Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Alors que l’horloge climatique accélère, il nous faut penser la politique énergétique de la France et de l’Union européenne à l’aune du défi climatique. Pour ce faire, il faut commencer par éviter la mort cérébrale de l’Europe de l’énergie, qui doit articuler sécurité énergétique et priorité climatique.
En France, nous devons relever l’ambition de nos politiques publiques et changer de braquet, à toutes les échelles. Il s’agit d’un véritable effort de guerre ! Efficacité énergétique, énergies vertes, rénovation thermique des bâtiments, absorption du carbone : dans tous ces domaines, les mesures incitatives doivent avoir plus d’ampleur et plus de stabilité.
Pour investir dans des projets, les investisseurs doivent d’abord savoir ce qui est « vert » et ce qui ne l’est pas. La taxonomie peut, en apportant la clarté nécessaire, permettre de lutter contre l’éco-blanchiment. Madame la ministre, le nucléaire, énergie décarbonée, doit-il être maintenu dans la taxonomie européenne ? Si personne aujourd’hui ne demande la sortie immédiate du nucléaire, des interrogations se font jour, nombreuses, au sujet du nouveau nucléaire, dont la rationalité économique est contestée.
Par ailleurs, la mise en concurrence des concessions hydroélectriques conduira à la désoptimisation de la production de ces outils. Madame la ministre, vous avez indiqué en commission vouloir trouver un chemin pour éviter cette hérésie : où en est-on ?
Enfin, la stratégie industrielle en faveur de la transition ne doit pas se construire façon puzzle. Ainsi, à EDF, nous avons besoin d’un projet industriel, et non d’un projet de scission de type Hercule. Chez Engie, confirmez-vous que l’État valide l’orientation du conseil d’administration consistant à vendre les infrastructures gazières, qui pourtant participent à notre souveraineté énergétique ? Est-ce là défendre l’intérêt de la Nation ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Parler de mort cérébrale de l’Europe serait quelque peu exagéré… Nous avons des objectifs et un cadre actualisé l’année dernière ; des législations ont été adoptées en 2018 et 2019, et des réformes fortes ont été menées, comme celle de l’ETS ; la coopération se renforce, et nous avons adopté également un paquet Mobilité. L’enjeu est de faire fonctionner ce cadre, tout en travaillant au renforcement de notre ambition climatique, en dégageant les moyens nécessaires et en veillant à l’équilibre de nos politiques, au regard de leurs effets en matière d’emploi, de compétitivité et de justice sociale.
Tel est le sens des discussions que nous allons mener avec la nouvelle Commission européenne sur le rehaussement de notre ambition. Aujourd’hui même, la Commission européenne a présenté son projet de Green Deal : elle propose de nombreux outils, notamment pour renforcer le mécanisme ETS. Nous plaidons pour la fixation d’un prix minimal du carbone à l’échelle européenne et pour la mise en place d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, pour que nos industriels, qui paient un prix du carbone appelé à augmenter, ne soient pas pénalisés par rapport aux industriels de pays moins engagés dans la lutte contre le dérèglement climatique.
S’agissant de la taxonomie, les discussions sont en cours ; elles ont été abordées aujourd’hui et le seront de nouveau la semaine prochaine. C’est un sujet qui fait beaucoup débat en Europe. Je pense qu’une position s’esquisse consistant à considérer le nucléaire comme l’une des énergies de transition : tel devrait être le résultat des discussions en cours.
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, pour la réplique.
M. Roland Courteau. J’aurais bien aimé, madame la ministre, vous entendre sur le projet Hercule et la décision du conseil d’administration d’Engie de vendre certaines infrastructures gazières. L’État doit veiller à ne pas tout chambouler et ne jamais oublier d’articuler la priorité climatique avec les impératifs de sécurité énergétique, d’ambition sociale et de qualité du service public.
Par ailleurs, il faudrait dissuader les banques de continuer à financer le charbon. Aujourd’hui, 70 % de leurs financements énergétiques vont encore aux énergies fossiles ! Les épargnants aimeraient savoir où leur épargne est investie.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Première source d’énergie renouvelable en France, l’hydroélectricité représente près de 12 % de notre production électrique.
