre de cette proposition de loi.
Nous pensons que, si vous adoptez l’amendement que nous avons accepté en commission des lois ce matin et sur lequel notre rapporteur a émis un avis favorable, la liberté d’expression et la liberté de manifestation seront évidemment préservées. À titre personnel, je refuserais, comme beaucoup d’entre nous, de souscrire à des dispositions qui les remettraient en cause. (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
Madame Benbassa, faire valoir ses convictions ne permet pas tout. Quand vous faites obstacle à une activité autorisée par la loi, voire encadrée par elle, comme la chasse, vous ne faites pas usage de votre liberté d’expression, vous instaurez en réalité un rapport de force pour empêcher une liberté de s’exprimer, et cela n’est pas convenable.
Mme Esther Benbassa. La chasse devrait être interdite !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. On peut décider de défendre une cause et considérer qu’il faut interdire la chasse ou la vente de viande ou de poisson, mais on ne peut pas se faire justice soi-même en empêchant une activité que l’on voudrait interdire, mais qui, pour l’instant, est autorisée, je suis désolé de vous le dire. Nous ne pouvons pas l’accepter, parce que nous sommes ici les défenseurs des libertés.
Telles sont, monsieur le président, les précisions que je souhaitais apporter avant que ne s’engage le débat sur les amendements. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de la proposition de loi initiale.
proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisés par la loi
Article additionnel avant l’article unique
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié est présenté par M. Menonville.
L’amendement n° 3 rectifié ter est présenté par MM. Duplomb, Bizet, Poniatowski, J.M. Boyer, Pointereau, D. Laurent, Cuypers, Karoutchi, Vaspart, H. Leroy et Chasseing, Mme Ramond, M. Courtial, Mme Deromedi, M. Piednoir, Mme Gruny, M. Brisson, Mmes Bonfanti-Dossat, Imbert et Férat, MM. Vogel et Canevet, Mme Duranton, MM. Moga et Laménie, Mme Lherbier, MM. Détraigne, Houpert et Savary, Mme Saint-Pé, MM. Lefèvre, B. Fournier, Sol, Panunzi, Segouin, de Nicolaÿ, Charon et Milon, Mmes Billon, Lassarade et Sittler, MM. Guerriau et Chaize, Mme Puissat, M. Bascher, Mmes Di Folco et Deseyne et MM. Kennel, Mayet et Louault.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Avant l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 226-4-2 du code pénal, sont insérés des articles 226-4-3 à 226-4-6 ainsi rédigés :
« Art. 226-4-3 - Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait de s’introduire sans l’autorisation de son propriétaire ou d’une autorité compétente à l’intérieur d’un bâtiment dans lequel est exercée une activité agricole telle que définie à l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime.
« Le maintien dans le bâtiment à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa du présent article est puni des mêmes peines.
« Art. 226-4-4. – Le fait de provoquer, d’encourager ou d’inciter quiconque, de quelque manière que ce soit, à commettre l’infraction définie à l’article 226-4-3, lorsque ce fait a été suivi d’effet, est puni des peines prévues pour cette infraction.
« Lorsque les faits mentionnés au premier alinéa du présent article ne sont pas suivis d’effet en raison de circonstances indépendantes de la volonté de leur auteur, les peines sont de six mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende.
« Art. 226-4-5. – L’infraction définie à l’article 226-4-3 est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende :
« 1° Lorsqu’elle est commise en réunion ;
« 2° Lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie d’un acte de destruction, de dégradation ou de détérioration ;
« 3° Lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie de violence sur autrui.
« Art. 226-4-6. – L’infraction définie à l’article 226-4-3 est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende :
« 1° Lorsqu’elle est commise soit avec l’usage ou la menace d’une arme, soit par une personne porteuse d’une arme soumise à autorisation, déclaration ou à enregistrement ou dont le port est prohibé ;
« 2° Lorsqu’elle est commise en bande organisée. »
La parole est à M. Franck Menonville, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié.