Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour la réplique.
Mme Dominique Vérien. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le ministre. À mon sens, quand une pression est sociale, elle n’est pas toujours vécue directement comme telle. Vous le reconnaissez, il est des secteurs où le seul fait d’être une femme vous met en danger. Un signe distinctif religieux ne doit pas être porté pour se protéger. Votre mission est de créer les conditions de la liberté et de la sécurité. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Je tiens d’abord à remercier Françoise Laborde d’avoir choisi d’inscrire à notre ordre du jour ce débat, qu’elle a introduit avec émotion.
Monsieur le ministre, j’ai été très sensible à vos propos. Reste que si le poète unissait dans la Résistance celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas, nous n’en sommes plus là.
Je suis d’accord avec vous, la loi de 1905 est un modèle qui s’est imposé après bien des années de combat. Cependant, aujourd’hui, nous avons une vraie difficulté : à force de vouloir défendre absolument la liberté, principe essentiel, il est devenu parfois difficile de lutter pour la laïcité.
M. Max Brisson. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Nous sommes confrontés à un certain nombre de provocations, venant de plusieurs bords. C’est vrai qu’il faut dénoncer l’islamisme, d’autant plus que ses premières victimes sont les citoyens français musulmans qui croient en la République.
Monsieur le ministre, vous n’avez pas suffisamment d’armes. On peut invoquer la loi de 1905, la faculté de fermer certains lieux de haine, mais, dans bien des cas, la force du droit pour défendre les libertés est un obstacle à votre action pour faire en sorte que la laïcité soit partout respectée, dans les quartiers, dans les écoles, dans les communautés.
La force, la puissance de la République, c’est de s’imposer partout, et pas seulement dans les quartiers difficiles. Vous devez être à la pointe du combat. Avez-vous besoin de nouveaux textes législatifs à cet effet ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Je partage votre constat, monsieur le sénateur Karoutchi : je pense que nous avons reculé. Pour ce qui me concerne, sans vouloir accuser qui que ce soit, je confesse que ma vision politique de ce sujet, pendant de longues années, comme militant, a été marquée par une forme d’angélisme. J’ai souvent été gêné par la crainte d’apparaître islamophobe, pour reprendre un mot qui viserait à nous empêcher de poser les bons constats. On peut ne pas être d’accord, mais il faut avoir cela en tête.
En ma qualité de ministre de l’intérieur, j’ai pu faire ces constats, qui m’ont conduit à choisir une stratégie. J’ai décidé non de faire tout de suite une grande loi qui, avec un peu de chance, aurait porté mon nom, mais de demander aux préfets et à tous les acteurs locaux d’utiliser la totalité des outils à leur disposition. La loi SILT, par exemple, a permis la fermeture de sept lieux de culte. En nous appuyant sur les outils du droit commun, comme les règles d’urbanisme applicables aux établissements recevant du public, nous avons pu faire fermer trente lieux.
C’est dans cet esprit que j’ai demandé voilà quelques jours aux préfets, notamment lors du séminaire que j’ai organisé avec eux, de nous faire remonter tous les sujets sur lesquels ils ont l’impression que ces abus ne peuvent pas être sanctionnés correctement faute de dispositifs législatifs. Je souhaite pouvoir identifier toutes ces fragilités. Je n’hésiterai donc pas une seconde à revenir défendre devant vous des projets de loi, voire à soutenir une proposition de loi contenant les moyens d’y remédier. Dans l’immédiat, nous avons des outils, mais peut-être ne les avons-nous pas assez utilisés.
En complément de ma réponse précédente, je veux souligner que l’article 31 de la loi de 1905 est parfait s’agissant de ce prosélytisme imposant à des gens certains comportements dans le domaine vestimentaire ou alimentaire. Il punit de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe et d’un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou s’abstenir d’exercer un culte. Cet article, nous le savons tous, n’est pas appliqué depuis de longues années.
Oui, je pense qu’il y a peut-être besoin de moderniser, mais ce n’est pas l’urgence. L’urgence, c’est d’agir…
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Christophe Castaner, ministre. … dès ce soir, dès demain, dès la semaine prochaine. C’est ainsi que nous devrons utiliser les textes qui existent aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, je suis très sensible à ce que vous dites. Dans le fond, on ne peut que vous soutenir. Mais, nous le savons tous, si la loi doit être au-dessus de la foi, en tout cas dans le domaine public, ceux qui donnent des coups de boutoir à la laïcité sont souvent très bien organisés, très bien conseillés et savent la contourner.
