Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi, M. Victorin Lurel.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Jean-Claude Requier ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
Mme Éliane Assassi ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
M. Patrick Kanner ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; M. Patrick Kanner.
grèves liées à la réforme des retraites
M. Claude Malhuret ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
financement de la réforme des retraites
M. Philippe Dallier ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; M. Philippe Dallier.
différend franco-américain sur la taxation des géants du numérique
Mme Anne-Catherine Loisier ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances ; Mme Anne-Catherine Loisier.
M. Martin Lévrier ; M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Frédérique Puissat ; M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Frédérique Puissat.
contemporanéité des aides personnalisées au logement
Mme Viviane Artigalas ; M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement ; Mme Viviane Artigalas.
conséquences des mouvements sociaux sur les transports
Mme Anne Chain-Larché ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Anne Chain-Larché.
M. Loïc Hervé ; M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; M. Loïc Hervé.
M. Laurent Duplomb ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Laurent Duplomb.
situation de l’hôpital de saint-martin
M. Guillaume Arnell ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Guillaume Arnell.
M. Éric Kerrouche ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Michel Forissier ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; M. Michel Forissier.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
3. Candidature à une délégation sénatoriale
4. Mise au point au sujet d’un vote
5. Usages dangereux du protoxyde d’azote. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Valérie Létard, auteure de la proposition de loi
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure de la commission des affaires sociales
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 4 rectifié de Mme Valérie Létard. – Retrait.
Amendement n° 2 rectifié bis de Mme Corinne Imbert. – Retrait.
Amendement n° 5 rectifié de Mme Valérie Létard. – Adoption.
Amendement n° 6 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles 2 bis et 2 ter (nouveaux) – Adoption.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 3 rectifié de Mme Corinne Imbert. – Retrait.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
6. Communication d’un avis sur un projet de nomination
7. Communication relative à une commission mixte paritaire
8. Quelle politique énergétique pour la France ? Quelle place pour EDF ? – Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire
Mme Denise Saint-Pé ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Gérard Longuet ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Gérard Longuet.
M. Roland Courteau ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Roland Courteau.
Mme Maryse Carrère ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Maryse Carrère.
Mme Françoise Cartron ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Fabien Gay ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Fabien Gay.
M. Jérôme Bignon ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jérôme Bignon.
M. Jean-Claude Luche ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Jean-François Husson ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-François Husson.
M. Franck Montaugé ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Franck Montaugé.
M. Daniel Gremillet ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Daniel Gremillet.
M. Jean-Michel Houllegatte ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Cyril Pellevat ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Patrick Chaize ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Patrick Chaize.
Mme Martine Berthet ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste
9. Communication relative à une commission mixte paritaire
10. Ordre du jour
Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
M. Victorin Lurel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun voudra bien se montrer respectueux des uns et des autres, ainsi que de son temps de parole.
réforme des retraites (i)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Claude Requier. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Notre système de retraites par répartition est un grand acquis social, mis en place après la Libération de par la volonté des concepteurs de notre système de protection sociale. Il constitue un pan essentiel de notre pacte social fondé sur la solidarité entre tous, sans distinction de catégorie professionnelle ou de génération. C’est à juste titre que nos compatriotes y sont très attachés.
Pourtant, on ne peut ignorer les changements profonds qui touchent notre pays : le vieillissement de la population, la diminution du ratio entre actifs et retraités, ou encore des déficits budgétaires difficilement soutenables.
M. Pierre-Yves Collombat. Et le chômage !
M. Jean-Claude Requier. Ne rien faire serait irresponsable, alors que les incertitudes minent notre cohésion nationale. Nos concitoyens le savent bien, eux qui attendent aujourd’hui de l’équité, de la clarté et de la confiance afin de se projeter dans l’avenir avec plus d’optimisme.
Mon groupe est particulièrement attentif à ce que cette réforme ne soit pas uniquement paramétrique et à ce qu’elle ne se fasse pas à court terme ; c’est ce que nous avons appelé de nos vœux lors de l’examen de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Cette réforme doit intégrer non seulement les projections démographiques de long terme, mais aussi les transformations des modes de vie qui découlent de l’allongement de l’espérance de vie.
Non, les seules considérations budgétaires ne constituent pas un dogme indépassable ! Nos compatriotes aspirent à vivre pleinement une retraite en bonne santé après une vie d’efforts.
Vous avez annoncé ce matin, monsieur le Premier ministre, un train de mesures fondé sur les principes d’un système se voulant universel et tenant davantage compte des pénibilités et des disparités de carrières ; ces mesures seraient plus favorables aux femmes et leur entrée en vigueur se ferait progressivement. Nous nous réjouissons, en particulier, que le Parlement soit associé à la définition de la valeur du point.
Il appartient désormais aux partenaires sociaux de débattre de ce projet dans le cadre d’un dialogue social apaisé. Pour l’heure, les Français sont très attentifs, à juste titre. Monsieur le Premier ministre, comment comptez-vous garantir qu’aucune catégorie professionnelle ne sera perdante ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Requier, vous avez raison : c’est une réforme d’ampleur que nous voulons mettre en œuvre. Peut-être serait-il d’ailleurs plus juste de parler de refondation du système des retraites.
En effet, nous souhaitons en réalité substituer aux 42 régimes existants un seul régime qui permettrait que chaque euro cotisé par n’importe quel Français, quels que soient son métier, son statut ou son âge, puisse produire le même effet et ouvrir les mêmes droits.
Au lieu d’organiser la solidarité nationale par statut ou par profession, nous voulons l’organiser sur l’ensemble de la Nation. Cela ne me semble pas une mauvaise idée quand il s’agit justement de la solidarité nationale.
En outre, vous comprenez bien, monsieur le président Requier, que c’est une sorte de retour aux sources du projet initial de création d’un système de retraites. On se souvient – je ne m’en souviens pas personnellement, mais du moins l’ai-je lu – que les ordonnances Parodi de 1945 avaient in fine pour objectif la création d’un système universel. Nous estimons utile et même indispensable de créer aujourd’hui ce système universel.
C’est donc bien une refondation d’ensemble que nous proposons. Nous avons indiqué, dès le début de ce processus, que notre objectif n’était pas de faire, çà et là, telle ou telle petite économie, mais de dire la vérité aux Français.
Compte tenu des transformations du monde professionnel, du caractère haché des carrières, des changements d’activité professionnelle de nos concitoyens, du nombre de polypensionnés, de la complexité actuelle des systèmes, ou encore de la perte de droits que chacun subit quand il change trop souvent de système de retraite, il nous est apparu plus adapté aux temps qui viennent de créer ce système par points et par répartition, un système véritablement universel.
Nous avons très tôt dit que la France n’était pas soumise à des conditions démographiques radicalement différentes de celles que connaissent l’Allemagne, la Belgique, ou le Royaume-Uni. Ce sont les conditions auxquelles sont soumises toutes les grandes démocraties européennes, lesquelles ont, sans exception, tiré les conséquences des évolutions démographiques et conclu que la seule façon de préserver le pouvoir d’achat des actifs comme des pensionnés est de faire en sorte, progressivement, que chacun travaille un peu plus longtemps.
Il faut évidemment le faire de la façon la moins brutale possible, en respectant les choix de vie de nos concitoyens et les orientations qu’ils ont adoptées, dans leur vie professionnelle comme dans leur vie familiale, en fonction des prévisions qu’ils pouvaient faire.
Il fallait le dire clairement : c’est ce que nous avons fait, c’est ce que j’ai fait, tout à l’heure, devant le Conseil économique, social et environnemental, quand j’ai présenté un projet de réforme dont j’ai bien conscience qu’il est complexe : je ne saurais vous le présenter ici en deux minutes. Je m’excuse à ce propos d’avoir déjà largement dépassé mon temps de parole, en dépit des très justes exhortations de M. le président.
M. le président. Vous nous coûtez cher, monsieur le Premier ministre, mais on vous offre la TVA ! (Rires.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Que je ne veux pas augmenter ! (Mêmes mouvements.)
Le projet que nous avons mis sur la table va donner lieu à des discussions avec les organisations syndicales. J’ai bien noté que certaines d’entre elles étaient totalement opposées au principe d’un système universel, mais aussi que d’autres, sans y être opposées, ne voulaient peut-être pas assumer le fait que l’équilibre global du système dans les années qui viennent reposerait sur la nécessité, pour chacun, de travailler progressivement un peu plus.
Nous allons discuter : ma porte est ouverte, ma main est tendue ! Vous aurez remarqué que le projet que nous avons présenté à la suite des travaux de M. le haut-commissaire aux retraites contient beaucoup d’avancées, ce qui montre bien que notre objectif est de travailler avec les partenaires sociaux, bien entendu, mais aussi, le moment venu, avec l’Assemblée nationale et le Sénat.
M. René-Paul Savary. Ah !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. En effet, ce débat aura évidemment lieu au Parlement. J’ai même indiqué que je souhaitais que cette discussion ait lieu rapidement, car j’estime que ce sujet passionne et, parfois, inquiète les Français : il faut donc que le Parlement en traite. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants. – MM. Jean-Marc Gabouty et Olivier Cadic applaudissent également.)
réforme des retraites (ii)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le Premier ministre, ce midi, vous avez franchi la ligne rouge : vous êtes hors-jeu et vos annonces vont continuer à faire coaguler toutes les colères !
Avec votre projet de casse des retraites, les Français vont travailler plus longtemps – jusqu’à 64 ans – et toucheront des pensions plus basses.
Alors que les salariés du secteur privé comme du secteur public, ainsi que les jeunes, sont massivement mobilisés depuis jeudi dernier, vous maintenez votre projet funeste d’instauration d’un système de retraite par points soumis aux aléas économiques et financiers.
Monsieur le Premier ministre, vous n’avez effectivement pas fait d’« annonces magiques ». En revanche, vous vous êtes lancé dans un excellent numéro de bonneteau dont personne n’est dupe !
Malgré l’illusion de la concertation sociale, la majorité de la population a bien compris les dangers de votre projet de réforme des retraites.
Malgré vos belles promesses qu’il n’y aura ni vainqueurs ni vaincus, ceux qui vont pouvoir se frotter les mains sont les marchés financiers, à l’instar de ces financiers casseurs reçus par le Président de la République – les BlackRock – qui attireront les salariés qui en seront capables vers les retraites par capitalisation.
Les lignes directrices de votre réforme n’ont pas bougé d’un iota.
Il s’agit toujours de mettre fin aux régimes spéciaux de retraites existants,…
M. Emmanuel Capus. Très bien !
Mme Éliane Assassi. … alors que ces régimes, contrairement à vos mensonges, sont tous solidaires du régime général.
Il s’agit toujours d’un système de retraites par points. La valeur de ces points servira de variable d’ajustement pour vos politiques d’austérité avec, à la clé, une baisse générale des pensions !
Permettez-moi de rappeler ici une chose : ce qu’une loi fait un jour, une autre peut le défaire le lendemain !
M. Roger Karoutchi. Eh bien voilà !
Mme Éliane Assassi. Vous confirmez aussi, monsieur le Premier ministre, que les salariés travailleront plus longtemps, puisque vous fixez à 64 ans le fameux âge pivot.
Monsieur le Premier ministre, deux autres points ont attiré mon attention : d’une part, votre volonté de diviser pour mieux régner en opposant les générations et, d’autre part, le fait que vous ne touchez pas au capital, l’argent-roi que vous défendez bec et ongles, avec le Président de la République.
Ce midi, monsieur le Premier ministre, vous n’avez convaincu personne hormis le Medef. C’est pourquoi, à l’instar de nombreuses organisations syndicales, nous demandons le retrait de votre projet de réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la présidente Éliane Assassi, nous ne sommes pas d’accord ; personne ici n’en sera surpris.
Vous avez rappelé à juste titre que, ce qu’une loi fait, une autre loi peut le défaire. Vous avez parfaitement raison : c’est vrai dans une démocratie.
En revanche, madame la présidente, vous reconnaîtrez que, compte tenu de cette évidence démocratique, la bonne façon de procéder est de s’engager au moment des élections sur ce que l’on fera. C’est ce que le Président de la République a fait quant au régime universel de retraites. C’est ce que la majorité de l’Assemblée nationale a fait lors des dernières élections législatives : elle s’est engagée en faveur de ce régime universel. (Murmures sur les travées du groupe CRCE.)
Permettez-moi de vous dire, madame la présidente, qu’avec le respect que vous et moi avons à l’évidence pour la démocratie, le fait qu’un gouvernement mette en œuvre une promesse présidentielle ne devrait susciter, me semble-t-il, ni surprise ni interrogations. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Il y a donc – premier point crucial – une légitimité politique à ce que nous faisons.
En second lieu, on peut sans doute ne pas être d’accord sur les mesures à prendre, mais une chose au moins me paraît évidente : d’une certaine façon, aucune loi, faite ou défaite, ne changera la réalité de nos systèmes de retraite.
Mme Éliane Assassi. Il y a d’autres solutions !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cette réalité est la suivante, madame la présidente : lorsque les systèmes de retraite actuels ont été conçus, il y avait quatre actifs pour un retraité ; aujourd’hui, ce ratio n’est plus que de 1,7. À long terme, cette mécanique est inexorable ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Gérard Longuet. Nous l’avions dit lors de l’élection !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Tous les autres pays du monde l’ont compris et l’ont assumé ; ils en ont tiré les conséquences. Pour préserver le pouvoir d’achat des retraités, ce que nous voulons faire, pour préserver le pouvoir d’achat des actifs, ce que nous voulons faire aussi, ils ont fait en sorte que l’élément d’équilibre ne soit pas la valeur du point, mais bien la capacité de chacun à travailler progressivement un peu plus.
M. Pascal Savoldelli. Et les riches ?
Mme Éliane Assassi. Vous touchez toujours aux mêmes !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cette réalité ne changera pas. Autrement dit, ne pas régler ces sujets revient à s’exposer immanquablement, que ce soit dans six mois, dans deux ans, ou dans dix ans, à une vérité cruelle : une perte de pouvoir d’achat massive des retraités et des actifs.
Mme Éliane Assassi. C’est ce qui se passe déjà !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Non, madame la présidente : c’est ce qui se passerait si nous ne faisions rien !
C’est la raison pour laquelle nous créons un régime universel dans lequel les Françaises et les Français auront tous les mêmes droits, quelle que soit leur activité professionnelle : les mêmes droits et les mêmes devoirs ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Enfin, madame la présidente, cela devrait vous parler ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)
C’est sain dans une démocratie et une république : c’est même la promesse initiale du régime de retraite. Vous le savez parfaitement, car cette promesse, à cette époque, était portée par votre camp, par votre parti ! Peut-être même n’aurions-nous pas réussi à créer les régimes actuels s’il n’y avait pas eu cette promesse initiale : vous le savez parfaitement !
Mme Éliane Assassi. Il faut réduire les inégalités ! Vous touchez toujours aux mêmes !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Aujourd’hui, certains abandonnent cette promesse ; c’est peut-être pour préserver des situations acquises ou des intérêts. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Laurence Cohen. C’est honteux !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Pour ma part, je trouve un tel revirement regrettable. Je préfère construire un système universel, conformément aux engagements qui ont été pris, dans un dialogue avec les organisations syndicales et patronales, et en toute clarté. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants.)
réforme des retraites (iii)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, j’espère que vous allez bien !
Vous allez sûrement mieux que les 1,4 million de Français qui vont tomber dans la trappe à pauvreté de votre nouveau système d’assurance chômage.
Vous allez sûrement mieux que les salariés au SMIC, qui n’auront pas de « coup de pouce » en janvier.
Vous allez sûrement mieux que les allocataires de l’aide personnalisée au logement (APL), qui vont payer cash votre réforme en 2020 – nous y reviendrons.
Vous allez sûrement mieux que le revenu de nos agriculteurs, qui attendent en vain les résultats de la loi Égalim.
Vous allez sûrement mieux que nos étudiants, qui ont perdu 35 millions d’euros de crédits dans le projet de loi de finances rectificative pour 2019.
Vous allez sûrement mieux que nos aides-soignants, nos urgentistes, nos enseignants et nos retraités, qui ne sont pas dupes quand ils observent la progression exorbitante des rémunérations des patrons du CAC 40 et les dividendes de 50 milliards d’euros dont vous avez allégé la fiscalité.
Ce ruissellement-là, celui de l’argent-roi, existe bien ! C’est vous et vous seul, monsieur le Premier ministre, qui en êtes responsable !
Dans un contexte délétère et anxiogène, terreau de la poussée de l’extrême droite dans notre pays, vous avez franchi de nouvelles lignes rouges avec les annonces que vous avez faites ce midi.
Ces lignes rouges se nomment « âge pivot à 64 ans », ou encore « prise en compte résiduelle de la pénibilité ». Cette réforme est universelle, certes, mais elle est injuste, car fondée avant tout sur un angle budgétaire, et non sur des principes de solidarité et d’équité.
Monsieur le Premier ministre, en refusant d’écouter les Français et les corps intermédiaires, n’êtes-vous pas en train de briser notre contrat social, fondement de notre pacte républicain ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Kanner, à vous écouter, on croirait que, depuis que nous sommes aux affaires, tout va plus mal. C’est un point de vue que je respecte ! Sa conséquence mécanique est que, au moment où vous avez quitté les affaires, tout allait vraiment mieux ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur de nombreuses travées des groupes UC et Les Républicains.)
Monsieur le président, il peut arriver que ma lecture des faits diffère de la vôtre. En tout cas, elle ne me conduit pas à penser que, au moment où vous avez quitté les affaires, tout allait mieux !
J’ai plutôt le sentiment – peut-être n’est-ce qu’une impression – que les Français ont exprimé leur accord avec ma lecture des faits. Or, comme je suis comme vous un démocrate, j’écoute ce que disent les Français, avec beaucoup d’attention.
Mme Sophie Taillé-Polian. Vous êtes le Premier ministre des riches !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Permettez-moi, monsieur le président, de ne pas vous répondre sur l’ensemble des points que vous avez évoqués : cela m’est matériellement impossible à ce stade. Je veux simplement dire un mot sur les retraites.
Selon vous, monsieur le président, nous aurions tort d’annoncer aux Français la mise en place en 2027 d’un âge d’équilibre du système à 64 ans ; ce serait une offense faite à la situation des Françaises et des Français qui doivent pouvoir prendre leur retraite dans de bonnes conditions.
Pourtant, vous avez vous-même approuvé – je n’en ai pas la certitude, mais je l’imagine, et les comptes rendus des débats de l’époque doivent en témoigner – une réforme qui a eu pour impact sur le régime général d’allonger très nettement la durée de cotisation. Cette réforme entrera en application au 1er janvier 2020. Or les projections indiquent – écoutez-moi bien, monsieur le président ! – que l’âge moyen de départ à la retraite dans le régime général – ce régime concerne tout de même 80 % des Français –, qui est aujourd’hui de 63 ans et demi, passera à 64 ans dans les cinq prochaines années, et ce du fait de cette réforme, que vous approuviez en 2014.
M. Jean-François Husson. Et voilà !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Autrement dit, monsieur le président, vous reprochez aujourd’hui à mon gouvernement de dire les choses de façon explicite et de créer un système dans lequel nous assumons les choses, alors même que vous avez mis en place un système qui, pour le régime général, et non pour les autres, conduit à une augmentation continue des durées de cotisation, jusqu’à arriver à un âge moyen de départ à la retraite équivalent.
Voyez-vous, monsieur le président, notre échange me paraît intéressant : il est bon que les Français l’entendent ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, vous avez fait référence à la réforme de Marisol Touraine. Je vous concède volontiers qu’elle n’avait pas mis la France dans la rue !
En revanche, votre système fera que, dans toutes les hypothèses, les Français devront travailler plus s’ils ne veulent pas gagner moins !
M. Patrick Kanner. Ce n’était pas le cas dans la réforme de Mme Touraine. Dans ce cadre, vous voulez encore une fois avoir raison, seul contre tout le monde ! C’est cela que les Français vous reprochent ; ils vous le diront très prochainement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes LaREM et UC.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, la France est aujourd’hui divisée en deux camps : ceux qui râlent et ceux qui râlent contre ceux qui râlent ! (Rires.)
Ces derniers jours, on a surtout entendu les premiers. Je voudrais parler des autres, de tous les autres, de ceux qui ne défilent pas, de ceux qui n’ont ni mégaphones ni pancartes, parce qu’ils savent qu’un examen objectif des faits est toujours trop long pour une banderole, et de ceux qui ne font pas grève et se font parfois à ce titre injurier ou crever leurs pneus. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Je veux parler de ceux qui ne supportent plus de voir que, lorsqu’on a un problème avec le Gouvernement, on s’en prend aux travailleurs naufragés dans des transports à l’arrêt, aux enfants se heurtant à des grilles d’écoles fermées, aux chefs de petites entreprises… (Mêmes mouvements.)
Je vois que les râleurs ne sont pas seulement dans la rue ! (Rires ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. On assume !
M. Claude Malhuret. … aux chefs de petites entreprises, disais-je, supportant seuls le coût de l’absentéisme forcé de leurs employés, aux commerçants qui espéraient rattraper les pertes subies l’an dernier, mais voient s’annoncer pour Noël de nouvelles pertes, pour le plus grand profit d’Amazon !
Je veux parler de ceux à qui l’on dit que le service public a une obligation de continuité, mais qui constatent que 90 % des grèves ont lieu dans le secteur public, de ceux qui remarquent que les soi-disant défenseurs du service public s’en prennent en priorité aux usagers de ce même service et que le baratin de la grève au service de tous n’est que le faux-nez de la défense de privilèges corporatistes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.)
Ces Français-là sont beaucoup plus nombreux que les grévistes. Néanmoins, comme ils ne manifestent pas, personne ne se soucie d’eux ; ils continuent donc de ramer en attendant un métro qui ne viendra jamais ou un train qui sera supprimé. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Comme si cela ne suffisait pas, la CGT nous annonce désormais le blocage des raffineries. Bonjour, les fêtes de Noël en famille !
Mme Éliane Assassi. Bonjour, la démagogie !
M. Claude Malhuret. Nicolas Sarkozy avait réussi, en 2007, à faire adopter une loi sur le service minimum qui a fonctionné pendant quelques années. Elle est désormais bafouée et inopérante.
Ma question est la suivante, monsieur le Premier ministre : pouvez-vous nous assurer de la détermination du Gouvernement face aux blocages présents et annoncés ? N’est-il pas temps, comme le proposent certains de nos collègues, de réfléchir à de nouvelles dispositions sur le service minimum garanti ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes LaREM et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, avec votre style inimitable et d’ailleurs inimité (Sourires.), vous décrivez une réalité préoccupante.
Trop souvent, celui qui se drape dans ce qu’il considère comme un droit est conduit à méconnaître les droits des autres. Le droit de grève et le droit de manifester sont des libertés constitutionnellement défendues et préservées.
Mme Éliane Assassi. Rappel utile !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ces libertés doivent être respectées ! Nous le savons tous, je l’ai toujours dit et je le rappelle à nouveau.
Je ne crois pas qu’on puisse, ici tout particulièrement, mégoter, si vous me passez cette expression, avec une liberté publique de valeur constitutionnelle.
Mme Éliane Assassi. Certains le font ici autant qu’ailleurs !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cependant, la continuité des services publics, la liberté d’aller et venir, la liberté d’expression et la liberté de travailler, donc de ne pas faire grève, sont des principes de même valeur que la liberté de faire grève et celle de manifester. (Mme Catherine Troendlé approuve.)
Ce que je dénonce, ce n’est pas que certains fassent la grève et que d’autres ne la fassent pas, ce n’est pas que certains soutiennent les grévistes et que d’autres les dénoncent ; ce que je regrette, c’est que le choix des uns puisse passer par la dénonciation des autres.
Nous vivons dans une démocratie ; nous devons donc assumer nos choix et nos positions. Ceux qui font grève en ont le droit, mais ils doivent le faire conformément à la loi. Menacer ceux qui ne font pas grève n’est pas correct ; c’est même illégal. Je n’affirme pas pour autant, bien entendu, que tous les grévistes le font. Toutefois, nous savons que de telles pressions s’exercent dans telle ou telle entreprise ; nous le savons parce que nous le voyons, parce que nous en avons des preuves, des images et des films ! Ces pressions ne sont évidemment pas acceptables.
De la même façon, tous les mouvements qui consistent à nier l’existence et la reconnaissance du droit de grève sont à mon sens regrettables.
Je tiens à dire, monsieur le président, que le Gouvernement ne veut pas opposer les Français les uns aux autres.
Mme Éliane Assassi. C’est raté !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je ne pratique pas la logique selon laquelle il y aura des vainqueurs et des vaincus. Je crois plutôt que la solidarité nationale qui s’incarne dans un régime universel de retraite est exactement porteuse de la logique inverse, selon laquelle tous les Français, quel que soit leur statut, quel que soit leur métier, contribuent à la retraite de tous les Français.
Une sénatrice du groupe CRCE. C’est déjà le cas !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce système, que nous voulons mettre en place, prendra en compte des droits nouveaux ; il sera le système, non pas de certains Français contre les autres, mais de l’ensemble des Français vis-à-vis des futurs pensionnés et de ceux qui paieront ces pensions.
Vous avez raison, monsieur le président : les mouvements de grève se doublent parfois de blocages. Ce n’est pas toujours le cas ! Or le blocage, mesdames, messieurs les sénateurs, n’est pas autorisé par la loi. La législation relative au droit de grève n’autorise pas à bloquer tel ou tel dépôt. C’est illégal ; cela doit donc être proscrit ! La législation n’autorise pas à bloquer tel ou tel centre de stockage ou de production. C’est illégal ; nous faisons donc intervenir les forces de l’ordre pour que ces blocages ne puissent prévaloir ! (MM. Emmanuel Capus et Claude Malhuret applaudissent.)
Cela n’est pas toujours facile, car nous savons très bien quel risque nous courrons lorsque nous engageons la force publique de telle sorte. Nous ne voulons pas céder aux provocations, nous ne voulons pas qu’un incident puisse amplifier le désordre.
Je tiens à le dire clairement, monsieur le président : la grève est constitutionnelle, on y a droit ; le blocage est inconstitutionnel, on n’y a pas droit !
Le principe de continuité du service public ne trouve pas à s’appliquer seulement quand tout va bien. Il impose justement aux fonctionnaires et aux agents publics de poursuivre leur activité quand tel est l’intérêt du service public, des Françaises et des Français et donc, d’une certaine façon, l’intérêt de la Nation.
Sur ce terrain, nous sommes évidemment déterminés à rappeler les principes…
M. Bruno Retailleau. Et donc ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … et, le cas échéant, à compléter les dispositions nécessaires.
Je tiens cependant, monsieur le président, à faire remarquer que nous connaissons tous le rythme auquel les textes législatifs qui interviennent en la matière doivent être discutés. Les grandes propositions faites à la veille d’un mouvement de grève servent souvent plus à attirer l’attention du public sur un sujet qu’à régler durablement une question juridique délicate. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants.)
financement de la réforme des retraites
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et concerne, elle aussi, la réforme des retraites.
Monsieur le Premier ministre, vous aviez prévenu hier les députés de votre majorité : il n’y aurait pas d’« annonces magiques » aujourd’hui. Dont acte !
M. le ministre de l’action et des comptes publics répète souvent dans cet hémicycle lors des débats budgétaires qu’il n’y a pas non plus de « chiffres magiques ». Il a bien raison !
Néanmoins, après vous avoir écouté attentivement ce midi, il nous manque encore quelques petits éléments pour comprendre où nous allons exactement.
D’une part, vous allez devoir rééquilibrer le système de retraite actuel, dont le Conseil d’orientation des retraites (COR) nous dit qu’il sera déficitaire, pour une somme comprise entre 10 et 17 milliards d’euros, d’ici à 2025.
D’autre part, vous allez progressivement mettre en place le nouveau système, qui doit accorder des garanties individuelles, notamment aux enseignants, mais aussi des droits nouveaux, tels que les 1 000 euros de pension minimum pour tous.
Nous avons bien compris que le retour à l’équilibre du système actuel serait l’affaire des partenaires sociaux et que l’âge pivot serait fixé à 64 ans d’ici à 2027, et non 2025, mais vous n’avez rien dit, monsieur le Premier ministre, du coût des mesures de transition et des mesures nouvelles ni de la manière dont vous allez les financer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur Dallier, vous m’interrogez sur le rythme auquel nous proposons de basculer dans le régime futur et sur les questions importantes d’équilibrage des systèmes actuel et futur. Cela représente beaucoup de questions et je reconnais qu’elles ne sont pas simples.
Dans le système futur, une fois que tout aura été mis en place, la responsabilité reviendra aux partenaires sociaux et au Parlement. En effet, le système futur, comme c’est d’ailleurs le cas pour le système actuel, sera financé à 75 % par des cotisations sociales et à 25 % par l’impôt. Dès lors, il n’est pas illégitime – c’est même nécessaire, me semble-t-il ! – que, d’une part, les partenaires sociaux soient représentés et jouent un rôle central dans les décisions qui seront prises et que, d’autre part, le Parlement soit pleinement associé à la définition du pilotage de ces opérations.
Il reviendra à la gouvernance future de fixer des règles d’équilibre par périodes de cinq ans. Comme l’a indiqué le haut-commissaire, une telle période de cinq ans permet à la fois de ne pas laisser perdurer un déséquilibre de manière trop durable et de ne pas faire peser l’obligation d’adaptation sur une seule année.
Dans certains pays, l’équilibre est calculé année après année ; je pense notamment à la Suède, où un régime par capitalisation coexiste avec le régime par répartition et où l’ajustement consécutif à un retournement de cycle économique ou à une crise financière est réalisé sur une année – de ce fait, à la suite de la crise de 2008, les pensions des retraités suédois ont baissé : nous ne voulons pas de cela.
Nous voulons que l’équilibre se fasse sur une période de cinq ans pour faire en sorte que les changements de cycle économique soient lissés. Il reviendra à la gouvernance future d’actionner les paramètres qui seront au fond les mêmes qu’aujourd’hui : la durée du travail, le taux de cotisation, le niveau des pensions, etc.
Néanmoins, nous aurons mis en place une « règle d’or » : la valeur du point ne baissera pas, elle devra évoluer à la même vitesse que les salaires, ce qui est une grande garantie pour les retraités de demain.
En ce qui concerne le déséquilibre que nous constatons aujourd’hui, il est lié au système actuel. Il y a trois ans, le COR, organisme parfaitement respectable et respecté, disait qu’à l’horizon de 2025 nous serions à l’équilibre. Depuis, les hypothèses ont changé – je ne me prononce pas sur la façon dont le travail est réalisé, je sais qu’il est bien fait. Quelques mois après l’élection présidentielle, le COR a ainsi estimé que l’équilibre ne serait pas préservé. Lorsque j’ai souhaité que tout soit clairement mis sur la table pour éviter les spéculations et disposer des projections les plus récentes, j’ai demandé au COR d’actualiser ses travaux ; il a alors estimé qu’en fonction d’un certain nombre d’hypothèses, le déséquilibre serait compris entre 7 et 17 milliards d’euros par an en 2025 et qu’il s’accroîtrait ensuite.
Nous devons dire clairement aux Français comment nous allons régler cette question. Cela se fera progressivement, pas en une fois, mais cela devra se faire.
Pour permettre la mise en place du système futur, nous proposons que la trajectoire d’équilibre commence au 1er janvier 2022 et qu’elle aboutisse à l’équilibre du système ancien en 2027. C’est la proposition que j’ai faite. J’ai écouté ceux qui disaient qu’on ne pouvait pas faire commencer des mesures d’équilibre au moment où se tenaient les discussions sur le système universel – c’est probablement la meilleure attitude. Il reviendra à la nouvelle gouvernance de définir cette trajectoire et les mécanismes qui permettront de la garantir.
J’ai néanmoins ajouté qu’il ne pouvait pas être question pour moi de renoncer à mes responsabilités. C’est pourquoi, si les partenaires sociaux ne se mettent pas d’accord sur cette trajectoire, le Gouvernement assumera ses responsabilités. Par conséquent, la loi-cadre qui, je l’espère, sera examinée durant le premier trimestre de 2020 à l’Assemblée nationale, puis durant le deuxième trimestre au Sénat, comportera des mesures qui s’appliqueront par défaut, dans le cas où la nouvelle gouvernance n’arriverait pas à définir les conditions d’un retour à l’équilibre. Cela passera par une incitation, pas par une obligation, à travailler progressivement un peu plus longtemps.
Autrement dit, monsieur le sénateur, les choses sont claires et annoncées, nous ne nous payons pas de mots et nous assumons nos responsabilités. C’est à ce prix que nous pourrons construire un système universel équitable et responsable. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour la réplique.
M. Philippe Dallier. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, mais vous n’avez pas répondu à ma question !
J’ai bien compris que les partenaires sociaux devraient trouver le chemin, mais certains éléments découleront bien d’une décision de l’État.
Par exemple, combien va coûter l’augmentation des traitements des enseignants que vous allez devoir mettre en œuvre pour leur permettre de bénéficier à terme d’un même niveau de retraite ?
M. Bruno Retailleau. Dix milliards !
M. Philippe Dallier. Cette mesure va bien évidemment peser sur le budget de l’État, et cela de manière progressive ; je crois que le Président de la République avait parlé il y a quelques mois…
M. Bruno Retailleau. À Rodez !
M. Philippe Dallier. … d’un montant de 10 milliards d’euros.
Qu’en est-il ? Combien va coûter la mesure qui garantira une pension minimale de 1 000 euros pour tous ? Qui va assumer ce coût ? Ce sont les questions que je vous ai posées.
Le Gouvernement a déjà abandonné l’objectif d’un retour à l’équilibre des comptes publics en 2022. Alors, où allons-nous dans les cinq ans qui suivent ? J’espère que, d’ici au débat qui devrait avoir lieu au Parlement à partir du début de l’année prochaine, nous serons parfaitement éclairés sur ces questions. Voter une loi-cadre, c’est bien, mais ne pas pouvoir en mesurer les conséquences ne me paraît pas acceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
différend franco-américain sur la taxation des géants du numérique
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous propose de parler d’un autre sujet : le commerce international.
En octobre dernier, le président Trump a annoncé plus de 7 milliards de dollars de taxes punitives sur les produits européens. Cette annonce intervenait après le feu vert de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’institution ayant évalué les dommages pour les États-Unis du fait des subventions accordées à Airbus par l’Union européenne. Il s’agissait de la plus lourde sanction jamais imposée par l’OMC, mais les Européens ont dénoncé de leur côté plus de 19 milliards de dollars de subventions octroyées à Boeing par le gouvernement américain. Le montant des sanctions que l’Europe pourra imposer aux importations américaines sera connu au début de 2020.
Aujourd’hui, c’est la taxe GAFA qui fait planer un nouveau risque sur les produits français – le montant des sanctions douanières pourrait s’élever à plus de 2 milliards d’euros.
Monsieur le ministre, où va nous mener cette escalade de sanctions ? Il y a quelques semaines, vous avez déclaré que nous serions prêts, avec nos partenaires européens, à y répondre de façon ferme.
Ces taxations punitives à répétition risquent d’affecter durablement l’économie mondiale et mettent déjà en difficulté un grand nombre des entreprises françaises. Les producteurs de vins français estiment le préjudice à plus de 250 millions d’euros par an et ils craignent un effondrement global de leur activité : d’abord des pertes de ventes, puis, plus grave, des pertes de marché par déréférencement. Ils expliquent que les sanctions ont été prononcées sur des marchés pour lesquels les États-Unis ont déjà des produits de remplacement.
Nous savons bien pourtant que ces sanctions sont souvent à double tranchant, même pour les États-Unis. Par exemple, les chaînes de production des deux constructeurs aériens sont complètement mondialisées et les sous-traitants présents dans tous les pays.
Monsieur le ministre, que répondez-vous aux professionnels qui font aujourd’hui les frais de ces dissensions et appellent les autorités françaises et européennes à négocier des solutions ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, la seule négociation qui vaille, c’est celle de l’OCDE qui nous permettra de fixer une taxation internationale des géants du numérique acceptée par tous les pays de la planète. Aujourd’hui, la France, la Russie – j’y étais hier – et l’ensemble des pays européens sont prêts à accepter la solution internationale qui sera trouvée à l’OCDE. Les États-Unis y sont-ils prêts ?
Pour le coup, jamais nous ne renoncerons à ce que les géants du numérique, qu’ils soient américains, européens, chinois ou autres, soient taxés de manière juste. Aujourd’hui, ils réalisent des milliards d’euros de profits sur le territoire français et européen, tout en payant des impôts dérisoires parce qu’ils n’ont pas de présence physique. C’est une question de justice et d’efficacité fiscales.
Je le dis très clairement, il n’est pas question pour la France de se coucher devant qui que ce soit ! Nous défendons une proposition juste et nécessaire pour mettre en place une fiscalité internationale du XXIe siècle.
La taxe française qui a été adoptée est aujourd’hui mise en œuvre. Existe-t-il une meilleure solution ? Oui, c’est celle qui est négociée au sein de l’OCDE. Nous avons accepté ce processus. Il revient maintenant aux États-Unis de nous dire s’ils sont prêts ou non à accepter cette solution internationale qui serait de loin la plus efficace.
Si jamais nous n’arrivons pas à une solution au sein de l’OCDE, nous travaillerons avec la Commission européenne – je le fais déjà avec le nouveau commissaire européen Paolo Gentiloni – à une nouvelle solution européenne de taxation des géants du numérique.
Quant aux sanctions, elles sont inacceptables.
Elles le sont en droit : la taxe française n’est aucunement discriminatoire, puisqu’elle touche toutes les entreprises aussi bien les européennes que les américaines ou les chinoises.
Elles le sont aussi parce que les États-Unis sont des alliés et que l’on ne se comporte pas ainsi entre alliés !
Elles le sont, enfin, parce que l’économie mondiale a besoin d’autre chose que d’un cycle de sanctions et de ripostes qui pèsent nécessairement sur la croissance internationale et les emplois, que ce soit en Europe bien sûr, mais aussi aux États-Unis.
J’invite donc les États-Unis à tenir la parole qu’ils ont donnée à la France, en août, en marge du G7, à revenir à la table des négociations à l’OCDE et à accepter cette solution internationale de taxation des géants du numérique. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Nous sommes bien d’accord, monsieur le ministre : ces sanctions sont inacceptables. Pour autant, elles existent ! Aujourd’hui, alors que l’économie mondiale oscille entre taxations punitives et exonérations de droits dans les traités de libre-échange, la vraie question porte sur la régulation du commerce mondial. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
réforme des retraites (iv)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Martin Lévrier. Ma question s’adresse à M. le haut-commissaire aux retraites.
Aujourd’hui, à 50 ans, si l’on a changé plusieurs fois de métier, vouloir connaître le montant de sa pension s’apparente à du masochisme. À 40 ans, si l’on a subi une carrière difficile, précaire ou hachée, tenter d’estimer sa pension invite à une dépression certaine. À 30 ans, imaginer sa retraite s’apparente plus au fantasme qu’au rêve. Être une femme, c’est avoir la certitude d’une pension de retraite inférieure de 42 % à celle d’un homme.
Mme Laurence Cohen. Et vous allez changer ça ?
M. Martin Lévrier. Notre système, fondé il y a plus de soixante-dix ans, est devenu au fil des réformes une jungle qui provoque l’anxiété et qui oppose les Français les uns aux autres plus qu’il ne les unit. En retrouver l’ADN ne pouvait plus passer par des réformes paramétriques.
Monsieur le haut-commissaire, depuis deux ans, vous avez réalisé une large concertation, dont l’organisation a été louée par les partenaires sociaux, puis plus récemment par les Français que vous avez rencontrés au fil des réunions organisées dans l’ensemble du pays. Tout ce travail a permis au Premier ministre et au Gouvernement de proposer un nouveau cadre qui va refonder tout notre système.
Il s’organise autour de quatre piliers : l’universalité au travers d’un système unique de cotisation par points ; l’équité, car chaque euro travaillé donnera les mêmes droits à chacun ; la gouvernance ouverte qui garantit la prise en compte de tous, la stabilité à long terme et la certitude que la valeur du point et les pensions progresseront ; la solidarité par la suppression des 42 caisses, la confortation de notre régime de répartition et la protection des familles et des plus fragiles.
Parce que la solidarité est le ciment de la réforme, et alors que depuis plusieurs semaines fake news et simulateurs bidon font florès (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.), quels sont, monsieur le haut-commissaire, les points saillants de vos propositions qui démontrent que cette refondation s’adresse aussi aux plus fragiles et garantit ce véritable esprit de solidarité ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire aux retraites.
M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Lévrier, vous avez raison d’indiquer qu’aujourd’hui comprendre sa retraite, alors que les parcours professionnels sont divers, est compliqué. Je recevais lundi l’ensemble des partenaires sociaux et nous faisions notamment le point sur le résultat des plateformes citoyennes. Nous avons été très frappés du soutien important qui existe en faveur de la mise en place d’un régime universel – cela ne veut pas dire un régime unique, mais l’application des mêmes règles à tous.
Ce midi, au Conseil économique, social et environnemental, M. le Premier ministre a rappelé à quel point nos concitoyens étaient attachés à ce qu’il y ait une égalité de traitement : les mêmes règles, les mêmes devoirs pour tous. Cela résonne fortement dans l’opinion. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Le système par points est très simple : vous percevez des revenus, vous acquérez des points, vous les additionnez et vous avez la liberté de partir. La retraite est donc bien le reflet de votre travail. Pour autant, il existe aussi une très forte demande de solidarité. Nous avons été très frappés de voir que plus les générations sont jeunes, plus elles demandent de la solidarité – c’est un sentiment plus fort pour elles que pour celles qui sont proches de la retraite.
Les propositions faites ce midi par le Premier ministre contiennent de nombreuses et importantes mesures qui renforcent les droits familiaux et ceux des précaires. Pour les femmes, les simulations nous montrent que ces propositions amélioreront la pension moyenne des femmes de 10 % à 20 % pour les générations des années 1980 et 1990. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Autre proposition, le minimum contributif qui correspond à une attente profonde du monde agricole et des artisans.
Pour conclure, je dirai que ce projet est plus simple, plus juste, plus solide et plus solidaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat. Ma question s’adresse à M. le haut-commissaire aux retraites.
Une chose est certaine, les régimes de retraite doivent être réformés. Je vous le dis d’autant plus que notre famille politique a assumé des réformes courageuses dans ce domaine.
Il y a eu les réformes Balladur, Fillon, Woerth. Il faut rendre à César ce qui est à César ! Ces réformes ont sauvé de la faillite le régime de retraite de nos compatriotes (Protestations sur les travées du groupe CRCE.), car elles ont eu le courage de toucher à la durée de cotisation, même si cela ne plaît pas à tout le monde dans cet hémicycle…
M. le Premier ministre a tenté ce matin d’éclairer nos concitoyens sur le projet du Gouvernement. Au-delà des grands principes, pas vraiment nouveaux, sur lesquels s’appuyaient ses propos, je voudrais poser cinq questions précises qui restent en suspens.
La première : à quel âge les Français pourront-ils bénéficier d’une pension de réversion ?
La deuxième : que devient, dans cette réforme, la majoration de trimestres dont bénéficient les mères de famille ? Est-elle supprimée ? Que devient la majoration de 10 % par parent pour les familles de trois enfants ?
La troisième : que deviennent les réserves des régimes des salariés du privé ? Vous avez simplement évoqué l’avenir de celles des régimes des professions libérales.
La quatrième : le bonus-malus s’appliquera-t-il dès 2022 ? Et si oui, s’appliquera-t-il aux régimes spéciaux ?
La cinquième : les salariés pourront-ils, comme aujourd’hui, bénéficier d’une reconstitution de carrière complète à 67 ans ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire aux retraites.
M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Puissat, à questions précises, réponses précises ! (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
Vous avez indiqué qu’un certain nombre de réformes avaient été faites. J’ai déjà eu l’occasion de dire que ces réformes, qu’elles aient été faites par des gouvernements de gauche ou de droite, ont apporté environ 70 milliards d’euros au système, soit en recettes en plus, soit en dépenses en moins, ce qui fait que le régime actuel est à peu près à l’équilibre ou avec un déficit qui se situe autour de 0,4 % du produit intérieur brut.
En revanche, un certain nombre de ces réformes méritent d’être corrigées. Vous évoquez la réforme de M. Balladur : sur les 70 milliards d’euros que j’ai mentionnés, 35 milliards proviennent de la décision d’indexer les salaires « portés au compte » sur l’inflation – cette mesure est passée relativement inaperçue… En pratique, les droits que vous acquérez, par exemple à 25 ans, ne sont revalorisés que selon l’inflation au moment où vous partez en retraite. Cette indexation sur l’inflation est inférieure d’environ un point à l’évolution des prix.
M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas la question !
M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire. Je réponds sur la réforme ! Je vous remercie de ne pas m’interrompre.
Nous souhaitons corriger cette réforme qui ne nous paraît pas juste, parce qu’elle a fait perdre 25 % à 30 % de leurs droits aux assurés. Nous allons rectifier cela, en indexant les points acquis sur l’évolution des salaires, ce qui est une avancée considérable, y compris pour la fonction publique.
Vous évoquez la réversion. Il existe actuellement treize systèmes de réversion ! Lorsque nous avons consulté nos concitoyens ainsi que les partenaires sociaux, ils ont tous été favorables à la proposition qui consiste à garantir 70 % des ressources du couple.
M. Bruno Retailleau. À quel âge ?
M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire. Et nous réfléchissons à l’allocation veuvage à partir de 55 ans.
M. le président. Il va falloir conclure ! Je vous accorde quelques secondes pour répondre aux quatre questions restantes…
M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire. En tout cas, c’est une avancée considérable qui reçoit un large assentiment.
Concernant les réserves, la question a été évoquée ce midi par le Premier ministre : elles resteront au sein des régimes qui les ont instituées.
Quant au bonus-malus, nous souhaitons évoquer cette question dans le cadre du dialogue avec les partenaires sociaux. Si des mesures alternatives sont proposées à la mesure d’âge d’équilibre qui pourrait s’appliquer jusqu’en 2027, nous sommes prêts à les entendre. Vous le voyez, nous souhaitons instaurer un contrat de confiance avec les partenaires sociaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.
Mme Frédérique Puissat. Monsieur le haut-commissaire, j’avais pris mon stylo pour noter les réponses, mais ce n’était pas la peine… Je vous reposerai donc ces questions, par écrit ou par oral, pour tenter d’avoir des réponses plus précises.
Mme Frédérique Puissat. M. Lévrier a parlé des simulateurs mis en place par les syndicats. Heureusement qu’ils l’ont fait, parce que c’est bien ce que tout le monde attend aujourd’hui du Gouvernement ! Chaque Français veut savoir combien de temps il devra cotiser, quand il pourra partir en retraite ou encore combien de temps s’appliquera la « règle d’or ». D’ailleurs, en ce qui concerne cette – désormais fameuse – règle avancée par M. le Premier ministre, il faudra nous expliquer sur quel fondement législatif elle fonctionne… Je ne vois pas très bien quel pourra être son statut. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
contemporanéité des aides personnalisées au logement
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Viviane Artigalas. Ma question s’adresse à M. le ministre chargé de la ville et du logement.
Monsieur le ministre, ma question porte sur la réforme du calcul des aides personnalisées au logement (APL) que votre gouvernement va mettre en place au 1er janvier prochain. Celles-ci seront désormais calculées « en temps réel » sur la base des ressources du trimestre précédent, et non plus de celles qui auront été perçues deux ans plus tôt.
Vous présentez cette réforme comme une mesure de justice. Or l’économie qu’elle va engendrer – 1,4 milliard d’euros d’après vos estimations – se fera au détriment des familles les plus modestes et des jeunes qui entrent dans la vie active. Une fois de plus, ce sont précisément ceux qui ont le plus besoin de justice sociale qui vont faire les frais de votre politique.
Chacun sait que les jeunes de 18 ans à 24 ans qui démarrent leur vie professionnelle, très souvent avec des emplois précaires, ont les plus grandes difficultés à accéder au logement. Les familles modestes connaissent la même situation, y compris celles où les parents travaillent – la moitié des familles modestes sont dans ce cas. Et c’était précisément le principe des APL : elles permettaient de les soutenir pendant quelque temps encore, même si leur situation évoluait positivement.
Depuis le début du quinquennat, les aides au logement sont la cible de votre gouvernement : baisse de 5 euros, suppression de l’APL accession et, aujourd’hui, réforme du mode de calcul. Depuis 2017, l’impact de ces réformes s’élève déjà à 7 milliards d’euros. Ce sont autant d’atteintes portées au pouvoir d’achat des jeunes actifs et des ménages les plus modestes.
Monsieur le ministre, quelles mesures d’accompagnement avez-vous prévues pour ces personnes qui vont perdre brutalement leurs APL et se retrouver dans les plus grandes difficultés ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la ville et du logement.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la réforme des APL « en temps réel » et vous me demandez si c’est une réforme de justice.
Je vais vous poser une question très simple : qui peut comprendre que les APL soient accordées en fonction de la situation du bénéficiaire deux ans auparavant ? C’est pourtant la réalité : aujourd’hui, on vous attribue des APL en fonction de qui vous étiez deux ans avant.
Prenez par exemple une mère qui, il y a deux ans, travaillait à temps plein et qui, aujourd’hui, travaille à mi-temps ou qui, il y a deux ans, était en couple et qui, aujourd’hui, est une mère célibataire : aujourd’hui, cette femme ne bénéficie pas du niveau des APL auquel elle aurait droit.
Vous m’interrogez sur le cas particulier des étudiants et des jeunes actifs. Je vais là aussi être très clair.
Pour les étudiants, cela ne change absolument rien. C’est même parfois bénéfique, puisque le système actuel a des aberrations : par exemple, un étudiant salarié peut aujourd’hui percevoir moins d’APL qu’un étudiant qui ne l’est pas.
Pour les jeunes actifs, on ne le dit pas suffisamment, mais le système actuel oblige d’attendre deux ans pour percevoir une aide, si la personne n’en percevait pas, lorsqu’elle était étudiante.
M. Fabien Gay. C’est faux !
M. Julien Denormandie, ministre. Monsieur le sénateur, c’est totalement vrai et vous pourrez le vérifier.
Il existe aussi une autre situation problématique dans le système actuel : on applique à un jeune actif qui devient indépendant des forfaits évaluatifs qui font qu’il doit lui aussi attendre deux ans.
La réforme consiste à adapter l’APL en fonction de la situation réelle de la personne : un jeune actif qui entre dans le monde du travail ne doit plus attendre. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Julien Denormandie, ministre. Cette réforme vise à refonder notre système pour donner à celles et ceux qui en ont besoin les bonnes protections. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, vous ne m’avez absolument pas convaincue. Vous n’avez pas répondu à ma question ; en fait, vous niez la réalité des conséquences de votre réforme.
Je ne vous ai pas interrogé sur les étudiants, mais sur les mesures d’accompagnement que vous allez mettre en place – c’est la demande qui remonte de nos territoires. Évidemment, vous n’allez pas en mettre en place, puisque vous niez le problème ! Il y a vraiment un décalage entre la réalité du terrain et votre discours. Les personnes les plus modestes sauront vous le reprocher le moment venu, comme pour tout ce que vous faites concernant le logement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
conséquences des mouvements sociaux sur les transports
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne Chain-Larché. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
L’usage du transport public augmente dans les habitudes des Français ; c’est une réponse essentielle aux enjeux environnementaux. La fiabilité du transport public, sa continuité sont les conditions de son développement, mais surtout une exigence pour tous ceux dont c’est le seul moyen de transport.
Trop souvent et en particulier depuis sept jours, la réalité est tout autre. Si le droit de grève est un principe fondamental de notre démocratie, ce que nous respectons, il est malheureusement devenu le droit de bloquer. Trouvez-vous tolérable que bus, métros, RER, TER, Transiliens soient à l’arrêt ou presque ? Des heures interminables de galère (Protestations sur les travées du groupe CRCE.), la boule au ventre, matin et soir, sous la pluie et dans le froid, pour aller gagner leur vie et le droit de payer leurs impôts pour ceux qui n’ont pas la chance d’habiter à proximité de leur lieu de travail.
C’est inadmissible ! Le droit de grève n’est pas le droit de bloquer le pays. Ne pensez-vous pas que ce qui est possible pour la télévision publique devrait l’être pour les transports publics ?
Mme Éliane Assassi. Et vous faites comment ?
Mme Anne Chain-Larché. Ne pensez-vous pas qu’il est temps de prévoir le droit à un service garanti aux heures de pointe, conciliant droit de grève et droit d’aller travailler pour notre économie ? Nos voisins européens l’ont bien fait. Le Sénat vous le propose dans le cadre de la proposition de loi déposée par Bruno Retailleau ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Anne Chain-Larché, je voudrais tout d’abord vous prier d’excuser Élisabeth Borne et Jean-Baptiste Djebbari qui reçoivent actuellement les dirigeants des entreprises publiques de transport – RATP et SNCF – avant de s’entretenir avec les organisations syndicales.
Un mouvement social affecte notre pays, vous l’avez dit, depuis le 5 décembre, il mobilise un certain nombre de citoyens dans la rue et affecte les transports.
Comme M. le Premier ministre vient de le dire il y a quelques minutes, nous respectons le droit de grève ainsi que le droit de manifester et de s’exprimer. Nous sommes également sensibles à la situation de tous ceux qui ont besoin d’aller travailler et de se déplacer et qui connaissent des difficultés.
La situation est actuellement la suivante : environ un tiers des Transiliens fonctionnent en Île-de-France, deux lignes de métro automatisé fonctionnent, certaines lignes de métro fonctionnent durant les heures de pointe.
Face à cette situation, Île-de-France Mobilités s’est mobilisée pour mettre en place des bus de remplacement – environ 220. Nous avons aussi facilité et élargi les possibilités de covoiturage, en ouvrant des voies habituellement réservées aux bus. Enfin, comme l’a indiqué Muriel Pénicaud à plusieurs reprises, nous avons sollicité les entreprises pour qu’elles soient ouvertes au télétravail qui permet à nos concitoyens de trouver la bonne articulation dans cette période de mobilisation.
Pour conclure, le discours prononcé ce midi par M. le Premier ministre devant le Conseil économique, social et environnemental a permis d’affirmer les trois lignes directrices de la réforme des retraites : l’universalité, l’équité et la responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Roger Karoutchi. Et alors ?
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour la réplique.
Mme Anne Chain-Larché. Madame la secrétaire d’État, ma question était pourtant simple et elle appelait une réponse par oui ou par non ! Depuis une semaine, quelques milliers de grévistes paralysent 27 millions d’actifs. Cela coûte 400 millions d’euros par jour aux entreprises. Avez-vous conscience de l’exaspération des Français ? Les entendez-vous ?
Avec Bruno Retailleau, nous proposons un texte pour sortir la France de l’ornière et lui éviter l’impasse que constituent à la fois les atermoiements d’En Marche et la faillite qui découlerait des positions du Rassemblement national. Or vous avez sciemment orchestré cette impasse ! Il est dans notre ADN de républicains de trouver des solutions pour ne pas aggraver davantage la situation de la France en Europe et dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, le 5 septembre dernier, vous annonciez un plan de lutte contre les violences subies par les sapeurs-pompiers, sans même attendre la remise des travaux conduits ici, au Sénat, par Catherine Troendlé, Patrick Kanner et moi-même sur le sujet.
La mesure phare de votre plan était la mise en place de caméras-piétons. Cette mesure est bonne, mais elle n’est pas à porter à votre seul crédit. La loi prévoyant le dispositif est d’ailleurs d’origine sénatoriale – sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Decool – et son décret d’application était déjà pris depuis plusieurs semaines au moment de l’annonce.
Rassurez-vous, monsieur le ministre, si vous êtes en panne d’idées neuves, nous en avons pour vous dans notre rapport intitulé Violences contre les sapeurs-pompiers : 18 propositions pour que cesse l’inacceptable, rapport que la commission des lois du Sénat a adopté ce matin.
Alors, monsieur le ministre, où en êtes-vous de la mise en œuvre des engagements que vous avez pris devant les sapeurs-pompiers et, surtout, comment envisagez-vous d’intégrer les propositions opérationnelles que le Sénat formule ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Patrick Kanner applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Loïc Hervé, le problème des agressions de sapeurs-pompiers est effectivement très grave. En 2018, il y a eu en moyenne cinq agressions pas jour. C’est tout à fait inacceptable. Ces incidents ont lieu souvent lors des sorties de secours à personne ; la plupart du temps, les auteurs de l’agression sont les personnes qui sont elles-mêmes secourues.
J’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt, monsieur le rapporteur, des propositions de la mission d’information sur la sécurité des sapeurs-pompiers. Vous me tancez un peu sur les caméras-piétons, mais vous savez très bien que, en la matière, bien d’autres choses ont été faites : fermeté des parquets sous l’autorité de Mme la garde des sceaux, avec une réponse pénale très forte ; dépôt de plainte ouvert aux sapeurs-pompiers dans les centres de secours ; domiciliation possible dans les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) ; protocoles d’intervention entre policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers pour intervenir dans les zones délicates. M. Kanner, d’ailleurs, saluait pour le département du Nord l’importance et le caractère opérationnel de ces protocoles. Voilà pour les mesures concrètes qui sont désormais en place.
Votre mission d’information a fait 18 propositions. Mme la sénatrice Catherine Troendlé nous les avait annoncées lors de la discussion budgétaire, sans en révéler la teneur exacte. En lisant ces propositions dans le détail, j’ai découvert qu’un certain nombre d’entre elles étaient déjà mises en œuvre, fort heureusement, tandis que d’autres sont sur le point de l’être. Je veux vous rassurer à cet égard, monsieur le sénateur. Je pense d’abord à la sensibilisation des jeunes publics. C’est ce que nous faisons à Marseille, avec les cadets chez les marins-pompiers. Je pense aussi aux formations des sapeurs-pompiers pour acquérir des stratégies d’évitement et d’autoprotection. Je le répète, nous nous apprêtons à mettre en place certaines des mesures que vous proposez, quand tel n’est pas déjà le cas.
Pour le reste, je le confirme, nous allons étudier vos propositions avec beaucoup d’intérêt.
Enfin, comme vous le savez, nous allons également créer un observatoire national, qui aura vocation à recenser non seulement l’ensemble des agressions, mais aussi les bonnes pratiques susceptibles d’être généralisées sur l’ensemble du territoire national. C’est un sujet sérieux qui ne doit souffrir aucune polémique. Il mérite beaucoup d’actions, et le Gouvernement est tout engagé dans cette voie. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour la réplique.
M. Loïc Hervé. Loin de vous tancer, monsieur le secrétaire d’État, je voulais simplement vous tendre une perche sur un sujet sur lequel nous sommes d’ailleurs d’accord.
Je vais prendre un autre exemple. En 2016, la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) versée aux sapeurs-pompiers volontaires a fait économiser 30 millions d’euros à l’État. Il était convenu que cet argent soit reversé aux SDIS pour investir dans le domaine de la sécurité des pompiers. Mme Troendlé a évoqué une forme de hold-up lors de l’examen du projet de loi de finances, car ces sommes sonnantes et trébuchantes doivent être investies au profit des sapeurs-pompiers.
Par ailleurs, vous savez que la crise liée à ce climat de violence risque de remettre en cause notre modèle du volontariat. Or nous tenons à ce qu’il soit conforté, y compris au niveau européen. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Patrick Kanner et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
ceta
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. CETA vous, monsieur le Premier ministre, que j’adresse cette question. (M. Laurent Duplomb tient en main un papier portant l’inscription CETA.)
CETA, quatre lettres qui résonnent comme une question controversée dans la tête des Français.
CETA l’Assemblée nationale que le texte a été ratifié en juillet, malgré la bronca qu’il a suscitée, y compris au sein de votre propre majorité.
CETA quelle date, monsieur le Premier ministre, que vous allez enfin programmer l’étude du texte de ratification devant le Sénat ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Duplomb, nous ne sommes pas en retard ! (Rires.)
M. François Bonhomme. On n’est pas pressés !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Si l’on regarde l’agenda européen, on constate que, sur vingt-sept États, ou sur vingt-huit, comme vous voudrez, treize l’ont ratifié, et tous les autres sont en discussion préalable à la ratification. De grands pays, comme l’Allemagne, l’Italie sont dans le processus de ratification. Je le répète, nous ne sommes pas en retard. La procédure législative suit son cours, et la date d’examen par votre assemblée sera fixée au début de l’année prochaine.
Cependant, puisque vous m’en donnez l’occasion, et comme cet accord fait l’objet d’une mise en œuvre provisoire, nous pouvons désormais comparer les neuf premiers mois de 2019 avec les neuf premiers mois de 2017, donc avant cette mise en œuvre. Or je constate que les exportations de biens de la France vers le Canada ont augmenté de 19 %. C’est plutôt gagnant ! Dans le même temps, nos importations ont diminué de 6,5 %.
Nos entreprises profitent donc, dans de nombreux secteurs, de cet accord, qui n’est encore que provisoire.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, je vous fais observer qu’aucune des filières agricoles sensibles qui avaient été identifiées, ici, au Sénat, et même à l’Assemblée nationale, n’a subi de conséquences négatives du CETA. Le bœuf canadien n’a pas inondé, comme on le craignait, le marché européen, et nos règles sanitaires sont restées pleinement opérationnelles.
Enfin, monsieur Duplomb, dans votre département, les importations de produits agroalimentaires du Canada ont baissé depuis l’entrée en vigueur du CETA. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Jean-François Husson. C’est grâce à Laurent Duplomb !
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour la réplique.
M. Laurent Duplomb. CETA cette réponse, malheureusement sans annonce de date précise, que je m’attendais.
CETA un manque criant de courage de votre part, une fois de plus, que je pouvais aussi m’attendre.
CETA à une manipulation malhonnête que nous assistons. En effet, même sans ratification du Sénat, l’accord restera en vigueur, comme depuis vingt-quatre mois, et pour une durée illimitée.
CETA à l’exemple d’un Sénat bafoué, une fois de plus, que nous nous attendons. Pire, CETA l’ensemble des Français que vous faites un énième pied de nez.
CETA des produits issus d’une agriculture que les Français ne veulent pas chez nous que vous allez continuer d’ouvrir les portes, créant une concurrence déloyale pour nos produits.
C’est de tout cela que les Français ne veulent plus !
Alors, CETA vous, monsieur le ministre, que je demande de prendre vos responsabilités dans cet hémicycle, devant les représentants des Français. Annoncez vite la date exacte de l’examen au Sénat du CETA ! Cela vous honorerait ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
situation de l’hôpital de saint-martin
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Depuis mon arrivée au Sénat en 2014, je n’ai eu de cesse d’alerter les gouvernements successifs sur la situation du centre hospitalier Louis-Constant-Fleming de Saint-Martin.
Mes interpellations portaient soit sur la situation financière et budgétaire, soit sur les conditions d’exercice de la médecine et la qualité des soins.
Madame la ministre, je vous ai régulièrement tenue informée, au travers de questions d’actualité au Gouvernement ou par courrier, de situations qui ne peuvent me laisser insensible. Je tiens d’ailleurs à vous renouveler mes remerciements pour les réponses apportées aux difficultés des médecins urgentistes.
Récemment, un infirmier-anesthésiste a tenté de mettre fin à ses jours au sein même du bloc opératoire. Ce nouveau drame illustre, une fois encore, la tension exacerbée qui règne au sein du personnel médical du centre hospitalier.
L’agence régionale de santé (ARS) a été sensibilisée ; un changement de direction a été effectué et une administration provisoire a été mise en place. Pour autant, force est de constater que la situation est devenue insoutenable.
Aussi, madame la ministre, avec toutes les réserves et précautions d’usage, pouvez-vous rassurer la population saint-martinoise ? Que comptez-vous faire pour que la qualité des soins et la sécurité des patients soient garanties, et pour éviter que ne se reproduise une situation similaire à celle qui s’est produite, voilà quelques années, au CHU de Rouen ? (Mme Françoise Laborde applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Guillaume Arnell, je vous remercie de me poser cette question. Je comprends l’inquiétude dont vous vous faites le porte-parole aujourd’hui. Le drame dont vous vous faites l’écho ne peut que nous alerter et nous émouvoir.
Deux ans après le passage de l’ouragan Irma sur votre île, la reconstruction est toujours en cours, à l’hôpital comme pour d’autres structures. Vous l’avez rappelé, le centre hospitalier Louis-Constant-Fleming a été placé sous administration provisoire depuis le mois d’avril dernier. Cette décision a été prise face à la situation extrêmement dégradée de l’établissement en matière de trésorerie et de recouvrements. Il y avait aussi des conflits récurrents en interne. Mes services ont pu prendre connaissance des premières conclusions de l’administration provisoire voilà quelques semaines. Un certain nombre de dysfonctionnements ont été identifiés et confirmés. Il nous faut maintenant apporter des solutions.
Je pense, par exemple, à la rédaction d’un projet médical, qui n’existe pas pour l’île de Saint-Martin. Le centre hospitalier dispose d’atouts très importants en matière de compétences médicales et chirurgicales. J’avais eu l’occasion de rencontrer les personnels dans la semaine qui a suivi Irma, et j’ai pu me rendre compte de leur engagement, alors qu’il y avait des pillages et que l’hôpital était partiellement détruit.
Je le rappelle, il s’agit du principal établissement sur l’île. Je sais qu’un grand nombre de professionnels de cet établissement y sont attachés et qu’ils sont capables de faire des efforts afin d’assurer sa pérennité. Le ministère et l’ARS vont continuer à accompagner la mise en œuvre de toutes les préconisations de l’administration provisoire. Vous pouvez compter sur ma vigilance. Il est primordial que les Saint-Martinois retrouvent la confiance dont ils ont besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour la réplique.
M. Guillaume Arnell. Madame la ministre, vous avez souvent été à l’écoute de mes préoccupations, mais je voulais que vous rassuriez de nouveau cette population, qui vit dans l’angoisse. Aujourd’hui, des professionnels se télescopent pour des raisons autres que médicales. Je compte sur votre vigilance et vous remercie de votre réponse. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
tarification sociale de l’eau
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a un décalage permanent entre le discours, recouvert d’un vernis social, du Gouvernement, et la réalité, qui n’est que celle d’un triste libéralisme à tous crins. Ces derniers jours, voire ces dernières heures, des millions de Français ont compris que le vrai sens des initiales LREM, c’était « La Retraite En Moins »… probablement pour privatiser plus !
Au début du quinquennat, on aurait pu parier sur de la maladresse, comme pour les 5 euros pris au titulaire de l’APL, alors que les Français les plus riches gagnaient chacun 1,7 million d’euros par an avec la suppression de l’ISF et l’instauration de la flat tax. Quant à la suppression de la taxe d’habitation, c’est 8 milliards d’euros pour les 20 % les plus aisés et 0 euro pour les 20 % les plus pauvres. Cette mesure, présentée comme sociale, fragilisera avant tout les collectivités. Et que dire de la désindexation des prestations sociales ou de la réforme de l’assurance chômage, qui fera 1,3 million de perdants ?
Il semble donc qu’avec vous, socialement, il y a toujours des vaincus et des vainqueurs, mais vous n’êtes au chevet que des derniers. Avec vous, l’État est comme amputé de sa main gauche, celle de l’État-providence.
Je souhaite aborder un exemple révélateur, en caressant l’espoir que vous me démentirez. Lors des assises de l’eau de 2018, le Premier ministre a annoncé la volonté de l’exécutif « d’accélérer le déploiement de la tarification sociale de l’eau à destination des populations les plus fragiles » et la mise en place d’un chèque eau, sur le modèle du chèque énergie. Là encore, beau discours, utile, d’autant que le nombre de Français pour lesquels la facture d’eau et d’assainissement dépasserait le seuil d’acceptabilité est estimé à 2 millions.
La généralisation de la tarification sociale de l’eau a été adoptée au Sénat et à l’Assemblée nationale, mais le chèque eau s’est, si j’ose dire, évaporé du dispositif, et la loi de finances n’a pas corrigé cet oubli.
Madame la secrétaire d’État, comment allez-vous accompagner les collectivités locales dans la généralisation de la tarification sociale de l’eau pour lutter contre la précarité hydrique ? Allez-vous mettre en place un chèque eau ou faire supporter aux collectivités locales vos ambitions sociales, bref, faire payer la solidarité par les autres ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Kerrouche, il n’y a aucun décalage entre le discours et les actes, ni en général ni sur la tarification sociale de l’eau. Celle-ci est issue de la loi Brottes de 2013, qui prévoyait une expérimentation, laquelle a d’ailleurs été reconduite par la loi de finances pour 2019, et ce jusqu’en 2021, tant elle a bien fonctionné. Il y a d’ailleurs deux territoires, dans votre département des Landes, qui s’y sont engagés.
Au total, sur tout le pays, ce sont 50 collectivités ; près de 15 millions de personnes couvertes ; un montant moyen de 244 euros par an et par ménage, et beaucoup de dispositions diverses – chèques, remises, accompagnements particuliers pour les économies d’eau – développées par les collectivités territoriales.
Nous souhaitons maintenant généraliser l’expérimentation, comme le Premier ministre l’avait annoncé à la fin de la première phase des assises de l’eau. Cette généralisation a été proposée par le Gouvernement dans le projet de loi Engagement et proximité défendu par Sébastien Lecornu. Elle a été votée à l’unanimité, et la commission mixte paritaire se réunit précisément aujourd’hui à dix-sept heures. J’espère que cette disposition sera maintenue. (M. Jean-Claude Requier approuve.)
La tarification sociale de l’eau relève d’un service public assuré par les collectivités territoriales, comme vous le savez, et vous êtes, comme nous, attachés à la libre administration des collectivités locales. Autant nous pouvons aider chaque collectivité à trouver ses modalités de généralisation, autant l’État ne se substituera pas à elles en mettant en place un chèque eau uniforme au niveau national, le prix de l’eau étant différent partout. La solution doit être trouvée localement, sous la responsabilité de chaque collectivité. C’est d’ailleurs en ce sens que l’amendement avait été proposé et voté, je le répète, à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
réforme de l’apprentissage
M. le président. La parole est à M. Michel Forissier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Forissier. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, à laquelle je souhaite un prompt rétablissement.
Madame la ministre, votre gouvernement a décidé de reprendre la main sur le pilotage de l’apprentissage au niveau national en supprimant toute régulation, fonction qui était exercée par les régions.
Aujourd’hui, l’Association des régions de France (ARF) tire la sonnette d’alarme sur l’évolution des choix d’orientation sur les métiers, qui tend à accentuer l’inadéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail. Cela ne va pas contribuer à régler le problème crucial des postes non pourvus.
Madame la ministre, allez-vous prendre cette situation en compte et redonner un pouvoir de régulation aux régions, qui, en raison de leur compétence économique, pourraient travailler avec les branches professionnelles et anticiper en orientant les choix de formation sur les métiers créateurs d’emplois ?
Aujourd’hui, la réalité, c’est que les entreprises peinent à recruter. Les candidats à l’apprentissage se retrouvent devant de multiples interlocuteurs et ont du mal à entrer dans les dispositifs. Les apprentis les plus défavorisés ont besoin d’un accompagnement pour trouver un employeur, trouver un hébergement et faire les démarches afin d’obtenir les aides nécessaires.
Pour finir, où en êtes-vous des négociations qui doivent s’engager avec les régions de France sur les compensations que, d’après leurs comptes, vous leur devez ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, que je remercie d’être présente, et à qui je souhaite le meilleur. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC, Les Indépendants et Les Républicains.)
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le président, vous m’autoriserez à ne pas me lever, exceptionnellement, car j’ai été victime d’un accident du travail. (Sourires.)
Monsieur le sénateur Forissier, je voudrais dire, d’abord, et vous le savez, que je suis très attachée au partenariat avec les collectivités territoriales sur tous les sujets d’emploi, de formation et d’insertion. C’est ce que nous faisons dans les missions locales et dans la préfiguration du service public de l’insertion. Nous portons également le plan d’investissement compétences, avec un transfert de plus de 6 milliards d’euros aux régions dans une approche partenariale.
C’est donc avec plus de déception que de colère que je me permets de rectifier ou de compléter vos informations. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, promulguée le 5 septembre 2018, est déjà largement en vigueur, et produit de premiers résultats. Nous sommes d’accord, il ne s’agit que des premiers résultats, mais nous avons eu, au mois de juin, 458 000 apprentis – on n’en a jamais eu autant en France –, soit une hausse de 8,4 %.
La plupart des mesures sont en vigueur depuis le début de l’année. Toutes les simplifications pour les entreprises – l’aide unique, l’embauche tout au long de l’année, les horaires de travail, les conditions de travail – sont en vigueur depuis le 1er janvier, ainsi que toutes les aides aux apprentis, permis comme salaires.
La mesure phare a été celle qui a fait sauter le verrou – il y avait un désaccord avec les régions sur ce point – pour la création des centres de formation d’apprentis (CFA). Une dynamique extraordinaire s’est enclenchée, sur l’initiative des régions, des branches, des collectivités territoriales, puisque plus de 500 CFA se sont enregistrés depuis le début de l’année.
De la même façon, le coût au contrat est déjà en application. Il a été avancé de trois mois, car les CFA nous l’ont demandé.
Les entreprises, les jeunes et les CFA plébiscitent cette réforme. On relève une augmentation de 27 % du nombre d’apprentis chez les compagnons, de 17 % dans les maisons familiales rurales, de 10 % dans l’industrie.
Nous avons un seul sujet : les 500 millions d’euros que le Premier ministre s’est engagé à transférer aux régions le seront dès que l’Association des régions de France aura proposé cette répartition.
Œuvrons ensemble pour que les régions, qui ont baissé fortement les financements des CFA en fin d’année, alors que, par ailleurs, ils ont les financements les plus importants qu’ils aient jamais eus, ne pratiquent pas la politique de la terre brûlée.
M. Bruno Retailleau. C’est lamentable ! C’est archi-faux !
M. le président. La parole est à M. Michel Forissier, pour la réplique.
M. Michel Forissier. Madame la ministre, comme le Sénat vous l’avait proposé lors de nos débats sur la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, je vous demande solennellement de revoir votre position et de redonner aux régions une vraie compétence de régulation.
Vous demandez aux régions de s’investir et, en même temps, vous leur retirez une compétence. C’est d’une incohérence totale !
Il faut absolument que cette compétence de régulation et d’accompagnement revienne aux régions. En raison de leur compétence économique, et dans l’esprit d’une nouvelle étape de la décentralisation, il importe que votre Gouvernement considère les régions comme des partenaires, et non…
M. le président. Il faut conclure !
M. Michel Forissier. … comme des concurrents, voire des ennemis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 18 décembre, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Candidature à une délégation sénatoriale
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour une mise au point au sujet d’un vote.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, lors du scrutin public n° 59 sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2020, M. Jean-François Mayet souhaitait voter pour, alors qu’il a été considéré comme n’ayant pas pris part au vote.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
5
Usages dangereux du protoxyde d’azote
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d’azote, présentée par Mme Valérie Létard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 438 [2018-2019], texte de la commission n° 170, rapport n° 169).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Valérie Létard, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Valérie Létard, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alertée par des élus locaux du Nord de l’explosion du phénomène de consommation détournée du protoxyde d’azote chez les jeunes, j’ai pu constater l’ampleur de la consommation de ce gaz hilarant dans l’espace public et l’importance de la diffusion de ce produit. À l’évocation d’un « gaz hilarant », on pourrait imaginer un sujet léger, mais il n’en est rien !
L’usage par inhalation du protoxyde d’azote, connu depuis longtemps, est en augmentation significative chez les jeunes. Utilisé dans le champ médical pour ses propriétés anesthésiques et analgésiques, le protoxyde d’azote est aussi employé comme gaz de pressurisation pour les siphons à crème chantilly. Le protoxyde d’azote fait malheureusement aussi l’objet d’usages détournés en raison de son effet euphorisant.
Le protoxyde d’azote est devenu le troisième produit psychoactif le plus consommé chez les jeunes. Son inhalation s’est largement banalisée et devient pour de nombreux jeunes, notamment mineurs, une première expérience de consommation addictive, avec – on ne le sait que trop peu – des conséquences désastreuses pour la santé, selon les quantités et la fréquence de sa consommation.
Voilà un an, le rapport de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies relevait une évolution de l’usage et de la consommation du protoxyde d’azote, avec son irruption dans l’espace public. Alors qu’il était réservé jusqu’alors aux milieux festifs alternatifs, tels que les teknivals, nous assistons depuis deux ans à une banalisation de la consommation de ce produit : de nombreuses petites cartouches grises contenant le gaz sont retrouvées, de façon continuelle et en quantité importante, dans l’espace public de nombreux territoires. Dans nombre de villes du Nord, le sol des espaces publics est aujourd’hui jonché de ces cartouches grises. Si la région des Hauts-de-France est particulièrement touchée par ce phénomène, d’autres régions ne sont désormais plus épargnées.
Nouvelle drogue à la mode, ce gaz fait fureur chez les jeunes majeurs, mais aussi chez les mineurs adolescents – collégiens comme lycéens –, et on constate une véritable addiction à son effet euphorisant. Accessible librement pour son usage domestique, il est vendu dans les commerces de proximité, épiceries, supermarchés, certains bars qui mettent en avant ces cartouches comme des produits d’appel ou sur internet, sans aucune restriction, et à un coût relativement modique – entre 30 centimes et 1 euro la cartouche. On en trouve aussi dans les établissements de type discothèques, bars de nuit, qui vendent à côté des alcools, des ballons de protoxyde à des prix constatés entre 3 et 5 euros le ballon.
En l’état actuel de notre droit, nous sommes donc face à un phénomène de consommation d’ampleur d’un produit psychoactif, loin d’être anodin, et face à un phénomène d’addiction facilité par une commercialisation ordinaire du produit, sans pouvoir ni agir, ni protéger les mineurs de ces comportements à risques, ni prévenir les problèmes sanitaires.
Cela nous renseigne sur plusieurs points.
Tout d’abord, le caractère récréatif du produit le consacre auprès des consommateurs jeunes comme un produit non dangereux, ce que renforce l’absence de visuel ou de pictogramme sur l’emballage, alors que cela permettrait de caractériser sa dangerosité.
Ensuite, la banalisation même de ce produit auprès d’un public jeune est en cours, puisqu’aujourd’hui des cartouches sont retrouvées aux abords des collèges et lycées et qu’un business avec commerce de revente s’organise parfois.
Après avoir discuté avec Frédéric Marchand de la proposition de loi que j’envisageais de déposer, j’ai décidé de la faire circuler d’abord auprès de tous nos collègues du Nord, puis, plus largement, sur toutes les travées. Aujourd’hui, ce texte compte plus de quatre-vingt-dix cosignataires, car, s’il est un problème transpartisan, c’est bien celui-là !
Par souci de clarté du message juridique, nous avons estimé qu’il fallait que la prévention puisse se faire autant en amont, c’est-à-dire au stade de la vente, qu’en aval. Il nous a semblé important que l’incitation à la consommation soit considérée comme répréhensible, notamment pour répondre au contournement de l’acte d’achat, au business de la revente ou encore au marché qui se développe, associant ballons de baudruche et contenants plus importants de protoxyde d’azote. Pour rendre opérant ce texte, la commission a maintenu le principe de ce double filtre en proposant d’utiles aménagements.
Par ailleurs, nous avons estimé que, pour contrer l’image festive du protoxyde d’azote, la réglementation en matière d’affichage sur le contenant devait évoluer et que la prévention devait être exercée auprès des populations jeunes pour leur exposer les conséquences sanitaires de l’inhalation de ces produits. Je retrouve avec le texte de la commission l’esprit qui était le nôtre lors de l’écriture de la proposition de loi.
Vous vous en souvenez, sans doute, monsieur le secrétaire d’État, le 5 février dernier, lors de la séance de questions d’actualité, je vous ai interrogé pour connaître la position du Gouvernement sur l’émergence de cette nouvelle pratique à la mode chez les jeunes. Vous m’avez répondu que le mieux était de communiquer sur les risques pour la santé des usages détournés de certains produits et que, selon vous, les actions les plus pertinentes relevaient de la prévention. Je serai heureuse, au regard des éléments qui vous seront présentés aujourd’hui et des cas médicaux de plus en plus documentés, que le Gouvernement fasse progresser sa réflexion sur ce sujet, comme nous l’avons nous-mêmes fait.
Si nous partageons bien évidemment l’idée d’accorder la priorité à la prévention, ce seul axe ne peut néanmoins pas être l’unique moyen de l’action publique, au risque d’acter notre impuissance en tant que législateur à protéger les populations les plus vulnérables, à réellement donner un signal politique et à compléter les outils à dispositions des acteurs de terrain, élus comme professionnels, pour essayer de lutter contre ce phénomène.
Pourquoi légiférer ?
Il faut légiférer, parce qu’il s’agit d’un problème qui fait irruption dans l’espace public. Des cartouches grises en nombre jonchant le sol ont alerté les maires. Les médecins, qui ont découvert le phénomène, l’ont rapidement identifié et s’en sont inquiétés, considérant qu’il ne s’agissait que l’aspect visible de la consommation réelle.
Il s’agit d’un phénomène massif. En trois mois, plus de 300 kilogrammes de cartouches vides ont été ramassés dans une commune périphérique de la métropole de Lille. Par ailleurs, 23 communes dans le Nord, 44 en France, ont d’ores et déjà adopté des arrêtés municipaux, qui sont un début de réponse, mais chacun sait qu’ils sont insatisfaisants s’ils ne s’appuient pas sur une base juridique qui seule les rend efficients.
Il faut légiférer, parce que c’est devenu un problème de santé publique. Les médecins sont clairs sur ce point : les dangers de l’inhalation du protoxyde d’azote sont bien réels, qu’ils soient immédiats ou à plus long terme en cas d’utilisation régulière. Le protoxyde d’azote n’étant pas métabolisé par l’organisme, ses utilisateurs se sentent souvent parfaitement normaux dans les deux minutes suivant l’inhalation, ce qui les conduit à poursuivre leur consommation.
La dimension addictive du protoxyde d’azote dans son usage détourné ne fait aucun doute. De plus, brûlures par le froid du gaz libéré, détresse respiratoire, asphyxie, vertiges, maux de tête, vision floue, malaises, crise de panique, problèmes cardiaques peuvent survenir. En outre, la consommation excessive de ce produit a des effets graves sur la santé, qu’ils soient psychiques, neurologiques ou encore liés à un déficit en vitamine B12, à l’origine d’une sclérose de la moelle épinière pouvant être irréversible.
Depuis 2001, on relève 36 décès en Grande-Bretagne et 2 cas de décès par arrêt cardiaque sont déjà connus en France.
Depuis le début de l’année, 25 signalements d’effets sanitaires ont été notifiés, dont 10 cas d’atteintes neurologiques graves, 8 dans les Hauts-de-France, selon les chiffres de la direction générale de la santé.
Ainsi, selon les mots du directeur général de la santé, « les éléments suffisent pour considérer qu’il s’agit d’un problème sanitaire ».
En quinze jours, 6 nouveaux cas supplémentaires ont été transmis au centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance (CEIP) de Lille, parce que le sujet commence à être médicalement documenté.
Dans son usage médical, s’il est aujourd’hui autorisé, le mélange équimolaire oxygène-protoxyde d’azote (Méopa) est un produit dangereux, puisqu’il est inscrit sur la liste 1 des stupéfiants. Paradoxalement, alors qu’il est plus concentré dans son usage domestique, ce produit ne fait l’objet d’aucune interdiction ou classification particulière. Monsieur le secrétaire d’État, nous comptons sur le travail du ministère en matière de réglementation pour rapidement élargir cette classification aux autres contenants, du fait de leur usage détourné. C’est aujourd’hui une urgence. Les Pays-Bas viennent de se livrer à cet exercice.
Monsieur le secrétaire d’État, ce texte est une première amorce pour mettre en place un arsenal législatif, car, comme vous, nous nous interrogeons beaucoup sur la nécessité d’une interdiction plus large. Il faut que celle-ci soit juridiquement solide.
La navette parlementaire doit être l’occasion d’engager les échanges avec l’Union européenne afin d’affiner la rédaction juridique des dispositions qui permettront de faire évoluer la réglementation, considérant le protoxyde d’azote comme un produit dangereux, comme c’est le cas pour son usage médical.
Je tiens à remercier tout particulièrement la rapporteure, Jocelyne Guidez, qui a su s’emparer de ce texte, venir sur le terrain, comprendre les enjeux nationaux de cette problématique et proposer des évolutions tout à fait pertinentes en commission. Je remercie également ceux de mes collègues qui y ont contribué par leurs amendements. Je remercie enfin chaleureusement mes collègues du Nord et tous ceux qui ont cosigné cette proposition de loi.
Monsieur le secrétaire d’État, je compte sur vous et sur Mme Buzyn pour faire en sorte que cette proposition de loi, au terme de la navette parlementaire, connaisse une issue favorable. Cela constituerait un bel exemple de coproduction législative et de réponse à un problème venant du terrain, dont l’intérêt pour la santé de nos jeunes concitoyens, mineurs comme majeurs, n’est plus à démontrer.
Après la discussion générale, je défendrai un amendement, dont je sais qu’il fait débat, mais dont je pense qu’il permet de donner un signal politique fort. Cette disposition pourra être améliorée au cours de la navette, mais il est indispensable d’en prendre acte assez rapidement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme beaucoup de nos concitoyens, c’est grâce à Valérie Létard et à ses collègues que j’ai découvert – avec un certain étonnement, je dois le dire – la dernière pratique psychoactive à la mode chez les jeunes Français : inhaler le gaz contenu dans les petites cartouches destinées aux siphons à crème chantilly pour en obtenir, pendant quelques minutes à peine, des effets semblables à l’ivresse.
Passé l’étonnement, je me suis rappelé que les Français avaient détenu pendant quelques années le record de la consommation d’antidépresseurs en Europe et qu’ils restaient champions de la consommation de cannabis. Ce n’est sans doute pas le moment d’examiner ce que de telles pratiques disent de l’état psychologique d’une population ou de spéculer sur l’avenir qu’elles promettent à sa jeunesse, mais j’invite chacun ici à accorder à ces questions ne serait-ce qu’un instant de réflexion, avant que nous envisagions de blâmer, de prévenir, d’empêcher ou de punir.
Souvenons-nous simplement que les usages de substances psychoactives font partie des expérimentations auxquelles se livrent tous les adultes en devenir, à toutes les époques, et sont à replacer dans un contexte et une histoire.
L’histoire du protoxyde d’azote est d’ailleurs assez intéressante. En effet, l’usage qu’en font les jeunes d’aujourd’hui est vieux de deux siècles. Les propriétés médicales et euphorisantes du protoxyde d’azote sont établies à la fin du XVIIIe siècle par un chimiste anglais. C’est ce même scientifique qui organisa les premiers usages récréatifs collectifs de ce gaz, à l’été de 1799, et en devint lui-même dépendant.
L’engouement pour le protoxyde d’azote ne s’est pas démenti jusqu’à la fin du XIXe siècle. On peut faire l’hypothèse qu’ensuite c’est la concurrence d’autres substances qui l’a fait passer au second plan et lui a laissé l’image d’un produit relativement anodin.
Alors que ce produit n’était plus utilisé qu’en médecine et dans des conditions très encadrées, son usage récréatif fait l’objet d’un emballement nouveau depuis la fin des années 1990 dans les milieux festifs alternatifs et, depuis le milieu des années 2010, chez les jeunes de tous les milieux. Songez qu’à présent les collégiens s’en voient proposer à la sortie de leur établissement scolaire.
Le succès du protoxyde d’azote peut s’expliquer assez facilement.
D’abord, le protoxyde d’azote est légal et, par conséquent, très facile d’accès. Vendu généralement dans de petites cartouches d’aluminium conditionnées par boîtes de cinq, dix ou vingt destinées à faire fonctionner les siphons à usage culinaire dont ont besoin les amateurs d’émulsions de toutes sortes, ce gaz se trouve au rayon cuisine de tous les commerces.
Son mode d’administration est simple : le gaz est transféré dans un ballon de baudruche, puis inhalé au rythme de la respiration.
Ensuite, ce produit est très peu onéreux. Rendues omniprésentes par la mode télévisuelle de la cuisine créative, les cartouches coûtent environ 1 euro pièce, souvent moins. Surtout, la hausse de la demande a attiré sur le marché de nouveaux entrants, qui vont jusqu’à proposer sur internet des bonbonnes entières à prix cassé et dont la réclame annonce fièrement que les ballons de baudruche sont offerts avec la livraison – ne laissant aucun doute sur l’usage qui sera fait du produit.
En outre, les effets du protoxyde d’azote sont brefs, de l’ordre de quelques minutes seulement, et difficiles à détecter. Il est par conséquent plus commode, avant de se rendre en classe ou de rentrer dîner chez ses parents, d’inhaler du protoxyde d’azote que de fumer du cannabis, si l’on souhaite éviter d’attirer l’attention.
Enfin, la popularité du protoxyde d’azote s’explique assez largement par le fait qu’il s’agit d’une mode, venue des pays anglo-saxons, via les Pays-Bas et la Belgique, mais aussi propagée par les réseaux sociaux. C’est toutefois très abusivement que l’on parle de « gaz hilarant », car les effets du protoxyde d’azote sur la santé n’ont pas de quoi faire rire.
Sa manipulation elle-même est dangereuse, car c’est un gaz froid, qui peut occasionner des brûlures. Même inhalé avec précaution, il produit des effets qui ne sont pas sans danger pour les consommateurs et leur entourage : distorsion visuelle et auditive, sensation de dissociation, désinhibition, état de flottement, vertiges. Lorsque les effets amorcent une phase de déclin peut apparaître une anxiété, voire un état de panique, du fait d’une modification des perceptions sensorielles.
Surtout, en consommation chronique, le protoxyde d’azote interfère dans le métabolisme de la vitamine B12, indispensable au bon entretien de la gaine de myéline qui protège les nerfs. En d’autres termes, les consommateurs de grandes quantités de protoxyde d’azote risquent des atteintes extrêmement graves de la moelle épinière.
Le centre hospitalier universitaire de Lille, où je me suis rendue, a été saisi à cette date de huit cas graves dans les Hauts-de-France, comme l’a rappelé Valérie Létard. Cinq d’entre eux concernent des jeunes entre 18 ans et 20 ans. Dans certains cas, les conséquences sont irréversibles. Tous présentaient les symptômes d’une forme d’addiction au protoxyde d’azote : leur consommation s’élevait à plusieurs centaines de cartouches par jour pendant un à trois mois. Cinq cas sont en outre en cours d’examen pour des symptômes analogues ; ceux dont l’âge nous a été communiqué ont respectivement 23, 19, 18 et 17 ans.
Que faire ? Laisser passer la mode ? Faire confiance aux parents ? Se contenter de communiquer sur la dangerosité du produit ? Le Gouvernement semble avoir fait ce dernier choix, en publiant un communiqué le 19 novembre dernier.
Pour l’heure, les maires de nos communes sont seuls en première ligne pour tenter de juguler le phénomène. Des arrêtés interdisant la vente ou l’usage de protoxyde d’azote à des fins récréatives ont été pris dans pas moins de 47 communes, du Nord à l’Hérault, en passant par la Seine-Saint-Denis. Outre les problèmes de santé publique, l’usage détourné de ce gaz cause de réels troubles à l’ordre public. La seule commune de Loos, où je me suis rendue et qui compte 21 000 habitants, envoie chaque mois au recyclage 100 kilogrammes de cartouches d’aluminium retrouvées sur la chaussée ! Depuis peu, les jeunes sont passés à la vitesse supérieure, puisque l’on retrouve aussi des bonbonnes dans les lieux publics.
Les arrêtés ont leurs limites. Ils sont territorialisés, donc contournables, ou impraticables dans les grandes agglomérations. Ils varient selon les communes et ils sont parfois fragiles juridiquement.
Observons par ailleurs qu’un nombre croissant de pays confrontés avant nous à ce phénomène ont fait le choix de légiférer pour interdire la vente aux mineurs, voire la simple possession de protoxyde d’azote à des fins récréatives : de plus en plus d’États américains, d’États australiens, le Royaume-Uni, Chypre, la Croatie ou encore la Corée du Sud. Avant-hier encore, les Pays-Bas, qui avaient jusqu’à présent tout misé sur la prévention, ont annoncé s’engager dans cette voie.
Enfin, j’avoue craindre que le phénomène ne se répande, comme beaucoup de modes importées des pays anglo-saxons. Je fais d’ailleurs observer qu’au Royaume-Uni, depuis 2001, on recense 36 jeunes personnes mortes à la suite de cette consommation.
Cette proposition de loi, cosignée par plus de quatre-vingt-dix de nos collègues siégeant dans toutes les travées, fait donc, après de nombreux autres pays, trois choses assez simples. D’abord, elle interdit la vente aux mineurs du protoxyde d’azote, en commerces physiques comme dans les lieux publics ou en ligne. Ensuite, elle pénalise la provocation d’un mineur à la consommation de ce type de substance. Enfin, elle entend contribuer à la prévention, en obligeant les fabricants à faire apparaître la dangerosité du gaz sur les contenants et en renforçant l’information sur internet et à l’école – grâce aux amendements de M. Grand.
On nous objectera peut-être que ce texte pénalise une filière. Il faut savoir que les industriels que j’ai auditionnés soutiennent cette initiative.
On nous objectera éventuellement qu’il faudrait interdire le protoxyde d’azote tout court. Cela s’entend, mais c’est une substance pour l’heure irremplaçable en cuisine et, s’il fallait interdire chaque objet dont le mésusage peut provoquer des catastrophes, nous n’aurions hélas ! pas fini de siéger.
On nous objectera sans doute que la mode du protoxyde d’azote sera chassée par une autre, qui appellera un texte à son tour, et qu’il est vain de légiférer par saccades. C’est très juste. La commission des affaires sociales a donc ouvert un nouveau livre dans le code de la santé publique consacré aux usages détournés dangereux de produits de consommation courante.
Mme Valérie Létard. Très bien !
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. Elle a également élargi le délit prévu à l’article 2 à toute provocation d’un mineur à faire un usage détourné d’un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs. Pourraient ainsi être couvertes, à l’avenir, d’autres substances, tel l’hélium qui, au Royaume-Uni, tue quatorze fois plus encore que le protoxyde d’azote.
On nous objectera encore que cette proposition de loi vise à protéger les mineurs, alors que les cas sanitaires les plus graves sont observés chez de jeunes majeurs. C’est encore vrai, mais c’est attribuer à cet humble texte les objectifs de la politique de santé publique tout entière. Le législateur n’a pas le pouvoir d’empêcher quiconque de faire un usage autodestructeur d’un produit de consommation courante. Qui comprendrait, en revanche, qu’il ne cherche pas à retarder le contact des mineurs avec une substance dont l’usage détourné est notoirement addictif et nocif ?
On nous objectera enfin que l’interdiction de vente aux mineurs est difficile à faire respecter. C’est toujours vrai, mais que ferait-on s’il fallait systématiquement conclure de la difficulté à l’impossibilité ? Qui souhaiterait ici revenir sur l’interdiction de vente de tabac et d’alcool aux mineurs, au seul motif que son application est périlleuse ?
En réfutant ces objections, je ne prétends nullement que cette proposition de loi soit parfaite. J’entends simplement pointer du doigt les limites de notre pouvoir de législateur, tant que le protoxyde d’azote restera considéré comme un produit d’usage courant.
Il y a en effet quelque paradoxe à observer que la version médicale de cette substance, le Méopa, est considérée comme un stupéfiant alors qu’elle est mélangée à parité avec de l’oxygène et utilisée de manière très encadrée, tandis que sa version pure est accessible aux enfants.
Sans doute M. le secrétaire d’État nous précisera-t-il ce que le Gouvernement compte faire en urgence pour mieux encadrer ce produit, dont l’usage culinaire, qui justifie sa commercialisation large, est de longtemps postérieur à son usage récréatif, même si celui-ci est resté mal connu en dehors de son pays de naissance, le Royaume-Uni.
En attendant qu’un changement de classification réglementaire du protoxyde d’azote aboutisse, nous serions infiniment heureux que le Gouvernement contribue à améliorer ce texte et qu’il s’engage formellement devant nous à ce que la navette parlementaire puisse aller à son terme dans les délais les meilleurs et les plus compatibles avec nos obligations européennes.
Mes chers collègues, il était devenu urgent d’agir, comme élus locaux, comme parents et comme législateurs, pour endiguer la multiplication de ces comportements à risque. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, LaREM et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure – chère Jocelyne Guidez –, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui vous est soumise vise à protéger les mineurs contre les usages dangereux du protoxyde d’azote.
Vous le savez, la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, est pleinement engagée dans la prévention des consommations à risque et dans la lutte contre les addictions, engagement que je partage pleinement, en particulier pour protéger les plus jeunes.
Avec le plan Priorité prévention lancé en mars 2018 et ses deux plans thématiques de lutte contre le tabac et de mobilisation contre les addictions, nous avons fixé un cap ambitieux afin de lutter contre les consommations à risque, la priorité étant clairement donnée à la protection des jeunes. Il s’agit de prévenir les usages de drogues illicites aussi bien que la consommation de tabac et d’alcool. Ne l’oublions pas, les consommations problématiques des jeunes portent avant tout sur ces deux produits : 17,5 % des lycéens étant des fumeurs quotidiens et 16,7 % d’entre eux des usagers réguliers d’alcool.
L’usage détourné du protoxyde d’azote, inhalé pour rechercher des effets particuliers, n’est pas un phénomène nouveau. Depuis sa mise en place en 1999, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies constate de façon discontinue des usages détournés de protoxyde d’azote en milieu festif.
Si la consommation de protoxyde d’azote ne fait pas l’objet d’un suivi en tant que tel en population générale adulte et adolescente, elle est bien prise en compte au titre des données de consommations. En 2017, nous le savons, 2,3 % des 18-64 ans et 3,1 % des jeunes de 17 ans avaient consommé un ou plusieurs produits à inhaler au cours de leur vie. L’Observatoire constate depuis 2017 l’extension des usages détournés du protoxyde d’azote et l’accroissement de la visibilité de ce phénomène dans l’espace public – vous l’avez très bien illustré par des exemples concrets, madame la sénatrice Létard –, ainsi qu’un abaissement de l’âge de consommation, cette consommation étant désormais le fait de collégiens et de lycéens.
Nous sommes d’accord avec votre analyse, le phénomène est plus préoccupant depuis le début de l’année, une trentaine d’effets sanitaires ayant été signalés aux centres d’addictovigilance, dont des cas graves ayant entraîné des séquelles importantes. Ces éléments suffisent à considérer qu’il s’agit d’un problème sanitaire devant faire l’objet de mesures de protection. Aussi le Gouvernement partage-t-il les objectifs de ce texte, qui sont de protéger les jeunes consommateurs de protoxyde d’azote et, plus généralement, d’empêcher le détournement de produits courants contenant des substances psychoactives.
Vous l’avez rappelé, madame la sénatrice Létard, une semaine à peine après ma nomination, vous m’interpelliez sur ce sujet lors d’une question d’actualité au Gouvernement. Nous nous sommes vus depuis. Vous avez pu commencer à travailler avec les services du ministère. Je salue d’ailleurs votre investissement et celui de l’ensemble des parlementaires, du Nord en particulier, et je vous remercie pour le travail réalisé depuis.
Dès le mois de mai, le Gouvernement a informé les préfectures et incité les acteurs régionaux à se rencontrer pour échanger sur les actions pouvant être mises en œuvre sur le territoire.
Il y a quelques semaines, le ministère des solidarités et de la santé a diffusé un message auprès du grand public pour l’informer sur le phénomène, sur les actions mises en place et sur celles qu’étudient les autorités sanitaires.
En parallèle, les dix-sept agences régionales de santé ont reçu les éléments d’information et de gestion leur permettant de mettre en place des actions de prévention, de favoriser le diagnostic et la mise en place d’une prise en charge thérapeutique rapide et adaptée des usagers concernés, de renforcer le signalement des cas et la diffusion de messages de vigilance aux usagers.
C’est dans ce contexte que s’inscrit cette proposition de loi, dont l’objectif de protection des plus jeunes est évidemment tout à fait légitime.
Nous devons être lucides : l’interdiction de la vente aux mineurs ne permettra pas, à elle seule, de mettre fin aux pratiques de détournement d’usage de produits de consommation courante et de protéger nos jeunes. Les difficultés de respect de l’interdiction de la vente des produits du tabac et de l’alcool aux mineurs, produits pourtant très réglementés, montrent les limites de ces mesures. C’est en soi un problème. Pour autant, nous ne souhaitons en aucun cas revenir sur ces mesures d’interdiction.
De plus, et il est important de le souligner, les intoxications graves observées en France, vous l’avez dit, madame la rapporteure, concernent principalement de jeunes adultes. La mesure aurait donc peu d’effets sur ce public. Il nous faut aussi réfléchir à ce qui peut être fait pour le public des jeunes majeurs.
La proposition de loi initiale prévoyait l’apposition d’un pictogramme sur les cartouches de protoxyde d’azote rappelant l’interdiction de vente aux mineurs, auquel vous avez substitué en commission une mention indiquant la dangerosité du produit à apposer sur les conditionnements. Cette mention nous semble en effet plus appropriée pour signaler le danger lié à l’inhalation du protoxyde d’azote et répondre à l’objectif d’information de tous sur les risques associés à des usages détournés du produit.
Par ailleurs, à la différence de la consommation du tabac et de l’alcool chez les jeunes, le protoxyde d’azote soulève la question plus générale de l’appréhension et de l’encadrement de l’usage détourné de produits de consommation courante et du déplacement de ces usages vers d’autres produits par effet de mode, ce qui rend la réponse particulièrement complexe. Nous en avons tous conscience.
Vous l’avez bien compris, c’est non pas le produit en lui-même qui pose difficulté – en l’occurrence, la cartouche pour siphon de crème chantilly –, mais son utilisation détournée potentielle par des publics en recherche d’effets psychoactifs. Or les usages détournés peuvent toujours, en effet, se déplacer vers d’autres produits.
En commission, vous avez élargi l’infraction d’incitation aux usages détournés dangereux de produits de consommation courante. C’est une bonne chose, même s’il nous faudra sûrement encore poursuivre la réflexion pour sécuriser cette disposition. Nous aurons l’occasion d’y revenir à l’occasion de l’examen de votre amendement, madame la sénatrice Létard. Si nous voulons que la mesure soit efficace, elle ne doit pas être source d’incertitude ou pouvoir être interprétée par les consommateurs, les commerçants ou les producteurs.
À côté de ces mesures normatives, nous devons continuer à travailler, aussi et sans doute surtout, madame la rapporteure, sur la prévention des usages détournés, par une meilleure information des jeunes sur les risques associés, dans une approche globale de prévention des consommations de tous les produits psychoactifs. Nos actions d’information envers les jeunes ne doivent évidemment pas avoir un effet contre-productif : la mise en lumière de cette pratique ne doit pas susciter un effet d’appel et de curiosité. Un tel risque existe. Nous devons donc informer sur les risques réels des usages détournés en général et de la consommation de substances psychoactives et ne pas uniquement focaliser nos messages sur le seul protoxyde d’azote. Ces actions passent en priorité par l’école, par les universités – je l’ai dit, les jeunes majeurs sont des consommateurs –, par les acteurs proches des jeunes. La modification du code de l’éducation que vous avez effectuée en commission va dans ce sens.
Il nous faut aussi également mieux faire connaître les dispositifs d’aide mis à disposition des jeunes, de leur entourage et du public en général, pour toutes les questions ou difficultés liées à la consommation de produits ou de drogues. C’est aussi l’objet du plan Priorité prévention que j’ai évoqué au début de mon intervention. Je pense en particulier aux Consultations jeunes consommateurs, qui proposent un service d’accueil, d’écoute, de conseil et d’orientation dédié aux jeunes et à leur entourage, lequel est assuré de manière totalement gratuite et confidentielle par des professionnels des addictions, mais qui est insuffisamment connu de nos concitoyens. Je pense également au dispositif d’aide à distance Drogues Info Service, qui constitue aussi un espace d’information et d’échanges.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre souhait commun est bien d’agir face à l’importance de cette problématique sanitaire, sur laquelle les leviers d’action sont complexes et multiples. Nous saluons l’initiative de cette proposition, et nous souhaitons poursuivre le travail pour parfaire collectivement le dispositif proposé.
Oui, madame la sénatrice, nous veillerons à ce que ce texte soit un bel exemple de coconstruction entre l’exécutif et le Parlement, sur le fondement de votre ressenti et de votre expérience du terrain, au bénéfice de nos plus jeunes ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons vise à protéger les mineurs d’un usage dangereux du protoxyde d’azote. Je salue l’initiative de notre collègue Valérie Létard, dont je partage pleinement les objectifs.
Depuis janvier 2019, dix cas graves, dont huit dans les Hauts-de-France, ont été recensés, suite à l’inhalation de cette substance par des mineurs. Le protoxyde d’azote, aussi connu sous le terme de « gaz hilarant », est sans doute l’agent volatile le plus ancien de la pharmacopée anesthésique. Ses propriétés euphorisantes, découvertes en 1799 par le chimiste anglais Humphry Davy, ont par la suite largement contribué au progrès de l’odontologie et de la chirurgie.
Si ce produit est encore utilisé en chirurgie, en complément de produits anesthésiants, il est également employé en tant que gaz de pressurisation en cuisine, dans les siphons pour crème chantilly. De même, son usage reste récurrent dans le monde sportif, afin de soulager les douleurs et les blessures des athlètes durant leurs performances.
Ce produit peut être acheté, pour une somme modique, par n’importe qui, en supermarché ou sur internet. Sa facilité d’accès et la publicité sur ses effets hilarants diffusée sur les réseaux sociaux ont popularisé un usage détourné, comme s’il s’agissait d’un produit purement récréatif et festif, chez des mineurs de plus en plus jeunes. Sa consommation, souvent en groupe, peut atteindre jusqu’à 200 capsules par jour. Le gaz a une action immédiate et agit sur une courte durée, provoquant des crises de fou rire et des modifications des perceptions.
Les jeunes consommateurs sont souvent peu conscients des risques qu’ils encourent en inhalant cette substance : brûlures par le froid, manque d’oxygène, irrégularités cardiaques, confusion mentale, notamment. Depuis le mois de janvier, vingt-cinq signalements d’effets sanitaires sévères ont été notifiés à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Sa consommation chronique provoque des carences en vitamine B12 susceptibles d’entraîner des dommages irréversibles sur le système nerveux central et la moelle épinière. Cela a été rappelé, notamment par Valérie Létard.
De nombreuses études scientifiques à travers le monde convergent sur les conséquences neurologiques de l’inhalation sans contrôle de trop fortes doses.
La Grande-Bretagne recense huit décès par an directement liés à la consommation de cette drogue. Le problème arrive en France, en particulier dans la métropole lilloise. Aussi, à la fin du mois de septembre, le maire de Tourcoing a pris un arrêté municipal pour en interdire l’usage détourné chez les mineurs. Les villes de Roncq et Neuville-en-Ferrain ont suivi, alertées par les familles et les nombreuses capsules vides jonchant les trottoirs.
Il semblerait que certains commerçants vendent directement les capsules contenant cette substance avec les ballons de baudruche qui servent à leur inhalation.
Aussi, le texte adopté à l’unanimité par la commission des affaires sociales, et légèrement remanié, prévoit l’interdiction de la vente de ce produit aux mineurs, ainsi qu’une peine d’un an d’emprisonnement et une amende de 1 500 euros pour incitation de mineurs à la consommation.
Pour accompagner cette mesure, des campagnes d’information sur les risques de cet usage détourné sont prévues dans les établissements scolaires. Quant aux industriels, ils seront tenus d’apposer sur chaque contenant incluant ce produit un pictogramme indiquant l’interdiction de vente aux moins de 18 ans. Toutes les actions de sensibilisation auprès des mineurs, y compris par des personnes célèbres, sont une bonne chose.
Nous soutenons l’ensemble de ces dispositions, qui vont permettre de protéger les mineurs, vulnérables et influençables, des risques liés à l’inhalation de protoxyde d’azote en limitant sa banalisation en France. Plus largement, cette proposition de loi traduit la volonté du législateur et du Gouvernement de contrôler et de réglementer les usages détournés des substances commercialisées librement, tels les solvants, les colles ou les médicaments à base de codéine, etc. (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM, RDSE, UC et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Micouleau.
Mme Brigitte Micouleau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi déposée au mois d’avril 2019 par Mme Valérie Létard et quatre-vingt-quatorze de nos collègues tend à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d’azote. Cette initiative a agi en véritable déclencheur.
À l’approche de notre importante discussion au Sénat, le ministère des solidarités et de la santé a diffusé, le 15 novembre dernier, un communiqué sur l’augmentation du nombre de cas sanitaires graves en lien avec l’usage détourné du protoxyde d’azote. Cette annonce suivait de près le communiqué de l’Association française des centres d’addictovigilance du 5 novembre intitulé Augmentation des complications sanitaires graves lors de l’usage non médical du protoxyde d’azote en France.
Le cadre est posé.
Ce sujet est d’autant plus sérieux qu’il touche de jeunes gens, toujours plus jeunes, de nombreux mineurs : adolescents, collégiens et lycéens. Nous sommes loin du rire associé à ce gaz, qualifié à tort d’« hilarant ».
En France, rappelons-le, l’utilisation médicale de ce gaz est totalement encadrée et fait l’objet d’un plan de surveillance du risque renforcé. Ce gaz est inscrit sur la liste 1 des substances vénéneuses lorsqu’il est employé comme médicament et soumis à une partie de la réglementation sur les produits stupéfiants lorsqu’il est utilisé en mélange avec de l’oxygène. Or nous ne pouvons qu’être surpris par l’extrême facilité avec laquelle il est possible de s’en procurer. Je souhaite alerter et insister sur ce point : il suffit de taper trois mots sur internet – protoxyde d’azote – pour être comblé. Ce sont alors pas moins de trente offres qui apparaissent sur la première page d’un site marchand bien connu du grand public.
La question se pose de la responsabilité des fabricants et des revendeurs, qui pourraient être considérés comme complices de l’usage détourné du protoxyde d’azote. La vente de ce gaz aux mineurs sur des sites de commerce électronique doit être interdite, comme le prévoit la proposition de loi que nous examinons. Ces sites devraient également être contraints de signaler les nombreux dangers d’une utilisation non conforme : dépendance, risques psychiques, neurologiques et cardio-vasculaires. La liste est longue, des nausées et vomissements à l’asphyxie, des troubles hématologiques sévères à l’addiction.
Si le phénomène touche le plus dramatiquement le département du Nord et les Hauts-de-France, la jeunesse de la région Occitanie est également très concernée. À Montpellier, à Toulouse, ville dont je suis l’élue, et dans sa métropole de nombreux cas ont été signalés. À cet égard, je tiens à souligner le travail effectué par la gendarmerie de Haute-Garonne, qui a bien saisi les enjeux de santé publique et les risques sanitaires. Elle mène des actions de prévention, d’alerte et de vigilance, notamment à destination des parents.
Les deux phénomènes vraiment nouveaux sont la jeunesse toujours plus grande des consommateurs, ainsi que la répétitivité de l’usage et sa chronicisation, avec tous les risques induits inacceptables. Il faut cesser de placer ce gaz dans la catégorie des produits « inoffensifs », car il n’est pas sans danger.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, je voterai ce texte précurseur s’agissant de l’interdiction de la vente de ce produit aux mineurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, LaREM, RDSE et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi de notre collègue Valérie Létard, que je salue, tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d’azote. Cosigné par quatre-vingt-quatorze sénateurs, issus de tous les groupes politiques, ce texte vise à s’attaquer à un problème sanitaire réel, majeur.
S’il devient nécessaire de légiférer, de poser un cadre pour limiter les dérives, c’est bien parce que la consommation récréative de protoxyde d’azote, détournée donc de ses usages originels, est une pratique qui se répand, particulièrement dans le Nord de la France. Utilisé dans le domaine médical pour pratiquer des anesthésies et dans la vie courante, notamment dans les siphons servant à faire de la crème chantilly, ce gaz, par les sensations euphorisantes qu’il procure, séduit de plus en plus d’adeptes, principalement des jeunes.
Comme en témoigne son surnom de gaz « hilarant », ce produit jouit d’une image positive. Légal, il ne fait actuellement l’objet d’aucune restriction à la vente. Il est facilement disponible sur internet, mais aussi dans les commerces de proximité, les supermarchés. Il est très bon marché et coûte moins de 1 euro la cartouche. D’où sa triste popularité…
Une étude de la mutuelle étudiante Smerep, dévoilée l’an dernier, classait le protoxyde d’azote au troisième rang des drogues les plus consommées par les étudiants, derrière le cannabis et le poppers. Drogue tendance, ce gaz fait donc fureur chez nos jeunes, créant une véritable dépendance à l’effet euphorisant.
Aucun visuel ou pictogramme sur l’emballage n’alerte sur les dangers d’inhalation de ce produit. Pourtant, comme le souligne plusieurs études scientifiques, et comme le rappelait il y a moins d’un mois les autorités sanitaires, l’usage détourné du protoxyde d’azote expose à des risques majeurs.
Il expose à des risques immédiats tout d’abord : asphyxie par manque d’oxygène, perte de connaissance, brûlures par le froid du gaz expulsé de la cartouche, notamment. Plus grave encore, lorsqu’il est consommé de manière régulière et/ou à forte dose, les médecins parlent de carence en vitamine B12, d’anémie, d’atteinte de la moelle épinière et de toxicité directe sur les cellules nerveuses pouvant entraîner des dégâts neurologiques définitifs. La consommation associée à d’autres produits, comme l’alcool, majore bien évidemment ces risques.
Depuis le début de l’année, vingt-cinq signalements d’effets sanitaires sévères ont été enregistrés en France, dont dix cas graves avec des séquelles pour certains, comme des paralysies des membres, à des degrés divers. En Grande-Bretagne ou aux États-Unis, où le phénomène est plus ancien, le protoxyde d’azote tue. On comprend mieux pourquoi de plus en plus d’États dans le monde restreignent la vente et l’usage récréatif de ce gaz.
Si, dans son usage détourné, ce gaz provoque en quelques inspirations un fou rire irrépressible, on voit bien qu’il devient urgent de débanaliser une pratique, qui n’a décidément rien d’hilarante, et de faire des propositions, sans pour autant mettre en œuvre une politique de répression ou d’interdiction d’un produit domestique et médical, dont l’usage reste indispensable.
Aujourd’hui, comme trop souvent, les maires se retrouvent seuls, en première ligne, pour faire face à ce phénomène. Ils sont contraints de prendre des arrêtés pour interdire la vente aux mineurs ou la consommation de protoxyde d’azote afin de faire cesser des troubles à la sécurité, à la tranquillité ou à la salubrité publiques. Les limites de tels arrêtés sont évidentes : ils ne peuvent s’appliquer que s’il existe une force publique pour constater les infractions. En outre, rien n’empêche évidemment les consommateurs d’aller acheter des cartouches dans les communes voisines.
En 1998, Bernard Kouchner, alors secrétaire d’État à la santé, envisageait déjà de restreindre la vente de protoxyde d’azote aux seuls utilisateurs industriels. La législation n’a malheureusement pas évolué depuis.
La mesure phare du texte examiné ce jour est l’interdiction de vendre ce gaz aux mineurs, y compris sur les sites de commerce en ligne. Les industriels auraient en outre l’obligation de mentionner sur l’emballage la dangerosité du protoxyde d’azote. Il est également prévu de pénaliser le fait d’inciter un mineur à faire un usage détourné de ce produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs. Toutes ces mesures vont dans le bon sens, comme tout ce qui permettra de renforcer la prévention en direction de nos jeunes, collégiens et lycéens, notamment.
Pour les sénateurs du groupe socialiste et républicain, dont certains sont aussi des parents, des élus locaux, cet encadrement législatif va dans le bon sens. C’est pourquoi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, LaREM, RDSE et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous voici réunis pour évoquer et tenter de contenir une pratique qui s’étend chez les jeunes Français de tous les milieux, alors qu’elle sévit et fait des ravages depuis de nombreuses années, voire des décennies, dans d’autres pays.
Le protoxyde d’azote, connu depuis les années 1800, est utilisé en cuisine dans les siphons et en médecine pour ses propriétés anesthésiques et analgésiques. Jusque-là, il n’y a rien à reprocher à ce gaz, qui remplit parfaitement ces deux fonctions.
Malheureusement, certaines personnes en recherche de sensations fortes l’ont détourné de son usage traditionnel pour en obtenir des effets psychoactifs, que l’on peut comparer à ceux des drogues ou de l’alcool. Ce détournement pose plusieurs problèmes, qui appellent la mobilisation des pouvoirs publics et justifient la discussion de ce jour.
D’une part, ce gaz vient s’ajouter à la longue liste des produits provoquant des addictions, lesquelles touchent trop de Français et engendrent trop de situations personnelles et familiales désastreuses. On constate en effet chez certains consommateurs réguliers les symptômes classiques de l’addiction.
D’autre part, comme je l’ai déjà dit, le protoxyde d’azote produit des effets comparables à ceux des drogues et affecte la santé de ses consommateurs. Dans un premier temps, il provoque distorsions visuelle et auditive, dissociation, désinhibition, voire vertiges ; dans un second temps, une phase de déclin, avec anxiété, voire panique. En cas de consommation chronique, il provoque les symptômes de l’addiction, mais aussi des atteintes de la moelle épinière, de l’anémie, des troubles neurologiques, sans compter les effets à court terme de l’inhalation : brûlures et asphyxie. Bref, ce sujet est fort inquiétant.
Dès lors, il ne semble plus du tout justifié de parler de gaz « hilarant », tant les conséquences sur la vie de nos jeunes peuvent être durables et désastreuses. Nous déplorons déjà en France plusieurs cas graves, ayant entraîné des séquelles irréversibles, ainsi que des décès.
Les élus municipaux sont démunis face à ce nouveau phénomène, notamment dans les Hauts-de-France, où onze personnes, peut-être plus, ont déjà déclaré des troubles neurologiques graves dus à ce gaz. Face à cela, les municipalités ne peuvent que prendre des arrêtés qui ne résolvent rien.
L’incapacité des pouvoirs publics à lutter contre cette consommation croissante est notamment liée à la facilité d’accès des jeunes au protoxyde d’azote. Cela a été rappelé : n’importe qui peut en acheter à moindre coût dans le commerce, sous la forme de cartouches destinées aux siphons. Sa consommation est rapide et ne laisse aucune trace, contrairement aux joints dont l’odeur peut alerter les parents…
Ce qui explique surtout le succès de ce gaz, c’est la méconnaissance totale qui perdure sur les effets délétères du protoxyde d’azote sur la santé. Alors qu’ils sont bien connus dans d’autres pays, où des morts sont à déplorer, alors que les pouvoirs publics sont alertés depuis plusieurs années, le grand public chez nous demeure encore ignorant des dangers de ce gaz sur la santé de leurs enfants. Les communiqués de presse ne suffisent plus, l’État doit engager une grande campagne de communication pour informer les Français des risques qu’ils encourent. Sur ce point, je déplore la baisse du budget de la Mildeca, car la lutte contre les conduites addictives, notamment par une communication ciblée, doit être au cœur de nos politiques de santé publique.
Le premier objectif de cette proposition de loi est d’alerter. Il est salutaire de parler de ce sujet aujourd’hui dans cet hémicycle. On a déjà vu les premiers effets de notre discussion dans les médias ces derniers jours : le sujet est officiellement mis sur la table.
Au-delà, mon groupe salue les dispositions de cette proposition de loi. Il faut en effet limiter le premier contact des jeunes avec le protoxyde d’azote. L’interdiction de vente aux mineurs ne réglera pas le problème d’un coup de baguette magique, mais elle sera utile si elle est accompagnée de mesures de prévention.
Le délit d’incitation d’un mineur à l’usage détourné d’un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs permettra par ailleurs de lutter contre les phénomènes de mode potentiellement dangereux auxquels les jeunes pourraient être exposés aujourd’hui et à l’avenir. Sur le même modèle que la provocation d’un mineur à la consommation excessive d’alcool, toute personne incitant à l’usage de ce gaz encourra 15 000 euros d’amende, ce qui devrait, espérons-le, en décourager certains.
Enfin, je l’ai dit, il est essentiel de renforcer la prévention, par l’information et la communication, au sein des établissements scolaires, sur les risques des conduites addictives en général et pas seulement sur les conséquences de la consommation de drogues sur la santé. Si ces conséquences sont bien réelles et dramatiques, l’addiction elle-même, sous toutes ses formes, doit être appréhendée comme un enjeu de santé publique.
On le sait, l’imagination est sans limites lorsqu’il s’agit d’inventer de nouvelles drogues. À cet égard, l’élargissement de ces dispositions, à l’article 2, à tous les produits de consommation courante nous évitera d’avoir à adapter la mesure aux nouvelles addictions qui pourraient apparaître dans les prochaines années.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE, qui salue l’initiative de Valérie Létard, ainsi que le travail de la rapporteure, Jocelyne Guidez, apportera son total soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM et UC, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, alors que nos collègues de l’Assemblée nationale ont entamé l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, convenons ensemble que la cartouche de protoxyde d’azote, dans son usage détourné, a au moins une vertu : elle se recycle parfaitement. Elle est même très prisée des filières de l’aluminium !
Mme Valérie Létard. Ça, c’est sûr ! (Sourires.)
M. Frédéric Marchand. Ce constat, c’est celui que fait l’ancien maire d’Hellemmes que je suis, alerté sur ce sujet avant 2017. J’en ramasse en effet chaque semaine toujours davantage dans les rues de ma commune, ce qui témoigne de l’utilisation toujours plus importante et toujours plus inquiétante d’un gaz détourné de son usage initial pour ses propriétés euphorisantes et dont on commence à mesurer les effets ravageurs sur la santé.
Ce phénomène n’est plus ce seul particularisme local de la métropole lilloise et du département du Nord que certains ont pu évoquer. Il touche aujourd’hui nombre de grandes agglomérations françaises, mais aussi des zones moins denses, comme en attestent les témoignages de nombreux élus rencontrés dans le cadre de la préparation de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui.
Preuve de sa pertinence, le texte, qui était à l’origine déposé par ma collègue Valérie Létard, et sur lequel nous avons échangé à de multiples occasions, a été cosigné par tous nos collègues nordistes et, au-delà, par un nombre important de nos collègues de tous horizons politiques et géographiques. Cela montre bien, me semble-t-il, que le sujet auquel nous sommes confrontés fait aujourd’hui débat et sens.
Nous parlons ici d’un gaz utilisé en cuisine dans les siphons à chantilly ou à l’hôpital comme anesthésiant, sauf que personne ne fait de la chantilly ou des opérations à cœur ouvert dans nos rues ! Le gaz est transféré dans des ballons de baudruche afin d’être inhalé, entraînant alors une euphorie et des rires incontrôlables, certains n’hésitant pas à utiliser plusieurs cartouches dans un seul ballon pour multiplier les effets.
Alors, me direz-vous, quel problème y a-t-il à se sentir d’humeur joyeuse, voire euphorique ?
Chef des urgences du CHRU de Lille et du SAMU, le docteur Patrick Goldstein a pointé du doigt le principal danger de ce gaz, qui « accélère le rythme cardiaque » et « peut avoir des répercussions sur le système neurologique, à savoir le cerveau et la moelle épinière ». Or ce produit se vend en toute légalité dans nombre de commerces, ne coûtant que 50 centimes l’unité, quand ce n’est pas le kit entier qui est fourni. On peut aussi le commander en grande quantité sur internet.
Les chiffres avancés par le centre d’addictovigilance de Lille ont de quoi faire froid dans le dos. À cette date, le centre est déjà saisi de huit cas graves dans la région des Hauts-de-France, dont certains sont irréversibles, et cinq autres cas sont en cours d’examen.
Cela a été souligné, au Royaume-Uni et aux États-Unis, les ravages sont pires encore. Depuis plusieurs années, de nombreux décès sont dus à une consommation excessive.
Oui, il est grand temps d’en finir avec cette image de gaz hilarant ! Il faut prendre les mesures qui s’imposent pour éviter des effets dévastateurs à terme pour toute une génération. Je pense notamment aux mineurs ; ils sont sans aucun doute plus que d’autres exposés aux dangers de cette drogue.
Aujourd’hui, les maires sont en première ligne sur le sujet ; ils prennent des arrêtés interdisant la vente ou la consommation de protoxyde d’azote sur leur ressort territorial. La mesure est bonne, mais cela tient plus de la cosmétique que de l’éradication du phénomène. Il est évidemment toujours possible de se procurer du produit là où ce n’est pas interdit.
Monsieur le secrétaire d’État, prévenir des dangers ne suffit plus. Le moment est venu, je pense, de légiférer pour empêcher autant que faire se peut la propagation du phénomène, notamment chez les plus jeunes, collégiens ou lycéens, pour qui consommer du protoxyde d’azote devient un acte banal, sans aucune conséquence. Pis, chacun voit bien que cette consommation est pour les jeunes la première étape vers d’autres produits stupéfiants, considérant l’absence d’effets du protoxyde pour la santé.
Notre proposition de loi, qui, je l’espère, sera adoptée, a pour ambition de préserver autant que faire se peut les mineurs d’un produit pouvant avoir des effets graves sur la santé, ce dont la communauté médicale est plus que persuadée.
Préserver les mineurs d’un tel fléau, qui gagne du terrain, c’est le sens du texte. Il a fait l’objet d’aménagements à la suite de son passage en commission. Je veux remercier ici tous nos collègues sénateurs qui se sont investis sur ce dossier.
Pénaliser l’incitation des mineurs, mais aussi des majeurs, à consommer du protoxyde d’azote, interdire la vente aux mineurs en commerce physique ou en ligne et renforcer l’information sur la dangerosité de l’usage sont autant de mesures sur lesquelles nous ne pouvons que nous accorder pour mettre en place un arsenal permettant d’enrayer cette spirale infernale. Si nous n’y prenons pas garde, le phénomène risque de progresser encore et encore et d’avoir des conséquences catastrophiques sur la santé de celles et ceux qui sont aujourd’hui tentés par une telle expérience.
Comme cela a été indiqué par une de nos collègues en commission, notre assemblée fait œuvre utile, même si ce texte – nous en sommes toutes et tous conscients – ne saurait à lui seul permettre d’éradiquer le phénomène. C’est une première étape que nous vous invitons à franchir, mes chers collègues, en votant cette proposition de loi. Il appartiendra à nos collègues de l’Assemblée nationale de se saisir du sujet. D’ailleurs, deux propositions de loi avaient été déposées, l’une au mois de janvier et l’autre au mois de septembre de cette année, sur le sujet.
Monsieur le secrétaire d’État, vous partagez, j’en suis persuadé, la volonté manifestée sur toutes les travées de notre assemblée d’apporter une réponse opérante et simple à un problème auquel nous sommes confrontés et risquons de l’être dans nos responsabilités d’élus, de parents et de législateurs.
M. Frédéric Marchand. Voilà autant de raisons pour lesquelles le groupe LaREM votera en faveur de ce texte. Nous considérons qu’il est de notre devoir de tout mettre en œuvre pour lutter contre ce que je n’hésite pas à qualifier de véritable fléau. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
Mme Valérie Létard. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est une situation particulière aux Hauts-de-France qui est à l’origine de ce débat. Dans notre région, les plus jeunes sont confrontés à la consommation de protoxyde d’azote dès leur plus jeune âge et dans l’espace public.
Afin d’apporter des réponses concrètes aux alertes des acteurs locaux, des élus, des agents de prévention et des professionnels de la santé, le député Ugo Bernalicis avait déposé au mois de janvier 2019 une proposition de loi pour lutter contre le protoxyde d’azote. Celle-ci fut suivie le 5 avril dernier par une proposition de loi déposée sur l’initiative de Mme Létard et signée par des sénateurs et sénatrices de groupes politiques différents, dont mon collègue Éric Bocquet.
