M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Jean-Noël Cardoux de son travail et de sa volonté politique. Je salue également le travail de la commission des lois et de son rapporteur.
Ces dernières années, les exploitations agricoles ont subi des intrusions illégales de plus en plus fréquentes. Force est de constater que seule la violation de domicile est invocable. Or celle-ci n’est pas suffisante. Ces intrusions peuvent avoir des conséquences parfaitement dommageables, qui vont bien au-delà d’une pénétration dans un domicile. Les agriculteurs se trouvent donc trop souvent démunis face à la réponse apportée à ces intrusions.
Cet amendement tend à corriger cette situation en instaurant une infraction spécifique pour le monde agricole. Il s’agit de garantir le respect des bons usages en termes de biosécurité, de permettre la poursuite de toute personne qui, du simple fait de son intrusion dans un bâtiment agricole, prend le risque de mettre en danger les aliments, mais aussi la santé publique, bien évidemment. C’est un enjeu en termes de justice, bien sûr, mais aussi en termes sanitaires et de sécurité alimentaire.
Ce que vivent les agriculteurs concernés est totalement inacceptable. Il est donc absolument nécessaire de renforcer les dispositions législatives applicables en la matière.
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié ter.
M. Laurent Duplomb. Pour défendre cet amendement, je raconterai une histoire qui illustre bien la réalité que nous vivons.
J’ai un jour reçu le coup de téléphone d’un gendarme de ma commune, qui souhaitait m’informer des résultats de l’enquête de l’un de ses collègues de l’Aveyron sur un activiste.
Cette personne était en possession de photos des boucles d’oreilles de mes animaux ! Je me suis dit qu’elles avaient sûrement été prises dans la bouverie d’un abattoir, mais je me suis très vite rendu compte que tel n’était pas le cas et que, en réalité, des personnes s’étaient introduites dans mon exploitation, en 2017, à mon insu, sûrement en pleine nuit, qu’elles y avaient installé une caméra, qu’elles avaient pris des photos d’une partie de mon bâtiment et qu’elles étaient même revenues une seconde fois pour modifier l’emplacement de la caméra et prendre d’autres photos !
Sur ces photos, on voit les animaux, mais aussi mon épouse et mon beau-père en train de travailler. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) Il n’y avait rien à redire à notre travail et rien à critiquer, mais il n’en reste pas moins qu’il faut régler ce problème.
Qui peut accepter que l’on s’introduise ainsi chez lui, dans son domaine privé, que l’on viole son intimité, parce que l’on présume qu’il ne s’occupe pas comme il faut de son animal domestique ou qu’il oublie d’éteindre la lumière, et que l’on y filme tout ce qu’il fait, pour ensuite lui faire la leçon ? Personne ! Les agriculteurs doivent-ils accepter cela ?
Les bâtiments des exploitations sont difficiles à sécuriser. Les agriculteurs ne peuvent pas passer leur temps à fermer leurs portes. Ils n’ont pas les moyens d’employer des agents de sécurité pour empêcher des gens de rentrer chez eux. Compte tenu de la surface de leur exploitation, tout cela coûterait trop cher.
Si nous ne faisons rien aujourd’hui, ce sera pire demain ! Le risque est de susciter de la haine, de monter les gens les uns contre les autres et de faire bientôt disparaître le vivre ensemble dans notre pays. On passera son temps à condamner les actes et les idées des autres. Ce n’est pas possible dans un pays de liberté !
Jusqu’à présent, une intrusion seule, sans nuisances effectives, juste aux fins de filmer l’activité, n’est pas condamnable. Là au moins, elle le sera, et j’en serai fier. Et j’espère que ceux qui commettent de tels actes seront condamnés. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)
Cela étant, je retire mon amendement, monsieur le président, au profit de celui de M. Prince.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié ter est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 1 rectifié ?
M. François Bonhomme, rapporteur. Évidemment, je partage pleinement les préoccupations exprimées par l’auteur de cet amendement, car il est vrai que les intrusions dans les bâtiments agricoles peuvent avoir des conséquences dommageables, pour ne pas dire dramatiques.
Pour autant, cet amendement me paraît en grande partie satisfait. Notre droit pénal permet déjà de sanctionner le fait de s’introduire et de se maintenir dans un local industriel, commercial ou professionnel sans l’accord de son propriétaire. C’est l’article 226-4 du code pénal.
Le fait d’inciter autrui à commettre cette infraction peut également être sanctionné, sur le fondement de l’article 121-7 du même code. Les violences, les destructions et les dégradations qui seraient commises à l’occasion d’une intrusion dans des locaux professionnels peuvent aussi être poursuivies et sanctionnées. Il me semble donc que nous disposons déjà d’un arsenal législatif complet et suffisamment dissuasif pour lutter contre les intrusions dans les bâtiments agricoles.
L’enjeu est d’appliquer avec détermination les dispositions en vigueur, monsieur le secrétaire d’État. La chancellerie a d’ailleurs donné au parquet des instructions de fermeté pour le traitement de ces affaires.
J’ajoute que, de manière plus générale, il n’est sans doute pas de bonne pratique législative de multiplier dans le code pénal les incriminations spécifiques, comme c’est le cas en l’espèce. Il me semble préférable de conserver un petit nombre d’incriminations de portée générale.
Permettez-moi maintenant, monsieur le président, de revenir sur les instructions pénales auxquelles je viens de faire référence.
L’instruction pénale de février 2019 qui a été donnée par la chancellerie aux parquets de France concerne les mouvements animalistes radicaux et leurs actions contre des bouchers-charcutiers et des restaurateurs. En revanche, elle ne s’applique pas à un autre phénomène qui prospère, à savoir les saccages de cultures, notamment de la part d’individus qui se réclament évidemment de collectifs de citoyens et dont les modes d’action sont très violents, puisqu’ils se livrent à la destruction de parcelles ou à leur pollution génétique, en y disséminant des graines afin de les contaminer et de les rendre impures.
De telles pratiques, de telles destructions ont été dernièrement commises dans l’Aveyron, dans les Deux-Sèvres, ou encore dans le Rhône. Vous imaginez le nombre d’années de recherche et d’investissement que cela représente pour la filière des semenciers ? Et cela crée évidemment un climat de défiance.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous prendre l’initiative de demander à Mme la garde des sceaux de compléter son instruction pénale en ce sens ?
Quoi qu’il en soit, pour les raisons que j’ai indiquées tout à l’heure, je demande le retrait de l’amendement n° 1 rectifié. À défaut, j’émettrais un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Je partage bien évidemment l’objectif de l’auteur de cet amendement, qui vise des situations bien particulières, à savoir les intrusions dans des exploitations agricoles.
Toutefois, si l’amendement n° 1 rectifié n’était pas retiré, j’émettrais un avis défavorable, pour la bonne et simple raison que la jurisprudence judiciaire interprète de manière très large la notion de violation de domicile et y inclut les locaux professionnels.
Nous n’avons pas d’exemples de jurisprudences concernant des exploitations agricoles, même si les intrusions constituent malheureusement un phénomène bien réel, mais nous en avons concernant des bâtiments industriels. On le voit, la notion de voies de fait, par exemple, est assez largement retenue par le juge, a fortiori quand des photos ou des films sont réalisés. Le droit en vigueur permet donc déjà de sanctionner le délit qu’est la violation de domicile.
Notez également – M. le rapporteur le soulignait – la difficulté de spécifier des types d’intrusion selon le type de bâtiment. Il serait difficile de différencier les bâtiments agricoles des autres.
Enfin, comme le président de la commission des lois le rappelait, une intrusion avec des dégradations et des violences donne a fortiori matière à action pénale.