Sur mon territoire, EDF gère quatre grands barrages et huit centrales, sources de fortes retombées sociales et économiques et puissant facteur de développement pour le département. Pas plus tard que vendredi dernier, j’ai rencontré les acteurs d’EDF Hydro Val d’Azun : nous avons fait le bilan des investissements qui contribuent à optimiser les infrastructures et, partant, nous permettent d’envisager l’avenir de manière positive.
Un des principaux défis auxquels nous devons répondre est l’augmentation de la flexibilité de notre système électrique pour mieux répondre aux pics de consommation. Une technologie le permet : les stations de transfert d’énergie par pompage. Or, actuellement, nous n’en avons aucune dans les Pyrénées, même si un projet est à l’étude sur le site d’Orlu, en Ariège.
Madame la ministre, dans le cadre de la mise en œuvre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui devrait être arrêtée au début de l’année prochaine, que prévoit-on pour développer les STEP, en particulier dans les Pyrénées ? Il faut espérer que le contexte de renouvellement des concessions et de mise en concurrence dont a parlé Denise Saint-Pé ne freinera pas les investissements.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Le Gouvernement, je le répète, soutient pleinement la production d’hydroélectricité, notre première source de production d’électricité renouvelable. Elle est importante à la fois pour le système électrique national, pour l’atteinte de nos objectifs d’énergies renouvelables et pour le développement économique local. Le maintien et le développement de cette ressource dans le respect des enjeux environnementaux sont indispensables pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques ambitieux que nous nous sommes fixés.
Si la production hydroélectrique peut connaître des fluctuations d’une année à l’autre en fonction de l’hydraulicité, la puissance installée en France métropolitaine continue de progresser ; elle est actuellement de 25,5 gigawatts. Le potentiel restant est limité par le taux d’équipement, déjà élevé, et par les enjeux de protection de l’environnement, mais il existe encore une marge de progression et d’optimisation du parc. Dans ce cadre, le Gouvernement soutient la réalisation de nouveaux investissements pour développer l’hydroélectricité, dans le respect, naturellement, des objectifs de bon état de la ressource en eau et de reconquête de la biodiversité.
À la faveur du projet de révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie, le potentiel technique restant a été évalué et des objectifs ont été fixés pour la filière : nous visons de 26,4 à 26,7 gigawatts de puissance installée en 2028. Il est prévu que cet objectif soit atteint, essentiellement, par des optimisations ou des équipements complémentaires sur les barrages existants et, dans une moindre mesure, par quelques nouveaux sites, de puissance limitée et dont le développement serait compatible avec les objectifs de biodiversité.
Le projet de PPE identifie également un objectif de développement des stations de transfert d’énergie par pompage, les STEP. Nous prévoyons d’engager, d’ici à 2023, des projets de stockage sous forme de STEP en vue d’un accroissement de la capacité de 1 à 2 gigawatts entre 2025 et 2030.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour la réplique.
Mme Maryse Carrère. Madame la ministre, je vous remercie beaucoup pour votre réponse. Si nous voulons réussir la transition énergétique et remplir les objectifs ambitieux fixés par la loi, il nous faudra développer ces équipements, donner un nouvel élan à l’énergie hydroélectrique. À cet égard, je ne puis que regretter que, parfois, il soit difficile de concilier l’aménagement et la création de nouvelles unités hydroélectriques avec des contraintes environnementales aujourd’hui trop complexes. Je compte sur vous pour faciliter ces investissements d’avenir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Madame la ministre, vous avez annoncé, le mois dernier, qu’une réflexion était en cours avec l’Agence internationale de l’énergie sur l’élaboration d’un scénario « 100 % renouvelable ». Cette démarche est un signe fort de l’ambition écologique du Gouvernement : elle montre que l’inscription dans la loi Énergie-climat d’objectifs tels que la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité ne saurait constituer une fin en soi ni empêcher toute réflexion sur la généralisation des énergies renouvelables.
Vous avez expliqué que l’arbitrage entre le « 100 % renouvelable » et la construction de nouvelles centrales nucléaires pourrait être précisé à partir de 2021. À ce stade, pouvez-vous nous renseigner sur les éléments qui seront déterminants dans cet arbitrage ? En particulier, la mise en service de l’EPR de Flamanville constituera-t-elle un facteur essentiel dans la prise de décision ?
En outre, comment le groupe EDF pourrait-il être associé, le cas échéant, à la définition et à la mise en œuvre du « 100 % renouvelable », plus particulièrement dans le cadre du projet de réorganisation Hercule et de la filiale EDF Vert dont la création pourrait en résulter ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Peut-être est-ce passé quelque peu inaperçu, mais, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, en débat depuis un certain temps, il est prévu d’étudier toutes les options et tous les scénarios, depuis la construction de nouveaux réacteurs nucléaires jusqu’à la poursuite d’un mix 100 % renouvelable.
Plusieurs sujets sont actuellement à l’étude, qui nourriront la prise de décision du Gouvernement. Je pense en particulier aux coûts du nouveau modèle de réacteur proposé par EDF, l’EPR 2, et à la compétitivité de celui-ci par rapport à d’autres technologies de production bas-carbone. Je pense aussi à la capacité de la filière nucléaire à relever, sur les plans de la qualité industrielle et de la maîtrise des délais, le défi que représenterait la relance de la construction de réacteurs dans des délais et des coûts impartis, aux modalités de gestion des déchets produits par un nouveau parc, si la construction en était décidée, et aux conditions de financement d’un tel programme de construction. Bien sûr, je pense aussi, a contrario, à la faisabilité technique et économique d’un système électrique fondé à 100 % sur des énergies renouvelables.
S’agissant de ce dernier scénario, nous avons, il est vrai, lancé une étude avec l’Agence internationale de l’énergie et RTE. Ce travail nous permettra de comparer plusieurs options de mix électrique dans tous leurs aspects : faisabilité, sécurité d’approvisionnement, coûts, impacts industriels, prérequis nécessaires. Si nous avons demandé à disposer de ces éléments pour la mi-2021, la décision sur le lancement d’un nouveau programme nucléaire n’interviendra qu’après la mise en service de l’EPR de Flamanville.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la ministre, je vous poserai simplement cette double question : pour vous, qu’est-ce qu’une entreprise publique, et une entreprise publique peut-elle être compétitive par rapport au secteur privé pour relever un défi d’avenir comme la transition énergétique ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je ne sais pas, monsieur le sénateur, si vous souhaitez une dissertation sur ce thème. (Sourires.)
M. Fabien Gay. C’est bien que nous fassions un peu de politique !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je réaffirme tout l’attachement du Gouvernement à EDF, à laquelle, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, il est demandé de jouer un rôle central dans la transition écologique du pays : d’une part, en poursuivant l’exploitation du parc nucléaire existant jusqu’à cinquante ans et, d’autre part, en développant massivement les énergies renouvelables, le stockage et les réseaux intelligents.
Dans ce contexte, nous avons demandé au président d’EDF de nous faire des propositions d’évolution de l’organisation du groupe pour répondre au mieux à ces enjeux. C’est un sujet sur lequel l’entreprise travaille et qui, naturellement, doit faire l’objet de concertations avec les partenaires sociaux.
La priorité du Gouvernement est que l’entreprise dispose de capacités d’investissement accrues pour participer pleinement à la transition énergétique dans ses différentes composantes – nucléaire, réseaux, énergies renouvelables, services énergétiques. C’est dans ce cadre que la réflexion est engagée sur la meilleure organisation pour le groupe EDF intégré, afin de lui permettre d’être la clé de voûte de notre système énergétique de demain.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.
M. Fabien Gay. Il me reste deux minutes et onze secondes pour répliquer : presque le temps de faire une dissertation. (Sourires.)
Madame la ministre, je pense que, parfois, dans une assemblée politique comme l’est la nôtre – je le répète souvent –, il est bon que nous ayons des débats politiques. De fait, avec la politique énergétique et la place d’EDF, nous sommes devant un débat de fond.
