Sommaire
Présidence de Mme Valérie Létard
Secrétaires :
Mmes Agnès Canayer, Françoise Gatel.
2. Mise au point au sujet d’un vote
4. Carte Vitale biométrique. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi
Mme Catherine Deroche, rapporteure de la commission des affaires sociales
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé
5. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
6. Carte Vitale biométrique. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 2 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° 4 de Mme Nathalie Goulet. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 3 de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission modifié.
Suspension et reprise de la séance
7. Gratuité totale dans les transports collectifs. – Débat sur les conclusions d’un rapport, organisé à la demande d’une mission d’information
Mme Éliane Assassi ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Éliane Assassi.
M. Dany Wattebled ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Jean-Marie Mizzon ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-Marie Mizzon.
M. Didier Mandelli ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Didier Mandelli.
M. Olivier Jacquin ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Léonhardt ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Frédéric Marchand ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Loïc Hervé ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Loïc Hervé.
Mme Dominique Estrosi Sassone ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Jean-Michel Houllegatte ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-Michel Houllegatte.
M. René Danesi ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Gilbert-Luc Devinaz ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Gilbert-Luc Devinaz.
Mme Brigitte Lherbier ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Jacques Grosperrin ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Jean-Pierre Grand ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
Suspension et reprise de la séance
8. Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations. – Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement
M. Jérôme Bignon ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Jérôme Bignon.
Mme Annick Billon ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Michel Vaspart ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Pierre Sueur ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Jean-Pierre Sueur.
Mme Françoise Laborde ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Françoise Laborde.
M. Didier Rambaud ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Pierre-Yves Collombat ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Évelyne Perrot ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Évelyne Perrot.
M. Guillaume Chevrollier ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Monique Lubin ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Patricia Morhet-Richaud ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Franck Montaugé ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Franck Montaugé.
Mme Vivette Lopez ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Chantal Deseyne ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Yves Bouloux ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
9. Communication relative à une commission mixte paritaire
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Valérie Létard
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
Mme Françoise Gatel.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Lors du scrutin n° 38, portant sur l’ensemble du projet de loi de finances rectificative, notre collègue Véronique Guillotin a été notée comme ayant voté pour alors qu’elle souhaitait s’abstenir.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
3
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.
M. Jean Louis Masson. La liberté de parole des parlementaires dans l’exercice de leur mandat est un principe fondamental reconnu par tous depuis la Révolution française. Au nom de la démocratie, certains soi-disant bien-pensants voudraient pourtant imposer une dictature de la pensée unique. Plus précisément, ils n’acceptent la démocratie que si l’on pense comme eux.
Or je rappelle que l’article 26 de la Constitution garantit la liberté d’expression au sein du Parlement. De plus, la décision du Conseil constitutionnel du 5 juillet 2018 indique : « Toutefois, le règlement du Sénat ne saurait avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte à la liberté d’opinion et de vote des sénateurs. »
Le 29 octobre dernier, les débats du Sénat concernaient le port du voile islamique par les personnes accompagnant les sorties scolaires des enfants. À la suite de mon intervention, M. Assouline, vice-président socialiste du Sénat, a saisi le bureau du Sénat et réclamé des mesures à mon encontre afin que je ne puisse plus m’exprimer librement. Non seulement il n’y est pas parvenu, mais je maintiens tout ce que j’ai dit : je ne retire absolument rien, ni à mon intervention du 29 octobre dernier ni à celle du 13 octobre 2015 sur le terrorisme.
La chaîne Public Sénat a rapporté que, lors de la réunion du bureau du 7 novembre dernier, M. Assouline m’aurait accusé d’avoir tenu des propos qu’il a qualifiés « de diffamation raciale ». Il avait déjà proféré des accusations de « propos racistes » quelques jours auparavant, lors d’une interview.
Il s’agit là d’une diffamation pure et simple : le Journal officiel des débats du 29 octobre dernier prouve que je n’ai absolument jamais fait allusion ni à une race ni à un problème racial.
Ce n’est pas la première fois que M. Assouline, agissant en tant que vice-président socialiste ou en tant que président de séance du Sénat, m’agresse avec une totale mauvaise foi. C’est inacceptable et je souhaite que, à l’avenir, le Sénat veille à faire respecter la liberté de parole de chacun dans l’hémicycle ! (Mme Claudine Kauffmann applaudit.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement.
4
Carte Vitale biométrique
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi tendant à instituer une carte Vitale biométrique, présentée par MM. Philippe Mouiller, Bruno Retailleau, Alain Milon et plusieurs de leurs collègues, (proposition n° 517 [2018-2019], texte de la commission n° 117, rapport n° 116).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que nous examinions la semaine dernière le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 et que les débats nous ont une fois de plus montré combien il était difficile de parvenir à l’équilibre des comptes sociaux, cette proposition de loi vise à instituer un nouvel outil afin de renforcer le caractère protecteur de notre système de santé.
Nous abordons un sujet complexe : de nombreuses études, de multiples rapports établis par différentes administrations et missions parlementaires donnent des estimations très variées sur l’ampleur de la fraude à la carte Vitale. Les chiffres avancés varient de 1 million d’euros à plusieurs centaines de millions d’euros par an.
Sommes-nous vraiment capables d’estimer l’ampleur de la fraude à l’assurance maladie et, tout spécialement, de la fraude aux cartes Vitale ? Quoi qu’il en soit, de nombreux indicateurs laissent à penser que cette fraude est importante. À titre d’exemple – il ne s’agit pas d’une simple anecdote –, il est possible d’acheter une carte Vitale au marché noir pour environ 50 euros.
M. André Reichardt. Ce n’est pas cher !
M. Philippe Mouiller. Derrière cette fraude se dessine une réalité tangible qui, si elle n’écornait pas autant le pacte républicain, pourrait prêter à sourire. Je me fais ici l’écho des nombreux articles parus dans la presse ces dernières semaines, dont l’un avait pour titre : « Fraude sociale : 67 millions de Français, 84 millions de cartes Vitale ». Bien entendu, les chiffres assenés par certains médias doivent impérativement être nuancés ; il est malgré tout permis de s’interroger.
En effet, comment imaginer que le nombre de cartes Vitale actives dépasse le nombre de bénéficiaires effectivement couverts, et ce dans de telles proportions ? Les estimations varient entre 2 et 5 millions. Comment accepter que des personnes utilisent régulièrement une carte Vitale attribuée à une autre ? Comment comprendre que l’Insee recense près de 3 millions de centenaires en France ?
Ces différentes incohérences exigent des réponses, car elles causent un préjudice financier non négligeable à notre système de santé.
Au regard du poids qu’occupe l’assurance maladie dans les dépenses publiques, elles-mêmes déjà considérablement sous tension, notre politique de contrôle et de lutte contre la fraude constitue un enjeu fondamental. En 2015, par exemple, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) évaluait le total des impayés subis par elle à près de 118 millions d’euros. Depuis 2005, l’assurance maladie a mis un terme à 2,4 milliards d’euros de fraudes ou d’activités fautives.
Si les estimations sont très difficiles à établir en la matière, les occasions de fraude sont, en tous les cas, nombreuses. La France compte en effet 60 millions d’assurés et des centaines de milliers de soignants. Chaque année, près de 1,2 milliard de feuilles de soins sont établies et quelque 500 millions d’actes médicaux sont pratiqués.
J’en suis convaincu : la carte Vitale biométrique serait un instrument de lutte contre la fraude à la carte Vitale classique, grâce à l’image numérique des empreintes digitales du titulaire qu’elle contiendrait.
En outre, cette lutte revêt une dimension morale : nous nous devons de la renforcer, dans la mesure où la fraude porte atteinte à l’intérêt général, abîme la solidarité nationale et amoindrit notre contrat social. Aussi, quand bien même son coût pour les dépenses publiques serait modique, la fraude n’est pas, et ne doit pas être, une variable d’ajustement.
Il n’est en aucun cas question de stigmatiser ceux d’entre nous qui sont les plus défavorisés ou de flécher telle ou telle partie de la population. Il s’agit, en revanche, de préserver un principe : l’intérêt général, en vertu duquel les droits accordés au citoyen impliquent en contrepartie des devoirs, au premier rang desquels celui de ne pas frauder. Ne pas chercher à préserver ce principe, c’est mettre en danger l’intérêt collectif et la pérennité de notre système de soins.
Lorsque nous échangeons avec les professionnels de santé, nous constatons que beaucoup d’entre eux sont démunis face aux usurpations d’identité au moyen de la carte Vitale. Leur rôle n’est d’ailleurs pas d’effectuer des contrôles. La mise en place d’une carte Vitale biométrique devrait leur permettre de se protéger face à ce type de situations frauduleuses.
Je conclus en saluant les suggestions formulées par notre rapporteure : à mes yeux, elles constituent une bonne solution. Chère Catherine Deroche, je saisis cette occasion pour souligner la qualité de votre travail,… (Mme la rapporteure sourit.)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je me joins à vous !
M. Philippe Mouiller. … particulièrement précis dans l’analyse des situations étudiées.
Ainsi, la commission a adopté une nouvelle rédaction de l’article 1er, qui prévoit la mise en place d’une carte Vitale biométrique expérimentale, avec un enrôlement obligatoire des bénéficiaires.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Philippe Mouiller. Cette expérimentation, qui pourra porter sur quelques caisses de sécurité sociale réparties sur l’ensemble du territoire national, permettra non seulement de tester la faisabilité technique et financière du déploiement de cette carte Vitale biométrique, mais aussi de mesurer son impact sur la lutte contre la fraude au regard de l’utilisation de la carte Vitale traditionnelle. Ses résultats pourront, en outre, être confrontés à ceux de l’expérimentation en cours, à savoir la mise en place de la carte Vitale dématérialisée.
Dans tous les cas, cette expérimentation sera l’occasion d’avoir, définitivement, une idée plus précise de l’ampleur de la fraude à la carte Vitale.
Les élus du groupe Les Républicains souhaitent donc l’adoption de ce texte, tel qu’il a été modifié par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Catherine Deroche, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de nos collègues Philippe Mouiller, Bruno Retailleau et Alain Milon tendant à instituer une carte Vitale biométrique.
Comme il s’agit d’un sujet sensible, susceptible de déclencher promptement des procès d’intention, je tiens à rappeler que les débats au sein de la commission des affaires sociales ont permis l’émergence d’une solution approuvée, sinon par tous les groupes, du moins par la majorité d’entre eux.
Ensemble, nous nous sommes entendus pour réaffirmer la nécessité, dans des temps critiques où les fondements de notre pacte républicain sont plus fragilisés que jamais, de raffermir le juste versement des droits à travers la sécurisation des titres qui y donnent accès.
Ensemble, nous sommes convenus qu’il était vain et stérile d’opposer les fraudes entre elles, qu’elles soient sociales ou fiscales, alors qu’elles procèdent toutes du même fléau.
Certes, les moyens mis en œuvre pour lutter contre la fraude doivent rester proportionnés au préjudice financier qu’ils combattent ; mais tout acte frauduleux, quelle que soit son ampleur, porte une atteinte intolérable à cette juste attribution des droits.
Il convient de rappeler que la carte Vitale ouvre droit uniquement à des prestations d’assurance maladie, non aux autres prestations sociales, qui participent elles aussi de la fraude sociale. Cela étant, son usage abusif ne fait pas qu’obérer le budget de la sécurité sociale : il touche la solidarité nationale au cœur tout en entretenant doutes et suspicions.
Certes, le préjudice financier lié à la fraude à la carte Vitale n’est peut-être pas le plus significatif, mais des incertitudes demeurent quant à son chiffrage. En outre, cette fraude est l’une de celles dont l’occurrence est la plus fréquente ; et c’est celle qui porte le plus visiblement atteinte à la solidarité nationale. C’est donc à un dommage aussi financier que symbolique que le présent texte entend s’attaquer.
La proposition de loi initiale défendait une idée ambitieuse : substituer des cartes Vitale biométriques à l’ensemble des cartes Vitale existantes. La commission est attachée à ce principe ; elle a néanmoins estimé nécessaire d’y apporter quelques aménagements afin d’assurer sa réalisation.
Compte tenu de la sensibilité de la question biométrique, la commission n’a pas souhaité que l’attribution généralisée de cette nouvelle carte Vitale donne lieu à la constitution d’une base de données où seraient consignées les empreintes digitales numérisées de tous nos concitoyens. Un tel instrument nous exposerait à de multiples risques : la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) n’a pas manqué de nous le rappeler.
Par ailleurs, l’attribution d’une carte Vitale biométrique doit tenir compte des chantiers déjà lancés par le Gouvernement en la matière. Je pense notamment à l’expérimentation déployée dans les départements du Rhône et des Alpes-Maritimes d’une carte Vitale dématérialisée, laquelle présente quelques similitudes avec la carte Vitale biométrique, sans toutefois se confondre avec elle.
Certes, la carte Vitale dématérialisée fait intervenir l’élément biométrique, mais uniquement lors de l’enrôlement : le bénéficiaire est alors invité, et non contraint, à une identification biométrique lors de l’attribution de la carte, dont l’usage sera par la suite simplement conditionné à la présentation de son téléphone portable.
Cette piste est intéressante, mais elle ne garantit pas vraiment la stricte identification. Les téléphones se prêtent certes moins facilement que les cartes Vitale actuelles. Toutefois, ils circuleront sans aucun mal dans les cercles intrafamiliaux, qui sont précisément ceux où la fraude est la plus pratiquée.
De plus, l’attribution fondée sur le volontariat et la distribution limitée aux seuls bénéficiaires équipés d’un support mobile nous feraient, sans aucun doute possible, manquer la cible que notre proposition de loi a identifiée comme devant être visée par la biométrie, à savoir les fraudeurs.
Pour autant, nous n’avons pas souhaité, par réalisme, que notre proposition « écrase » l’expérimentation en cours. La commission a même considéré que les deux dispositifs pourraient être utilement déployés de concert : l’on pourrait ainsi livrer, d’ici un an, leurs résultats comparés.
C’est le sens de la modification que nous avons apportée à l’article 1er, en substituant à la carte Vitale biométrique généralisée une carte Vitale biométrique expérimentale, testée dans un nombre limité de territoires.
En revanche, et dans l’esprit du texte initial, il nous a paru important de conserver le caractère obligatoire de l’enrôlement. En effet, nous restons persuadés que l’outil biométrique doit, à terme, servir à la stricte identification du bénéficiaire pour tout usage de sa carte, afin que soient bel et bien anéantis les risques de fraude en obtention des droits.
Un enrôlement total permettra de mettre un terme au problème persistant des cartes surnuméraires, dénoncé dans leur rapport par nos collègues Mmes Nathalie Goulet et Carole Grandjean.
Mes chers collègues, tel est le sens des modifications que nous avons apportées à cette proposition de loi. Nous en avons conservé le principe et n’en avons modifié les contours, avec l’accord de ses auteurs, que pour permettre son effectivité ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre la fraude est un objectif majeur du Gouvernement.
Les organismes de sécurité sociale ont largement investi dans la détection et la prévention de la fraude, et les résultats en témoignent : en 2018, la fraude détectée par les organismes de sécurité sociale s’est élevée à 1,2 milliard d’euros, ce qui correspond à une hausse de plus de 40 % en quatre ans.
La proposition de loi dont nous allons débattre cette après-midi porte sur le sujet particulier de la fraude à l’usage de la carte Vitale.
Vous le savez, la carte Vitale permet d’établir des feuilles de soins électroniques, documents servant de base au remboursement ; mais ce n’est pas sa seule fonction au regard de la situation des assurés. Elle sert aussi à gérer leurs droits, qui sont historiquement inscrits dans la carte et accessibles directement, en cohérence avec les droits ouverts et contrôlés par les caisses d’assurance maladie.
La fraude à l’usage de la carte Vitale repose sur une usurpation de carte : une personne sans droits utilise la carte d’une personne ayant des droits ; une autre utilise celle d’une personne couverte à 100 % alors qu’elle-même n’a que des droits à la couverture de base. La création d’une fausse carte Vitale est également possible en théorie, mais elle est techniquement très complexe.
Néanmoins – à cet égard, je rejoins les auteurs du présent texte –, les fraudes à la carte Vitale constituent un sujet important, et, en la matière, nous menons des actions structurantes.
Je tiens à revenir sur les nombreuses mesures prises depuis 2004 pour réduire les risques liés à la délivrance de la carte et sécuriser tout à la fois notre système d’émission des cartes et les facturations : la création d’une liste d’opposition des cartes Vitale, qui permet de bloquer l’utilisation des cartes mises en opposition ; l’ajout de la photographie en couleur de l’assuré, tant sur le support de la carte que dans le composant électronique ; la mise en place d’un portail interrégimes, qui permet d’éviter l’émission d’une nouvelle carte si l’ancienne n’a pas été restituée ou invalidée ; enfin, la mise en fin de vie des cartes Vitale dont les titulaires n’ont plus de droits, sont décédés ou radiés.
Plusieurs chiffres ont été avancés et, pour clarifier nos débats, je tiens à indiquer que, tous régimes confondus, 59,4 millions de cartes Vitale actives étaient comptabilisées à la fin de l’année 2018. En outre, depuis la création du système de cartes Vitale, 42 millions de cartes ont été invalidées et, partant, désactivées.
Les auteurs du présent texte proposent de renforcer l’arsenal de lutte contre la fraude en transformant la carte Vitale en une carte Vitale biométrique comportant les empreintes digitales. Ces compléments seraient ensuite utilisés par les professionnels de santé pour vérifier la bonne correspondance entre le titulaire de la carte et la personne qui l’utilise.
La commission a modifié cette proposition de loi, qui privilégie désormais la voie de l’expérimentation.
Cependant, même par ce biais, la création d’une carte Vitale biométrique serait extrêmement sensible en termes de protection de la vie privée et des données personnelles. Elle serait également lourde à mettre en œuvre, étant donné les changements profonds qu’elle introduirait, que ce soit en termes de fabrication ou d’usage du titre.
Les empreintes sont des données sensibles au sens du règlement général sur la protection des données (RGPD), et leur traitement pour le cas particulier d’authentification des personnes exige un avis de la CNIL au titre des formalités d’autorisation prévues à cette fin.
La question posée est la suivante : le recueil et la conservation de ces données sont-ils nécessaires et proportionnés au but visé ? La réponse à cette question ne présente aucun caractère d’évidence.
J’évoquerai également le coût financier et les délais de mise en œuvre d’une telle réforme. Même dans le cadre d’une expérimentation, ils ne sont pas négligeables.
L’utilisation des empreintes induit des coûts et des délais de mise en œuvre importants pour le recueil des données biométriques, le contrôle par les professionnels de santé et l’adaptation du système de gestion des cartes Vitale.
Le recueil des empreintes digitales suppose que chaque demandeur se déplace. Or, pour traiter cette demande, les accueils des caisses d’assurance maladie ne disposent ni des équipements ni des effectifs nécessaires. Au demeurant, une telle évolution nécessiterait de former les agents aux équipements qui devraient être utilisés.
Pour exercer un contrôle biométrique, il serait aussi nécessaire que les professionnels de santé soient équipés d’un matériel permettant de relever les empreintes du patient. Ce processus aurait un effet certain sur la relation entre les professionnels de santé et leurs patients en ajoutant un contrôle qui ne relève pas strictement de leurs missions.
Au-delà de la polémique que ce changement pourrait créer avec les professionnels utilisant la carte Vitale au quotidien, un financement de ces matériels par l’assurance maladie serait demandé.
Enfin, les contraintes de sécurité afférentes à l’utilisation des données biométriques par des traitements automatiques induisent une complexité technique. La mise en place de cette nouvelle carte serait de nature à augmenter de façon substantielle le prix unitaire de la carte Vitale et, plus généralement, le coût global de gestion des cartes. On peut estimer à environ 3 euros le coût complet actuel de fabrication et de délivrance d’une carte Vitale de seconde génération, c’est-à-dire avec photographie. Ce montant serait au moins doublé si la carte Vitale devenait biométrique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous partageons votre préoccupation et nous prenons d’ores et déjà des mesures fortes pour lutter contre la fraude.
M. Mouiller et Mme la rapporteure l’ont dit, une expérimentation est en cours, à savoir la création d’une application « carte Vitale » nommée e-carte d’assurance maladie, proposée sur smartphone, pour renforcer la sécurisation des usages. Ce dispositif présente une forte valeur ajoutée pour lutter contre la fraude : il permettra une mise à jour des droits en temps réel, ce qui ne serait pas le cas avec la carte Vitale biométrique proposée.
Cette expérimentation est régie par le décret du 27 mai 2019 relatif à l’expérimentation d’une e-carte d’assurance maladie. Actuellement menée dans deux départements, le Rhône et les Alpes-Maritimes, elle est nécessaire pour évaluer et, si besoin, consolider l’ensemble du processus afin de sécuriser la délivrance de cette application, qui, dans un premier temps, cohabitera avec la carte physique.
De ce fait, il me semble inopportun de lancer une nouvelle expérimentation. En outre, cette dernière ne serait pas soutenable d’un point de vue opérationnel. Enfin, elle serait très risquée sur le plan juridique. Le Gouvernement n’est donc pas favorable à la nouvelle expérimentation que tend à mettre en œuvre cette proposition de loi.
Mme Nathalie Goulet. C’est bien dommage !
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier. (Murmures.)
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je tiens à vous féliciter d’avoir repris à votre compte l’engagement présidentiel n° 71 de Marine Le Pen (Rires et exclamations amusées.),…
Mme Michelle Gréaume. Eh oui !
M. Stéphane Ravier. … qui vise à instaurer une carte Vitale biométrique pour lutter contre la fraude documentaire aux prestations sociales.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est plutôt elle qui a copié sur nous !
M. Stéphane Ravier. Dans ce même engagement, Marine Le Pen proposait de réaliser des économies supplémentaires en supprimant l’aide médicale d’État (AME), scandaleusement réservée aux clandestins (Protestations sur diverses travées.), et de baisser le prix des médicaments coûteux via l’augmentation de la proportion de génériques. Mais ça, ce sera pour 2022…
Votre proposition de loi n’est qu’un pas, un premier et tout petit pas ; or, dans ce domaine comme dans tant d’autres, il y a urgence à changer radicalement de cap, car les chiffres issus du rapport d’information de notre collègue sénatrice de l’Orne ont de quoi donner le vertige.
Le coût des fraudes aux prestations sociales atteint jusqu’à 45 milliards d’euros par an.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. C’est faux !
M. Stéphane Ravier. C’est l’équivalent d’un peu plus de la moitié du produit de l’impôt sur le revenu, deux fois celui de la taxe d’habitation, trente-sept fois le budget de la ville de Marseille,…
M. Martin Lévrier. Ah !
M. Stéphane Ravier. … vingt fois le montant de la dette et du déficit de ses hôpitaux.
Avec plus de 2 200 milliards d’euros de dette, nous continuons de donner un « pognon de dingue », un « pognon » que nous n’avons pourtant pas !
Au total, 5 millions de cartes Vitale sont actives frauduleusement. Selon le répertoire national d’identification des personnes physiques, notre pays compterait plus de 3 millions de centenaires, dont la plupart touchent des prestations, alors qu’ils ne seraient que 250 000 selon l’Insee.
Pour couronner le tout, les organismes sociaux refusent, malgré de nombreuses relances, de communiquer à des parlementaires accrédités par le Gouvernement le nombre exact de personnes qui perçoivent des prestations.
Pourquoi une telle omerta, alors qu’il s’agit de l’argent public ? Les Français ont le droit de savoir à qui bénéficie la solidarité nationale, qui est puisée – je vous le rappelle – dans leurs impôts !
Le secret imposé ne dissimulerait-il pas en réalité, au mieux l’incurie des services, au pire une fraude encore plus colossale que celle qui est annoncée ?
Plutôt que de combattre cette fraude, qui ressemble au plus grand et au plus long braquage de l’histoire, l’on préfère, et ce sous tous les gouvernements, augmenter la pression fiscale et baisser le niveau de protection de ceux qui respectent la loi : c’est la double peine appliquée à ceux qui ne fraudent pas !
Il faut donc se doter, et urgemment, de moyens qui permettent de rétablir la justice sociale.
Il faut désormais miser sur l’automatisation et la centralisation des données, ainsi que sur le recoupement des fichiers ; mais il faudra également multiplier les contrôles.
Pour cela, la création d’une carte Vitale biométrique fusionnée avec le titre d’identité aurait constitué un changement radical, et une réforme bien plus aboutie, pour mettre un terme à cette gigantesque arnaque.
Enfin, à l’heure des big data et du stockage d’informations, il convient d’avoir des fichiers fonctionnels et de fournir des chiffres fiables, pouvant être exploités efficacement en vue de redresser les comptes publics, et ce en toute transparence pour les Français.
C’est ici une réforme structurelle qu’il faut avoir le courage de mener : elle va de pair avec la lutte contre l’immigration et la lutte contre une fiscalité abusive. Ce sont là trois points qui font la raison financière et qui ne pourraient que nous éclairer, mes chers collègues.
Je voterai néanmoins ce texte et je veillerai à ce que, à l’avenir, une réforme plus aboutie puisse soulager les Français, pour qui solidarité ne peut rimer qu’avec honnêteté et sincérité !
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que nous entamons l’examen de la proposition de loi tendant à instituer une carte Vitale biométrique afin de lutter contre la fraude sociale, permettez-moi un petit retour en arrière.
En 2017, l’affaire des « Paradise papers » a dévoilé que l’évasion fiscale des entreprises et des grandes fortunes coûtait, chaque année, 350 milliards d’euros de pertes fiscales aux États du monde entier. Cette fraude remet en cause le principe d’égalité de tous les citoyens face à l’impôt. Elle ampute les recettes publiques de centaines de milliards d’euros, qui auraient dû financer l’éducation ou la santé.
La fraude a de multiples facettes et nous regrettons que la majorité sénatoriale fasse le choix de s’attaquer en priorité à la fraude aux prestations sociales, qui est pourtant très loin d’être la plus importante.
À la mi-septembre dernier, dans un rapport d’information, la commission des affaires sociales a estimé que le coût de la fraude documentaire représentait entre 117 et 138,6 millions d’euros.
Dans son bilan de 2018, l’assurance maladie a, quant à elle, recensé 261 millions d’euros de remboursements abusifs détectés, soit 0,058 % du montant total annuel des prestations versées par la sécurité sociale.
Quant à la fraude à la carte Vitale proprement dite, elle ne représente, selon le rapport de la commission, « qu’un montant faiblement significatif ».
Alors pourquoi ? Pourquoi ce texte ? Même si nous n’acceptons pas les comportements frauduleux, il est légitime de s’interroger sur la pertinence et les raisons de ce choix.
D’autres types de fraudes, qui pourraient rapporter bien davantage si elles étaient combattues, mériteraient de retenir l’attention de notre assemblée. Je pense à la fraude au travail dissimulé, dont l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) a estimé le coût entre 6,8 et 8,4 milliards d’euros en 2018, soit un montant sept fois supérieur au coût de la fraude aux prestations sociales ; ou encore à la fraude aux cotisations sociales patronales,…
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
Mme Michelle Gréaume. … dont le coût est, lui, estimé par la Cour des comptes entre 20 et 24 milliards d’euros, soit cinquante fois plus ; enfin, à la fraude fiscale, dont le coût est évalué, en France, à environ 80 milliards d’euros par le syndicat Solidaires Finances publiques.
Mes chers collègues, votre objectif est-il réellement de lutter contre la fraude, ou est-il plutôt de stigmatiser les personnes précaires ou étrangères, soupçonnées de profiter du système ?
Mme Sylvie Goy-Chavent. Il ne faut pas tout mélanger !
Mme Michelle Gréaume. Nous posons la question, car le fondement idéologique de la carte Vitale biométrique n’est pas neutre : celle-ci faisait partie du programme présidentiel de Marine Le Pen en 2007, Nicolas Sarkozy en avait ensuite repris l’idée et le groupe Les Républicains du Sénat a déposé, en 2015, un texte sur la fraude sociale qui prévoyait sa création.
Les députés ont, à l’époque, rejeté cette disposition, la jugeant coûteuse et ardue à mettre en œuvre, car il aurait été nécessaire de renouveler le stock de cartes et de mettre en place des mécanismes de recueil et de contrôle des éléments biométriques.
Les parlementaires ont surtout soulevé la problématique de l’autorisation du contrôle des détenteurs des cartes Vitale, puisque, aujourd’hui, rien n’interdit de se rendre dans une pharmacie avec une ordonnance et la carte Vitale d’une voisine pour récupérer ses médicaments et lui éviter d’avoir à se déplacer.
Ces objections restent tout à fait valables. Sans doute ont-elles d’ailleurs motivé la décision de réduire le dispositif prévu dans le texte à une expérimentation limitée dans le temps et circonscrite à quelques caisses de sécurité sociale.
Alors que les politiques de santé des dernières années cherchent à réduire le temps administratif des médecins, voulez-vous vraiment leur demander de contrôler les informations de la carte Vitale ?
Si vous entendez vous attaquer à la fraude à la sécurité sociale, vous devriez également regarder du côté de certains professionnels de santé. Selon les chiffres de 2018 de l’assurance maladie, 47 % de la fraude provient des offreurs de soins et de services, 30 % des établissements, et seulement 23 % des assurés sociaux.
Mme Catherine Deroche, rapporteure. C’est vrai !
Mme Michelle Gréaume. Il est dommage que vous ne prévoyiez aucune sanction à leur encontre.
Contrairement à ce que laisse penser ce texte, la carte Vitale est seulement une carte à puce permettant aux professionnels de santé de connaître les droits du titulaire ou de ses ayants droit. Ce n’est pas une carte de paiement, et encore moins une carte d’identité. Pourtant, vous proposez d’y enregistrer les empreintes digitales de son titulaire, des informations relatives à son identité, ainsi que son sexe, sa taille et la couleur de ses yeux.
Si nous nous gardons de faire un amalgame entre le Rassemblement national et Les Républicains à propos de cette proposition de loi, nous regrettons que vous vous engagiez sur le terrain de l’extrême droite en stigmatisant les assurés sociaux et les personnes étrangères.
Les futures échéances électorales ne sauraient justifier le renforcement d’idées populistes et xénophobes, bien trop présentes actuellement dans notre pays.
La majorité sénatoriale aurait été mieux inspirée de s’en prendre à d’autres types de fraudes, je le répète, ou d’agir contre le non-recours aux prestations.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe CRCE votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise, sur l’initiative du sénateur Philippe Mouiller, dont je salue le travail, à instituer une carte Vitale biométrique.
L’objectif de cette proposition est louable : il s’agit de lutter contre la fraude à l’assurance maladie en vérifiant l’identité de l’utilisateur d’une carte Vitale par un contrôle de ses empreintes digitales.
Nous savons, grâce à une estimation de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), qu’il y aurait en circulation environ cinq millions de cartes Vitale de plus que le nombre d’assurés, qui est de 50 millions. L’IGAS relève également que les cartes actuelles ne permettent ni de vérifier l’identité de l’assuré ni l’étendue de ses droits, ce qui entraîne un risque de fraude non négligeable.
Lors de la création des cartes Vitale, il a été décidé de ne pas leur conférer de date limite de validité, contrairement aux cartes bancaires. Aussi le paiement des prestations reste-t-il possible, même lorsque les cartes ont été signalées comme perdues, volées ou invalides.
Pour autant, remplacer l’ensemble des cartes Vitale classiques par un système biométrique, outre le coût que représenterait une telle opération, exigerait que chaque professionnel de santé s’équipe d’un boîtier de lecture d’empreintes digitales.
Par ailleurs, le rapporteur général de la commission des affaires sociales nous a fait part en réunion du projet du Gouvernement de mettre en place des cartes Vitale dématérialisées. Ces e-cartes permettraient le contrôle de l’identité de leur détenteur grâce à un système de vérification téléphonique qui a fait ses preuves : il est, par exemple, actuellement utilisé par de nombreuses institutions bancaires.