Je comprends tout à fait votre mobilisation, et je la partage. J’insiste cependant pour dire que, si vous avez besoin de textes supplémentaires pour mettre un terme à ces contournements, le Parlement doit participer à cette défense de la République.
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Hélène Conway-Mouret. Présentant devant le Corps législatif la loi du 18 germinal an X sur l’organisation des cultes, qui avait pour objet de ratifier le Concordat signé l’année précédente entre la France et le Saint-Siège, Lucien Bonaparte déclarait alors : « Les cultes sont utiles, nécessaires dans un État. Le gouvernement doit donc les encadrer. Se le refuser, c’est se priver d’un grand moyen d’ordre et d’utilité publique. » Il ajoutait : « Par ce concordat, le gouvernement de la République affirme que, puisque la religion est utile aux individus et les cultes nécessaires aux sociétés, il se doit alors de les organiser. »
Cette volonté d’organiser les cultes, c’est-à-dire de choisir ses interlocuteurs en les dotant d’instances et de moyens définis par l’État, a cependant été abandonnée par la loi du 9 décembre 1905. Elle dispose en effet, à son article 2 – est-il besoin de le rappeler ? –, que, désormais, la République ne reconnaît aucun culte.
On ne saurait être plus clair, mes chers collègues, dans ce choix fait désormais par l’État de rendre les cultes à leur liberté d’organisation, de fonctionnement et de financement. Par cette loi, les républicains font ainsi leur la règle énoncée par Victor Hugo selon laquelle il convient désormais que l’Église soit chez elle et l’État chez lui.
Malgré cela, le 22 novembre dernier, le préfet du Rhône demandait aux présidents des universités de Lyon d’inciter professeurs et étudiants à prendre part aux assises territoriales de l’islam de France, qui devaient alors se tenir quelques jours plus tard en préfecture. Cette décision, dont on a du mal à imaginer qu’elle ait relevé de sa seule initiative, est certes illégale. Elle témoigne cependant – et cela me semble plus grave – de cet « esprit concordataire » dont le Gouvernement me semble imprégné et qui tend à priver les cultes des libertés que leur reconnaît la loi.
Je souhaiterais donc connaître, monsieur le ministre, les mesures que vous entendez prendre pour vous assurer du strict respect de la loi de 1905, et ce dans un contexte où 65 % des Français déclaraient en mars 2019 être favorables à la dénonciation du Concordat de 1802. Je tiens par ailleurs à vous remercier de prendre très au sérieux ce débat au vu du nombre de conseillers qui vous accompagnent. (Sourires sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, je pense que vous vous trompez de débat et de combat. Selon vous, le combat doit être mené contre un préfet qui a pris une initiative dans le cadre des assises territoriales de l’islam. Selon moi, le combat doit être mené pour défendre les valeurs de la République. Or, aujourd’hui, elles reculent, et je vous le dis avec une conscience forte de la gravité de mon propos.
Mon prédécesseur, Gérard Collomb, et moi-même avons décidé d’organiser dans chaque département des assises territoriales de l’islam. Si l’État n’a pas vocation à organiser un culte, l’islam en particulier, il ne doit pas pour autant s’en désintéresser. Quand l’inorganisation d’un culte pose un certain nombre de problèmes d’ordre public, nous pouvons nous y intéresser, et nous nous y intéressons, dans un échange et un dialogue fructueux avec les autorités qui représentent cette religion. C’est dans ce cadre que le préfet a pris l’initiative d’organiser un débat avec des spécialistes du sujet. Je n’y vois en aucun cas une immixtion dans l’organisation du culte.
On ne peut pas fermer les yeux et se désintéresser du défaut de notre système, qui nous prive dans nos territoires de représentants du culte musulman avec lesquels l’État, le recteur ou l’inspecteur d’académie, pourrait aborder la question de la déscolarisation des plus jeunes enfants.
Nous n’avons pas vocation à organiser le culte musulman, mais je pense que c’est une faute de s’en désintéresser. C’est, selon moi, une faute de penser que le sujet de ce débat est de savoir si le préfet a ou non bien organisé les assises de l’islam conformément à ce que je lui avais demandé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour la réplique.
Mme Hélène Conway-Mouret. Telle n’était pas la question que je vous posais, monsieur le ministre. Je ne mets pas en cause le préfet, car je ne pense pas qu’il ait pris seul l’initiative d’organiser ces assises. Je dis simplement que l’État, peut-être par voie de circulaire de votre ministère, a pris l’initiative d’organiser le culte musulman. Il y a des interlocuteurs, et il est important que l’État puisse les identifier et engager un dialogue avec eux.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Léonhardt. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Olivier Léonhardt. La difficulté, dès lors que l’on s’exprime sur la laïcité, c’est d’avoir un propos qui rassemble tous les Français et pas simplement une catégorie d’entre eux.
La République française n’est pas une démocratie comme les autres. Elle s’est constituée dans une émancipation nette, assumée et consciente du fait religieux, et ce dès sa naissance. Elle s’est constituée contre l’oppression et la violence de la noblesse mais aussi du clergé.
Comprenez-moi bien, je ne pointe personne du doigt, je ne stigmatise personne et je reconnais, bien sûr, le rôle culturel, historique et philosophique des religions. Mais, du point de vue de la Nation, chaque revendication religieuse se confronte avec l’identité républicaine et laïque de la France.
Aujourd’hui, la République est violemment attaquée par l’extrémisme religieux et sa violence meurtrière.
La République doit et peut faire face, si elle ne cède pas à la tentation, ici et là, de négocier avec chaque religion, d’en donner un peu à chacun, au risque que tous considèrent n’en avoir jamais assez, n’avoir jamais assez de droits et très peu de devoirs.
Affirmons-le, le premier devoir d’un citoyen français et de tous ceux qui vivent dans la République n’est pas militaire, il n’est pas fiscal, il n’est pas réglementaire. Ce premier devoir est d’accepter que son identité individuelle ne prenne pas le pas sur l’identité collective. La liberté de tous est garantie par l’existence d’une seule identité : l’identité républicaine.
La laïcité, ce n’est pas un règlement, ce n’est pas une loi, ce n’est pas un point d’équilibre ni une manière sympathique de vivre ensemble, c’est la protection de tous les individus face à la tentation d’une norme philosophique ou religieuse promulguée hors de la démocratie.
Il n’y a pas d’extrémisme laïque. C’est d’ailleurs la laïcité qui protège le droit à la croyance dans notre pays et qui évite les affrontements entre les religions.
Alors, quand la logique communautariste et prosélyte l’emporte, la laïcité doit se réimposer par l’autorité de l’État républicain.
Voilà ce qu’est la laïcité, voilà ce que personne n’ose vraiment dire, voilà pourquoi nous sommes en difficulté ! Si la République française ne tremble pas, la laïcité reste une perspective émancipatrice pour notre pays, mais aussi pour le reste du monde.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je ne peux que vous remercier de cette présentation. Je vous rejoins sur les principes fondamentaux que vous avez exposés et qui sont aussi fondateurs de ce que nous sommes.
Si la laïcité est garante de l’unité nationale – je reprends l’intitulé de nos travaux de cet après-midi –, le fait de poser la laïcité en soi ne suffit pas. Il faut défendre la laïcité, la faire vivre et la garantir. Un certain nombre de ceux qui la contestent se fichent un peu d’elle. Ils visent tout simplement à affirmer la supériorité d’une loi religieuse sur la loi de la République.
C’est à partir de ce principe de laïcité que nous devons nous doter d’armes – je reprends les termes de ma réponse au sénateur Karoutchi – ou utiliser celles dont nous disposons. Or, aujourd’hui, nous ne l’avons pas assez fait.