Car EDF n’est pas n’importe quelle entreprise : c’est une entreprise publique de 165 000 salariés disposant, que ça vous plaise ou non, d’un statut protecteur, un statut qui garantit, pour les salariés mais aussi pour les consommatrices et les consommateurs, un haut niveau de sécurité. Cette entreprise, elle appartient à chaque Française et chaque Français, parce qu’elle est la possession de l’État. Bien plus, après que les gouvernements successifs ont bradé l’ensemble des entreprises publiques, EDF pèse aujourd’hui 50 % du portefeuille de l’Agence des participations de l’État !
Or le projet que vous préparez, c’est la privatisation et le démantèlement. Nous avons déjà vécu la dérégulation, la déréglementation. Pour Engie, vous avez fini le travail avec la loi Pacte. Aujourd’hui, vous continuez à biberonner des acteurs alternatifs qui n’ont pas investi un seul euro dans le nucléaire, avec le système absurde de l’Arenh. Et voilà que vous préparez la scission de l’entreprise, pour nationaliser les pertes – le nucléaire – et privatiser les profits de demain – l’énergie verte !
Quand ce projet Hercule sera-t-il débattu au Parlement ? Si vous voulez démanteler EDF, si vous voulez privatiser – parce que tel est votre projet, celui que vous avez déjà mis en œuvre pour Engie, même s’il vous a fallu quinze ans pour finir le travail –, il faudra bien en passer par le Parlement !
Pour ma part, je ne crois pas que le privé soit meilleur que le public pour relever des défis d’humanité : sortir 12 millions de personnes de la précarité énergétique…
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. Fabien Gay. … et réaliser la transition énergétique. La supériorité du privé n’a jamais été prouvée ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Roland Courteau et Franck Montaugé applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon. Je soulèverai trois points au sujet de l’hydroélectricité, dont deux ont déjà été abordés.
À propos des divergences fortes opposant la France à la Commission européenne sur les barrages et les concessions, vous avez indiqué, madame la ministre, qu’une solution alternative pourrait être trouvée à travers la mise en place de structures publiques dédiées : pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette solution et son calendrier ? Si vous manquez de temps, je propose que vous preniez sur le temps de ma réplique pour répondre sur ce point.
S’agissant des STEP, dont vous avez souligné l’intérêt, quelles sont les opportunités de les développer, et sous quelle forme ? Vous avez parlé de 2023, mais j’aimerais que vous soyez un peu plus précise : y aurait-il plusieurs projets, et quels sont les problèmes environnementaux qui se posent ?
En ce qui concerne l’énergie marémotrice, vous savez quel intérêt la région des Hauts-de-France porte à cette solution. Mme Wargon, que nous avions interpellée à ce sujet dans un précédent débat, nous avait répondu qu’on y travaillerait. Où en sont les travaux promis sur cette question ? Notre région est envahie, à proprement parler, par les éoliennes : nous aimerions trouver des énergies complémentaires, pour éviter que les Hauts-de-France ne soient plus qu’un gigantesque champ éolien.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous soulevez beaucoup de sujets.
Je répète que le Gouvernement est très attaché à l’hydroélectricité, actuellement notre première source de production d’électricité renouvelable ; elle joue un rôle très important pour l’équilibre d’ensemble de notre système électrique.
La question du renouvellement des concessions est posée depuis un certain temps. Nous entretenons avec la Commission européenne des échanges nourris, qui se traduisent même par des mises en demeure sur ces sujets… Nous explorons une autre voie, que je ne pourrai pas détailler à cet instant, mais qui repose sur des structures 100 % publiques dédiées permettant d’éviter la mise en concurrence dans le cadre de la directive Concessions.
S’agissant des énergies marines, je suis vraiment très confiante sur le potentiel de ces énergies en général. Elles peuvent être un facteur de succès majeur pour la transition énergétique. De fait, le gisement est tout à fait considérable, et il est assez paradoxal, compte tenu de notre façade maritime, de constater la faible part que les énergies marines représentent, aujourd’hui encore, dans notre production d’énergie renouvelable.
Aujourd’hui, nous privilégions le développement de l’éolien offshore pour tirer parti du potentiel des énergies marines. J’ai déjà mentionné notre souhait que de nouveaux projets soient engagés pour 1 gigawatt par an d’ici à 2024. Les autres énergies renouvelables en mer, en particulier l’énergie marémotrice, sont à un stade de développement moins avancé. Il est vrai que l’usine marémotrice de la Rance est une source historique, mais elle ne repose pas sur une technologie qui nous paraisse, à ce stade, pouvoir être généralisée.