Le dispositif s’inscrit dans le cadre de la feuille de route « Accélérer le virage du numérique » en santé, présentée en avril dernier. Il est d’ores et déjà déployé, à titre expérimental, dans le Rhône et les Alpes-Maritimes jusqu’à la fin mai 2020. Il fonctionne grâce à une application téléchargeable, permettant l’identification et l’authentification numérique des assurés, ainsi que le remboursement des actes et prestations. Cette carte Vitale 2.0 est délivrée sur demande pour une durée de douze mois. La généralisation du dispositif, après son évaluation, est prévue pour 2021.
La prochaine étape de la mise en œuvre de la feuille de route sera la dématérialisation des ordonnances, des actes infirmiers et des analyses biologiques, puis des soins de kinésithérapie. Nous allons donc vers un système de santé largement dématérialisé.
Le rapporteur considère que, à court terme, ce dispositif se révélerait restrictif et peu susceptible de limiter les risques de fraude, dans la mesure où il repose, pour le moment, sur le volontariat et où il n’aurait pas vocation à remplacer complètement la carte Vitale physique, laquelle resterait fonctionnelle.
Aussi propose-t-il une solution de remplacement : le déploiement, à titre expérimental, d’une carte Vitale biométrique dans quelques caisses de sécurité sociale, pour tous les bénéficiaires. Je suis favorable à cette expérimentation, ainsi qu’à celle que mène le Gouvernement.
À mon sens, le dispositif devrait être complété par une campagne de mise à jour de l’ensemble des cartes Vitale en circulation et de contrôle de l’identité de leur détenteur. Il s’agirait, par exemple, de demander à chaque assuré d’envoyer chaque année à sa caisse de sécurité sociale un justificatif de domicile, ainsi que la photocopie d’une pièce d’identité. Il faudrait également veiller à désactiver les cartes en cas de décès ou de manquement aux obligations de contrôle.
Selon le rapport de la sénatrice Nathalie Goulet et de la députée Carole Grandjean, le coût de la fraude à la sécurité sociale est difficile à évaluer, mais il pourrait s’élever à plusieurs centaines de millions d’euros par an. Le montant de la fraude aux faux numéros de sécurité sociale atteindrait, lui, entre 117 et 138 millions d’euros par an.
D’un autre côté, le non-recours aux droits touche 28 % des assurés, qui ne bénéficient pas des prestations et des remboursements auxquels ils auraient droit. Nous devons agir pour plus de justice sociale, en limitant le risque de fraude, tout en favorisant le recours aux droits des assurés.
Je serai attentif aux amendements déposés par la sénatrice Nathalie Goulet à ce sujet lors de l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ses propositions visent, notamment, à mettre en cohérence la durée de validité de la carte Vitale avec celle des droits de l’assuré. Il s’agit de renforcer le socle de la solidarité nationale, qui repose avant tout sur la juste utilisation des droits de chacun.
Nous voterons en faveur de cette proposition de loi, tout en restant attentifs aux mesures de long terme proposées par le Gouvernement.
M. Emmanuel Capus. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de loi est de lutter contre la fraude au moyen de la biométrie.
S’agissant d’accès aux droits, et alors que 450 milliards d’euros de prestations sont versés chaque année, il est normal que nous nous intéressions à la fois à l’identification et à l’authentification des bénéficiaires. La fraude documentaire est un fléau.
En Afrique, où l’absence d’état civil est un enjeu, l’ONU, l’Unicef et l’Association des ombudsmans et des médiateurs de la Francophonie, réunis à Rabat le 23 octobre dernier sous l’égide de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, ont adopté un plan pour les états civils.
Des mesures relatives à l’enregistrement obligatoire, gratuit et public des naissances, ainsi qu’à la reconnaissance juridique des enfants sans identité, ont été prises dans différents pays.
Au Ghana, un officier d’état civil passe d’un village à l’autre pour enregistrer les naissances.
Au Burkina Faso, le Parlement a signé une convention avec le groupe d’amitié, grâce à notre collègue André Reichardt, en vue d’aider le pays à mettre en œuvre un état civil.
Au Tchad, pays qui compte 14,9 millions d’habitants et 450 000 naissances par an, seul un enfant sur dix est enregistré, selon un rapport de l’Unicef.
Le Niger, qui compte 21,4 millions d’habitants, s’est doté le 29 avril 2019 d’une nouvelle loi portant régime de l’état civil et d’une politique nationale de l’état civil – proche de la nôtre –, comprenant une informatisation du système de l’état civil.
La situation en Centrafrique a également attiré l’attention, tant les services y sont inexistants ou corrompus, quand ils n’ont pas disparu, selon un document de l’Unicef.
L’absence d’état civil et les carences dans ce domaine sont du pain bénit pour les réseaux mafieux ou de fraudeurs, qui passent ainsi à travers les mailles de nos radars et de nos fichiers.
Si l’on ajoute à ce marasme l’utilisation de vrais-faux documents issus des zones de conflits, comme la Syrie et l’Irak, ainsi que les problèmes que posent les réseaux d’Europe de l’Est, lesquels sont très bien ciblés par Tracfin, force est d’admettre que la sécurité des identités constitue un véritable sujet.
De surcroît, dans l’Union européenne, certains pays n’ont pas le même dispositif que le nôtre. Ainsi, des États voisins membres de l’Union utilisent un système fondé sur un numéro d’identité unique conservé à vie. Une personne peut changer de patronyme très facilement, à condition de conserver son numéro. Ce système est incompatible avec le nôtre et peut donner lieu à certaines fraudes.
À cette réalité s’ajoute le contrôle de nos services sur cinq à sept lettres des noms et prénoms : « Nathalie », par exemple, peut être écrit avec ou sans « h », avec ou sans « e », voire avec un « y », ce qui accroît encore les difficultés.
Il n’est donc pas étonnant que nous trouvions dans nos systèmes entre deux et cinq millions de cartes Vitale en surnombre, un nombre qu’il nous faut expliquer. Certes, depuis l’excellent rapport de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale des affaires sociales de 2013, nous avons progressé de manière assez importante, je vous l’accorde : nous comptions alors 7,335 millions de cartes en surnombre, alors que nous en sommes aujourd’hui à 5 millions.
Une personne arrive donc sans documents fiables, obtient un jugement supplétif – l’autorité qui l’a émis ne se déjugera pas lorsque nous l’interrogerons – et peut ainsi entrer dans notre système, même si son identité n’est pas parfaitement établie.
Alors, oui à la biométrie, en urgence, notamment dans nos consulats ; oui, aussi, à un numéro de sécurité sociale européen, qui permettrait de régler un certain nombre de problèmes.
J’évoquerai pour finir les preuves de vie. Les groupements des retraites complémentaires, tels que l’Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) ou l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arcco), font appel à des entreprises privées et engagent des spécialistes pour contrôler à l’étranger les preuves de vie des bénéficiaires de retraites complémentaires.
Ainsi, l’année dernière, la société Excellcium, que nous avons auditionnée dans le cadre de notre mission d’information, a effectué 1 500 contrôles. Il est apparu que 15 % des dossiers contrôlés étaient ceux de personnes décédées. Sur la base de ce petit échantillon, je vous laisse imaginer ce que doit être ce taux à plus vaste échelle. Je tiens les coordonnées de cette société à votre disposition.
Toute la « bien-pensitude » du monde n’y changera rien, il faut en finir avec le déni. La mission que vous nous avez confiée, madame la secrétaire d’État, est un pas important dans la bonne direction. Il s’agit non pas d’opposer cette fraude à la fraude fiscale, cet autre combat devant également être mené, mais de lutter pour de justes prestations, sans amalgame et sans stigmatisation.
J’espère que ce texte, que je crois très utile, parviendra à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et Les Indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Nadine Grelet-Certenais. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen en commission a démontré non seulement que le dispositif proposé était faible, mais également que l’idée selon laquelle nous ferions face à une gabegie généralisée est un mythe.
Nous sommes ainsi passés d’une mesure d’ampleur visant à remplacer, pour l’ensemble des bénéficiaires de prestations d’assurance maladie, la carte Vitale actuelle par une carte Vitale biométrique à une expérimentation localisée.
Votre rapport est sans appel, madame la rapporteure, ce que masquent mal les circonvolutions de forme auxquelles vous vous livrez pour ne pas fermement rejeter cette proposition. Ainsi, vous écrivez très justement que « la fraude à la carte Vitale ne représente qu’un montant faiblement significatif ».
En effet, le rapport de la Caisse nationale d’assurance maladie pour l’année 2018 est tout à fait clair sur ce point : 261,2 millions d’euros de préjudices ont été détectés.
Les responsables de près des quatre cinquièmes de ce total sont les établissements et les professionnels de santé – transporteurs, fournisseurs, etc. –, le reste, soit un peu plus de 20 %, est donc imputable aux assurés eux-mêmes.
La fraude en obtention des droits, la seule que vise la présente proposition de loi, ne représente que 11 millions d’euros, un montant qui varie faiblement depuis trois ans et qui représente moins de 5 % du montant total des fraudes aux prestations d’assurance maladie détectées. Plus précisément, la part de la fraude en obtention des droits strictement liée à l’usurpation de la carte Vitale a donné lieu au recouvrement d’un million d’euros en 2018, c’est-à-dire 0,5 % de la fraude à l’assurance maladie.
Encore une fois, cette fraude n’est en rien comparable avec les fraudes aux cotisations sociales, dont le coût, selon une note confidentielle de l’Acoss, est estimé entre 6,8 et 8,4 milliards d’euros pour la seule année 2018.
On aimerait pouvoir bénéficier d’estimations aussi précises concernant la fraude fiscale, mais l’observatoire promis il y a plus d’un an par le Gouvernement peine toujours à voir le jour.
Qu’à cela ne tienne, Mmes Nathalie Goulet et Carole Grandjean, dans leur rapport dédié, placent également la focale sur la fraude sociale, notamment sur la fraude aux cartes Vitale, en expliquant sur les plateaux – sans chiffres à l’appui – que celle-ci est sous-estimée et représenterait des milliards d’euros. Elles laissent ainsi sous-entendre qu’une manne cachée par les organismes sociaux eux-mêmes serait prétendument à portée de main. Elles auraient pu éviter l’écueil de la fausse nouvelle…
En agitant à nouveau ce chiffon rouge, utilisé autrefois par les frontistes, puis par Nicolas Sarkozy en 2012, ce sont aujourd’hui les libéraux de tous bords qui tentent, une fois de plus, de surfer sur la vague de l’incurie de nos organismes de sécurité sociale.
Ces organismes, ainsi que l’Insee, ont d’ailleurs fortement réagi pour rétablir la vérité sur le nombre de cartes Vitale surnuméraires, lequel résulterait bien plus d’un défaut d’actualisation des données relatives à leurs bénéficiaires par les caisses d’assurance maladie que d’un trafic frauduleux. Ainsi, la cause principale de ce surnombre viendrait du simple usage et non d’une fraude organisée à grande échelle.
Rappelons que, lors du lancement de la carte en 1998, un changement de situation ou de région entraînait l’édition d’une nouvelle carte sans restitution obligatoire de l’ancienne. Cette situation provoqua la création de 10 millions de cartes surnuméraires. Ceci explique cela.
Dans un rapport publié en 2004, l’IGAS concluait déjà que les risques théoriques de fraude étaient élevés, mais que les risques réels étaient très limités. Un lent travail de désactivation des cartes Vitale en doublon a depuis lors été entrepris par les organismes compétents et des mesures antifraudes ont été mises en œuvre.
Au-delà de ces réticences, sur le fond, si nous devions prendre au sérieux la proposition initiale, la mise en place d’une carte Vitale biométrique aurait un coût prohibitif, évalué à près d’un milliard d’euros. Une telle disproportion nous invite, mes chers collègues, à envisager d’autres voies plus efficientes de modernisation de notre dispositif de lutte contre la fraude.
Même restreinte à une période et à un territoire donnés, comme le prévoit le texte tel qu’il résulte des travaux de la commission, la mise en place du dispositif proposé se heurte à un problème de coût.
Considérons ainsi simplement le recueil des empreintes digitales des personnes âgées ou à mobilité réduite : un agent devra-t-il se déplacer à leur domicile pour les relever ?
Autre problème d’ordre pratique : si seul le détenteur de la carte est en capacité de faire valoir ses droits, quid de la personne se rendant à la pharmacie pour le compte de ses parents ou de son conjoint, si ceux-ci sont en incapacité de se déplacer ? Quid de la situation de l’aidant ?
L’achat de nouveaux lecteurs de cartes Vitale biométriques pose également un problème financier et technique non négligeable.
Bien sûr, le développement de la biométrie constitue une opportunité pour les pouvoirs publics en termes de sécurisation de l’identité des individus et de rationalisation de l’action administrative. La biométrie permettrait même d’éviter d’éventuels drames lors d’une intervention chirurgicale, par exemple, pratiquée sur une personne différente du détenteur de la carte Vitale.
Cela étant, les données biométriques sont extrêmement sensibles, comme cela est indiqué dans le rapport. Le stockage centralisé des données biométriques collectées constituerait une base de données particulièrement exposée aux risques de cybercriminalité.
Je m’étonne, par ailleurs, que l’auteur du texte n’ait pas cru bon d’insérer le nécessaire avis de la CNIL sur le traitement prévu des données.
Ne nous laissons pas gagner par le « solutionnisme technologique » tous azimuts dénoncé par les spécialistes des questions sociales et numériques, comme Evgeny Morozov.
La CNIL nous invite à faire preuve de mesure en matière de manipulation des données biométriques. Son appel du 15 novembre sur les enjeux de la reconnaissance faciale doit nous faire prendre un peu de hauteur.
Revenons au texte lui-même. Je comprends bien qu’il faille sauver cette fausse bonne idée par le biais d’une expérimentation, mais il serait étrange de se lancer dans une telle aventure sur le fondement d’une suspicion de fraude massive, laquelle n’est même pas démontrée par les données présentées par les organismes compétents.
J’ai bien peur que nous parlions un peu dans le vide, mes chers collègues.
Quel est, d’ailleurs, l’avis des praticiens et des professionnels de santé, qui devraient, comme vous l’affirmez, être confrontés quotidiennement à cette problématique ? Avons-nous recueilli leur point de vue ou déclenché une enquête nationale sur cette question épineuse pour formuler une réponse législative adéquate ? Sont-ils d’accord avec le dispositif proposé et acceptent-ils d’endosser le rôle de contrôleur d’identité ?
On ne peut tout de même pas, sur le seul fondement d’une intuition, proposer une expérimentation afin de déterminer après coup son objectif réel, d’autant plus qu’une carte Vitale dématérialisée est actuellement testée dans les départements du Rhône et des Alpes-Maritimes, via une application pour smartphone appelée « apCV ». Un rapport d’évaluation devrait nous être transmis dans quelques mois, avant la généralisation de ce dispositif numérique, prévue pour 2021.
La multiplication d’expérimentations sur un même sujet ne me semble pas opportune.
Une carte Vitale sert d’abord à établir des droits, certes de façon sécurisée, non à permettre de vérifier l’identité du bénéficiaire, au nom d’une fraude fantasmée depuis tant d’années pour des raisons politiciennes.
J’aimerais que la même énergie soit déployée sur ces travées pour lutter contre la fraude sociale dans son ensemble, aux prestations, mais également aux cotisations, ainsi que contre la fraude fiscale, au lieu de pointer l’élément le plus infime, qui instille une suspicion malsaine.
L’emballement médiatique à la suite des annonces des auteurs du récent rapport parlementaire démontre bien l’appétence pour le sujet de certains entrepreneurs politiques, décidés à faire passer les étrangers résidents, car c’est bien eux qui sont visés par cette proposition de loi si on lève le voile un instant, pour des profiteurs et des destructeurs de la solidarité nationale.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe socialiste et républicain votera contre cette proposition de loi, malgré la tentative de sauvetage de Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mise en place d’une carte Vitale biométrique, sujet récurrent depuis quelques années, a principalement pour objectif de limiter deux types d’abus.
En premier lieu, un tel dispositif rendrait extrêmement difficile, voire impossible, la circulation de cartes frauduleuses. Comme le rappelaient les journalistes de Libération dans un article consacré au sujet en 2016, les 100 millions de cartes pointés du doigt par l’IGAS en 2004 étaient non pas des cartes frauduleuses, mais des cartes en surnombre.
Ce surplus de cartes Vitale résultait en effet d’un changement de régime ou de région des bénéficiaires, qui entraînait presque systématiquement la création d’une nouvelle carte, sans restitution de la précédente. Ces anciennes cartes existent toujours, mais sont devenues inactives. Par ailleurs, les contrôles effectués dans le système d’information bloquent les flux portés par les fausses cartes.
La lutte contre les cartes frauduleuses ne me semble donc pas être le cœur du problème.
En second lieu, l’objectif d’un tel dispositif est d’éviter que des personnes ne fassent usage d’une carte valide dont elles ne seraient pas titulaires.
Ce problème préoccupant demeure à ce jour sans réponse. Le remplacement des cartes actuelles par des cartes Vitale biométriques permettra-t-il de le résoudre ?
D’un point de vue théorique, je suis tenté de répondre par l’affirmative puisque falsifier des empreintes digitales est compliqué et nécessite une certaine technicité.
De plus, le système biométrique n’est pas nouveau : il existe déjà pour les cartes d’identité et les passeports. Néanmoins, c’est justement cette analogie qui suscite un certain nombre d’interrogations.
Chacun connaît les portiques Parafe de vérification des passeports biométriques utilisés dans les aéroports. Devrions-nous équiper l’ensemble des hôpitaux, des cliniques, des cabinets médicaux ou encore des cabinets de professions paramédicales de cette technologie ? Qui financerait alors le coût de l’installation et de la maintenance ?
On peut concevoir un tel investissement à l’échelle d’une grande structure, comme un hôpital, mais quid des professions libérales, comme les médecins ou les infirmiers ? Comment contrôler les patients qui ne peuvent se faire soigner qu’à domicile ?
Au-delà des infrastructures nécessaires, il faudrait également mobiliser du personnel pour contrôler l’utilisation des appareils de lecture par les usagers, afin d’éviter que la carte ne serve à un bénéficiaire autre que son titulaire.
Enfin, il faudra également renouveler intégralement l’ensemble des cartes Vitale actuellement en circulation.
La proposition de loi, dans sa rédaction initiale, posait donc des problèmes importants en termes de coûts de fabrication, d’achat de matériel et de mobilisation de personnel, qu’il paraissait extrêmement difficile d’évaluer avec précision.
Consciente de ces difficultés, la commission des affaires sociales a jugé utile de modifier le texte initial et de proposer une expérimentation sur une période limitée à douze mois et à un certain nombre d’organismes gestionnaires de l’assurance maladie.
S’il paraissait hautement périlleux de s’engager à mettre en œuvre ce dispositif à grande échelle sans avoir au préalable une idée de son coût réel, une expérimentation limitée dans le temps et à un certain nombre de bénéficiaires me semble en revanche être une manière efficace d’en mesurer les effets.
Il nous appartiendra, dans un second temps, d’évaluer cette expérimentation pour décider de l’intérêt de sa généralisation, qui serait probablement progressive.
En somme, les membres du groupe RDSE ne sont pas opposés au texte proposé par la commission des affaires sociales et voteront majoritairement en faveur de son adoption.
Je tiens cependant à souligner que nous ne devons pas perdre de vue que notre objectif ultime doit être de mieux lutter contre toutes les fraudes et non pas seulement contre certaines d’entre elles. Il est également indispensable de se saisir du problème de la fraude fiscale, dont le coût est estimé entre 60 et 100 milliards d’euros par an, et sur laquelle nous attendons les résultats du rapport de la Cour des comptes commandé par le Premier ministre en début d’année.
La lutte contre les fraudes de toutes natures doit constituer une priorité, car elles pèsent lourdement sur les finances publiques et représentent, très probablement, un manque à gagner de plus de 100 milliards d’euros pour l’État, pour les collectivités locales et donc pour l’ensemble des citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
5
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer la présence, dans la tribune d’honneur, d’une délégation de sénateurs du Cambodge, conduite par M. Mom Chim Huy, président de la commission de la culture et président du groupe d’amitié. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la secrétaire d’État se lèvent.)
La délégation est accompagnée par notre collègue Catherine Procaccia, membre du groupe d’amitié France-Cambodge, qui a accueilli hier la délégation dans son département du Val-de-Marne.
Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt que la délégation porte à notre institution, dans le cadre des relations anciennes et fructueuses entre nos deux assemblées et en tant que partenaires au sein de la Francophonie.
Mes chers collègues, en votre nom à tous et au nom du Sénat, permettez-moi de souhaiter à nos homologues du Sénat cambodgien la plus cordiale bienvenue, ainsi qu’un excellent et fructueux séjour. (Applaudissements.)
6
Carte Vitale biométrique
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi tendant à instituer une carte Vitale biométrique.
Discussion générale (suite)
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le rapport de Mmes Nathalie Goulet et Carole Grandjean, remis au Premier ministre, fait état de 5,3 millions de cartes Vitale surnuméraires environ en 2019. Bien qu’on peine à comptabiliser les fraudeurs à la carte Vitale, leur existence, indéniable, constitue une atteinte à l’équilibre de notre pacte républicain.
Voilà qui aurait pu conforter la proposition de loi déposée par notre collègue Philippe Mouiller tendant à instituer une carte Vitale biométrique, afin de lutter contre l’utilisation de vraies cartes Vitale par des personnes qui n’en sont pas titulaires.
Toutefois, après avoir examiné le rapport de Mme Deroche et constaté les multiples interrogations soulevées par ce texte, la commission l’a remanié en profondeur. On nous propose désormais une expérimentation d’un an de la carte Vitale biométrique, à charge pour le Gouvernement de désigner les organismes d’assurance maladie responsables de l’expérimentation. La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.
En pratique, la carte Vitale biométrique serait délivrée après vérification de l’identité du titulaire et de la validité de sa carte d’assurance maladie ; les empreintes digitales seraient stockées sur une puce. Les professionnels de santé seraient chargés de vérifier l’identité du détenteur de cette nouvelle carte. La mise en place du dispositif s’accompagnerait d’un traitement de données spécifique, intégrant notamment l’image numérisée des empreintes digitales.
Reste, mes chers collègues, que cette proposition de loi soulève plusieurs interrogations.
D’abord, une expérimentation de la e-carte Vitale est en cours depuis mai dernier, et une généralisation de la version dématérialisée de la carte Vitale sur smartphone est prévue à partir de 2021. Cette carte rejoindra ainsi la technologie de la carte européenne d’assurance maladie, déjà dématérialisée. Preuve que les systèmes biométriques commencent à être dépassés.
Actuellement expérimentée par deux caisses primaires d’assurance maladie et deux caisses de mutualité sociale agricole, la e-carte Vitale a été présentée par la CNAM et le GIE Sesam-Vitale comme une bonne solution, à double titre : elle assure l’actualisation des droits en donnant la possibilité aux professionnels de santé de vérifier les droits du bénéficiaire en temps réel, via un service de consultation des droits interrégimes intégré au logiciel de gestion administrative des patients ; elle garantit que le titulaire de la carte en est bien le détenteur, grâce à une identification biométrique réalisée préalablement, au moment de l’enrôlement.
Mes chers collègues, le décret de mise en application de l’expérimentation de l’e-carte d’assurance maladie, publié au Journal officiel le 27 mai dernier, prévoit qu’un rapport d’évaluation sera rendu au plus tard deux mois avant le terme de l’expérimentation, c’est-à-dire en mars prochain. Dès lors, quel serait l’intérêt de voter aujourd’hui une expérimentation de la carte biométrique ?
Outre que le rapport sur l’e-carte Vitale sera rendu dans quatre mois, l’expérimentation de la carte biométrique soulèverait de nombreuses difficultés : l’intégration d’un élément biométrique à un dispositif existant doit tenir compte du RGPD et de la doctrine élaborée par la CNIL ; le système proposé exposerait les données biométriques des Français aux hackers ; le coût de la nouvelle carte serait exorbitant ; enfin, les professionnels de santé n’adhèrent pas au projet.
S’agissant, premièrement, de la protection de la vie privée et des données personnelles, le RGPD étant d’application directe et s’imposant à la loi, une disposition prévoyant l’obligation d’effectuer une analyse d’impact préalablement à la mise en œuvre d’un traitement de données pose un problème de conformité.
En ce qui concerne la CNIL, bien que le système d’informations que supposerait le traitement des données biométriques soit motivé par une mission d’intérêt public, il soulèverait des interrogations en matière de proportionnalité de l’outil retenu, ainsi que de sécurité.
Le traitement de données sensibles peut être envisagé lorsqu’il sert un objectif d’intérêt public, si et seulement si l’insuffisance manifeste des traitements existants est démontrée. Compte tenu de l’expérimentation en cours de l’e-carte Vitale et de ses effets en matière de lutte contre la fraude, l’objectif visé par la création d’une carte Vitale biométrique serait considéré comme satisfait par les traitements de données existants.
Deuxièmement, la proposition de loi prévoit le stockage centralisé des données biométriques collectées. Cette base de données serait particulièrement exposée aux risques de cybercriminalité. Nul besoin d’être Besson ou Spielberg pour imaginer des scénarios catastrophes… De surcroît, le risque est amplifié par l’exigence d’une durée de conservation de dix ans prévue dans le texte, alors que la CNIL estime la durée de conservation de trois mois suffisante.
Troisièmement, les coûts financiers et les délais de mise en œuvre du dispositif proposé ne seraient pas soutenables.
La CNAM a chiffré pour Mme la rapporteure le coût de la mesure : renouveler le stock de cartes dans son intégralité supposerait de produire 3,6 millions de cartes par an pendant vingt ans et d’embaucher massivement des agents affectés à la collecte des données biométriques, pour un coût en personnel estimé à 400 millions d’euros ; le coût de production de la carte passerait de 4,40 à 15 euros avec l’introduction d’une donnée biométrique, pour une masse financière de 900 millions d’euros ; enfin, le coût de l’équipement de l’ensemble des professionnels de santé est estimé à 60 millions d’euros – sans compter le développement nécessaire de logiciels adaptés par tous les éditeurs de cartes Vitale. Au total, 1,36 milliard d’euros : est-ce bien raisonnable ?
Quatrièmement, l’adhésion des professionnels de santé, indispensable, est loin d’être acquise et particulièrement difficile à obtenir pour un contrôle qui ne relève pas de leur exercice professionnel.
Mes chers collègues, résumons-nous : une expérimentation est déjà en cours ; la mesure aurait un coût exorbitant et insoutenable ; les données biométriques des Français seraient exposées aux hackers ; les professionnels de santé n’adhèrent pas au système envisagé. Autant de raisons pour lesquelles le groupe La République En Marche votera contre la proposition de loi.
Oui, la lutte contre la fraude est indispensable ; mais l’avenir, c’est l’e-carte Vitale ! (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi la proposition de loi visant à instituer une carte Vitale biométrique, déposée par nos collègues Philippe Mouiller, Bruno Retailleau et Alain Milon et cosignée par l’ensemble des membres du groupe Les Républicains.
Qu’est-ce que la biométrie ? La science de l’analyse des caractéristiques physiques et comportementales propres à chaque individu. La biométrie permet d’identifier et d’authentifier une personne sur la base d’un ensemble de données reconnaissables, vérifiables, uniques et spécifiques.
Plus précisément, l’identification biométrique consiste à déterminer l’identité d’une personne, donc de répondre à la question : qui est-elle ? Quant à l’authentification biométrique, c’est le processus consistant à comparer les données des caractéristiques de la personne au modèle biométrique de celle-ci pour déterminer la ressemblance, donc répondre à la question : cette personne est-elle celle qu’elle prétend être ? Cette proposition de loi s’inscrit par conséquent dans une logique d’authentification de l’individu.
La volonté d’accroître le contrôle des identités fait suite au constat édifiant d’une explosion de la fraude à la sécurité sociale ces dernières années. Ce phénomène est à mettre en parallèle, il est vrai, avec l’augmentation d’autres formes de fraude : fraudes à l’état civil, à la résidence, fraudes fiscales, fraudes au logement, à la dissimulation d’activités, au revenu de solidarité active, entre autres.
Le champ des fraudes est large : il englobe le domaine fiscal, le travail dissimulé et le volet social. Tout cela contribue à l’érosion du lien de confiance entre le citoyen et l’État. De fait, une partie de la société a aujourd’hui le sentiment que les fraudeurs évoluent dans un système où l’impunité règne en maître. Ainsi, un individu a été relaxé alors qu’il avait touché indûment plus de 32 000 euros d’allocations en deux ans et demi en se prétendant d’une autre nationalité que la sienne, le tribunal de Strasbourg ayant estimé que l’administration savait qu’une incertitude entourait son identité… Ce type de situations accentue la défiance des bons élèves à l’égard de notre système de solidarité.
Pour en revenir au cas particulier de la fraude à la sécurité sociale, on estime à 261 millions d’euros les préjudices détectés et stoppés pour la seule année 2018. À titre de comparaison, ces préjudices s’élevaient à 120 millions d’euros en 2011.
Face à ce constat et devant ce coût élevé, et parce que chaque euro fraudé est un euro d’argent public non perçu par l’assurance maladie, la Caisse nationale d’assurance maladie a renforcé la mobilisation de ses agents pour lutter contre cette tendance forte. Toutefois, les failles de notre système sont immenses. Malgré tous ces efforts, la fraude à l’assurance maladie perdurera tant que l’authentification ne sera pas sécurisée.
Tel est l’objet du texte soumis à notre examen : recourir à la biométrie pour améliorer l’authentification des individus dans le cadre du remboursement des frais de santé.
La mise en place d’une carte Vitale biométrique pose nécessairement certaines questions, notamment sur le plan pratique. Ainsi, les pharmaciens d’officine n’ont pas toujours les patients devant eux au moment où ils délivrent les médicaments. Ce cas particulier résume à lui seul les difficultés auxquelles pourraient être confrontés certains professionnels de santé en cas de mise en place de ce dispositif.
L’expérimentation proposée par la rapporteure, Catherine Deroche, doit permettre de répondre à ces interrogations.
En dehors des passeports biométriques, nous n’en sommes qu’aux prémices de l’utilisation de la biométrie dans notre société. C’est un processus qui demandera du temps et de la pédagogie pour être accepté par l’ensemble de nos concitoyens.
Cette proposition de loi a le mérite d’ouvrir le débat sur une évolution nécessaire de la carte Vitale, un outil qui fut, à sa mise en place, un premier progrès. Quoi qu’il arrive, la majorité sénatoriale aura fait preuve, une fois de plus, de responsabilité, en mettant à l’ordre du jour cette thématique essentielle à la défense du juste droit.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains soutiendra la proposition d’expérimentation défendue par notre rapporteure, en votant la proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. André Reichardt. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, qu’il se livre à une fraude sociale ou fiscale, le fraudeur agit contre l’intérêt général et rompt notre pacte social. Il convient d’agir sans délai à son encontre et de mieux protéger notre système contre les fraudeurs.
La présente proposition de loi vise à compléter le dispositif de lutte contre la fraude sociale en mettant en œuvre un nouvel outil : la carte Vitale biométrique. Elle s’inscrit dans la tradition des travaux de la commission des affaires sociales, qui s’est toujours fortement impliquée en matière de lutte contre la fraude, aux cotisations comme aux prestations, en prenant soin de ne pas alimenter des fantasmes dommageables à la qualité du débat public.
Au reste, j’ai récemment publié un rapport sur la fraude documentaire des personnes nées à l’étranger, c’est-à-dire la fraude aux documents utilisés pour obtenir une immatriculation à la sécurité sociale, dont le préjudice financier est évalué à 140 millions d’euros, et non à 14 milliards d’euros, comme d’aucuns l’ont prétendu. J’ai formulé un certain nombre de préconisations, approuvées par la commission, visant à renforcer la lutte contre cette fraude spécifique.
La carte Vitale est un sujet complexe techniquement, comme les orateurs précédents l’ont signalé, et difficilement chiffrable. Les travaux de Nathalie Goulet et Carole Grandjean ont mis en lumière que le nombre de cartes Vitale en activité excède de plusieurs millions celui des bénéficiaires couverts par les caisses de sécurité sociale.
La proposition de loi dont nous débattons tend à apporter une réponse intéressante en matière de lutte contre la fraude aux prestations d’assurance maladie.
Le rapport soulève plusieurs difficultés, notamment le coût de la mise en place de cette carte, et souligne la nécessité de prendre en compte un chantier dont le déploiement a été lancé en mai dernier : celui de la carte Vitale dématérialisée, dite e-carte, qui paraît prometteuse.
C’est pourquoi la rapporteure a proposé d’instaurer un délai d’expérimentation d’un an qui nous permettra de procéder à des évaluations, d’identifier les éventuelles difficultés techniques et juridiques et de confronter le dispositif envisagé avec l’e-carte, avant une possible généralisation.
Madame la secrétaire d’État, il me paraît urgent d’agir. Face au développement des nouvelles technologies liées au numérique et aux méthodes de plus en plus sophistiquées des fraudeurs, cette proposition de loi, que le groupe Union Centriste votera dans le texte de la commission, marque un pas supplémentaire dans la lutte contre la fraude sociale que nous appelons de nos vœux ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bernard Bonne. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une carte Vitale biométrique pour lutter contre les fraudes à la sécurité sociale : l’idée ne date pas d’aujourd’hui. Nicolas Sarkozy, alors candidat, l’avait soutenue en 2012 ; puis, dès 2015, certains de nos collègues avaient déposé une proposition de loi visant à améliorer l’accès aux droits et à lutter contre la fraude sociale, dont l’article 12 prévoyait la mise en œuvre d’une telle carte.
Le texte que nous examinons cet après-midi tend à sécuriser le dispositif de remboursement des soins, souvent soupçonné d’être massivement utilisé à des fins frauduleuses.
On peut considérer qu’il y a fraude à l’assurance maladie de la part des assurés dès lors qu’il y a, chez le fraudeur, conscience de percevoir des indemnités injustement versées. Les sanctions encourues sont lourdes : le code de la sécurité sociale prévoit une amende pouvant atteindre 5 000 euros.
Si la circulation de fausses cartes Vitale relève davantage du mythe, l’utilisation de cartes Vitale par des personnes qui n’en sont pas les titulaires apparaît, en revanche, comme une évidence, de même que l’utilisation de leur carte Vitale par des personnes ne résidant plus en France. Il n’est pas aisé de chiffrer ces fraudes potentielles, comme l’ont souligné notre collègue Nathalie Goulet et la députée Carole Grandjean lors de la présentation du pré-rapport de leur mission sur la lutte contre la fraude sociale.
Je rappelle que, pour bénéficier des prestations sociales, il faut répondre à des conditions d’existence, de résidence et de ressources. La CNAM mène chaque année des campagnes de contrôle de la situation des assurés sur la résidence desquels elle ne dispose pas d’informations récentes ; entre janvier 2018 et mars 2019, elle a ainsi procédé à la fermeture des droits de 130 000 personnes.
Face à un préjudice lié à la fraude qui se situerait aux environs de 120 millions d’euros, nos deux collègues parlementaires ont présenté un certain nombre de propositions, notamment la limitation à deux ans de la durée de validité des cartes Vitale, avec reconduction sous conditions.
La proposition de loi soumise à notre examen va plus loin encore : il s’agit de remplacer la carte Vitale actuelle par une carte d’assurance maladie électronique et biométrique. En d’autres termes, on inclurait dans la puce les données biométriques du patient, comme ses empreintes digitales. Cet enregistrement serait accompagné des informations relatives à l’identité, au sexe, à la taille et à la couleur des yeux du titulaire, ainsi que de sa photographie.
Ce dispositif nécessitera la mise en œuvre d’un traitement des données à caractère personnel, et seuls les agents habilités des organismes de sécurité sociale pourront accéder à ces informations, conservées pour une durée maximale de dix ans.
Reste que la mise en place d’une telle carte biométrique pose un certain nombre de difficultés pratiques.
D’abord, le recueil des empreintes risque d’être coûteux pour les organismes sociaux et l’État. Certes, le texte prévoit d’y remédier par une taxe additionnelle sur le tabac ; mais il y a fort à parier que le relevé des empreintes sera assuré pour partie par les collectivités territoriales, avec des conséquences financières pour elles.
Ensuite, l’expérimentation en cours de la carte Vitale dématérialisée via le téléphone mobile, la e-carte, qui fait aussi intervenir des éléments biométriques, mais seulement sur la base du volontariat, doit être poursuivie, afin de mesurer l’adhésion de la population à un tel dispositif.
Enfin et surtout, inscrire des données biométriques sur la carte Vitale n’aura d’intérêt que si elles sont vérifiées au moment de l’utilisation de celle-ci, pour éviter toute usurpation d’identité. Or si l’on peut imaginer des lecteurs d’empreintes digitales dans les hôpitaux, cette solution semble difficilement applicable dans les cabinets de médecins de ville, surtout en milieu rural. Les médecins pourraient refuser de jouer les contrôleurs, le contrôle des droits des usagers n’ayant pas vocation à entrer dans les missions des personnels de santé, déjà surchargés de démarches administratives.
Il est vrai aussi que, si la carte Vitale donne un jour accès au dossier médical personnalisé du patient, la recherche de moyens utiles à la vérification de l’identité de ce dernier est primordiale.
C’est la raison pour laquelle l’amendement adopté par la commission sur l’initiative de la rapporteure, visant à expérimenter le nouveau dispositif sur un territoire donné, va dans le bon sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons certainement tous à l’esprit des exemples d’utilisation frauduleuse de cartes Vitale racontés par des personnels soignants de notre connaissance. La fraude plus fréquente et assurément la plus visible depuis qu’une photo figure sur cette carte concerne les personnes soignées qui ne sont pas réellement les titulaires de la carte Vitale présentée.
L’objectif de ce nouvel outil, la carte Vitale biométrique, est donc louable. Il s’agit de remédier à ces abus avec un dispositif plus sécurisé intégrant des données d’identification supplémentaires à celles qui existent, plus précisément les empreintes digitales et certaines données morphologiques : couleur des yeux, taille et sexe.
Ce dispositif m’inspire, à titre personnel, quelques inquiétudes et quelques questionnements.
D’une part, la mise en œuvre de la carte Vitale biométrique ne répondra naturellement qu’à une petite partie de la fraude actuellement constatée : la fraude ayant trait à l’identité du patient. Or ce type de fraude, d’après le récent rapport de Nathalie Goulet et Carole Grandjean, ne représente qu’une partie infime des fraudes à la sécurité sociale.
D’autre part, la généralisation d’un tel outil biométrique représentera indubitablement un coût important. Il convient de s’interroger sur le rapport entre ses bénéfices et son coût, au regard notamment du ré-enrôlement de l’ensemble des bénéficiaires qu’il impliquerait. La commission y a réfléchi et nous fait une proposition.
Enfin, la mise en place de cet outil ne saurait être efficace que si le contrôle de l’identité se fait réellement. Concrètement, y aura-t-il des scanners d’empreintes digitales chez les médecins, dans les hôpitaux, les pharmacies et les autres lieux d’utilisation de la carte Vitale ? Alors que l’adhésion du personnel médical est indispensable pour rendre efficace ce nouvel outil, les médecins, nous le savons, préfèrent soigner plutôt que de procéder à des vérifications d’identité.
Serait-ce aux caisses seules qu’il reviendrait de contrôler la fraude ? Ce type de contrôle ne pourrait être que partiel, les caisses n’étant pas en contact physique avec les patients. Si donc les personnels de santé considèrent qu’il n’est pas de leur ressort de vérifier l’identité d’un patient, ne conviendrait-il pas d’aller plus loin en créant un document unique, une forme de « super carte d’identité », incluant les informations de la carte d’identité et de la carte Vitale, bref, du deux en un ?
Attentatoire au principe de solidarité qui fonde notre système de protection sociale depuis l’après-guerre, la fraude sociale doit naturellement être combattue. Par ailleurs, dans le contexte économique et social difficile que nous connaissons depuis plusieurs années, nous avons l’obligation de nous atteler à éliminer toutes les formes de fraude qui réduisent nos capacités budgétaires.
Toujours est-il que le rapport Goulet-Grandjean décrit une fraude désormais variée, généralisée, parfois organisée. À cet égard, si la prévention reste l’une des meilleures armes pour lutter contre la fraude, les fraudeurs sont de plus en plus inventifs et ne cessent de repousser les limites de leurs pratiques. Dans ce contexte, jusqu’où les informations d’authentification devront-elles aller pour éliminer toute fraude ?
Pour qu’elle soit toujours plus sécurisée, mes chers collègues, faudra-t-il un jour adjoindre à la carte Vitale des informations relatives à la reconnaissance faciale, à la voix et à l’ADN, voire aux caractéristiques comportementales, puisqu’il semblerait que nos attitudes aussi composent pour chacun d’entre nous une signature unique ?
Pour l’heure, je suis bien entendu favorable à cette proposition de loi, que j’ai cosignée. Je souhaite vivement, madame la secrétaire d’État, si tant est que vous changiez d’avis, que le décret retienne l’Alsace comme terre d’expérimentation, en raison à la fois de son caractère frontalier, qui favorise une fraude transfrontalière forte, dont le rapport Goulet-Grandjean fait état, et du fait qu’elle accueille nombre de migrants en provenance de tous les pays d’Europe et que nous renvoient gentiment nos amis d’outre-Rhin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à instituer une carte vitale biométrique
Article 1er
I. – À titre expérimental, pour une durée de douze mois, des organismes gestionnaires de l’assurance maladie désignés par décret délivrent aux personnes qui leur sont rattachées la carte électronique individuelle inter-régimes mentionnée à l’article L. 161-31 du code de la sécurité sociale, à laquelle est intégrée l’image numérisée des empreintes digitales du titulaire. Sous cette forme, la carte électronique individuelle inter-régimes est appelée « carte Vitale biométrique ».
Cette « carte Vitale biométrique » est délivrée gratuitement.
II. – Les organismes gestionnaires de l’assurance maladie obligatoire mentionnés au premier alinéa du I du présent article et le groupement mentionné à l’article L. 115-5 du code de la sécurité sociale expérimentent l’utilisation de la « carte Vitale biométrique » par les assurés et les professionnels de santé et la mise à disposition de services équivalents à ceux de la carte électronique individuelle inter-régimes mentionnée à l’article L. 161-31 du même code. Ils assurent le pilotage, le suivi et l’évaluation de cette expérimentation.
III. – Les organismes gestionnaires de l’assurance maladie obligatoire participant à l’expérimentation délivrent une « carte Vitale biométrique » aux personnes qui leur sont rattachées. Ils s’assurent préalablement de leur identité et de ce qu’elles sont titulaires d’une carte d’assurance maladie valide.
L’assuré participant à l’expérimentation donne son accord pour la consultation des données issues des procédures de remboursement ou de prise en charge qui sont détenues par l’organisme gestionnaire de l’assurance maladie obligatoire dont il relève, prévue à l’article L. 162-4-3 du code de la sécurité sociale, en permettant au médecin d’utiliser, à cet effet, sa « carte Vitale biométrique ».
Les assurés et les professionnels de santé participant à l’expérimentation prévue au présent article sont informés des modalités de l’expérimentation ainsi que de l’existence et de la mise en œuvre d’un traitement de données à caractère personnel les concernant, de ses finalités, de l’identité du responsable, des destinataires des données et des modalités d’exercice des droits d’accès et de rectification prévus par les articles 39 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés par la diffusion d’une notice mise à leur disposition au démarrage de celle-ci.
IV. – Le titulaire de la « carte Vitale biométrique » signale la perte ou le vol selon la procédure indiquée par l’organisme auquel il est rattaché. Les organismes gestionnaires de l’assurance maladie obligatoire participant à l’expérimentation signalent au groupement mentionné à l’article L. 115-5 du code de la sécurité sociale les « cartes Vitale biométriques » perdues ou volées pour leur inscription sur une liste d’opposition dédiée.
Les professionnels de santé procédant à la facturation d’actes ou de prestations remboursables par l’assurance maladie sont informés de l’inscription d’une « carte Vitale biométrique » sur une liste d’opposition préalablement à la facturation.
V. – La fin du bénéfice des droits aux prestations d’assurance maladie mentionnée à l’article L. 161-15-4 du code de la sécurité sociale entraîne l’impossibilité d’utiliser la « carte Vitale biométrique » pour la facturation d’actes ou de prestations remboursables par l’assurance maladie.
VI. – Au plus tard deux mois avant le terme de l’expérimentation, les organismes gestionnaires de l’assurance maladie obligatoire mentionnés au présent article et le groupement mentionné à l’article L. 115-5 du code de la sécurité sociale adressent au ministre chargé de la sécurité sociale un rapport d’évaluation de la « carte Vitale biométrique », qui fait notamment état de l’évolution des chiffres de la fraude en obtention des droits.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, sur l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Longeot. La fraude aux prestations sociales, voilà un thème qui oscille entre totem et tabou…
Totem, car la question symbolise le manichéisme malsain de ceux qui opposent la France du travail à une prétendue France des assistés, sans considérer les chiffres du non-recours, qui infirment une telle présentation simplificatrice.
Tabou, car la question dévoile aussi les limites d’un système administratif kafkaïen et l’existence de réseaux organisés qui pillent notre système, mal organisé et dont le fonctionnement en silo les laisse opérer sans aucune inquiétude.
Le Gouvernement a le mérite de se pencher sur cette problématique, qui constitue une entorse à notre contrat social.
Il a ainsi confié une mission à notre collègue Nathalie Goulet et à la députée Carole Grandjean, dont les travaux soulignent notamment l’existence de près de 5 millions de cartes Vitale en surnombre, résultat de doublons administratifs et de cartes désactivées. Si ce problème avait déjà été soulevé en 2013, l’impossibilité de chiffrer les fraudes et d’éclaircir les conditions de maintenance et les contenus des fichiers laisse aux travaux de nos collègues parlementaires un goût d’inachevé.
Il est donc désormais nécessaire d’identifier les doublons, de chiffrer le montant de la fraude et de répondre à ce défi, afin de ne pas le laisser aux mains des rhinocéros au cuir épais, à la vue basse et toujours prêts à charger, pour reprendre la juste image de Claude Malhuret.
Je salue par conséquent le dispositif proposé, qui va dans le sens d’une lutte plus efficace contre les fraudes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Il s’agit de réduire un phénomène de fraude sociale qui présente une particulière importance. De fait, la fraude documentaire est une réelle question, qui n’a pas toujours été traitée à la mesure de son importance.
La possibilité de sécuriser l’attribution aux bénéficiaires de l’assurance maladie d’une carte Vitale biométrique constitue, à l’évidence, un moyen sérieux de lutter contre cette fraude, qui représente une part importante de la fraude aux prestations d’assurance maladie.
Dans la mesure où le préjudice financier est tout à fait important, même si un chiffrage exhaustif n’a pas pu être donné, il n’y a aucune véritable raison de rejeter toute tentative, y compris fondée sur la biométrie, de réduire la fraude. Toute fraude doit, par nature, être combattue, quelle qu’en soit la raison, car elle affaiblit le pacte social en détournant une partie de l’argent des cotisants de sa finalité.
J’ai entendu évoquer une stigmatisation ; mais ce qui est stigmatisant, c’est de ne pas garantir aux assurés sociaux qui cotisent que leur contribution participe aux prestations sociales à leur juste coût.
Le travail récent de Nathalie Goulet et Carole Grandjean a mis en lumière un nombre de cartes Vitale en activité qui excède de beaucoup – les estimations oscillent entre 2 et 5 millions – celui des bénéficiaires couverts par les caisses de sécurité sociale. Par ailleurs, un rapport de l’IGAS a clairement établi que la détention de plusieurs cartes Vitale encore valides permet sans difficulté à un nombre important de personnes de bénéficier indûment de prestations avec un autre nom.
Or nous ne disposons pas actuellement des moyens efficaces pour assurer le contrôle des droits. Il n’y a donc pas de totem technologique, comme il a été affirmé. Simplement, l’outil numérique peut constituer un moyen plus efficace pour garantir le versement des prestations à bon droit.
Dès lors, la mise en place d’un dispositif assurant par lui-même l’identification stricte du bénéficiaire et du détenteur de la carte Vitale paraît opportune. Contrairement à ce que j’ai entendu, je ne vois pas pourquoi l’existence d’autres types de fraude, fiscale ou sociale, devrait nous empêcher de traiter cette question, qui n’est pas seulement symbolique.
De même, je suis surpris d’entendre que l’on devrait renoncer à la présente proposition de loi au motif que la question aurait déjà été soulevée par tel candidat ou telle formation politique. Je ne vois pas en quoi cela la rendrait illégitime.
Quant au fait qu’il y aurait d’autres formes de fraudes, notamment fiscales, je ne vois pas non plus en quoi cela rendrait le texte que nous examinons inopportun.
Tous ces arguments n’en sont pas. Ils me paraissent dilatoires, et sont avancés pour des raisons purement idéologiques.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa du I de l’article L. 161-31 du code de la sécurité sociale, les mots : « qui comporte une photographie de celui-ci » sont supprimés.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Le présent amendement pourra paraître surprenant, car le code de la sécurité sociale prévoit que la carte Vitale comporte une photographie.
Or beaucoup de nos concitoyens ne disposent pas encore de carte avec photo, mais surtout, des auditions que Carole Grandjean et moi-même avons menées dans le cadre de la mission d’information qui nous a été confiée, il ressort que s’il s’agit bien d’un élément de personnalisation de la carte, la photo ne dissuade en aucune façon de la fraude.
En effet, les professionnels de santé ne sont pas là pour faire du contrôle. Les représentants de l’ordre des infirmiers que nous avons reçus nous ont d’ailleurs expliqué que lorsqu’ils constataient une différence entre le porteur de la carte et la photo, ils ne souhaitaient pas s’opposer pas au patient pour éviter d’éventuelles violences.
Cette photo sur la carte Vitale ne sert pas à grand-chose, et en tout cas, elle ne sert pas à juguler la fraude.
En revanche, sa présence allonge le processus de préparation et de fabrication et augmente le coût de la carte.
J’ai bien conscience qu’il s’agit d’un amendement d’appel qui pourra sembler peu intéressant au regard de la carte biométrique qu’on nous propose aujourd’hui, puisqu’il ne s’agit plus de faire évoluer la carte Vitale – c’est d’ailleurs un élément de débat –, mais je tenais à vous faire part de nos observations, mes chers collègues.
La photo ne correspond plus aux critères de la carte Vitale. Sa suppression permettrait un renouvellement plus rapide et ferait gagner de l’argent à l’assurance maladie.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, rapporteure. J’entends l’argument avancé par Nathalie Goulet selon lequel certains professionnels de santé ne regarderaient plus les photographies sur les cartes Vitale qui leur sont présentées. Toutefois, des membres de la commission des affaires sociales qui sont eux-mêmes professionnels de santé ne partagent pas cet avis.
De plus, il nous semble compliqué, au moment où nous instituons une carte Vitale biométrique avec une sécurisation des données de façon à permettre le rapprochement entre la personne titulaire de la carte et celle qui se présente devant le professionnel de santé, d’envoyer un message contradictoire en supprimant la photo.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, tout d’abord, je tiens à vous remercier de votre engagement et du travail que vous avez mené et que vous continuez d’accomplir sur le sujet de la lutte contre la fraude. Vous avez d’ailleurs déposé des amendements similaires au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Nous aurons donc l’occasion d’en rediscuter.
Il ne paraît pas pertinent de supprimer la photo sur la carte Vitale. Les chiffres dont nous disposons prouvent que les cartes Vitale sont renouvelées au fil de l’eau et qu’il ne reste plus beaucoup de cartes sans photo.
Nous veillons à ce que cette photo soit présente, car bien qu’elle ne soit pas systématiquement consultée par les professionnels, elle constitue tout de même un élément de contrôle.
Par ailleurs, dans l’objet de votre amendement, il est indiqué que ce dispositif alourdit le mécanisme et les délais de fabrication. Or je peux vous assurer que ce mécanisme de production des cartes avec photo est maintenant éprouvé et fonctionne bien.
J’émets par conséquent un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Vous comprendrez que je sois assez soucieuse de vous faire partager les conclusions du travail que nous avons accompli.
Par ailleurs, permettez-moi d’indiquer qu’il sera difficile, pour les publics fragiles qui ne sont pas forcément dotés de smartphones, de manipuler la carte dématérialisée. La dématérialisation oui, mais sûrement pas partout !
Cela étant, je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 2 est retiré.
L’amendement n° 4, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du deuxième alinéa du I de l’article L. 161-31 du code de la sécurité sociale, les mots : « tout au long de la vie » sont remplacés par les mots : « durant la durée des droits ».
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Le code de la sécurité sociale prévoit que la carte Vitale est accordée à vie. Les droits du porteur doivent pourtant être conditionnés à son maintien sur le territoire.
Or la caisse d’assurance maladie n’est pas systématiquement informée de la durée du séjour des personnes qui ont une carte Vitale. Par exemple, un étudiant Erasmus qui vient en France pour une durée d’un an se voit délivrer une carte Vitale sur laquelle ne figure aucun délai. Il en va de même pour les personnes qui viennent travailler sur le territoire national. Les cartes Vitale de ces personnes ne sont désactivées que si ces dernières déclarent qu’elles quittent le territoire.
J’ai bien conscience du nombre de cartes qui ont déjà été désactivées. Il me semble toutefois nécessaire de faire coïncider la validité de la carte avec la validité des droits de son porteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, rapporteure. La commission a jugé judicieux de permettre la fin de l’attribution de la carte Vitale pour toute personne en extinction de droits. Ne sont visées que les personnes qui ne sont plus présentes sur le territoire, et non les personnes qui changent de régime ou qui sont simplement en déplacement.
La commission émet un avis favorable sur cet amendement.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. L’article L. 161-31 du code de la sécurité sociale conditionne déjà la validité de la carte Vitale au droit de bénéficier de prestations au titre d’un régime d’assurance maladie et aux mises à jour concernant un changement de régime ou des conditions de prise en charge.
La solution proposée conduirait à produire davantage de cartes, accroissant le coût et les difficultés de gestion tant pour les assurés que pour les professionnels de santé qui en ont besoin pour facturer les soins.
Concernant l’expérimentation de la dématérialisation de la carte Vitale sur mobile, celle-ci permettra de mettre à jour les droits en temps réel sans attendre le passage par un terminal, chez soi ou chez un professionnel de santé. C’est tout l’enjeu de l’expérimentation.
Vous avez soulevé la question de l’accès de cette carte sur un smartphone. Sachez que l’expérimentation en cours permet une double lecture, sur smartphone et avec la carte « physique » pour les personnes qui ne sont pas dotées d’un tel appareil.
J’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Les changements d’état tels que le changement de domicile ou le départ du territoire sont purement déclaratifs. Chacun préfère déclarer avoir 45 ans plutôt que 55 ans ! De telles données n’étant pas fiables, il faut absolument lier les droits du porteur avec ceux de la carte.
Je maintiens donc mon amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. L’adoption du présent amendement risquerait d’augmenter le non-recours aux droits, et donc de retarder les soins des personnes malades, entraînant un engorgement de l’hôpital.
Pour ces raisons, mon groupe ne le votera pas.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Cet amendement me semble frappé au coin du bon sens.
Madame la secrétaire d’État, toute politique de lutte contre la fraude entraîne des coûts. Cela ne doit pas nous empêcher de voter cet amendement. De même, il n’est pas de difficultés de gestion qui ne puissent être surmontées au regard des enjeux liés à la validité des droits.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.
L’amendement n° 3, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de trois mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement rend au Parlement un rapport sur les causes et les coûts pour les finances publiques des cartes vitales en surnombre.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Le travail que Carole Grandjean et moi-même avons mené nous a permis, avec les chiffres qui nous ont été donnés notamment par l’Insee, par la direction de la sécurité sociale, par la CNAV, par la CNAM, d’établir qu’il y avait 59,4 millions de cartes Vitale actives.
Le nombre de personnes en France est de 66 millions. Si l’on retire le nombre d’individus âgés de moins de 16 ans, on obtient un delta de 5 millions de cartes Vitale.
Le dispositif du code de la sécurité sociale permet aux enfants de 12 ans d’avoir une carte Vitale – je connais assez peu d’enfants de cet âge qui disposent d’une telle carte. Toutefois, si l’on retire de la population française les enfants âgés de 0 à 12 ans, le différentiel s’établit à 1 900 000 cartes Vitale en trop.
J’ajoute qu’en 2013 une inspection de l’IGAS et de l’IGF dénombrait 7 735 000 cartes Vitale en trop. Ce rapport est disponible en ligne, et son auteur, maire de Charleville-Mézières, est facile à trouver : ce n’est donc nullement un effet de nos sens abusés.
Je sais que la commission des affaires sociales et le Sénat n’aiment pas les rapports, mais en l’état, il ne peut pas y avoir que des doublons et des oublis. Comment se fait-il que depuis 2013 il y ait autant de cartes en surnombre ? Ce n’est pas de la stigmatisation, mais il faut régler cette difficulté.
Au terme de ce débat, qui n’aura sûrement pas de suite à l’Assemblée nationale – je le regrette –, permettez-moi d’indiquer que si nous laissons ce type de sujet aux extrêmes, nous perdrons une occasion de résoudre dans le calme et de façon pédagogique un problème qui est certes moins important que la fraude fiscale, mais qui reste tout de même relativement important : 5 millions de cartes actives en trop dans le dispositif, cela conduit à s’interroger… Et ce n’est pas acceptable.
Il me paraîtrait donc intéressant que la commission des affaires sociales ou le Gouvernement se penchent avec attention sur une explication plausible, car, je le répète, il ne peut pas s’agir que de doublons, les bénéficiaires de petits régimes ayant, par exemple, conservé leur ancienne carte Vitale après en avoir reçu une autre.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, rapporteure. Comme l’a dit Mme Goulet, la commission des affaires sociales est en règle générale défavorable aux rapports.
De plus, son président a sollicité de la Cour des comptes une communication sur la fraude sociale. Nous attirerons alors naturellement l’attention de la Cour sur la question des cartes surnuméraires.
Enfin, dans l’expérimentation que prévoit la présente proposition de loi modifiée, l’ensemble des porteurs relèveront d’une même caisse primaire. À l’issue de l’expérimentation, nous connaîtrons ainsi le nombre de cartes surnuméraires qui auraient pu être supprimées.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Comme je l’ai déjà dit, de nombreuses mesures ont été prises depuis 2004 pour réduire le risque lié à la délivrance de la carte Vitale et sécuriser le système d’émission ainsi que les facturations – je n’y reviens pas dans le détail.
Concernant les 4 millions de cartes Vitale sans possesseur actif dans le cadre du régime général et qui apparaissaient encore dans le système d’information de la CNAM, permettez-moi d’indiquer que 3,4 millions de cartes ont été placées en liste d’opposition entre le début de l’année 2016 et le premier trimestre 2019. Les 600 000 cartes restantes seront à leur tour désactivées d’ici à la fin de cette année.
Quelque 4,2 millions de cartes ont ainsi été invalidées, et donc désactivées.
Par ailleurs, des actions visant à renforcer encore la qualité de la gestion du parc des cartes Vitale ont été engagées.
Compte tenu de l’importance de la transparence dans ce domaine technique, je ne suis pas opposée à ce qu’un rapport puisse déterminer les actions menées en la matière et, le cas échéant, proposer des améliorations, notamment pour les petits régimes qui n’ont pas toujours la puissance d’action du régime général.
Toutefois, ce sujet ne me paraissant pas spécialement prioritaire, j’émettrai un avis de sagesse sur cette demande de rapport.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Des instances faisant autorité en la matière nous ont indiqué qu’il y avait 59,4 millions de cartes actives à la fin de l’année 2018. Sachant qu’en 2013, il y avait déjà 7 millions de cartes surnuméraires, cela réduit la portée de vos explications sur les mesures prises depuis 2004.
Je souhaite souligner que les ressources techniques nous ont fait défaut, à Carole Grandjean et à moi-même, pour mener notre travail. Il est un peu humiliant, assez frustrant et désagréable, à l’issue d’une mission d’une durée de six mois qui nous a conduites à réaliser plus d’une centaine d’auditions, de devoir demander un rapport au Gouvernement. Nous aurions préféré avoir les renseignements au moment où nous travaillions, d’autant qu’une bonne partie de notre travail a été accomplie en plein été, et n’a donc pas été facile. Il faut absolument faire toute la lumière sur ce sujet.
L’adoption de cet amendement aurait certes un effet relatif, car cette proposition de loi risque de ne jamais être examinée par l’Assemblée nationale, et quoi qu’il en soit, je présenterai de nouveau un amendement similaire au PLFSS. Mais par principe, je le maintiens.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Je comprends que, d’une façon générale, la commission dispose d’autres moyens pour avancer sur ce dossier.
Il me semble toutefois nécessaire que le Gouvernement donne à des parlementaires qui ont traité un sujet important et rédigé un rapport substantiel les moyens d’aller plus loin et d’obtenir des réponses concrètes de l’administration.
Le présent débat est un débat de chiffres : ceux qui sont favorables fournissent des chiffres à la hausse, tandis que ceux qui sont défavorables expliquent qu’il n’y a aucun problème.
Le véritable enjeu est la capacité de disposer d’une information juste et d’une administration qui ouvre ses cahiers. Or il est frustrant, lorsqu’on pose des questions précises, de ne pas avoir les retours d’informations nous permettant de porter un jugement.
Au-delà du vote de cet amendement, je souhaite que le débat se poursuive, afin de donner à nos collègues actifs et reconnus dans la recherche d’outils contre la fraude les moyens de travailler. Madame la secrétaire d’État, ce serait un véritable engagement que de leur donner l’appui direct du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Je suis membre non de la commission des affaires sociales, mais de la commission des lois. Nous sommes en règle générale également très réservés sur les rapports demandés au Gouvernement, mais, en l’espèce, au vu des discussions sur le nombre de cartes en surnombre, j’y serais favorable. Des informations précises nous permettraient de connaître la réalité des faits, et, le cas échéant, de clore le bec à celles et ceux qui disent que le nombre de cartes surnuméraires est supérieur de plusieurs millions aux chiffres officiels.
Mme la rapporteure nous a fait part de la demande d’étude faite par le président de la commission des affaires sociales à la Cour des comptes.
Pour ma part, je ne serais pas opposé à ce que nous ayons à la fois les chiffres de la Cour et ceux du Gouvernement.
Je suis, comme mon collègue Philippe Mouiller, très étonné de lire dans l’objet de cet amendement qu’au bout de six mois les deux rapporteurs de cette mission d’information, Mmes Goulet et Grandjean, n’ont pas pu avoir connaissance de ces chiffres, faute, semble-t-il, de moyens techniques. Dans ces conditions, à quoi bon mener une mission d’information ?
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je partage les propos d’André Reichardt : compte tenu des incertitudes que nous avons sur les chiffres, et malgré la demande d’étude qui a déjà été faite à la Cour des comptes, je voterai cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Je m’interroge, madame la secrétaire d’État, car le travail considérable qui a été réalisé met le doigt sur un phénomène majeur.
Vous vous contorsionnez pour nous expliquer qu’il n’y a rien de nouveau et que l’on ne va pas aller plus loin. À quel niveau de réalité faut-il en arriver pour que vous manifestiez une volonté réelle de traiter cette question ?
Les abus et les doublons de carte Vitale sont parfaitement établis. Ce n’est pas parce que le chiffre n’en est pas exhaustif que le phénomène est inexistant.
Je m’étonne donc du peu d’engagement que vous manifestez pour accompagner et approfondir le travail mené sur ce sujet. Le Gouvernement devrait traiter cette question au fond, au lieu de quoi vous vous êtes contentée de nous faire des réponses quelque peu emphatiques, et parfois même – pardonnez-moi le mot – vaseuses.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je souhaite simplement indiquer à mon collègue François Bonhomme que Mme la secrétaire d’État a émis un avis de sagesse, ce qui est une position difficilement critiquable.
Par ailleurs, je rappelle que l’article que Mme Goulet propose d’introduire prévoit la remise d’un rapport dans un délai de trois mois suivant la promulgation de la présente loi. Autrement dit, nous n’aurons jamais de rapport du Gouvernement sur le sujet, car je serais fort étonné que la présente proposition de loi passe à l’Assemblée nationale.
Cela étant, je peux, si vous le souhaitez, retirer ma demande à la Cour des comptes. (Sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
(Supprimé)
Article 3
I. – Les conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
II. – Les conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
III. – Les conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, dans le texte de la commission, modifié.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Gratuité totale dans les transports collectifs
Débat sur les conclusions d’un rapport, organisé à la demande d’une mission d’information
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d’information sur la gratuité des transports collectifs, sur les conclusions du rapport : La gratuité totale des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ?
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. le rapporteur de la mission d’information auteur de la demande.
M. Guillaume Gontard, rapporteur de la mission d’information sur la gratuité des transports collectifs. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai le plaisir de vous présenter les conclusions du rapport de la mission commune d’information, constituée sur l’initiative du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur la gratuité des transports collectifs.
Je tiens tout d’abord à remercier mon groupe d’avoir bien voulu consacrer son droit de tirage à ce beau sujet et de m’avoir confié ce rapport.
Je tiens ensuite à remercier la présidente de la mission, Michèle Vullien, de notre relation de travail riche, franche et constructive.
Je tiens également à remercier chacun des membres de cette mission de leur implication dans nos travaux.
Enfin, je tiens à remercier l’équipe d’administrateurs qui n’a pas ménagé ses efforts pour aboutir au riche rapport dont nous débattons aujourd’hui.
La gratuité des transports : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? Telle est la problématique que nous avons posée pour étudier ce sujet popularisé, entre autres, par le choix opéré par la métropole de Dunkerque, et de plus en plus présent dans le débat public à mesure que les élections municipales approchent.
Après plus de quarante-sept heures d’auditions, les réponses de nombreuses collectivités, une consultation en ligne qui a récolté 10 500 contributions – un record et une preuve, si besoin en était, de l’intérêt du sujet pour nos concitoyens –, notre rapport se veut un outil d’aide à la décision.
La gratuité d’un service public pour ses usagers est un sujet d’ordre quasi philosophique, dont chacun peut s’emparer aisément, et qui enflamme facilement les débats ou les discussions.
On ne se pose plus la question de la gratuité de l’école publique ou celle de l’accès aux soins essentiels. Pour faire un parallèle avec notre thématique du jour, on ne se pose pas non plus la question de la gratuité de l’accès aux routes départementales ou nationales.
En revanche, la gratuité de l’accès aux équipements publics, comme les bibliothèques et les musées, ou celle des transports collectifs fait encore débat.
La question est donc la suivante : notre République doit-elle assurer un droit universel à la mobilité, comme elle assure un droit universel à l’éducation ou à la santé ?
C’est un vaste débat qui agite les passions et qui voit trop souvent s’affronter des positions de principe, pas toujours étayées, pas toujours éclairées. Que l’on soit pour ou contre le principe de la gratuité, on assiste souvent à un florilège d’idées reçues et de lieux communs que le premier objectif de ce rapport était d’éprouver.
Je ne citerai que deux exemples. Non, la gratuité des transports ne conduit pas aux incivilités ou à une dégradation des équipements. Et non, la suppression de la billettique et des contrôles ne suffit pas à compenser les pertes de recettes.
Il s’agissait de l’une de nos premières recommandations : dépasser les positions de principe et les idées reçues pour débattre des faits, des chiffres et des réalités de chaque territoire et de chaque réseau.
Le rapport dresse donc un état des lieux de la mise en œuvre de la gratuité des transports en France – cela concerne vingt-neuf communes à ce jour – et dans le monde. Il trace des perspectives pour repenser la mobilité collective au XXIe siècle.
Le premier constat est sans appel : nous n’avons que très peu de recul sur le sujet. Les expériences françaises et internationales sont assez rares et les études scientifiques le sont encore davantage, notamment pour déterminer clairement le type de report modal qu’implique la gratuité. Les données que nous avons collectées sont parcellaires et ne permettent pas de tirer des conclusions irréfutables.
C’est pourtant une nécessité de pouvoir se fonder sur des études précises pour évaluer objectivement le bilan environnemental de la gratuité. Dans ce rapport, nous proposons de mettre en place un observatoire de la tarification des transports pour accumuler des données statistiques et scientifiques à même d’éclairer la décision publique.
Cela étant, l’étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) sur Châteauroux, qui date de 2007, et l’étude plus récente réalisée par la ville de Dunkerque semblent montrer assez nettement que la gratuité des transports est une mesure sociale très efficace.
Là où elle a été mise en place, la fréquentation des bus a grimpé : on observe une hausse du nombre des usagers de 23 % à Niort en deux ans et de près de 80 % à Dunkerque en moins d’un an. Selon toute vraisemblance, cette augmentation résulte en premier lieu de personnes qui ne se déplaçaient pas ou peu. La gratuité atteint donc l’objectif qu’on lui assigne : garantir l’égalité en matière de mobilité. La révolution sociale n’est pas loin.
Le principal inconvénient de la gratuité est paradoxalement son efficacité. Elle oblige à se poser la question de l’offre de transport. Ainsi, dans les réseaux déjà extrêmement fréquentés – on pense naturellement à la région capitale, mais c’est le cas pour d’autres réseaux –, une mise en œuvre de ce principe risquerait d’entraîner une saturation totale du réseau et, donc, une baisse de la qualité du service.
Dans les grandes agglomérations qui possèdent des réseaux denses, il est nécessaire d’établir des priorités. Les questions de l’offre de transport et de sa soutenabilité dans le temps doivent prévaloir sur celle de la gratuité. C’est d’autant plus important que les réseaux ferrés des grandes métropoles sont beaucoup plus coûteux à développer et à entretenir que les seuls réseaux de bus.
Cette problématique nous invite aussi à considérer que la gratuité n’est pas une fin en soi ni un but absolu. Il s’agit d’un outil de politique publique parmi d’autres, qui doit s’inscrire dans un projet de mobilité, un projet urbain plus vaste.
Ainsi, pour toutes les villes moyennes où les réseaux sont neufs et sous-utilisés et dont les centres-villes sont de moins en moins fréquentés, la gratuité des transports, associée à une politique de revitalisation des centres-villes, est un outil extrêmement efficace, comme le prouvent les exemples de Châteauroux, de Dunkerque ou de Niort. C’est une autre recommandation du rapport que de penser la gratuité comme un levier au service d’une politique globale, et non comme un objectif à part entière.
En effet, la gratuité pose fondamentalement la question du financement des transports en commun dans notre pays.
M. Loïc Hervé. C’est la vraie question !
M. Guillaume Gontard, rapporteur de la mission d’information. Les leviers actuels, qu’il s’agisse de la billettique, des impôts locaux ou du versement transport, semblent de toute façon insuffisants pour envisager le déploiement de la mobilité écologique du XXIe siècle.
Une autre préconisation du rapport consiste à repenser le financement des transports collectifs. Nous avons émis plusieurs idées qui n’ont cependant pas fait l’unanimité et qui, de ce fait, ne sont pas des recommandations en tant que telles : je pense notamment au péage urbain, à la taxation des plus-values immobilières, à la taxation des plateformes comme Uber ou à celle des zones de stationnement des centres commerciaux.
Une seule d’entre elles a recueilli l’assentiment de tous les membres de la mission et figure parmi les préconisations : le rétablissement du taux de TVA à 5,5 % pour les transports collectifs. Une telle disposition a d’ailleurs été adoptée par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020 avant d’être rejetée en séance à la demande de votre gouvernement, madame la secrétaire d’État.
Alors que mon propos touche à sa fin, et avant de vous présenter les deux dernières recommandations du rapport, permettez-moi d’ajouter un commentaire plus personnel.
Ma conviction est que la gratuité des transports relève d’abord d’un choix politique, plus ou moins ambitieux en fonction des territoires et des réalités locales.
Pour ne donner qu’un seul chiffre, le coût consacré à l’entretien et au fonctionnement de tous les réseaux de transport en commun du pays s’élève à environ 16 milliards d’euros, somme financée par les usagers, les contribuables locaux et les entreprises. Le coût visant l’entretien de toutes les routes concédées aux collectivités locales, qui est à la charge des seuls contribuables, se monte également à près de 16 milliards d’euros, ce qui permet aux usagers d’y accéder gratuitement, comme je l’indiquais.
Personne ne se pose la question de faire payer l’accès aux routes aux usagers. En revanche, tout le monde se pose celle de l’opportunité d’appliquer la gratuité aux transports en commun. C’est paradoxal quand on songe aux urgences sociales et écologiques auxquelles nous devons faire face.
À titre personnel, je pense qu’il s’agit d’un horizon vers lequel toutes les collectivités peuvent et doivent tendre selon un rythme adapté à leurs particularités, la gratuité partielle constituant un premier pas dans cette direction.
Enfin, nos travaux nous conduisent à deux réflexions plus larges : l’une sur la mobilité entre zone rurale et zone urbaine, l’autre sur la « démobilité ». Attention aux distorsions entre des territoires peu ou pas dotés en transports en commun et des centres urbains disposant de l’ensemble des services, qui sont de surcroît gratuits.
En réalité, la question qui se pose est celle de notre projet urbain, de la taille de nos villes, de l’étalement urbain, de la dissociation entre les zones d’activités économiques et les zones d’habitat. Alors que les centres-villes de nos communes moyennes sont en déshérence, que la transition agricole nécessite une multiplication des emplois et, donc, une forme d’exode urbain, nous sommes amenés à considérer que c’est finalement dans un rapport différent au territoire que la gratuité pourrait trouver toute sa place.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Guillaume Gontard, rapporteur de la mission d’information. Pour rebâtir un modèle économique résilient, capable de résister aux aléas financiers et respectueux de l’environnement, il faut s’appuyer sur des projets locaux et refonder les économies à partir de circuits courts autour de nos villes. C’est également la manière la plus efficace de résorber la fracture territoriale et d’envisager, dans une perspective tant sociale qu’écologique, tout autant qu’un droit à la mobilité, un droit à la démobilité ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR. – M. Olivier Léonhardt applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence du secrétaire d’État chargé des transports, Jean-Baptiste Djebbari, actuellement à l’Assemblée nationale pour l’examen final du projet de loi d’orientation des mobilités.
Le rapport de la mission sénatoriale, complet et équilibré, souligne combien il importe de faire évoluer notre modèle de transport vers des mobilités plus propres et plus solidaires. Ce sont des objectifs que nous partageons tous, quels que soient les moyens mis en œuvre pour y parvenir.
En préambule, je précise que je préfère parler de « choix de tarification » plutôt que de « gratuité », car, comme nous le savons tous, la gratuité des services publics n’existe pas : ces services ont un coût, la question posée étant celle de la répartition de ce coût entre le contribuable et l’usager. L’emploi du seul terme « gratuité » tend à masquer la réalité du choix qu’une telle option suppose, à savoir que l’on fait supporter l’intégralité du coût du service au contribuable.
Une fois le débat posé en ces termes, il est particulièrement important que le Gouvernement puisse y prendre part, et ce au moment même où le projet de loi d’orientation des mobilités est sur le point d’aboutir.
Votre travail met parfaitement en évidence les trois objectifs, parfois difficilement conciliables, auxquels doit répondre une politique tarifaire : garantir le droit au transport pour tous, favoriser une politique de report modal et, enfin, couvrir une partie des coûts de production du service.
La tarification relève de la compétence des autorités organisatrices de la mobilité et, à ce titre, d’un choix politique fait en responsabilité par les élus locaux. Ce sont eux qui connaissent le mieux les besoins de leurs concitoyens, si bien que l’État n’a pas à décider à leur place. En l’espèce, je vous confirme la volonté du Gouvernement de respecter le principe de libre administration des collectivités locales.
C’est en vertu de ce principe que la gratuité pour l’usager existe aujourd’hui dans vingt-neuf communes en France, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, ce qui permet de nourrir la réflexion sur ce type de dispositif ici et ailleurs dans le monde.
La gratuité pour l’usager peut être considérée comme une mesure sociale essentielle pour répondre aux problèmes de mobilité des plus fragiles. Pour autant, vous le savez, d’autres solutions existent pour atteindre cet objectif.
La tarification solidaire en fonction des revenus ou du statut, mise en place par de nombreuses autorités organisatrices, apparaît, en termes de pouvoir d’achat, comme une alternative efficace pour répondre à la problématique de mobilité des populations les moins aisées.
Elle me semble également plus égalitaire, car elle est fondée sur la capacité financière des usagers. C’est d’ailleurs le choix que fait la grande majorité des collectivités locales, qui aident les usagers des transports publics sous condition de ressources, les étudiants, aux côtés des entreprises qui contribuent au financement de l’abonnement de leurs salariés.
De plus, la question de la tarification ne doit pas monopoliser le débat et masquer les autres enjeux en matière de solidarité et d’accès à la mobilité.
Pour les publics les plus fragiles, un accompagnement à la mobilité et des solutions spécifiques sont nécessaires. De ce constat établi lors des Assises nationales de la mobilité, le Gouvernement a tiré des solutions concrètes dans le projet de loi d’orientation des mobilités : ainsi, un plan d’action en faveur de la mobilité solidaire devra être copiloté par la région et le département dans chaque bassin de mobilité.
Par ailleurs, comme la consultation que vous avez conduite l’a bien montré, l’enjeu en termes d’accès à la mobilité réside d’abord et avant tout dans le développement d’une offre utile.
Le premier frein à la mobilité sur un territoire, c’est l’absence d’offre adéquate. La question de la tarification ne vient qu’après. Comme le secrétaire d’État chargé des transports le rappelait devant votre assemblée il y a deux semaines, notre défi commun, celui qui est au cœur du projet de loi d’orientation des mobilités, est d’offrir partout et pour tous des solutions en matière de mobilité qui soient rapides, fréquentes et fiables. Le débat sur la tarification ne doit pas occulter cet objectif majeur.
Concernant l’enjeu écologique, le manque d’évaluations à notre disposition doit nous conduire à rester prudents sur l’incidence de la gratuité pour l’usager en matière de report modal de la voiture particulière vers les transports en commun.
On peut toutefois relever que les reports modaux observés dans les territoires sont en général le fruit d’une politique globale de mobilité qui dépasse le seul enjeu de la tarification. Celle-ci combine une politique visant à améliorer l’offre de transport et une politique tendant à en améliorer la qualité. À cet égard, vous noterez la plus grande sensibilité des associations d’usagers aux notions de desserte ou de ponctualité qu’à celle de gratuité.
Par ailleurs, il convient de déployer une politique de régulation de l’usage de la voiture, notamment au travers du stationnement.
En revanche, la gratuité pour l’usager permet indiscutablement d’améliorer la fréquentation des services de transport existants, en fidélisant certains usagers et en attirant d’autres publics qui ne sont pas captifs du confort ou de la rapidité de la voiture. Revers de la médaille, il semble que la gratuité conduise certaines personnes à utiliser les transports en commun au détriment de la marche ou du vélo, ce qui ne manque pas de soulever des questions en termes de préservation de l’environnement et de santé publique.
Enfin, si l’incidence de la gratuité pour l’usager en matière sociale et écologique prête à débat, il n’en est pas de même sur le plan économique, puisque la perte de ressources pour la puissance publique est, pour le coup, tout à fait tangible.
Comme je l’ai dit en introduction, et pour reprendre les termes de l’étude récemment menée par le groupement des autorités responsables de transport (GART), « la gratuité n’existe pas dans l’absolu ». Ce qui n’est pas payé par l’usager doit l’être par le contribuable. Il faut être transparent de ce point de vue vis-à-vis de nos concitoyens, en évitant toute démagogie.
Quand la gratuité est mise en œuvre, elle est financée par le contribuable local : les employeurs au travers du versement transport, qui deviendra bientôt le versement mobilité, et les habitants au travers de la fiscalité locale. Si certains territoires peuvent s’appuyer sur un réel dynamisme économique avec la présence de grandes entreprises pour financer la part de l’usager, ce n’est pas le cas de tous.
Ce n’est donc pas un hasard si les réseaux gratuits pour l’usager, une trentaine aujourd’hui en France, sont pour la plupart de taille modeste, avec un taux de fréquentation souvent plus faible que la moyenne.
Comme votre rapport le montre, mesdames, messieurs les sénateurs, la mise en œuvre d’une telle politique sur les réseaux de grandes agglomérations ne me paraît pas facile. En effet, les recettes tarifaires que les métropoles perçoivent auprès des usagers des réseaux représentent des sommes très importantes, qui couvrent une part significative des dépenses de fonctionnement. Cela correspond par exemple à 36 % des dépenses de financement du réseau en Île-de-France, soit 3,66 milliards d’euros.
La gratuité pour l’usager implique par ailleurs une fréquentation supplémentaire des réseaux sur l’ensemble de la journée, y compris aux heures de pointe, quand ceux-ci sont souvent déjà à saturation, ce qui tend à aggraver la situation et oblige à des investissements et à des dépenses de fonctionnement supplémentaires. Les moyens de production matériels et humains sont en effet dimensionnés pour absorber le trafic en heures de pointe.
À ce titre, les exemples étrangers sont une source d’enseignement, puisque certaines villes ont rétabli une tarification pour faire face aux besoins de financement liés au développement de l’offre.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, vous aurez compris au travers de mon intervention que le Gouvernement, tout en respectant le choix souverain des collectivités locales, souhaite d’abord développer les offres de mobilité partout dans notre pays et pour tous nos concitoyens.
Le premier facteur d’exclusion ou de discrimination, c’est non pas la tarification, mais l’offre. Ainsi, c’est d’abord en démultipliant les offres concrètes de mobilité que nous répondrons à la principale demande de nos concitoyens.
Vos travaux vont nous permettre d’échanger sur ces sujets au cours de débats qui s’annoncent, j’en suis certaine, riches et constructifs. (Mme la présidente de la mission d’information, MM. Frédéric Marchand et Philippe Bonnecarrère applaudissent.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une mission d’information sur la gratuité des transports a été créée sur l’initiative de mon groupe. Ce choix a été guidé par la volonté de disposer de données précises sur les expériences de gratuité mises en œuvre par un nombre croissant de collectivités, sous l’impulsion d’un certain nombre d’élus de notre sensibilité politique, mais pas seulement.
Nous estimons aujourd’hui et plus que jamais, alors que l’impératif climatique devient incontournable, que la gratuité, en complément d’un renforcement de l’offre de transport, doit être considérée comme l’un des outils favorisant le report modal de la voiture individuelle vers les transports collectifs. Il s’agit d’un outil qui permettrait également de faciliter la concrétisation d’un véritable droit à la mobilité conditionnant souvent l’accès à d’autres droits.
Cette question urgente se combine à des enjeux sanitaires prégnants : on dénombre 48 000 morts dues à la pollution chaque année, je vous le rappelle.
Le rapport de la mission a de nombreuses qualités : il fait notamment un bilan des expériences conduites dans notre pays, ainsi que dans toute l’Europe. Il relève les atouts d’une telle politique en termes de retombées sociales et de report modal.
Pour aller plus loin, il faut maintenant les financements pour aider les collectivités qui souhaiteraient s’engager dans cette voie.
Nous proposons par exemple la généralisation et l’augmentation du versement transport. On nous répond que cela pénaliserait les entreprises. Pourtant, mettre en place de bonnes conditions de transport serait un atout pour les entreprises, tant pour leurs clients que pour les salariés.
Madame la secrétaire d’État, ce rapport comporte plusieurs propositions. Je pense notamment à l’instauration d’un taux de TVA à 5,5 % pour les transports publics, qui correspond à une proposition récurrente de mon groupe. Quelle suite comptez-vous donner à cette mesure, notamment dans le cadre du projet de loi de finances que nous nous apprêtons à examiner au Sénat ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente Assassi, merci beaucoup de votre question.
Vous avez raison, l’intérêt de cette mission est de nous fournir des données précises et de nous permettre de mieux connaître à la fois les expériences ayant lieu en France et les expériences internationales.
Votre question porte notamment sur les principales données chiffrées en matière de financement.
En 2017, le montant des financements consacrés à l’ensemble des transports urbains de province s’élevait à 8,807 milliards d’euros, dont 6,91 milliards d’euros, soit 78 % du total, consacrés au fonctionnement. Le reste, soit environ 1,9 milliard d’euros, était affecté à l’investissement.
Ces ressources proviennent d’abord des employeurs publics et privés. En effet, le versement transport représente aujourd’hui environ 44 % du financement total des transports en France, soit 3,875 milliards d’euros.
L’État, quant à lui, y contribue à hauteur de 105 millions d’euros, montant qui inclut notamment la compensation versée aux collectivités du fait du relèvement du seuil du versement transport, les collectivités locales à hauteur de 2,833 milliards d’euros, soit 32 % du total et, enfin, les usagers à hauteur de 1,379 milliard d’euros au travers des recettes commerciales, soit 16 % du total. À ces ressources propres s’ajoutent les emprunts pour un montant d’environ 615 millions d’euros.
Vous soulevez la question de la baisse du taux de TVA à 5,5 %. Cela représenterait un manque à gagner d’environ 800 millions d’euros pour l’État. Ce dossier n’est pas encore instruit à ce stade.
Pour en revenir à la part des employeurs dans le financement des réseaux de transport, qui s’élève à près de 4 milliards d’euros, soit 44 % du total, il est déjà très significatif.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la réplique.
Mme Éliane Assassi. Madame la secrétaire d’État, je veux rappeler que le secteur routier bénéficie, hors réseau autoroutier, d’une gratuité de service : la construction et l’entretien des routes sont pris en charge par le seul contribuable, ce qui correspond à près de 16 milliards d’euros chaque année, soit davantage que les 12,6 milliards d’euros que représentaient les dépenses pour l’entretien et le fonctionnement des transports publics urbains en 2018.
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled. (M. Daniel Chasseing applaudit.)
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, revenu à la une de l’actualité à l’approche des élections municipales de mars prochain, le sujet de la gratuité des transports collectifs est l’objet du rapport qui nous est présenté aujourd’hui.
Ce rapport, dont je tiens à saluer la qualité, nous éclaire sur l’une des politiques publiques les plus sensibles. En effet, afin de répondre à certains effets de mode que l’on observe au sujet de la mobilité, dont la gratuité est l’un des volets, certaines démarches sont mises en œuvre dans les territoires, les métropoles et les régions.
Plutôt que d’essayer de répondre à la dictature du court terme, en oubliant l’intérêt général, rappelons-nous que ce type de dispositif est une réponse de long terme et qu’il doit s’intégrer dans une politique globale des transports collectifs et de la mobilité.
Comme nous le démontre le rapport, la gratuité totale n’est applicable que dans des collectivités de taille réduite, ayant un réseau unique et sous-utilisé.
Pour les autres, notamment les métropoles, l’adaptabilité peut être envisagée grâce à certaines mesures de gratuité partielle, telles que la gratuité lors de pics de pollution, ou la gratuité en fonction de l’âge des usagers, des créneaux horaires, ou encore du type de transport. En outre, certaines collectivités ont créé une tarification solidaire.
La mise en place de toutes ces solutions modulables en fonction du territoire nécessite des recettes : il s’agit de la question centrale, car celles-ci diffèrent en fonction du type de collectivité et de la localisation.
Au moment où des solutions plus écologiques en matière de transport sont étudiées, où certains développent de nouveaux projets de mobilité soutenables pour les collectivités, il nous faut mieux outiller les acteurs de la mobilité, afin de répondre aux attentes des citoyens et aux besoins de tous les territoires.
Chaque offre de mobilité est spécifique, apporte sa richesse et sa singularité. Chacun de nos territoires est concerné, qu’il soit urbain, périurbain ou rural.
Madame la secrétaire d’État, afin que ce dispositif ne devienne pas une fausse bonne idée et qu’il puisse s’appliquer quel que soit le territoire – je pense surtout aux zones rurales –, pourriez-vous nous détailler les outils que le Gouvernement envisage de proposer aux autorités organisatrices de la mobilité ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Wattebled, vous l’avez dit, la décision de mettre en œuvre la gratuité relève bien du libre choix des collectivités locales, et non d’une décision de l’État.
Les autorités organisatrices de la mobilité restent libres de leur politique tarifaire, de l’appréciation de leurs marges de manœuvre financières et fiscales. Vous l’avez également mentionné, c’est bien une politique de long terme que ces autorités doivent conduire.
Comme je viens de l’indiquer, il existe différents outils : ainsi, la tarification solidaire mise en place par de nombreuses autorités organisatrices apparaît déjà comme une alternative efficace pour répondre aux besoins en termes de mobilité des populations fragiles. Pour ces publics, un accompagnement est d’ailleurs nécessaire au-delà de l’aspect tarifaire. L’une des dispositions du projet de loi d’orientation des mobilités a précisément pour objet de donner une compétence « mobilité solidaire » aux autorités organisatrices, avec un plan d’action qui sera appliqué par la région et le département dans chaque bassin de mobilité.
Enfin, l’enjeu en matière d’accès à la mobilité réside aussi dans le développement de l’offre elle-même. C’est ce que nous ont dit les usagers, comme à vous aussi dans le cadre des travaux de votre mission : ils sont sensibles au niveau et à la qualité de l’offre, et pas seulement aux tarifs. C’est notamment la position de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports.
La mission, au travers des nombreuses réponses à la consultation qu’elle a lancée, a pu mesurer les attentes de nos concitoyens : c’est un axe central du projet de loi d’orientation des mobilités, qui prévoit que chaque territoire se dote d’une autorité chargée de la mobilité, et qui permet à chacun de ces territoires de développer un panel d’outils pour agir.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la gratuité des transports collectifs est un sujet qui divise.
Mais il est des territoires où cette question passe après celle de la réalité et de la qualité des transports, tant ceux-ci sont déficients.
Je pense en particulier aux difficultés que rencontrent les travailleurs transfrontaliers du nord de la Lorraine, qui se rendent chaque jour dans le Grand-Duché de Luxembourg. Ils se heurtent à d’énormes problèmes de circulation, car tous les réseaux sont saturés, y compris ceux des transports collectifs. Près de 105 000 salariés sont concernés aujourd’hui et ils sont 4 000 de plus chaque année. Ceux-ci s’établissent du côté français, obligeant les collectivités, parfois – j’insiste sur ce terme ! – soutenues par l’État, à investir lourdement dans les équipements scolaires, périscolaires, culturels, sportifs, mais aussi dans les équipements de transport vers le Luxembourg.
Il faut toutefois souligner que, dans une démarche de codéveloppement, le Luxembourg vient d’accepter de cofinancer à hauteur de 50 % ces investissements en matière de mobilité, qui représentent une dépense totale de 240 millions d’euros. Le protocole d’accord afférent, négocié en mars, a été ratifié par une loi du 29 octobre dernier.
C’est un progrès, mais est-ce suffisant ? Le Gouvernement ne devrait-il pas plutôt négocier que le Luxembourg assure 100 % du financement ? Ces investissements ne sont pas détachables du travail frontalier. Ces équipements servent exclusivement à se rendre au Luxembourg. S’ils n’étaient pas réalisés chez nous, ils devraient l’être chez nos voisins et, donc, ils seraient totalement à leur charge.
Dans ces conditions, madame la secrétaire d’État, ne pensez-vous pas qu’il devient urgent de négocier cette gratuité avec nos voisins, d’autant qu’ils encaissent la totalité de l’impôt sur le revenu des travailleurs frontaliers et que, pour l’heure, ils n’envisagent aucune rétrocession fiscale, à la différence de ce qui prévaut avec la Belgique, par exemple ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Mizzon, votre question renvoie à la problématique épineuse du modèle de développement transfrontalier entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg.
En matière de voyageurs, il faut bien reconnaître qu’il est très difficile d’intéresser les autorités du Luxembourg au sort des travailleurs frontaliers français, comme le démontre la situation des TER français qui ne pourront plus franchir la frontière à Thionville à partir du 1er janvier prochain. L’État continue à se mobiliser, et les secrétaires d’État Jean-Baptiste Djebbari et Amélie de Montchalin ont encore écrit tout récemment au ministre luxembourgeois chargé des transports à ce sujet.
Les participations luxembourgeoises sont d’ailleurs rarement désintéressées. Ainsi, les investissements dans les TER, soutenus par le Luxembourg à hauteur de 120 millions d’euros en application d’un protocole intergouvernemental de mars 2018, bénéficient principalement au Grand-Duché, puisqu’ils facilitent l’acheminement des travailleurs français sur son territoire.
Il faut poursuivre le travail pour répondre à ces enjeux de mobilité en renforçant la dynamique de codéveloppement, et en investissant plus massivement dans les infrastructures de transport durable en France. Ainsi, l’État continuera de solliciter le Grand-Duché pour qu’il apporte un soutien plus important aux travaux déjà engagés sur le sillon ferroviaire Metz-Luxembourg, mais aussi sur le débouché sud via Nancy.
Enfin, en matière de développement économique, vous l’avez rappelé, le principe d’une compensation financière des États où travaillent les frontaliers au profit des États où ceux-ci résident a été validé par le Conseil de l’Europe le 29 octobre dernier. Là encore, des discussions sont en cours pour mettre en place un tel système avec le Luxembourg, comme nous l’avons déjà fait avec les autres États voisins de la France que sont l’Allemagne et la Suisse, notamment.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la secrétaire d’État, votre réponse manque d’ambition et d’agressivité. (Mme Dominique Estrosi Sassone manifeste son étonnement.) Vous avez rappelé tout à l’heure la volonté de l’État d’offrir des solutions de mobilité de qualité et efficaces partout. Or, sur ce dossier, vous avez l’occasion d’agir et, en l’espèce, je ne réclame pas la gratuité pour les usagers, mais pour vous, pour l’État français !
Les temps changent : le Luxembourg a fait un effort, il faut profiter de la circonstance pour enfoncer le clou et demander une telle gratuité. Je sais que ce n’est pas simple, mais c’est la raison pour laquelle faire de la politique est exaltant. (Mme la secrétaire d’État opine.)
Vous en avez la force, alors donnez-vous les moyens d’y parvenir. En tout cas, vous trouverez tout l’appui nécessaire du côté des parlementaires concernés !
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. La liste est longue des services proposés à la population qui font l’objet de débats apparaissant ou réapparaissant à la veille des élections municipales : gratuité de l’eau, gratuité de la restauration scolaire, gratuité de la piscine, gratuité des transports, et j’en passe.
Il importait donc aux membres de la mission d’information sur la gratuité des transports collectifs de sortir de la dualité sur ce sujet pour construire un outil d’aide à la décision plutôt que de prévoir une recette élaborée nationalement, qui s’appliquerait uniformément sur tous les territoires.
Je remercie la présidente de la mission, Michèle Vullien, et le rapporteur, Guillaume Gontard, d’avoir su déjouer ce piège, et d’avoir suivi la voie du pragmatisme et du réalisme plutôt que celle du dogmatisme.
L’incidence, ou plutôt le bénéfice environnemental de la gratuité n’est pas avéré. Elle ne favorise qu’un report modal très limité : le nombre de voitures ne diminue pas ou très peu, le transfert s’opérant du vélo et de la marche à pied vers les transports en commun.
L’impact financier est préjudiciable à l’autorité organisatrice et, de fait, aux entreprises qui paient le versement mobilité.
Les publics les plus fragiles bénéficient déjà de tarifs préférentiels ou de la gratuité totale, sur l’initiative de l’autorité organisatrice de transports. Leur situation est donc largement prise en compte aujourd’hui.
Les usagers souhaitent, non pas la gratuité des transports, mais une offre de service plus importante dans les secteurs les moins matures. Pour les autres, on obtiendrait l’effet inverse à celui qui est recherché, avec un phénomène de sur-fréquentation.
Ce rapport permettra à chacun de puiser des arguments, d’alimenter ses réflexions. Le Gouvernement entend-il prolonger ce travail et, si oui, sous quelle forme ? Je rappelle qu’il est envisagé, dans le cadre du PLF pour 2020, de priver les autorités organisatrices de transports de 45 millions d’euros et que rien n’est prévu en matière de financement de la compétence mobilité, ce dernier point ayant entraîné l’échec de la CMP sur le projet de loi d’orientation des mobilités ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Remarquez, monsieur le sénateur Mandelli, que nous cherchons, non pas une réponse nationale uniforme sur ce sujet, mais bien une capacité à répondre à des besoins différenciés sur des territoires eux-mêmes différenciés.
Comme le montre la mission d’information, ainsi que l’étude menée par le GART, l’incidence de la gratuité sur le report modal de la voiture particulière vers les transports publics reste difficile à mesurer.
Les effets en termes de report modal sont généralement la conséquence d’une politique d’ensemble, visant, d’une part, à améliorer l’offre et la qualité des transports, d’autre part, à réguler l’espace, notamment à travers la politique de gestion de l’espace public ou de stationnement.
Pour mieux mesurer l’impact propre de la gratuité, des outils méthodologiques adaptés pourraient être mis en place par les réseaux. Ils permettraient de mieux appréhender et objectiver le report modal. Selon certains, il semble que la gratuité ait eu peu d’effet sur ce dernier, mais qu’elle diminuerait en revanche la part du vélo et de la marche, ce qui pose évidemment question.
Par ailleurs, l’aide à la décision des collectivités locales en matière tarifaire doit les amener à s’interroger sur l’équilibre entre dépenses et ressources, afin de disposer des moyens nécessaires pour répondre aux besoins.
L’État soutient donc la proposition de la mission de mettre en place un observatoire de la tarification des transports pour recenser des éléments plus objectifs, notamment sur le report modal, et constituer ainsi une aide à la décision pour les choix tarifaires des élus locaux.
L’État appuie de telles initiatives, mais ne peut en assurer le pilotage, qui relève plutôt des collectivités ou de leurs associations. On pourrait par exemple envisager qu’il participe en tant que de besoin à l’observatoire, lequel serait piloté par le GART.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.
M. Didier Mandelli. J’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises lors des auditions, notamment lors de celle de Mme la ministre Élisabeth Borne sur le projet de loi Mobilités, aujourd’hui rien n’est prévu en matière de financement pour les intercommunalités qui prendraient la compétence mobilité sans avoir, sur leur territoire, suffisamment de ressources sur le plan économique pour financer les nouvelles mobilités.
J’appelle votre attention sur ce point, madame la secrétaire d’État. C’est important ! Malgré la volonté affichée des uns et des autres – nous sommes évidemment tous favorables à la prise en compte de ces nouvelles mobilités –, il faut que toutes les collectivités puissent les financer dans de bonnes conditions.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Cette question, passionnante, de la gratuité des transports concerne bien évidemment les territoires disposant d’une offre de transport, comme nous l’avons tous relevé, donc, pour l’essentiel, les zones urbaines ou certains territoires qui ont pu prendre certaines initiatives par le passé. Elle recoupe largement celle de la fracture territoriale.
Alors que, dans le projet de loi Mobilités, il était question de donner un droit à la mobilité pour tous, constatons que certains territoires sont dépourvus de toute offre de transports. On peut donc mettre en regard ceux qui ont la possibilité de ne pas payer leurs transports et ceux qui sont contraints d’utiliser leur voiture particulière.
Ma question visera tout particulièrement ceux qu’un sociologue, Éric Le Breton, appelle les « insulaires » et qui, d’après lui, représentent 20 % de la population. Il s’agit de ces personnes qui sont pratiquement assignées à résidence, sans offre de transports en commun et sans moyens de financer une voiture particulière.
Madame la secrétaire d’État, comment accompagner les territoires les plus fragiles, dès lors que, dans le projet de loi Mobilités, vous avez refusé les dispositifs proposés unanimement par le Sénat, dispositifs intéressants qui visaient tout particulièrement les nouvelles autorités organisatrices de transports disposant de faibles ressources fiscales en matière de base de versement transport ?
Ma question cible en premier lieu les départements, censés traiter des mobilités solidaires. Ces départements sont exsangues. Or on n’envisage même pas, contrairement à une réponse que nous avait donnée le Premier ministre, de flécher vers eux un peu de TVA !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Votre question, monsieur le sénateur Jacquin, évoque les fractures territoriales, un sujet auquel nous sommes évidemment tous sensibles. Elle a trait, précisément, à la prise de la compétence mobilité par les petites intercommunalités, notamment celles qui disposent de faibles ressources.
Pour les territoires qui ne lèveront pas de versement mobilité, le Gouvernement prendra en compte le besoin de financement nouveau dans le cadre du mécanisme de compensation de la suppression de la taxe d’habitation. Vous vous attendez à cette réponse…
M. Olivier Jacquin. Pas du tout !
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État. C’est en tout cas la réponse que je vous fais, même si elle ne vous satisfait pas totalement.
La taxe d’habitation sera effectivement remplacée par une quote-part de TVA, dont la dynamique est réellement plus importante que celle des bases actuelles de ladite taxe. Cela concerne toutes les intercommunalités, y compris les plus petites.
Selon nos estimations, la recette supplémentaire que les communes et intercommunalités, sur la France entière, tireront chaque année se situera dans une fourchette allant de 30 et 40 millions d’euros, soit 120 à 160 millions d’euros en produit annuel complémentaire au bout de la quatrième année.
Les communautés de communes qui prendraient volontairement la compétence disposeraient ainsi d’une recette dynamique, permettant d’asseoir le développement de services de mobilité alternatifs à des services collectifs réguliers.
Par ailleurs, l’État, au travers de la démarche France Mobilités, accompagne les territoires qui le souhaitent. Cet accompagnement passe par des appels à projets, comme vous le savez, avec des financements dédiés pour la prise de compétence, notamment au travers de cellules régionales d’appui à l’ingénierie.
Mais le projet de loi d’orientation des mobilités, c’est également un engagement de l’État d’investir 13,4 milliards d’euros dans les infrastructures de transport sur l’ensemble du quinquennat, partout sur le territoire. Cet effort, significatif, est sans précédent ; il est évidemment nécessaire.
On trouve dans cette somme des engagements pris pour le rail, en particulier pour permettre que les trains retrouvent une vitesse normale sur certaines de nos voies ferrées – 2,6 milliards d’euros seront consacrés, sur dix ans, au développement des TER entre les villes moyennes et les métropoles –, et des engagements, à hauteur de 1 milliard d’euros, pour réaménager certaines routes et garantir à leurs usagers un parcours plus sûr.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.
M. Olivier Jacquin. Vous avez reconnu vous-même, madame la secrétaire d’État, que votre réponse ne me satisferait pas. J’avais bien indiqué, dans ma question, que ce n’était pas la réponse que j’attendais.
Je visais très précisément l’accompagnement des départements chargés des mobilités solidaires. Vous ne me répondez absolument pas sur ce sujet.
Dans le projet de loi Mobilités, il est dit que la mobilité doit être accessible à toutes et à tous.
Je ne reviens pas sur les propos de Guillaume Gontard concernant la logique de démobilité : c’est sans aucun doute l’avenir ! Mais, il faut le garder en tête, le droit à la mobilité permet d’accéder à d’autres droits, et, à l’heure actuelle, certains de nos concitoyens sont véritablement assignés à résidence.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Léonhardt.
M. Olivier Léonhardt. À chaque occasion qui m’est offerte dans cet hémicycle, j’alerte sur le cauchemar que vivent les usagers du RER francilien et je rappelle que notre système de transport est à bout de souffle, au bord de l’explosion.
Chaque fois, on m’explique que le Gouvernement investit bien plus qu’avant, progresse sur le projet du Grand Paris, finance les transports du quotidien.
C’est sans doute vrai, mais ces mesures sont clairement insuffisantes pour répondre à la lourde crise à laquelle nous sommes confrontés et que tous les gouvernements ont systématiquement minimisée.
Réveillons-nous ! On a autorisé l’interdiction progressive des véhicules à essence et diesel à l’intérieur des frontières de l’autoroute A86 d’ici à 2030. C’est bien pour l’environnement… Mais où sont les trains RER et les bus qui permettront à des centaines de milliers d’habitants de la grande couronne de laisser leur voiture pour prendre les transports en commun ? Le Grand Paris Express, même s’il était achevé dans vingt-cinq ans – je suis optimiste –, n’arrive pas jusqu’aux départements de grande banlieue et ne complétera donc pas l’offre du RER.
Aucune mesure à la hauteur de ce défi gigantesque n’est prévue.
Réveillons-nous ! Nous ne parvenons déjà pas à gérer la situation actuelle.
Ces dernières semaines, encore, l’accélération des dysfonctionnements au moment des heures de pointe a bloqué des centaines de milliers de personnes sur les quais de nos gares. Les trains sont supprimés ; ils sont sans cesse en retard ; ils sont tellement bondés qu’il faut parfois en laisser passer deux ou trois pour pouvoir monter dans une rame.
Les usagers ne demandent pas en priorité la gratuité des transports. Ils savent bien que les services ont un coût et qu’ils les paieront toujours d’une manière ou d’une autre.
Ce qu’ils demandent, c’est tout simplement des transports qui fonctionnent ! Ils exigent de ne pas être entassés dans des wagons bondés. Ils veulent juste arriver à l’heure le matin au travail ou le soir pour récupérer leurs enfants à la crèche.
C’est maintenant qu’il faut agir et créer des transports légers pour couvrir les besoins, très importants, des 4,5 millions d’habitants de la grande couronne parisienne. Qu’ils soient payants ou gratuits, s’ils fonctionnent, nous les prendrons ! (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. La capacité à répondre aux enjeux de transport dans la métropole du Grand Paris et en Île-de-France, en général, est évidemment un important défi, qui nous est lancé à tous.
Il est lancé, avant tout, à l’autorité organisatrice de transports, Île-de-France Mobilités, mais l’État intervient pour la soutenir.
Ainsi, les RER franciliens vont être financés à hauteur de 300 millions d’euros par an dans le cadre du contrat de plan État-région, soit 100 millions d’euros supplémentaires par an que sur la période précédente. Le Grand Paris Express, que vous avez également cité, monsieur le sénateur Léonhardt, fera l’objet d’investissements extrêmement élevés. Le programme global atteint 35 milliards d’euros et sera de nature à permettre un désengorgement.
Île-de-France Mobilités a aussi lancé un plan de bus en grande couronne pour désengorger le transport à l’intérieur de cet espace.
Ce sont donc des efforts communs à l’autorité organisatrice et à l’État qui permettront de répondre aux besoins des usagers.
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. L’incidence de la gratuité sur le coût généralisé des transports serait en milieu urbain trop faible, cela a été dit et répété depuis le début de notre débat, pour induire un report modal significatif depuis l’automobile.
De nombreuses études de cas confirment les prédictions de la théorie en économie des transports.
Les villes ayant expérimenté une telle mesure n’ont pas observé de réduction significative de la pression automobile ni de leurs externalités. Le report modal a été systématiquement inférieur aux attentes des décideurs publics.
En général, cette mesure a été associée à une augmentation de l’utilisation des transports publics provenant principalement d’un report modal depuis des modes actifs, comme la marche ou le vélo, de nouveaux trajets qui n’étaient pas effectués auparavant et d’une hausse de l’attractivité territoriale des villes concernées.
Nous savons que la réduction de la pression automobile passe nécessairement par un changement de paradigme, qui induit une modification du coût relatif des modes de transport. Un tel changement implique de penser conjointement la tarification des transports en commun et de l’automobile. Les travaux sur le sujet s’accordent sur l’idée que cette modification de coût relatif doit passer par une hausse de la tarification de l’automobile. Or vous reconnaîtrez, mes chers collègues, qu’une telle mesure est plus que politiquement incorrecte en ces temps agités !
Différentes contributions suggèrent que les modalités de mise en œuvre de cette tarification, comme le péage cordon, le péage de zone ou le péage sur le stationnement, jouent un rôle important en termes de performances. À titre d’exemple, des simulations réalisées pour Paris suggèrent des gains importants de bien-être, dont l’ampleur dépend de la technologie choisie.
Enfin, il convient de rappeler que la tarification ne constitue pas le seul outil en mesure de modifier le coût relatif des différents modes de transport. La réduction de la pression automobile devrait être envisagée dans une approche globale de la mobilité urbaine, incluant, outre la réflexion sur la tarification des différents modes de transport, la question de l’espace laissé à l’automobile – nombre de bandes de circulation, zones accessibles, etc. –, de l’espace laissé aux autres modes de transport – transports en commun, mais aussi marche ou vélo – et la promotion d’un usage plus efficace de la voiture à travers la promotion du covoiturage et de l’auto partagée.
Madame la secrétaire d’État, le débat sur la gratuité des transports permet, de manière plus globale, d’ouvrir celui qui concerne la mobilité urbaine. Il permet de reposer le problème de la place de voiture, la gratuité « servant d’alibi pour avoir à prendre des mesures impopulaires auprès des automobilistes » comme l’indique la Fédération nationale des associations d’usagers des transports, la Fnaut.
D’où ces questions simples. Partagez-vous cet avis ? Quel pourrait être le remède ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Vous avez raison, monsieur le sénateur Marchand, il faut réfléchir plus globalement à la mobilité urbaine et à la place de la voiture. Pour vous répondre, je ne peux que partager cette approche !
Les territoires sur lesquels on observe du report modal de la voiture individuelle vers d’autres modes de transport sont ceux qui ont développé, à la fois, une offre de services de mobilité diversifiée et de qualité, et une politique de régulation de la voiture, notamment par le biais du stationnement payant.
La mise en œuvre au 1er janvier 2018 de la dépénalisation du stationnement souhaitée par de nombreuses collectivités permet aujourd’hui d’utiliser ce levier pour travailler sur la place de la voiture individuelle dans les villes.
Par ailleurs, plusieurs grandes collectivités se sont engagées dans la mise en place de zones à faible émission, visant à réduire la circulation des voitures les plus polluantes dans les centres-villes, ce qui répond à des enjeux de santé publique.
S’agissant du péage urbain, la loi permettait déjà de l’expérimenter, mais selon un dispositif inopérant. Aucune collectivité n’a donc utilisé cette possibilité.
Après de multiples études techniques menées en prévision de l’élaboration du projet de loi Mobilités, dans le contexte de la crise des « gilets jaunes », aucun élu ne soutenant la mesure, celle-ci n’a pas été retenue dans le texte déposé par le Gouvernement au Parlement.
Cela nous montre simplement qu’il faut trouver un juste équilibre entre les contraintes et les mesures d’incitation positive. Ainsi, la mission suggère de réfléchir à d’autres solutions de mobilité, notamment les mobilités partagées, qui sont très encouragées au travers du projet de loi Mobilités.
Ce dernier incite aussi à se saisir du principe de la mobilité vue comme un service, une approche intégrée permettant à l’usager de disposer d’une information, d’une billetterie, voire d’une tarification qui combine tous les modes, indépendamment du territoire et de l’organisateur du service. Les autorités organisatrices de transports pourront ainsi développer des tarifications à l’usage, mixant toutes les formes de mobilité disponibles avec une facture en fin de mois, y compris les vélos ou les voitures partagées en libre-service.
Par ces actions, le Gouvernement entend ouvrir le champ des possibles pour améliorer les solutions de mobilité sur les territoires, afin que la nécessaire transition écologique en matière de mobilité ne soit pas vécue de façon punitive par nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Tout en saluant le rapport sur la gratuité dans les transports collectifs, qui nous permet d’avoir le débat de ce jour, je veux, moi aussi, évoquer le sujet du financement des transports publics, sujet que l’on ne peut plus éluder. D’ailleurs, je constate que c’est un refrain lancinant sur toutes les travées cet après-midi : il faut l’entendre !
Après les débats sur le projet de loi Mobilités, et après les interventions de mes collègues, je ne peux me priver de remettre le couvert…
Comme vous le savez, madame la secrétaire d’État, la ressource principale pour financer un service de transports publics ne provient pas des recettes de billetterie, que celles-ci existent ou non, si le choix de la gratuité a été retenu. Elle est liée, en grande partie, au versement transport, rebaptisé « versement mobilité ».
Vous n’ignorez pas non plus que cette ressource est un impôt de production, critiqué depuis toujours par le monde économique, au motif qu’il est basé sur la masse salariale.
La mise en place de ce versement, dans des territoires très industriels, suscite de très fortes oppositions et donne l’occasion à une forme d’allergie fiscale de s’exprimer. En pareil cas, il est très difficile pour un conseil communautaire de choisir d’en faire une fiscalité nouvelle.
Madame la secrétaire d’État, je vis dans un territoire, la vallée de l’Arve, qui a connu ces difficultés et qui, en même temps, doit faire face au défi de la pollution de l’air.
Comment envisagez-vous d’aider les collectivités, de leur apporter des solutions de financement ?
J’espère obtenir une réponse qui ne se cantonne pas à la dynamique de la TVA… Si vous vous contentez de cela, en évoquant un montant de 40 millions d’euros à l’échelon national, permettez-moi de vous dire, même si je ne suis pas très bon en mathématiques, qu’un simple produit en croix démontre le caractère tout à fait insatisfaisant d’une telle réponse. Les politiques publiques dont nous parlons sont extrêmement onéreuses ; j’attends vraiment une réponse d’un autre ordre !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur Hervé, le versement transport représente un montant important, puisque les entreprises, avec près de 4 milliards d’euros de versement transport, financent 44 % des recettes des transports collectifs.
Le schéma de gouvernance prévu par le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) est le fruit de longues discussions avec toutes les parties prenantes, parmi lesquelles le Medef, qui a vivement écarté toute perspective de hausse de ce versement transport, compte tenu de son poids actuel dans le financement des transports.
Pour autant, afin de répondre aux demandes légitimes des 25 % de citoyens, des 75 % de territoires dépourvus de réseau géré par une autorité organisatrice de transports, donc de solutions de mobilité organisées, la future LOM encourage les communautés de communes, qui représentent environ 20 millions d’habitants à l’échelle nationale, à exercer la compétence d’organisation de la mobilité.
Le versement transport est sanctuarisé et devient le versement mobilité pour les collectivités qui mettront en place des services de transport collectif réguliers, afin de préserver l’acceptabilité de cet impôt assis sur la masse salariale par les acteurs économiques – vous l’avez rappelé, c’est un sujet délicat.
Le Sénat avait proposé un versement transport réduit à 0,3 % pour les communautés de communes qui n’organisaient pas de services de transport collectif réguliers, ainsi qu’une affectation d’une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour celles dont le rendement était inexistant.
Alors que le versement transport est un impôt complexe pour les entreprises, cette solution conduisait à doubler le nombre d’entreprises soumises à cette imposition, ce qui les contraignait à assumer de nouvelles obligations déclaratives pour des montants très faibles.
C’est pourquoi le Gouvernement n’a pas souhaité retenir cette solution et a préféré recourir à la réforme de la fiscalité locale, en substituant, comme vous le savez, de la TVA dynamique à de la taxe d’habitation moins dynamique, afin que les collectivités confrontées à un problème d’acceptabilité ou de rendement du versement transport puissent, malgré tout, disposer de ressources pour organiser des solutions de mobilité sur leur territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour la réplique.
M. Loïc Hervé. Vous ne serez pas surprise, madame la secrétaire d’État, de ce que je vais vous dire… J’avais bien précisé que j’attendais autre chose que cette réponse. Mais vous ne me répondez pas plus que vous n’avez répondu à mon collègue du groupe socialiste et républicain !
Vous prétendez inciter les collectivités, surtout les communautés de communes ou d’agglomération, à exercer la compétence mobilité. Mais vous savez qu’il faut nécessairement des ressources et des recettes – c’est un « nécessairement » sonnant et trébuchant ! Que l’on soit confronté à une allergie fiscale sur le territoire ou à des difficultés de mise en œuvre – le conseil communautaire n’ose pas mettre le point à l’ordre du jour, ou alors, comme dans mon cas, la décision politique locale est négative – et l’on n’est plus en mesure de développer cette politique publique, pourtant vitale pour nos concitoyens.
C’est pourquoi je vous incite à travailler le sujet. Il est pour nous essentiel !
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Vous avez fait référence, madame la secrétaire d’État, à un rapport du GART publié au début du mois d’octobre. Consacré à la gratuité dans les transports en commun, ce rapport s’est appuyé sur les conclusions d’un colloque organisé en juin dernier à Nice, intitulé « Gratuité des transports publics : entre idéal et réalité ? » Il vient utilement compléter le rapport de la mission d’information.
Le constat est assez unanime : supprimer purement et simplement le paiement des transports par les usagers est une mesure relevant du leurre, voire de la démagogie dans les territoires tendus.
En effet, un service gratuit est forcément payé par quelqu’un, et la priorité pour l’usager, c’est avant tout la qualité de service. Il ne faut donc pas sacrifier la qualité à la gratuité !
De plus, la gratuité totale ne serait pas nécessairement au bénéfice des plus modestes, qui, bien souvent, on l’a dit, bénéficient déjà d’offres gratuites, tout comme les jeunes ou les seniors disposent de tarifs préférentiels.
À cela s’ajouterait un effet d’aubaine pour les vacanciers et les touristes dans les territoires à forte attractivité touristique, comme le mien, où le réseau serait alors financé par les seuls contribuables locaux.
L’offre payante est donc un levier de financement garantissant à l’autorité organisatrice de transports des moyens en matière d’entretien, des capacités d’investissements, mais également la faculté de proposer une pluralité d’offres, parfois proches de la gratuité. Dans la métropole Nice Côte d’Azur, l’instauration du ticket à un euro a permis d’introduire équité et solidarité territoriale, ce ticket s’appliquant à l’ensemble des 49 communes de la métropole, des zones de montagne jusqu’au bord de mer.
Je ne vais pas vous poser de nouveau la question de la baisse du taux de TVA, madame la secrétaire d’État, puisque vous avez répondu à Mme Éliane Assassi sur le sujet.
Je formulerai ma question différemment : le Gouvernement serait-il prêt à considérer les transports en commun comme des services de première nécessité, à l’image des pratiques ayant cours dans de nombreux pays – Allemagne, Royaume-Uni, Suède, ou encore Norvège ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Le colloque du GART à Nice, colloque auquel vous avez fait référence, madame la sénatrice Estrosi Sassone, a effectivement contribué à la réflexion et au débat.
Comme nous l’observions précédemment, la décision de mettre en place ou non la gratuité des transports publics relève avant tout du libre choix des collectivités locales. Ce n’est pas une décision de l’État. Les autorités organisatrices de transports restent libres de leur politique tarifaire, de l’appréciation de leurs marges de manœuvre financières et fiscales, comme en témoigne le choix de la métropole Nice Côte d’Azur que vous avez mentionné.
J’ai cité tout à l’heure plusieurs options : la tarification solidaire, qui permet de différencier les tarifs en fonction du revenu ou des statuts et qui apparaît comme une alternative pour répondre à la problématique de mobilité des populations les plus fragiles ; un accompagnement à la mobilité, avec la compétence mobilité solidaire et l’appui des départements et des régions par bassin de mobilité ; le développement d’une offre de qualité, considéré par la Fédération nationale des associations d’usagers des transports comme le critère essentiel.
S’agissant du fait de considérer les transports comme un service essentiel, je crains de devoir réitérer la réponse que j’ai donnée à Mme Éliane Assassi. Le manque à gagner serait de 800 millions d’euros pour le budget de l’État, qui n’est pas encore instruit à ce stade.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Ce rapport d’information sur la gratuité des transports à l’avantage de replacer la problématique dans sa globalité. Je pense notamment aux liaisons domicile-travail et aux incidences liées à l’étalement urbain.
En 1968, déjà, Henri Lefebvre, cité dans le rapport, notamment à la page 93, indiquait dans son livre Le Droit à la ville : « les milieux populaires souffrent d’une double peine, car, pour eux, la distance travail-domicile ne cesse de croître et parce que la pauvreté se traduit par l’usage des modes de transport plus lents, moins directs, inconfortables ».
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient de publier un avis sur le rapport entre travail, emploi et mobilités, dans lequel il est souligné que, plus que jamais, l’offre de logements est trop éloignée des lieux de travail.
Ainsi, on peut lire en page 69 : « L’étalement urbain est un facteur important de l’allongement des déplacements domicile-travail. La périurbanisation a tendance à s’accentuer avec le renchérissement généralisé du coût du logement en accession à la propriété ou pour le parc locatif et social. En effet, les écarts du coût du foncier, entre le centre des grands pôles urbains et leur périphérie, incitent les actifs et actives à rechercher des logements moins chers et plus grands plus loin des zones d’activité. »
Les politiques d’urbanisme des années 1960 ont montré leurs limites. La pression foncière dans les centres des métropoles, concentrant des activités tertiaires, rend l’immobilier résidentiel inaccessible.
Dès lors, madame la secrétaire d’État, y a-t-il une volonté gouvernementale de mettre en place des outils de régulation, notamment via la taxation des plus-values immobilières, pour financer, certes la diversification sociale du logement, mais aussi les besoins liés aux infrastructures et, de manière générale, les besoins en mobilité ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Je vous rejoins totalement, monsieur le sénateur Houllegatte, quand vous posez la question globale de l’aménagement du territoire et de l’étalement urbain.
Cette question est centrale dans les débats qui nous animent, à la fois au regard de la mobilité, compte tenu de l’allongement des temps de transport, et en matière de vivre ensemble, puisque les personnes se retrouvent éloignées des centres de travail comme des lieux de convivialité. En outre, elle évoque des défis écologiques redoutables, l’étalement urbain étant l’une des causes de l’artificialisation des sols et, donc, de la perte de biodiversité.
Vous m’interrogez sur l’articulation des politiques d’aménagement et des politiques de mobilité, l’amélioration des infrastructures de transport et des services encourageant l’étalement urbain, lequel nous invite à conduire des réflexions pour diminuer ces besoins en mobilité.
La mission dont nous discutons les conclusions aujourd’hui propose de poursuivre et d’élargir la réflexion sur les modes de financement de la mobilité, notamment en matière de captation des plus-values foncières. Du point de vue du Gouvernement, un travail pourrait être engagé en ce sens.
Je rappelle que plusieurs mesures prévoyant l’instauration d’une taxation des plus-values immobilières liées aux infrastructures de transport ont été adoptées par le Parlement au cours des dernières années. Aucune n’a été mise en œuvre.
S’agissant de l’Île-de-France, la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris avait ainsi prévu l’instauration d’une taxe sur le produit de la valorisation des terrains nus et des immeubles bâtis résultant des projets d’infrastructures du réseau de transports du Grand Paris, mais cette disposition a finalement été abrogée par la quatrième loi de finances rectificative pour 2010.
Une taxe sur le produit de la valorisation des terrains nus et des immeubles bâtis résultant de la réalisation d’infrastructures de transports collectifs en site propre avait également été instituée par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite Grenelle 2, mais cette taxe, qui ne concernait pas l’Île-de-France, n’a elle non plus jamais été appliquée. Elle a été abrogée par la loi de finances initiale pour 2015.
Si les outils existent en droit, l’absence de mise en œuvre conduit à s’interroger sur la complexité opérationnelle d’un tel dispositif. Les réflexions portent davantage sur des dispositifs fiscaux plus simples, avec une assiette territoriale élargie, financés par des ressources fiscales de type taxe sur les bureaux.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour la réplique.
M. Jean-Michel Houllegatte. Il y a urgence à remettre l’ouvrage sur le métier, madame la secrétaire d’État. Cela concerne notre capacité, à la fois, à repenser nos politiques urbaines et à revoir la taxation des plus-values. À l’heure actuelle, la pression foncière crée un mouvement centrifuge d’éviction. Dans son livre L’Archipel français, Jérôme Fourquet évoque un phénomène de gentrification des centres-villes. Celui-ci crée un risque social et sociétal très important.
Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les comparaisons internationales montrent qu’en France la part des recettes tarifaires dans les ressources des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) est significativement inférieure à celle des réseaux de transports collectifs étrangers. En effet, en France, les employeurs sont les premiers financeurs des transports publics. À l’exception culturelle française bien connue, la France ajoute discrètement l’exception du financement des transports publics.
L’apport financier des entreprises passe par deux canaux principaux : premièrement, la participation des employeurs aux frais de transport de leurs salariés, entre le domicile et le lieu de travail, pour un coût annuel de l’ordre de 900 millions d’euros pour les entreprises ; deuxièmement, le versement transport, prochainement dénommé « versement mobilité », qui est un impôt. Instauré en 1971 pour la seule région parisienne, ce versement a été progressivement étendu, de sorte que plus de 250 autorités organisatrices de la mobilité lèvent actuellement cet impôt sur les entreprises comptant plus de dix salariés.
Nous constatons, au cours des quinze dernières années, une baisse généralisée de la part des usagers dans le financement des transports publics et une hausse importante du versement transport. Celui-ci représente en moyenne 47 % des ressources des AOM. Dès 2017, 67 % des AOM de plus de 300 000 habitants ont atteint le plafond. Le nombre de municipalités ou de conseils d’agglomération qui offrent le transport gratuit n’a jamais été aussi élevé. Selon le groupement des autorités responsables des transports, elles sont au nombre de 29. Sous le couvert de la transition énergétique, une vingtaine de programmes électoraux proposent la gratuité totale, et plusieurs équipes sortantes y pensent à plus ou moins haute voix.
Ma question, madame la secrétaire d’État, est donc la suivante : ne pensez-vous pas que l’extension de la gratuité totale risque d’amener les employeurs à contester la légitimité même d’un impôt de plus en plus éloigné de sa raison d’être initiale ? Un vieux dicton nous apprend que la cruche finit par se casser à force d’aller à l’eau ; or le versement mobilité restera indispensable pour cofinancer les investissements nécessaires à la modernisation et à l’expansion continue des transports publics.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Danesi, le versement transport, effectivement, est aujourd’hui une ressource importante du financement des transports collectifs. Comme je l’ai dit plus tôt, il représente environ 44 % du coût total. C’est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas l’augmenter, mais simplement le stabiliser.
Qu’on le veuille ou non, une gratuité entraînerait forcément un transfert de charges vers les contribuables, alors que les autorités organisatrices ont à mener des politiques de renouvellement et d’extension du réseau. Ces politiques ont un coût. Ce qui n’est pas financé par l’usager le sera par le contribuable local ou par les employeurs – le cas du versement transport a été cité.
La gratuité induit une fréquentation supplémentaire des transports publics sur l’ensemble de la journée, y compris aux périodes de pointe, aggravant la saturation du réseau. La gratuité appelle donc des investissements et des dépenses de fonctionnement supplémentaires, les moyens de production, matériels et humains étant en effet dimensionnés pour absorber les heures de pointe.
Ainsi, pour les plus grands réseaux, la gratuité pourrait doublement renchérir le recours à l’impôt, notamment au versement transport : par un effet prix, entraînant une baisse de ressources, d’une part, et par un effet volume, entraînant une hausse des moyens de production nécessaires, d’autre part.
Comme vous le soulignez, pour la très grande majorité des réseaux de transports publics en zone dense, les besoins de mobilité sont tels que la gratuité apparaît plutôt pénalisante ; elle risquerait de remettre en cause l’équilibre subtil qui a été trouvé entre les financements de l’usager et du contribuable et de mettre en péril toute l’accessibilité du versement transport.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, notre rapport a eu une vertu, celle de sortir ce débat d’une approche un peu binaire. Nous avons montré que la gratuité des transports collectifs n’est pas une idée bonne ou mauvaise en soi : tout dépend dans quel but elle est mise en œuvre. Elle doit s’inscrire dans une stratégie locale de développement qui prend en compte les particularités du territoire et de ses habitants.