Le rapport que l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies a publié au mois de décembre 2018 a relevé une évolution de l’usage et de la consommation du protoxyde d’azote. Jusqu’à présent, c’était uniquement dans les teknivals. Petit à petit, il a fait irruption dans l’espace public.
Dans certains cas, cette consommation a des conséquences lourdes, dont huit cas graves dans les Hauts-de-France – il s’agit de jeunes usagers âgés de 18 à 34 ans –, avec notamment des atteintes du système nerveux et de la moelle épinière. Face à une telle situation, et devant l’inaction des pouvoirs publics de santé, plusieurs municipalités ont décidé d’en interdire la vente aux mineurs, comme à la Madeleine et à Wattrelos dans le Nord, mais également à Nîmes, à Aulnay-sous-Bois ou à Pont-Sainte-Maxence.
La « drogue du pauvre », ainsi qu’on surnomme le protoxyde d’azote, concerne principalement des jeunes impliqués dans le trafic de stupéfiants, les personnes prostituées, les personnes précaires, mais aussi des collégiens et des lycéens, selon le dispositif Tendances récentes et nouvelles drogues. Aussi, nous ne pouvons rester sans rien faire quand on découvre – c’est le cas à Valenciennes, à Amiens, à Arras ou à Saint-Omer – des centaines de cartouches métalliques de N2O.
Comment faire pour lutter contre l’usage dangereux du protoxyde d’azote par les mineurs ? Il est prévu dans la proposition de loi de les protéger en interdisant l’incitation et la provocation à la consommation, avec une peine d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.
Le volet répressif est la principale réponse à la consommation du protoxyde d’azote par les mineurs, tandis que le volet préventif est uniquement envisagé par l’apposition d’un pictogramme indiquant l’interdiction de vente aux mineurs de moins de 18 ans sur chaque contenant incluant ce produit et avec des actions d’information et de prévention dans les établissements scolaires et l’armée. Les usagers, notamment les plus jeunes, manquent très souvent d’informations sur la dangerosité du produit. Des campagnes de prévention et d’information sur le protoxyde d’azote sont donc nécessaires pour limiter les risques.
En matière de campagne de prévention, il est fort regrettable que l’agence régionale de santé des Hauts-de-France soit demeurée absente face aux alertes des élus locaux. Il aura fallu attendre le 19 novembre 2019 pour que le Premier ministre et le ministère de la santé s’alarment dans un communiqué de presse de l’évolution de cette pratique « qui s’accompagne d’une augmentation du nombre de signalements d’effets sanitaires graves, avec atteintes du système nerveux central et de la moelle épinière » et que le Gouvernement accepte de débloquer un fonds d’urgence. Sachant qu’il y a 1,2 million de lycéens et collégiens dans la région des Hauts-de-France, 200 000 euros, c’est 16 centimes d’euro par élève ! Un tel montant est largement insuffisant pour mener une véritable campagne de prévention sur le protoxyde d’azote.
Pour nous, ce texte démontre avant tout l’urgence qu’il y a pour le ministère de la santé à prendre des mesures visant à protéger nos enfants et nos jeunes.
Les professionnels de santé, qui rencontrent les victimes, sont les premiers à s’opposer aux mesures qui ne seraient que répressives, car elles exposent à un risque de report d’addictions vers d’autres drogues plus fortes et en aucun cas à la diminution de la consommation. Il faut donc développer une politique de prévention et de réduction des risques à l’intention du jeune public, dans une démarche globale, positive et non stigmatisante. Cela permettra de faire diminuer la consommation de protoxyde d’azote.
Pour ces raisons, nous voterons en faveur de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SOCR, LaREM, RDSE et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Fournier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Fournier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle l’examen d’une proposition de loi déposée par Valérie Létard et cosignée par quatre-vingt-quatorze de nos collègues issus de toutes les travées de cette assemblée. Ce soutien transpartisan est inhérent au sujet que nous allons étudier. Nous parlons d’une pratique aux conséquences très graves qui touche nos jeunes. Elle est répandue dans les Hauts-de-France, mais aussi dans nombre de grandes villes universitaires. Il s’agit ici de santé publique : la protection de nos jeunes face à l’usage détourné du protoxyde d’azote.
Nous connaissons ce produit dans nos cuisines, puisqu’il est utilisé dans les siphons à chantilly, mais son usage dévié à titre festif à proximité des établissements scolaires fait partie du folklore chez les lycéens et devient même dans les « soirées proto » une tradition chez les étudiants en médecine. Son inhalation procure un effet euphorisant pendant quelques secondes. L’effet est si fugace que les utilisateurs sont poussés à en consommer à répétition, donc à haute dose et à outrance.
Ce même gaz est utilisé dans le champ médical coupé avec de l’oxygène, sous le nom de Méopa. Loin de constituer une découverte récente, le protoxyde d’azote fait depuis les années 1800 l’objet d’un double usage, puisqu’il est à la fois anesthésiant et euphorisant.
Le Méopa est soumis à une réglementation stricte, qui impose notamment un stockage sécurisé et une déclaration obligatoire en cas de vol. Si le Méopa fait l’objet de contrôle, ce n’est pas le cas du protoxyde d’azote pur. Nos élus sont inquiets : au regard du volume de cartouches vides trouvées sur la voie publique, ils nous ont alertés. Notre rapporteure Jocelyne Guidez nous informe que la seule ville de Loos, 22 000 habitants, en périphérie de Lille, envoie au recyclage une centaine de kilos de cartouches par mois ! Ce sont des moyens légaux que les maires réclament, afin d’introduire de la teneur dans leurs arrêtés municipaux.
Cette proposition de loi est à destination de nos populations, des familles, pour assurer ce devoir de protection des enfants contre ce produit toxique, tout comme nous l’avons fait pour le tabac, l’alcool, ainsi que différentes colles.
Mes chers collègues, une telle pratique est sous-estimée par les autorités sanitaires. Toutefois, il semblerait que le Gouvernement s’interroge sur l’opportunité de légiférer pour un produit unique. Notre rapporteure a modifié le texte initial en commission pour répondre à cette réticence, qui ne peut donc plus nous être opposée.
Oui, il y a urgence à légiférer, à informer et à éduquer, parce que les retours de pratique sont là ! Le rapport de Jocelyne Guidez nous informe que le centre d’addictovigilance de Lille a été saisi à cette date de huit cas graves. Cinq d’entre eux, âgés de 23, 19, 18 et 17 ans, sont atteints de sclérose combinée de la moelle, de neuropathie sensitive et de paraplégie flasque. Ces pathologies sont, dans certains cas, irréversibles.
Ce phénomène, connu chez nos voisins britanniques, a provoqué le décès de trente-six personnes depuis 2001. Aux États-Unis, on en dénombre quinze par an. Pour la France, j’évoquerai le cas du jeune Yohan, qui est décédé après absorption de gaz hilarant au mois de décembre 2018 à Lacroix-sur-Meuse.
Au sein du groupe Union Centriste, nous estimons qu’il convient d’agir avant que le bilan ne soit plus lourd encore.
Il est nécessaire de lutter contre la banalisation et l’incitation à la consommation que nous pouvons constater sur bon nombre de sites internet ou chez des revendeurs classiques. Les cartouches coûtent en magasin rarement plus de 1 euro pièce. Avec la hausse de la demande, un nouveau marché s’est ouvert sur internet, où l’on trouve des bonbonnes à prix cassé, aux allures attrayantes, de surcroît offertes avec des ballons de baudruche, qui permettent l’inhalation en grande quantité et y incitent. En outre, sur Amazon, il est possible d’acheter pour une trentaine d’euros l’équivalent de quatre-vingts cartouches, soit à peine 30 centimes d’euros la dose.
Évidemment, une solution consisterait à interdire totalement la vente de ces cartouches. Cependant, Mme la rapporteure l’a évoqué, d’une part, cela serait problématique, puisque ce gaz n’a pas encore trouvé d’équivalent pour son usage domestique et, d’autre part, croyez l’élue du Pas-de-Calais que je suis, interdire dans notre pays n’est pas la bonne solution. Il sera bien facile aux contrevenants de franchir la frontière pour aller se procurer ce produit en Belgique ou aux Pays-Bas, voire de le commander sur internet. C’est à l’échelon européen que nous devons y travailler.
En attendant, force est de constater que le dispositif que nous nous apprêtons à adopter apporte une série de solutions pragmatiques et d’application rapide.
La première réside dans la pénalisation de l’incitation d’un mineur non seulement à consommer du protoxyde d’azote, mais, plus largement, à faire un « usage détourné d’un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs. »
La deuxième tient à l’interdiction de la vente aux mineurs du protoxyde d’azote, en commerce physique comme en ligne. C’est ce qu’ont fait le Royaume-Uni, certains États américains, Chypre, la Croatie et la Corée.
La troisième a trait à l’accompagnement de la politique de prévention du Gouvernement, en obligeant d’assortir la commercialisation du protoxyde d’azote d’une indication rappelant sa dangerosité.
Les amendements de la commission sont venus opportunément compléter le dispositif initial en élargissant le champ de la proposition de loi à des mesures d’information et de prévention dans le cadre scolaire ou pour la vente en ligne.
Devant l’enjeu majeur de santé publique que constitue ce sujet, le groupe Union Centriste votera unanimement en faveur de ce texte, tout en comptant sur la clairvoyance du Gouvernement pour porter ce texte plus loin vers une issue favorable à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et LaREM, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne.
Mme Chantal Deseyne. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Valérie Létard visant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d’azote.
Étant la dernière intervenante dans la discussion générale, je ne reviendrai pas sur les usages médicaux et culinaires du protoxyde d’azote. Je centrerai mon propos sur ses usages détournés en raison de son effet euphorisant.
Ces usages détournés sont observés de manière discontinue depuis 1999. Jusqu’ici, ils se cantonnaient aux milieux festifs alternatifs, tels que les free-parties et les teknivals.
À partir de 2015, son usage se répand et se banalise. Il est extrait de bonbonnes industrielles et conditionné dans des ballons de baudruche vendus pour une somme modique de 1 à 2 euros l’unité. Si le protoxyde d’azote est apprécié pour ses effets fugaces et euphorisants, il est aussi utilisé pour potentialiser ou moduler les effets d’autres produits consommés. Facilement accessible sur internet, il est aussi proposé et vendu dans des bars et des établissements de nuit.
À partir de 2017, la visibilité du protoxyde d’azote dans l’espace public augmente considérablement. À la fin de 2018, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies a publié un rapport soulignant la visibilité du protoxyde d’azote dans l’espace public de la métropole lilloise.
Différents profils de consommateurs ont été identifiés. Il s’agit d’habitués des free-parties consommant le protoxyde d’azote en association avec d’autres produits, des collégiens et lycéens avides d’expérimentations dans un cadre collectif et « convivial », des jeunes impliqués dans le trafic de drogue et des prostituées qui l’utilisent pour mieux supporter leur condition.
L’augmentation de la consommation de protoxyde d’azote semble essentiellement le fait d’une population jeune, voire très jeune. C’est d’autant plus grave que les dangers du gaz ne sont pas suffisamment connus.
Plusieurs études ont fait état d’un risque de séquelles neurologiques liées à un usage détourné du gaz pouvant entraîner une atteinte de la moelle épinière – il s’agit là d’une complication grave et peu connue –, mais également des troubles graves du rythme cardiaque pouvant aller jusqu’à la mort.
L’intervention du législateur est donc nécessaire. La protection de la population constitue notre priorité. Je pense notamment à la protection des mineurs, qui sont plus vulnérables.
La proposition de loi de Valérie Létard vise à interdire la vente de protoxyde d’azote aux mineurs, dans les commerces comme en ligne. Elle punit l’incitation des mineurs à consommer ce gaz et oblige les intermédiaires numériques à en informer leurs abonnés. Son article 2 pénalise l’incitation d’un mineur à faire un usage détourné d’un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs. Il couvre ainsi le protoxyde d’azote et élargit opportunément son champ à d’autres substances.
Ce texte contribue à l’information de nos concitoyens en obligeant les industriels à indiquer sur l’emballage la dangerosité du produit et accompagne la politique de prévention menée à l’école. Il a le mérite de présenter un dispositif équilibré, conjuguant protection des mineurs et responsabilisation des industriels face à l’usage détourné du protoxyde d’azote. Mais l’interdiction de la vente aux mineurs ne suffira malheureusement pas. Afin de compléter le travail des sénateurs, je profite de l’examen de cette proposition de loi pour appeler le Gouvernement à lancer une campagne d’information destinée aux usagers, notamment les plus jeunes, sur la dangerosité du protoxyde d’azote.
Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, LaREM et SOCR.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d’azote
Article 1er
(Supprimé)
Article 2
La troisième partie du code de la santé publique est complétée par un livre VI ainsi rétabli :
« LIVRE VI
« Lutte contre les usages détournés dangereux de produits de consommation courante
« TITRE IER
« LUTTE CONTRE LES USAGES DÉTOURNÉS DANGEREUX
« CHAPITRE UNIQUE
« Art. L. 3611-1. – Le fait de provoquer un mineur à faire un usage détourné d’un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs, même non suivi d’effet, est puni de 15 000 euros d’amende.
« Art. L. 3611-2. – Il est interdit de vendre ou d’offrir gratuitement à un mineur, dans tous commerces ou lieux publics, du protoxyde d’azote, quel qu’en soit le conditionnement. La personne qui délivre un tel produit exige du client qu’il établisse la preuve de sa majorité.
« Art. L. 3611-3. – La vente de protoxyde d’azote aux mineurs par des sites de commerce électronique est interdite. Ces sites doivent spécifier l’interdiction de vente aux mineurs de ce produit sur les pages web permettant de procéder à un achat en ligne de ce gaz, quel que soit son contenant.
« TITRE II
« PRÉVENTION DES USAGES DÉTOURNÉS DANGEREUX
« CHAPITRE UNIQUE
« Art. L. 3621-1. – Une mention indiquant la dangerosité du protoxyde d’azote est, selon des modalités fixées par décret, apposée sur chaque contenant incluant ce produit, qui ne peut être vendu sans celui-ci.
« TITRE III
« CONTRÔLES
« Art. L. 3631-1. – Les agents mentionnés à l’article L. 1312-1 veillent au respect des articles L. 3611-1 à L. 3611-3 et procèdent à la recherche et à la constatation des infractions à ces dispositions.
« Ils disposent à cet effet, chacun pour ce qui le concerne, des prérogatives qui leur sont reconnues par l’article L. 1312-1 et par les textes pris pour son application.
« Art. L. 3631-2. – Ces agents peuvent, pour constater une infraction prévue aux articles L. 3611-1 à L. 3611-3, exiger que le client établisse la preuve de sa majorité, par la production de tout document officiel muni d’une photographie. »
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme Létard, MM. Marchand, Daubresse et Decool, Mme M. Filleul, M. Wattebled, Mme C. Fournier, MM. Rapin et Dagbert, Mme Billon, M. Bonhomme, Mme Blondin, MM. Brisson et Bazin, Mme Van Heghe, M. Canevet, Mme Doineau, MM. Bonnecarrère et Détraigne, Mmes de la Provôté, Dindar et Férat, M. Chasseing, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Capo-Canellas, Delcros, Duplomb, Guerriau, Fichet et Vaugrenard, Mme Vermeillet, M. Tourenne, Mmes Saint-Pé, Perrot et Micouleau, MM. Marseille et Panunzi, Mme Gruny, M. Moga, Mme Noël et MM. Menonville, P. Martin, Luche, Gabouty, Grand, Longeot et Lefèvre, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer les mots :
un mineur
par les mots :
une personne
La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. La proposition de loi a évidemment pour objet essentiel de protéger les mineurs en interdisant de leur vendre du protoxyde d’azote ou de les inciter à en faire un usage détourné. Mais, ainsi que j’ai eu l’occasion de le souligner lors de la discussion générale, les statistiques récentes montrent que les cas les plus graves ne concernent pas seulement des mineurs. De jeunes majeurs sont également touchés, notamment dans un cadre festif, par exemple en bar ou en boîte de nuit. La pratique en question y est alors combinée avec la consommation d’alcool. Elle est également facilitée par internet, puisque le protoxyde d’azote est vendu avec des ballons.
Je propose donc de remplacer les mots « un mineur » par les mots « une personne » dans l’alinéa relatif à la pénalisation de l’incitation à faire un usage détourné du protoxyde d’azote pour en obtenir des effets psychoactifs. À défaut, des établissements pourraient continuer de vendre des ballons de baudruche remplis de ce produit à nos jeunes.
J’insiste sur l’importance politique d’une telle mesure, monsieur le secrétaire d’État. Je sais que la navette parlementaire nous laissera le temps d’affiner juridiquement le dispositif et d’élargir la réglementation relative aux dangers du Méopa aux autres produits contenant du protoxyde d’azote, mais, en n’inscrivant pas dès aujourd’hui une telle précision dans la loi, nous passerions à côté d’une cible essentielle.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. Cet amendement vise à élargir à toute personne le délit de provocation d’un mineur à faire un usage détourné d’un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs.
Notre collègue Valérie Létard a raison ; le problème qu’elle soulève, celui du commerce de ce gaz en milieu festif, en bar ou en discothèque à destination d’un jeune public qui en ignore largement les effets nocifs, est bien réel. Toutefois, pour la cohérence du droit pénal, il semble difficile d’élargir un tel délit à toute personne sans disposer de l’argument de la protection des personnes plus vulnérables que sont les mineurs. On ne saurait réprimer l’incitation à une pratique qui n’est pas interdite. Nous nous heurtons ici aux limites de ce que peut faire le législateur tant que le protoxyde d’azote n’est pas rangé dans une autre catégorie réglementaire, comme celle des substances dangereuses ou celle des stupéfiants.
La commission souhaite avoir l’avis du Gouvernement, afin de savoir ce qu’il est possible de faire pour protéger les jeunes adultes.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Madame la sénatrice Létard, je profite de l’occasion qui m’est offerte pour saluer une nouvelle fois votre investissement sur ce texte, ainsi que le travail de rédaction effectué par la commission.
Vous avez raison de rappeler que le phénomène touche également de jeunes majeurs ; moi-même et plusieurs orateurs l’avons souligné lors de la discussion générale. Vous proposez d’étendre le délit d’incitation à la consommation détournée du protoxyde d’azote prévu par la proposition de loi aux jeunes majeurs, en remplaçant les mots « un mineur » par les mots « une personne ».
Or le délit d’incitation tel que modifié par la commission est lié indirectement, mais de manière indissociable, à l’interdiction de vente de protoxyde d’azote aux mineurs. Faute de disposition similaire applicable aux majeurs, il ne peut pas leur être étendu. Je partage donc l’avis de Mme la rapporteure. Nous ne disposons pas des bases légales pour pénaliser l’incitation à une telle pratique, qui n’est pas interdite en soi. Le Gouvernement sollicite donc le retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis sera défavorable.
Toutefois, je prends ici un engagement. Dans le cadre de la navette, nous allons travailler avec les différents services concernés du ministère des solidarités et de la santé et du ministère de l’économie et des finances pour instituer des dispositifs opérants dotés d’une base légale visant à éviter la vente de tels produits à des fins de consommation détournée, et ce pour l’ensemble des publics.
Mme la présidente. Quel est maintenant l’avis de la commission ?
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. Maintenant que nous avons entendu l’avis du Gouvernement, il nous paraît difficile de revenir en arrière. Nous avons beaucoup discuté du sujet avec Valérie Létard. Je maintiens la position que j’ai déjà exprimée.
Mme la présidente. Madame Létard, l’amendement n° 4 rectifié est-il maintenu ?
Mme Valérie Létard. Monsieur le secrétaire d’État, le débat est, je le crois, extrêmement constructif. Je prends bonne note de votre volonté de développer au maximum l’arsenal juridique dans le cadre de la navette, afin d’aller le plus loin possible.
Encore une fois, j’ai été profondément marquée par les échanges que j’ai eus avec l’agence régionale de santé, ainsi qu’avec un certain nombre d’acteurs des Hauts-de-France. Le phénomène se développe progressivement, avec des conséquences lourdes pour des jeunes majeurs.
J’espère que la navette permettra au texte de prospérer. En tout cas, j’insiste sur deux points importants.
Premièrement, la réglementation doit évoluer. Si le Méopa est l’objet de contrôles, ce n’est pas le cas des usages détournés d’un protoxyde concentré. Il n’est pas possible que cela ne soit pas réglementé. Il faut évidemment échanger avec l’Union européenne à cet égard.
Deuxièmement, vous devez absolument trouver des voies et moyens pour pouvoir sanctionner l’incitation à faire un usage détourné d’un tel produit pour en obtenir des effets psychoactifs, y compris dans des lieux publics. C’était l’objet de mon amendement. Il faut rechercher des solutions en ce sens, sous peine de passer à côté d’un objectif essentiel de la loi en termes de protection de nos jeunes.
Je retire mon amendement, parce que j’ai bien écouté vos arguments. J’espère que la navette nous permettra d’avancer.
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié est retiré.
L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par Mmes Imbert et Deseyne, M. D. Laurent, Mme Gruny, MM. Bascher et Gremillet, Mmes Deroche, Morhet-Richaud et Berthet, MM. Allizard et Morisset, Mme Noël, MM. Bonne, Laménie, Rapin et Vaspart, Mmes Ramond et L. Darcos, M. Cambon, Mme Bruguière, MM. Lefèvre et B. Fournier, Mme Puissat, M. Bazin, Mmes Micouleau et Deromedi, MM. Kennel, Bouchet, Le Gleut, Poniatowski, Mouiller et Dufaut et Mmes Boulay-Espéronnier et Delmont-Koropoulis, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L… – L’incitation d’une personne en état d’ivresse à inhaler ou à absorber du gaz protoxyde d’azote, même non suivie d’effet, est punie d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende en cas d’incitation faite à un mineur.
La parole est à Mme Chantal Deseyne.
Mme Chantal Deseyne. Cet amendement vise à prendre en compte deux éléments : d’une part, la consommation cumulée d’alcool en quantité excessive et de protoxyde d’azote présente une dangerosité particulière ; d’autre part, la perte de facultés liée à l’état d’ivresse expose davantage une personne à céder à l’incitation à consommer des produits dangereux.
Nous proposons en conséquence d’interdire le fait d’inciter des majeurs en état d’ivresse à consommer du protoxyde d’azote.
Par cohérence, notre amendement tend à aggraver les peines prévues par la proposition de loi en cas d’incitation sur mineur en les doublant lorsque la victime est sous l’emprise de l’alcool.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. Cet amendement a pour objet de pénaliser l’incitation de toute personne en état d’ivresse à consommer du protoxyde d’azote. Ses auteurs cherchent à juste titre à prévenir les mélanges de substances ou l’abus de faiblesse de personnes qui sont déjà sous l’emprise de l’alcool.
Là encore, il s’agit de pénaliser la provocation à faire un certain usage d’un produit légal sans que puisse être invoqué le motif de protection des personnes plus vulnérables que sont les mineurs. De plus, entrer dans un tel niveau de détail risque de rendre excessivement complexe l’arsenal pénal. D’ailleurs, pourquoi viser seulement les personnes alcoolisées, et non celles qui sont sous l’emprise d’autres produits ? La commission sollicite donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame Deseyne, l’amendement n° 2 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Chantal Deseyne. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 2 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 5 rectifié, présenté par Mme Létard, MM. Marchand, Daubresse et Decool, Mme M. Filleul, MM. Wattebled et Dagbert, Mme C. Fournier, M. Rapin, Mme Billon, M. Bonhomme, Mme Blondin, MM. Bonnecarrère, Brisson et Bazin, Mme Van Heghe, M. Canevet, Mme Doineau, M. Détraigne, Mmes de la Provôté et Dindar, M. Chasseing, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Capo-Canellas, Delcros et Duplomb, Mme Férat, MM. Guerriau, Fichet et Marseille, Mme Micouleau, M. Panunzi, Mme Gruny, M. Moga, Mme Noël, MM. Menonville, P. Martin et Luche, Mme Perrot, MM. Gabouty, Grand, Longeot, Lefèvre et Vaugrenard, Mme Vermeillet, M. Tourenne et Mme Saint-Pé, est ainsi libellé :
Après les alinéas 8 et 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La violation de l’interdiction prévue au premier alinéa est punie de 3 750 € d’amende.
La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Pour rendre le dispositif opérant, il convient de compléter l’infraction de l’interdiction de vente aux mineurs de protoxyde d’azote en l’assortissant d’une peine d’amende de 3 750 euros.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. Avis bien évidemment favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par Mmes Imbert et Létard, M. D. Laurent, Mme Gruny, MM. Bascher et Gremillet, Mmes Deroche, Morhet-Richaud et Berthet, MM. Allizard et Morisset, Mme Noël, MM. Bonne, Laménie, Rapin et Vaspart, Mmes Ramond et L. Darcos, M. Cambon, Mme Bruguière, MM. Lefèvre et B. Fournier, Mme Puissat, M. Bazin, Mmes Micouleau et Deromedi, MM. Kennel, Bouchet, Le Gleut, Poniatowski et Mouiller, Mme A.M. Bertrand, MM. Sido et Dufaut et Mmes Boulay-Espéronnier et Delmont-Koropoulis, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Il est également interdit de vendre ou d’offrir gratuitement du gaz protoxyde d’azote, y compris à une personne majeure, dans les lieux de vente ou de distribution de boissons des groupes 3 à 5 définis à l’article L. 3321-1.
La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Cet amendement vise à interdire la vente et la distribution de gaz protoxyde d’azote dans les débits de boissons. En effet, on constate une évolution inquiétante du nombre de bars et d’établissements de nuit proposant gratuitement ou à la vente du gaz protoxyde d’azote.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 8, présenté par Mme Deseyne, est ainsi libellé :
Amendement n° 1 rectifié ter, alinéa 3
Supprimer les mots :
, y compris à une personne majeure,
La parole est à Mme Chantal Deseyne.
Mme Chantal Deseyne. Compte tenu des remarques formulées ce matin en commission des affaires sociales, ce sous-amendement vise à restreindre l’interdiction de vente et de distribution de gaz protoxyde d’azote dans les débits de boissons aux seuls mineurs.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 7, présenté par Mme Deseyne, est ainsi libellé :
Amendement n° 1 rectifié ter, alinéa 3
Remplacer les mots :
vente ou de distribution
par le mot :
consommation
La parole est à Mme Chantal Deseyne.
Mme Chantal Deseyne. Ce sous-amendement vise à restreindre l’interdiction de vente et de distribution de gaz protoxyde d’azote aux seuls débits de boissons. En effet, la rédaction actuelle de l’amendement n° 1 rectifié ter étend cette interdiction aux commerces de détail alimentaires.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. L’amendement soulève un vrai problème, celui de la vente de protoxyde d’azote sous forme de ballons déjà gonflés à consommer immédiatement dans des bars ou discothèques. Sa rédaction est toutefois très large, puisqu’elle englobe aussi bien les supermarchés où se vendent également les cartouches de gaz à usage culinaire. Une telle interdiction quasiment générale risquerait de rendre disproportionnés les moyens retenus par ce texte pour atteindre l’objectif de santé publique fixé et donc de se heurter au droit européen.
Le sous-amendement n° 8 a pour objet de ramener l’interdiction de vente aux seuls mineurs dans les lieux de vente de boissons alcoolisées. Sa rédaction est plus ambigüe, mais son esprit est en tout cas satisfait par le texte, qui interdit la vente de protoxyde d’azote aux mineurs dans tous commerces ou lieux publics.
Quant au sous-amendement n° 7, il vise à restreindre l’interdiction de vente aux lieux de consommation d’alcool. Tel qu’il est rédigé, il est sans doute trop imprécis pour être opérant. Sans doute pourrait-on viser les débits de boissons à consommer sur place au sens de l’article L. 3331-1 du code de la santé publique, mais, là encore, l’interdiction de vente d’un produit restant légal risque de revêtir un caractère trop général pour être compatible avec le droit européen.
Ces différentes rédactions me semblent fragiles juridiquement, mais la commission souhaiterait connaître l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le Gouvernement est en phase avec le raisonnement de la commission sur l’amendement. La définition prévue est effectivement trop large et inclurait des lieux de vente que nous ne souhaitons pas voir concernés par ce genre de dispositif. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement en sollicite le retrait ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
Le sous-amendement n° 8 est satisfait, dans l’esprit, par l’article 2 tel qu’il est rédigé.
Quant au sous-amendement n° 7, il apporte des précisions, même si sa rédaction nous semble encore poser quelques difficultés. En tout cas, il permet de se rapprocher de ce que souhaite faire le Sénat. Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de cette assemblée sur ce sous-amendement, quand bien même sa rédaction nécessitera d’être retravaillée au cours de la navette parlementaire.
Mme la présidente. Il est un peu contradictoire, monsieur le secrétaire d’État, de vous en remettre à la sagesse du Sénat sur un sous-amendement visant à modifier un amendement sur lequel vous avez donné un avis défavorable, sauf si, dans l’hypothèse où le sous-amendement est adopté, vous émettez un avis favorable sur l’amendement ainsi sous-amendé.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Si l’amendement est sous-amendé, je m’en remettrai à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. Merci, monsieur le secrétaire d’État, c’est beaucoup plus clair.
La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Je soutiens cet amendement.
Monsieur le secrétaire d’État, je relève dans vos propos liminaires une ambiguïté, ce qui fait que je ne sens pas chez vous une forte volonté de juguler le phénomène.
Vous nous répondez à chaque fois que nos propositions sont trop compliquées, qu’elles auraient une portée limitée et qu’elles seraient de toute façon inutiles ou satisfaites. Autrement dit, on ne va pas changer grand-chose. Or l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies et la mission interministérielle vous ont dit qu’il ne fallait pas banaliser un phénomène qui a tendance à croître fortement.
Vous nous dites qu’il faut améliorer l’information. J’ai du mal à croire que les étudiants en médecine qui utilisent ce genre de produits ne soient pas un tout petit peu informés. En outre, ne rien faire au motif que cela renforcerait le caractère transgressif de cette pratique est un peu paradoxal. Finalement, vous en venez à tergiverser, à tenir des propos convenus et à adopter une position assez acrobatique.
La loi est là pour rappeler un certain nombre de principes et, le cas échéant, prévoir des interdictions. Le ministère de la santé que vous représentez doit anticiper un phénomène qui n’en est qu’au début, me semble-t-il, de ses terribles effets sanitaires.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié ter, modifié.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par Mme Guidez, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 18
Supprimer la mention :
Art. L. 3631-2. –
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour explication de vote sur l’article.
Mme Victoire Jasmin. Je tiens à remercier Mme Létard et tous ceux qui ont contribué à l’élaboration de ce texte. Pour ma part, j’ignorais le mésusage du protoxyde d’azote. Maintenant que j’en ai pris connaissance, j’estime moi aussi qu’il faut anticiper le phénomène. Il faudrait que ce produit soit reconnu en toxicologie, sinon nous connaîtrons d’autres dérives, et qu’un pictogramme spécifique signale sa dangerosité.
Au cours de la période des fêtes qui arrive, beaucoup de familles vont acheter ce produit en faisant leurs courses. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d’État, si cela est possible, d’autant que certains de nos collègues ont déclaré que l’agence régionale de santé de leur département n’avait pas pris en compte l’alerte donnée, qu’elles soient très largement informées des risques. Si je formule ce souhait, c’est parce qu’on parle de mineurs et de jeunes majeurs. Si les parents n’ont pas une connaissance suffisante de la dangerosité de ce gaz, ils vont probablement le fournir eux-mêmes à leurs enfants, qui sont au courant de ce mésusage.
Je vous demande de trouver les voies et moyens d’agir avant que le texte ne termine sa navette dans le cadre du bicamérisme – j’espère que nos collègues de l’Assemblée nationale nous suivront. Il est important, en termes de prévention, que vous utilisiez toutes les possibilités dont vous disposez pour informer les familles – je pense aux rectorats, aux associations… J’y insiste, certains parents le rapporteront eux-mêmes à la maison après avoir fait leurs courses, sans savoir quelles sont les conséquences pour leurs enfants.