Nous souhaitons donc tirer parti du potentiel des énergies marines en mettant l’accent sur la technologie de l’éolien offshore, posé mais surtout flottant – dans ce dernier domaine, nous souhaitons même que notre pays prenne un leadership.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour la réplique.
M. Jérôme Bignon. Je vous remercie, madame la ministre, pour ces réponses, même si vous n’avez pas pu préciser vos propos précédents sur les STEP.
L’éolien en mer, oui, mais il n’est pas interdit de penser aussi à l’énergie marémotrice. Chaque fois qu’on évoque le sujet, on nous oppose la centrale de la Rance – une expérience qui, quoiqu’intéressante, n’a pas fait ses preuves, compte tenu de ses inconvénients environnementaux. Le projet auquel nous pensons dans les Hauts-de-France n’est pas situé dans un estuaire : il s’agirait de construire une gigantesque digue en mer, présentant d’autres avantages.
Des acteurs économiques ont un modèle adapté à ce projet. La seule chose que nous demandons, dans les Hauts-de-France, c’est de pouvoir en discuter. Madame la ministre, organisons une réunion de travail informelle sur le sujet !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche.
M. Jean-Claude Luche. Le 17 octobre dernier, à Truel, commune du département de l’Aveyron, les salariés d’EDF manifestaient. Leur inquiétude ne portait pas encore sur le régime de retraite, mais sur l’avenir de leur métier et, plus largement, de l’entreprise historique EDF.
Premier département français en énergie renouvelable, l’Aveyron produit essentiellement de l’énergie hydroélectrique, grâce à ses dix-sept barrages et seize centrales. L’énergie hydroélectrique, considérée comme une énergie renouvelable, assure une production importante d’électricité, à un prix relativement faible pour nos populations. Pourtant, l’arrivée à échéance des concessions et le souhait de Bruxelles de les voir mises en concurrence inquiètent EDF et ses salariés, mais aussi les collectivités territoriales.
Dans cette période d’incertitude, EDF continue à investir, mais, à mon avis, de façon trop mesurée. Cette menace de mise en concurrence et de perte des concessions se traduit par un manque à gagner pour EDF, par des investissements français qui risquent d’être perdus, et pour les collectivités territoriales, y compris le département, par des pertes d’IFER, de CVAE et de redevances.
Nous sommes, sur le territoire, très attachés à EDF, car c’est bien l’entreprise nationale, donc le contribuable français, qui, après avoir financé ces installations et régulièrement investi, tire aujourd’hui le fruit de cette production. Notre département et sa population ont tout à gagner à poursuivre la production d’hydroélectricité avec EDF.
Madame la ministre, quelle est votre stratégie pour l’énergie hydraulique française ? Pouvez-vous nous fournir des précisions sur les échéances passées et à venir ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je réaffirme le soutien du Gouvernement à l’hydroélectricité, une énergie indispensable à notre système électrique, à l’atteinte de nos objectifs de développement des énergies renouvelables et au développement économique de nos territoires.
Aujourd’hui, le droit français prévoit, en conformité avec le droit européen, que les concessions hydrauliques échues doivent être renouvelées par mise en concurrence. Plusieurs concessions hydroélectriques sont déjà arrivées à échéance depuis la fin de 2011, sans que la procédure concurrentielle soit engagée. Compte tenu des enjeux sociaux, économiques et écologiques liés à l’hydroélectricité, les gouvernements successifs se sont, disons, donné le temps de réfléchir au renouvellement des concessions avec l’ensemble des acteurs.
Des dispositions ont d’ores et déjà été prises dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte. Par exemple, les collectivités territoriales peuvent être associées à une concession dans le cadre d’une société d’économie mixte hydroélectrique. Il est également possible de regrouper des concessions hydrauliquement liées pour faciliter leur exploitation et favoriser la sûreté. Des prolongations de concession sont aussi possibles contre travaux, dans le respect de la directive Concessions.
La Commission européenne, constatant le retard pris, a engagé différentes procédures contentieuses vis-à-vis de la France. Nous faisons valoir que notre situation est pour ainsi dire unique en Europe, dans la mesure où le statut retenu dans notre pays pour développer l’hydroélectricité est celui de la concession, alors que, dans les autres pays, des opérateurs importants sont propriétaires des installations hydroélectriques.
Nous poursuivons les discussions avec la Commission européenne en vue de faire reconnaître le caractère atypique de notre situation et de trouver une solution, par exemple celle d’un opérateur contrôlé à 100 % par l’État, auquel les concessions pourraient être attribuées sans mise en concurrence.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. La COP25 sera close dans deux jours, nous venons de voter le budget et on attend toujours la publication de la prochaine PPE : c’est donc le bon moment pour parler de politique énergétique.
Comme les précédents orateurs l’ont rappelé, EDF occupe une place particulière au sein de la politique énergétique de la France. Pour ma part, je m’attarderai sur une dimension commune à l’ensemble des enjeux énergétiques – rénovation des bâtiments, diversification de notre mix, développement des énergies renouvelables, réduction de nos consommations – : je veux parler de la question du financement.
Nous avons connu le fiasco de l’écotaxe : un vote quasi unanime du Parlement, des atermoiements du gouvernement de l’époque, puis une révolte sociale, dite des bonnets rouges ; enfin, l’abandon en rase campagne d’un projet pourtant légitime.
Après l’écotaxe, nous avons eu la taxe carbone. Le principe se conçoit très bien : il s’agit de fixer un signal-prix pour orienter les comportements. Le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, porte une lourde responsabilité dans la casse de cet outil, qui s’est révélé être un cheval de Troie masquant, d’ailleurs mal, une priorité de rendement.
Résultat : faute de marges de manœuvre pour financer notre politique énergétique, nous perdons du temps dans la lutte contre le réchauffement climatique. Quels leviers de financement, publics et privés, comptez-vous mettre en œuvre, étant entendu que, dans les circonstances actuelles, une hausse de la fiscalité carbone paraît irréaliste ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. L’atteinte de nos objectifs de long terme, en particulier la neutralité carbone, comme de moyen terme – à l’horizon de 2030 – suppose une augmentation de nos investissements dans le climat. Selon un récent rapport d’I4CE, nos dépenses en la matière s’élèvent à 45 milliards d’euros par an, alors que, sur la première période de la SNBC, soit 2019-2023, il faudrait 15 milliards à 18 milliards d’euros de plus et 35 milliards à 40 milliards d’euros sur la seconde – ce qui équivaut à un quasi-doublement.
Pour dégager ces ressources, il faut s’appuyer à la fois sur des financements publics et sur des financements privés.
S’agissant des financements publics, nous avons considéré qu’il était important de donner davantage de lisibilité aux financements mobilisés en faveur du climat. C’est le sens de la démarche de green budgeting, qui permet de mesurer les actions engagées en faveur du climat. Nous souhaitons continuer de progresser dans cette voie dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.
En 2020, 3,5 milliards d’euros d’aides seront allouées à l’efficacité énergétique. Le budget consacré aux C2E, qui sont aussi un levier très important dans ce domaine, est de l’ordre de 4 milliards d’euros. Ce montant permet d’agir dans des domaines très variés, des coups de pouce chauffage ou isolation aux C2E pour les entreprises, y compris, désormais, pour celles du secteur ETS.
S’agissant de la mobilité propre, 800 millions d’euros sont prévus en 2020 pour la prime à la conversion et le bonus pour les véhicules électriques, dont le budget augmente de plus de 50 %.
Je pourrais également indiquer que les dépenses pour les énergies renouvelables passeront de 5 milliards à 8 milliards d’euros par an, dans l’objectif, naturellement, que ces coûts puissent baisser.
Je terminerai en disant un mot de la finance privée, qui doit aussi se mobiliser pour la lutte contre le changement climatique. À cet égard, on peut noter que les obligations vertes sont passées de 7 milliards d’euros en 2017 à 20 milliards d’euros en 2019. Nous développons des labels « finance verte »…