Monsieur le rapporteur, l’instruction de février 2019 adressée par la Direction des affaires criminelles et des grâces à l’ensemble des parquets visait principalement les mouvements antispécistes, animalistes, et rappelait les infractions sur lesquelles ces actions pouvaient être réprimées, allant de la pénétration dans les abattoirs à l’empêchement d’activité, en passant par les entraves à l’activité de bouchers.
Le champ était très large. Les actions de fauchage volontaire et autres n’étaient pas visées par cette instruction, mais je vous confirme que celles-ci constituent bien un délit au titre des dégradations ; elles ont déjà donné lieu à des condamnations. L’infraction de destruction en réunion est ainsi passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Les parquets y sont sensibilisés.
Pour l’ensemble de ces raisons, l’avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. Monsieur Menonville, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
M. Franck Menonville. Non, je le retire, monsieur le président, au profit de l’amendement de notre collègue Jean-Paul Prince, qui sera examiné dans un instant et qui tend à préciser la notion d’intrusion, répondant ainsi à nos préoccupations.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
Article unique
L’article 431-1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « à l’aide de menaces » sont remplacés par les mots : « par tous moyens » ;
b) Les mots : « ou d’entraver » sont remplacés par les mots : « , d’entraver » ;
c) Après le mot : « territoriale », sont insérés les mots : « , ou d’empêcher la tenue de tout évènement ou l’exercice de toute activité autorisé par la loi, » ;
2° Au dernier alinéa, les mots : « d’une des libertés visées » sont remplacés par les mots : « de l’un des droits et libertés mentionnés ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par MM. Prince, Cardoux, Luche et Janssens, Mmes Guidez et Billon, MM. Longeot et Moga, Mme Saint-Pé, M. Chevrollier, Mmes Richer, Gruny et Sittler, M. Courtial, Mme Estrosi Sassone, M. Bouchet, Mme Deroche, MM. Reichardt, Charon, de Nicolaÿ et Pierre, Mme Lopez, MM. Saury, Duplomb, Brisson et J.M. Boyer, Mme Puissat, M. Vaspart, Mme Ramond, MM. D. Laurent, Médevielle et Rapin, Mme Morhet-Richaud, MM. Houpert, Bizet et Mayet, Mme Chauvin, MM. Canevet et B. Fournier, Mme Troendlé, MM. Calvet, Détraigne, Henno, Louault, Piednoir et Gremillet, Mme Bruguière et MM. Savary, Milon, H. Leroy et Chaize, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 431-1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « ou d’actes d’obstruction ou d’intrusion » ;
b) Les mots : « ou d’entraver » sont remplacés par les mots : « , d’entraver » ;
c) Après le mot : « territoriale », sont insérés les mots : « , ou d’entraver l’exercice d’une activité commerciale, artisanale ou agricole exercée dans un cadre légal » ;
2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sont punis d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 5 000 euros d’amende les actes d’obstruction ayant pour effet d’empêcher le déroulement d’activités sportives ou de loisir exercées dans un cadre légal. » ;
3° Au dernier alinéa, les mots : « d’une des libertés visées » sont remplacés par les mots : « de l’une des libertés ou activités mentionnées ».
La parole est à M. Jean-Paul Prince.
M. Jean-Paul Prince. L’amendement que je soumets au vote de notre assemblée vise à apporter une solution équilibrée aux actes d’obstruction, parfois violents, dont sont victimes certains de nos compatriotes. Je pense notamment aux agriculteurs, aux bouchers, aux chasseurs et aux pêcheurs, mais d’autres sont également visés.
Cet amendement tend à donner une définition plus précise et plus explicite de l’entrave. De plus, le régime de peines est modifié : les entraves aux activités professionnelles, commerciales, artisanales et agricoles sont punies d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, tandis que les actes d’obstruction aux activités sportives et de loisirs sont punis de six mois d’emprisonnement et de 5 000 euros d’amende.
En démocratie, chacun est libre de ses opinions, mais la décision de limiter telle activité ou d’interdire telle profession n’appartient qu’au peuple ou à ses représentants délibérant dans un cadre démocratique.
C’est pourquoi j’espère que la présente proposition de loi sera votée par le Parlement et que ces comportements inacceptables disparaîtront, au profit du débat démocratique et du respect mutuel. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme Harribey, MM. Sueur, Kanner, J. Bigot, Durain et Fichet, Mme de la Gontrie, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mme Lubin et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 431-1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « ou par des actes d’obstruction ou d’intrusion » ;
b) La seconde occurrence des mots : « d’entraver » est supprimée ;
2° Au deuxième alinéa, après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « ou par des actes d’obstruction ou d’intrusion ».
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Par cet amendement, nous nous efforçons de clarifier la notion de menaces ou de la compléter. La rédaction de la proposition de loi telle qu’elle nous est présentée est trop imprécise, et son adoption serait de nature à remettre en cause la liberté d’expression, de réunion, de manifestation que l’article 431-1 du code pénal a justement pour objet de protéger.
Les propos de Loïc Hervé me paraissent intéressants, même si je n’ai pas bien compris sa conclusion : faisons attention de ne pas insérer dans la loi des éléments qui vont se retourner contre ceux qui les réclament aujourd’hui. Nous ne pouvons pas dire tout et son contraire. Ce qu’il a dit dans son intervention devrait être entendu.
Cela dit, nous sommes en accord avec les intentions des auteurs de la proposition de loi. Notre proposition nous paraît équilibrée, en précisant que l’entrave réprimée à l’article 431-1 du code pénal peut prendre la forme de menaces, de coups, de violences, de voies de fait, de destructions ou de dégradations, comme c’est le cas aujourd’hui, mais aussi d’actes d’obstruction et d’intrusion.
Comme je l’ai souligné en discussion générale, il ne s’agit en aucun cas d’étendre le champ d’application de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Bonhomme, rapporteur. L’amendement de M. Prince est le produit d’une réécriture globale opérée avec l’auteur de la proposition de loi. Il a pour objet de répondre aux critiques formulées en commission et en séance, en réduisant l’imprécision du texte, afin de ne pas porter atteinte au principe constitutionnel de précision et de clarté de la loi pénale, tout en restant fidèle aux objectifs.
Je rappelle simplement qu’il comporte trois avancées.
Tout d’abord, il vise à préciser les modalités de l’entrave qui peut être opérée en visant les actes d’obstruction ou d’intrusion. Cet ajout permettrait précisément de réprimer efficacement ces entraves constatées sur le terrain.
Ensuite, il tend à mentionner les entraves aux activités commerciales, artisanales et agricoles. Il s’agit d’une formulation plus précise, qui fait référence à tous les évènements et à toutes les activités autorisés par la loi.
Enfin, il a pour objet d’introduire, comme cela a été dit par le président de la commission, un délit d’entrave aux activités sportives et de loisirs exercées dans un cadre légal, mais avec un quantum de peines plus réduit. Il paraît en effet pertinent de sanctionner plus lourdement les entraves aux libertés fondamentales que sont les activités économiques que de punir les entraves à la chasse.
Telles sont les raisons pour lesquelles j’émets un avis favorable sur l’amendement n° 2 rectifié ter.
Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 4 rectifié de Mme Harribey, qui vise à préciser seulement le mode opératoire et non les types d’activités auxquelles le délit d’entrave trouverait à s’appliquer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Le Gouvernement prend acte de la volonté constructive et des efforts rédactionnels qui ont été apportés au texte par l’amendement présenté par M. Prince.
Je le répète, mesdames, messieurs les sénateurs, je partage l’objectif qui est le vôtre de contrer ce type d’entrave. J’ai rappelé, dans mon propos liminaire, l’action des services de gendarmerie et de police, mais aussi celle de la justice et des services de renseignement, qui ont été orientés sur ces objectifs, ce qui est nouveau. Nous agissons donc de façon résolue, ferme et déterminée pour mettre un terme à ces actes que nous condamnons tous.
Même en prévoyant que l’entrave peut résulter d’actes d’obstruction et d’intrusion, les éléments constitutifs de l’infraction restent imprécis et paraissent donc contraires au principe de la légalité des délits et des peines. La jurisprudence indique d’ailleurs que le délit d’entrave est suffisamment défini par les termes de « violences » ou de « voies de fait ».
De surcroît, la création d’un délit d’entrave pour certaines activités économiques, comme le vise l’amendement, n’est pas forcément cohérente, puisqu’il existe déjà un délit d’entrave à l’exercice de la liberté du travail. La disparition de toute référence à des actes précis pour caractériser l’entrave apparaîtrait donc également contraire à la Constitution.
Cette modification ne semble par ailleurs pas nécessaire, dans la mesure où le droit positif punit déjà les troubles auxquels cet amendement tente de répondre.
Pour l’ensemble de ces motifs, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour explication de vote.
M. Jean Bizet. J’étais cosignataire de l’amendement de Laurent Duplomb, dont je comprends tout à fait le retrait à la suite des explications du président et du rapporteur de la commission des lois. J’avais lu également les extraits du débat en commission des lois, et je souscris au fait que ces exactions sont déjà prises en compte dans la législation.
Toutefois, je suis surpris des propos de M. le secrétaire d’État, qui évoque des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour des destructions de cultures…
Monsieur le secrétaire d’État, le tribunal correctionnel de Marmande, le 16 novembre 2010, a relâché 84 des 86 individus qui avaient détruit des parcelles. Il n’a condamné certains d’entre eux qu’à deux mois d’emprisonnement avec sursis et 50 euros d’amende. À force de minimiser le niveau des amendes et les peines d’emprisonnement réclamées par le parquet et décidées par les tribunaux, on confère aux auteurs d’exactions une quasi-impunité !
J’étais le rapporteur de la transcription en droit national de la directive 2001/18/CE et, quelques années plus tard, en 2008, de la loi de coexistence des cultures, prévoyant des peines de 75 000 euros d’amende et de deux ans d’emprisonnement.
Mme Cécile Cukierman. D’année en année, on renforce l’échelle des peines !
M. Jean Bizet. À force de laxisme, on s’oriente vers une situation où l’on prive nos exploitations agricoles et nos entreprises de leur compétitivité, et il finira par ne plus y avoir de recherche en France.
Quand M. le rapporteur parle de semences conventionnelles, il ne s’agit pas de biotechnologies. On fragilise l’une des plus belles filières semencières européennes, la filière française, qui représente pratiquement 12 000 emplois et plus de 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous demande très sincèrement de revoir ce que le législateur avait voté à l’époque, c’est-à-dire des pénalités de 75 000 euros et de deux ans d’emprisonnement en la matière. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Finalement, de quoi parle-t-on ? D’intrusion, d’obstruction, d’entrave, d’agression, de destruction : tout cela, naturellement, n’est pas compatible avec la République, monsieur le secrétaire d’État, vous en êtes d’accord.
On pourrait parler aussi du vol de portraits du Président de la République dans les mairies, comme cela s’est produit à Assas, dans mon département, avec l’intrusion d’une quinzaine de personnes bousculant tout le monde. Ce n’est pas convenable !
De plus, ce qui est beaucoup plus grave et qui doit nous interpeller, ce sont les jurisprudences. Lorsque le juge décide que voler le portrait du Président de la République dans une commune, finalement, c’est défendre une cause juste, cela pose un problème ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. Bruno Retailleau. C’est lamentable !
M. Jean-Pierre Grand. Je crois que tout est lié. L’intolérance s’étend aujourd’hui comme un cancer,…
Mme Éliane Assassi. Nous sommes d’accord !
M. Jean-Pierre Grand. … et c’est la démocratie, la République et nos concitoyens qui en sont les victimes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Sans surprise, ma collègue Esther Benbassa l’a dit en discussion générale, nous ne voterons pas cet amendement et, de fait, cette proposition de loi.
Certes, la majorité sénatoriale a justifié un recentrage de ce texte, mais nous savons tous que seuls les écrits restent. Or la proposition de loi, telle qu’elle est rédigée, permet d’autres interprétations que les seuls faits que vous entendez, dans vos interventions, vouloir réprimer.
De plus, mais c’est un débat récurrent que nous avons de part et d’autre de cet hémicycle et au-delà, croire que créer de nouvelles peines ou les augmenter suffira à faire trembler celles et ceux qui commettent ces actes, quoi que l’on puisse penser de ces derniers, est quelque peu naïf à mon sens.
Oui, notre société est de plus en plus violente. Malheureusement, monsieur le secrétaire d’État, même si votre gouvernement n’est pas le seul responsable, le sentiment de ne pas être entendus collectivement pousse de plus en plus de nos concitoyens à commettre des actes violents, en tout cas sensationnels, et à les partager massivement sur les réseaux sociaux, ce qui nous pose de nouveaux soucis.
S’engager et défendre une cause, ce n’est pas non plus : « Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette… ». Heureusement que certains se sont introduits dans des usines pour organiser des bals sans rien détruire pour obtenir les congés payés dans notre pays ! (Protestations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Jean Bizet. Ça suffit avec les congés payés !
Mme Cécile Cukierman. Heureusement que des agriculteurs s’introduisent parfois dans des supermarchés pour dénoncer des accords comme le CETA, sans forcément dégrader le supermarché en question.
M. Jean Bizet. Ils ne cassent rien !
Mme Cécile Cukierman. Il existe des rapports de force. C’est pourquoi nous ne voterons pas ce texte tel qu’il est rédigé, car il va sanctionner tout le monde. Nous avons été amenés les uns et les autres à condamner des actes de violence, mais nous ne partageons pas les moyens choisis pour porter ce message politique.
Je fais partie de ceux qui ont condamné l’incendie de l’abattoir de l’Ain,…
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Cécile Cukierman. … les exactions contre le siège de la fédération des chasseurs de l’Ardèche cet été, etc. Ne mélangeons pas les débats et évitons d’interdire demain la possibilité de toute expression dans notre pays !
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.
M. Jean-Noël Cardoux. J’ai écouté nos débats avec beaucoup d’intérêt et j’avoue, monsieur le secrétaire d’État, mon incompréhension.
Dans votre propos liminaire, vous nous dites que la proposition de loi est trop imprécise et risque d’être sanctionnée constitutionnellement. Nous y travaillons et proposons une rédaction mieux ciselée correspondant à l’objectif assigné, et à présent vous nous dites que le texte est trop précis et redondant avec certaines dispositions. Quoi que nous fassions, cela ne vous aurait pas convenu, je le crains…
Je me permets de vous citer un nouvel extrait de la lettre que m’avaient envoyée à l’époque deux ministres et que j’ai évoquée tout à l’heure lors de la discussion générale : « La proposition de loi déposée par le sénateur Jean-Noël Cardoux il y a quelques mois avait justement un objectif plus large et nous paraît être le bon cadre pour un examen par les assemblées de ces questions. En parallèle, il importera de caractériser finement les situations d’entrave et les activités dans lesquelles elles se manifestent, ainsi que les moyens d’y remédier, le cas échéant. »
L’amendement de Jean-Paul Prince, brillamment décortiqué par le président de la commission des lois, Philippe Bas, tend justement à traduire cette analyse fine.
Par ailleurs, un élément fondamental a été quelque peu oublié : avec ce texte, les obstructions aux activités cynégétiques seront dorénavant sanctionnées pénalement comme un délit et non plus comme une contravention, ce qui sera bien plus dissuasif. Le monde de la chasse attend cette disposition depuis longtemps.
Monsieur le secrétaire d’État, j’espère simplement que vous saurez rappeler à l’Assemblée nationale la très forte attente du monde rural. Le Sénat, une fois de plus, a travaillé d’une manière intelligente et constructive pour apporter des solutions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)