Je tiens à féliciter une fois de plus Valérie Létard pour le rôle qu’elle joue dans cette prévention si importante.
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Létard, pour explication de vote sur l’article.
Mme Valérie Létard. Je veux tout d’abord vous montrer l’une de ces petites capsules. (L’oratrice montre une capsule de protoxyde d’azote.) Les services de la propreté nous l’ont dit lorsque nous nous sommes rendus sur place : elles jonchent les rues dans nos territoires et se transforment en projectile extrêmement dangereux quand elles passent sous les pneus d’une voiture. Ils en ramassent régulièrement.
Madame Jasmin, vous avez tout à fait raison, et beaucoup l’ont dit aujourd’hui, ce débat est vraiment l’occasion d’un coup de projecteur sur la dangerosité du produit. Combien de jeunes, mineurs et majeurs, et combien de parents ne connaissent pas les graves incidences de la consommation de ce gaz hilarant – il porte bien mal son nom – pour la santé ?
Dans le cadre de cette proposition de loi, nous avons fait preuve d’un comportement vraiment républicain : tous nos collègues l’ont cosignée. Le Sénat, on le voit, sait travailler à l’unisson quand il s’agit de l’intérêt général et de nos jeunes.
Monsieur le secrétaire d’État, nous vous faisons confiance pour remédier à l’absence d’une réglementation pour le protoxyde d’azote. Il faut le réglementer comme le Méopa. Comme l’a indiqué Mme Jasmin, ce produit doit être classé dangereux, sinon nous ne pourrons pas faire le reste. C’est pourquoi nous vous faisons également confiance pour trouver un moyen de cibler les jeunes majeurs au cours de la navette. Ce sont eux qui sont le plus impactés en matière de santé.
Aujourd’hui, nous avons fait le socle initial : les mineurs, la prévention, l’information. Maintenant, il faut faire attention à nos jeunes majeurs, à leurs comportements, à internet par le biais duquel est vendu sous des formes détournées un produit qui devient une drogue et ne fait plus l’objet d’un usage domestique. Il est impossible d’atteindre la cible ou d’arrêter ces pratiques dévoyées si l’on ne va pas au bout. Il faut donc agir dans le sens de ce que nous avons proposé dans l’amendement que j’ai retiré au motif que vous allez améliorer le dispositif. Je vous remercie en tout cas d’avoir permis ce débat et d’y avoir participé de façon constructive. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Victoire Jasmin et M. Frédéric Marchand applaudissent également.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 2 bis (nouveau)
Le 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :
1° Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes mentionnées aux 1 et 2 informent leurs abonnés des interdictions de procéder en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer à des opérations de vente à distance de produits ou services à des mineurs, ainsi que des sanctions légalement encourues pour de tels actes. » ;
2° Au même dernier alinéa, après le mot : « cinquième », il est inséré le mot : « , sixième ». – (Adopté.)
Article 2 ter (nouveau)
La section 10 du chapitre II du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code de l’éducation est ainsi modifiée :
1° L’intitulé est complété par les mots : « et les addictions. » ;
2° À la première phrase de l’article L. 312-18, les mots : « les conséquences de la consommation de drogues sur la santé » sont remplacés par les mots : « les addictions et leurs risques ». – (Adopté.)
Article 3
Le livre VIII de la troisième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après le chapitre III du titre II, il est inséré un chapitre III bis ainsi rédigé :
« CHAPITRE III BIS
« Lutte contre les usages détournés dangereux de produits de consommation courante
« Art. L. 3823-4. – Le livre VI de la présente partie, à l’exception de l’article 3631-2, est applicable dans les îles Wallis et Futuna. » ;
2° Après le chapitre II du titre IV, il est inséré un chapitre II bis ainsi rédigé :
« CHAPITRE II BIS
« Lutte contre les usages détournés dangereux de produits de consommation courante
« Art. L. 3842-5. – Le livre VI de la présente partie est applicable en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. » – (Adopté.)
Article 4
(Supprimé)
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mmes Imbert et Deseyne, M. D. Laurent, Mme Gruny, MM. Bascher et Gremillet, Mmes Deroche, Morhet-Richaud et Berthet, MM. Allizard et Morisset, Mme Noël, MM. Bonne, Laménie, Poniatowski, Le Gleut, Bouchet et Kennel, Mmes Deromedi et Micouleau, M. Bazin, Mme Puissat, MM. B. Fournier et Lefèvre, Mme Bruguière, M. Cambon, Mmes L. Darcos et Ramond et MM. Vaspart et Rapin, est ainsi libellé :
Supprimer les mots :
les mineurs
La parole est à Mme Chantal Deseyne.
Mme Chantal Deseyne. Cet amendement, qui vise à élargir l’intitulé de la proposition de loi pour qu’elle s’applique à tout public, tire la conséquence de l’amendement tendant à interdire d’inciter les majeurs sous l’emprise d’un état alcoolique à consommer du protoxyde d’azote et de l’amendement visant à interdire la vente et la distribution de gaz protoxyde d’azote dans les débits de boissons.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. La proposition de loi vise aujourd’hui essentiellement à protéger les mineurs. Ce sera donc un avis défavorable si l’amendement n’est pas retiré.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Sagesse.
J’étais plutôt défavorable aux amendements qui visaient à élargir la mesure. Pour autant, sur le fond, nous sommes d’accord avec la sénatrice Létard : les majeurs sont eux aussi concernés. C’est donc au Sénat de décider ce qu’il veut faire avec cet intitulé.
Mme la présidente. Madame Deseyne, l’amendement n° 3 rectifié est-il maintenu ?
Mme Chantal Deseyne. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Catherine Fournier, pour explication de vote.
Mme Catherine Fournier. Nous en arrivons au vote de la proposition de loi.
Tout d’abord, je tiens à saluer chaleureusement notre collègue Valérie Létard, auteure de ce texte, pour l’initiative qu’elle a portée, ainsi que les quatre-vingt-quatorze signataires qui se sont associés à cette démarche.
Ensuite, je remercie notre rapporteure Jocelyne Guidez pour les précisions rédactionnelles et les sécurisations juridiques qu’elle a apportées au dispositif. Elle a su s’approprier le texte et nous communiquer l’ampleur du phénomène. Cela a éclairé nos débats, qui attestent de l’urgence face aux graves problèmes de santé que cette pratique est susceptible de provoquer.
Enfin, j’espère que le Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, sera suffisamment motivé et ne manquera pas de soutenir cette proposition de loi à l’Assemblée nationale en vue d’obtenir une adoption conforme. Il conviendra également de notifier le plus rapidement possible à la Commission européenne ses futures dispositions, comme nous y oblige la directive européenne 2015/1535, afin que le texte puisse entrer en vigueur dans les prochains mois. Une vive réactivité contribuera à une efficacité salvatrice.
Mes chers collègues, nous faisons face à un enjeu social et à un problème de santé publique. Songez que le protoxyde d’azote, dans son usage médical, est mélangé à de l’oxygène et qu’il est soumis à une réglementation très stricte. Celle-ci impose notamment le stockage sécurisé, comme je le disais précédemment, et des déclarations obligatoires en cas de vol. Pour son conditionnement domestique, ce produit n’est ni mélangé ni contrôlé. Songez que huit cas graves de jeunes ont été enregistrés au seul centre d’addictovigilance de Lille.
Pour ces raisons, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et LaREM. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Le gaz hilarant ne fait plus rire personne. L’intérêt de la proposition de loi de Valérie Létard est de mettre en lumière un phénomène assez nouveau, sur lequel vos services, monsieur le secrétaire d’État, mais aussi les parlementaires au travers de questions écrites vous alertent depuis des mois.
Quelle n’a pas été ma surprise de vous entendre dire – d’une certaine façon, vous l’avez répété ce soir – qu’il était vain de modifier la loi. Or la loi peut apporter un certain nombre d’éclaircissements, à commencer par le classement de ce produit comme substance dangereuse, d’autant plus dangereuse qu’il présente un aspect festif : les jeunes vous disent que, en utilisant ce genre de produit, ils veulent se déconnecter et rigoler ensemble. Or, dans les Hauts-de-France ou en Occitanie, certaines soirées se finissent très mal, avec parfois des conséquences toxicologiques pour les mineurs, mais pas seulement pour eux, extrêmement graves. On ne peut plus prendre cette situation à la légère, en considérant qu’il s’agit juste d’un phénomène de mode qui va passer.
Votre réponse n’est pas du tout à la hauteur. Bien sûr qu’il faut informer les préfectures ! Bien sûr qu’il faut informer l’ARS ! Mais, si l’on se contente de cela, on ne va pas aller loin.
Au demeurant, la question de la facilité d’accès à ce genre de produit doit être posée, surtout quand vous voyez que les jeunes sont à deux clics sur Amazon de se fournir en recharge – dix recharges pour 13 euros – et en ballons… On est loin des usages culinaires et des usages médicaux. Il ne faut pas avoir une vision angélique, en considérant que c’est un phénomène de mode aux effets très limités.
Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais vraiment que vous sortiez de vos propos convenus sur la prévention globale qui serait de nature à résoudre le problème. On doit vraiment être en alerte totale. C’est le sens de cette proposition de loi. Demain, le problème va se poser avec encore plus d’acuité. Encore une fois, j’attends de votre ministère qu’il anticipe et qu’il fasse preuve de réactivité.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Comme l’a dit ma collègue Victoire Jasmin, nous avons été éclairés sur un comportement que certains d’entre nous ignoraient.
Soyons positifs : on ne peut pas toujours compter sur le Gouvernement pour apporter des réponses à toutes les questions ; il nous appartient aussi, en tant que parlementaires et élus de terrain, de distiller cette information et de jouer notre part dans la sensibilisation.
J’ai entendu que ce phénomène de mode se passait en Occitanie et dans les Hauts-de-France, mais je pense qu’il va s’amplifier et s’étendre à tous les territoires. C’est pourquoi, que ce soit sur le territoire national ou dans la France des outre-mer, il est important que nous portions nous aussi cette parole. C’est le but de cette proposition de loi.
Je profite de cette occasion pour m’adresser directement au Gouvernement.
Monsieur le secrétaire d’État, comme je l’ai dit, nous comprenons que vous ne puissiez pas tout faire. Reste que certaines propositions de loi, qui peuvent parfois paraître anodines, ont une portée significative et vous permettent d’ouvrir votre esprit à d’autres phénomènes.
Faisons attention, la jeunesse a toujours ou semble toujours avoir une longueur d’avance sur nous. Nous allons légiférer sur le protoxyde d’azote, mais les jeunes vont trouver très certainement d’autres palliatifs. À nous aussi d’être innovants et inventifs et d’être en alerte permanente pour que notre jeunesse ne sombre pas dans d’autres formes d’addiction.
Membre de la commission des affaires sociales, je me fais le porte-parole du groupe du RDSE, qui votera sans retenue cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour explication de vote.
M. Jérôme Bignon. À mon tour de m’associer aux félicitations qui ont été adressées à Valérie Létard pour cette initiative heureuse, soutenue par mon collègue Guerriau, qui n’a pas pu rester avec nous. Il m’a donc demandé de me substituer à lui, ce que je fais bien volontiers : le grand-père que je suis est évidemment extrêmement sensible à ce genre de législation.
Il y a une urgence extrême à ce que l’Assemblée nationale adopte cette proposition de loi. Je sais que je n’ai pas besoin d’inciter Valérie Létard à œuvrer en ce sens. Parlementaire depuis longtemps, elle a une grande expérience en la matière.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire confiance au Gouvernement lorsqu’il dit qu’il va s’en occuper – nous faisons confiance au Gouvernement quand il s’agit de sujets importants –, mais il a déjà beaucoup à faire. Nous pourrions peut-être lui donner un coup de main en essayant de trouver un groupe qui pourrait insérer dans un de ses créneaux législatifs un texte dont l’examen prendra deux heures.
J’ai récemment été bénéficiaire d’un texte qui a été adopté à l’unanimité, comme celui-là va l’être. Nous devons faire la démarche nous-mêmes à l’Assemblée nationale, pour faire en sorte que le texte soit adopté le plus rapidement possible. Si Valérie Létard y consent, je l’aiderai avec les moyens qui sont les miens, en vue de trouver quelqu’un à l’Assemblée nationale. Peu importe le groupe au sein duquel il siège du moment que le but est atteint.
Il faut soutenir ce texte, qui est une urgence absolue pour nos enfants. Imaginons qu’un drame se produise dans quelques semaines ou dans quelques mois, nous serions, les uns et les autres, rouges de confusion. Connaissant la situation aujourd’hui, nous avons le devoir d’agir le plus rapidement possible. Je suis sûr que nous le ferons tous ensemble pour gagner la bataille contre ce poison, cette infection pour nos enfants et nos petits-enfants. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour explication de vote.
M. Frédéric Marchand. À mon tour de m’exprimer au nom de mon groupe.
Je veux retenir, au travers du vote qui va intervenir d’ici à quelques instants et qui exprimera sans doute l’unanimité, le très beau travail de coconstruction qui a été réalisé autour de ce texte.
Mon collègue Jérôme Bignon a parlé de la main tendue par le Parlement. Je pense effectivement que les parlementaires ont fait œuvre utile en sensibilisant sur une question qui pouvait paraître très localisée. M. le secrétaire d’État a parfaitement saisi la main que nous tendions.
Le sujet nécessitait de la clarification. Nous avons su travailler de concert les uns avec les autres sur une question qui – je l’ai d’ailleurs entendu parmi les propos de M. le secrétaire d’État – m’apparaît aujourd’hui comme une priorité. J’entends les propositions très positives que vous avez faites, monsieur le secrétaire d’État, afin que, au cours de la navette parlementaire, nous puissions apporter une réponse très concrète à un véritable problème de santé publique.
Je me félicite une nouvelle fois que le Sénat ait vraiment fait œuvre utile, sous la houlette bienveillante de Valérie Létard, en lien étroit avec les parlementaires du Nord, tout en notant que ce phénomène n’est plus localisé au seul Nord. On parle de l’Occitanie, de Bordeaux, de Strasbourg, de Nantes et de Marseille. On a affaire à un véritable phénomène national !
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie vraiment d’avoir permis que nous puissions aboutir au vote qui va intervenir très bientôt. (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM, Les Indépendants, RDSE et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. Je répondrai à M. Bonhomme que ce n’est pas un phénomène si nouveau que cela, puisqu’il existe depuis le XVIIIe siècle.
M. François Bonhomme. Je parlais de l’usage détourné !
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. Je n’ai pas fini, monsieur ! Et je ne vous ai pas interrompu !
Ce phénomène a pris énormément d’ampleur depuis 2017.
Cette proposition de loi n’est pas anodine. Valérie Létard a su mettre le doigt sur un sujet qui a provoqué de petits sourires au début – je me souviens de notre réunion de groupe. Comme je suis d’une nature franche, je dois avouer que nous n’avions pas mesuré l’ampleur du phénomène, qui concernait avant tout le Nord. Petit à petit, au fil des auditions, nous avons découvert que d’autres grandes villes étaient touchées.
Cette proposition de loi est aujourd’hui circonscrite aux mineurs. Il nous reste du travail sur la planche si nous voulons que les majeurs soient également visés par ce texte. Si nous voulons avancer, c’est ensemble que nous y parviendrons.
Monsieur le secrétaire d’État, j’attends du Gouvernement qu’il revienne vers nous pour que nous puissions travailler ensemble et aller beaucoup plus loin encore. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Létard, pour explication de vote.
Mme Valérie Létard. Je veux remercier Mme la rapporteure et tous mes collègues. Je l’ai fait précédemment, mais pas suffisamment.
Mme la rapporteure a accepté de se déplacer sur le terrain et elle y est restée longuement, dans un calendrier extrêmement restreint, pour mesurer, comme elle l’a dit, toute la réalité du problème.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. C’était mon travail !
Mme Valérie Létard. Elle a surtout insisté sur le fait que, ce qui se passe dans la rue, n’est que la partie émergée de l’iceberg. Il y a aussi tout ce qui ne se voit pas et qui existe sur tout le territoire national.
Pour ces raisons, je voudrais la remercier, comme je remercie chacun de mes collègues d’avoir soutenu très largement cette initiative. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et LaREM, ainsi que sur des travées du groupe SOCR. – M. Jérôme Bignon applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. À mon tour, je remercie et félicite Mme la sénatrice Létard, Mme la rapporteure, pour son investissement dans ce dossier, et l’ensemble des parlementaires du Nord, dont M. le sénateur Marchand. Je salue également le caractère transpartisan dont témoignent les quatre-vingt-quatorze cosignatures de parlementaires.
Ce texte n’a effectivement rien d’anodin. D’ailleurs, depuis plusieurs mois, le Gouvernement a pris la pleine mesure de ce sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au cours des discussions que nous avons consacrées à cette question, vous avez eu le souci constant d’élaborer un texte opérant, reposant sur des bases légales solides. Or, pour les législateurs que vous êtes, il s’agit là d’une préoccupation majeure – n’est-ce pas, monsieur Bonhomme ? –, qu’il faut saluer.
En réponse à un certain nombre d’orateurs, je le confirme : nous notifierons ce texte à la Commission européenne dès qu’il sera finalisé – c’est en effet l’une des conditions requises.
Enfin, madame la sénatrice Létard, je m’engage à nouveau à ce que ce dispositif soit élargi aux majeurs. Il faudra actionner d’autres leviers à cette fin – je pense notamment au volume. (Mme Valérie Létard le confirme.) Nous en discuterons au cours de la navette parlementaire tout en conservant l’esprit de la proposition de loi dont vous avez eu l’initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Jérôme Bignon et Mme Michèle Vullien applaudissent également.)
Mme Valérie Létard. Merci, monsieur le secrétaire d’État !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis défavorable – trois voix pour, vingt-six voix contre – à la nomination de M. Bertrand Munch aux fonctions de directeur général de l’Office national des forêts.
7
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2020 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
8
Quelle politique énergétique pour la France ? Quelle place pour EDF ?
Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, intitulé : « Quelle politique énergétique pour la France ? Quelle place pour EDF ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jérôme Bignon applaudit également.)
M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avoir un débat sur la politique énergétique de la France et sur la place de ce fleuron national qu’est EDF, c’est aborder simultanément des sujets de politique industrielle, de sécurité nationale, de transition énergétique et de protection de l’environnement. À nos yeux, la politique énergétique d’une nation constitue l’une des principales politiques publiques transversales qu’un pays doit mener. Or, depuis plus de deux ans, il est difficile d’identifier celle que porte le Gouvernement. C’est pourquoi nous avons décidé d’inscrire ce débat dans le cadre de l’espace réservé de notre groupe.
Madame la ministre, ce débat nous donnera l’occasion de vous interroger, et il vous permettra, je l’espère, de clarifier les ambitions du Gouvernement.
L’équation à résoudre est complexe. Définir une politique énergétique, c’est fixer des priorités entre différents enjeux parfois contradictoires.
Les principaux enjeux que nous avons pu identifier – je ne vous apprendrai rien à cet égard – sont les suivants : maintenir un prix raisonnable de l’énergie, en particulier de l’électricité ; tendre vers une production d’énergie la plus décarbonée possible ; viser notre indépendance énergétique ; garantir la production et l’acheminement de l’énergie en toutes circonstances ; choisir des sources de production sûres pour la population et pour l’environnement ; enfin, préserver la qualité de nos paysages.
Tous ces objectifs sont louables, mais difficilement conciliables. Vous devez faire des choix, établir une hiérarchie des priorités.
Après le premier choc pétrolier, l’indépendance énergétique, avec le nucléaire, et la maîtrise du coût pour le consommateur final ont prévalu, et ce quasiment jusqu’à aujourd’hui. L’entreprise nationale était alors le bras armé de la Nation pour mettre en œuvre cette politique. L’État lui fixait ses priorités.
Aujourd’hui, nous sentons un flottement dans la stratégie, qui se répercute sur EDF, désormais confrontée, de surcroît, à des entreprises concurrentes sur le plan international. Nous ne savons plus si EDF répond à la politique choisie par le Gouvernement ou si elle agit en entreprise indépendante, alors que l’État en détient encore 83 %.
Il est temps de définir le positionnement des représentants de l’État au sein du conseil d’administration d’EDF et de clarifier les buts visés dans les domaines suivants : quel degré de volontarisme dans la stratégie de décarbonation et quel mix énergétique ? Quel avenir pour la filière nucléaire ? Quelle politique de prix, eu égard à la compétitivité de notre économie et à la maîtrise des charges pour les consommateurs ?
Qu’il s’agisse de la décarbonation ou du choix des sources de production d’énergie, le lien entre l’État et EDF n’est pas clarifié, et les décisions successives ne reflètent pas de vision stratégique. Il faut lever les confusions en matière de mix énergétique et affirmer la position française.
Le précédent gouvernement a imposé à EDF la fermeture de la centrale de Fessenheim, contre toute logique de sûreté ou financière. Le gouvernement auquel vous appartenez a fait le choix d’éteindre les quatre centrales à charbon.
Il y a quelques semaines, le P-DG d’EDF, M. Lévy, annonçait la construction souhaitable de six nouveaux réacteurs nucléaires en France de type EPR, alors même que celui de Flamanville a déjà pris onze ans de retard et que son coût a triplé…
Le Président de la République annonçait en 2018 la fermeture de quatorze réacteurs à l’horizon de 2035, sans préciser les éventuelles nouvelles constructions. Dans le même temps, vous avez souhaité, à juste titre, développer des sources d’énergies décarbonées.
Cet enchaînement et même ces contradictions, au moins apparentes, nuisent à la compréhension pour les parlementaires que nous sommes, mais aussi pour les salariés d’EDF.
Vous avez souhaité diminuer la part du nucléaire dans le mix énergétique à hauteur de 50 % à l’horizon de 2035. Force est de constater que, pour remplacer plus de 20 % de la production par des énergies renouvelables, sans compter les hausses de consommation à venir, il faudra un engagement plus fort dans le développement des énergies solaire, éolienne, hydraulique ou encore géothermique. Cette évolution impliquera plus de moyens, plus de volontarisme et surtout plus d’acceptation de la part des citoyens. Elle doit aussi engendrer plus de mesures d’économies d’énergie.
Quand allons-nous réellement progresser en matière d’énergie renouvelable ? Notre pays a par exemple, sans doute, le meilleur « terrain de jeu » pour le développement de l’éolien en mer. Nous restons malheureusement des nains mondiaux en la matière.
En matière d’éolien terrestre, nous observons une schizophrénie bien française : on alterne entre volonté de développer une énergie propre et refus de la voir s’installer sur son territoire. Ce manque d’acceptation de la part des habitants illustre parfaitement un syndrome assez répandu : le « pas dans mon jardin », en bon français not in my backyard.
Pourtant, il faudra parfois faire des choix entre la préservation des paysages et le développement des modes de production renouvelables.
Comment dépasser certains blocages ? Peut-être en présentant le coût complet, financier et environnemental, des différentes sources d’énergie.
En outre, la production locale, voire l’autoproduction sont des thématiques qui se développent. Quel équilibre voyez-vous entre ce type de ressources et les grandes productions nationales ?
Augmenter le nombre de points de création d’énergie peut rapprocher la production des territoires, voire leur assurer une certaine autonomie, mais nécessite des compromis, notamment environnementaux.
Le deuxième positionnement que l’on pourrait attendre du Gouvernement vis-à-vis d’EDF concerne l’avenir de la filière nucléaire.
Avec cinquante-huit réacteurs, la France produisait en 2017 près des trois quarts de son électricité grâce au nucléaire. À titre de comparaison, aux États-Unis, seulement 20 % de l’électricité provient du nucléaire, contre 11,6 % en Allemagne et 4 % en Chine. Ces chiffres résultent des choix forts et ambitieux, depuis soixante-dix ans, d’une forme de stratégie gaullienne de souveraineté énergétique.
L’énergie d’origine nucléaire nous permet par ailleurs de produire peu de gaz à effet de serre. Nous estimons qu’il est important de conserver notre spécificité pour atteindre les objectifs fixés dans l’accord de Paris.
Je le disais plus tôt, les annonces en matière de nucléaire sont contradictoires et les choix du passé pèsent sur la santé d’EDF.
Aujourd’hui, le nucléaire français vacille, fragilisé par le poids de la dette et par le montant exceptionnel des investissements nécessaires pour rénover le parc et les nombreux retards de chantier : retards sur l’EPR de Flamanville et sur l’EPR finlandais, risques pesant sur les investissements et la rentabilité du projet d’Hinkley Point.
Tout cela pèse sur notre électricien, aujourd’hui endetté à près de 37 milliards d’euros – ce montant dépasse même le double si l’on y ajoute les emprunts obligataires –, soit trois fois plus qu’il y a dix ans, sans compter les investissements obligatoires, comme celui du grand carénage, qui devrait atteindre 100 milliards d’euros d’ici à 2030.
Outre la mauvaise santé financière d’EDF, dont son actionnaire ultra-majoritaire ne peut se désintéresser, vous devez forcément garder à l’esprit une préoccupation humaine et technique : il s’agit d’associer les salariés et les agents, de les motiver et de mettre en avant leurs savoir-faire.
Il faut accompagner ces changements, y compris pour préserver les connaissances technologiques nécessaires pour préparer l’avenir. Il ne faut pas non plus, pour sauver les apparences, démanteler et séparer les activités d’EDF, comme le projet Hercule pourrait le laisser penser.
Le troisième et dernier positionnement stratégique que je souhaite aborder a trait au prix de l’énergie.
À ce titre, la France est encore bien en dessous des autres pays en Europe et dans le monde, malgré une augmentation continue depuis treize ans – la hausse cumulée atteint ainsi 40 %. Ces tarifs sont l’un des rares avantages comparatifs dont bénéficient nos entreprises. La hausse des prix de gros sur les marchés de l’électricité a conduit les fournisseurs alternatifs à se reporter sur l’Arenh.
Le débat autour de cet accès régulé a eu lieu lors de l’examen du projet de loi relatif à l’énergie et au climat.
On pressent que ce modèle atteint ses limites. EDF continue d’investir et prend des risques, tandis que ses concurrents alternatifs font des choix d’opportunité entre le marché mondial et le marché protégé. Ce modèle amortit les hausses pour le consommateur final, mais ne reflète pas le véritable coût de l’électricité.
Face à la crise des « gilets jaunes » et aux demandes en matière de pouvoir d’achat, M. le Premier ministre annonçait, en décembre 2018, le gel des tarifs de l’électricité et du gaz jusqu’en mai 2019. Cette mesure n’a pas empêché une hausse en juin 2019, la plus forte depuis la libéralisation du marché en 2007, suivie d’une autre au mois d’août, due à l’augmentation des coûts de distribution.
Plusieurs questions se posent donc désormais. Quelle est la stratégie du Gouvernement en matière de prix de l’électricité ? Faut-il faire payer le prix réel au consommateur ? Allez-vous revoir le rapport entre EDF et ses concurrents, qui fait peser sur la seule entreprise historique le coût moindre de l’énergie en France ?
Madame la ministre, vous le constatez, nos questions sont nombreuses.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. Hervé Marseille. Elles relèvent autant de la stratégie industrielle que des choix environnementaux de notre nation. Je pourrais conclure en évoquant la recherche, mais, faute de temps, j’abrège mon propos.
Nous attendons beaucoup de vos réponses, car nous voulons mieux comprendre la politique menée par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat qui nous rassemble cet après-midi est au cœur de la réponse à l’urgence climatique, et le défi est de taille : changer notre production et notre consommation d’énergie, c’est changer plus de cinquante ans d’habitudes à tous les niveaux.
Relever ce défi, c’est d’abord une question de visibilité, de cap. C’est pour cela que la loi Énergie-climat nous donne un objectif clair : la neutralité carbone en 2050.
C’est donc une politique de transition énergétique que nous devons mettre en œuvre. Cela implique d’abord de sortir des énergies fossiles et de commencer par tourner la page du charbon. C’est pourquoi, avant 2022, nous allons fermer les quatre dernières centrales qui utilisent encore cette ressource.
Ces fermetures peuvent aussi être une occasion d’innover : à Cordemais, EDF mène un projet de production de biomasse à partir de déchets de bois, qui commencerait sa production en 2022. Ce dispositif alimenterait la centrale électrique de manière transitoire avant d’alimenter des réseaux de chaleur.
Nous allons également réduire la part du gaz et du pétrole. Pour ces deux énergies, la consommation baissera respectivement de 35 % et de 19 % d’ici à 2028.
Au-delà des énergies fossiles, la neutralité carbone est avant tout une affaire de sobriété énergétique. Là encore, notre cap est clair, avec un objectif intermédiaire : baisser ces consommations de 20 % d’ici à 2030.
Bien sûr, tous les secteurs sont concernés par cet effort. Toutefois, cet après-midi, je pense principalement à deux domaines, que vous connaissez bien pour en avoir longuement débattu ces derniers mois.
Le premier levier, ce sont les transports, qui représentent un tiers de nos consommations énergétiques. C’est pourquoi la loi d’orientation des mobilités nous met sur le chemin des mobilités de demain : transport ferroviaire,…
M. Fabien Gay. Avec le Perpignan-Rungis ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. … transports publics, mobilités partagées, douces et propres.
Sur les dix ans de la PPE, nous devons baisser les consommations du secteur d’environ 15 % et multiplier les nouveaux vecteurs énergétiques, l’électricité, bien sûr, mais aussi l’hydrogène.
Le second levier de la sobriété énergétique, c’est le bâtiment, qui représente près de la moitié de la consommation énergétique. Vous avez voté la fin des passoires thermiques : il nous faut maintenant la mettre en œuvre.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Tout en rénovant l’existant, nous devons veiller à minimiser la consommation énergétique des nouveaux bâtiments, car les constructions d’aujourd’hui seront debout à la fin du siècle. C’est donc dès le départ qu’il nous faut garantir les économies d’énergie. La réglementation environnementale 2020, ou RE 2020, sera l’occasion de mettre en œuvre cette nouvelle ambition.
La maîtrise des consommations énergétiques en complément de tarifs maîtrisés est un enjeu essentiel pour que la transition énergétique ne laisse aucun Français sur le bord de la route.
Une politique énergétique visant la neutralité carbone au milieu du siècle, c’est aussi la massification des énergies renouvelables.
Nous avons un rendez-vous en cours de route : 33 % d’ENR dès 2030. Tous les vecteurs énergétiques sont concernés. Il s’agit d’atteindre, en 2030, 38 % de chaleur renouvelable, 10 % de biogaz et 20 % à 40 % d’hydrogène vert. En outre, 40 % de l’électricité sera produite à base d’ENR. À ce titre, les deux filières ayant le plus fort potentiel sont connues : l’éolien et le photovoltaïque.
Ainsi, sept parcs ont été attribués à l’éolien en mer depuis 2012. Pour exploiter pleinement ce potentiel, nous visons à présent l’attribution d’un gigawatt offshore chaque année d’ici à 2024. Pour ce qui concerne le photovoltaïque, notre objectif est de multiplier par cinq la puissance installée d’ici à 2028 pour atteindre plus de 36 gigawatts.
Parce que les objectifs demandent aussi des moyens, au total, sur la décennie, 30 milliards d’euros seront mobilisés pour le développement des ENR électriques. Cette politique volontariste s’accompagne d’un objectif de diversification du mix électrique : nous allons réduire la part du nucléaire à 50 % à l’horizon de 2035.
Je suis convaincue que cette diversification des sources rendra notre système plus résilient ; dans cette politique énergétique vers la neutralité carbone, EDF a tous les atouts.
J’ai mentionné la baisse de la part du nucléaire en 2035. Pour EDF, cela signifie concrètement fermer quatorze réacteurs. Il s’agit d’une transition majeure, que nous allons accompagner, pour les salariés, les territoires et l’entreprise. La fermeture des deux réacteurs de Fessenheim dès l’année prochaine sera l’occasion de le démontrer.
Au-delà, quels que soient les choix du mix énergétique de la France pour le milieu du siècle, EDF sera l’une des clés de voûte.
EDF sera tout d’abord présente à travers les réseaux. Ces éléments centraux de notre système électrique nécessiteront des adaptations et des investissements importants dans les prochaines années, avec une production plus décentralisée, raccordée sur les réseaux de distribution ou les nouveaux parcs d’éolien offshore sur le réseau de transport ; avec les nouveaux usages, tels que la mobilité électrique ; avec une flexibilité plus importante des moyens de production et de consommation. Enedis et RTE joueront donc un rôle central pour accompagner la transition de notre système électrique.
S’agissant du mix énergétique, notre approche doit être raisonnée. Il faudra étudier tous les scénarios, en détailler les avantages et les inconvénients pour prendre une décision éclairée. En effet, cette transition énergétique pose des questions qui engagent notre pays tout entier. Peut-on avoir un système 100 % renouvelable, et à quel coût ? Dans quelles conditions la filière nucléaire pourrait-elle déployer un nouveau programme ? Et que ferons-nous des déchets ?
Si le choix se porte sur un nouveau programme nucléaire, EDF sera évidemment au premier plan. Elle devra être le fer de lance de la filière. Si l’on choisit de se tourner davantage vers l’énergie renouvelable, EDF est déjà au rendez-vous. Parmi ses projets, on compte quatre des sept parcs éoliens en mer et 30 gigawatts de photovoltaïque annoncés d’ici à 2035.
Mesdames, messieurs les sénateurs, oui, la transition énergétique de la France est un défi ; mais ce défi, nous allons le relever avec les acteurs historiques de l’énergie en France. Je suis convaincue qu’EDF en a les moyens et qu’ensemble nous y arriverons ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – Mme Françoise Cartron et M. Jérôme Bignon applaudissent également.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Denise Saint-Pé.
Mme Denise Saint-Pé. Madame la ministre, permettez-moi d’appeler votre attention sur un sujet important ayant trait à l’hydroélectricité, plus précisément sur le renouvellement des concessions nationales.
Ainsi, le département des Pyrénées-Atlantiques est concerné par le renouvellement des trois concessions hydroélectriques de la vallée d’Ossau, située en Béarn, près de Pau. Ces délégations de service public de l’État sont arrivées à leur terme le 31 décembre 2012. Depuis, elles n’ont pas été renouvelées. S’ensuit une situation juridique instable de délais glissants, prorogeant de fait les concessions aux conditions antérieures.
Cette situation est de nature à porter préjudice aux collectivités territoriales du département, notamment aux communes, à l’intercommunalité et au conseil départemental. En effet, en cas de renouvellement de la concession, ces collectivités percevraient une redevance annuelle, conformément au code de l’énergie.
Comme vous le savez, la carence de l’État en la matière est susceptible d’engager sa responsabilité, tant en droit interne que du point de vue du droit européen. L’État risque également de devoir acquitter des indemnités importantes, compte tenu des dépassements de délais constatés.
Désormais, il est donc plus qu’urgent que l’État engage les démarches visant à mettre fin à la situation actuelle, non conforme au droit, de prorogation tacite des concessions. Pour ce faire, plusieurs solutions existent. Elles vont du lancement d’une nouvelle procédure de délégation de service public en vue de renouveler les concessions à la prorogation des concessions sous conditions de travaux – il s’agirait là d’une méthode encore plus rapide pour basculer vers un régime de redevance.
Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la formule que l’État retiendra, le traitement rapide de cette situation s’impose.
Mme la présidente. Il faut conclure, chère collègue !
Mme Denise Saint-Pé. Qu’envisage de faire l’État sur ce sujet : se mettre en phase avec le droit européen ou maintenir une situation juridiquement insoutenable…
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !
Mme Denise Saint-Pé. … et très dangereuse pour les finances publiques ?
Mme la présidente. Chère collègue, je vous rappelle que vous disposez de deux minutes.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Le Gouvernement soutient pleinement l’hydroélectricité : c’est une énergie flexible et compétitive. En outre, les ouvrages d’hydroélectricité présentent des enjeux majeurs, qu’ils soient sociaux, économiques, d’aménagement du territoire, de sûreté ou de partage de la ressource en eau.
À la suite des deux mises en demeure formulées par la Commission européenne, en octobre 2015 au plan concurrentiel et en mars 2019 quant au respect des droits des concessions, de nombreux échanges ont lieu pour sortir du statu quo. J’ai moi-même eu l’occasion d’aborder ces questions avec la commissaire Vestager dès la mise en place de la nouvelle Commission.
Ces échanges n’ont pas abouti à une solution satisfaisant les deux parties. Le droit communautaire ne permet pas d’envisager l’option que vous présentez, madame la sénatrice, de prolongation des contrats de concession contre travaux.
À côté de l’option de mise en concurrence, le Gouvernement explore actuellement avec la Commission européenne une nouvelle voie permise par le droit des concessions : une quasi-régie permettant d’octroyer sans mise en concurrence des concessions à une structure publique dédiée. Naturellement, aucune décision n’est prise à ce stade : les discussions se poursuivent avec la Commission européenne.
Le renouvellement des concessions, par le biais d’une mise en concurrence ou via une structure publique dédiée, est une politique que nous souhaitons mener pour optimiser la gestion de nos barrages et y relancer l’investissement, tout en redistribuant des ressources financières vers les territoires par de nouvelles redevances.
En attendant qu’une solution structurelle soit mise en œuvre, nous avons mis en place en juin 2019 une redevance sur les concessions en délais glissants. Cette dernière, égale à 40 % du résultat des concessions échues, est reversée aux collectivités. Elle peut donc répondre aux difficultés financières que vous évoquez.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. L’accès régulé à l’électricité nucléaire historique est votre souci actuellement, madame la ministre, car il faut définir de nouvelles règles. Or, ce qui est parfaitement contestable, c’est le caractère historique : le nucléaire est un produit d’avenir, qui présente de forts besoins d’investissement. C’est vrai pour le grand carénage, c’est vrai pour les nouveaux EPR, et nous souhaitons profondément que des moyens financiers soient déployés pour développer, non seulement les RNR, mais aussi les SMR, c’est-à-dire les petits réacteurs modulaires.
Quelle orientation suivez-vous, au moment où vous devez négocier à Bruxelles un dispositif qui doit tenir compte des besoins à venir du nucléaire français ?
Notre parc nucléaire est certes un atout historique, mais il exige également des investissements forts. On ne peut pas indéfiniment condamner EDF à subventionner ses concurrents, qui, eux, ne participent en rien à l’effort de modernisation et de développement du nucléaire. Bref, quel est votre calendrier et quelle est votre orientation ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Hervé Marseille et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. La discussion engagée avec la Commission européenne porte bien sur la régulation du nucléaire historique. D’ailleurs, pour un nouveau projet de production d’électricité, qu’il soit nucléaire ou renouvelable, il n’y a pas de discussion particulière à mener avec la Commission européenne pour avoir des tarifs régulés. Ainsi, au Royaume-Uni, le projet Hinkley Point est bien assorti d’un tarif d’achat. De même, quand on développe un parc éolien ou certains grands parcs photovoltaïques, on peut disposer d’un tarif de rachat et donc d’un prix régulé.
Pour le parc de production existant, un prix régulé a été décidé en 2012. Je le rappelle, ce montant a été fixé à partir des travaux de la commission Champsaur, en ajoutant une marge. Les coûts d’exploitation du parc nucléaire n’ayant pas fondamentalement évolué depuis, on peut supposer que ce prix permet de couvrir les coûts d’exploitation.
Il s’agit effectivement d’une discussion très importante, non seulement pour donner de la visibilité à l’entreprise quant à l’entretien de son parc, mais aussi pour protéger le consommateur français, qui assume cet investissement en faveur du nucléaire historique.
À l’échelle européenne, les fluctuations tarifaires peuvent être liées au prix du carbone ou encore aux crises que connaissent les pays producteurs de pétrole. C’est dans cet esprit que nous poursuivons nos discussions avec la Commission, pour sécuriser dans la durée la régulation du nucléaire historique.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.
M. Gérard Longuet. L’énergie nucléaire, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, a été supportée par les Français à un moment où l’énergie fossile était bien meilleur marché. Grâce à l’effort que nous, consommateurs, avons alors consenti, la France a développé un savoir-faire, une industrie, une technologie. Il faudrait que Mme Vestager accepte une bonne fois pour toutes que le droit de la concurrence ne doit pas priver l’Europe d’atouts industriels majeurs, à l’instar du nucléaire d’EDF. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Jérôme Bignon, Jean-Michel Houllegatte et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Alors que l’horloge climatique accélère, il nous faut penser la politique énergétique de la France et de l’Union européenne à l’aune du défi climatique. Pour ce faire, il faut commencer par éviter la mort cérébrale de l’Europe de l’énergie, qui doit articuler sécurité énergétique et priorité climatique.
En France, nous devons relever l’ambition de nos politiques publiques et changer de braquet, à toutes les échelles. Il s’agit d’un véritable effort de guerre ! Efficacité énergétique, énergies vertes, rénovation thermique des bâtiments, absorption du carbone : dans tous ces domaines, les mesures incitatives doivent avoir plus d’ampleur et plus de stabilité.
Pour investir dans des projets, les investisseurs doivent d’abord savoir ce qui est « vert » et ce qui ne l’est pas. La taxonomie peut, en apportant la clarté nécessaire, permettre de lutter contre l’éco-blanchiment. Madame la ministre, le nucléaire, énergie décarbonée, doit-il être maintenu dans la taxonomie européenne ? Si personne aujourd’hui ne demande la sortie immédiate du nucléaire, des interrogations se font jour, nombreuses, au sujet du nouveau nucléaire, dont la rationalité économique est contestée.
Par ailleurs, la mise en concurrence des concessions hydroélectriques conduira à la désoptimisation de la production de ces outils. Madame la ministre, vous avez indiqué en commission vouloir trouver un chemin pour éviter cette hérésie : où en est-on ?
Enfin, la stratégie industrielle en faveur de la transition ne doit pas se construire façon puzzle. Ainsi, à EDF, nous avons besoin d’un projet industriel, et non d’un projet de scission de type Hercule. Chez Engie, confirmez-vous que l’État valide l’orientation du conseil d’administration consistant à vendre les infrastructures gazières, qui pourtant participent à notre souveraineté énergétique ? Est-ce là défendre l’intérêt de la Nation ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Parler de mort cérébrale de l’Europe serait quelque peu exagéré… Nous avons des objectifs et un cadre actualisé l’année dernière ; des législations ont été adoptées en 2018 et 2019, et des réformes fortes ont été menées, comme celle de l’ETS ; la coopération se renforce, et nous avons adopté également un paquet Mobilité. L’enjeu est de faire fonctionner ce cadre, tout en travaillant au renforcement de notre ambition climatique, en dégageant les moyens nécessaires et en veillant à l’équilibre de nos politiques, au regard de leurs effets en matière d’emploi, de compétitivité et de justice sociale.
Tel est le sens des discussions que nous allons mener avec la nouvelle Commission européenne sur le rehaussement de notre ambition. Aujourd’hui même, la Commission européenne a présenté son projet de Green Deal : elle propose de nombreux outils, notamment pour renforcer le mécanisme ETS. Nous plaidons pour la fixation d’un prix minimal du carbone à l’échelle européenne et pour la mise en place d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, pour que nos industriels, qui paient un prix du carbone appelé à augmenter, ne soient pas pénalisés par rapport aux industriels de pays moins engagés dans la lutte contre le dérèglement climatique.
S’agissant de la taxonomie, les discussions sont en cours ; elles ont été abordées aujourd’hui et le seront de nouveau la semaine prochaine. C’est un sujet qui fait beaucoup débat en Europe. Je pense qu’une position s’esquisse consistant à considérer le nucléaire comme l’une des énergies de transition : tel devrait être le résultat des discussions en cours.
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, pour la réplique.
M. Roland Courteau. J’aurais bien aimé, madame la ministre, vous entendre sur le projet Hercule et la décision du conseil d’administration d’Engie de vendre certaines infrastructures gazières. L’État doit veiller à ne pas tout chambouler et ne jamais oublier d’articuler la priorité climatique avec les impératifs de sécurité énergétique, d’ambition sociale et de qualité du service public.
Par ailleurs, il faudrait dissuader les banques de continuer à financer le charbon. Aujourd’hui, 70 % de leurs financements énergétiques vont encore aux énergies fossiles ! Les épargnants aimeraient savoir où leur épargne est investie.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Première source d’énergie renouvelable en France, l’hydroélectricité représente près de 12 % de notre production électrique.
Sur mon territoire, EDF gère quatre grands barrages et huit centrales, sources de fortes retombées sociales et économiques et puissant facteur de développement pour le département. Pas plus tard que vendredi dernier, j’ai rencontré les acteurs d’EDF Hydro Val d’Azun : nous avons fait le bilan des investissements qui contribuent à optimiser les infrastructures et, partant, nous permettent d’envisager l’avenir de manière positive.
Un des principaux défis auxquels nous devons répondre est l’augmentation de la flexibilité de notre système électrique pour mieux répondre aux pics de consommation. Une technologie le permet : les stations de transfert d’énergie par pompage. Or, actuellement, nous n’en avons aucune dans les Pyrénées, même si un projet est à l’étude sur le site d’Orlu, en Ariège.
Madame la ministre, dans le cadre de la mise en œuvre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui devrait être arrêtée au début de l’année prochaine, que prévoit-on pour développer les STEP, en particulier dans les Pyrénées ? Il faut espérer que le contexte de renouvellement des concessions et de mise en concurrence dont a parlé Denise Saint-Pé ne freinera pas les investissements.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Le Gouvernement, je le répète, soutient pleinement la production d’hydroélectricité, notre première source de production d’électricité renouvelable. Elle est importante à la fois pour le système électrique national, pour l’atteinte de nos objectifs d’énergies renouvelables et pour le développement économique local. Le maintien et le développement de cette ressource dans le respect des enjeux environnementaux sont indispensables pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques ambitieux que nous nous sommes fixés.
Si la production hydroélectrique peut connaître des fluctuations d’une année à l’autre en fonction de l’hydraulicité, la puissance installée en France métropolitaine continue de progresser ; elle est actuellement de 25,5 gigawatts. Le potentiel restant est limité par le taux d’équipement, déjà élevé, et par les enjeux de protection de l’environnement, mais il existe encore une marge de progression et d’optimisation du parc. Dans ce cadre, le Gouvernement soutient la réalisation de nouveaux investissements pour développer l’hydroélectricité, dans le respect, naturellement, des objectifs de bon état de la ressource en eau et de reconquête de la biodiversité.
À la faveur du projet de révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie, le potentiel technique restant a été évalué et des objectifs ont été fixés pour la filière : nous visons de 26,4 à 26,7 gigawatts de puissance installée en 2028. Il est prévu que cet objectif soit atteint, essentiellement, par des optimisations ou des équipements complémentaires sur les barrages existants et, dans une moindre mesure, par quelques nouveaux sites, de puissance limitée et dont le développement serait compatible avec les objectifs de biodiversité.
Le projet de PPE identifie également un objectif de développement des stations de transfert d’énergie par pompage, les STEP. Nous prévoyons d’engager, d’ici à 2023, des projets de stockage sous forme de STEP en vue d’un accroissement de la capacité de 1 à 2 gigawatts entre 2025 et 2030.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour la réplique.
Mme Maryse Carrère. Madame la ministre, je vous remercie beaucoup pour votre réponse. Si nous voulons réussir la transition énergétique et remplir les objectifs ambitieux fixés par la loi, il nous faudra développer ces équipements, donner un nouvel élan à l’énergie hydroélectrique. À cet égard, je ne puis que regretter que, parfois, il soit difficile de concilier l’aménagement et la création de nouvelles unités hydroélectriques avec des contraintes environnementales aujourd’hui trop complexes. Je compte sur vous pour faciliter ces investissements d’avenir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Madame la ministre, vous avez annoncé, le mois dernier, qu’une réflexion était en cours avec l’Agence internationale de l’énergie sur l’élaboration d’un scénario « 100 % renouvelable ». Cette démarche est un signe fort de l’ambition écologique du Gouvernement : elle montre que l’inscription dans la loi Énergie-climat d’objectifs tels que la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité ne saurait constituer une fin en soi ni empêcher toute réflexion sur la généralisation des énergies renouvelables.
Vous avez expliqué que l’arbitrage entre le « 100 % renouvelable » et la construction de nouvelles centrales nucléaires pourrait être précisé à partir de 2021. À ce stade, pouvez-vous nous renseigner sur les éléments qui seront déterminants dans cet arbitrage ? En particulier, la mise en service de l’EPR de Flamanville constituera-t-elle un facteur essentiel dans la prise de décision ?
En outre, comment le groupe EDF pourrait-il être associé, le cas échéant, à la définition et à la mise en œuvre du « 100 % renouvelable », plus particulièrement dans le cadre du projet de réorganisation Hercule et de la filiale EDF Vert dont la création pourrait en résulter ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Peut-être est-ce passé quelque peu inaperçu, mais, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, en débat depuis un certain temps, il est prévu d’étudier toutes les options et tous les scénarios, depuis la construction de nouveaux réacteurs nucléaires jusqu’à la poursuite d’un mix 100 % renouvelable.
Plusieurs sujets sont actuellement à l’étude, qui nourriront la prise de décision du Gouvernement. Je pense en particulier aux coûts du nouveau modèle de réacteur proposé par EDF, l’EPR 2, et à la compétitivité de celui-ci par rapport à d’autres technologies de production bas-carbone. Je pense aussi à la capacité de la filière nucléaire à relever, sur les plans de la qualité industrielle et de la maîtrise des délais, le défi que représenterait la relance de la construction de réacteurs dans des délais et des coûts impartis, aux modalités de gestion des déchets produits par un nouveau parc, si la construction en était décidée, et aux conditions de financement d’un tel programme de construction. Bien sûr, je pense aussi, a contrario, à la faisabilité technique et économique d’un système électrique fondé à 100 % sur des énergies renouvelables.
S’agissant de ce dernier scénario, nous avons, il est vrai, lancé une étude avec l’Agence internationale de l’énergie et RTE. Ce travail nous permettra de comparer plusieurs options de mix électrique dans tous leurs aspects : faisabilité, sécurité d’approvisionnement, coûts, impacts industriels, prérequis nécessaires. Si nous avons demandé à disposer de ces éléments pour la mi-2021, la décision sur le lancement d’un nouveau programme nucléaire n’interviendra qu’après la mise en service de l’EPR de Flamanville.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la ministre, je vous poserai simplement cette double question : pour vous, qu’est-ce qu’une entreprise publique, et une entreprise publique peut-elle être compétitive par rapport au secteur privé pour relever un défi d’avenir comme la transition énergétique ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je ne sais pas, monsieur le sénateur, si vous souhaitez une dissertation sur ce thème. (Sourires.)
M. Fabien Gay. C’est bien que nous fassions un peu de politique !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je réaffirme tout l’attachement du Gouvernement à EDF, à laquelle, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, il est demandé de jouer un rôle central dans la transition écologique du pays : d’une part, en poursuivant l’exploitation du parc nucléaire existant jusqu’à cinquante ans et, d’autre part, en développant massivement les énergies renouvelables, le stockage et les réseaux intelligents.
Dans ce contexte, nous avons demandé au président d’EDF de nous faire des propositions d’évolution de l’organisation du groupe pour répondre au mieux à ces enjeux. C’est un sujet sur lequel l’entreprise travaille et qui, naturellement, doit faire l’objet de concertations avec les partenaires sociaux.
La priorité du Gouvernement est que l’entreprise dispose de capacités d’investissement accrues pour participer pleinement à la transition énergétique dans ses différentes composantes – nucléaire, réseaux, énergies renouvelables, services énergétiques. C’est dans ce cadre que la réflexion est engagée sur la meilleure organisation pour le groupe EDF intégré, afin de lui permettre d’être la clé de voûte de notre système énergétique de demain.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.
M. Fabien Gay. Il me reste deux minutes et onze secondes pour répliquer : presque le temps de faire une dissertation. (Sourires.)
Madame la ministre, je pense que, parfois, dans une assemblée politique comme l’est la nôtre – je le répète souvent –, il est bon que nous ayons des débats politiques. De fait, avec la politique énergétique et la place d’EDF, nous sommes devant un débat de fond.
Car EDF n’est pas n’importe quelle entreprise : c’est une entreprise publique de 165 000 salariés disposant, que ça vous plaise ou non, d’un statut protecteur, un statut qui garantit, pour les salariés mais aussi pour les consommatrices et les consommateurs, un haut niveau de sécurité. Cette entreprise, elle appartient à chaque Française et chaque Français, parce qu’elle est la possession de l’État. Bien plus, après que les gouvernements successifs ont bradé l’ensemble des entreprises publiques, EDF pèse aujourd’hui 50 % du portefeuille de l’Agence des participations de l’État !
Or le projet que vous préparez, c’est la privatisation et le démantèlement. Nous avons déjà vécu la dérégulation, la déréglementation. Pour Engie, vous avez fini le travail avec la loi Pacte. Aujourd’hui, vous continuez à biberonner des acteurs alternatifs qui n’ont pas investi un seul euro dans le nucléaire, avec le système absurde de l’Arenh. Et voilà que vous préparez la scission de l’entreprise, pour nationaliser les pertes – le nucléaire – et privatiser les profits de demain – l’énergie verte !
Quand ce projet Hercule sera-t-il débattu au Parlement ? Si vous voulez démanteler EDF, si vous voulez privatiser – parce que tel est votre projet, celui que vous avez déjà mis en œuvre pour Engie, même s’il vous a fallu quinze ans pour finir le travail –, il faudra bien en passer par le Parlement !
Pour ma part, je ne crois pas que le privé soit meilleur que le public pour relever des défis d’humanité : sortir 12 millions de personnes de la précarité énergétique…
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. Fabien Gay. … et réaliser la transition énergétique. La supériorité du privé n’a jamais été prouvée ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Roland Courteau et Franck Montaugé applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon. Je soulèverai trois points au sujet de l’hydroélectricité, dont deux ont déjà été abordés.
À propos des divergences fortes opposant la France à la Commission européenne sur les barrages et les concessions, vous avez indiqué, madame la ministre, qu’une solution alternative pourrait être trouvée à travers la mise en place de structures publiques dédiées : pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette solution et son calendrier ? Si vous manquez de temps, je propose que vous preniez sur le temps de ma réplique pour répondre sur ce point.
S’agissant des STEP, dont vous avez souligné l’intérêt, quelles sont les opportunités de les développer, et sous quelle forme ? Vous avez parlé de 2023, mais j’aimerais que vous soyez un peu plus précise : y aurait-il plusieurs projets, et quels sont les problèmes environnementaux qui se posent ?
En ce qui concerne l’énergie marémotrice, vous savez quel intérêt la région des Hauts-de-France porte à cette solution. Mme Wargon, que nous avions interpellée à ce sujet dans un précédent débat, nous avait répondu qu’on y travaillerait. Où en sont les travaux promis sur cette question ? Notre région est envahie, à proprement parler, par les éoliennes : nous aimerions trouver des énergies complémentaires, pour éviter que les Hauts-de-France ne soient plus qu’un gigantesque champ éolien.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous soulevez beaucoup de sujets.
Je répète que le Gouvernement est très attaché à l’hydroélectricité, actuellement notre première source de production d’électricité renouvelable ; elle joue un rôle très important pour l’équilibre d’ensemble de notre système électrique.
La question du renouvellement des concessions est posée depuis un certain temps. Nous entretenons avec la Commission européenne des échanges nourris, qui se traduisent même par des mises en demeure sur ces sujets… Nous explorons une autre voie, que je ne pourrai pas détailler à cet instant, mais qui repose sur des structures 100 % publiques dédiées permettant d’éviter la mise en concurrence dans le cadre de la directive Concessions.
S’agissant des énergies marines, je suis vraiment très confiante sur le potentiel de ces énergies en général. Elles peuvent être un facteur de succès majeur pour la transition énergétique. De fait, le gisement est tout à fait considérable, et il est assez paradoxal, compte tenu de notre façade maritime, de constater la faible part que les énergies marines représentent, aujourd’hui encore, dans notre production d’énergie renouvelable.
Aujourd’hui, nous privilégions le développement de l’éolien offshore pour tirer parti du potentiel des énergies marines. J’ai déjà mentionné notre souhait que de nouveaux projets soient engagés pour 1 gigawatt par an d’ici à 2024. Les autres énergies renouvelables en mer, en particulier l’énergie marémotrice, sont à un stade de développement moins avancé. Il est vrai que l’usine marémotrice de la Rance est une source historique, mais elle ne repose pas sur une technologie qui nous paraisse, à ce stade, pouvoir être généralisée.
Nous souhaitons donc tirer parti du potentiel des énergies marines en mettant l’accent sur la technologie de l’éolien offshore, posé mais surtout flottant – dans ce dernier domaine, nous souhaitons même que notre pays prenne un leadership.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour la réplique.
M. Jérôme Bignon. Je vous remercie, madame la ministre, pour ces réponses, même si vous n’avez pas pu préciser vos propos précédents sur les STEP.
L’éolien en mer, oui, mais il n’est pas interdit de penser aussi à l’énergie marémotrice. Chaque fois qu’on évoque le sujet, on nous oppose la centrale de la Rance – une expérience qui, quoiqu’intéressante, n’a pas fait ses preuves, compte tenu de ses inconvénients environnementaux. Le projet auquel nous pensons dans les Hauts-de-France n’est pas situé dans un estuaire : il s’agirait de construire une gigantesque digue en mer, présentant d’autres avantages.
Des acteurs économiques ont un modèle adapté à ce projet. La seule chose que nous demandons, dans les Hauts-de-France, c’est de pouvoir en discuter. Madame la ministre, organisons une réunion de travail informelle sur le sujet !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche.
M. Jean-Claude Luche. Le 17 octobre dernier, à Truel, commune du département de l’Aveyron, les salariés d’EDF manifestaient. Leur inquiétude ne portait pas encore sur le régime de retraite, mais sur l’avenir de leur métier et, plus largement, de l’entreprise historique EDF.
Premier département français en énergie renouvelable, l’Aveyron produit essentiellement de l’énergie hydroélectrique, grâce à ses dix-sept barrages et seize centrales. L’énergie hydroélectrique, considérée comme une énergie renouvelable, assure une production importante d’électricité, à un prix relativement faible pour nos populations. Pourtant, l’arrivée à échéance des concessions et le souhait de Bruxelles de les voir mises en concurrence inquiètent EDF et ses salariés, mais aussi les collectivités territoriales.
Dans cette période d’incertitude, EDF continue à investir, mais, à mon avis, de façon trop mesurée. Cette menace de mise en concurrence et de perte des concessions se traduit par un manque à gagner pour EDF, par des investissements français qui risquent d’être perdus, et pour les collectivités territoriales, y compris le département, par des pertes d’IFER, de CVAE et de redevances.
Nous sommes, sur le territoire, très attachés à EDF, car c’est bien l’entreprise nationale, donc le contribuable français, qui, après avoir financé ces installations et régulièrement investi, tire aujourd’hui le fruit de cette production. Notre département et sa population ont tout à gagner à poursuivre la production d’hydroélectricité avec EDF.
Madame la ministre, quelle est votre stratégie pour l’énergie hydraulique française ? Pouvez-vous nous fournir des précisions sur les échéances passées et à venir ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je réaffirme le soutien du Gouvernement à l’hydroélectricité, une énergie indispensable à notre système électrique, à l’atteinte de nos objectifs de développement des énergies renouvelables et au développement économique de nos territoires.
Aujourd’hui, le droit français prévoit, en conformité avec le droit européen, que les concessions hydrauliques échues doivent être renouvelées par mise en concurrence. Plusieurs concessions hydroélectriques sont déjà arrivées à échéance depuis la fin de 2011, sans que la procédure concurrentielle soit engagée. Compte tenu des enjeux sociaux, économiques et écologiques liés à l’hydroélectricité, les gouvernements successifs se sont, disons, donné le temps de réfléchir au renouvellement des concessions avec l’ensemble des acteurs.
Des dispositions ont d’ores et déjà été prises dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte. Par exemple, les collectivités territoriales peuvent être associées à une concession dans le cadre d’une société d’économie mixte hydroélectrique. Il est également possible de regrouper des concessions hydrauliquement liées pour faciliter leur exploitation et favoriser la sûreté. Des prolongations de concession sont aussi possibles contre travaux, dans le respect de la directive Concessions.
La Commission européenne, constatant le retard pris, a engagé différentes procédures contentieuses vis-à-vis de la France. Nous faisons valoir que notre situation est pour ainsi dire unique en Europe, dans la mesure où le statut retenu dans notre pays pour développer l’hydroélectricité est celui de la concession, alors que, dans les autres pays, des opérateurs importants sont propriétaires des installations hydroélectriques.
Nous poursuivons les discussions avec la Commission européenne en vue de faire reconnaître le caractère atypique de notre situation et de trouver une solution, par exemple celle d’un opérateur contrôlé à 100 % par l’État, auquel les concessions pourraient être attribuées sans mise en concurrence.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. La COP25 sera close dans deux jours, nous venons de voter le budget et on attend toujours la publication de la prochaine PPE : c’est donc le bon moment pour parler de politique énergétique.
Comme les précédents orateurs l’ont rappelé, EDF occupe une place particulière au sein de la politique énergétique de la France. Pour ma part, je m’attarderai sur une dimension commune à l’ensemble des enjeux énergétiques – rénovation des bâtiments, diversification de notre mix, développement des énergies renouvelables, réduction de nos consommations – : je veux parler de la question du financement.
Nous avons connu le fiasco de l’écotaxe : un vote quasi unanime du Parlement, des atermoiements du gouvernement de l’époque, puis une révolte sociale, dite des bonnets rouges ; enfin, l’abandon en rase campagne d’un projet pourtant légitime.
Après l’écotaxe, nous avons eu la taxe carbone. Le principe se conçoit très bien : il s’agit de fixer un signal-prix pour orienter les comportements. Le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, porte une lourde responsabilité dans la casse de cet outil, qui s’est révélé être un cheval de Troie masquant, d’ailleurs mal, une priorité de rendement.
Résultat : faute de marges de manœuvre pour financer notre politique énergétique, nous perdons du temps dans la lutte contre le réchauffement climatique. Quels leviers de financement, publics et privés, comptez-vous mettre en œuvre, étant entendu que, dans les circonstances actuelles, une hausse de la fiscalité carbone paraît irréaliste ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. L’atteinte de nos objectifs de long terme, en particulier la neutralité carbone, comme de moyen terme – à l’horizon de 2030 – suppose une augmentation de nos investissements dans le climat. Selon un récent rapport d’I4CE, nos dépenses en la matière s’élèvent à 45 milliards d’euros par an, alors que, sur la première période de la SNBC, soit 2019-2023, il faudrait 15 milliards à 18 milliards d’euros de plus et 35 milliards à 40 milliards d’euros sur la seconde – ce qui équivaut à un quasi-doublement.
Pour dégager ces ressources, il faut s’appuyer à la fois sur des financements publics et sur des financements privés.
S’agissant des financements publics, nous avons considéré qu’il était important de donner davantage de lisibilité aux financements mobilisés en faveur du climat. C’est le sens de la démarche de green budgeting, qui permet de mesurer les actions engagées en faveur du climat. Nous souhaitons continuer de progresser dans cette voie dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.
En 2020, 3,5 milliards d’euros d’aides seront allouées à l’efficacité énergétique. Le budget consacré aux C2E, qui sont aussi un levier très important dans ce domaine, est de l’ordre de 4 milliards d’euros. Ce montant permet d’agir dans des domaines très variés, des coups de pouce chauffage ou isolation aux C2E pour les entreprises, y compris, désormais, pour celles du secteur ETS.
S’agissant de la mobilité propre, 800 millions d’euros sont prévus en 2020 pour la prime à la conversion et le bonus pour les véhicules électriques, dont le budget augmente de plus de 50 %.
Je pourrais également indiquer que les dépenses pour les énergies renouvelables passeront de 5 milliards à 8 milliards d’euros par an, dans l’objectif, naturellement, que ces coûts puissent baisser.
Je terminerai en disant un mot de la finance privée, qui doit aussi se mobiliser pour la lutte contre le changement climatique. À cet égard, on peut noter que les obligations vertes sont passées de 7 milliards d’euros en 2017 à 20 milliards d’euros en 2019. Nous développons des labels « finance verte »…
Mme la présidente. Je vous invite à conclure, madame la ministre !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Enfin, sur ce sujet, la Commission européenne aura également l’occasion de faire des avancées.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Nous partageons la volonté de décarboner notre économie, madame la ministre. Pour ce faire, il faut d’abord changer de modèle, ce qui suppose de mener un travail collectif avec tous les acteurs sous l’autorité de l’État, mais pas seulement.
Vous venez d’évoquer les obligations vertes, mais il faut aller beaucoup plus loin. Le Gouvernement doit commencer par baisser la fiscalité, dont le niveau est aujourd’hui insupportable. Notre pays étant lourdement endetté, nous devons faire confiance aux entreprises en leur montrant le chemin, en les aidant et en les accompagnant. Seules de nouvelles pratiques nous permettront de verdir notre économie tout en baissant la fiscalité.
C’est le chemin que je vous invite, que je nous invite à emprunter pour réussir demain à financer la décarbonation de notre économie. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. EDF a trois défis majeurs à relever : le défi de la transition énergétique dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone et des objectifs de développement des énergies renouvelables ; le défi financier posé par sa dette, les besoins de financement des investissements et le maintien injustifié de l’Arenh ; le défi de la souveraineté énergétique nationale, l’État et les collectivités territoriales devant garder la totale maîtrise de la gestion de ce bien premier et stratégique qu’est l’électricité.
Pour répondre à ces objectifs dans l’intérêt général de la Nation, deux conceptions s’opposent : celle du Gouvernement, exprimée dès mars 2016 à l’Assemblée nationale par le Président de la République, qui était alors ministre de l’économie, à savoir la scission des composantes du groupe, du démantèlement – c’est le mot qu’il a employé lui-même ce jour-là –, à l’instar de ce qui s’est passé et se passe encore pour Engie, ex-Gaz de France ; l’autre conception est celle de ceux qui pensent comme moi que l’intégration actuelle du groupe EDF est un atout majeur et qu’elle doit être confortée, non par dogme, mais par souci d’efficacité à long terme pour une industrie de réseaux par nature très capitalistique, dans l’intérêt premier des clients et des collectivités locales, qui doutent et craignent la remise en question du régime des concessions et des principes qui ont fait preuve de leur efficience, comme celui de la péréquation tarifaire.
Madame la ministre, dans ce contexte flou, anxiogène pour les personnels concernés, attisé en particulier par l’hypothèse que vous avez exprimée d’un mix électrique à 100 % de ressources renouvelables, pouvez-vous préciser l’épure et la justification par le Gouvernement du projet Hercule que vous avez soumis au président d’EDF ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. N’inversons pas les rôles : ce n’est pas le Gouvernement qui propose des projets de réorganisation d’EDF. Le Gouvernement pose un cadre pour la politique énergétique – il me semble que c’est son rôle –, et il souhaite qu’EDF trouve la meilleure organisation, dans le cadre d’une entreprise intégrée, pour relever les défis de la transition énergétique, qui sont au cœur de la transition écologique que nous devons mener.
M. Roland Courteau. Ce n’est pas ce que nous a dit M. Lévy !
M. Fabien Gay. Et l’État actionnaire ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Permettez-moi de réaffirmer l’attachement fort du Gouvernement au rôle central d’EDF dans ce défi de la transition énergétique. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, il est demandé à EDF à la fois de poursuivre l’exploitation du parc nucléaire existant jusqu’à cinquante ans et de participer à un développement massif des énergies renouvelables.
Je pense qu’EDF répond bien à ces différents défis, notamment en étant présent dans quatre des sept parcs éoliens offshore qui ont été attribués jusqu’à présent.
EDF est aussi l’acteur central de la transition énergétique au travers des réseaux électriques Enedis et RTE, qui auront un rôle de plus en plus important à jouer dans ce cadre.
Notre préoccupation est qu’EDF ait bien les moyens de participer à ces investissements sans précédent pour la transition énergétique et que l’on trouve la meilleure organisation tout en maintenant une régulation des prix du nucléaire historique, parce qu’une telle régulation apporte de la sécurité à l’entreprise comme aux consommateurs français.
L’organisation qui sera proposée devra répondre à tous ces défis.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Toutefois, lors de son audition, M. Lévy a tenu des propos sensiblement différents des vôtres.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Franck Montaugé. Permettez-moi de souligner l’enjeu majeur que constitue pour nous la maîtrise totale des réseaux. Après vous avoir entendue, on ne sait toujours pas comment Enedis pourrait rester totalement publique, par exemple en étant intégrée dans l’entité EDF Vert, dont le capital sera ou serait privatisé.
Le regroupement d’Enedis et de RTE dans une entité réseau 100 % publique me paraîtrait pertinent. L’énergie est un bien commun. À ce titre, elle devrait être soustraite à toute logique de spéculation financière.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. Franck Montaugé. Or il me semble que tel n’est pas le sens du projet Hercule.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Depuis sa création en 1946, EDF occupe une place singulière dans notre paysage industriel. Elle constitue un pan incommensurable de notre patrimoine, auquel les Français sont très attachés.
Sur le plan énergétique, elle est garante de notre indépendance et le fer de lance de notre transition. Sans l’engagement résolu de notre grand énergéticien, l’objectif de neutralité carbone découlant de la loi Énergie-climat ne pourrait être atteint.
Or EDF est actuellement confrontée à de lourdes difficultés. Le groupe fait face au mur de l’investissement : grevé d’une dette de 33,4 milliards d’euros, il doit parvenir à financer le grand carénage, les EPR de Flamanville et d’Hinkley Point, les plans solaire et stockage, sans compter les six nouveaux projets d’EPR à l’étude.
Madame la ministre, sur ces derniers projets, on ne comprend pas la position du Gouvernement, qui étudie en parallèle un scénario 100 % renouvelable.
Les surcoûts du chantier de Flamanville, dont le budget de 12,4 milliards d’euros dépassera de huit fois le budget initial, sont symptomatiques de ces difficultés. Sans l’appui de l’État, le plan d’action que doit présenter EDF sur ce dossier sera bien impuissant pour sortir de l’ornière.
Le projet de réorganisation Hercule est présenté comme le moyen de dégager des capacités d’investissement supplémentaires, mais ce serait au prix de l’ouverture du capital d’un tiers des activités du groupe, dont la distribution moyenne et basse tension. Cette éventualité suscite l’inquiétude des élus, en particulier des élus locaux, et des salariés.
Dans le même temps, EDF doit faire face à la concurrence, notamment dans la perspective du relèvement du plafond de l’Arenh et du renouvellement des concessions hydroélectriques.
En cette période d’incertitude, comment le Gouvernement entend-il accompagner EDF ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je partage tout à fait votre constat : EDF a des défis très importants à relever.
L’accompagnement de la transition énergétique que vous avez mentionné suppose d’investir dans les énergies renouvelables. Nous souhaitons qu’EDF soit un acteur central de la production d’énergies renouvelables ; c’est d’ailleurs ce que prévoit la programmation pluriannuelle de l’énergie. Cet accompagnement suppose également de financer le grand carénage du parc existant.
Par ailleurs, les réseaux nécessitent des investissements. À titre d’exemple, le déploiement du compteur Linky représente un investissement très important.
Dans ce contexte où EDF doit assumer des investissements considérables, soyez assuré que le Gouvernement est attentif à la situation financière de l’entreprise. C’est notamment ce qui a conduit l’État à apporter au cours des dernières années un concours substantiel, notamment pour la recapitalisation de l’entreprise en mars 2017. C’est également ce qui conduit l’État, en tant qu’actionnaire d’EDF, à privilégier depuis plusieurs années la perception des dividendes sous forme d’actions pour laisser des marges de manœuvre financières à l’entreprise.
Notre objectif est bien de sécuriser la trajectoire financière de l’entreprise. Je suis d’ailleurs surprise de vous entendre critiquer la régulation du nucléaire historique, car celle-ci me paraît constituer un élément très important pour sécuriser la trajectoire financière d’EDF.
Tel est le sens des discussions qui sont conduites.
Pour EDF comme pour les autres acteurs, le positionnement sur les énergies renouvelables peut se faire au travers des différents soutiens, notamment les tarifs de rachat, qui permettent d’investir en toute sécurité dans ce secteur.
Nos attentes vis-à-vis d’EDF sont nombreuses,…
Mme la présidente. Il faut conclure !
Mme Élisabeth Borne, ministre. … mais je pense que notre entreprise dispose de tous les moyens pour se positionner au cœur de la transition énergétique de notre pays.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour la réplique.
M. Daniel Gremillet. EDF est un dossier très particulier, parce que cette entreprise fait partie des réussites de notre pays. Si l’aménagement numérique des territoires est un échec, leur desserte énergétique est un succès pour les ménages comme pour les entreprises. C’est pourquoi ce sujet est capital.
Il est également capital pour la reconquête industrielle de notre pays, car la compétitivité de notre économie dépendra de la stratégie choisie par le Gouvernement en matière d’énergie et de coût de l’énergie.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Parmi les principes qui ont présidé à l’élaboration de la programmation pluriannuelle de l’énergie figure la nécessité de disposer d’une énergie, certes décarbonée, mais aussi compétitive et surtout disponible, notamment pour faire face aux heures de pointe et aux variations saisonnières. De même, la nécessité d’assurer la souveraineté énergétique de notre pays a été régulièrement soulignée comme un élément stratégique.
Le séisme qui a frappé l’Ardèche en novembre dernier a entraîné l’arrêt par précaution de trois réacteurs nucléaires. La puissance nucléaire française est ainsi tombée à 40 gigawatts du fait de l’arrêt pour maintenance d’autres réacteurs. Aussi nous sommes-nous retrouvés dans la configuration prévue à l’horizon de 2035 en termes de puissance nucléaire disponible.
Durant cette période, les vents étaient faibles et l’ensoleillement limité. Pour faire face à la demande énergétique, les centrales fonctionnant au charbon, au gaz ou au fioul ont donc tourné à plein régime. La France, qui était quelques jours auparavant exportatrice d’électricité, est devenue importatrice, essentiellement depuis l’Allemagne et l’Espagne.
Mes questions sont donc les suivantes : n’y a-t-il pas un risque pour la France de voir croître sa dépendance aux importations dans un contexte où beaucoup de pays européens prévoient eux aussi de fermer des centrales au fioul ou au charbon produisant à la demande – on comprend pourquoi sur le plan environnemental –, cela en espérant qu’un pays voisin puisse, en cas d’absolue nécessité, leur fournir l’électricité dont ils ont besoin ? La souveraineté de notre pays a-t-elle été appréhendée dans la PPE sur le moyen terme ? N’y a-t-il pas nécessité de se doter d’une véritable stratégie européenne coordonnée pour anticiper les situations de crise ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Le début de la période hivernale 2019-2020 est en effet marqué par une forte indisponibilité de notre parc nucléaire : plusieurs réacteurs ont été mis à l’arrêt par précaution et d’autres étaient encore en cours de maintenance, ce qui a porté notre capacité nucléaire à 40 gigawatts sur les 63 gigawatts installés.
Alors que la France est habituellement exportatrice d’électricité, cette situation a entraîné un niveau d’importation important, principalement en provenance d’Allemagne et d’Espagne, pour assurer la sécurité d’approvisionnement pendant ces quelques jours.
Cet épisode interroge indéniablement notre souveraineté énergétique et notre dépendance aux pays voisins. Il met aussi en lumière la nécessité de diversifier le mix électrique français pour le rendre plus résilient à des événements exogènes et, donc, moins dépendant de la production d’origine nucléaire.
Le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit un développement extrêmement volontariste des capacités de production d’énergies renouvelables, mais également des dispositifs permettant d’accroître la flexibilité de notre système électrique, notamment ses capacités d’effacement ou de stockage, par exemple sous forme de STEP. Il s’agit notamment de disposer d’une capacité de production de 74 gigawatts, soit une augmentation de 50 % par rapport à la capacité actuelle, et entre 102 et 103 gigawatts en 2028, soit un doublement. Il s’agit aussi d’augmenter nos capacités d’effacement pour les porter à 6,5 gigawatts.
Le projet de programmation pluriannuelle prévoit également d’engager, d’ici à 2023, des projets de stockage sous forme de STEP afin de porter de 1 à 2 gigawatts les capacités entre 2025 et 2030.
Au travers de la programmation pluriannuelle de l’énergie, nous nous donnons donc tous les moyens pour assurer notre souveraineté énergétique avec de l’énergie décarbonée.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour la réplique.
M. Jean-Michel Houllegatte. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Je partage les éléments d’analyse que vous nous avez communiqués, à une différence près.
S’il me paraît nécessaire d’améliorer nos capacités de stockage de l’énergie et, ainsi, de rendre nos systèmes plus résilients, j’estime qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain : il faut être extrêmement vigilant en matière de seuil nucléaire à ne pas dépasser.
On parle beaucoup des énergies renouvelables. C’est très bien, mais il faut savoir que le rendement du solaire se situe autour de 14 %, et que 30 gigawatts installés ne produisent que 4,2 gigawatts à pleine puissance. Le rendement de l’éolien est de 25 %, et on espère que celui de l’éolien offshore se situera autour de 40 %, quand le rendement du nucléaire est de 70 %.
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Ma question se rapproche de celle de mon collègue Gremillet, mais elle vous permettra peut-être de donner des éléments complémentaires, madame la ministre.
EDF est le premier producteur européen d’électricité, mais cette entreprise doit gérer à l’heure actuelle une montagne de dettes récemment estimées à 37 milliards d’euros.
Les inquiétudes se multiplient au regard des 46 milliards d’euros que représente le coût de construction de six nouveaux réacteurs nucléaires. Le coût de construction d’un réacteur, d’environ 7 milliards d’euros, est certes moins élevé que dans les autres pays européens où l’on constate un coût moyen de 12 milliards d’euros par réacteur, mais cela ne suffit pas à rassurer.
Une fois la mise en service de Flamanville effective, le Gouvernement devra se prononcer sur la construction ou non de six nouveaux réacteurs pour remplacer une partie du parc actuel, dont près de la moitié se rapproche de la fin de vie.
De plus, EDF construit deux réacteurs de la même génération pour la centrale d’Hinkley Point en Angleterre. Or les délais et les coûts ont déjà dérapé : la facture, qui devrait être à la charge d’EDF, approche les 12 milliards d’euros.
Notre électricien public est structurellement pénalisé par des règles qui visent à faire émerger un secteur concurrentiel en France, mais qui, selon Jean-Bernard Lévy, se retournent contre le contribuable.
Les dernières annonces du Président Emmanuel Macron sur l’éolien offshore ne semblent pas compatibles avec la construction de nouveaux EPR envisagée par EDF. Le scénario 100 % énergies renouvelables est en train de s’écrire aux dépens de l’électricien national surendetté, dont les choix stratégiques semblent de plus en plus soumis aux aléas de la politique.
La dette d’EDF pèse, à tous égards et à court ou moyen terme, directement sur les Français. C’est pourquoi le Gouvernement a demandé à Jean-Bernard Lévy de remettre un projet de réorganisation de l’entreprise nommé Hercule.
Ce projet d’envergure semble susciter un mécontentement général au sein de l’entreprise, que ce soit des salariés, des syndicats ou de la direction. En effet, cette réorganisation de l’entreprise vise à diviser la société en deux entités, en séparant les activités de production d’électricité et celles de vente et de distribution. Deux entreprises distinctes seraient alors créées : d’un côté, un « EDF Bleu », nationalisé, regroupant le nucléaire et l’hydraulique, lourdement endetté et à la charge exclusive de la collectivité ; de l’autre, un « EDF Vert », qui chapeauterait les énergies renouvelables, le commerce, Enedis et le réseau des petites lignes électriques et serait ouvert aux investisseurs privés.
Un projet de réorganisation d’EDF semble inévitable pour sauver l’entreprise,…
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. Cyril Pellevat. … mais il est à la peine.
Madame la ministre, pourriez-vous nous éclairer sur les actions du Gouvernement pour sauver cette entreprise publique et les avancées de ce projet ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. La dette d’EDF a effectivement augmenté ces dernières années, du fait en particulier d’investissements très importants, notamment le grand carénage et la mise en place des compteurs Linky.
EDF a mené des actions structurantes depuis plusieurs années pour assurer la maîtrise de sa trajectoire financière. De son côté, l’État a apporté un concours substantiel au groupe EDF au cours des dernières années, notamment au travers de la recapitalisation menée en mars 2017. Il a également fait le choix de percevoir les dividendes sous forme d’actions.
J’en viens aux actions menées pour qu’EDF prenne toute sa place dans la transition énergétique. Au travers de la programmation pluriannuelle de l’énergie, le Gouvernement demande à EDF de jouer un rôle central, d’une part, par la poursuite de l’exploitation du parc nucléaire existant jusqu’à cinquante ans et, d’autre part, par le développement massif des énergies renouvelables, du stockage et des réseaux intelligents.
Je note avec satisfaction qu’EDF prend toute sa place dans le développement de nos énergies renouvelables. Par exemple, quatre des sept parcs éoliens offshore ont été attribués à EDF.
C’est dans ce contexte que le Gouvernement a demandé au président d’EDF de réfléchir à l’évolution de l’organisation du groupe, afin de lui permettre de disposer de capacités d’investissement accrues et de participer pleinement à la transition énergétique.
S’agissant du nucléaire, une discussion est engagée avec la Commission européenne sur la sécurisation de la régulation du nucléaire historique. Une telle régulation est nécessaire pour donner de la visibilité à l’entreprise et permettre son positionnement sur le marché des énergies renouvelables. De plus, ce positionnement se fera de façon équitable vis-à-vis des autres acteurs, puisque les tarifs de rachat sécurisent les investissements et permettent de garantir des conditions de financement avantageuses pour n’importe quel opérateur, a fortiori pour EDF.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Le Gouvernement compte sur EDF pour être l’acteur central de notre transition énergétique.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. Permettez-moi d’associer à ce propos ma collègue sénatrice du Jura, Marie-Christine Chauvin, qui devait intervenir cet après-midi, mais qui n’a pu être parmi nous, faute de transports.
Ma question porte sur les projets de réacteurs nucléaires Astrid et EPR 2.
Je m’interroge sur la décision d’arrêter les études préalables à la réalisation du prototype Astrid, réacteur à neutrons rapides de quatrième génération. La mise au placard de ce projet a en effet suscité beaucoup de réactions négatives, notamment au sein de la filière nucléaire française.
La France a longtemps été aux avant-postes du développement de cette filière de surgénérateurs. Les caractéristiques de ces réacteurs apparaissent particulièrement adaptées à la situation énergétique et environnementale, qui se dessine à la fois pour notre pays et pour la planète. Ceux-ci ont un rendement infiniment plus élevé que les réacteurs actuels : avec la même quantité d’uranium, ils produisent de soixante à cent fois plus d’électricité. De plus, tout comme les réacteurs nucléaires actuels, ces réacteurs de quatrième génération produiraient de l’électricité sans émettre de gaz à effet de serre. Ils permettraient également le recyclage complet des matières énergétiques et la transmutation de certains types de déchets nucléaires à longue durée de vie. C’est une forme d’économie circulaire tant souhaitée par nos concitoyens et une partie de la réponse à la problématique du stockage des déchets.
Je voudrais que vous puissiez également m’éclairer sur le calendrier de réalisation des projets EPR 2.
L’expérimentation en cours à Flamanville a certes démontré la complexité d’un tel programme, qui n’a malheureusement sûrement pas été suffisamment anticipée, mais elle ne doit pas nous immobiliser au milieu du gué. L’électricité nucléaire est nécessaire au mix énergétique. Ne nous voilons pas la face, la France a un rôle prépondérant à jouer.
À quand une décision courageuse concernant le lancement de ces projets et le choix des sites retenus ? Le département de l’Ain est prêt à accueillir une telle installation sur son site de Saint-Vulbas. Les infrastructures sont présentes, les surfaces sont disponibles, et le besoin en énergie prépondérant. (M. Daniel Gremillet applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. La programmation pluriannuelle de l’énergie a confirmé la détermination de la France à poursuivre l’étude des options technologiques qui pourraient assurer la fermeture complète du cycle sur le long terme. Jusqu’à présent, les efforts de recherche se sont concentrés sur le déploiement de la filière des réacteurs à neutrons rapides de quatrième génération refroidis au sodium.
Pour autant, le constat partagé par le Gouvernement et la filière est que les ressources en uranium sont abondantes et disponibles à bas prix au moins jusqu’à la deuxième moitié du XXIe siècle. Dans ces conditions, le déploiement de réacteurs à neutrons rapides n’apparaît pas nécessaire avant cet horizon. C’est ce qui a conduit le Gouvernement à réorienter les efforts de R&D vers un programme visant à renforcer et à maintenir les compétences sur la connaissance de la physique des réacteurs à neutrons rapides et des procédés du cycle associés.
S’agissant des programmes EPR, il est prévu d’étudier tous les scénarios dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, depuis la construction de nouveaux réacteurs nucléaires jusqu’au projet d’atteindre un mix 100 % renouvelable. Le Gouvernement s’est fixé un jalon mi-2020 pour examiner un premier bilan des réflexions menées, étant entendu qu’aucune décision n’interviendra avant la mise en service de l’EPR de Flamanville, aujourd’hui prévue fin 2022.
Parmi les nombreux sujets à l’étude, la question de la démonstration par la filière de sa capacité à relever, sur le plan de la qualité industrielle et de la maîtrise des délais et des coûts, le défi que représenterait la construction de réacteurs est bien sûr primordiale.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. Madame la ministre, j’ai bien entendu que l’uranium était disponible en quantité suffisante. Néanmoins, le fait de pouvoir travailler avec ce type d’équipement permettrait de régler un autre problème important, celui des déchets. De plus, cela permettrait à la filière d’acquérir et de conserver une compétence spécifique et de rester compétitive au niveau mondial. Il serait dommageable que, dans les années à venir, on soit obligé d’acheter des surgénérateurs à l’étranger.
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet.
Mme Martine Berthet. Il y a maintenant plus de soixante-quinze ans, la France décidait de canaliser la puissance de l’eau par la construction de barrages, afin d’en prendre le meilleur et de créer de l’énergie. Aujourd’hui, d’aucuns verraient bien ces chefs-d’œuvre nationaux concédés à des puissances économiques étrangères.
Dès 2007, la France a entièrement ouvert son marché à la concurrence. Pourtant, en 2015, la Commission européenne exhortait notre pays à aller plus loin en incluant dans le champ de la concurrence nos moyens de production électrique, dont les barrages hydroélectriques. En mars 2019, elle a même engagé une procédure d’infraction. Notre pays serait donc le premier à ouvrir ce secteur à la concurrence.
En 2016, lors de la transposition de la directive européenne qui prévoit l’ouverture des concessions de service public à la concurrence mondiale, la France n’a pas prévu d’exempter ses barrages, à l’inverse d’autres pays européens. La gestion de nos installations hydroélectriques est ainsi à la merci des intérêts de puissances étrangères et d’acteurs privés. Les bénéfices estimés à environ 1,25 milliard d’euros viennent logiquement attiser la convoitise des investisseurs privés.
Par ailleurs, comme le pointe un rapport de 2013, une hausse mécanique du prix de l’électricité pour les consommateurs serait inéluctable. N’avons-nous pas déjà vécu cela lors de la privatisation des autoroutes ? N’est-ce pas suffisant ?
Les Alpes comprennent pas moins de 132 barrages, dont 26 en Savoie. Un large consensus se dessine dans la population, comme chez les élus locaux et nationaux, pour rejeter cette mise en concurrence jugée dangereuse et irrationnelle.
Comment pourrait-on sacrifier un tel patrimoine, source d’emplois qualifiés, directs, indirects et induits pour des femmes et des hommes dotés d’un haut niveau d’expertise ? Comment pourrait-on sacrifier un patrimoine respectueux de l’écologie, puisque l’énergie hydroélectrique représente environ 13 % de la production d’électricité française et 70 % de la production d’énergies renouvelables ? Comment pourrait-on sacrifier un patrimoine qui assure une telle sécurité d’approvisionnement, car il s’agit du premier moyen de stockage de l’électricité – on voit les STEP se développer ? Comment, enfin, pourrait-on sacrifier un patrimoine qui assure une telle sécurité en matière de gestion des crues, qui constitue une source froide pour les installations nucléaires, une source d’irrigation agricole et d’eau potable ?
Mme la présidente. Il faut conclure, chère collègue !
Mme Martine Berthet. L’avenir de ces outils indispensables au partage…
Mme la présidente. Je vous invite à poser votre question !
Mme Martine Berthet. Madame la ministre, dans quels délais serez-vous en mesure de mettre en place les outils tant attendus de tous, qui permettront aux collectivités territoriales de prendre part à la sauvegarde d’une gestion française de nos barrages ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous avez souligné la situation atypique de la France à l’égard de ses concessions hydroélectriques. Ce n’est pas tant que les précédents gouvernements n’auraient pas pensé à prévoir une exemption pour ces installations dans le cadre de la transposition de la directive Concessions, mais plutôt que nous sommes le seul pays dans lequel les ouvrages hydroélectriques ne sont pas la propriété des opérateurs et où il a été prévu de les exploiter sous forme de concessions.
Le droit français, en conformité avec le droit européen, prévoit par ailleurs que les concessions hydroélectriques échues doivent être renouvelées par mise en concurrence.
Ce sujet préoccupe les gouvernements successifs depuis un certain temps, cette préoccupation ayant notamment conduit à l’introduction de plusieurs mesures dans la loi, notamment dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Je pense en particulier à la possibilité pour les collectivités locales d’être associées aux concessions dans le cadre d’une société d’économie mixte hydroélectrique, à la possibilité de regrouper des concessions hydrauliquement liées pour faciliter leur exploitation et favoriser la sûreté, à l’existence d’un mécanisme de prolongation contre travaux dans le respect de la directive Concessions et, bien entendu, à la préservation du statut des personnels et leur reprise en cas de changement d’exploitant.
Pour autant, et malgré le contentieux engagé par la Commission européenne, le Gouvernement a souhaité poursuivre le dialogue pour veiller à la prise en compte de l’ensemble des enjeux liés à ces concessions, de l’intérêt public, et aboutir à une solution permettant de régler cette situation, qui est pénalisante en termes d’investissement. Encore récemment, nous avons par exemple discuté avec la Commission de la possibilité de mettre en place un opérateur qui pourrait être public à 100 % et qui, de ce fait, pourrait échapper à la mise en concession.
Voilà les différentes pistes sur lesquelles nous travaillons actuellement.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste. Dans le cadre de l’espace réservé au groupe Union Centriste, nous venons de vous interroger, madame la ministre, sur la stratégie énergétique de la France et sur la place qu’y occupe notre électricien historique, EDF. Nous vous remercions de vos réponses.
La vision stratégique de long terme sous-tend l’ensemble du dossier de la politique énergétique.
Si les choix s’opèrent dans l’instantanéité d’un seuil de rentabilité économique, cela signifie que les enjeux environnementaux sont secondaires, ce qui n’est pas acceptable dans un contexte d’urgence climatique.
Les consommations individuelles, les mobilités, les pratiques de la société en général doivent se verdir et se décarboner, mais encore faudrait-il savoir comment. En effet, comment inciter le consommateur à acheter des véhicules électriques si l’électricité provient d’une centrale à charbon ou d’une source polluante ?
Si l’on veut gagner, il faut que les choix soient lisibles. On ne peut pas bâtir une stratégie sur des incohérences, le risque premier étant de perdre le consommateur en chemin. Or c’est lui, en grande partie, qui est la clé.
Le président Marseille l’a très justement rappelé, l’exemple de la filière nucléaire est emblématique. Celle-ci fut par le passé un choix stratégique fort, permettant une production décarbonée dont nous avons la maîtrise. Cependant, force est de constater que, déjà à l’époque, les visions stratégiques furent incomplètes et partielles, puisque l’épineuse question du traitement des déchets fut un peu « zappée ». À La Hague, nous voyons aujourd’hui des files d’attente de déchets, qui imposent des solutions de stockage d’urgence. On ne peut pas travailler comme cela.
À la croisée des chemins, au moment où les mobilités électriques vont entraîner des hausses de consommation, où le parc vieillit, où l’EPR a plombé les comptes, la France n’a pas les moyens de ses hésitations.
Le choix d’un mix énergétique cohérent doit se faire sur des bases stables et dans la durée. Pourtant, la PPE est encore en débat ! Son acceptabilité est indispensable, c’est une question de crédibilité.
On ne doit pas voir fleurir des projets éoliens déconnectés de la carte des vents. Vous nous avez rassurés sur le fait que vous comptiez exploiter au maximum les ressources hydrauliques, l’hydroélectricité étant à ce jour la seule énergie réellement renouvelable, flexible et non polluante. Vous avez entendu sur ce sujet combien les attentes des territoires sont fortes.
On ne peut se priver de faire une place à l’autoproduction, la ressource de proximité étant forcément la meilleure.
On ne peut déconnecter les politiques tarifaires et fiscales des politiques environnementales. Il faut se donner les moyens financiers de la transition.
On ne peut décider de baisser la part du nucléaire sans savoir comment la compenser.
On ne peut pas demander au secteur de l’industrie électrique de faire les frais, en maintenant l’équilibre de son modèle économique, de nos incohérences et de nos changements de cap.
On ne peut placer les agents d’EDF dans des situations incertaines et préjudiciables.
Il faut au contraire donner aux grandes compagnies d’électricité, dans un contexte où l’évolution technologique est fulgurante, les moyens de conserver l’équilibre dans la durée. De la stabilité du système dépend aussi la sécurité d’approvisionnement.
L’arrivée d’énergies renouvelables intermittentes, rémunérées avec des garanties spécifiques, a bousculé de manière significative les fournisseurs d’électricité européens. Ceux-ci ont été obligés de se restructurer et de redéfinir leurs stratégies.
Des changements structurels s’opèrent en amont, de nouveaux entrants arrivent sur le marché de l’énergie, y compris les autoconsommateurs. À l’autre bout de la chaîne, du côté des utilisateurs, on observe également des changements profonds, largement influencés par les politiques publiques, ce qui permet de souligner une nouvelle fois l’indispensable cohérence entre l’amont et l’aval, entre la production et l’utilisation, entre la composition du mix et le travail auprès des consommateurs et, entre les deux, la position stratégique des réseaux.
De nouveaux services sont devenus nécessaires, comme la flexibilité, l’aide au contrôle de la consommation, dans un univers énergétique devenu intelligent.
Le numérique, en contribuant en amont à lisser les apports dans le réseau de productions intermittentes et en répondant aux attentes des consommateurs en aval, sera une aide précieuse pour conserver l’efficience économique du système. La digitalisation doit permettre au client de devenir réactif aux changements de prix, ce qui constitue peut-être un levier pour aller vers une tarification plus environnementale.
Le paquet énergie propre – vous en avez parlé –, qui a été adopté au printemps par l’Union européenne, comporte plusieurs mesures susceptibles d’accélérer la reconfiguration du secteur. Il existe donc des pistes dans ce contexte en évolution permanente.
EDF peut s’adapter, à condition que l’on fasse ce choix et qu’on lui en donne les moyens financiers. Vous nous avez dit, madame la ministre, que nous savons où nous voulons aller. Reste maintenant à savoir avec qui : est-ce avec Hercule ? Est-ce avec Astrid ? Est-ce, oui ou non, avec EDF ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SOCR.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat intitulé : « Quelle politique énergétique pour la France ? Quelle place pour EDF ? »
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Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 12 décembre 2019 :
À dix heures trente : débat sur la situation et le rôle de l’OTAN et sur la place de la France en son sein.
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale, présentée par Mme Françoise Laborde et plusieurs de ses collègues (texte n° 588, 2018-2019) ;
Proposition de loi visant à prévenir le suicide des agriculteurs, présentée par M. Henri Cabanel et plusieurs de ses collègues (texte n° 746, 2018-2019).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures dix.)
nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
Le groupe socialiste et républicain a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Hervé Gillé est membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en remplacement de Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, démissionnaire.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication