Mme la présidente. Oui, vous aviez huit minutes !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je suis convaincu que nous ne parviendrons à nous attaquer à ce fléau que si la société tout entière se mobilise pour la protection de nos enfants : le législateur, bien évidemment, les associations, qui font d’ores et déjà un travail remarquable, les professionnels, dont je veux saluer le mérite, mais également tous les citoyens.
Je vous propose de répondre aux différents points que vous avez soulevés dans votre propos introductif, madame la présidente de la mission d’information, et dans votre rapport, mesdames les rapporteures, dans la suite du débat. Une fois encore, je vous remercie pour la qualité de vos travaux.
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et que le Gouvernement dispose d’une durée équivalente pour y répondre.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. En raison de leur grande vulnérabilité, les mineurs handicapés sont plus particulièrement exposés aux risques de subir des violences sexuelles en institutions. Par ailleurs, la multiplication des personnes intervenant auprès des mineurs handicapés augmente le risque d’agression.
La mission d’information a tout particulièrement exprimé sa préoccupation sur le décalage qu’elle a perçu entre la vulnérabilité des mineurs handicapés et la faiblesse des contrôles effectués au moment du recrutement par les établissements et services sociaux et médico-sociaux qui les accueillent. Elle a également indiqué qu’elle n’avait pas non plus perçu chez les grandes associations qui fédèrent ces établissements et ces services une mobilisation à la hauteur des enjeux.
Public fragile, vulnérable, exposé aux risques de subir des violences sexuelles tout en étant peu à même de les dénoncer, les mineurs handicapés doivent être mieux protégés, non seulement par une application stricte des contrôles exigés par la loi, mais également par des mesures supplémentaires. Ainsi, la mission d’information a fait part de la nécessité de renforcer les moyens de contrôle en mettant en œuvre trois mesures : la diffusion par les services de l’État d’une information claire sur les procédures de contrôle à appliquer par les gestionnaires lors d’un recrutement ; l’obligation, en complément de la vérification du bulletin n° 2 du casier judiciaire, de consulter le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes préalablement au recrutement du personnel de ces établissements ; l’application de ces mesures de contrôle aux employés des prestataires de services des établissements susceptibles d’être en contact avec des mineurs handicapés.
Monsieur le secrétaire d’État, à la lumière des travaux de la mission d’information, quelles mesures envisagez-vous de prendre afin de mieux protéger les mineurs handicapés accueillis en institutions et dans quel délai ? (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Les personnes en situation de handicap sont effectivement plus vulnérables que les autres. C’est Maudy Piot, évoquant les femmes handicapées, qui disait qu’elles subissaient une double peine, car elles étaient à la fois femmes et handicapées. Les femmes handicapées sont cinq fois plus victimes de violences que le reste de la population féminine dans notre pays.
Nous devons une protection supplémentaire et renforcée aux populations plus vulnérables que sont les personnes en situation de handicap, en particulier les enfants. C’est un sujet sur lequel je suis très sensibilisé.
Vous le savez, avant d’être nommé secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, j’étais parlementaire. Lors de la discussion de la loi Schiappa, j’ai défendu un certain nombre d’amendements. L’un tendait notamment à prévoir que soit institué un référent sur les violences de tous types, notamment les violences sexuelles, dans tous les établissements sociaux et médico-sociaux. Sauf erreur, et sans revenir sur les péripéties de la navette parlementaire de l’époque, cette disposition avait été supprimée au Sénat. C’est l’une des mesures auxquelles nous devons réfléchir.
De la même façon, vous l’avez évoqué, la formation des professionnels et leur sensibilisation à ces questions doivent évidemment être renforcées. Elles l’ont été dans le cadre de la loi Schiappa. J’avais également défendu un amendement en ce sens. Je pense que tous les établissements doivent mettre en place des procédures très claires de contrôle et de remontée des violences, à l’image de ce que les Apprentis d’Auteuil, par exemple, ont mis en œuvre dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance.
