M. Hervé Maurey. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après deux tentatives malheureusement restées vaines, nous entamons un nouveau débat au sujet de la création d’un droit à l’erreur en faveur des collectivités locales dans leurs relations avec les administrations et les organismes de sécurité sociale. En tant que cosignataire de la présente proposition de loi, je ne peux naturellement que m’en féliciter.
Cette fois, les opposants à cette mesure ne pourront plus, comme cela a été le cas dans le cadre de l’examen de la loi Essoc du 10 août 2018 instituant un droit à l’erreur en faveur des usagers, arguer du fait qu’un tel dispositif n’entre pas dans l’objet de la réforme. Il s’agit là d’un texte autonome dont l’objet est clairement explicité.
De la même façon, on ne peut valider l’argument d’opposition, avancé dans le cadre de l’examen de la loi Engagement et proximité du 27 décembre 2019 et selon lequel l’extension du droit à l’erreur aux collectivités territoriales transformerait ces dernières en usagers de l’administration de l’État. En effet, comme l’a relevé le rapport de notre excellent collègue Philippe Bonnecarrère, un tel argumentaire ne saurait tenir devant l’évidence de notre droit, qui leur reconnaît d’ores et déjà une qualité d’usager à part entière en matière fiscale et sociale.
L’article L. 62 du livre des procédures fiscales donne ainsi aux collectivités territoriales et à leurs groupements la possibilité de se prévaloir du droit à la régularisation de leurs erreurs en matière d’impôts, applicable à tout contribuable.
En matière sociale, le constat est le même, puisque le décret du 11 octobre 2019 relatif à la prise en compte du droit à l’erreur par les organismes chargés du recouvrement des cotisations de sécurité sociale semble également assimiler les collectivités territoriales et leurs groupements aux employeurs, au sens du code de la sécurité sociale, notamment lorsqu’elles sont amenées à verser des cotisations sociales. C’est d’ailleurs ce qui ressort de l’audition effectuée par notre rapporteur de représentants de la direction de la sécurité sociale, qui ont confirmé que l’application des dispositions de ce décret aux collectivités se fondait sur l’article L. 243-7 du code de la sécurité sociale en ce qui concerne le contrôle des Urssaf et les majorations applicables en cas de redressement.
Parce que nos collectivités locales ne cessent de se voir attribuer de nouvelles charges, et ce sans compensation, parce que les lois et règlements ne sont pas toujours aisés à maîtriser, les collectivités, en particulier les petites communes et leurs groupements, souvent isolés et dépourvus de service juridique, doivent aussi pouvoir bénéficier, au même titre que leurs concitoyens, du regard bienveillant de l’État dans les démarches et procédures qu’elles ont à accomplir. D’ailleurs, cette proposition de loi de bon sens conforte la volonté affichée du Gouvernement de redonner confiance à nos élus, comme il l’a manifesté au travers de la loi Engagement et proximité avec l’instauration d’un nouveau rescrit administratif pour sécuriser l’exercice de leurs compétences.
Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes bien ici dans le domaine du symbole. Si vous voulez vraiment que la confiance soit restaurée avec les élus, cette proposition de loi doit figurer parmi vos engagements. Vous me permettrez d’essayer à mon tour de vous faire changer d’avis, même si vous ne nous avez pas laissé beaucoup d’espoir.
Trop souvent contraints par une réduction drastique de leurs moyens humains, matériels et juridiques, parfois démunis face à un désengagement des services déconcentrés de l’État dans leurs missions de conseil et d’appui juridique, dont ils bénéficiaient par le passé, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont pas à l’abri d’erreurs et d’omissions. Il est légitime de leur ouvrir, je le répète, le bénéfice d’un droit à l’erreur, même au titre du symbole, puisque vous semblez penser que ce texte est superfétatoire.
Cette proposition s’est vu conforter par M. le rapporteur de la commission des lois, qui a apporté un certain nombre de précisions.
M. le président. Il faut conclure !
M. André Reichardt. J’espère vivement que le Gouvernement ainsi que l’Assemblée nationale entendront cette fois les arguments développés aujourd’hui au Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous commençons à être familiers du concept de droit à l’erreur, mais un bref rappel peut être utile : ce qu’on appelle communément « droit à l’erreur » constitue en réalité un droit à régularisation en cas d’erreur. Pour les citoyens, ce dispositif figure désormais au sein du code des relations entre le public et l’administration. Il ne s’agit pas de consacrer pour les collectivités un droit à l’impunité, un droit à la faveur, comme l’a dit notre rapporteur, un droit à la négligence, à l’incompétence ou un passe-droit !
Divers projets de loi de simplification, ces dernières années, ont ancré ce principe dans notre droit.
Un ancien ministre chargé de ces sujets, M. Thierry Mandon, rappelait cependant, à la fin de 2017, que beaucoup de ces questions ont été monopolisées par Bercy au sein de l’exécutif, et ce quelles que soient les majorités. Cela a eu des avantages : des progrès importants ont été faits en matière de dialogue sur la sphère fiscale. Cela a aussi eu des inconvénients : une vision très, trop centrée autour des questions de finances.
La chambre haute, dans sa grande sagesse, avait tenté d’introduire des inflexions à destination des collectivités locales. C’est la genèse de notre débat du jour, qui s’appuie sur l’amendement de notre collègue Vermeillet au projet de loi dit « Société de confiance ». Pour notre collègue, l’extension de ce dispositif de droit à l’erreur aux collectivités repose sur les mêmes principes que ceux qui ont présidé à sa création pour les usagers. Il s’agit d’assurer que les relations entre l’État et ses services, d’un côté, et les collectivités territoriales, de l’autre, soient fondées sur le conseil et l’accompagnement, plutôt que sur le contrôle et la sanction. C’est d’autant plus nécessaire pour les collectivités qui ont des moyens humains et juridiques limités, dans un environnement où les contraintes administratives restent importantes, et ce en dépit des efforts de simplification entrepris depuis plusieurs années.
Le Gouvernement s’était opposé à ce dispositif, pourtant largement soutenu ici. Les arguments sont connus : d’abord, le Gouvernement ne voulait pas que l’on rende confus le message principal d’une loi tournée vers le grand public. Admettons… Mais cet argument ne tient plus aujourd’hui grâce à cette proposition de loi dédiée. Ensuite, le Gouvernement ne voyait pas du tout quelles situations étaient visées. Mes collègues, notamment Sylvie Vermeillet, ont donc illustré par de nombreux exemples très étayés les situations concernées.
Les collectivités sont soumises à de nombreuses obligations déclaratives : par exemple, à l’occasion d’une demande de subvention. Le droit à régularisation en cas d’erreur leur évitera, si elles régularisent leur situation, d’être privées de tout ou partie d’une prestation.
Enfin, le Gouvernement nous dit que le contrôle de légalité et le rescrit permettraient de régler tous les problèmes potentiels. J’ai des doutes sur l’effectivité du contrôle de légalité sur le terrain ; je pense que les sénateurs expérimentés me rejoindront sur ce point. Par ailleurs, le rescrit ne prend pas en considération tous les champs couverts par le droit à l’erreur.
Un débat existe sur des limites à apporter à ce droit à l’erreur pour les collectivités. Les grandes collectivités n’en auraient pas besoin. Je ne comprends pas cet argument ! La complexité existe à tous les étages. Si l’on procède par analogie, il faudrait restreindre le droit à l’erreur pour les particuliers sur des critères de ressources ou d’éducation. Cela n’a pour moi guère de sens. A-t-on mis en place des limites pour le droit à l’erreur des plus grandes entreprises ?
Vous l’aurez compris, je soutiens pleinement cette proposition de loi, de la même manière que nous avons soutenu, avec le groupe socialiste, l’amendement de Mme Vermeillet lors de l’examen du projet de loi Darmanin. (Applaudissements sur des travées des groupes SOCR et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis 1982, les actes de la décentralisation se succèdent, tous accompagnés de discours bienveillants sur les vertus de l’action locale et des élus. L’acte I a vu la suppression de la tutelle administrative, le transfert du pouvoir exécutif du préfet au président du conseil général et l’instauration du transfert de ressources. L’acte II visait l’autonomie financière des collectivités territoriales, le transfert de nouvelles compétences et la constitutionnalisation de la région. L’acte III, quant à lui, a consacré l’avènement d’une forme de contractualisation entre l’État et les territoires.
Il semble ainsi que les gouvernements successifs s’entendent pour présenter ces réformes comme procédant d’une confiance pérenne en l’action territoriale. Notre assemblée ne pourrait que s’en réjouir si les actes suivaient toujours réellement ces discours.
Oui, notre assemblée possède par essence une idée claire des réalités locales et a le privilège de porter ici, en connaissance de cause, la voix des territoires ! Or il est aujourd’hui malheureusement banal de rappeler que les collectivités territoriales peinent à exercer sereinement les compétences qui leur ont été transférées. D’une part, ces transferts ont été nombreux, et ils n’ont pas été accompagnés des moyens nécessaires à leur bon exercice. D’autre part, et c’est l’objet de mon intervention, leur situation est aggravée par la complexification croissante du droit. C’est là encore, hélas, un lieu commun.
Ainsi, les textes de simplification du droit pullulent. La récente création d’un droit à l’erreur au profit des usagers de l’administration procède de la même prise de conscience. C’est pourquoi nous avions quasi unanimement défendu au Sénat, pendant la discussion de la loi Essoc, un amendement qui visait à étendre le champ d’application de ce droit à l’erreur aux collectivités territoriales et à leurs groupements. Rejeté à l’Assemblée nationale par la majorité, nous l’avons porté de nouveau lors de l’examen de la loi Engagement et proximité. Cette demande transcende les clivages partisans, parce qu’elle touche à l’exercice même des compétences de l’élu local, et particulièrement des maires des petites communes, auxquels tant de Français sont attachés.
Face à la complexification de notre droit, à la multiplication des procédures, il devient difficile pour les collectivités d’agir sans commettre d’erreurs. Cela est particulièrement vrai pour les plus petites d’entre elles et les EPCI qui ne comptent pas de grande commune en leur sein. Ce manque de moyens les prive de service juridique, d’une expertise approfondie, comme du recours ponctuel à des cabinets spécialisés.
Dans un département comme le mien, le Cantal, de nombreuses petites communes sont incapables de faire face à ces évolutions. Comment voulez-vous qu’un secrétaire de mairie, présent une fois par semaine et le plus souvent dépourvu d’une formation juridique appropriée, ne commette jamais la plus petite des erreurs ? Or celle-ci peut être lourde de conséquences, d’autant que le contrôle de légalité des préfectures pâtit, lui aussi, d’un manque de moyens.
Il arrive dès lors souvent que des collectivités perdent le bénéfice de subventions dont elles ont besoin en raison d’omissions minimes et involontaires, et il en va ainsi de nombreux actes juridiques. Ces conséquences disproportionnées pénalisent nos collectivités et, partant, nos concitoyens. L’objet de cette proposition de loi est d’y remédier. Le groupe du RDSE la soutiendra, comme les précédents amendements qui allaient en ce sens. Nous demandons non pas de nouveaux moyens, mais simplement que l’État prenne en compte, avec bienveillance, les difficultés que rencontrent les collectivités territoriales. Reconnaître ce droit à l’erreur serait un symbole rassurant et bienvenu de cette considération.
Comme je l’ai dit, ce sont surtout les petites communes qui gagneraient à ce que cette proposition de loi soit adoptée. À l’avenir, pourquoi ne pas imaginer, le jour où le droit à la différenciation aura une portée normative effective, de limiter le champ d’application de ce droit à l’erreur aux plus petites collectivités ?
Monsieur le secrétaire d’État, le Sénat soutient quasi unanimement cette mesure. Nous insistons, parce que nous la croyons bonne. C’est pourquoi nous vous demandons, cette fois, de nous entendre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, avant toute chose, je veux remercier le groupe Union Centriste de nous permettre d’affirmer la réalité d’un droit à l’erreur pour les collectivités, de discuter de la pertinence de l’inscrire symboliquement dans la loi et d’analyser les effets de bord éventuels découlant de la situation actuelle ou de l’adoption de ce texte par nos deux assemblées.
La mauvaise foi sur laquelle repose notre droit à l’erreur est l’un de ces mots « caoutchouc » qui abondent dans notre droit positif et qui suscitent des quiproquos sans cesse renaissants et des débats intéressants. Celle-ci est définie par l’article L. 123-1 du code des relations entre le public et l’administration, qui dispose, pour l’essentiel, que la preuve de l’absence de bonne foi doit être rapportée par l’administration, au même titre que pour les manœuvres frauduleuses.
Nous le savons sur ces travées, le droit à l’erreur n’est pas une maigre avancée : c’est une révolution administrative, par l’assouplissement de l’unilatéralité des actes, par l’inversion de la charge de la preuve, par la « subjectivisation » – pardon de ce nouveau mot un peu techno, monsieur le rapporteur – du droit administratif.
Encore une fois, le bon sens semble justifier une extension générale de ce droit de régularisation d’erreurs commises de bonne foi par les collectivités territoriales dans leurs relations avec l’État et les organismes de sécurité sociale, fussent-elles coupables de légèreté. L’inflation normative, le millefeuille administratif et le méli-mélo procédural semblent, en effet, plaider en faveur d’une telle extension. Notre rapporteur a d’ailleurs sécurisé juridiquement cette éventualité par l’apport de quelques rectifications techniques, notamment en autonomisant le droit à l’erreur du code des relations entre le public et l’administration et en élargissant le bénéfice du droit à régularisation à l’ensemble des collectivités territoriales et à leurs groupements.
Un certain nombre d’entre nous reste néanmoins sceptique sur l’apport réel, en pratique, de ce texte, les préoccupations formulées par les auteurs de la proposition de loi semblant avoir été partiellement satisfaites par le principe de rescrit préfectoral, institué par la loi Engagement et proximité. Avant d’adopter un acte susceptible d’être déféré, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent ainsi désormais saisir, en amont, le représentant de l’État compétent pour contrôler la légalité de leurs actes. Ce « conseil de légalité », sous forme d’une prise de position formelle, permettra d’accompagner la mise en œuvre d’une disposition législative ou réglementaire régissant l’exercice de leurs compétences ou les prérogatives dévolues à leurs exécutifs.
Par ailleurs, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent déjà se prévaloir du droit général à la régularisation de leurs erreurs en matière fiscale et sociale, puisqu’ils sont assimilables aux employeurs visés par les dispositions du code de la sécurité sociale lorsqu’ils sont amenés à verser des cotisations à travers des dispositions législatives ou réglementaires particulières. Si l’on suit ce raisonnement, dans la pratique concrète, les collectivités territoriales bénéficient aujourd’hui d’un droit à l’erreur.
Au-delà, il faut s’attaquer aux normes toujours plus nombreuses qui en justifient l’existence. Ce constat fait consensus, car l’officialisation du droit à l’erreur n’éteint pas la défiance liée à la complexité des règles à suivre, pas plus qu’elle ne clarifie un processus décisionnel aussi centralisé et normalisé, en raison de la multiplication des normes qui désarme des collectivités sans compétence juridique suffisante.
Le droit à l’erreur est, bien sûr, une mesure palliative à l’inflation des normes, qui est notre première préoccupation. La prudence de Portalis trouve tout son écho s’agissant de simplification.
Ces réserves étant exprimées, le groupe La République En Marche ne souhaite pas s’opposer…
M. Loïc Hervé. Ah !
M. Arnaud de Belenet. … à ce que le Sénat pose un acte symbolique d’affirmation de la réalité d’un droit à l’erreur.
M. Roger Karoutchi. Le Gouvernement va vous suivre ! (Sourires.)
M. Arnaud de Belenet. Néanmoins,…
M. Loïc Hervé. Ça commençait pourtant bien…
M. Arnaud de Belenet. … il comprend pleinement que le Gouvernement soit responsable de la simplicité, de la pertinence et de la lisibilité de la production législative.
M. Loïc Hervé. C’est le « en même temps » !
M. Arnaud de Belenet. Pas du tout, il s’agit d’honnêteté intellectuelle pleine et entière. (Sourires.)
À titre personnel, je rejoins pleinement le constat de notre rapporteur sur l’absence de bouleversement pratique et juridique qu’entraînerait l’adoption de cette proposition de loi. Néanmoins, il reste quelques interrogations au sujet d’éventuels effets de bord, notamment en cas de réitération d’une erreur. Se pose aussi la question de la preuve de la fraude, question, qui, je n’en doute pas, sera évoquée dans la suite des débats et, peut-être, à l’Assemblée nationale… (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, il s’agit, comme on le sait, de réintroduire dans la loi un amendement adopté par le Sénat lors de l’examen de la loi Essoc, un texte, je le rappelle, contre lequel mon groupe avait voté à l’époque, essentiellement pour deux motifs.
Tout d’abord, parce que ce texte clairement d’affichage était destiné à montrer que le Gouvernement se préoccupe des relations des Français avec l’administration de l’État au sens large, sans un sou supplémentaire, bien sûr, pour permettre à ladite administration de remplir effectivement sa nouvelle mission : rendre confiance aux citoyens par la câlinothérapie.
Aujourd’hui, l’administration publique n’administre plus : elle donne des conseils et rend des services. Son objectif n’est plus de concilier efficacité et équité de traitement des citoyens, mais de leur donner confiance dans leur administration, donc en eux-mêmes, donc dans leur pays et, accessoirement, dans le Gouvernement. C’est d’abord un service social.
Ensuite, parce que ce texte était constitué d’un bric-à-brac de dispositions disparates, sans lien entre elles, voire avec l’objectif poursuivi. Parmi elles, le produit d’appel, objet de la présente proposition de loi : « le droit à l’erreur » pour les personnes de bonne foi ayant méconnu pour la première fois une règle et ayant régularisé leur situation, volontairement ou à la demande de l’administration.
C’est une disposition qui ne mange pas de pain, comme on dit chez nous en Provence, mais probablement ailleurs aussi. Pourtant, le Gouvernement avait, lors de l’examen du projet au Sénat, refusé de l’étendre aux collectivités territoriales. Il est vrai que les collectivités territoriales, quoi qu’on en dise, n’occupent pas la même place que les entreprises dans le cœur du Gouvernement. M. le secrétaire d’État, jamais avare d’arguties juridiques, vient de nous en administrer une nouvelle preuve.
M. Loïc Hervé. Eh oui !
M. Pierre-Yves Collombat. C’est d’autant plus étrange qu’en réalité, et cela a été dit à demi-mot, ce droit à l’erreur se borne à inscrire dans la loi des pratiques existantes qu’un ou plusieurs décrets, voire quelques circulaires auraient suffi à généraliser assez facilement.
Voter cette extension d’une disposition de faible portée à l’intérieur d’un texte clairement publicitaire n’étant pas ce que nous préférons, mon groupe, reconnaissant qu’il y a quand même quelque chose de positif dans cette disposition spécifique, s’abstiendra. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, l’article unique de la proposition de loi présentée par nos collègues Hervé Maurey et Sylvie Vermeillet vise à créer un droit à l’erreur des collectivités locales et de leurs groupements dans leurs relations avec les administrations de l’État, ses établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif.
Ce texte, porté par le groupe Union Centriste, tente de répondre aux préoccupations qu’un nombre croissant de collectivités territoriales font entendre, en particulier les plus petites d’entre elles, bien sûr, pour lesquelles les moyens sont nécessairement plus limités, mais pas seulement celles-là. Toutes demeurent en effet, quelle que soit leur taille, de plus en plus soumises aux mêmes règles que les autres acteurs économiques et juridiques, par exemple en matière de procédure fiscale ou de marchés publics, de sorte que c’est bien l’ensemble des collectivités qui sont devenues des usagers à part entière de l’administration.
Je tiens ici à saluer l’initiative prise par notre collègue Sylvie Vermeillet, qui, forte de ce constat, fit adopter lors de l’examen au Sénat du projet de loi Essoc un amendement visant à étendre le droit à régularisation aux collectivités territoriales et à leurs groupements. Cette mesure, quoique soutenue sur l’ensemble des travées de cet hémicycle, n’aura, comme trop souvent, hélas, pas survécu à la navette parlementaire. Reste que la question a eu le mérite d’avoir été posée, et l’occasion nous est aujourd’hui donnée d’apporter une réponse opportune en remettant l’ouvrage sur le métier.
J’aimerais revenir sur les arguments pour le moins évasifs avancés alors par le Gouvernement.
Il nous avait d’abord été rétorqué que le droit à l’erreur était donné aux usagers de l’administration, et non aux administrations elles-mêmes, de sorte que l’objectif de la réforme en eût été brouillé.
Le Gouvernement avait ensuite évoqué un problème de praticabilité, excipant du fait qu’il était concrètement difficile d’identifier les situations qui justifieraient l’élargissement de ce droit en dehors des relations entre les administrations et les usagers.
Chacun de ces arguments ne résiste pourtant pas à un examen rigoureux des faits. Je remercie Sylvie Vermeillet d’avoir donné des exemples extrêmement concrets lors de son intervention.
Certes, nul ne contestera que les collectivités territoriales constituent une forme d’administration, au sens large du terme, mais cette position d’administration ne saurait être, dans les faits, exclusive de la condition d’usager.
À l’instar des entreprises, à qui est reconnu ce droit à régularisation, les collectivités, qui ont une personnalité morale distincte, paient l’impôt sur les sociétés, la TVA et participent au prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. De même, elles sont confrontées à des interlocuteurs identiques à ceux des usagers, particuliers ou entreprises, telles la DGFiP ou l’Urssaf.
On ne voit donc pas très bien en quoi l’application du droit à l’erreur aux collectivités territoriales en diluerait le principe. C’est oublier surtout, et cela a été rappelé en commission des lois, qu’il existe déjà au profit des collectivités territoriales des droits à l’erreur spéciaux en matière fiscale et sociale.
À cet égard, la suppression par la commission des lois du renvoi aux dispositions du code des relations entre le public et l’administration, et conséquemment la création d’un droit à l’erreur véritablement autonome, permet de distinguer les collectivités du public, à qui s’adresse ce code, et dissipe ainsi toute équivoque.
Qu’il me soit ici permis de féliciter le rapporteur de la commission des lois, notre collègue Philippe Bonnecarrère, pour la qualité de son travail et sa sagacité coutumière.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. On peut le dire !
M. Loïc Hervé. Outre l’autonomisation d’un droit à l’erreur dans le code général des collectivités territoriales, nous saluons les clarifications de bon sens apportées à la mouture initiale du texte, en particulier l’ouverture de ce droit nouveau à l’ensemble des catégories de collectivités, en conformité avec ce qu’avait déjà adopté la Haute Assemblée lors de l’examen du projet de loi Essoc, mais aussi le renforcement de la protection octroyée aux collectivités, de sorte que les dispositions de la proposition de loi ne viennent pas obérer les protections offertes, par ailleurs, par le droit spécial à l’erreur.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce texte a été pensé pour entendre, accompagner et écouter les collectivités territoriales dans le cadre des missions qu’elles accomplissent et des procédures qu’elles sont amenées à enclencher au quotidien. Celles-ci appellent, nous le savons tous au Sénat, une ingénierie de plus en plus ardue. Pour que se concrétise cette ambition porteuse à l’égard des élus locaux, dont nous portons la voix, je vous invite à adopter sans réserve la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, l’article 2 de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite « loi Essoc », a consacré l’introduction dans le code des relations entre le public et l’administration d’un nouveau droit, improprement qualifié de « droit à l’erreur », puisqu’il s’agit d’un droit à régularisation en cas d’erreur. L’article L. 123-1 dudit code prévoit ainsi qu’« une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l’objet, de la part de l’administration, d’une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d’une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l’administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué ».
Lorsque le Sénat a examiné le projet de loi Essoc, que j’ai eu l’honneur de rapporter avec Jean-Claude Luche pour la commission spéciale, j’étais chargée de ce sujet. En commission, j’avais alors soutenu l’initiative de notre collègue Sylvie Vermeillet visant à étendre le bénéfice du droit à régularisation en cas d’erreur aux collectivités territoriales et à leurs groupements, que je considérais comme fort opportune.
Ce dispositif, introduit dans le texte de la commission à l’unanimité, avait été voté par notre assemblée, bien consciente que, tout comme les usagers, les collectivités territoriales et leurs groupements ont aussi besoin du regard bienveillant de l’État et des organismes de sécurité sociale dans le cadre des missions qu’ils doivent accomplir au quotidien et des procédures qu’ils doivent engager dans des conditions parfois difficiles.
L’Assemblée nationale avait refusé de reprendre cet apport du Sénat. En commission mixte paritaire, malgré notre proposition de réserver ce droit aux petites collectivités, nous nous étions heurtés à une opposition absolue, au simple motif que cette innovation « ne correspond pas à l’esprit d’un texte dont la préoccupation principale est de simplifier les démarches des usagers de l’administration, qu’ils soient particuliers ou professionnels ».
Je suis donc très satisfaite de voir cette idée revenir grâce à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Au moins l’argument de ne pas correspondre à l’esprit d’un projet de loi ne pourra plus nous être opposé.
Quant à l’autre argument que le Gouvernement avait soulevé, selon lequel il lui paraissait « concrètement difficile de percevoir quelles situations particulières justifieraient l’extension de ce droit en dehors des relations entre les administrations et les usagers opposés », je pense qu’il témoigne surtout d’une grande méconnaissance de ce que vivent les collectivités dans le maquis des réglementations et des formulaires administratifs.
Nous le savons tous, le rôle de conseil des préfectures auprès des collectivités territoriales est indispensable, mais les services de l’État n’ont aujourd’hui plus forcément les moyens d’apporter l’appui juridique et l’expertise dont ont cruellement besoin les plus petites communes, souvent démunies face à la complexité et à la multiplicité des procédures. C’est pourquoi je voterai avec conviction cette mesure de bon sens, que la commission des lois a précisée et améliorée en ouvrant ce nouveau droit à l’ensemble des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu les raisons pour lesquelles vous n’acceptez pas cette proposition de loi. Nous souhaiterions vous voir enfin accepter notre texte. Venez dans nos petites communes et vous verrez qu’il est vraiment indispensable ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)