Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
Mme Michelle Gréaume. … dont le coût est, lui, estimé par la Cour des comptes entre 20 et 24 milliards d’euros, soit cinquante fois plus ; enfin, à la fraude fiscale, dont le coût est évalué, en France, à environ 80 milliards d’euros par le syndicat Solidaires Finances publiques.
Mes chers collègues, votre objectif est-il réellement de lutter contre la fraude, ou est-il plutôt de stigmatiser les personnes précaires ou étrangères, soupçonnées de profiter du système ?
Mme Sylvie Goy-Chavent. Il ne faut pas tout mélanger !
Mme Michelle Gréaume. Nous posons la question, car le fondement idéologique de la carte Vitale biométrique n’est pas neutre : celle-ci faisait partie du programme présidentiel de Marine Le Pen en 2007, Nicolas Sarkozy en avait ensuite repris l’idée et le groupe Les Républicains du Sénat a déposé, en 2015, un texte sur la fraude sociale qui prévoyait sa création.
Les députés ont, à l’époque, rejeté cette disposition, la jugeant coûteuse et ardue à mettre en œuvre, car il aurait été nécessaire de renouveler le stock de cartes et de mettre en place des mécanismes de recueil et de contrôle des éléments biométriques.
Les parlementaires ont surtout soulevé la problématique de l’autorisation du contrôle des détenteurs des cartes Vitale, puisque, aujourd’hui, rien n’interdit de se rendre dans une pharmacie avec une ordonnance et la carte Vitale d’une voisine pour récupérer ses médicaments et lui éviter d’avoir à se déplacer.
Ces objections restent tout à fait valables. Sans doute ont-elles d’ailleurs motivé la décision de réduire le dispositif prévu dans le texte à une expérimentation limitée dans le temps et circonscrite à quelques caisses de sécurité sociale.
Alors que les politiques de santé des dernières années cherchent à réduire le temps administratif des médecins, voulez-vous vraiment leur demander de contrôler les informations de la carte Vitale ?
Si vous entendez vous attaquer à la fraude à la sécurité sociale, vous devriez également regarder du côté de certains professionnels de santé. Selon les chiffres de 2018 de l’assurance maladie, 47 % de la fraude provient des offreurs de soins et de services, 30 % des établissements, et seulement 23 % des assurés sociaux.
Mme Catherine Deroche, rapporteure. C’est vrai !
Mme Michelle Gréaume. Il est dommage que vous ne prévoyiez aucune sanction à leur encontre.
Contrairement à ce que laisse penser ce texte, la carte Vitale est seulement une carte à puce permettant aux professionnels de santé de connaître les droits du titulaire ou de ses ayants droit. Ce n’est pas une carte de paiement, et encore moins une carte d’identité. Pourtant, vous proposez d’y enregistrer les empreintes digitales de son titulaire, des informations relatives à son identité, ainsi que son sexe, sa taille et la couleur de ses yeux.
Si nous nous gardons de faire un amalgame entre le Rassemblement national et Les Républicains à propos de cette proposition de loi, nous regrettons que vous vous engagiez sur le terrain de l’extrême droite en stigmatisant les assurés sociaux et les personnes étrangères.
Les futures échéances électorales ne sauraient justifier le renforcement d’idées populistes et xénophobes, bien trop présentes actuellement dans notre pays.
La majorité sénatoriale aurait été mieux inspirée de s’en prendre à d’autres types de fraudes, je le répète, ou d’agir contre le non-recours aux prestations.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe CRCE votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise, sur l’initiative du sénateur Philippe Mouiller, dont je salue le travail, à instituer une carte Vitale biométrique.
L’objectif de cette proposition est louable : il s’agit de lutter contre la fraude à l’assurance maladie en vérifiant l’identité de l’utilisateur d’une carte Vitale par un contrôle de ses empreintes digitales.
Nous savons, grâce à une estimation de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), qu’il y aurait en circulation environ cinq millions de cartes Vitale de plus que le nombre d’assurés, qui est de 50 millions. L’IGAS relève également que les cartes actuelles ne permettent ni de vérifier l’identité de l’assuré ni l’étendue de ses droits, ce qui entraîne un risque de fraude non négligeable.
Lors de la création des cartes Vitale, il a été décidé de ne pas leur conférer de date limite de validité, contrairement aux cartes bancaires. Aussi le paiement des prestations reste-t-il possible, même lorsque les cartes ont été signalées comme perdues, volées ou invalides.
Pour autant, remplacer l’ensemble des cartes Vitale classiques par un système biométrique, outre le coût que représenterait une telle opération, exigerait que chaque professionnel de santé s’équipe d’un boîtier de lecture d’empreintes digitales.
Par ailleurs, le rapporteur général de la commission des affaires sociales nous a fait part en réunion du projet du Gouvernement de mettre en place des cartes Vitale dématérialisées. Ces e-cartes permettraient le contrôle de l’identité de leur détenteur grâce à un système de vérification téléphonique qui a fait ses preuves : il est, par exemple, actuellement utilisé par de nombreuses institutions bancaires.
Le dispositif s’inscrit dans le cadre de la feuille de route « Accélérer le virage du numérique » en santé, présentée en avril dernier. Il est d’ores et déjà déployé, à titre expérimental, dans le Rhône et les Alpes-Maritimes jusqu’à la fin mai 2020. Il fonctionne grâce à une application téléchargeable, permettant l’identification et l’authentification numérique des assurés, ainsi que le remboursement des actes et prestations. Cette carte Vitale 2.0 est délivrée sur demande pour une durée de douze mois. La généralisation du dispositif, après son évaluation, est prévue pour 2021.
La prochaine étape de la mise en œuvre de la feuille de route sera la dématérialisation des ordonnances, des actes infirmiers et des analyses biologiques, puis des soins de kinésithérapie. Nous allons donc vers un système de santé largement dématérialisé.
Le rapporteur considère que, à court terme, ce dispositif se révélerait restrictif et peu susceptible de limiter les risques de fraude, dans la mesure où il repose, pour le moment, sur le volontariat et où il n’aurait pas vocation à remplacer complètement la carte Vitale physique, laquelle resterait fonctionnelle.
Aussi propose-t-il une solution de remplacement : le déploiement, à titre expérimental, d’une carte Vitale biométrique dans quelques caisses de sécurité sociale, pour tous les bénéficiaires. Je suis favorable à cette expérimentation, ainsi qu’à celle que mène le Gouvernement.
À mon sens, le dispositif devrait être complété par une campagne de mise à jour de l’ensemble des cartes Vitale en circulation et de contrôle de l’identité de leur détenteur. Il s’agirait, par exemple, de demander à chaque assuré d’envoyer chaque année à sa caisse de sécurité sociale un justificatif de domicile, ainsi que la photocopie d’une pièce d’identité. Il faudrait également veiller à désactiver les cartes en cas de décès ou de manquement aux obligations de contrôle.
Selon le rapport de la sénatrice Nathalie Goulet et de la députée Carole Grandjean, le coût de la fraude à la sécurité sociale est difficile à évaluer, mais il pourrait s’élever à plusieurs centaines de millions d’euros par an. Le montant de la fraude aux faux numéros de sécurité sociale atteindrait, lui, entre 117 et 138 millions d’euros par an.
D’un autre côté, le non-recours aux droits touche 28 % des assurés, qui ne bénéficient pas des prestations et des remboursements auxquels ils auraient droit. Nous devons agir pour plus de justice sociale, en limitant le risque de fraude, tout en favorisant le recours aux droits des assurés.
Je serai attentif aux amendements déposés par la sénatrice Nathalie Goulet à ce sujet lors de l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ses propositions visent, notamment, à mettre en cohérence la durée de validité de la carte Vitale avec celle des droits de l’assuré. Il s’agit de renforcer le socle de la solidarité nationale, qui repose avant tout sur la juste utilisation des droits de chacun.
Nous voterons en faveur de cette proposition de loi, tout en restant attentifs aux mesures de long terme proposées par le Gouvernement.
M. Emmanuel Capus. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de loi est de lutter contre la fraude au moyen de la biométrie.
S’agissant d’accès aux droits, et alors que 450 milliards d’euros de prestations sont versés chaque année, il est normal que nous nous intéressions à la fois à l’identification et à l’authentification des bénéficiaires. La fraude documentaire est un fléau.
En Afrique, où l’absence d’état civil est un enjeu, l’ONU, l’Unicef et l’Association des ombudsmans et des médiateurs de la Francophonie, réunis à Rabat le 23 octobre dernier sous l’égide de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, ont adopté un plan pour les états civils.
Des mesures relatives à l’enregistrement obligatoire, gratuit et public des naissances, ainsi qu’à la reconnaissance juridique des enfants sans identité, ont été prises dans différents pays.
Au Ghana, un officier d’état civil passe d’un village à l’autre pour enregistrer les naissances.
Au Burkina Faso, le Parlement a signé une convention avec le groupe d’amitié, grâce à notre collègue André Reichardt, en vue d’aider le pays à mettre en œuvre un état civil.
Au Tchad, pays qui compte 14,9 millions d’habitants et 450 000 naissances par an, seul un enfant sur dix est enregistré, selon un rapport de l’Unicef.
Le Niger, qui compte 21,4 millions d’habitants, s’est doté le 29 avril 2019 d’une nouvelle loi portant régime de l’état civil et d’une politique nationale de l’état civil – proche de la nôtre –, comprenant une informatisation du système de l’état civil.
La situation en Centrafrique a également attiré l’attention, tant les services y sont inexistants ou corrompus, quand ils n’ont pas disparu, selon un document de l’Unicef.
L’absence d’état civil et les carences dans ce domaine sont du pain bénit pour les réseaux mafieux ou de fraudeurs, qui passent ainsi à travers les mailles de nos radars et de nos fichiers.
Si l’on ajoute à ce marasme l’utilisation de vrais-faux documents issus des zones de conflits, comme la Syrie et l’Irak, ainsi que les problèmes que posent les réseaux d’Europe de l’Est, lesquels sont très bien ciblés par Tracfin, force est d’admettre que la sécurité des identités constitue un véritable sujet.
De surcroît, dans l’Union européenne, certains pays n’ont pas le même dispositif que le nôtre. Ainsi, des États voisins membres de l’Union utilisent un système fondé sur un numéro d’identité unique conservé à vie. Une personne peut changer de patronyme très facilement, à condition de conserver son numéro. Ce système est incompatible avec le nôtre et peut donner lieu à certaines fraudes.
À cette réalité s’ajoute le contrôle de nos services sur cinq à sept lettres des noms et prénoms : « Nathalie », par exemple, peut être écrit avec ou sans « h », avec ou sans « e », voire avec un « y », ce qui accroît encore les difficultés.
Il n’est donc pas étonnant que nous trouvions dans nos systèmes entre deux et cinq millions de cartes Vitale en surnombre, un nombre qu’il nous faut expliquer. Certes, depuis l’excellent rapport de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale des affaires sociales de 2013, nous avons progressé de manière assez importante, je vous l’accorde : nous comptions alors 7,335 millions de cartes en surnombre, alors que nous en sommes aujourd’hui à 5 millions.
Une personne arrive donc sans documents fiables, obtient un jugement supplétif – l’autorité qui l’a émis ne se déjugera pas lorsque nous l’interrogerons – et peut ainsi entrer dans notre système, même si son identité n’est pas parfaitement établie.
Alors, oui à la biométrie, en urgence, notamment dans nos consulats ; oui, aussi, à un numéro de sécurité sociale européen, qui permettrait de régler un certain nombre de problèmes.
J’évoquerai pour finir les preuves de vie. Les groupements des retraites complémentaires, tels que l’Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) ou l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arcco), font appel à des entreprises privées et engagent des spécialistes pour contrôler à l’étranger les preuves de vie des bénéficiaires de retraites complémentaires.
Ainsi, l’année dernière, la société Excellcium, que nous avons auditionnée dans le cadre de notre mission d’information, a effectué 1 500 contrôles. Il est apparu que 15 % des dossiers contrôlés étaient ceux de personnes décédées. Sur la base de ce petit échantillon, je vous laisse imaginer ce que doit être ce taux à plus vaste échelle. Je tiens les coordonnées de cette société à votre disposition.
Toute la « bien-pensitude » du monde n’y changera rien, il faut en finir avec le déni. La mission que vous nous avez confiée, madame la secrétaire d’État, est un pas important dans la bonne direction. Il s’agit non pas d’opposer cette fraude à la fraude fiscale, cet autre combat devant également être mené, mais de lutter pour de justes prestations, sans amalgame et sans stigmatisation.
J’espère que ce texte, que je crois très utile, parviendra à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et Les Indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Nadine Grelet-Certenais. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen en commission a démontré non seulement que le dispositif proposé était faible, mais également que l’idée selon laquelle nous ferions face à une gabegie généralisée est un mythe.
Nous sommes ainsi passés d’une mesure d’ampleur visant à remplacer, pour l’ensemble des bénéficiaires de prestations d’assurance maladie, la carte Vitale actuelle par une carte Vitale biométrique à une expérimentation localisée.
Votre rapport est sans appel, madame la rapporteure, ce que masquent mal les circonvolutions de forme auxquelles vous vous livrez pour ne pas fermement rejeter cette proposition. Ainsi, vous écrivez très justement que « la fraude à la carte Vitale ne représente qu’un montant faiblement significatif ».
En effet, le rapport de la Caisse nationale d’assurance maladie pour l’année 2018 est tout à fait clair sur ce point : 261,2 millions d’euros de préjudices ont été détectés.
Les responsables de près des quatre cinquièmes de ce total sont les établissements et les professionnels de santé – transporteurs, fournisseurs, etc. –, le reste, soit un peu plus de 20 %, est donc imputable aux assurés eux-mêmes.
La fraude en obtention des droits, la seule que vise la présente proposition de loi, ne représente que 11 millions d’euros, un montant qui varie faiblement depuis trois ans et qui représente moins de 5 % du montant total des fraudes aux prestations d’assurance maladie détectées. Plus précisément, la part de la fraude en obtention des droits strictement liée à l’usurpation de la carte Vitale a donné lieu au recouvrement d’un million d’euros en 2018, c’est-à-dire 0,5 % de la fraude à l’assurance maladie.
Encore une fois, cette fraude n’est en rien comparable avec les fraudes aux cotisations sociales, dont le coût, selon une note confidentielle de l’Acoss, est estimé entre 6,8 et 8,4 milliards d’euros pour la seule année 2018.
On aimerait pouvoir bénéficier d’estimations aussi précises concernant la fraude fiscale, mais l’observatoire promis il y a plus d’un an par le Gouvernement peine toujours à voir le jour.
Qu’à cela ne tienne, Mmes Nathalie Goulet et Carole Grandjean, dans leur rapport dédié, placent également la focale sur la fraude sociale, notamment sur la fraude aux cartes Vitale, en expliquant sur les plateaux – sans chiffres à l’appui – que celle-ci est sous-estimée et représenterait des milliards d’euros. Elles laissent ainsi sous-entendre qu’une manne cachée par les organismes sociaux eux-mêmes serait prétendument à portée de main. Elles auraient pu éviter l’écueil de la fausse nouvelle…
En agitant à nouveau ce chiffon rouge, utilisé autrefois par les frontistes, puis par Nicolas Sarkozy en 2012, ce sont aujourd’hui les libéraux de tous bords qui tentent, une fois de plus, de surfer sur la vague de l’incurie de nos organismes de sécurité sociale.
Ces organismes, ainsi que l’Insee, ont d’ailleurs fortement réagi pour rétablir la vérité sur le nombre de cartes Vitale surnuméraires, lequel résulterait bien plus d’un défaut d’actualisation des données relatives à leurs bénéficiaires par les caisses d’assurance maladie que d’un trafic frauduleux. Ainsi, la cause principale de ce surnombre viendrait du simple usage et non d’une fraude organisée à grande échelle.
Rappelons que, lors du lancement de la carte en 1998, un changement de situation ou de région entraînait l’édition d’une nouvelle carte sans restitution obligatoire de l’ancienne. Cette situation provoqua la création de 10 millions de cartes surnuméraires. Ceci explique cela.
Dans un rapport publié en 2004, l’IGAS concluait déjà que les risques théoriques de fraude étaient élevés, mais que les risques réels étaient très limités. Un lent travail de désactivation des cartes Vitale en doublon a depuis lors été entrepris par les organismes compétents et des mesures antifraudes ont été mises en œuvre.
Au-delà de ces réticences, sur le fond, si nous devions prendre au sérieux la proposition initiale, la mise en place d’une carte Vitale biométrique aurait un coût prohibitif, évalué à près d’un milliard d’euros. Une telle disproportion nous invite, mes chers collègues, à envisager d’autres voies plus efficientes de modernisation de notre dispositif de lutte contre la fraude.
Même restreinte à une période et à un territoire donnés, comme le prévoit le texte tel qu’il résulte des travaux de la commission, la mise en place du dispositif proposé se heurte à un problème de coût.
Considérons ainsi simplement le recueil des empreintes digitales des personnes âgées ou à mobilité réduite : un agent devra-t-il se déplacer à leur domicile pour les relever ?
Autre problème d’ordre pratique : si seul le détenteur de la carte est en capacité de faire valoir ses droits, quid de la personne se rendant à la pharmacie pour le compte de ses parents ou de son conjoint, si ceux-ci sont en incapacité de se déplacer ? Quid de la situation de l’aidant ?
L’achat de nouveaux lecteurs de cartes Vitale biométriques pose également un problème financier et technique non négligeable.
Bien sûr, le développement de la biométrie constitue une opportunité pour les pouvoirs publics en termes de sécurisation de l’identité des individus et de rationalisation de l’action administrative. La biométrie permettrait même d’éviter d’éventuels drames lors d’une intervention chirurgicale, par exemple, pratiquée sur une personne différente du détenteur de la carte Vitale.
Cela étant, les données biométriques sont extrêmement sensibles, comme cela est indiqué dans le rapport. Le stockage centralisé des données biométriques collectées constituerait une base de données particulièrement exposée aux risques de cybercriminalité.
Je m’étonne, par ailleurs, que l’auteur du texte n’ait pas cru bon d’insérer le nécessaire avis de la CNIL sur le traitement prévu des données.
Ne nous laissons pas gagner par le « solutionnisme technologique » tous azimuts dénoncé par les spécialistes des questions sociales et numériques, comme Evgeny Morozov.
La CNIL nous invite à faire preuve de mesure en matière de manipulation des données biométriques. Son appel du 15 novembre sur les enjeux de la reconnaissance faciale doit nous faire prendre un peu de hauteur.
Revenons au texte lui-même. Je comprends bien qu’il faille sauver cette fausse bonne idée par le biais d’une expérimentation, mais il serait étrange de se lancer dans une telle aventure sur le fondement d’une suspicion de fraude massive, laquelle n’est même pas démontrée par les données présentées par les organismes compétents.
J’ai bien peur que nous parlions un peu dans le vide, mes chers collègues.
Quel est, d’ailleurs, l’avis des praticiens et des professionnels de santé, qui devraient, comme vous l’affirmez, être confrontés quotidiennement à cette problématique ? Avons-nous recueilli leur point de vue ou déclenché une enquête nationale sur cette question épineuse pour formuler une réponse législative adéquate ? Sont-ils d’accord avec le dispositif proposé et acceptent-ils d’endosser le rôle de contrôleur d’identité ?
On ne peut tout de même pas, sur le seul fondement d’une intuition, proposer une expérimentation afin de déterminer après coup son objectif réel, d’autant plus qu’une carte Vitale dématérialisée est actuellement testée dans les départements du Rhône et des Alpes-Maritimes, via une application pour smartphone appelée « apCV ». Un rapport d’évaluation devrait nous être transmis dans quelques mois, avant la généralisation de ce dispositif numérique, prévue pour 2021.
La multiplication d’expérimentations sur un même sujet ne me semble pas opportune.
Une carte Vitale sert d’abord à établir des droits, certes de façon sécurisée, non à permettre de vérifier l’identité du bénéficiaire, au nom d’une fraude fantasmée depuis tant d’années pour des raisons politiciennes.
J’aimerais que la même énergie soit déployée sur ces travées pour lutter contre la fraude sociale dans son ensemble, aux prestations, mais également aux cotisations, ainsi que contre la fraude fiscale, au lieu de pointer l’élément le plus infime, qui instille une suspicion malsaine.
L’emballement médiatique à la suite des annonces des auteurs du récent rapport parlementaire démontre bien l’appétence pour le sujet de certains entrepreneurs politiques, décidés à faire passer les étrangers résidents, car c’est bien eux qui sont visés par cette proposition de loi si on lève le voile un instant, pour des profiteurs et des destructeurs de la solidarité nationale.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe socialiste et républicain votera contre cette proposition de loi, malgré la tentative de sauvetage de Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mise en place d’une carte Vitale biométrique, sujet récurrent depuis quelques années, a principalement pour objectif de limiter deux types d’abus.
En premier lieu, un tel dispositif rendrait extrêmement difficile, voire impossible, la circulation de cartes frauduleuses. Comme le rappelaient les journalistes de Libération dans un article consacré au sujet en 2016, les 100 millions de cartes pointés du doigt par l’IGAS en 2004 étaient non pas des cartes frauduleuses, mais des cartes en surnombre.
Ce surplus de cartes Vitale résultait en effet d’un changement de régime ou de région des bénéficiaires, qui entraînait presque systématiquement la création d’une nouvelle carte, sans restitution de la précédente. Ces anciennes cartes existent toujours, mais sont devenues inactives. Par ailleurs, les contrôles effectués dans le système d’information bloquent les flux portés par les fausses cartes.
La lutte contre les cartes frauduleuses ne me semble donc pas être le cœur du problème.
En second lieu, l’objectif d’un tel dispositif est d’éviter que des personnes ne fassent usage d’une carte valide dont elles ne seraient pas titulaires.
Ce problème préoccupant demeure à ce jour sans réponse. Le remplacement des cartes actuelles par des cartes Vitale biométriques permettra-t-il de le résoudre ?
D’un point de vue théorique, je suis tenté de répondre par l’affirmative puisque falsifier des empreintes digitales est compliqué et nécessite une certaine technicité.
De plus, le système biométrique n’est pas nouveau : il existe déjà pour les cartes d’identité et les passeports. Néanmoins, c’est justement cette analogie qui suscite un certain nombre d’interrogations.
Chacun connaît les portiques Parafe de vérification des passeports biométriques utilisés dans les aéroports. Devrions-nous équiper l’ensemble des hôpitaux, des cliniques, des cabinets médicaux ou encore des cabinets de professions paramédicales de cette technologie ? Qui financerait alors le coût de l’installation et de la maintenance ?
On peut concevoir un tel investissement à l’échelle d’une grande structure, comme un hôpital, mais quid des professions libérales, comme les médecins ou les infirmiers ? Comment contrôler les patients qui ne peuvent se faire soigner qu’à domicile ?
Au-delà des infrastructures nécessaires, il faudrait également mobiliser du personnel pour contrôler l’utilisation des appareils de lecture par les usagers, afin d’éviter que la carte ne serve à un bénéficiaire autre que son titulaire.
Enfin, il faudra également renouveler intégralement l’ensemble des cartes Vitale actuellement en circulation.
La proposition de loi, dans sa rédaction initiale, posait donc des problèmes importants en termes de coûts de fabrication, d’achat de matériel et de mobilisation de personnel, qu’il paraissait extrêmement difficile d’évaluer avec précision.
Consciente de ces difficultés, la commission des affaires sociales a jugé utile de modifier le texte initial et de proposer une expérimentation sur une période limitée à douze mois et à un certain nombre d’organismes gestionnaires de l’assurance maladie.
S’il paraissait hautement périlleux de s’engager à mettre en œuvre ce dispositif à grande échelle sans avoir au préalable une idée de son coût réel, une expérimentation limitée dans le temps et à un certain nombre de bénéficiaires me semble en revanche être une manière efficace d’en mesurer les effets.
Il nous appartiendra, dans un second temps, d’évaluer cette expérimentation pour décider de l’intérêt de sa généralisation, qui serait probablement progressive.
En somme, les membres du groupe RDSE ne sont pas opposés au texte proposé par la commission des affaires sociales et voteront majoritairement en faveur de son adoption.
Je tiens cependant à souligner que nous ne devons pas perdre de vue que notre objectif ultime doit être de mieux lutter contre toutes les fraudes et non pas seulement contre certaines d’entre elles. Il est également indispensable de se saisir du problème de la fraude fiscale, dont le coût est estimé entre 60 et 100 milliards d’euros par an, et sur laquelle nous attendons les résultats du rapport de la Cour des comptes commandé par le Premier ministre en début d’année.
La lutte contre les fraudes de toutes natures doit constituer une priorité, car elles pèsent lourdement sur les finances publiques et représentent, très probablement, un manque à gagner de plus de 100 milliards d’euros pour l’État, pour les collectivités locales et donc pour l’ensemble des citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)