M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je rappellerai tout de même le dispositif en vigueur jusqu’à présent et comment les choses se déroulaient dans la réalité. Il était effectivement prévu que, lorsqu’un couple souhaite bénéficier d’une AMP, il soit informé des possibilités en matière d’adoption, et qu’on lui remette ensuite un dossier comportant ces renseignements.
Dans le projet de loi tel qu’il nous a été transmis, il est toujours prévu que ces éléments sur l’adoption figurent dans le dossier, mais la mention d’un échange entre l’équipe et les parents a été supprimée. Toutefois, il semblait parfaitement cohérent, dans la mesure où les parents recevront un dossier mentionnant l’adoption, que le sujet ait été abordé au préalable lors de l’entretien avec l’équipe médicale pluridisciplinaire.
Nous avons donc rétabli cette cohérence qui existait, je le redis, jusqu’à maintenant, et qui ne semble pas avoir stigmatisé les couples.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Nous voterons cet amendement. Il faut bien avoir à l’esprit que l’on parle d’un couple ayant engagé une procédure de PMA, qui est extrêmement lourde. Peut-on penser une seule seconde que ces personnes, qui ont tenté pendant un certain temps d’avoir un enfant naturellement, n’ont pas réfléchi à l’adoption ? Et au moment précis où ils entament ce processus particulier – j’y insiste –, on va à nouveau leur parler de l’adoption. Je trouve cela terriblement culpabilisant. Il faut rester dans le processus et cesser de rappeler en permanence à ces couples que l’adoption est possible.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Alain Milon, président de la commission spéciale. Je rappelle que, depuis que les lois de bioéthique existent, lorsque les couples ont recours à une AMP, un dialogue s’instaure avec les membres de l’équipe, qui leur expliquent qu’ils peuvent avoir recours à l’adoption.
On estime désormais que ce n’est plus la peine de le leur expliquer, mais on leur donne un dossier dans lequel il est noté qu’ils peuvent s’orienter vers l’adoption. Cela peut être perturbant pour certains couples. C’est pourquoi la commission a simplement proposé de revenir au dispositif préexistant.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 192, présenté par Mmes Assassi, Cohen, Apourceau-Poly et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, M. Savoldelli et Mme Lienemann, est ainsi libellé :
Alinéa 38
1° Supprimer les mots :
, psychologique et, en tant que de besoin, sociale,
2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette évaluation ne peut conduire à débouter le couple ou la femme non mariée en raison de son orientation sexuelle, de son statut marital ou de son identité de genre ;
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Cet amendement vise à supprimer un ajout de la commission en vue de l’évaluation psychologique et sociale du couple ou de la femme s’apprêtant à avoir recours à une AMP, mesure qui figurait dans le projet de loi initial avant d’être supprimée lors de son examen à l’Assemblée nationale.
En outre, il vise à garantir au couple ou à la femme non mariée qu’on ne leur refusera pas l’accès à l’AMP en raison de l’orientation sexuelle, du statut marital ou de l’identité de genre.
Nous considérons, en premier lieu, que l’introduction de la mention de « l’évaluation psychologique et sociale » pose question au moment où nous nous apprêtons à voter le droit pour toutes à l’AMP. Certes, l’évaluation psychologique concernerait tous les couples, hétérosexuels ou lesbiens, ainsi que les femmes seules. Nous savons également qu’elle existe pour les couples souhaitant adopter un enfant.
Néanmoins, nous estimons que cela ne doit pas guider l’élaboration du dispositif d’AMP. En effet, un couple ou une femme non mariée souhaitant recourir à l’AMP n’ont pas à être différenciés d’un couple hétérosexuel décidant de faire un enfant sans avoir recours à cette technique. Dans ces trois cas, il s’agit d’un même projet parental.
Aussi, nous ne saisissons pas les raisons pour lesquelles, dans le cas où le projet s’inscrit dans le cadre d’une AMP, le couple ou la femme devrait subir une évaluation autre que médicale. Cela serait stigmatisant pour ces personnes et dommageable dans la procédure de l’AMP.
Ces évaluations ne viseraient-elles pas en fait à remettre en question le projet parental, les mesures éducatives, ainsi que l’environnement social du couple ou de la femme s’apprêtant à avoir recours à l’AMP ?
Nous ne pouvons nous empêcher de penser que l’introduction de ce type d’évaluation a un lien avec le projet parental d’un couple de femmes ou d’une femme seule, même indirect. Faut-il encore rappeler, à ce stade du débat, que les enfants issus d’une PMA, notamment ceux qui ont pour parents deux mères, ne sont pas moins épanouis ou plus épanouis que les autres. Je renvoie à toutes les études qui ont été réalisées sur ce sujet.
En second lieu, il nous semble très important, surtout au vu de nos discussions, que la loi garantisse expressément au sein du dispositif le principe de non-discrimination, en énonçant les motifs qui pourraient conduire une équipe médicale à refuser l’AMP à un couple ou à une femme seule.
Pour finir, nous regrettons que ce projet de loi, alors même qu’il constitue une avancée sociale importante, avec l’ouverture de la PMA pour toutes, contienne encore des dispositions discriminatoires qui traduisent une suspicion à l’égard des couples lesbiens et des femmes non mariées souhaitant s’engager dans un projet parental.
M. le président. L’amendement n° 260 rectifié, présenté par M. Mohamed Soilihi, Mme Schillinger, M. Bargeton, Mme Constant, MM. Buis, Yung et Théophile, Mme Cartron, MM. Patriat, Hassani, Marchand, Cazeau, Patient, Iacovelli, Gattolin, Karam, Rambaud, Haut et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Alinéa 38
Supprimer les mots :
, psychologique et, en tant que de besoin, sociale,
La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Cet amendement vise à supprimer la mention d’une « évaluation psychologique et, en tant que de besoin, sociale ».
Le groupe LaREM considère que cette évaluation peut être perçue négativement par les demandeurs, car elle pourrait donner le sentiment que l’accès à l’AMP est conditionné à une procédure d’agrément et susciter des inquiétudes, à juste titre.
Prenons l’exemple de la polémique récente concernant l’adoption des couples homoparentaux. La présence d’un psychiatre ou d’un psychologue spécialisé au sein de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire est suffisante pour procéder à l’évaluation médicale des deux membres du couple ou de la femme non mariée ayant un projet parental.
Cette notion de projet parental s’entend, selon le Conseil d’État, comme incluant tant le projet familial des parents que l’ensemble des conditions propres à garantir l’intérêt de l’enfant. De ce fait, il s’agit bien ici de s’assurer que le couple ou la femme non mariée pourra subvenir aux besoins de l’enfant.
M. le président. L’amendement n° 45 rectifié bis, présenté par Mmes Chain-Larché et Thomas, MM. Cuypers et de Legge, Mme Ramond, M. Vaspart, Mmes Gruny et Sittler, MM. Paccaud, de Nicolaÿ et Chaize, Mme Bories, M. Chevrollier, Mme Lopez, M. Bascher, Mmes Deroche et Lamure, MM. Mandelli et Piednoir, Mmes Bonfanti-Dossat et Noël et M. H. Leroy, est ainsi libellé :
Alinéa 38
Supprimer les mots :
, en tant que de besoin,
La parole est à Mme Anne Chain-Larché.
Mme Anne Chain-Larché. Cet amendement vise à ce que l’évaluation médicale, psychologique et sociale soit systématique et non éventuelle.
Dans le cadre d’une procédure d’adoption, une enquête sociale et psychologique est imposée aux postulants. Cette enquête vise à déterminer les garanties que la famille peut offrir à l’enfant : capacités morales, éducatives, affectives, familiales et psychologiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Tout d’abord, pour évacuer tout risque de discrimination ou de stigmatisation qui serait associé aux dispositions soumises à notre discussion, j’indique que celles-ci sont d’ordre général et s’appliquent à l’AMP quel que soit le public concerné, qu’il s’agisse d’un couple hétérosexuel infertile, d’une femme seule ou d’un couple de femmes. Ces dispositions ne sont donc pas réservées à un public plus qu’à un autre.
Nous parlons d’évaluation psychologique et sociale au sein d’une procédure, l’AMP, qui existe déjà depuis un certain nombre d’années. Comment cela se passait-il ? Les recommandations de bonne pratique de l’Agence de la biomédecine, qui ont fait l’objet d’un arrêté, prévoyaient la présence d’un psychologue dans l’équipe pluridisciplinaire qui reçoit les couples demandeurs à l’AMP. Le projet de loi mentionnait également cette évaluation psychologique. L’Assemblée nationale l’a supprimée, tout en maintenant la présence d’un psychologue. Nous tirons les conséquences de la présence du psychologue dans cette équipe en indiquant qu’il sera procédé à une évaluation psychologique. Voilà quelle est la logique.
S’agissant de l’évaluation sociale, le texte relatif à l’AMP antérieur à celui de la commission et à la mouture de l’Assemblée nationale préconisait déjà la présence d’un travailleur social, en tant que de besoin, au sein de l’équipe pluridisciplinaire recevant les couples bénéficiaires d’une AMP.
Nous avons donc introduit, dans la même logique, la possibilité de procéder à une évaluation sociale « en tant que de besoin ». Autrement, rien ne justifie la présence de ce travailleur social. Nous l’avons introduite « en tant que de besoin », parce qu’elle ne doit pas être réalisée systématiquement. Ce sont les équipes qui estiment si, oui ou non, et encore une fois, quel que soit le public concerné, il est nécessaire de procéder à cette évaluation sociale, sans que cela soit discriminant.
Voilà pourquoi la commission a ainsi rédigé son texte. Elle émet un avis défavorable sur les dispositions qui y contreviennent.
Quant au rétablissement d’une référence que nous avons supprimée après son adoption à l’Assemblée nationale, selon laquelle cette évaluation du couple ne peut conduire à débouter le couple ou la femme non mariée en raison de son orientation sexuelle, de son statut marital ou de son identité de genre, la commission y est également défavorable, car cette disposition serait tout à fait redondante avec le principe général de non-discrimination et le code de déontologie médicale.
De plus, au cours des auditions, nous avons observé que le corps médical était particulièrement heurté, et à juste titre, me semble-t-il, que nous estimions nécessaire de lui rappeler que, de manière générale et dans ses obligations déontologiques, il ne doit se livrer à aucune discrimination. Il ne nous a pas paru utile de maintenir cette disposition. C’est la raison pour laquelle, sur ce point, notre avis est aussi défavorable.
Enfin, sur l’amendement n° 45 rectifié bis qui tend à rendre systématique l’évaluation sociale, pour les raisons que j’ai indiquées, il me semble que ce n’est pas nécessaire. Laissons le soin à l’équipe de déterminer si l’évaluation se justifie, « en tant que de besoin », comme nous l’avons écrit. L’avis de la commission est donc défavorable aux trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement est favorable aux amendements nos 192 et 260 rectifié.
En revanche, il est défavorable à l’amendement n° 45 rectifié bis, qui vise à rendre systématique l’évaluation sociale préalable de tout demandeur à l’assistance médicale à la procréation. En effet, c’est le rôle de l’équipe clinicobiologique qui peut, si elle l’estime nécessaire, faire appel à un assistant social. Cela est très clairement précisé dans le projet de loi, à l’alinéa 35, sans qu’il soit besoin de le répéter.
Introduire une évaluation sociale alors que nous ouvrons l’AMP à de nouveaux publics laisse entendre aux intéressées qu’elles présentent une faiblesse et doivent, en conséquence, être protégées. Aujourd’hui, quand elles le jugent nécessaire, les équipes médicales font déjà appel à un assistant social. Nous souhaitons donc en rester au texte initial.
Enfin, nous approuvons l’interprétation que traduisent les amendements nos 192 et 260 rectifié : l’évaluation médicale globale prend en compte une évaluation psychologique. D’ailleurs, les psychologues font partie de l’équipe clinicobiologique. À nos yeux, il ne faut pas aller au-delà : de telles dispositions seraient discriminantes.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Sur ce point, la rédaction du texte de la commission est issue, pour partie, d’un de mes amendements, et je tiens à rassurer les uns et les autres quant à mon intention : après avoir voté la PMA pour toutes, je ne voulais en aucun cas tirer la ficelle dans l’autre sens.
Madame la ministre, je vous ai dit tout à l’heure combien vos propos m’enthousiasmaient. Mais reconnaissez que la situation n’est pas très claire. L’évaluation psychologique n’est pas réservée aux PMA destinées à des femmes : elle est prévue pour toutes les PMA et pour les adoptions. C’est déjà le cas aujourd’hui !
Bien sûr, il faut éviter toute discrimination. Mais – vous le précisez vous-même –, en tout état de cause, les équipes médicales comptent des psychologues ; en tout état de cause, une analyse psychologique est menée. En résumé, quand je le dis, c’est discriminant, mais quand vous le faites, c’est naturel ? (Rires et applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. Il est difficile d’intervenir après Roger Karoutchi… (Sourires.) Pour ma part, je suivrai la commission spéciale ; toutefois, ces questions continuent de m’inspirer beaucoup de doutes. Je le sais pour avoir présidé un conseil de famille pendant un certain nombre d’années : les suivis psychologiques et les enquêtes sociales sont déjà mis en œuvre pour toute demande d’adoption. Or ces procédures m’ont toujours heurtée : elles sont presque vécues comme une inquisition par les familles, qui doivent accomplir un parcours du combattant.
M. Roger Karoutchi. C’est vrai.
Mme Élisabeth Doineau. À présent, il est question d’imposer ces démarches au titre de la PMA. Je le sais bien, il faut mesurer la capacité des parents, sur tous les plans, à accueillir un enfant, et l’exigence est sans doute plus forte encore dans le cas d’une adoption. Mais, très honnêtement, il me semble nécessaire d’approfondir la question : la volonté d’avoir un enfant relève de l’intime à un point tel que, pour certaines familles, ces épreuves sont très difficiles. Elles les questionnent parfois au point de les décourager.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je suis favorable à la suppression des mentions ajoutées en commission.
Tout d’abord, il faut éviter un écueil, qui n’est pas propre au débat que nous consacrons, en l’occurrence, à la PMA, et qui reviendrait à distinguer socialement les « bons » et les « mauvais » parents.
On commence par devenir parent. Un certain nombre de facteurs sociaux, culturels ou psychologiques peuvent entraîner des défaillances ; mais ce n’est en aucun cas un postulat de départ. Nous devons nous prémunir contre ce préjugé.
D’ailleurs, je fais partie de ceux qui jugent un peu démagogiques les écoles de parents, les formations à la parentalité – même si elles sont peut-être plus nombreuses dans des communes dirigées par des élus de ma sensibilité politique. Il ne faut pas trop conditionner les gens ; il ne faut pas leur imposer une prétendue norme du « bon père », de la « bonne mère », des « bons parents ».
Évitons les faux débats et les mauvaises interprétations. Prenons garde aux attitudes moralistes, voire moralisantes, définissant ce que devrait être un parent. Dès que l’on aborde la question sociale, les dérives sont sans limites : à partir de quels revenus est-on un « bon parent » ? À partir de quel niveau d’études ? À partir de quelles connaissances ? À partir de quelles aptitudes ?
Madame la rapporteure, je vous vois hocher la tête, mais les mots ont un sens. Ils ont un sens partagé – je ne dirai pas « commun » ici –, mais ils ont aussi le sens que chacune et chacun leur donne. Or le terme d’« évaluation sociale » peut suggérer beaucoup de mauvaises interprétations. (Mme Éliane Assassi opine.) Si ces interprétations sont infondées, remplaçons-le par d’autres mots ! Ces sous-entendus n’aident pas le débat qui occupe le Sénat depuis deux jours !
Mme Patricia Schillinger. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour explication de vote.
M. Michel Amiel. Pendant plus de quinze ans, j’ai été chargé de la protection de l’enfance, et donc de l’adoption, dans un grand département, à savoir les Bouches-du-Rhône.
L’adoption implique nécessairement des enquêtes psychologiques et sociales, dans un délai qui, en vertu de la loi, ne doit pas dépasser les neuf mois – cette durée, éminemment symbolique, rappelle bien sûr celle de la grossesse. Or, souvent, les familles vivent ces démarches comme une procédure inquisitoriale. À l’inverse, j’ai pu discuter avec certaines équipes très vigoureuses et constater que certaines peuvent avoir un sentiment de toute-puissance, celui, en quelque sorte, de donner la vie.
Je ne peux pas m’empêcher de faire le rapprochement entre les dispositions proposées ce soir et les mesures en vigueur pour l’adoption. J’irai même plus loin, quitte à être un tantinet provocateur : quand on voit dans quelles conditions certains couples conçoivent des enfants – qu’importe qu’ils soient hétérosexuels ou non –, on peut se demander s’ils disposent des capacités nécessaires, que ce soit d’un point de vue psychologique ou d’un point de vue social.
Je voterais volontiers cet amendement si les mêmes mesures étaient prises au titre de l’adoption.
M. Roger Karoutchi. Et voilà !
M. Michel Amiel. Mais, puisque tel n’est pas le cas, je ne le voterai pas !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Il s’agit là d’une question très complexe. Si, à l’alinéa 38, dont nous discutons, il est prévu de « procéder à une évaluation médicale, psychologique et, en tant que de besoin, sociale », c’est parce que l’alinéa 48 – beaucoup plus loin – précise que le médecin peut ne pas mettre en œuvre la procédure d’assistance médicale à la procréation, notamment lorsque, « après concertation au sein de l’équipe […], il estime qu’un délai de réflexion supplémentaire est nécessaire à la femme non mariée ou au couple demandeur dans l’intérêt de l’enfant à naître ».
Mes chers collègues, vous le voyez bien : il n’y a pas de droit d’accès illimité et absolu à l’assistance médicale à la procréation, quels que soient d’ailleurs les demandeurs. Alors que sa formation de base ne l’y prépare pas, le médecin sera chargé de demander ce délai de réflexion – les termes sont pudiques : on n’organise pas une procédure permettant le retour des demandeurs. Ce médecin devra assumer une responsabilité qui le dépasse très largement : il faut donc pouvoir l’éclairer.
Voilà pourquoi, en commission spéciale, nous avons demandé l’ajout d’une enquête sociale, si le médecin la juge nécessaire. Après tout, une telle procédure n’est pas infamante. Comme l’a justement dit M. Amiel, elle est appliquée pour les adoptions, et cela ne choque personne.
Enfin, lorsque les demandeurs s’entendent répondre « non », ils gardent toutes les voies de recours dont on peut disposer contre une décision de son médecin : s’il s’agit d’un hôpital public, les tribunaux administratifs sont compétents ; s’il s’agit d’un établissement où le droit privé s’applique, la question relève des tribunaux judiciaires. Les demandeurs pourront faire reconnaître leurs droits. Mais le juge, lui, demandera nécessairement une expertise très approfondie.
Il est donc raisonnable de préciser que le droit à l’assistance médicale à la procréation n’est ni général ni absolu. Cela étant, il faut bien admettre que cette procédure est énoncée de manière extrêmement pudique, sans que tous les cas de figure soient rigoureusement prévus, sans que l’on indique aux demandeurs quels sont les recours qui s’offrent à eux.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Madame Cukierman, je tiens à vous rassurer : l’« évaluation sociale » est l’équivalent d’une mesure prononcée tous les jours par les tribunaux et qui s’appelle l’enquête sociale. Elle ne porte en aucun cas sur les niveaux de revenus ou d’études : il s’agit uniquement d’apprécier les conditions d’accueil d’un enfant. Le mot « social » ne camoufle aucune discrimination, il ne renvoie en aucun cas aux « classes sociales », expression à laquelle vous l’associez peut-être, comme me le fait supposer l’objet de votre amendement.
Je ne suis pas sûre de vous avoir rassurée…
Mme Cécile Cukierman. En effet !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. En tout cas, il s’agit là d’une réalité qui existe depuis bien longtemps dans notre pays, non seulement pour l’adoption, comme M. Amiel l’a indiqué, mais aussi, tout simplement, dans les litiges familiaux. Ces termes n’ont pas le sens que vous redoutez !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Monsieur Karoutchi, pour les parents accédant aujourd’hui à l’AMP, l’évaluation médicale par l’équipe pluridisciplinaire comprend, en tant que de besoin, une évaluation psychologique et sociale plus ou moins poussée.
Cette évaluation figure déjà dans les recommandations de bonnes pratiques, et les équipes y procèdent. C’est le fait de l’inscrire dans la loi, alors que nous ouvrons la PMA à toutes les femmes, qui me paraît inopportun. J’y insiste : cette évaluation est déjà mise en œuvre pour tout le monde dans les faits. Elle s’appliquera donc aux couples de femmes et aux femmes non mariées comme elle s’applique aux couples hétérosexuels.
M. le président. L’amendement n° 261 rectifié, présenté par Mme Schillinger, MM. Mohamed Soilihi et Bargeton, Mme Constant, MM. Buis, Yung et Théophile, Mme Cartron, MM. Patriat, Hassani, Marchand, Cazeau, Patient, Iacovelli, Gattolin, Karam, Rambaud, Haut et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 44
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …) Une information relative à la nécessité pour les membres du couple ou la femme non mariée, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, d’anticiper et de créer les conditions qui leur permettront d’informer l’enfant, avant sa majorité de ce qu’il est issu d’un don ;
II. – Après l’alinéa 45
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« 6° Informer verbalement les membres du couple ou la femme non mariée, dans l’intérêt supérieur de l’enfant de la nécessité d’anticiper et de créer les conditions qui leur permettront d’informer l’enfant, avant sa majorité de ce qu’il est issu d’un don.
III. – Alinéa 46
Remplacer la référence :
5°
par la référence :
6°
La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Dans l’intérêt de l’enfant, le Gouvernement a entendu faciliter, par ce projet de loi, l’accès aux origines. En effet, la démarche, très personnelle, de recherche des origines ne saurait voir sa légitimité mise en cause. On peut même estimer que la loi doit l’accompagner.
Pour un enfant, le fait de savoir qu’il est issu d’un don constitue un préalable logique à la recherche des origines que lui seul décidera ensuite, à sa majorité, d’entreprendre ou non. Les associations d’enfants nés de dons de gamètes l’expriment bien : dans l’intérêt de l’enfant, il est important que ce dernier soit informé avant même sa majorité de son mode de conception.
C’est pourquoi nous proposons que les parents soient sensibilisés à cette question, dans le cadre de leur parcours d’AMP. Il s’agirait d’inscrire dans le dossier guide remis par le médecin aux couples ou aux femmes seules des éléments quant à la nécessité d’anticiper et, ce faisant, de créer des conditions permettant de faire savoir à l’enfant, avant sa majorité, qu’il est issu d’un don. Cette mention écrite serait renforcée par une information orale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. La commission a supprimé cette mention, qui ne paraît pas très normative et qui, de surcroît, est ambiguë : il s’agit d’inciter les parents à informer l’enfant « avant sa majorité ». En lisant cette formule, plusieurs personnes avaient compris que l’on proposait de lui donner cette information à la veille de ses 18 ans. Or, sauf erreur de ma part, ce n’est pas l’intention des auteurs de cette disposition, et ce n’est en aucun cas ce qu’il convient de faire : le secret de la conception doit être levé relativement tôt.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Eu égard à la construction de l’enfant, le projet de loi initial relevait la nécessité, pour les parents, de dire à leurs enfants qu’ils sont issus d’un don. Pour autant, je suis défavorable à cet amendement, qui vise à rendre cette information obligatoire – cela ne nous semble ni faisable ni souhaitable.