Telles sont les mesures auxquelles nous réfléchissons depuis quelques mois. Elles feront l’objet d’annonces dans le courant du mois de novembre dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Je tiens au préalable à saluer la présence des élèves d’une classe du lycée Saint-Étienne de Sens. Leur professeure, Marion Bezine, a choisi notre mission d’information pour leur montrer comment se construit une politique publique. (Applaudissements.)
Pour ma part, j’aborderai le sujet des très rares auteurs d’infractions sexuelles qui ont à effectuer une peine de prison. Ma question porte sur la peine et, surtout, sur son sens.
Dans certains cas, la peine est la privation de liberté, laquelle est censée suffire pour éviter une récidive. Or pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que la condamnation à deux ans d’enfermement d’un pédophile, années au cours desquelles il pourra tranquillement, dans sa cellule, regarder Gulli, la chaîne préférée des pédophiles – je l’ai découvert récemment –, feuilleter le magazine Parents et ses photos d’enfants, sera d’une réelle utilité ? Il faut en moyenne dix-huit mois avant qu’un détenu ne soit pris en charge par un psychiatre, et seulement s’il l’accepte. Il est donc probable qu’un prisonnier condamné à deux ans de prison ne verra pas de psychiatre. Or c’est en travaillant avec un psychiatre que les pédophiles peuvent maîtriser leurs attirances.
À titre d’exemple, la prison de Joux-la-Ville, dans l’Yonne, oblige les détenus à participer à des groupes de parole sur la perception du corps et de la sexualité. Si cette obligation est parfois mal vécue au départ par les prisonniers, ils finissent par participer volontairement à ces groupes, et les résultats sont bons. Pour autant, et les psychiatres que nous avons rencontrés, ceux du CRIAVS de Lyon, nous l’ont expliqué : tous les condamnés n’ont pas besoin de soins.
Ma question est donc triple : comment mieux identifier les auteurs ayant besoin d’une prise en charge médicale ? Leur peine de prison ne peut-elle être assortie d’une obligation de soins ? Que faire pour permettre une prise en charge médicale rapide ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. En matière de prise en charge des auteurs de violences sexuelles, la loi de 1998 – nous allons parler de la pratique, puisque c’est le sens de votre question – avait marqué une évolution majeure en instaurant un dispositif commun à la santé et à la justice. Une prise de conscience avait alors eu lieu sur la nécessité de prévoir, en complément de la sanction, un accompagnement thérapeutique.
Malgré les efforts consentis, encore trop peu d’auteurs de violences sexuelles, vous l’avez dit, bénéficient d’un suivi médical et thérapeutique de qualité, continu. Le rapport coordonné par M. Delarue a montré que ces insuffisances sont dues à la faible dénonciation des violences sexuelles par les victimes, à la proportion importante de plaintes classées sans suite et à l’extension de l’injonction de soins dans un contexte de pénurie de praticiens, vous l’avez évoqué.
Un protocole santé-justice prévoit une coordination régionale des acteurs sur ce sujet. Au sein de chaque région, l’ARS et la direction interrégionale des services pénitentiaires mettent en place des protocoles locaux, qui fixent un projet d’organisation des soins et les modalités d’organisation matérielle de cette prise en charge. Ce protocole associe un établissement de santé chargé en général de la psychiatrie à chaque établissement pénitentiaire.
Les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles qui ont été créés en 2006 sont régionalisés de la même façon. Aujourd’hui vingt-cinq CRIAVS sont en fonctionnement sur l’ensemble du territoire et assurent un rôle de formation et de coordination. Ces centres sont aussi un lieu de soutien et de recours pour les équipes soignantes et participent de plus au développement et à l’animation du réseau santé-justice.
Une action a été engagée ces dernières années pour renforcer la continuité de la prise en charge sanitaire des condamnés pour infractions sexuelles lors de leur sortie de détention. Il s’agit d’assurer une meilleure coordination entre les intervenants en milieu carcéral et ceux qui sont chargés du suivi du condamné en milieu ouvert. Cet objectif est partagé par la ministre des solidarités et de la santé et la ministre de la justice. Il figure dans la feuille de route 2019-2022 pour la santé des personnes placées sous main de justice.
Pour aller dans votre sens et dans celui du rapport que vous avez rédigé, je pense que la question des auteurs potentiels doit aussi être appréhendée en termes de prévention. Des dispositifs doivent être mis en œuvre pour prévenir le passage à l’acte. De tels dispositifs ont été peu étudiés en France, contrairement à d’autres pays. Nous y reviendrons.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier.
Mme Marie Mercier. Monsieur le secrétaire d’État, en guise d’introduction, je reprendrai vos propos : il faut prévenir pour protéger. Nous disposons d’outils pour prévenir la récidive. En revanche, nous ne savons pas vraiment prévenir le premier passage à l’acte.
Nous avons auditionné des associations, des professionnels. Que fait-on quand un adulte sait déjà depuis longtemps qu’il est attiré sexuellement par de jeunes, tout jeunes enfants, ou de très jeunes adolescents ? Que faire pour l’accompagner ? Il sait bien que ce n’est pas acceptable, mais il ne sait pas vers qui se tourner.
Les associations que nous avons entendues nous ont parlé du dispositif Dunkelfeld, qui a été créé en Allemagne, dans un hôpital berlinois. Il s’agit d’un service téléphonique qu’on peut appeler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et qui est à l’écoute de ces jeunes adultes, qui se sentent en souffrance aussi. Un accompagnement thérapeutique leur est proposé.
Un Dunkelfeld à la française est-il possible ? Aurait-il votre soutien ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Des dispositifs existent dans d’autres pays. Nous avons l’impression que cette question n’a pas été étudiée en France.
Le Dunkelfeld allemand que vous évoquez, qui signifie « zone d’ombre », est l’équivalent du Don’t offend britannique, qui a permis des campagnes de communication grand public, des films diffusés à la télévision. Il s’agit de services d’écoute et d’accompagnement des personnes attirées sexuellement par les enfants ou les adolescents. L’accompagnement proposé est entièrement gratuit, l’anonymat est garanti.
De tels services, vous l’avez dit, s’adressent aux personnes attirées sexuellement par des mineurs, avant leur premier passage à l’acte, aux auteurs d’infractions sexuelles sur mineurs dont les actes ne sont pas connus de la justice et aux auteurs condamnés ayant purgé leur peine et craignant de récidiver. Ils peuvent aussi être des outils de lutte contre la récidive. Ils permettent d’éviter le passage à l’acte, mais aussi de sensibiliser le grand public. La vertu de ce genre de dispositifs, notamment quand on communique à leur sujet, c’est qu’ils contribuent à faire prendre conscience que les problèmes existent bel et bien.
Le nombre élevé de consultations du site internet de l’association PedoHelp, qui oriente les personnes pédophiles vers des professionnels, ou encore de celui d’Une Vie, qui s’adresse aux soignants, démontre qu’il y a bien des besoins en la matière.
En France, les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles, qui sont des structures de service public réunies dans une fédération française, proposent un réseau d’écoute et d’orientation, à titre expérimental pour l’instant et au niveau local. Ce réseau, notamment, défend l’idée d’un numéro national gratuit. C’est également l’une des recommandations de votre rapport et de celui qui a été coordonné par M. Delarue sur les auteurs de violences sexuelles. Une campagne nationale d’information, tant sur son numéro vert que sur la plateforme PedoHelp, est également préconisée.
Ces initiatives me semblent fondamentales pour répondre aux difficultés des pédophiles avant que leur agression destructrice ne prenne une tournure pénale. Toutes ces propositions font actuellement l’objet de la part de mes équipes d’une analyse et d’une expertise, car elles nous semblent intéressantes. Notre réflexion n’est pas totalement aboutie, mais elle est en cours, en vue de l’annonce du plan de lutte contre les violences faites aux enfants en novembre prochain.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.
Mme Marie Mercier. Nous sommes ravis d’apprendre que le dispositif expérimental pourra être étendu à la France entière.
Vous n’avez pas parlé des moyens, monsieur le secrétaire d’État, et je vous en remercie. Ils doivent en effet être à la hauteur de l’enjeu. Nous ne considérons pas qu’ils constituent une dépense. Il s’agit plutôt d’un investissement pour l’avenir. Il faut prendre en charge nos enfants, dès le début, pour les protéger contre les violences sexuelles.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. La parole s’est libérée. Au cours des dernières années, une association a incarné le combat mené pour dévoiler les agressions pédocriminelles graves et les porter sur la place publique. D’abord limitée aux violences sexuelles sur mineurs émanant du clergé catholique, cette parole poursuit sa libération partout ailleurs.
Ma collègue Marie-Pierre de la Gontrie reviendra sur la genèse de notre rapport et sur ses conséquences dans l’Église. Pour ma part, j’évoquerai les pistes que nous traçons pour accueillir la libération de la parole, afin qu’elle ne soit pas vaine.
Un enfant sur cinq est confronté à la violence sexuelle d’un adulte. Nous devons donc collectivement apprendre à nos enfants à parler des faits qui les dérangent dans leurs relations avec les adultes qui les entourent. Nous devons également apprendre aux adultes à écouter la parole des enfants. Ensuite, il faut signaler ces suspicions, sans hésitation.
La plateforme du 119 doit être renforcée : nous demandons des campagnes de communication et de sensibilisation pour la faire davantage connaître. Quels moyens allez-vous y consacrer, monsieur le secrétaire d’État ?
Par ailleurs, nous avons besoin d’un réel changement de posture pour qu’aucun enfant ne pâtisse des hésitations des adultes autour de lui. Effectuer un signalement quand on soupçonne qu’un enfant a subi des violences doit être un acte protecteur. Il faut faire évoluer les mentalités : il faut cesser de penser qu’on s’occuperait un peu trop de ce qui ne nous regarde pas. Pour cela, les professionnels et les bénévoles qui signalent ces violences doivent être informés des suites données à leurs alertes. Comment entendez-vous permettre ces nouvelles pratiques professionnelles ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je l’ai évoqué dans mon propos liminaire, la question de la parole est centrale. Il faut libérer la parole dans notre pays. Ce que vous faites, ma nomination, les interventions dans les médias concourent à la libération de la parole. Il faut continuer.
Encore faut-il, vous avez raison, accueillir cette parole qui se libère. Il n’est plus acceptable, c’est clair, que plus de 60 % des appels au 119 aujourd’hui ne donnent pas lieu à une écoute, faute d’écoutants. C’est la raison pour laquelle j’ai d’ores et déjà annoncé que les moyens du 119 seront renforcés afin que 100 % des appels soient écoutés et traités.
La parole doit aussi être protégée. J’en parle brièvement, car ce sujet fera peut-être l’objet d’une autre question. C’est la question des unités d’accueil médico-judiciaires pédiatriques. On ne recueille pas la parole d’un enfant de trois ou quatre ans victime de violences sexuelles comme celle d’un adulte dans un commissariat. Ce n’est pas possible. Nous allons donc développer, généraliser, pérenniser les UAMJP.
Enfin, les cellules de recueil des informations préoccupantes, qui sont des maillons importants dans notre dispositif de signalement, ont aujourd’hui des pratiques hétérogènes sur notre territoire, ce qui pose des problèmes en termes de connaissance, les données remontées étant de la même façon hétérogènes. Il en résulte une connaissance imparfaite des violences dans chacun des départements.
Dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l’enfance, qui concerne l’aide sociale à l’enfance, et que je dévoilerai le 14 octobre prochain, à la suite de mon discours lors des Assises de la protection de l’enfance à Marseille le 4 juillet dernier, j’annoncerai, d’une part, un investissement afin d’accompagner la modernisation d’un certain nombre de CRIP et, d’autre part, la rédaction d’un référentiel sur les informations préoccupantes afin d’harmoniser leur recueil sur l’ensemble du territoire et les remontées des données elles-mêmes.
Quant à la campagne, elle aura lieu en novembre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour la réplique.
Mme Michelle Meunier. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de ces constats, que nous partageons, et de la volonté dont vous faites preuve.
Nous sommes à quelques semaines de l’examen du projet de loi de finances pour 2020. Soyez assuré que nous serons nombreux ici à veiller à la traduction concrète de nos ambitions communes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. J’ai eu l’honneur de participer aux travaux de la mission commune d’information. Les trente-huit propositions auxquelles ont abouti nos échanges contribueront, si elles sont suivies d’effets, monsieur le secrétaire d’État, non seulement à briser ce tabou, mais aussi à mettre en œuvre une politique globale de prévention de la pédocriminalité.
Les propositions du rapport ne sont pas suffisantes à mes yeux en ce qui concerne la problématique, tabou des tabous, des violences sexuelles intrafamiliales envers les mineurs, autrement dit les violences à caractère incestueux, même si je sais que la mission ne traitait que les violences en institutions.
Si la loi votée en août 2018 a instauré un arsenal de mesures utiles et nécessaires, je regrette que, lors de l’examen de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, aucun de mes amendements tendant à proposer une surqualification pénale de l’inceste n’ait été repris par le Gouvernement. J’estime en effet qu’il est urgent de durcir la pénalisation des infractions sexuelles à caractère incestueux. Ce dossier doit être ouvert à la réflexion des parlementaires. Notre pays est très en retard dans la mesure du phénomène et ne dispose pas d’outils statistiques satisfaisants.
Le bilan de cette réforme devant le Parlement permettra-t-il de combler ce vide ? Pouvez-vous nous préciser quelles mesures le Gouvernement compte prendre pour agir contre ce fléau ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La seule étude épidémiologique sérieuse sur l’inceste qui ait été faite dans le monde a été réalisée aux États-Unis. On estime que 6 % de la population américaine a été victime d’inceste.
La seule étude, déclarative, qui a été faite en France conclut que 4 millions de nos concitoyens ont été victimes d’inceste, ce qui correspond à 6 % de la population française.
Vous avez raison, c’est probablement le tabou des tabous, parce qu’il renvoie à ce que l’homme a sans doute de plus abject en lui et parce qu’il sape l’un des fondements de notre société, la famille. J’ai évidemment rencontré de nombreuses associations ces dernières semaines, en particulier l’association Les Papillons de Laurent Boyet, que vous devez connaître, pour voir comment traiter ce sujet.
Toutes les mesures que nous allons annoncer en novembre prochain auront aussi pour but de tenter de diminuer le nombre de comportements incestueux dans notre pays. Nous ne prévoyons pas de mesures spécifiques, à ce stade tout du moins, pour traiter l’inceste, mais toutes les mesures que nous allons prendre auront vocation à s’attaquer aussi à ce fléau.
Je le répète, je pense que la libération de la parole est l’un des leviers que nous devons collectivement actionner, sachant que le cercle familial est celui où la parole est la plus verrouillée. Ce verrou est le plus difficile à faire sauter, il nécessite un travail de fond.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour la réplique.
Mme Françoise Laborde. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de votre réponse. Nous poursuivrons cette discussion lors de l’examen de la proposition de résolution n° 751 que je viens de déposer et qui sera cosignée, je pense, par bon nombre de mes collègues, au sujet de la surqualification pénale de l’inceste.
Bien sûr, dans le prolongement du rapport d’information dont nous débattons aujourd’hui, je salue la constitution par le Sénat du groupe de travail sur l’obligation de signalement des violences commises sur mineurs pour les professions tenues au secret. Je suis favorable à une telle mesure, que nous avions d’ailleurs demandée en vain lors de l’examen de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Nos recommandations, monsieur le secrétaire d’État, sont souvent qualifiées d’intéressantes, mais finalement rejetées. C’est peut-être par manque de cohérence ou de cohésion dans l’hémicycle, mais aussi à cause de l’article 40 de la Constitution. J’espère que vous serez de notre côté.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Le 5 septembre dernier, un protocole de signalement des violences sexuelles a été signé entre le procureur et l’archevêque de Paris, et ce pour une période d’expérimentation d’un an. Cette démarche, déjà entreprise par les parquets avec d’autres institutions telles que l’éducation nationale ou les hôpitaux, est inédite pour l’Église. Elle va dans le bon sens : d’abord, parce qu’elle enclenche une dynamique de facilitation des signalements ; ensuite, parce qu’elle a le mérite de responsabiliser les parties prenantes.
Cependant, ce genre de protocole nous interroge déjà par son caractère expérimental et coopératif. L’existence d’un tel dispositif met notamment au jour nos lacunes juridiques en matière de signalement des violences sexuelles sur mineurs. Certains acteurs auditionnés par la mission d’information ont en effet souligné que l’option de conscience permettant aux personnes soumises au secret professionnel de dénoncer des infractions sur mineurs ne suffit pas à établir un cadre légal lisible. Cette clarté constitue pourtant un enjeu primordial, à la fois pour protéger l’enfant victime de violences sexuelles et le professionnel susceptible d’en avoir connaissance.
Le rapport d’information préconise d’ouvrir une réflexion sur l’introduction dans le code pénal d’une obligation de signalement pour les professionnels de santé, les travailleurs sociaux et les ministres du culte lorsqu’ils constatent qu’un mineur est victime de violences physiques, psychiques ou sexuelles. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point, monsieur le secrétaire d’État ? Cela vous paraît-il pertinent pour renforcer la protection des mineurs victimes de violences sexuelles dans un cadre institutionnel ?
Par ailleurs, dans le cadre de la stratégie nationale pour la protection de l’enfance, envisagez-vous de prendre des mesures pour garantir que les violences sur mineurs soient signalées ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Le protocole conclu entre l’Église et le parquet que vous mentionnez intervient à juste titre pour faciliter le signalement dans ce cas de figure.
Je rappellerai en préambule l’état du droit, si vous le permettez, car des dispositions existent et, comme souvent, ce sont nos pratiques qui font défaut, en particulier l’absence de coordination et de partage d’information.
Le rapport souligne que bien peu de signalements - 4 % à 10 % - proviennent du secteur médical, qui est pourtant dans une position privilégiée pour repérer les maltraitances. Ce phénomène m’a également alerté. Cependant, l’article 226-14 du code pénal prévoit une levée du secret professionnel médical en cas de suspicion permettant de présumer des violences physiques, psychiques ou sexuelles. Les dispositions existantes sont cohérentes avec le caractère subsidiaire de l’intervention judiciaire par rapport à la protection de l’enfance, tant en termes de repérage que d’intervention.
Dans ce cadre, introduire une obligation de signalement au sens judiciaire du terme serait contre-productif, et ce pour trois raisons. Premièrement, cela risquerait de mettre en péril la centralisation des informations à la CRIP, et donc sa capacité à évaluer correctement les situations. Deuxièmement, l’autorité judiciaire serait engorgée par des signalements, qui, par la suite, ne seraient pas évalués correctement ni croisés avec d’autres informations, mais simplement classés. Troisièmement, une telle obligation pourrait donner lieu à des placements judiciaires intempestifs, alors qu’une évaluation par la CRIP ou une intervention au niveau administratif aurait pu suffire.
En revanche, nous souhaitons faire en sorte que l’obligation de transmettre des informations préoccupantes soit pleinement respectée par les professionnels. C’est le sens sous-jacent de votre question. Un travail prenant en compte deux difficultés que nous avons pu repérer est engagé : les professionnels ne sont pas suffisamment sensibilisés et informés, et les institutions ne font pas remonter les signalements en interne. Ainsi, un guide relatif à la prise en charge des mineurs victimes à destination des professionnels est en cours d’actualisation et devrait être prochainement diffusé à l’ensemble d’entre eux.
Le problème ne vient pas tant, nous semble-t-il, d’un défaut d’obligation que d’un manque d’information et de coordination. Les textes sont explicites ; il s’agit de mieux les faire connaître et respecter.