Au fond, nous avons accepté, sur certaines parties du territoire, un effacement de cette laïcité juste, de cette laïcité garantie, de cette laïcité défendue. C’est la raison pour laquelle nous devons parler de reconquête républicaine et nous retrouver sur ce sujet au-delà de nos opinions politiques et de nos divergences. Il nous faut garantir que la laïcité ne se réduise pas à une feuille de papier sur laquelle est posé son principe fondateur. Nous devons, au contraire, faire en sorte qu’elle soit armée. C’est notre responsabilité de l’armer, soit par la loi, soit par l’action. C’est la responsabilité du ministre de l’intérieur d’assumer qu’elle puisse être garantie par l’action.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Je veux remercier nos collègues du RDSE d’avoir initié ce débat sur la laïcité, qui fait partie de l’essence même de ce groupe.
Ce débat est complexe, dans ses termes mêmes, puisqu’il n’existe pas de définition de la laïcité. Nous savons qu’elle se distingue de la sécularisation, de la perte d’emprise de la religion sur la société. La laïcité signifie le refus de l’assujettissement du politique au religieux sans être forcément synonyme d’étanchéité totale de l’un vis-à-vis de l’autre. Par ailleurs, le champ lexical est parfois mal interprété, et nous devons rappeler ce cadre : liberté de croire n’est pas liberté de manifester ses convictions ; neutralité de l’État n’est pas neutralité de l’espace public.
Le sujet est connu du Sénat, qui a voté, en octobre dernier, une proposition de loi relative à l’expression religieuse des accompagnateurs et des accompagnatrices scolaires. Cela montre que les élus locaux auxquels nous sommes attachés sont au cœur de la problématique. Ce sont bien eux qui sont principalement confrontés à la laïcité vivante, c’est-à-dire à la laïcité au quotidien. Les défis qui se posent à nous, élus locaux, sont dus à l’augmentation de la visibilité du religieux dans l’espace public.
Je crois que, face à toutes ces situations, il faut séparer la question de la laïcité des questions d’atteintes aux exigences minimales de la vie en société, car ce sont elles que nous devons combattre collectivement, c’est-à-dire que, en droit, nous devons combattre les atteintes à l’ordre public.
À cet égard, monsieur le ministre, j’aimerais vous poser une question sur la fonction publique territoriale : comment pouvons-nous assurer une application équitable du principe de neutralité du service public et des agents publics ? Faut-il envisager, par exemple, une formation des cadres locaux à l’ensemble de ces concepts ? Comment l’élu local peut-il se situer dans un tel contexte ? L’objectif demeure évidemment que le principe de laïcité reste un principe juridique de conciliation et non un instrument de tensions.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je pourrais reprendre l’essentiel de vos propos de la première partie de votre intervention, même si nous pourrions débattre de la limite que vous mettez à l’expression du choix religieux. Je considère que la laïcité ne s’oppose pas à ce que quelqu’un affirme son choix religieux. Il est parfaitement légitime de le faire, y compris d’ailleurs sur le domaine public par un signe ostentatoire. Je rappelle que la loi le prévoit pour les fonctionnaires ou les représentants publics dans les lieux publics ou privés sur lesquels les fonctionnaires sont amenés à agir.
Cela me permet d’aborder le deuxième sujet, pour lequel la formation est essentielle. Dans ce cadre, le Centre national de la fonction publique territoriale a développé avec l’Observatoire de la laïcité un MOOC « Laïcité – paroles de territoires », qui permet d’avoir un accès facile et gratuit à une panoplie de formations.
De même, le plan de formation Valeurs de la République et laïcité du Commissariat général à l’égalité des territoires s’adresse, depuis 2016, aux acteurs de terrain dans le domaine de la ville, de la jeunesse et des sports. Le 1er juillet de cette année, près de 40 000 personnes ont été formées dans ce cadre. À ce jour, environ 2 000 formateurs sont assermentés et structurés dans un réseau présent dans toutes les régions. Le dispositif n’est pas toujours assez connu. Il est donc important d’en faire état pour permettre d’y accéder facilement.
Je voudrais évoquer la question globale des formations dites civiles et civiques. Je complète ainsi mon propos sur le rôle de l’État. Si nous n’avons évidemment pas vocation à intervenir dans la formation religieuse d’un prêtre ou d’un imam, nous nous employons à prévoir des formations civiles et civiques permettant d’accompagner cette connaissance.
Nous sommes en présence d’un réel paradoxe, car l’État français, conformément à la loi de 1905, ne finance aucune religion. Cela ne nous empêche pas d’accepter tous aujourd’hui que des États étrangers financent directement des représentants des cultes. Cela doit peut-être aussi nous interroger. De toute façon, notre réponse est de faire en sorte que nous puissions agir, ce qui suppose, monsieur le sénateur, de pouvoir toucher notamment à la loi de 1905.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. « La France n’est pas schismatique, elle est révolutionnaire. » C’est par ces mots que Jaurès introduit son propos à la Chambre des députés le 15 avril 1905, alors qu’est discutée la loi de séparation des Églises et de l’État, « la plus grande réforme qui ait été tentée depuis la Révolution », selon lui.
La loi de 1905 a planté en profondeur les racines de la laïcité. Sa fâcheuse réappropriation par certaines et certains pour servir des idéaux qui n’ont rien à envier à ceux des extrémistes religieux est parfaitement incompatible avec notre République laïque.
La laïcité est un pilier du socle de notre communauté nationale par opposition à une multiplication des communautés dans la Nation. C’est un bien commun précieux. En ce sens, j’aurais une question assez simple à vous poser, monsieur le ministre : pourquoi ne revêt-elle pas la même valeur juridique dans l’ensemble de notre pays ? Je veux ici évoquer les régimes dérogatoires, propres aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Moselle – toujours sous le régime concordataire de 1802 – ou encore du département de la Guyane ou de certaines collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution – donc, sous le régime de l’ordonnance royale du 27 août 1828 et des décrets-lois Mandel.
Vous allez me répondre que le Conseil constitutionnel, récemment saisi d’une QPC, s’est prononcé sur la conformité constitutionnelle de ces régimes. C’est vrai, mais n’est-il pas temps de revoir en profondeur cette approche de la laïcité à géométrie variable ? Je pense particulièrement à la Guyane, département miné par le chômage et l’insécurité, où existent d’importantes disparités en matière de revenus, de santé et d’éducation. Les deniers publics ne seraient-ils pas mieux employés à lutter contre cette paupérisation avancée du territoire plutôt qu’à rémunérer le culte catholique, les évêques y étant employés comme agents de catégorie A et les prêtres comme agents de catégorie B de la fonction publique ?
Tel est le sens de ma question. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la présidente Assassi, aucun culte n’est l’adversaire du ministre de l’intérieur. Si certaines dérives doivent être combattues, aucun culte, je le répète, dès lors qu’il respecte les lois de la République, ne saurait être considéré comme un adversaire. Le culte catholique n’est pas un adversaire auquel le ministère de l’intérieur voudrait retirer certains de ses financements nés de l’histoire et qui remontent parfois au régime concordataire.
Il appartient au législateur de décider, s’il le souhaite, de modifier les choses et de revenir sur des équilibres nés en 1905. Il y a peut-être une incohérence à défendre l’équilibre issu de la loi de 1905 et à vouloir remettre en cause ce qui était l’une des conditions de cet équilibre avec le culte catholique. Une telle approche est une négligence absolue du fait que la place du culte musulman en France métropolitaine n’avait alors strictement rien à voir avec celle que nous connaissons aujourd’hui. Reste que c’est un choix politique que chacun peut assumer ici et dont on peut parfaitement débattre.
Aujourd’hui, nous appliquons une loi, celle qui prévoit en effet, dans certains territoires nationaux, un engagement financier de l’État pour accompagner l’exercice des cultes, ce qui fait que le ministre de l’intérieur est aussi le ministre des cultes. Il appartient au législateur de modifier, s’il le souhaite, ce régime, mais le Gouvernement n’en a pas aujourd’hui la volonté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Joissains.
Mme Sophie Joissains. Le sujet est délicat : il s’agit d’amener la concorde et non la division. Il s’agit aussi d’être ferme et de ne laisser aucune ambiguïté sur l’interprétation des principes établis par la loi de 1905. C’est de l’ambiguïté que naissent bien souvent discorde et procès d’intention.
La loi de 1905 est un pilier républicain qu’il serait, à mon sens, dangereux de modifier, car toucher à ce symbole serait aussi toucher à son intangibilité, à sa solidité.
Les principes sont là : séparation des Églises et de l’État, liberté de culte, primauté des règles républicaines sur les croyances religieuses dans l’espace public et l’exercice citoyen.
La loi sur les signes religieux à l’école a montré que le législateur pouvait aménager, interpréter ces principes sans porter atteinte à la loi de 1905.
Nos élus locaux, nos services publics sont aujourd’hui confrontés à moult problèmes qui demandent des solutions claires : horaires réservés aux femmes dans les piscines, burkinis, déscolarisation d’enfants, difficultés pour les femmes d’exercer la profession de professeur dans certains établissements, pressions dans certains services publics, bigamie religieuse jusqu’en prison, et j’en passe…
Il est évident que, dans l’ensemble de ces cas, nous n’assistons pas au simple exercice d’une religion : parfois, il s’agit d’abus, de provocations ; parfois, la frontière est bien franchie, et il s’agit de substituer les règles du religieux, d’un islam politique aux règles républicaines.
Les causes du repli communautariste sont multiples : misère sociale, culturelle, chômage, illettrisme, mais aussi laxisme, angélisme.
L’unité nationale demande de combattre ces fléaux sociaux. Elle demande aussi une direction, des limites, des règles claires.
Lors de ses vœux pour la nouvelle année 2020, le Président Emmanuel Macron a évoqué « des divisions au nom des origines, des religions, des intérêts ». Il a indiqué qu’il lutterait contre avec détermination.
Alors, monsieur le ministre, quelles mesures concrètes, quelles réponses le Gouvernement prévoit-il d’instaurer pour ces élus et ces services publics afin de dissiper les ambiguïtés et de faire respecter les valeurs qui sont celles de notre vivre ensemble, les valeurs de la France, liberté, égalité, fraternité et leur garant qui est, vous l’avez souligné, la laïcité ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice Joissains, je partage un certain nombre de vos remarques sur les causes du communautarisme et sur le besoin de trouver un équilibre entre la dimension répressive et la dimension de reconquête républicaine par une réponse de service public, d’action publique, de présence publique, d’affirmation des principes d’égalité, de fraternité et de liberté. Nous devons aller plus loin dans cette démarche, parce que, si nous nous limitions à l’un des aspects, nous serions voués à l’échec.
Sur la loi de 1905, souvent présentée comme intangible, je considère, quant à moi, qu’il n’y a pas de dogme et qu’une loi n’est pas un dogme en soi. Une loi peut être discutée et amendée, elle peut évoluer. C’est d’ailleurs l’essence même de ce que vous faites tous les jours au Sénat.
On peut admettre que la loi de 1905, votée il y a cent quinze ans, est susceptible d’évoluer à condition que ses principes, comme je l’ai dit à la tribune et le redis au banc du Gouvernement, ne soient pas mis en cause, mais soient, au contraire, renforcés. Prenons l’exemple de l’article 20, qui prévoit des peines de police pour sanctionner certains errements. Or les peines de police n’existent plus dans notre pays depuis 1990. On peut donc se demander s’il ne serait pas opportun de modifier la loi sur ce point.
L’article 1er et l’article 2, cela a été rappelé à plusieurs reprises, sont fondateurs, et je les défendrai bec et ongles, jusqu’au bout. Mais je pense qu’on ne doit pas s’enfermer dans la logique de défendre un dogme intangible. Par nature, je refuse les dogmes, je m’en suis libéré dans mon engagement et dans mon parcours politique.
J’ai abordé quelques-uns des outils sur lesquels le Président de la République aura l’occasion de se prononcer. Dans la circulaire du 27 novembre, je propose un plan d’action sur quatre niveaux. Il mobilise d’abord les préfets, qui sont les bons connaisseurs des maires. À ce sujet, il faut faire en sorte de mieux travailler avec les maires. Nommé ministre de l’intérieur au mois d’octobre 2018, j’ai rédigé, dès le mois de novembre, une circulaire sur la lutte contre la radicalisation reposant sur une meilleure coordination avec les maires.
Je propose aussi de mieux utiliser tous les pouvoirs de police que nous avons en sollicitant la compétence des maires et en créant des cellules départementales. Présidées par les préfets, elles fonctionneront en lien avec les procureurs, les maires, les associations, les bailleurs sociaux, tous les acteurs, pour nous permettre de mener ce combat de reconquête, quartier par quartier.