M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je me réjouis de ce débat. Au moment où nous renforçons de manière très sensible les moyens de l’AFD et où, par ailleurs, se manifeste une véritable attente vis-à-vis de la France en matière d’aide au développement, il fallait que l’on puisse se dire les choses. Cette discussion est donc tout à fait utile.
J’ai pris un certain nombre d’engagements devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Ce ne sont pas des engagements d’opportunité, puisque les axes majeurs que j’ai développés, un peu brièvement tout à l’heure, correspondent aux priorités que j’ai fixées lors du comité interministériel qui s’est réuni en vue de préparer le projet de loi d’orientation et de programmation sur la coopération.
Le projet de loi sera déposé en début d’année prochaine, et une partie des engagements que j’ai pris aujourd’hui figureront dans le texte. Je pense en particulier à l’évaluation, au conseil d’orientation stratégique de l’AFP, au rôle de l’ambassadeur sur place, et à la méthodologie que j’ai décrite tout à l’heure.
Ensuite, on peut se demander, comme l’a fait M. Joyandet, si c’est le rôle du ministre des affaires étrangères de se charger de la politique d’aide au développement. Je pense que oui, même si je ne manque pas d’activités. (Sourires.) En effet, selon moi, l’aide au développement est en lien permanent avec la diplomatie, et si cette action n’est pas incarnée, cela ne peut pas fonctionner.
Par ailleurs, vu les enjeux politiques autour de l’AFD, si ce n’est pas le ministre de tutelle qui assure cette responsabilité politique, alors rien ne se fera. Dans ce cas, la double tutelle équivaudra à pas de tutelle du tout.
À chacun de mes déplacements diplomatiques à l’étranger – cela peut aussi être de la diplomatie économique –, je fais en sorte de rencontrer les acteurs de l’AFD sur le terrain et demande à chaque fois à voir des réalisations concrètes et physiques.
M. Alain Joyandet. Nous l’avons tous fait !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il faut continuer, monsieur le sénateur, notamment pour essayer de réduire les délais nécessaires à la réalisation des projets et d’améliorer notre réactivité. C’est tout à fait essentiel, et ça l’est encore davantage au Sahel, compte tenu des événements dramatiques qui se sont déroulés ces derniers jours. L’Alliance Sahel sera sans doute le laboratoire de cette nouvelle donne.
Je demande à être jugé sur pièces, sur mes actes. Ma détermination est tout à fait inébranlable en la matière.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° II-377, présenté par Mme Prunaud et M. P. Laurent, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Aide économique et financière au développement |
|
15 000 000 |
|
15 000 000 |
Solidarité à l’égard des pays en développement dont titre 2 |
15 000 000 |
|
15 000 000 |
|
TOTAL |
15 000 000 |
15 000 000 |
15 000 000 |
15 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. La société civile française, tout comme nous tous, est très mobilisée dans le cadre de l’aide publique au développement. Au sein de l’OCDE, la société civile, notamment les ONG, représente en moyenne 15 % de l’aide publique au développement ; en France, cette proportion est tout de même cinq fois moindre. Nous sommes encore loin de l’objectif annoncé par le Président de la République de 10 % de crédits affectés à l’aide publique au développement transitant par la société civile.
La France fait en quelque sorte l’inverse de l’Allemagne, qui a choisi de faire prioritairement reposer sur les ONG l’aide publique au développement transitant par la société civile. Dans cette configuration, les entreprises n’interviennent qu’en appui.
Cela explique sûrement la raison pour laquelle le volume de l’aide publique au développement passant par les ONG stagne en France, alors que les financements accordés par l’AFD au secteur privé ont progressé de 14 % à 19 % en trois ans. Ce choix nous paraît contestable tant l’expertise des ONG dans l’aide au développement n’est plus à démontrer. La pratique consistant à s’appuyer prioritairement sur les entreprises ne peut qu’alimenter le recours aux contrats, ce qui transforme l’aide publique au développement en outil de prospection de nouveaux marchés pour les entreprises.
M. le président. L’amendement n° II-444, présenté par Mme Lepage, M. Leconte, Mme Conway-Mouret, MM. Todeschini, Kanner, Boutant et Devinaz, Mme G. Jourda, M. Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Temal, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Aide économique et financière au développement |
|
10 000 000 |
|
10 000 000 |
Solidarité à l’égard des pays en développement dont titre 2 |
10 000 000 |
|
10 000 000 |
|
TOTAL |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Cet amendement va dans le même sens.
Le Président de la République a fixé des objectifs ambitieux pour l’aide publique au développement. Il a également souhaité que cette politique soit plus efficace et plus utile pour celles et ceux à qui elle est destinée. Le renforcement de la coopération au service du développement économique et du progrès humain exige une très forte mobilisation de la communauté internationale, qui associe, au-delà des États, tous les acteurs du développement, en particulier les ONG.
Ces dernières sont devenues au fil des années de véritables acteurs au cœur des enjeux du développement, nécessaires à la mise en œuvre de notre politique. Pour autant, la part de l’aide publique au développement qui transite par les ONG reste bien faible – 6,7 % – dans notre pays par rapport aux autres pays de l’OCDE où elle représente 16 % en moyenne en 2019.
Cet amendement a pour objet d’augmenter de 10 millions d’euros les crédits de l’aide publique au développement qui transitent par la société civile en les fléchant vers l’action n° 02, Coopération bilatérale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. L’amendement n° II-377 vise à accroître de 15 millions d’euros les crédits de l’aide publique bilatérale transitant par les ONG, au détriment du programme 110. Par cohérence avec la position de la commission des finances, qui a rejeté les crédits de la mission, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, madame Prunaud, faute de quoi j’y serai défavorable.
L’amendement n° II-444 est similaire, si ce n’est que le mouvement de crédits concerne 10 millions d’euros. La commission émet le même avis : demande de retrait ou avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Les auteurs de ces amendements savent que je suis déterminé à accroître les crédits qui transitent par les ONG. Je l’ai dit à plusieurs reprises. J’ai même annoncé dans cette enceinte que je voulais doubler le montant de ces crédits d’ici à la fin de ce quinquennat. Je suis dans une logique haussière incontestable, puisque le présent projet de loi de finances consacre une hausse du montant des crédits du programme 209, ainsi qu’un accès amélioré aux financements pour les ONG qui travaillent dans l’humanitaire ou au niveau des centres de crise.
La trajectoire budgétaire est positive. Nous parviendrons au résultat escompté en suivant ce rythme, sans accélérer, mais en faisant preuve d’une grande résolution.
Le Gouvernement est défavorable aux amendements, parce qu’il a déjà réalisé des efforts significatifs et qu’il continuera à en faire dans les années qui viennent.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, pour explication de vote.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Sans surprise, les amendements présentés par Mme Prunaud et par Mme Lepage vont encore une fois dans le même sens, puisqu’ils tendent à accorder une part plus importante à la société civile et aux ONG.
Nos collègues sénateurs des Français de l’étranger, Hélène Conway-Mouret à mes côtés et ceux qui siègent sur toutes les travées, ont très fréquemment l’occasion d’observer les réalisations soutenues par l’AFD sur le terrain.
Pour reparler de la mission conjointe du Sénat et de l’Assemblée nationale à Madagascar, qui est toute récente, puisque nous sommes rentrés en France en début de semaine, nous avons pu constater de visu, que ce soit dans des secteurs très urbanisés comme à Antananarivo ou sur les hauts plateaux, le travail de l’AFD avec les ONG et la société civile sur des projets très importants comme sur des micro-projets. L’ambassadeur à Madagascar nous ayant beaucoup accompagnés au cours de cette mission, nous avons également pu mesurer le rôle que peuvent tenir ces ambassadeurs.
D’ailleurs, nous avons eu un dîner très intéressant à l’ambassade au cours duquel l’ambassadeur a convié toutes les associations et toute la société civile. Nous avons pu observer comment l’AFD, les ONG, la société civile et l’ambassade pouvaient travailler main dans la main avec le nouveau gouvernement pour lutter contre la corruption dans un pays, Madagascar, où il s’agit d’un réel fléau.
Monsieur le ministre, nous allons maintenir notre amendement. Vous avez fait des efforts, mais nous estimons qu’il faut aller encore plus loin pour véritablement intégrer les ONG et la société civile à ce travail. La part qu’elles prennent est extrêmement importante, et je crois qu’il conviendrait de l’accroître plus rapidement encore.
Une fois de plus, nous nous abstiendrons sur l’amendement de nos camarades communistes et voterons le nôtre.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour explication de vote.
Mme Christine Prunaud. J’avoue ne pas savoir si je dois retirer mon amendement. Je ne sais pas si l’on peut se fier à vos annonces, monsieur le ministre.
Mme Christine Prunaud. Vous avez parlé d’un doublement du montant des crédits transitant par les ONG, d’un comité de pilotage de l’AFD, de revoir les critères d’attribution des prêts. J’en profite pour vous demander si vous comptez réviser les critères du prêt à la Turquie, compte tenu de son attitude vis-à-vis des migrants. C’est un sujet essentiel pour nous, et même un point de crispation.
Cela dit, je vais vous faire confiance, monsieur le ministre, et je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° II-377 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° II-444.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Monsieur Karoutchi, vous m’aviez demandé de suspendre la séance. Le souhaitez-vous toujours ?
M. Roger Karoutchi. Ce n’est plus nécessaire, monsieur le président.
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Aide publique au développement », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission des finances est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 47 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 201 |
Pour l’adoption | 183 |
Contre | 18 |
Le Sénat a adopté les crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Yvon Collin, rapporteur spécial, applaudit également.)
J’appelle en discussion l’article 73 D, qui est rattaché pour son examen aux crédits de la mission « Aide publique au développement ».
Aide publique au développement
Article 73 D (nouveau)
Le Gouvernement remet chaque année au Parlement, au plus tard le 30 juin, un rapport présentant :
1° L’activité du Fonds monétaire international au cours de son dernier exercice budgétaire, notamment les actions entreprises par le Fonds monétaire international pour améliorer la situation économique des États qui font appel à son concours ;
2° L’activité de la Banque mondiale au cours de son dernier exercice budgétaire, notamment les actions entreprises par la Banque mondiale pour améliorer la situation économique des États qui font appel à son concours et un suivi des projets qui ont bénéficié de ses financements ;
3° Les décisions adoptées par les instances dirigeantes du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ;
4° Les positions défendues par la France au sein de ces instances dirigeantes ;
5° L’ensemble des opérations financières réalisées entre, d’une part, la France et le Fonds monétaire international et, d’autre part, la France et la Banque mondiale.
M. le président. L’amendement n° II-4, présenté par MM. Requier et Collin, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. L’article 73 D tend à prévoir la remise au Parlement d’un rapport annuel sur l’activité du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, notamment sur les actions entreprises pour améliorer la situation économique des États faisant appel à leurs concours, ainsi que sur la position de la France au sein de ces organisations et sur l’ensemble des opérations financières réalisées entre la France et ces organisations.
La commission des finances estime que la plupart de ces informations sont déjà partiellement accessibles dans les rapports d’activité annuels du FMI et de la Banque mondiale.
En outre, plutôt qu’une nouvelle demande de rapport annuel, la commission des finances considère qu’il revient au Gouvernement de remettre au Parlement, chaque année et en temps utile, le rapport de synthèse de la politique de développement et de solidarité, tel que le prévoit déjà la loi d’orientation et de programmation de 2014.
Enfin, un doute subsiste quant à l’appartenance de cet article au domaine des lois de finances, tel qu’il est défini par l’article 34 de la LOLF.
Pour ces raisons, la commission propose de supprimer l’article rattaché à la mission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l’article 73 D est supprimé.
compte de concours financiers : prêts à des états étrangers
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », figurant à l’état D.
ÉTAT D
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Prêts à des États étrangers |
1 250 296 650 |
1 041 669 980 |
Prêts du Trésor à des États étrangers en vue de faciliter la vente de biens et de services concourant au développement du commerce extérieur de la France |
1 000 000 000 |
367 073 330 |
Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France |
250 296 650 |
250 296 650 |
Prêts à l’Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers |
0 |
424 300 000 |
Prêts aux États membres de l’Union européenne dont la monnaie est l’euro |
0 |
0 |
M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt.)
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Santé » (et articles 78 duodecies à 78 sexdecies).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à la lecture du projet de loi de finances pour 2020, nous nous interrogeons : peut-on encore parler de budget « Santé » ?
En effet, la mission « Santé » tend aujourd’hui à se résumer au programme 183, « Protection maladie », principalement consacré au financement de l’aide médicale de l’État, laquelle concentre 82 % des crédits.
La faiblesse des moyens accordés au programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », qui représentait 46 % des crédits de la mission « Santé », est principalement due à des mesures de périmètre, accompagnées de coups de rabot sur les dépenses d’intervention. L’effort de maîtrise des dépenses sur la mission « Santé » repose d’ailleurs uniquement sur le programme 204, dont les crédits ont diminué de 69 % depuis 2013, tandis que le programme 183 a vu ses crédits progresser de 27 % sur la même période.
Dans ces conditions, en raison d’importantes mesures de périmètre, représentant une baisse de 266,1 millions d’euros et sur lesquelles je vais revenir, les crédits de paiement demandés au titre de la mission « Santé » pour 2020 s’élèvent à 1 143,5 millions d’euros. À périmètre constant, ce montant correspond à une baisse de 1 % par rapport à 2019.
S’agissant des mesures de périmètre, je m’interroge sur leur bien-fondé. Elles consistent en effet en des transferts de crédits destinés à des opérateurs du budget de l’État vers la sécurité sociale.
Ces mouvements ne m’apparaissent pas suffisamment justifiés et ne peuvent uniquement être motivés par une clarification de la répartition des compétences entre l’État et la sécurité sociale, sauf à conduire à la disparition de la mission « Santé » du budget de l’État.
Les missions assignées à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et à l’Agence nationale de santé publique (ANSP) ne relèvent pas, de prime abord, d’une logique contributive que suppose, pourtant, leur rattachement au budget de la sécurité sociale.
Au-delà des questions de périmètre, je m’interroge sur l’efficacité même du programme consacré, je vous le rappelle, à la prévention. Les indicateurs de performance visant la lutte contre le tabagisme, la vaccination contre la grippe ou le dépistage du cancer colorectal suscitent des interrogations sur l’efficacité de la dépense publique en matière de prévention, tant les résultats ne sont pas au rendez-vous. Je m’inquiète, en outre, de l’écart entre les ambitions annoncées par le Gouvernement en matière de santé et leur trajectoire budgétaire.
Concernant le programme 204, je relève un effort de sincérité budgétaire dans deux dossiers – la Dépakine et Wallis-et-Futuna – qui vient répondre directement aux remarques formulées par le Sénat à l’occasion de l’examen du projet de loi de règlement pour 2018.
Venons-en désormais à ce programme 183, consacré quasi intégralement à l’aide médicale de l’État, la fameuse AME.
Le maintien au niveau de 2019 des crédits consacrés à l’AME, soit 934,4 millions d’euros, n’apparaît pas soutenable au regard de la progression de la dépense constatée en 2018 – la progression est de 52 millions d’euros – et des premiers retours de terrain. Ceux-ci traduisent une augmentation régulière du recours à l’AME de droit commun : elle s’accroît de 46 % en montant et de 25 % en nombre de bénéficiaires depuis 2012.
Les crédits prévus pour 2020 traduisent, de fait, une nouvelle sous-budgétisation de l’AME pour soins urgents : 30 millions d’euros entre l’exécution de 2018 et la prévision pour 2019 et 2020. Cela aboutira inévitablement à une progression de la dette à l’égard de la Caisse nationale d’assurance maladie, déjà établie à 35 millions d’euros.
La part croissante des dépenses d’AME dans le budget de la mission « Santé » tend à réduire celui-ci à une enveloppe de financement de ce dispositif. Son dynamisme, conjugué à une sous-budgétisation récurrente, incite à l’adoption de mesures structurelles, visant les modalités d’accès aux soins et le panier de soins, afin de limiter sa progression, de répondre à l’impératif de sincérité budgétaire et de garantir la soutenabilité de la mission.
C’est d’ailleurs le sens des amendements que je vous proposerai, mes chers collègues.
Madame la secrétaire d’État, nous avons pu constater que, pour la première fois, le Premier ministre et l’ensemble de l’exécutif étaient prêts à engager un débat sur l’AME. La situation évolue ! L’Assemblée nationale, elle aussi, a fait quelques mouvements… De ce fait, nous avons le sentiment, cette année, d’être un peu plus entendus que les années précédentes.
Le sujet suscite des débats y compris dans notre assemblée, que ce soit au sein de la commission des affaires sociales ou au sein de la commission des finances.
Il faut continuer à alerter sur la situation dans laquelle cette AME, que nous considérons presque « sans limite », place nos hôpitaux. Mais j’espère aussi que la réflexion et les échanges qui s’engagent avec l’exécutif, avec l’Assemblée nationale, nous permettront de trouver des solutions pour faire avancer le dossier, de trouver l’équilibre entre la rigueur budgétaire et l’humanisme dont nous devons tous faire preuve dès lors qu’il s’agit de soigner, et ce que le patient soit français ou immigré.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Sous réserve de l’adoption des amendements qu’elle vous proposera, mes chers collègues, la commission des finances donnera un avis favorable aux crédits de la mission « Santé ». (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Santé » se trouve désormais confrontée à une véritable crise existentielle.
Le basculement vers l’assurance maladie du financement de la plupart des agences responsables de notre politique sanitaire pose la question de la pertinence d’un programme 204 qui ne comprend plus, comme opérateur à part entière, que l’Institut national du cancer (INCa). Or ce dernier a lui-même vocation à voir ses moyens reportés à terme sur le budget de l’assurance maladie. Faut-il comprendre, madame la secrétaire d’État, que le programme 204 disparaîtra bientôt ?
J’en viens aux crédits du programme 183, « Protection maladie ».
Pour 2020, il est prévu de consacrer un peu plus de 919 millions d’euros au financement de l’AME, un montant en diminution de 15 millions d’euros par rapport à 2019. Cette baisse, résultant d’un amendement du Gouvernement adopté par l’Assemblée nationale, tire les conséquences des mesures de restriction des conditions d’accès à certains soins pour les bénéficiaires de l’aide médicale de l’État.
Sur le plan de la sincérité budgétaire, la dépense d’AME semble désormais mieux maîtrisée. Les projections du Gouvernement se fondent sur une hypothèse globale de stabilisation du nombre de bénéficiaires en 2019 et 2020. Compte tenu du renforcement de la lutte contre l’immigration illégale, l’hypothèse d’un reflux du nombre de bénéficiaires à moyen terme n’est d’ailleurs plus à exclure.
La commission des affaires sociales a réaffirmé néanmoins son opposition à la réinstauration d’un droit de timbre. Déjà expérimentée par le passé, cette mesure est inefficace : faute d’accès aux soins de prévention, les personnes en situation irrégulière se présentent effectivement aux urgences, avec une prise en charge dont le coût sera aggravé par leur état de santé dégradé. Le résultat, c’est un transfert de la charge sur le budget des hôpitaux.
De même, notre commission s’inquiète des tentations de réduction du panier de soins de l’AME.
Sur l’initiative du Gouvernement, les députés ont institué un délai d’ancienneté dans le dispositif de l’AME pour bénéficier de certains soins. Il serait utile, madame la secrétaire d’État, que vous nous précisiez le fonctionnement des mécanismes d’entente préalable entre l’assurance maladie et l’équipe médicale qui garantiront, je l’espère, l’accès aux soins lorsque l’examen clinique le justifie, même si la condition d’ancienneté n’est pas remplie. N’oublions pas, en effet, que seuls les soignants sont en capacité de définir le parcours de soins le plus pertinent compte tenu de l’état de santé du patient.
Sous réserve de ces observations, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Santé ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous aurions pu adopter sereinement un budget stabilisé et sincère si le Gouvernement n’avait délibérément lancé et alimenté une séquence détestable sur l’aide médicale de l’État.
Au lieu de cela, l’examen de la mission « Santé », cette année, est entaché par une polémique qui n’honore pas le parti présidentiel, à rebours des engagements pris par le Président de la République et du soutien apporté jusque-là par la ministre de la santé, pour qui – elle nous le déclarait l’an dernier – une restriction de l’AME ne pouvait aboutir qu’à « engorger les urgences, augmenter le coût des soins et favoriser l’émergence de maladies contagieuses ».
Ce mauvais feuilleton a démarré avec la dénonciation de la fraude, à grand renfort de fausses informations, la plus scandaleuse ayant été celle de femmes étrangères qui viendraient en France pour se faire poser des prothèses mammaires aux frais de l’aide médicale de l’État.
Il a donc fallu attendre le rapport des corps d’inspection pour démentir, point par point, ces allégations.
Non, le panier de soins de l’AME ne comporte pas de soins dit « de confort ». Il est plus réduit que celui des assurés sociaux et exclut les médicaments à faible service médical rendu, les médicaments princeps pour lesquels un générique existe, la PMA ou encore les cures thermales. Il ne comporte d’ailleurs pas de programme de prévention, comme des dépistages bucco-dentaires pour les enfants, alors même que davantage de soins préventifs reviendraient à mieux contenir les dépenses.
Non, hormis quelques filières organisées contre lesquelles il faut bien entendu lutter, la fraude à l’aide médicale de l’État n’est pas massive. Elle est même marginale, trois fois inférieure, en ordre de grandeur, à la fraude à l’assurance maladie.
Non, le problème de l’aide médicale de l’État n’est pas d’ordre financier. Il vient plutôt du fait que cette aide ne remplit pas entièrement son objectif humanitaire. On enregistre, effectivement, un taux extrêmement élevé de non-recours à l’AME – 80 % des ayants droit, selon certaines études ; 50 % selon celle, récente, qui vient d’être publiée par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) et l’université de Bordeaux.
Cette séquence fut donc lamentable et, malgré les démentis, le mal est fait. Ces polémiques alimentent préjugés et divisions. Que le Gouvernement le veuille ou non, il a nourri une nouvelle fois la remise en cause de l’ensemble du dispositif.
Quand on sait que l’aide médicale de l’État est l’une des prestations sociales les plus contrôlées, si ce n’est pas la plus contrôlée, y compris individuellement, à tous les stades de la procédure d’attribution, et, à côté de cela, que l’entreprise Amazon – nous sommes le vendredi dit Black Friday – dissimule au fisc 57 % de son chiffre d’affaires réalisé en France, on se dit que l’égalité devant la répression des fraudes n’est pas au rendez-vous.
Concernant le programme 204 – enfin ce qu’il en reste –, après les transferts à l’assurance maladie, l’an passé, des financements de la Haute Autorité de santé (HAS), de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), des fonds d’intervention régionaux (FIR), de l’Agence de la biomédecine et de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), le périmètre de ce programme est de nouveau notablement réduit avec le transfert des financements de deux agences clés : l’Agence nationale de santé publique et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Cette trajectoire confirme les interrogations et inquiétudes que nous avions déjà exprimées l’année dernière. Quel avenir pour un programme 204 en pleine « crise existentielle », dans un contexte d’affaiblissement du pilotage et des outils de notre politique de santé publique par le ministère, au profit d’une concentration croissante au profit de l’assurance maladie ?
Concernant des sujets aussi majeurs que le médicament, d’une part, et l’expertise et la prévention en santé publique, d’autre part, ces transferts doivent s’inscrire dans une stratégie claire et partagée avec la représentation nationale.
Cela s’avère d’autant plus impératif que le lien de confiance s’est distendu entre nos concitoyens et la politique sanitaire. Oui, je rappelle que le chef de l’État n’avait pas cru utile d’inscrire la santé dans les thèmes du grand débat, mais les Français l’ont placée en tête de leurs préoccupations, et les professionnels, actuellement, ne cessent de sonner l’alarme dans les hôpitaux, dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) – et dans des territoires trop peu considérés.
Les attentes sont fortes en matière de gouvernance et de transparence, et le Gouvernement nous propose un désengagement de l’État de notre Agence nationale de santé publique, déjà bien peu dotée !
Affaiblissement du pilotage politique du ministère ou « étatisation » de l’assurance maladie… Difficile, en tout cas, de saisir les tenants et aboutissants de cette orientation, s’agissant de politiques publiques qui appellent pourtant à une détermination sans précédent.
Je m’en tiendrai à trois exemples.
Le premier exemple concerne la santé environnementale, dont les crédits sont rehaussés à hauteur de 40 % cette année. C’est très bien ! Rappelons toutefois que l’effet de cette hausse, en prévision du plan « Mon environnement, ma santé » annoncé pour avril prochain, est limité par la baisse de 20 % à laquelle il avait été procédé l’an passé. Or, comme l’a très justement mis en avant un rapport inter-inspections d’évaluation du dernier plan de santé environnementale, le caractère inopérant de ce dernier tenait notamment à l’absence de financements suffisants. Il va falloir revoir nos priorités et notre gouvernance en la matière !
Le deuxième exemple porte sur la politique de prévention des addictions, notamment l’alcoolisme. La puissance publique, en matière de volontarisme politique et de financements, n’est malheureusement pas à la hauteur des enjeux. À cet égard, comment expliquer qu’en 2019 un président de la République puisse céder aux lobbies et décider, de lui-même, d’annuler une campagne de santé publique programmée par l’Agence nationale de santé publique, avec l’accord du ministère et des différentes fédérations de santé concernées ?
Le troisième exemple, enfin, a trait à la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), fondue dans la politique de prévention en santé sexuelle, financée à hauteur de 4,85 millions d’euros pour 2020. Les résultats encourageants publiés récemment par Santé publique France en matière de baisse des nouvelles contaminations appellent à redoubler d’efforts sur la prévention et le dépistage. Nous y reviendrons au Parlement.
Madame la secrétaire d’État, la mission « Santé » ne résume ni ne porte à elle seule notre politique de santé. Heureusement ! Mais le Parlement ne devrait pas seulement être amené à constater quelques évolutions ; il devrait être pleinement associé au nécessaire travail de redéfinition du périmètre et du rôle du programme 204. Je ne peux que vous inviter à le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)