Pour ma part, je préfère la notion d’accès libre aux transports. Elle illustre mieux le fait que l’accès aux transports a un coût et qu’ouvrir cet accès à tous ou non relève d’un choix de la collectivité. Cette expression permet de mieux réfléchir à des outils alternatifs : la tarification solidaire, plus ambitieuse, implique non pas la gratuité totale, mais donne la gratuité à ceux qui en ont besoin.
Toutes ces mesures participent néanmoins d’une révolution sociale des mobilités, une révolution dont les effets positifs se feront sentir, à terme, pour l’ensemble des habitants : réduction de la pollution de l’air, amélioration de la fluidité du trafic, etc. Ces retombées positives vont bénéficier à tous : non seulement aux collectivités et aux AOM, mais aussi à l’État, via une baisse des dépenses de santé.
Pour renforcer ces externalités positives, notre rapport a mis en évidence l’éventualité de ressources alternatives à la fiscalité locale : une vignette pour les SUV, par exemple, ou l’affectation d’une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) au fonctionnement des transports en commun.
Madame la secrétaire d’État, quelle est la position du Gouvernement à l’égard de l’affectation d’une part de la fiscalité de l’État au financement des politiques de mobilité vertueuses ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Devinaz, vous avez raison, ce débat est l’occasion de sortir d’une discussion binaire. Je me réfère donc à la première recommandation du rapport : « Dépassionner le débat qui souffre trop souvent de positions de principe et d’idées préconçues. » Pour revenir au fond, la décision de mettre en place la gratuité relève bien du libre choix des collectivités territoriales – et donc des autorités organisatrices de la mobilité.
Des alternatives existent pour sortir de ce débat binaire. Premièrement, la tarification solidaire, que nous avons déjà évoquée dans ce débat, permet de répondre à la problématique de mobilité des populations les plus fragiles. Deuxièmement, nous pouvons accompagner la mobilité, au-delà de l’aspect tarifaire, avec la compétence mobilité solidaire des AOM, soutenues par la région et le département. Troisièmement, nous devons continuer à travailler sur le développement d’une offre de mobilité.
En ce qui concerne la TICPE, celle-ci est plutôt orientée vers les investissements. Elle ne me paraît donc pas une solution à ce stade.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.
M. Gilbert-Luc Devinaz. J’entends bien que la TICPE est orientée vers les investissements. En l’occurrence, il s’agit d’un investissement ! Si cette logique prévalait, et si nous avions une vision plus globale des dépenses de l’État, on pourrait constater que les aides aux collectivités pour développer des mobilités plus vertueuses permettent des économies dans le domaine de la santé !
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier.
Mme Brigitte Lherbier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure des bouleversements climatiques, plus personne ne peut faire aujourd’hui l’impasse sur la question de l’environnement.
Dans son rapport de 2018, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat préconisait d’atteindre une réduction de plus de 40 % des consommations d’énergie dans les transports, tout d’abord en réduisant notre usage de la voiture. Il ne s’agit pas de simples ajustements, comme le fait de prendre moins souvent sa voiture. Il s’agit de changer radicalement nos modes de vie en ville.
L’État et les collectivités territoriales ont une responsabilité dans le domaine des transports et de la mobilité. Les politiques doivent ainsi proposer à nos concitoyens les moyens de changer leur mode de vie, afin que la voiture ne soit pas le mode de transport prépondérant.
Peu d’expériences sur la gratuité des transports collectifs sont menées à l’échelle nationale. Cependant, l’une d’entre elles retient toute mon attention, celle de l’agglomération de Dunkerque, qui compte plus de 200 000 habitants. Après avoir été expérimentée le week-end pendant trois ans, la gratuité a fini par s’étendre à la semaine. Les premières conclusions sur l’expérience dunkerquoise semblent particulièrement positives.
Dans le débat des élections municipales, les maires de la métropole lilloise ont fait savoir qu’ils étaient favorables à la mise en place d’une gratuite partielle, tournée vers certains publics, notamment les jeunes, et même les très jeunes – ce à quoi je suis très favorable –, et lors des pics de pollution.
La gratuité totale n’est pas possible partout. Cependant, afin de lutter contre le changement climatique, l’État et les collectivités territoriales devront mettre en place des politiques plus incitatives.
Madame la secrétaire d’État, quels moyens le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour inciter nos concitoyens à utiliser davantage les services publics de transport collectif ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Lherbier, l’un des avantages de cette mission d’information et de ce débat est de pouvoir s’appuyer sur des expériences concrètes et réelles, qui nous permettent d’éviter les positions de principe, au-delà des préjugés. Il est manifeste qu’il revient à chaque autorité organisatrice de trouver le bon équilibre entre les différentes sources de financement, ses capacités d’investissement, le versement transport et ce qu’elle veut demander à ses administrés.
Si la métropole lilloise souhaite se diriger vers une gratuité partielle, une gratuite solidaire qui autorise une tarification qui ne pèse que peu ou pas du tout sur les jeunes, les plus fragiles ou les étudiants, ce choix relève de sa responsabilité, au sein d’une offre globale de transport consolidée.
Pour accompagner les autorités organisatrices, l’État ou le Gouvernement doivent faire passer le message suivant : il y va de la responsabilité des collectivités, dans le respect du principe de la libre administration territoriale, auquel cette chambre est particulièrement attachée. Ensuite, la LOM présente différents outils : la tarification solidaire, une idée qui est maintenant un impératif qui s’imposera aux autorités organisatrices, et surtout la lutte contre les zones blanches.
La première injustice est effectivement de résider dans un territoire couvert par une autorité organisatrice ou non. Notre objectif est de faire en sorte que, à moyen terme, tous les Français habitent des territoires couverts par des autorités organisatrices, qui trouveront le point d’équilibre. L’État soutiendra les autorités par la contractualisation, y compris par l’intermédiaire des appels à projets France mobilités, qui peuvent permettre d’innover. Cependant, les autorités ont la responsabilité de faire des choix.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, ce rapport sur la gratuité des transports collectifs parle essentiellement des transports en commun à l’échelle des aires urbaines. L’avant-propos précise en effet que la question des personnes vivant en zones périurbaines ou en milieu rural est une problématique plus vaste ; elle mérite un traitement à part entière, car aborder ce sujet par le prisme de la gratuité serait trop réducteur.
Néanmoins, les zones périurbaines et rurales qui entourent nos agglomérations et métropoles sont parfois couvertes par des réseaux de transport émanant de la ville-centre. Le service rendu est alors fortement déséquilibré. Pour illustrer concrètement mon propos, je vous parlerai des transports de la ville de Besançon et de sa métropole. Je le dis d’emblée, une gratuité totale à laquelle accéderaient exclusivement les habitants de la ville-centre, et donc ceux qui disposent de services et d’emplois à proximité immédiate, me semble particulièrement inéquitable. Les arbitrages budgétaires réalisés pour permettre cette gratuité empêcheraient, par exemple, le développement d’une meilleure offre par un réseau élargi ou un cadencement plus soutenu.
En revanche, j’adhère à l’idée de la gratuité partielle. Les jeunes sont une cible privilégiée à bien des égards. Je crois à la portée éducative que pourrait revêtir ce genre de pratique, en les incitant, dès le plus jeune âge, à se déplacer différemment de leurs aînés et à adopter d’autres réflexes, plus vertueux d’un point de vue écologique.
Ensuite, si le choix d’une gratuité partielle en direction des jeunes me semble pertinent, c’est aussi parce que la mobilité leur est purement et simplement imposée pendant leur scolarité !
Concernant l’exemple de Besançon et de ses communes périphériques, Grand Besançon Métropole est l’autorité organisatrice de la mobilité sur son territoire. La région Bourgogne-Franche-Comté, pour sa part, organise les transports scolaires, à l’exception des zones couvertes par un réseau urbain et périurbain. La conséquence est la gratuité totale du transport scolaire pour tous les élèves du ressort de la région, du cours préparatoire à la classe de terminale. En revanche, les élèves de la communauté urbaine doivent s’acquitter d’un abonnement mensuel important.
Le déséquilibre, une fois encore, se fait sentir. L’absence d’une mesure nationale sur ce sujet pose le problème de l’harmonisation, qui n’est pas automatique. Je ne sais s’il s’agit d’une bonne solution ; mais, si la gratuité peut être une solution pour un cas donné ou un territoire en particulier, elle ne le sera pas forcément pour un autre.
Madame la secrétaire d’État, comment le Gouvernement peut-il favoriser, tout en respectant l’autonomie des exécutifs locaux, une plus grande équité pour répondre à l’enjeu central que seront les mobilités de demain ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Grosperrin, la première équité – voilà le sens de notre action à travers la loi d’orientation sur les mobilités – est que les Français, partout sur le territoire, bénéficient de la couverture par une autorité organisatrice.
Vous avez raison de mentionner le fait que, à Besançon, comme ailleurs, l’autorité organisatrice ne peut être seulement la ville-centre, dont les habitants connaissent des situations tout à fait différentes par rapport à ceux de la périphérie. L’autorité organisatrice doit se déployer selon un maillage plus général, afin de mutualiser les moyens et être solidaire au sein même d’une communauté d’agglomération ou d’une communauté de communes, a fortiori d’une métropole, entre l’hypercentre et toutes les communes périphériques. La première solidarité consiste en une capacité à couvrir tout le territoire français et à exercer cette solidarité à l’échelle de l’agglomération.
La question que vous posez est une question d’équilibre entre l’action de la région et celle des intercommunalités. Vous reconnaîtrez qu’il ne revient pas à l’État de s’immiscer dans la relation entre les différents niveaux des collectivités locales ; cependant, votre question a du sens et doit être discutée. L’État contractualise aussi avec les régions dans le cadre des contrats de plan. La question peut donc se poser.
Il nous faut trouver un bon équilibre : pas de zones blanches, pas d’absence de réponse de la part des collectivités à celui qui demande une aide en matière de mobilité. Nous voulons une compétence exhaustive sur tout le territoire, un bon équilibre entre ville-centre et villes périphériques à l’intérieur des communautés d’agglomération ou de communes. La discussion doit donc aboutir entre les deux grands niveaux d’organisation que sont les intercommunalités et la région.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Madame la secrétaire d’État, à l’approche des élections municipales de mars prochain, les débats sur la gratuité des transports collectifs sont nombreux.
Aujourd’hui, chaque autorité organisatrice de la mobilité a mis en place une politique tarifaire plus ou moins avantageuse pour les usagers.
Je ne suis pas opposé par principe à la gratuité des transports urbains ; elle peut contribuer à réduire la pollution urbaine et à donner du pouvoir d’achat à nos concitoyens.
Pour que la gratuité ait un sens, il faut qu’elle permette un réel report modal, afin d’augmenter le nombre d’usagers délaissant leur voiture au profit des transports en commun. Les études le prouvent, plus les infrastructures de transports en commun en site propre sont nombreuses, plus les usagers les fréquentent. Les usagers ne s’y trompent pas ; ils préfèrent à la gratuité une offre de transports collectifs payante, mais plus développée.
Des questions se posent sur les conséquences de la gratuité, notamment sur la prise en compte de la hausse de la fréquentation des lignes existantes. L’équation est simple : plus de fréquentation implique un plus grand nombre de rames, plus de lignes pour atteindre l’objectif de réduction de la place de la voiture dans nos villes. Avec les modifications des modes de vie, nous pouvons même imaginer de prévoir des modules spécialement conçus pour les usagers du vélo.
Cependant, tout cela à un coût. À Montpellier, de lourds investissements ont été réalisés jusqu’en 2014. Il faut toutefois garder à l’esprit que la gratuité suppose, par définition, moins de recettes et un nécessaire redéploiement de certains personnels.
Aujourd’hui, dans le cadre des mobilités du quotidien et de la lutte contre le réchauffement climatique, l’État est-il prêt à s’engager dans une politique globale en soutenant financièrement une métropole comme celle de Montpellier, si elle décidait la gratuité de ses transports et, naturellement, l’extension de son réseau ? Je pense notamment à une renégociation des encours de dette de l’autorité organisatrice et à un fort soutien financier aux nouveaux investissements rendus nécessaires.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. La gratuité, comme l’ont montré les travaux du GART et de la mission dont on vient de parler, pose effectivement des questions de soutenabilité économique et doit être examinée au cas par cas pour en déterminer l’efficacité. Des recettes commerciales doivent nécessairement être compensées. Si la gratuité a été mise en place, dans les 29 cas analysés, plutôt sur de petits réseaux à faible potentiel de recettes, avec des ratios recettes/dépenses souvent inférieurs à 10 %, sa mise en œuvre sur des réseaux de grandes agglomérations comme Montpellier ne paraît pas facilement accessible. En effet, les recettes tarifaires des réseaux de ces métropoles, perçues auprès des usagers, représentent des sommes très importantes et couvrent une part significative des dépenses de fonctionnement.
L’État n’a évidemment pas vocation à intervenir financièrement dans les politiques de transport, qui relèvent des collectivités locales. C’est pourquoi il convient que celles-ci considèrent avec la plus grande prudence les effets potentiels de la gratuité sur leurs ressources, et donc sur leur capacité à répondre aux enjeux de demain.
En soutien des collectivités, l’État souhaite donc intervenir sur la qualité de l’offre. Montpellier a développé en peu de temps un réseau performant, notamment avec la création de quatre lignes de tramway. L’État souhaite continuer à favoriser le développement de projets structurants ; à ce titre, il continuera à soutenir de tels projets, avec un quatrième appel à projets en faveur des investissements en transports collectifs, lancé en 2020, la LOM ayant prévu des crédits à cette fin.
Conclusion du débat
Mme la présidente. Pour clore le débat, la parole est à Mme Michèle Vullien, présidente de la mission d’information.
Mme Michèle Vullien, présidente de la mission d’information sur la gratuité des transports collectifs. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes courageux collègues qui sont restés cet après-midi dans l’hémicycle, et que je remercie, la gratuité, certes, mais à quel prix ?
Les interventions d’aujourd’hui sont la preuve que le sujet de la gratuité des transports collectifs passionne et continuera sans aucun doute à faire parler de lui, surtout en cette période préélectorale.
Je tiens à remercier tout d’abord les administrateurs, le rapporteur et l’ensemble des groupes politiques qui ont participé, de manière constructive, aux travaux de la mission d’information. Nous sommes parvenus à atteindre un équilibre qui, je dois l’avouer, n’a pas été facile à trouver. Le premier projet de rapport n’avait d’ailleurs été ni adopté ni rejeté, et nous avions choisi, collectivement, de poursuivre notre réflexion, pour finalement aboutir à un rapport adopté à l’unanimité. Je tiens à saluer tout spécialement le rapporteur, M. Gontard, qui a bien voulu remettre l’ouvrage sur le métier au cours de l’été.
À la lumière des débats d’aujourd’hui, que faut-il retenir de la gratuité des transports collectifs ? D’abord, comme je le disais, c’est un sujet qui passionne, et pour cause ! À l’approche des échéances électorales du printemps prochain, nombreuses sont les propositions visant à instituer la gratuité des transports, le tout, bien souvent, sans évaluation préalable – j’ajouterai que ceux qui parlent de gratuité des transports sont ceux qui ne se sont jamais intéressés aux transports auparavant, et qui ne connaissent pas leur fonctionnement. En proposant de rendre les transports de leur collectivité gratuits, certains se font de la publicité à bon compte, si j’ose dire. Quant à savoir qui finance, on verra plus tard !
Cependant, dès que nous tentons une réflexion un peu approfondie sur la question, il est indéniable que la gratuité ne saurait être présentée comme une réponse miracle adaptée à toutes les situations.
Je reste personnellement convaincue que la gratuité, a fortiori la gratuité totale, ne reste possible que dans certaines situations très spécifiques, dans lesquelles deux conditions sont réunies. La première condition est l’existence d’un réseau de bus – et non de transport lourd – peu fréquenté, c’est-à-dire où la demande est inférieure à l’offre de transports. Les communes qui ont adopté la gratuité en sont un bon exemple. La seconde condition est un financement qui repose essentiellement sur le versement transport.
Dans ces cas très précis, seule la gratuité totale des transports collectifs peut servir, comme on l’a vu à Dunkerque, à renforcer l’attractivité du centre-ville ou encore à optimiser le service existant. J’avoue être beaucoup plus circonspecte, en revanche, sur les autres vertus que certains prêtent par ailleurs aux transports gratuits. Allez donc expliquer aux usagers du métro parisien, serrés à quatre par mètre carré aux heures de pointe, qu’il constitue un « lieu de vie » : succès garanti !
En outre, dans la très grande majorité des cas, la gratuité des transports collectifs reste une équation financière impossible à tenir pour les AOM en l’état actuel des financements, puisqu’elle implique à la fois la perte de recettes liées à la billettique, mais aussi une hausse des dépenses dues à l’augmentation de la fréquentation. Surtout, la gratuité des transports collectifs n’est pas demandée par les usagers, qui lui préfèrent bien évidemment un accroissement de l’offre. Depuis vingt-cinq ans que je travaille sur les transports collectifs de l’agglomération lyonnaise, je n’ai jamais entendu un seul citoyen réclamer la gratuité, mais toujours une offre accrue, un meilleur maillage, une plus grande fréquence et une plus grande amplitude horaire.
Plus encore, la question de la gratuité des transports collectifs, si elle reste une idée séduisante au premier abord, porte en elle le risque – cela a été dit – d’accroître les inégalités entre les zones urbaines, d’une part, qui disposent de réseaux de transports collectifs, et les zones rurales et périurbaines, d’autre part, où ils font souvent défaut. Comment justifier la gratuité des transports pour certains, alors qu’un grand nombre de nos concitoyens sont confrontés à d’importantes difficultés de mobilité dans de très nombreux territoires ? Je pense donc que la priorité doit rester le développement de l’offre de transport pour l’ensemble de nos territoires, et ce avant toute autre chose. Il y va de l’équité entre tous les Français.
Les différentes auditions que nous avons menées dans le cadre de cette mission m’ont davantage convaincue de l’intérêt de développer une tarification équitable et lisible, une tarification solidaire pour les usagers, que l’on appelle communément la gratuité partielle. C’est la raison pour laquelle la mission a proposé la création d’un observatoire de la tarification des transports, qui permettrait aux AOM envisageant cette gratuité, qu’elle soit partielle ou totale, de disposer d’un outil spécifique. J’ai d’ailleurs demandé à monsieur le secrétaire d’État Djebbari comment mettre en place cet observatoire. Il m’a répondu qu’il avait transmis la question à ses services, qui doivent être en train de l’étudier…
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Absolument !
Mme Michèle Vullien, présidente de la mission d’information. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en conclusion de cette mission, je crois pouvoir dire que la gratuité totale des transports collectifs ne constitue ni une bonne ni une mauvaise idée, mais un outil à disposition des collectivités pour contribuer, par exemple, à la revitalisation d’un centre-ville ou à la création d’un aménagement urbain qui laisse moins de place à la voiture.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Michèle Vullien, présidente de la mission d’information. Fondamentalement, à travers cette question, c’est celle de l’inégalité territoriale qui est posée. Je souhaitais vous dresser un panorama…
Mme la présidente. Votre temps de parole est épuisé !
Mme Michèle Vullien, présidente de la mission d’information. Pour conclure, je pense, à titre personnel, que la gratuité totale est un outil d’iniquité aggravant la fracture territoriale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport : La gratuité totale des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ?
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations
Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur le thème : « Bilan et perspectives de la compétence “Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations”. »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
La parole est tout d’abord à Mme Maryse Carrère, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux ans après son entrée en vigueur, il était important que nous ayons ce débat sur la mise en œuvre de la compétence « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » (Gemapi). C’était important, car cette création à beaucoup fait parler d’elle à une période où l’intercommunalité a subi vents et marées.
La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam), parmi les nombreux volets qu’elle comportait, est venue créer cette compétence Gemapi, à la suite des travaux de notre collègue Pierre-Yves Collombat.
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
Mme Maryse Carrère. Si nombreux étaient les élus réticents devant cette mesure, je pense aujourd’hui que c’était un mal nécessaire. Il nous fallait une gestion coordonnée de nos politiques en matière de milieu aquatique et de gestion des inondations. Les compétences étaient éclatées entre différents échelons – commune, syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU), syndicat intercommunal à vocations multiples (Sivom), syndicat de communes, syndicat mixte, EPCI – et entre différentes entités au sein même de ces échelons. À cela, s’ajoutait une absence totale de ressources humaines spécialisées sur ces questions.
Ce sont aussi des questions de responsabilités qui ont présidé à la création de cette compétence. La recherche permanente par nos concitoyens de responsables nous a très certainement poussés à nous adapter.
Les événements climatiques que nous avons connus dans les années 2010, comme la tempête Xynthia où les inondations dans de nombreux départements, sont venus étayer de manière parfois funeste ce constat.
En attribuant cette compétence au bloc communal, le législateur de l’époque a assuré le lien essentiel entre politique d’urbanisme, gestion de l’eau, prévention des inondations, pouvoirs de police du maire et surtout proximité, qui sont déterminants en matière de Gemapi. Il est également venu poser l’obligation, pour les élus de chaque territoire, de définir en fonction de leurs spécificités la stratégie et les moyens à mettre en œuvre pour l’amélioration des milieux aquatiques et la prévention des inondations.
Le texte tel qu’il avait été adopté comportait néanmoins quelques failles qui ne permettaient pas une mise en œuvre harmonieuse et sereine de cette compétence. À ce titre, le travail effectué lors de l’examen de la loi portant votre nom, monsieur le ministre, loi qui est venue intégrer la « sécabilité », a permis le passage d’une compétence exclusive à un « chef de filât » et a autorisé les départements à continuer d’agir dans ces domaines, a été plus que bienvenu. Aujourd’hui, après presque deux ans de fonctionnement, où en sommes-nous ?
S’il nous a fallu attendre longtemps la publication du rapport sur la mise en œuvre de cette compétence, les remontées du terrain nous ont permis de nous faire un premier avis.
Tout d’abord, je dirai que la prise effective de compétence varie selon les territoires. La carte intercommunale, la perception des risques d’inondation, l’éventuel risque de submersion et les moyens financiers ont plus ou moins précipité la prise de compétence Gemapi. Et pour cause ! Pour nombre d’élus, la création de cette compétence est apparue comme un transfert de charges de l’État. Force est de constater qu’il n’a pas été accompagné des transferts financiers équivalents et nécessaires. Si vous demandez aujourd’hui à un élu quelle est sa principale préoccupation concernant la Gemapi, il vous répondra sans hésiter : le financement !
D’abord, parce que l’instauration de la taxe Gemapi est aujourd’hui laborieuse, seulement un tiers des Français la paye ; ensuite, parce que cette taxe dépend en partie d’une taxe d’habitation dont la compensation est actuellement encore hasardeuse ; enfin, parce qu’elle ne rapporte pas suffisamment. Qui peut penser que les 145 millions d’euros récoltés l’année dernière sur l’ensemble du territoire permettront de financer les ouvrages ? Comment peut-on faire peser de nouveau sur nos concitoyens une nouvelle taxe ?
Je crains que, une fois de plus, les plus petites collectivités, avec les ressources les plus limitées, ne soient pénalisées et ne puissent faire face aux dépenses importantes résultant de l’exercice de cette compétence. Je le dis avec d’autant plus de liberté que ma collectivité fut l’une des premières à mettre en place la Gemapi.
Dès 2017, au sein du Pays de Lourdes et des vallées des Gaves, que je présidais, nous anticipions cette prise de compétence pour permettre une gouvernance commune de ces enjeux à l’échelle du bassin versant du gave de Pau amont. Cette prise de compétence ne s’est pas faite sans conséquence puisque désormais c’est près de 1 million d’euros de budget qui sont destinés à la Gemapi sur ce périmètre.
Or, même si nous étions précurseurs, de nombreuses questions restent aujourd’hui sans réponses et beaucoup d’élus ont l’impression d’être au milieu du gué, en particulier en termes de caractérisation de la compétence. Dans une question de décembre 2018, j’interrogeais par ailleurs Mme la ministre Jacqueline Gourault sur ce sujet, notamment sur la qualification de l’urgence.
Lorsque surgit un événement climatique entraînant des crues et des débordements de cours d’eau, il est souvent difficile de dissocier, d’une part, la protection des ouvrages réalisés ou non par l’établissement public de coopération intercommunale n’étant pas classés en tant que systèmes d’endiguement et, d’autre part, la protection des enjeux, de la population et des biens, prérogatives dévolues au maire.
D’ailleurs, il arrive bien souvent que les techniciens des entités chargées de la Gemapi viennent en appui pour réaliser des travaux afin d’éviter les inondations dans les zones habitées, mais aussi pour protéger les ouvrages dont la collectivité compétente pour la Gemapi a la charge contre les inondations. C’est la preuve que, si la définition de l’urgence est à établir, celle de l’intérêt général l’est tout autant. Ce constat soulève différentes interrogations.
Tout d’abord, les maires peuvent-ils agir sur les ouvrages dont les EPCI ont la charge afin de prévenir d’éventuels dégâts dans le cadre de leurs pouvoirs de police en termes de prévention des inondations ? Cette question de coordination dans la décision se pose également pour la gestion des systèmes d’endiguement. On note d’ailleurs, pour ces derniers, que l’État se fait aujourd’hui beaucoup plus regardant sur l’entretien de ces digues depuis le transfert aux collectivités !
Il va donc falloir aller plus loin dans l’information des élus des autorités « gemapiennes » sur l’avancement de la mise en conformité des systèmes d’endiguement qui les concernent, avec une véritable programmation concertée des travaux pour aboutir à une cohérence entre les systèmes proposés et les attentes des collectivités.
Même avec davantage de proximité, le financement de ces ouvrages restera incertain ! Les 15 millions annuels promis par le Fonds de prévention des risques naturels majeurs pour les digues sont insuffisants. Certes, monsieur le ministre, vous allez me dire que la somme a été déplafonnée, mais ce n’est qu’une réponse partielle aux EPCI concernés.
Une meilleure acceptation passera sans doute par une clarification des compétences en s’appuyant sur les piliers de l’organisation du bassin que sont les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux, pour le volet aquatique, les plans de gestion des risques d’inondation (PGRI), concernant les inondations, et par une garantie des financements sur les programmes pluriannuels cadres comme les contrats de rivières ou les programmes d’actions de prévention des inondations.
Si les outils tels que ceux que je viens d’évoquer ne manquent pas par leur nombre ni par leur efficacité, leur mise en œuvre est souvent laborieuse du fait des contraintes environnementales parfois incompatibles avec les soucis de prévention.
Je pense sincèrement que le salut de la Gemapi passera par une sanctuarisation des budgets des agences de l’eau et par une réorientation du fonds Barnier, préconisée par le récent rapport de nos collègues Nicole Bonnefoy et Michel Vaspart. Cette réorientation est une évidence lorsque l’on sait que, pour 1 euro de dépense en prévention, 7 euros sont économisés en réparation !
Monsieur le ministre, j’espère que vous aurez à cœur de répondre à nos interrogations qui sont nombreuses, notamment sur la gestion des dispositifs de défense contre la mer, la gestion des grands fleuves, mais aussi l’exercice de la Gemapi outre-mer.
Mes chers collègues, j’espère que vous aurez autant d’intérêt que moi à débattre sur ce sujet ô combien important pour nos élus et pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM et UC. – MM. Jean-Pierre Sueur et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au vu des aléas climatiques et face aux risques de crues et à l’intensité de leurs effets, la logique de la Gemapi est forte et solidaire.
La gestion des cours d’eau et celle du risque d’inondation sont liées. Elles nous obligent à penser de conserve la gestion des zones d’extension naturelle des crues et l’entretien des ouvrages de protection contre les inondations. Elle appelle à un défi technique, d’ingénierie et financier. C’est la raison pour laquelle la gestion de l’eau et la prévention des inondations devaient être rapprochées. Je suis donc heureux du débat que nous avons aujourd’hui sur ce sujet.
La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi Maptam, avait introduit par la voie d’un amendement sénatorial la compétence Gemapi, et en avait confié la gestion, à titre exclusif et obligatoire, aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Je le dis au passage, nous avions trouvé là une utilité aux établissements d’intercommunalité, car nous avions estimé à l’époque, ce qui ne peut pas être remis en cause aujourd’hui, que c’était dans cet espace que la solidarité pouvait s’exercer, et ce à compter du 1er janvier 2018 et au plus tard le 1er janvier 2020.
Vous l’avez rappelé, madame la sénatrice, très vite, des problèmes – j’en ai été un des praticiens à l’époque ! – se sont fait jour – organisationnels, de gouvernance et financiers –, alors même que l’amendement sénatorial avait prévu l’introduction d’une taxe additionnelle pour financer cette compétence.
La proposition de loi, promulguée le 30 décembre 2017, que j’ai eu l’honneur de défendre et que je vous remercie d’avoir citée – nous avons il est vrai beaucoup travaillé sur ce texte avec l’ensemble des groupes Sénat –, visait à prévoir plusieurs assouplissements pour tenir compte des réalités vécues sur les territoires. Elle partait du constat qu’il fallait préserver ce qui fonctionne. Ainsi la loi dispose désormais que les départements et les régions assurant une ou plusieurs des missions attachées à la compétence Gemapi peuvent poursuivre leurs engagements en la matière au-delà du 1er janvier 2020 – je pense, en particulier, à la prévention des inondations sur les côtes. Un certain nombre de départements étaient très engagés. Le texte tel qu’il était rédigé initialement ne leur permettait plus de poursuivre les actions menées.
Par ailleurs, les cours d’eau, comme les crues, s’ordonnancent et se développent à une échelle qui leur est propre, celle des bassins versants. Elle échappe parfois à la logique des découpages administratifs.
Dès lors, les limites administratives des collectivités territoriales ne sont pas adaptées à la disposition géographique des bassins. C’est la raison pour laquelle elles se sont réunies dans des syndicats mixtes, des établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau (Épage) ou des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB). C’est au sein de ces établissements qu’elles ont appris à travailler ensemble dans le cadre d’une coopération territoriale visant l’efficacité des politiques de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations.
La loi a donc introduit la possibilité de transférer ou de déléguer à un Épage ou à un EPTB une partie seulement des actions relevant de la Gemapi. De même, elle étend cette possibilité en cas de transfert de la compétence à un syndicat mixte de droit commun.
Enfin, la loi étend désormais à la prévention des inondations les missions d’animation et de concertation, ainsi que l’assistance technique mise par les départements à la disposition des EPCI ne disposant pas des moyens techniques suffisants pour exercer leurs compétences. Nous avons souhaité en effet pouvoir conforter les collectivités et les aider à prévenir les inondations.
C’est ainsi que le décret du 14 juin 2019 relatif à l’assistance technique est venu relever le plafond d’éligibilité des intercommunalités à l’assistance technique de 15 000 à 40 000 habitants, conformément à l’arbitrage rendu par le Premier ministre.
Où en sommes-nous ?
La compétence Gemapi, vous l’avez rappelé, madame la sénatrice, se structure progressivement et de manière différenciée : l’organisation de la compétence est aujourd’hui stabilisée ou en voie de l’être. Reconnaissons donc que la dynamique est enclenchée. Toutefois, nous constatons des disparités assez fortes entre territoires.
En matière financière, l’article 56 de la loi Maptam du 27 janvier 2014 a instauré la faculté, pour les communes et les EPCI à fiscalité propre, d’instituer la taxe Gemapi pour assurer l’exercice de leur compétence en la matière. Cette compétence est obligatoire pour les EPCI à fiscalité propre depuis le 1er janvier 2018.
La taxe Gemapi est un outil de financement puissant, clairement identifiable par la collectivité et par le redevable – le montant que ce dernier acquitte est explicitement mentionné dans son avis d’imposition –, et qui contribue à la simplicité du financement de la compétence. La taxe Gemapi est affectée aux dépenses afférentes à la compétence et est plafonnée à 40 euros par habitant. J’entends ce que vous dites par ailleurs sur la question du financement, mais ce sont des moyens qui avaient été prévus par le législateur au Sénat.
Une simple délibération de l’EPCI à fiscalité propre permet d’instituer la taxe, qui lui garantit une source de financement fiable dans la mesure où, d’une part, il adopte un produit et non un taux et où, d’autre part, la taxe est assise sur des impositions directes locales émises par voie de rôles et recouvrées par les services de l’État.
La taxe Gemapi a connu une montée en puissance sensible depuis 2017. Son rendement est passé de 25 millions d’euros en 2017 – vous avez été parmi les précurseurs – à 155 millions d’euros en 2018. Il atteindra près de 190 millions d’euros en 2019. En théorie, plafonné à 40 euros par habitant, le rendement maximal de la taxe Gemapi – sans inciter à quoi que ce soit – pourrait atteindre plus de 2,5 milliards d’euros. Par conséquent, cet outil reste mobilisable pour les intercommunalités.
En 2019, ce sont 556 EPCI à fiscalité propre qui ont adopté un produit de taxe Gemapi, soit 44 % du total. Ces EPCI regroupent une population de 32 millions d’habitants.
Pour conclure et avant de répondre aux différentes questions qui me seront posées, je voudrais dire que les orientations que nous avions prises avaient d’abord une visée pratique, sans renoncer à l’ambition de disposer d’un acteur unique chargé de conduire cette politique publique à travers les EPCI à fiscalité propre.
L’enquête lancée par la direction générale des collectivités locales (DGCL) auprès des préfectures en novembre 2018 et le suivi de la compétence montrent que les acteurs souhaitent désormais une stabilité dans les textes et un accompagnement de la mise en œuvre de la Gemapi.
Il me semble primordial de faciliter et de simplifier la mise en œuvre de la Gemapi en tenant compte des réalités locales et en faisant preuve de pragmatisme.
Les collectivités locales se sont approprié de manières différentes ces compétences. D’abord, parce que certaines étaient directement et très régulièrement confrontées aux problèmes d’inondation. Ensuite, c’était un formidable outil, mais il s’agissait parfois d’une compétence « orpheline », pardonnez-moi l’expression, ou pas exercée par les communes – on savait qu’un jour ou l’autre on pourrait avoir à l’exercer. Malheureusement, les aléas climatiques de plus en plus nombreux, de plus en plus fréquents et de plus en plus répartis sur le territoire amènent les collectivités à se saisir davantage de la question.
Les services de l’État restent pleinement mobilisés pour accompagner les collectivités locales dans la prise de compétence Gemapi, en particulier dans les territoires où la gouvernance doit encore être confortée. Je pense, notamment, à la question des fleuves – j’en connais quelque chose ! – ou à la question du trait de côte. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et UC. – MM. Jean-Pierre Sueur et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons, la mise en place de la compétence Gemapi n’a pas été simple sur certains territoires. Je souhaite aujourd’hui porter à votre attention un exemple essentiel et spécifique : la précarisation de notre modèle de gestion intégrée de l’eau par bassin versant.
Nous observons en effet un morcellement à la fois des entités et des méthodes, ce qui contribue à enrayer notre capacité à répondre aux attentes en termes de gestion de l’eau, et ce notamment en période d’urgence climatique. Deux points illustrent cette difficulté.
Le premier se situe dans la fragilisation des équilibres et des principes de solidarité déjà existants. C’est notamment le cas de la Bresle, petit fleuve côtier qui sépare la Somme de la Seine-Maritime, où deux EPCI sur sept composant le bassin versant ne travaillent pas la main dans la main, que ce soit entre eux ou avec les autres collectivités territoriales.
Cela nous amène au second point, qui concerne la clarification du périmètre des compétences, entre celles qui relèvent de la Gemapi et celles qui sont en dehors. Les problématiques liées au grand cycle de l’eau demandent une approche globale et intégrée. Plusieurs volets de la gestion de l’eau doivent être étudiés et envisagés : de nombreux pans sont à prendre en considération, passant tout autant par la qualité de l’eau que par sa quantité. Il faut également prendre en compte la biodiversité, vecteur essentiel de nos territoires, ou encore la préservation des ressources.
Monsieur le ministre, à la lumière des deux points évoqués, pensez-vous utile d’organiser dans des délais raisonnables un débat approfondi sur la question de la gouvernance et du financement des politiques de l’eau à l’échelle des bassins versants ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Bignon, je vous remercie de votre question. Je me suis rendu avec la ministre dans votre territoire pour traiter des questions d’inondations et de la Gemapi.
Le comité de bassin constitue l’instance de concertation privilégiée pour tenir un débat sur la question de la gouvernance et du financement des politiques de l’eau à l’échelle des bassins versants. Regroupant différents acteurs, publics ou privés, agissant dans le domaine de l’eau – collectivités, État, usagers, personnes qualifiées, milieux socioprofessionnels et le préfet coordonnateur de bassin –, le comité de bassin forme un véritable « parlement local de l’eau ». C’est d’ailleurs son rôle.
Le comité de bassin adopte en effet les grands axes dans le cadre des politiques nationales et européennes de l’eau, et pilote l’élaboration du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) à l’échelle des bassins hydrographiques, lequel fixe pour six ans les orientations qui permettent d’atteindre les objectifs attendus en matière de « bon état des eaux ».
Pour répondre plus avant à votre question, oui il faut examiner la gouvernance et la conforter. Je l’ai dit tout à l’heure, il importe de voir comment la compétence se met en œuvre. Par ailleurs, sur un certain nombre de sujets que vous connaissez très bien, il est important d’examiner les modalités de financement au fur et à mesure que la compétence se déploiera.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour la réplique.
M. Jérôme Bignon. Je souhaite compléter mon premier propos en disant que la Gemapi a contribué à rendre orphelines un certain nombre de missions pourtant essentielles et considérées comme étant « hors Gemapi ». Je pense à la préservation de la ressource en eau, tant en qualité qu’en quantité. Je pense aussi à la gestion des eaux pluviales et de ruissellement dont peu de collectivités souhaitent se saisir, faute de financement et de précisions apportées par la loi. Ces différents points devraient également être pris en compte dans le débat que vous nous avez proposé sur ces sujets.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Quand il est question de l’eau et de sa gestion, la mission du législateur n’est jamais simple. Comme c’est le cas pour la compétence « eau et assainissement », pour laquelle le débat n’est d’ailleurs toujours pas définitivement tranché, la compétence Gemapi aura eu un parcours législatif chaotique.
Aujourd’hui, plusieurs acteurs participent à cette compétence : des EPCI, des syndicats mixtes, mais aussi les départements et les régions. Toutefois, cette pluralité, qu’avait tenté de supprimer la loi Maptam, n’est pas forcément la principale difficulté. Je souhaiterais insister sur les problèmes tenant à la mise en œuvre de la Gemapi sur le littoral.
Les acteurs se trouvent confrontés à un empilement de procédures administratives, financières et environnementales de toutes sortes. Surtout, on constate que, dans les faits, la décentralisation n’est pas allée à son terme. Sur le terrain, la multiplication des procédures, les éternels aller-retour avec l’administration centrale masquent alors l’arbitrage local. On se retrouve aujourd’hui face à une contradiction : la lourdeur et la longueur des procédures s’opposent à l’urgence de protection des populations. Comment accélérer et simplifier les procédures ?
En Vendée, je citerai notamment l’exemple du syndicat mixte du Marais poitevin bassin du Lay. Cet organisme chargé de la Gemapi a récupéré un ensemble d’ouvrages en ruine qui nécessiteraient trois ou quatre ans d’études préalables à leur remise en état. Il se retrouve alors dans une situation très délicate, puisqu’il est dorénavant seul responsable d’ouvrages, en l’occurrence des digues, pour lesquels la responsabilité est demeurée floue pendant près de soixante ans. C’est une situation souvent techniquement et financièrement intenable. J’ajouterai qu’elle est moralement insupportable dans un département qui commémorera en février prochain les dix ans du drame de la tempête Xynthia.
Enfin, je poserai une dernière question, plus concrète encore, monsieur le ministre : de quels moyens dispose l’autorité chargée de la Gemapi si elle souhaite faire une digue sur un tracé qui a été refusé par le maire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Billon, votre question comporte des éléments très techniques. Pardonnez-moi si je ne vous réponds pas dans le détail. Je transmettrai votre question à la ministre pour qu’elle vous apporte des réponses précises.
Vous avez soulevé plusieurs difficultés. Vous m’avez notamment interrogé sur les modalités de mise en œuvre de la compétence et sur sa complexité, notamment dans un département comme le vôtre qui a été particulièrement impacté. La loi de 2017 a introduit un certain nombre de simplifications, que j’ai rappelées tout à l’heure, pour répondre en partie à des départements comme le vôtre. Je pense, notamment, à la possibilité de réintroduire les départements dans le jeu. Cela dit, la prise de compétences, et parfois la prise d’ouvrages, s’opère dans des conditions administratives complexes.
Des simplifications importantes ont été apportées à la réglementation sur les ouvrages hydrauliques, notamment avec l’instauration de l’autorisation environnementale unique, qui permet d’accélérer un certain nombre de procédures. L’État est conscient de l’enjeu lié à la nécessité de réaliser des travaux rapidement, notamment à la suite d’une crue ou en raison d’un risque de crue avérée. Une mission a donc été confiée aux inspections afin de voir comment accélérer la production d’un programme d’actions de prévention des inondations (PAPI), et sa mise en œuvre. Ses résultats seront connus d’ici à la fin de l’année 2019.
Par ailleurs, vous m’interrogez sur un projet qui n’aurait pas l’accord du maire. Je vous apporterai plutôt une réponse écrite plus précise. Quoi qu’il en soit, le fonds Barnier peut financer un certain nombre de renforcements, sans parler du onzième programme d’intervention. J’ai entendu votre sollicitation sur la préservation nécessaire des moyens de l’agence de l’eau. Il s’agit de moyens pouvant être dévolus au-delà de la taxe Gemapi pour répondre aux exigences de prise de compétence par les collectivités.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 octobre dernier, le Sénat a débattu des conclusions du rapport de ma collègue Nicole Bonnefoy Catastrophes climatiques : mieux prévenir, mieux reconstruire sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation, fait au nom de la mission d’information sur les risques climatiques que j’ai eu l’honneur de présider.
Le rapport conclut qu’une modernisation de nos politiques de prévention et d’indemnisation est indispensable pour relever durablement le défi du changement climatique.
Vous le voyez, monsieur le ministre, nous ne nous sommes pas uniquement focalisés sur les conséquences des catastrophes climatiques et donc sur le régime de catastrophe naturelle, mais nous nous intéressons à l’ensemble du phénomène, tout particulièrement à la prise en compte du risque, ce qui rejoint le débat que nous avons aujourd’hui sur l’initiative du groupe du RDSE.
Pour ces raisons, nous avons successivement proposé : de renforcer le rôle du conseil de gestion du fonds Barnier et de supprimer les sous-plafonds pour donner davantage de souplesse à sa gestion ; d’achever la politique d’élaboration des plans de prévention des risques naturels (PPRN) ; d’accélérer le traitement des demandes de labellisation des programmes d’actions de prévention des inondations (PAPI) et de simplifier les procédures applicables aux actions réalisées dans ce cadre ; de créer des instruments juridiques adaptés aux territoires confrontés au recul du trait de côte ; enfin, de créer les conditions pour développer une culture du risque chez nos concitoyens.
Pourquoi ce rappel ?
Parce que le transport de la compétence Gemapi a profondément fait évoluer le rôle des élus, qui sont devenus acteurs de la prévention des risques, et ce alors même que la frontière entre ce qui relève de la Gemapi et ce qui n’en relève pas n’est pas claire, et que le modèle financier n’est pas réaliste. Ce n’est pas vous, monsieur le ministre, qui pouvez me contredire sur ce point.
Surtout aussi, parce que le conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et l’inspection générale de l’administration (IGA) ont été mandatés pour évaluer l’efficacité de la mise en œuvre des PAPI et qu’ils sont, en ce moment même, en train d’examiner certaines des solutions que nous proposions dans nos travaux.
Monsieur le ministre, ceux qui veulent faire bouger les choses vont-ils, pour une fois, l’emporter sur les conservateurs, et la voix des élus sera-t-elle entendue par l’administration centrale ? (M. Jean-Paul Émorine applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, le Gouvernement a lu avec attention le rapport qui a été fait par le Sénat sur l’indemnisation et la prévention des risques climatiques.
En ce qui concerne le régime des catastrophes naturelles, des réflexions sont en cours en lien avec les acteurs concernés pour améliorer l’efficacité du dispositif.
Sur la prévention des risques, nous vous confirmons que le fonds Barnier est un levier essentiel du financement de la politique de prévention des inondations. Le plafonnement actuel de ce fonds n’obère pas son efficacité en raison de la trésorerie encore disponible. Sa gouvernance sera rénovée, avec l’implication plus importante du Conseil d’orientation pour la prévention des risques naturels majeurs (COPRNM), qui rassemble toutes les parties prenantes. Nous rejoignons aussi les recommandations du rapport visant à poursuivre et renforcer les actions de prévention : PPR, PAPI, développement d’une meilleure appréhension du risque, réduction de la vulnérabilité.
S’agissant de la vulnérabilité, je souligne que le taux d’aide aux propriétaires d’habitation par le fonds Barnier est désormais passé de 40 % à 80 % pour les PAPI. Il en sera de même pour les PPR dans les jours à venir.
Je veux revenir à ce que vous avez dit sur le rôle des élus. Il est vrai que du fait de la prise de la compétence Gemapi, les élus se retrouvent désormais plus souvent en première ligne. Autrefois, ils s’occupaient plutôt de la gestion après la survenance du risque, au moment des intempéries. Aujourd’hui, les citoyens leur demandent de prendre leurs responsabilités, ce qui rend nécessaire une articulation avec nos concitoyens et une appropriation du risque par ceux-ci, ce qui n’était pas toujours le cas auparavant. C’est un travail difficile, à mener avec les élus.
Je ne sais pas si je vais parvenir à vous rassurer, mais je tiens à vous faire part de notre volonté, avec ce dispositif Gemapi, à la fois, d’atteindre de grands objectifs et de tenir compte de la réalité du terrain afin d’adapter la législation ou les règlements aux réalités et aux besoins des élus.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, quelles conclusions tirez-vous de la réforme, en 2017, du dispositif qui avait été mis en œuvre en 2014, en particulier, je tiens à le souligner ici, grâce à l’implication de notre collègue et ami Pierre-Yves Collombat ?
Les sécabilités – pardonnez-moi d’employer ce terme quelque peu barbare – qui ont été introduites n’ont-elles pas pour effet de dissocier les instances qui s’occupent de la prévention des inondations et celles qui traitent de l’urbanisme et de l’aménagement ? Or, vous le savez, le problème central est de lier les deux, c’est-à-dire de construire en prenant en compte le risque d’inondation.
Enfin, vous n’ignorez pas qu’est intervenue une réforme de la taxe d’habitation ni que la Gemapi est assise, pour une part non négligeable, sur la taxe d’habitation.
Comment comptez-vous, dans ces circonstances, garantir les ressources qui financeront le dispositif Gemapi, et même les accroître, ce qui est absolument nécessaire ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, peut-être est-il un peu tôt pour tirer les conséquences du texte de 2017 qui est venu renforcer et améliorer le dispositif de 2014 ? Il était en effet prévu que ces compétences deviennent effectives, pour les uns au 1er janvier 2018, et pour d’autres au plus tard 1er janvier 2020. Vous le voyez, nous sommes encore dans un processus d’appropriation de la gouvernance de cette compétence.
Je ne crois pas que la sécabilité implique le risque d’une dissociation. Tout d’abord, ce sont souvent les mêmes élus qui siègent dans ces instances. Il ne vous aura pas échappé par ailleurs – je sais que vous connaissez bien l’agglomération orléanaise – que, dans un certain nombre de cas, l’aménagement du territoire et l’urbanisme demeurent des compétences des communes, le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) restant optionnel.
Il faut donc faire confiance aux élus pour parler des problèmes d’inondations – c’est pourquoi il est intéressant de traiter de la compétence Gemapi à l’échelle intercommunale –, mais aussi des questions d’aménagement et de construction. En effet, vous avez raison, on ne peut pas dissocier le risque d’inondation de la constructibilité ou de la faculté de rendre certaines zones constructibles.
Je ne pense donc pas qu’il y ait de risque structurel de dissociation. Dès lors que la question des inondations et de leur prévention est de la responsabilité des élus, j’imagine que ceux-ci portent une attention permanente à ce sujet. Pour les connaître tout autant que vous, je suis certain qu’ils veilleront à ce que, en matière de construction, les choses soient bien faites.
Vous m’avez demandé quel serait l’avenir de la taxe Gemapi après la suppression de la taxe d’habitation.
La suppression de la taxe d’habitation ne change rien aux pouvoirs des intercommunalités. Celles-ci pourront, tout comme auparavant, percevoir un produit, lequel sera réparti sur les autres taxes restantes. Je précise qu’un dispositif transitoire est prévu jusqu’à la suppression complète de la taxe d’habitation.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Sueur. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour vos réponses, mais je reste quelque peu sceptique sur la question financière. Il ne sera pas si simple pour les élus de répartir le produit aujourd’hui indexé ou annexé à la taxe d’habitation sur toutes les autres taxes…
M. Pierre-Yves Collombat. Sur toutes les taxes foncières !
M. Jean-Pierre Sueur. … lesquelles augmenteront en conséquence.
Je ne suis pas certain, en outre, que ce transfert permettra d’accroître la ressource, ce qui est pourtant important. Car, si la mise en œuvre de la taxe Gemapi est une mesure positive et nécessaire, nous savons tous aussi que son produit n’est pas encore à la mesure des besoins. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un certain nombre d’élus nous ont fait part de leurs inquiétudes et du fait qu’ils souhaiteraient des évolutions dans le but d’optimiser et de mieux financer certaines opérations de lutte contre le ruissellement. En effet, dans certains territoires, c’est l’une des premières causes d’inondations.
La taxe Gemapi définie à l’article 1530 bis du code général des impôts peut être mobilisée afin de permettre le financement des opérations de maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement, dès lors que ces opérations contribuent à réduire le risque d’inondation. Cela est d’ailleurs clarifié par la circulaire sur la mise en œuvre de la loi Gemapi du 30 décembre 2017.
Par exemple, les ouvrages hydrauliques conçus de manière à limiter les dommages des eaux de ruissellement peuvent être financés au titre de la compétence Gemapi.
Toutefois, cette taxe ne peut pas être mobilisée pour réparer les dégâts causés par le ruissellement et l’érosion, et leur non-intégration au sein de la Gemapi empêche la mobilisation des fonds qui lui sont consacrés pour mener des actions de réparation, avec des coûts parfois très lourds pour les collectivités concernées, compte tenu de leur situation budgétaire.
Par ailleurs, le rapport inscrit à l’article 7 de la loi, qui a été rendu en avril 2018, soulève la réflexion à mener pour mieux articuler le financement des opérations et équipements concourant à la prévention des inondations par la maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement.
Je souhaite donc connaître votre position, monsieur le ministre, sur l’éventuelle intégration de la lutte contre l’érosion et le ruissellement au sein de la compétence Gemapi, afin de permettre aux collectivités de mobiliser cette taxe pour ces opérations spécifiques, et sur les suites données aux recommandations de ce rapport. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Je vous remercie, madame la sénatrice, de votre question qui va me permettre de clarifier un certain nombre d’éléments, même si, concernant cette compétence – vous l’avez dit à juste titre –, la frontière peut être ténue…
La maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement, mentionnée au 4° de l’article L. 211-7 du code de l’environnement, demeure partagée entre les différents échelons de collectivités territoriales, dans la mesure où elle ne se rattache ni au service public de gestion des eaux pluviales urbaines ni à la compétence relative à la Gemapi ; c’est une difficulté que vous avez soulevée.
Il convient toutefois de préciser que les opérations répondant à la finalité de prévention des inondations, en assurant la maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement, sont considérées comme relevant de la compétence Gemapi et peuvent, de ce fait, être financées par la taxe Gemapi. C’est le cas pour la reconstruction d’un réseau – un exemple que vous avez cité –, dès lors que cette opération participe à la lutte contre le ruissellement ; à défaut, ce sont d’autres budgets qui sont sollicités.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour la réplique.
Mme Françoise Laborde. Vous dites, monsieur le ministre, que la réparation peut être considérée comme une mesure de prévention, et je l’entends. De nombreux maires étant présents cette semaine, je pensais que c’était une bonne occasion de vous poser cette question.
Nous sommes en présence de deux enjeux majeurs : le risque de se concentrer seulement sur les compétences obligatoires, et celui que les collectivités territoriales ne communiquent pas suffisamment entre elles ; un EPCI, par exemple, ne fait pas les choses de la même façon que son voisin… C’est parfois la difficulté de la loi Gemapi.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le ministre, ma question, qui s’inscrit dans la continuité de celle de Jean-Pierre Sueur, porte sur le devenir de l’assiette de la taxe Gemapi, qui est fragilisée par la suppression de la taxe d’habitation.
En effet, cette suppression laisse planer quelques incertitudes notoires quant à la composition de l’assiette de recettes de la compétence Gemapi, laquelle peine, chacun le sait, à s’adosser à un modèle économique stable. Je rappelle aussi, et vous l’avez confirmé précédemment, qu’il s’agit de plus de 150 millions d’euros, un montant de crédits modique à l’échelle nationale.
Le rapport d’évaluation des conséquences du transfert de cette compétence aux EPCI à fiscalité propre, qui a été confié à l’IGA et au CGEDD, préconise de « fiabiliser l’assiette de la taxe, qui subira le contrecoup logique de la suppression de la taxe d’habitation ».
En l’état, la suppression de cette taxe, sur laquelle est partiellement assise la Gemapi, emporte le risque de déplacer la charge de son coût budgétaire des populations locales aux entités qui sont redevables de la cotisation foncière des entreprises (CFE), ce qui aurait pour effet d’instituer logiquement une asymétrie de traitement, dès lors que les propriétaires du bâti exposé tireront le principal bénéfice de la réduction de l’exposition au risque.
Une attention particulière sera-t-elle portée au nécessaire rééquilibrage de l’assiette, entre taxe foncière et CFE ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Votre question, monsieur le sénateur, va me permettre de compléter la réponse que j’ai faite à M. Sueur.
La refonte de la fiscalité locale liée à la suppression de la taxe d’habitation ne modifie aucunement la faculté laissée aux communes et aux EPCI à fiscalité propre d’adopter un produit de la taxe Gemapi – je rappelle, en effet, que c’est sur un produit que l’on vote.
Les communes et les EPCI à fiscalité propre continueront, dans les mêmes conditions, à pouvoir adopter annuellement un produit d’imposition affecté au dépensier à l’exercice de la compétence, et plafonné à 40 euros par habitant.
L’article 5 du projet de loi de finances pour 2020, qui a été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture et sera débattu dans quelques jours au Sénat, est clair quant à l’assiette de la taxe Gemapi retenue après la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales. Contrairement à ce que vous dites, aucune incertitude notoire ne persiste. La refonte de la fiscalité locale modifie simplement les modalités de répartition du paiement de la taxe entre les redevables.
En 2020, la taxe Gemapi sera répartie entre la taxe d’habitation, les taxes foncières et la CFE, mais le taux additionnel de répartition appliqué sur la taxe d’habitation sera identique à celui de 2019. Cela permet de garantir à 80 % des foyers fiscaux de ne payer aucune taxe d’habitation en 2020. Le produit supplémentaire éventuellement adopté par l’EPCI à fiscalité propre sera réparti sur les autres impositions.
En 2021 et 2022, le montant de la taxe Gemapi réparti sur la taxe d’habitation sera diminué des dégrèvements accordés en 2020, pour éviter que les 20 % de foyers fiscaux restant temporairement assujettis à la taxe d’habitation ne soient confrontés à un ressaut de fiscalité.
À compter de 2023, le produit de la taxe Gemapi sera réparti sur la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, les taxes foncières et la CFE. La part répartie sur la taxe foncière sur les propriétés bâties sera calculée sur la base du taux communal.
Par construction, à produit de taxe Gemapi égal, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales entraînera un report de la répartition sur la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, les taxes foncières et la CFE.
Néanmoins, d’une part, ces modalités de répartition ne modifient pas le pouvoir d’institution et de fixation du produit accordé aux communes et aux EPCI à fiscalité propre compétents ; d’autre part, la hausse de la pression fiscale sur les redevables a été analysée et n’est pas excessive. Elle sera dans la majorité des cas de quelques dizaines d’euros au maximum.
Monsieur Sueur, je vous confirme que nous laissons aux collectivités la possibilité d’activer ou non, en fonction de leurs moyens et de leurs demandes, la taxe Gemapi.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Se donner les moyens de ses ambitions, tel est le titre du rapport d’information du Sénat à l’origine de la loi dite Gemapi, qui a donné les moyens d’une politique pérenne et générale de prévention de l’inondation.
D’abord, les moyens juridiques : en l’absence de gouvernance clairement identifiée, il s’agit d’attribuer la compétence – elle ne doit pas être « orpheline », comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre – aux EPCI, dont le bras armé sera au niveau des bassins, des syndicats, mixtes ou non, nommés les Épage.
Ensuite, les moyens financiers : ils sont assurés par une taxe assise sur une base très large, c’est-à-dire l’ensemble du foncier.
Ce qui manque aujourd’hui, ce ne sont plus les moyens, car le produit de la taxe Gemapi peut être augmenté – il y a des marges de manœuvre – et il s’ajoute à quelque chose qui existait ou non. J’entends que ce n’est pas suffisant : commençons déjà par utiliser ce dont nous disposons, et puis nous verrons ensuite !
Le problème est un manque de volonté et d’ambition, lesquelles ont été usées par l’opposition des acteurs traditionnels de la prévention et par les querelles byzantines des théologiens du contrôle de légalité, à propos de « qui doit faire quoi » et de l’utilisation licite ou non de la taxe Gemapi. On leur doit la paralysie de nombreuses opérations visant à maîtriser le ruissellement, cause principale des catastrophes survenues dans le sud de la France.
Ces oppositions semblent avoir votre oreille, monsieur le ministre, puisque la loi Fesneau, selon son exposé des motifs, correspond à « une demande forte exprimée par plusieurs collectivités territoriales ».
On rompt donc avec un apport de la loi : l’unicité de décision et de compétence, qui permet de ne plus séparer les problèmes d’urbanisation et ceux de prévention stricto sensu. Or la loi elle-même, au travers de la création des Épage, qui ont une structure de syndicat mixte,…
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Pierre-Yves Collombat. … permet cette coopération.
Monsieur le ministre, peut-on espérer voir un jour le Gouvernement défendre de nouveau cette ambition, en supprimant les obstacles administratifs imaginaires au déploiement d’une politique pérenne et générale de prévention de l’inondation et en stimulant la mise en place de structures locales fortement impliquées ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez été à l’origine de l’introduction de la Gemapi dans la loi Maptam, en 2014.
Vous avez raison, les moyens sont à disposition, car ils ont été prévus en 2014 par le législateur, en particulier par le Sénat.
Je ne partage pas la totalité de votre propos, dans la mesure où se pose aussi une question de solidarité entre les territoires. C’est le cas pour les problèmes fluviaux : un seul EPCI ne peut pas prendre seul en charge les digues, par exemple, car cela relève de l’intérêt général.
Vous vous retournez vers l’État, et vous avez raison sur un certain nombre de points. Concernant la structuration en Épage et en EPTB, le Gouvernement soutient les éléments de souplesse que vous appelez de vos vœux. Ainsi, le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique prévoit à cet égard de reporter la dérogation jusqu’au 31 décembre 2021, permettant à un syndicat mixte ouvert d’adhérer à un autre syndicat mixte ouvert, sans que ce dernier soit un Épage ou un EPTB.
Toujours dans un souci de souplesse, le Gouvernement entend également décaler d’une année supplémentaire la faculté de déléguer à un syndicat mixte non-Épage ou à un EPTB.
Par ailleurs, s’il est important que les territoires prennent conscience de l’importance de la Gemapi, il faut aussi leur laisser du temps. J’ai été témoin de situations dans lesquelles des syndicats avaient leurs habitudes, notamment pour l’exercice des compétences, et au sein desquels la convergence entre élus était délicate à assurer. Il faut en tenir compte. Les délais peuvent paraître longs, parfois même infinis, lorsque les risques sont très importants ; il faut cependant faire confiance aux élus locaux et faire en sorte que l’intérêt général prime.
Je ne doute pas que tel sera le cas dans l’exercice de cette compétence de gestion des inondations. Le chemin est long, mais nous dialoguons avec nos concitoyens pour leur faire prendre conscience des raisons pour lesquelles ils paient cette taxe. Les assouplissements de l’État s’inscrivent dans ce cadre.
Encore une fois, la confiance donnée aux élus permettra de mettre en place une organisation au plus près des besoins des territoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Perrot. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme Évelyne Perrot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi Maptam de 2014 a transféré aux EPCI à fiscalité propre la compétence Gemapi. La loi NOTRe de 2015 a fixé au 1er janvier 2018 la date d’effet de ce transfert. Enfin, la loi de 2017 a permis aux départements et aux régions de continuer d’exercer la compétence Gemapi. Ce qui était un assouplissement nécessaire pose aujourd’hui un problème d’exercice de la compétence au niveau local.
Dans mon département de l’Aube, par exemple, le département assure maintenant seul la compétence, les syndicats de proximité ayant été supprimés. Leur fonction était pourtant essentielle.
Nous avons besoin d’une approche qui soit la plus locale possible, pour bien gérer cette compétence, surtout compte tenu des effets du changement climatique.
À ce jour, les maires constatent un retard dans la gestion de proximité et trouvent que le suivi n’est plus évident. La gestion des cours d’eau en milieu rural est devenue difficile.
Monsieur le ministre, le rapport de novembre 2018 sur le bilan du transfert de la compétence constate que son accompagnement doit être renforcé. Qu’est-il donc prévu pour assurer l’exercice local de la compétence Gemapi dans les zones où le chef de filât est assuré par les régions et départements ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, vous l’avez rappelé, la loi du 30 décembre 2017 dispose désormais que les départements et régions, assurant une ou plusieurs des missions rattachées à la compétence Gemapi, peuvent poursuivre leur engagement en la matière au-delà du 1er janvier 2020. Dans de nombreux territoires, les départements sont en effet des partenaires importants des politiques de l’eau. Ils interviennent notamment dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques, apportant leur soutien financier ou une assistance technique pour certaines opérations d’investissement.
La place du département dans la gouvernance varie selon les configurations locales. J’entends ce que vous dites concernant le département de l’Aube, mais je rappelle que c’est un choix qui incombe aux collectivités. C’est sur autorisation des collectivités que le département peut intervenir. Je ne voudrais pas m’immiscer dans un débat entre collectivités : si le département exerce ces compétences, peut-être est-ce parce que les EPCI l’ont autorisé à le faire à l’échelle du territoire. Cela nécessite sans doute des évaluations internes, mais c’est un problème de gouvernance entre collectivités.
En tout état de cause, il n’existe pas juridiquement de chef de filât assuré par les départements ou les régions en matière de Gemapi. L’État est présent pour accompagner les collectivités et leurs groupements au travers, notamment, des missions d’appui technique de bassin qui ont été prolongées jusqu’au 1er janvier 2020, par décret du 27 décembre 2018.
J’en viens à votre question sur l’accompagnement. Les services centraux des ministères de la transition écologique et de la cohésion des territoires travaillent conjointement pour accompagner les collectivités dans la prise de compétence Gemapi. Des outils d’accompagnement sont d’ores et déjà disponibles. À titre d’exemple, au niveau national, des guides à destination des élus et des techniciens sont désormais disponibles. Un guide sous forme de questions-réponses a été mis en ligne sur les sites des ministères le 27 mai 2019.
Au niveau local, les services de l’État sont également mobilisés pour appuyer les collectivités, notamment par l’intermédiaire des stratégies d’organisation des compétences locales de l’eau (Socle) établies sur chacun des grands bassins versants français de métropole et d’outre-mer.
Enfin, le Gouvernement met en œuvre de nouvelles mesures comprenant l’assouplissement de la réglementation et des leviers financiers, afin de faciliter la mise en œuvre de la Gemapi partout sur le territoire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Perrot, pour la réplique.
Mme Évelyne Perrot. Monsieur le ministre, les petits syndicats de bassin et de rivière faisaient un travail remarquable et ils étaient animés par des bénévoles. Les maires ont beaucoup perdu avec leur disparition.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la compétence Gemapi répond au besoin de plus en plus pressant de replacer la gestion des cours d’eau au sein des réflexions sur l’aménagement du territoire.
Les élus locaux, malgré leur engagement, attendent que l’État donne une impulsion réelle pour la reconquête de la qualité des eaux. J’aimerais vous faire part de plusieurs observations d’élus chargés de l’eau dans mon département.
Le premier sujet est la maîtrise du ruissellement des eaux et sa mise en place dans les territoires, avec la trame bleue. La trame verte, qui favorise la promotion des haies, est également indispensable. Pour ce faire, il faut aider les agriculteurs à préserver ces haies.
Le deuxième point est la clarification de la gouvernance locale en matière de grand cycle de l’eau, qui n’est pas toujours une réalité : entre les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage), les départements, les régions et les EPCI, on constate encore une trop grande dispersion des initiatives et une sédimentation des responsabilités. Il faut vraiment veiller à mettre en place des actions de simplification pour, au moins, déterminer quelle échelle demeure prescriptive sur les autres.
Troisième observation : la compétence Gemapi, qui est à l’échelle des intercommunalités, et non à celle des bassins versants des cours d’eau, pose souvent des difficultés, notamment lorsque deux intercommunalités voisines ne souhaitent pas mener d’actions concomitantes pour la gestion d’une rivière. C’est problématique pour l’amélioration du bon état écologique de certains cours d’eau.
Enfin, quatrième point, la gestion des milieux aquatiques (GEMA) est fortement subventionnée par la région et l’agence de l’eau par le biais des contrats territoriaux milieux aquatiques. La prévention des inondations, en revanche, n’est pas subventionnée. L’État prévoit-il la mise en place d’aides au financement sur ce poste ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, le premier point de votre intervention concerne le grand cycle de l’eau, et même le petit cycle. Vous soulignez le rôle important des agriculteurs dans ce domaine, ainsi que les actions dans le domaine de la préservation des haies.
Un certain nombre de dispositifs existants, qui ne relèvent pas de la Gemapi, concourent à la lutte contre les inondations. Je pense en particulier à ceux relatifs au ruissellement et aux dispositifs prévus par la politique agricole commune. Des régions ont également mis en œuvre, dans le cadre de contrats de bassin ou avec le soutien de l’agence de l’eau, des mesures en direction des agriculteurs, qu’il faut soutenir.
Deuxième point, vous avez appelé à un travail de simplification. C’est un travail que nous menons au fil de la prise en charge de la compétence.
Troisième point, s’agissant de la mise en œuvre concrète du dispositif, on rencontre en effet des difficultés lorsque deux collectivités ont du mal à travailler ensemble.
Pour avoir présidé un EPCI et été maire d’une commune de petite taille – 700 habitants –, je considère qu’il n’appartient pas à l’État d’intervenir en tant que tel dans ce champ. Le choix qui a été fait, et qui est issu d’un amendement sénatorial, est celui de la libre administration des collectivités. J’essaye de ne pas me déjuger et de respecter ce principe en laissant les collectivités travailler ensemble et s’approprier la compétence.
Parfois, vous avez raison, il est nécessaire que les collectivités dialoguent entre elles : l’échelle de l’EPCI étant trop limitée, la question des inondations doit être gérée au niveau de plusieurs EPCI. Il nous faut tendre vers cela. Mais, comme je l’ai dit à M. Collombat, c’est un long travail d’appropriation par les collectivités.
Il arrive en effet que chaque collectivité raisonne en silo sur ses propres prérogatives. Mais, dès lors qu’il y a une gestion globale des inondations, un cours d’eau en partage ou une même politique de l’habitat, dans le cadre d’un schéma de cohérence territoriale (SCOT) par exemple, il est bon que les collectivités se parlent. Cela peut prendre du temps, encore une fois, mais il faut faire confiance aux élus locaux pour assurer, au bénéfice des habitants, le travail de prévention des inondations.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Institution Adour, EPTB couvrant les départements des Hautes-Pyrénées, du Gers, des Landes et des Pyrénées-Atlantiques, a lancé une étude d’opportunité de classement des systèmes d’endiguement. Les résultats et propositions de cette étude vous ont été transmis.
Il en ressort que le système d’endiguement semble être un outil réglementaire inadapté. Les territoires ruraux, qui disposent de longs linéaires de digues protégeant l’habitat diffus contre les inondations, auront d’énormes difficultés financières à maintenir ces ouvrages classés, et ce malgré l’instauration de la taxe Gemapi. Cette ressource financière est par ailleurs remise en cause par la suppression de la taxe d’habitation. À titre d’exemple, la mise aux normes de la digue de la rive droite de l’Adour maritime, longue de 23 kilomètres, qui protège 350 personnes, est estimée à 33 millions d’euros.
A contrario, certains ouvrages non classés ne peuvent pas non plus être abandonnés, en raison de la présence de population, d’activités économiques agricoles ou d’enjeux de préservation de sites protégés Natura 2000, comme les barthes de l’Adour.
Dans cette perspective, la proposition du décret d’août 2019 consistant à supprimer le seuil plancher de 30 personnes pour le classement des ouvrages n’est pas une solution. Il expose les entités « gemapiennes » à une situation inextricable, compte tenu du faible nombre d’habitants, et alors que les EPCI n’ont déjà pas les moyens financiers de classer des ouvrages protégeant des populations importantes.
Au-delà de cette impasse financière, cette proposition apparaît contraire à la compétence Gemapi, puisqu’elle est de nature à maintenir des contraintes au fonctionnement naturel des cours d’eau.
Ma question portera donc sur trois points.
Comment les entités « gemapiennes » vont-elles supporter le financement des ouvrages classés avec cet abaissement de seuil et la fragilisation de l’assiette de la taxe Gemapi ?
Pouvez-vous clarifier le devenir des ouvrages non classés au regard de l’obligation de mise en transparence hydraulique issue du décret de 2019 ? Qui sera chargé de la réaliser ?
En conséquence, ainsi que le président de l’Institution Adour vous l’a proposé, êtes-vous favorable à la création d’un nouvel outil administratif réglementaire, garantissant la sécurité publique, adapté aux territoires ruraux et qui serait assorti d’un dispositif d’accompagnement financier soutenable ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, la critique apportée au décret du mois d’août 2019 sur la suppression du seuil de 30 personnes pour les systèmes d’endiguement vient d’une lecture erronée de la réglementation antérieure.
Certains acteurs pensent que l’ancienne réglementation leur permettait de conserver les digues protégeant moins de 30 personnes sans être soumis à la réglementation. Or ce n’est pas le cas : la loi prévoit en effet que ces digues non intégrées à un système d’endiguement doivent être neutralisées, c’est-à-dire supprimées. L’ancienne réglementation aboutissait donc à supprimer automatiquement les digues protégeant moins de 30 personnes. La nouvelle réglementation permet de conserver ces digues si la collectivité le souhaite, pour répondre précisément à la question que vous avez posée. Mais cela n’est pas une obligation : c’est le libre choix des collectivités. Cette demande émanait d’un certain nombre de territoires. Là aussi, il s’agit de l’appropriation de la compétence : les collectivités ont, j’y insiste, le libre choix de prendre ou non cette compétence.
Par ailleurs, sur les financements, je ne voudrais pas répéter ce qu’a dit Pierre-Yves Collombat, mais la capacité à lever des financements existe. C’est ce qui est prévu dans le dispositif sénatorial, afin de répondre aux besoins de financement qui pourraient être nécessaires pour les dispositifs similaires à ceux que vous venez d’évoquer.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est désormais une habitude pour notre Haute Assemblée, je dirais même une figure imposée des débats sur les compétences des collectivités territoriales : je compte moi aussi vous parler d’eaux pluviales.
Pourquoi évoquer ce sujet ? Cette question est-elle encore d’actualité avec la loi du 3 août 2018 ? Si oui, un débat sur la Gemapi est-il le bon véhicule ?
Cette question, en apparence simple, est le plus beau symbole du dédale technocratique dans lequel on plonge les élus locaux. En conséquence, la question « Qui s’occupe des eaux de pluie en France ? » nécessite davantage de développements que le code du travail suisse.
Puisqu’il faut bien commencer quelque part, que savons-nous ?
Déjà, qu’il faut distinguer les « eaux pluviales urbaines », une compétence désormais autonome qui s’exerce « dans les zones urbanisées et à urbaniser », et le reste des eaux pluviales que l’on nomme « eaux de ruissellement ».
S’agissant de la compétence « eaux pluviales urbaines », celle-ci est obligatoirement exercée à l’échelon intercommunal, sauf pour les communautés de communes depuis la loi précitée du 3 août 2018.
S’agissant des eaux de ruissellement, il semble que nous soyons toujours en présence d’un angle mort.
Cette compétence ne relève pas de la gestion des eaux pluviales urbaines ni de l’assainissement, et elle n’est que voisine de la Gemapi. Par défaut, la jurisprudence la classe avec la voirie.
De fait, ni le rapport d’avril 2018 sur la maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement aux fins de prévention des inondations ni le rapport de l’IGA et du CGEDD du 21 octobre dernier n’offrent de réponse claire.
Alors, vers quelle formule nous dirigeons-nous ? Cette compétence « eaux de ruissellement » sera-t-elle un jour rattachée à la Gemapi ? Ou allons-nous assister, comme le propose le CGEDD, à l’émergence d’une compétence unique et intégrée « assainissement et ruissellement » ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, vous l’avez rappelé, dans son rapport au Parlement prévu par les dispositions de l’article 7 de la loi du 30 décembre 2017 relative à l’exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la Gemapi, le Gouvernement a souligné la diversité des moyens techniques pouvant être mobilisés pour assurer une gestion efficiente des eaux pluviales.
Je rappellerai le schéma dans lequel nous évoluons.
Pour les communautés urbaines et les métropoles, la loi rattache désormais explicitement le service public administratif de gestion des eaux pluviales urbaines à la compétence « assainissement ».
Pour les communautés d’agglomération et les communautés de communes, la loi introduit une nouvelle compétence distincte devant être exercée à titre obligatoire à compter du 1er janvier 2020 pour les seules agglomérations.
Vous me demandez, si j’ai bien compris le sens de votre question, pourquoi il en a été fait une compétence distincte. Parce que la gestion des eaux de pluie constitue un enjeu important, à la convergence de plusieurs champs d’action des collectivités territoriales.
Vous avez évoqué le « dédale ». Je reconnais volontiers que, structurellement, c’est bien de cela qu’il s’agit, et j’imagine que vous avez vécu la situation, quand on parle des eaux pluviales, puisqu’elles sont aux confins de plusieurs compétences – pour partie de l’assainissement, de la voirie, voire dans certaines circonstances de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations.
Ainsi, il fallait concilier la clarification juridique de la répartition des compétences exercées par les collectivités territoriales et la souplesse utile à la mise en œuvre de ces compétences. C’est bien l’objet des dispositifs qui ont été votés par les parlementaires.
Dès lors, identifier spécifiquement la compétence « eaux pluviales urbaines » et la confier obligatoirement, à l’instar de l’assainissement, aux métropoles et aux communautés urbaines à compter du 1er janvier 2020 constitue une clarification institutionnelle. C’est aussi une simplification financière, car la gestion des eaux pluviales étant une compétence distincte, il n’est plus obligatoire de la financer par le budget de l’assainissement : il pourra être recouru au budget général, voire à la taxe Gemapi, si le traitement des eaux pluviales est lié, comme c’est parfois le cas, à la prévention des inondations par exemple.
Cette compétence demeurera cependant facultative pour les communautés de communes. Il est ainsi laissé aux communes membres d’une communauté de communes le choix d’apprécier au regard du contexte local – c’est donc une liberté locale – l’opportunité ou non d’une gestion à l’échelle de l’intercommunalité.
M. Pierre-Yves Collombat. Il faudra réunir un concile !
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que, dans le cadre du onzième programme 2019-2024, les agences de l’eau voient leur champ d’action étendu, notamment à la lutte contre le changement climatique, ce que l’on peut tout à fait comprendre, votre gouvernement a institué un plafond de recettes à hauteur de 12,6 milliards d’euros.
Avec ce plafond, les six agences se voient amputées de plus de 1 milliard d’euros par rapport au dixième programme. Cette situation induit mécaniquement la diminution et l’arrêt de certaines aides aux collectivités territoriales qui sont toujours nécessaires pour mener à bien les compétences « eau », dont la Gemapi.
Pourtant, il est plus que jamais indispensable de donner aux agences de l’eau les moyens de faire face aux défis liés au réchauffement climatique et à la dégradation des milieux aquatiques, comme il est nécessaire de donner aux collectivités les moyens d’exercer leur compétence « eau ».
Monsieur le ministre, il faut revenir au principe selon lequel « l’eau paie l’eau ».
La compétence Gemapi justifie que les agences de l’eau apportent leur aide aux établissements chargés, pour le compte des EPCI, de la gestion des bassins versants. Le lien est évident entre biodiversité, fût-elle cultivée, des bassins versants et qualité des milieux aquatiques, et donc de la ressource en eau.
Les agences de l’eau sont les mieux placées pour faire le suivi et la synthèse de la relation entre l’eau et la biodiversité à l’échelle des bassins versants.
Comment envisagez-vous d’aider concrètement les intercommunalités chargées de la gestion des bassins versants pour que la biodiversité et les cultures soient utilisées comme moyen de restaurer la qualité des milieux aquatiques et de la ressource en eau ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Franck Montaugé, je vous remercie de votre question, qui s’éloigne quelque peu du sujet de la Gemapi,…
M. Jean-Pierre Sueur. Non !
M. Franck Montaugé. C’est lié !
M. Marc Fesneau, ministre. … mais qui en est le corollaire.
Je ne dis pas que ce n’est pas lié : c’est une question attenante à la Gemapi. Un certain nombre des actions que vous avez citées peuvent concourir à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations.
Vous avez parlé des financements. Je répondrai ensuite au sujet des agences de l’eau, mais, au risque d’être répétitif, je redis que, tel que le dispositif a été conçu au Sénat, il est possible de lever des financements au travers de la taxe. Cela permet de répondre en partie à votre question.
Vous avez eu raison de souligner la concomitance des actions, parce que tout est lié : dès lors que l’on travaille sur un cours d’eau, on peut aussi travailler sur les inondations, la qualité de l’eau, la biodiversité… Il faut mobiliser différents outils, en l’occurrence plutôt les agences de l’eau.
Les assises de l’eau ont souligné l’importance de ces actions. Je rappelle qu’un « aqua prêt » de la Caisse des dépôts et consignations a été mis en place pour financer des actions. Près de 57 millions d’euros de prêts ont déjà été engagés au premier semestre de 2019.
En ce qui concerne les paiements pour services environnementaux (PSE), un dispositif a été notifié à la Commission européenne. Il devrait permettre de protéger les ressources en eau et les milieux aquatiques et de répondre, comme vous l’avez souligné, aux questions relatives à la gestion des milieux aquatiques et à la préservation de la biodiversité.
La loi de finances pour 2018 a mis en place un plafond mordant pour les redevances des agences de l’eau, vous l’avez rappelé. Le onzième programme d’intervention des agences prévoit cependant un accompagnement des actions de Gemapi, dès lors qu’elles sont corollaires aux actions de préservation des milieux aquatiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos réponses.
Je me réjouis que vous ayez évoqué les PSE, qui pourraient faire partie du dispositif. Ces PSE pourraient donner lieu à des conventions tripartites entre les EPCI ou leurs établissements, les agriculteurs et les agences de l’eau. Vous le savez certainement, des expériences vont d’ores et déjà en ce sens sur le territoire national, particulièrement en Occitanie, dans mon département, avec l’agence de l’eau du bassin Adour-Garonne.
Mme la présidente. La parole est à Mme Vivette Lopez. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Vivette Lopez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je viens d’un département fortement soumis aux caprices du temps, le Gard – vous pouvez l’entendre à mon accent ! –, dans lequel la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations fait presque l’objet d’une obsession collective, tant elle a pu impacter tragiquement le quotidien de ses habitants. Jugez plutôt : depuis la moitié du XIIIe siècle, le Gard a connu plus de 500 crues.
L’équinoxe d’automne représente pour nous la période la plus critique. Vous comprendrez donc aisément qu’à cette période chaque grosse pluie soit attendue avec tant d’appréhension. Chacun a en effet en mémoire la terrible catastrophe du 3 octobre 1988 à Nîmes, sans compter la déferlante qui s’est abattue sur le Gard les 8 et 9 septembre 2002. Le bilan de ces inondations a été dramatique, avec 22 morts, 299 communes du département sinistrées sur 353 et plus de 830 millions d’euros de dégâts.
Face à ce constat, la nécessité de réduire durablement la vulnérabilité de notre territoire est apparue comme une évidence. Différents acteurs se sont donc attachés, avec plus ou moins de succès, à mener successivement des actions visant à réduire l’impact des inondations sur les personnes, les biens et les activités économiques, avec la création de syndicats départementaux, régionaux, puis interrégionaux, le déploiement de moyens pour l’endiguement et la création de bassins de rétention, pour en citer les principales.
Pourtant, le principe de la protection contre les risques naturels n’a jamais été remis en cause et relève le plus souvent des habitants ou des propriétaires généralement regroupés en associations. L’aménagement du territoire, et particulièrement l’organisation des zones urbanisées, doit aujourd’hui intégrer, outre la satisfaction des besoins liés au logement et aux activités économiques, les atteintes liées à la sécurité des personnes et des biens et celles liées à la qualité de vie et à l’environnement.
La directive-cadre sur l’eau et la directive Inondations ont fixé un cadre et des objectifs ambitieux en matière de gestion équilibrée de la ressource en eau. La mise en place de la compétence Gemapi répondait ainsi opportunément à un besoin de cohérence de l’action publique, de replacement de la gestion des cours d’eau au sein des réflexions sur l’aménagement du territoire, de recentralisation des différents acteurs pour une meilleure efficacité.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Vivette Lopez. Force est ainsi de reconnaître, à deux mois à peine de la date butoir de la mise en place obligatoire de la compétence Gemapi, qu’il subsiste encore de véritables questions.
Mme la présidente. Concluez, ma chère collègue, vous avez déjà largement dépassé votre temps de parole !
M. Patrick Kanner. Ce n’est pas grave !
Mme Vivette Lopez. Ma question est la suivante : quelles mesures l’État envisage-t-il pour renforcer la gouvernance de la Gemapi et finaliser la structuration de cette nouvelle compétence ? Qui finance ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Vivette Lopez, je voudrais d’abord saluer le travail qui a été fait dans le Gard depuis des années. Vous l’avez dit, ce département a payé un lourd tribut, de façon assez répétitive malheureusement, aux inondations. Il s’est, d’une certaine façon, organisé pour répondre aux questions que pose la prévention des inondations, et il est l’un des départements les plus « résilients », pour reprendre l’expression consacrée, en matière d’inondations.
Vous me demandez comment le Gouvernement entend agir pour favoriser la gouvernance.
D’abord – pardonnez-moi de le dire, mais je ne pense pas que ce soit une insulte ici au Sénat –, en faisant confiance aux élus locaux. Dans le Gard, comme dans beaucoup de départements – je pense aux parlementaires qui ont évoqué la Vendée –, vous vous êtes saisis vous-mêmes de la question sans attendre forcément de l’État qu’il s’en occupe.
Ensuite, comme je l’ai évoqué précédemment, en faisant en sorte que l’État puisse vous accompagner avec des missions d’appui, pour vous permettre d’organiser au mieux la gouvernance entre collectivités dans le cadre de la Gemapi.
Tel est bien au fond l’objet de la Gemapi – je le dis en me tournant vers Pierre-Yves Collombat, que je sens assez « de la partie » dans cette affaire, attentif et comptable du dispositif qu’il a fait voter en 2014 ! C’est bien l’objectif qui était visé avec le vote de l’amendement relatif à la Gemapi, et dont on constate déjà la mise en œuvre dans le Gard.
Il faut faire confiance aux élus locaux. L’État accompagnera la mise en œuvre de la gouvernance dans les meilleures conditions.
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 27 janvier prochain, cela fera six ans que le processus de transfert de la compétence Gemapi a été engagé.
Six ans plus tard, la discussion autour de l’exercice de cette compétence n’est pas close. Ce débat de contrôle demandé par nos collègues du groupe du RDSE en est une preuve flagrante.
Au contraire, avec la loi dite Fesneau, puis avec la loi dite Ferrand, et enfin avec le projet de loi Engagement et proximité, nous assistons à une inflation législative sur le thème, preuve que ce transfert de compétence ne s’est pas déroulé dans les conditions que les élus appelaient de leurs vœux.
Car, contrairement à ce que certains imaginent, si les élus n’ont pas été enthousiastes à l’idée de se voir confier une compétence qui relève bien souvent de la sécurité publique, et donc du pouvoir régalien, ils ont assumé leurs responsabilités.
Mais puisque cette compétence a été transférée, et certains arguments en faveur de ce transfert sont pertinents, les législateurs que nous sommes demandent, dans le cadre du pouvoir de contrôle qui est le leur, que ce transfert de compétence soit accompagné des moyens nécessaires à son exercice.
Or les interventions d’aujourd’hui, quelles que soient les étiquettes partisanes, montrent que tel n’est pas le cas. Ma question va donc relayer l’intervention de mes collègues, et notamment celle de Patricia Morhet-Richaud, qui évoquait la sous-consommation des crédits européens.
Personne ici ne souhaite que la taxe Gemapi ou les redevances des agences de l’eau deviennent les seules variables d’ajustement d’une compétence trop lourde à porter.
Aussi, monsieur le ministre, souhaitez-vous, comme l’évoque le rapport de l’IGA et du CGEDD d’octobre dernier, que les aides européennes puissent être fléchées vers des programmes stratégiques sur l’eau ? Surtout, êtes-vous en mesure de nous garantir que la future période de programmation 2021-2027 donnera plus de place aux projets qui correspondent aux axes de prévention des risques et de protection de l’environnement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, je vous apporterai deux éléments de réponse.
D’abord, je suis en désaccord avec vous sur un point : le dispositif initial a été voté par des parlementaires qui connaissaient bien la question de Gemapi. Je me vois mal dire que la compétence aurait des défauts originels…
Simplement, la mise en œuvre de la compétence a montré un certain nombre d’écueils, en termes de gouvernance et de pilotage, mais pas vraiment de financements, parce que, comme l’a rappelé Pierre-Yves Collombat, ces financements sont disponibles. C’est le dispositif qui a été choisi à l’époque non pas par un gouvernement, mais par les sénateurs.
Je vous remercie d’avoir cité la loi qui porte mon nom – cela fait toujours plaisir, car on a l’impression d’avoir fait des choses mémorables ! –, mais les textes qui ont suivi – ils invitent à la modestie – n’ont eu d’autre objectif que de simplifier le dispositif. Ce n’est pas de la surlégislation ! Ils ont répondu à la demande – plusieurs personnes le savent dans cet hémicycle –, soit de présidents de département, soit de présidents de région, soit de présidents d’intercommunalité.
Au travers de ces textes, nous n’avons fait que répondre à la demande des élus. Pour une fois, les lois n’ont pas complexifié les choses, mais les ont plutôt simplifiées, grâce à un travail de coproduction, d’analyse et d’évaluation de la façon dont la compétence était mise en œuvre sur le terrain.
Ensuite, sur les fonds européens, la précédente période de programmation était placée, comme vous le savez, sous la gouvernance des régions. Nous partageons d’ailleurs, si je puis dire, la même région – vous êtes élue d’Eure-et-Loir.
Les compétences des régions en termes de biodiversité et de préservation de l’environnement se sont exercées, pour ne citer que cet exemple, au travers des mesures d’agri-environnement. Dans le prochain programme – les financements relèvent du deuxième pilier de la politique agricole commune –, il y aura évidemment des mesures qui contribueront à la préservation de l’environnement et de la biodiversité, notamment dans les milieux aquatiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la compétence Gemapi pose un problème fondamental d’un point de vue opérationnel.
Elle transfère de façon exclusive et obligatoire la compétence aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, en associant deux volets aux problématiques bien différentes : la gestion des milieux aquatiques d’une part, la prévention des inondations d’autre part.
La loi fait référence à quatre items : l’aménagement d’un bassin ou d’une fraction de bassin hydrographique ; l’entretien et l’aménagement d’un cours d’eau, canal, lac ou plan d’eau, y compris les accès ; la défense contre les inondations et contre la mer ; la protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides, ainsi que des formations boisées riveraines.
Aux différentes actions relevant de la Gemapi, différentes solidarités sont associées : la solidarité interne aux EPCI, la solidarité de bassin et la solidarité nationale.
Le rapport de l’IGA et du CGEDD recommande de clarifier la politique de l’eau et de préserver la solidarité territoriale et nationale via les agences de l’eau et le fonds Barnier.
Parmi les quatre items du code de l’environnement, il est également difficile de distinguer ce qui relève de la gestion des milieux aquatiques, du « GEMA », et ce qui relève de la prévention des inondations, du « PI ».
Monsieur le ministre, l’État a imposé aux EPCI la compétence Gemapi, mais il a une importante responsabilité à assumer, stratégique et opérationnelle certes, mais aussi financière.
À fiscalité constante, comment clarifier la compétence Gemapi sans transférer toute la responsabilité de la politique de l’eau aux communes et intercommunalités, dont beaucoup risquent de se retrouver dans une situation critique face à la multiplication des événements climatiques extraordinaires ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je voudrais d’abord clarifier une chose : l’État n’a pas d’office transféré la compétence Gemapi aux EPCI. Ce sont le Sénat, l’Assemblée nationale, les élus qui ont souhaité que cette compétence soit transférée aux EPCI.
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas un transfert ! Elle n’était à personne…
M. Marc Fesneau, ministre. On ne va pas engager le débat, mais c’était un transfert dans certains cas. Il s’agissait donc d’une volonté collective.
M. Pierre-Yves Collombat. Arrêtez de dire n’importe quoi !
M. Marc Fesneau, ministre. Parfois, l’État impose de tels transferts, mais ce n’est pas le cas s’agissant de cette compétence.
M. Pierre-Yves Collombat. Ça n’a rien à voir !
M. Marc Fesneau, ministre. Ensuite, vous avez évoqué les problèmes liés à la prise en bloc de ces quatre items, mais, telle qu’elle a été votée, la loi du 30 décembre 2017 – j’ai l’impression de faire de l’autopromotion, alors je le dis avec recul – permet justement aux élus d’organiser ce qu’on appelle, en employant un terme qui n’est pas très beau, la « sécabilité » de la compétence. Cela signifie que l’on donne aux collectivités le pouvoir de décider quelles compétences relèvent du bloc Gemapi, et donc des EPCI, tandis que les autres compétences relèveraient par exemple des syndicats existants ou des syndicats de rivière.
Le dispositif est en train d’être mis en place, après avoir connu des difficultés de gouvernance, évoquées par Mme Deseyne et d’autres intervenants. La loi du 30 décembre 2017 a pour seul objectif de répondre à l’exigence que vous avez exprimée. Les outils pour ce faire existent. C’est dans ce cadre que la compétence pourra être mise en œuvre.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Madame la présidente, mes chers collègues, le moment est venu pour moi de remercier M. le ministre d’avoir bien voulu se prêter à cet échange.
Je remercie bien évidemment les sénatrices et les sénateurs qui nous ont fait l’honneur de leur participation de s’être exprimés librement sur ce sujet d’ampleur, enrichi des situations rencontrées localement, mais aussi les nombreux élus qui ont assisté à ce débat.
Le 21 octobre dernier, paraissait donc, après plusieurs mois d’attente, le rapport de la mission du CGEDD sur l’évaluation des conséquences de la mise en œuvre des compétences dans le domaine de la Gemapi.
Certaines préconisations d’évolution ont pu recueillir pleinement notre attention et ont été citées dans le débat, comme le dialogue renforcé entre l’État et les EPCI qui doit nécessairement s’établir concernant le transfert de la gestion des digues.
Il plaît au Sénat de prendre appui sur ces travaux de fond pour dresser le bilan des évolutions des politiques publiques. Deux ans après l’adoption de la loi Gemapi et du transfert de la compétence, le présent débat n’a eu d’autre ambition que de poser les termes généraux d’un bilan, qui devra nécessairement être prolongé et entrer en résonance lors de l’examen du projet de loi Décentralisation, différenciation et déconcentration.
Dans cet hémicycle, un constat commun est ressorti : faciliter la mise en œuvre de la Gemapi appelle nécessairement un réexamen du positionnement de l’État pour la prise en compte de la diversité des situations territoriales.
En préambule, j’évoquerai la nécessité de mettre en place un suivi harmonisé de la Gemapi qui fait encore défaut, grâce à une évaluation régulière tant à l’échelon national que territorial.
L’ambition de ce débat était d’apporter une première contribution à un inventaire nécessaire des situations.
La problématique du ruissellement, sujet des questions de Françoise Laborde et Patricia Morhet-Richaud, n’a pas été correctement traitée par les textes. La mobilisation de la taxe Gemapi pour certaines opérations de lutte contre le ruissellement constitue une piste intéressante à développer.
Concernant le modèle économique de la Gemapi, plusieurs points ont été soulevés : le souhait de voir se pérenniser les financements de l’État, mais également des questionnements sur les conséquences de la suppression de la taxe d’habitation sur la Gemapi. Vous y avez répondu, monsieur le ministre.
Vous l’avez souligné dans votre discours, des disparités assez fortes entre territoires existent dans la structuration de la compétence Gemapi. Par cohérence, il est clairement apparu dans le débat qu’un accompagnement accru de l’État est attendu en fonction de la diversité des territoires.
Dans les outre-mer, l’appropriation pleine et entière par les EPCI de cette compétence doit être un chantier mené par l’État. Les assises des outre-mer de 2018 avaient mis en lumière la nécessité de consolider les ressources en matière d’ingénierie et d’animer des réseaux de professionnel avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).
Dans les territoires concernés par le transfert, en 2024, des digues domaniales aux EPCI, les objectifs et les moyens financiers et humains pour la remise en état de ces digues posent légitimement question. D’autant plus qu’il y aura bien, à ce moment-là, transfert aux collectivités territoriales d’une nouvelle charge, considérable, sans compensation. Je mesure donc l’inquiétude des élus, qui devront composer avec des finances contraintes et qui savent le coût de ces ouvrages concourant à la Gemapi et de leur remise en état.
Enfin, dans les zones littorales, qui peuvent être menacées par l’érosion ou la submersion marine, le périmètre de l’EPCI apparaît largement inadapté, qu’il s’agisse du niveau du périmètre de gestion ou des ressources financières mobilisables.
En conclusion, je vous remercie au nom du groupe du RDSE d’avoir contribué à enrichir ce débat sur le bilan de la compétence Gemapi que nous aurons bien évidemment l’occasion de poursuivre – je l’espère en tout cas – lors de l’examen du projet de loi Décentralisation, différenciation et déconcentration. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SOCR. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Bilan et perspectives de la compétence “Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations”. »
9
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
10
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 20 novembre 2019 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures trente à vingt heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe CRCE)
Débat sur le thème : « Pour répondre à l’urgence climatique par le développement ferroviaire : promouvons les auto-trains et les Intercités de nuit ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication