Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. La commission spéciale a émis un avis favorable sur cet amendement, que Mme Primas a excellemment présenté.
Nous ne sommes pas là pour réformer le droit de la filiation. La commission spéciale n’a d’ailleurs pas procédé aux auditions nécessaires pour le faire. Nous ne sommes pas là non plus pour modifier la situation des couples qui ont aujourd’hui recours à l’assistance médicale à la procréation, tout simplement parce que le système mis en place à cet effet dans le code civil fonctionne parfaitement – nous n’avons donc nullement besoin de le modifier. Nous sommes là pour ajouter de nouvelles bénéficiaires à l’AMP, notamment les couples de femmes, et pour trouver un lien de filiation cohérent qui permette à ces femmes d’avoir les mêmes droits et, surtout, les mêmes obligations que n’importe quel parent à l’égard des enfants qu’elles auront dans le cadre de cette AMP.
La proposition qui nous est faite par l’Assemblée nationale ne convient pas à cet égard, puisqu’elle permet à deux femmes qui ont recours à l’AMP de reconnaître les enfants l’une et l’autre. Je ne m’attarderai pas sur le fait que, en droit français, la reconnaissance est l’aveu de la participation à la procréation charnelle, ce qui est rigoureusement impossible pour une des deux femmes, celle qui n’accouche pas.
Cette proposition introduit finalement un critère, celui de la volonté pure, qui ne peut pas fonder un droit d’ordre public comme la filiation – je l’évoquais il y a quelques minutes. La volonté pure appartient au droit contractuel, celui qui est à la disposition des citoyens. Le droit de la filiation n’est pas à la disposition des citoyens, parce que ses conditions sont posées par l’État, et uniquement par lui. Nous ne pouvons pas décider si nous sommes d’accord ou non avec ce droit. Nous ne pouvons pas émettre une volonté en la matière – j’ajoute que cela serait à la fois délicat et dangereux, car ce que la volonté fait, la volonté peut le défaire.
Le grand mérite de l’amendement de Mme Primas est de rejeter le fondement si fragile de la volonté et d’utiliser les outils existants du droit de la filiation. Le président Bas l’a dit, la mère est la femme qui accouche, ce qui me paraît tout de même de bon aloi et ce qui fonctionne pour toutes les femmes. L’autre mère est une mère d’intention, elle n’a pas participé à la procréation.
La maternité d’intention existe depuis toujours, cela s’appelle l’adoption – on choisit d’être parent –, et il y a une procédure pour cela. Je vous rassure, cette procédure est extrêmement simple lorsqu’il s’agit de l’enfant du conjoint. Il est tout à fait possible d’avoir recours à l’adoption, certes en modifiant quelque peu ses conditions, mais sans bouleverser totalement le droit de la filiation comme le prévoit le texte de l’Assemblée nationale.
Ce qui vous est proposé par cet amendement me paraît donc parfaitement cohérent. J’ajoute, je l’ai toujours dit, que le désir d’avoir des enfants est parfaitement légitime, mais que nous légiférons pour une minorité. La majorité des parents continuera à bénéficier du régime du code civil de la procréation charnelle.
Alors, de grâce, ne fragilisons pas un système qui correspond finalement à la quasi-totalité des parents et des enfants en France. Au contraire, utilisons ce même système pour donner aux femmes qui vont dorénavant bénéficier de l’AMP les mêmes droits et obligations que les autres femmes. Le mode d’établissement de la filiation n’est pas important, mais celle-ci doit être solide.
L’avis de la commission spéciale est donc favorable sur l’amendement n° 67 rectifié ter. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. L’avis est défavorable sur cet amendement, même si nous avons un point d’accord : l’ouverture de l’AMP avec tiers donneur aux couples de femmes nécessite de réfléchir à l’établissement d’un lien de filiation. Votre proposition, madame la sénatrice Primas, s’inscrit dans ce cadre.
L’article 4 est indispensable, même si, vous avez raison, madame la rapporteure, madame la sénatrice Primas, l’objectif de cette loi n’est pas de bouleverser le droit de la filiation, en établissant des modalités pour tel ou tel système, selon tel ou tel précepte, mais d’établir un mode de filiation pour les couples de femmes effectuant une AMP avec tiers donneur. Nous sommes d’accord là-dessus.
Vous proposez d’établir un mode de filiation qui est connu, à savoir l’adoption, dans un titre VII bis. Je ne partage pas cette option, non par choix personnel, mais parce que l’ensemble des instances consultées dans le cadre de la préparation de ce projet de loi – qu’il s’agisse du Conseil d’État, de la mission d’information de l’Assemblée nationale ou de la CNCDH – ont toutes pointé que l’adoption n’était pas adaptée à la situation. Pourquoi ? Sans doute, et je partage cette explication, parce qu’il y aurait une forme d’incohérence à reconnaître un projet parental porté par deux femmes – elles ont décidé ensemble de s’engager dans la procréation médicale et de faire une déclaration conjointe – et à créer un décalage au terme du processus, c’est-à-dire à la naissance de l’enfant, entre celle qui accouche, laquelle est bien entendu la mère,…
M. Gérard Longuet. Eh oui !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … et celle qui a porté le même projet au même moment en s’engageant dans la même démarche.
M. Gérard Longuet. Le père n’accouche pas non plus !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Tel qu’il existe, il me semble que le système de l’adoption, que vous envisagez, ne permet pas d’établir un lien de filiation de manière simultanée. Vous le savez, il y a une démarche supplémentaire à effectuer : l’intervention du juge. Je ne suis pas sûre que cela apporte quelque chose en matière tant de sécurité que d’égalité par rapport au schéma que l’Assemblée nationale a proposé. Voilà la raison pour laquelle il ne me semble pas opportun de recourir à la procédure judiciaire de l’adoption, comme vous l’imaginez.
Je ne considère pas que votre proposition soit dénuée de sens, mais elle ne me semble pas cohérente avec ce que nous avons voulu faire en ouvrant la PMA avec tiers donneur aux couples de femmes. Elle pourrait apparaître un peu discriminatoire pour ces femmes. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Si le mot est un peu trop fort, considérons qu’elle introduit une différenciation avec les autres couples, qui n’est pas forcément utile.
Je voudrais simplement redire ici devant vous qu’avec les choix opérés par l’Assemblée nationale, sur proposition du Gouvernement, nous avons l’ambition de faire reposer l’établissement de la filiation sur quelques principes clairs, que j’ai présentés lors de la discussion générale, mais que je tiens à réaffirmer ici.
En premier lieu, il s’agit pour nous d’offrir aux enfants nés d’une AMP au sein d’un couple de femmes exactement les mêmes droits qu’aux autres enfants.
Mme Sophie Primas. C’est le cas !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ne doute pas que vous souscriviez à ce principe, mais nous l’inscrivons clairement dans un article 6-2 du code civil. C’est vraiment la réaffirmation de l’égalité entre les enfants, quel que soit le mode d’établissement de la filiation.
En deuxième lieu, nous apportons une sécurité juridique – pour nous, c’est une exigence forte – à la fois aux deux mères et à leurs enfants. Nous souhaitons sécuriser l’établissement de cette filiation, qui repose non pas sur la vraisemblance biologique, c’est-à-dire l’altérité sexuelle, mais sur un engagement commun.
En troisième lieu, nous voulons mettre en place une procédure simple, qui n’impose aucune démarche ou contrainte supplémentaire aux femmes qui s’engagent dans ce processus.
En quatrième lieu – nous l’avons rappelé à plusieurs reprises –, nous avons fait le choix de ne pas modifier les procédures applicables aux couples hétérosexuels ayant recours à l’AMP avec tiers donneur, considérant que cela n’était pas nécessaire.
Ces quatre principes s’appliquent, me semble-t-il, au mode d’établissement de la filiation que nous avons retenu. Pour autant, je crois que notre solution ne provoque pas un bouleversement du droit de la filiation. Elle va reposer sur un engagement commun, comme Mme la rapporteure le faisait observer, mais il ne s’agit pas de volonté pure ; c’est plutôt un consentement qui s’impose dans des conditions précisément fixées par la loi, selon des modalités très encadrées et avec des effets, eux aussi, précisément déterminés par la loi.
Nous sommes vraiment dans un mode d’établissement de la filiation qui prend en compte la spécificité de cette situation, mais qui ne vient pas bouleverser le droit de la filiation. Telles sont les raisons pour lesquelles je ne souhaite pas émettre un avis favorable sur l’amendement que vous portez, madame Primas.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Comme certains de mes collègues à droite, dont Sophie Primas, et au centre, j’ai voté l’extension de la PMA. Cette thématique autour d’un projet parental exprimé relève de la liberté, et nous ne nous sentions pas le droit de l’empêcher.
L’article 4, qui a trait à la filiation est nécessaire, car il faut effectivement trouver une solution.
Madame la garde des sceaux, j’écoute beaucoup tout ce qui se dit, parce que je n’ai pas de vérité révélée, pas plus sur cet article que sur les autres.
Bien sûr qu’il y a un projet commun à deux femmes. Sauf à être sourd, aveugle et totalement inconscient, force est de reconnaître qu’il y a bien une des deux femmes qui porte l’enfant ; il y a bien une des deux femmes qui vit la grossesse ; il y a bien une des deux femmes qui est la « mère biologique ». C’est tout l’esprit de l’amendement de Sophie Primas, que j’ai souhaité cosigner et que je vais voter.
Je suis d’accord pour dire que, dans la vie affective, dans la vie réelle de la famille à venir, deux femmes peuvent parfaitement élever un enfant, et c’est très bien ainsi. En revanche, qu’on invente un statut juridique un peu curieux, dans lequel la mère biologique n’a pas plus, si je puis dire, de validité en tant que mère que la mère d’intention, nous plonge, me semble-t-il, dans une confusion extrême.
Autant je suis pour une avancée sur la liberté et les droits, autant je ne suis pas pour la confusion, qui, de toute manière, à un moment ou à un autre, ne sera pas en faveur de l’enfant à naître. Il aura, certes, deux femmes, deux mères dans sa vie, mais inventer une modification de toutes les règles pour dire qu’il n’y a aucune différence entre la mère biologique et la mère d’intention pénalisera in fine l’enfant.
Restons-en au respect de nos principes : il y a la mère biologique et la mère d’intention, qui, par définition, ne pourra pas être évincée, l’amendement étant très clair sur l’automaticité. Ne nions pas la réalité quand nous voulons faire avancer le droit. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour explication de vote.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Je ne me suis pas exprimée depuis trois jours sur la place des enfants, mais je souhaite le faire maintenant. En effet, depuis le début de nos débats, j’ai l’impression que je suis issue d’une famille complètement déconnectée de la réalité d’aujourd’hui. J’ai entendu des choses sur la famille dans cet hémicycle qui me surprennent.
On remet beaucoup en cause la vieille France et la vieille famille. Je suis d’accord, la société doit évoluer, et nous avec, mais je ne peux que réagir quand je vous entends dire, madame la garde des sceaux, que vous voulez offrir à ces enfants les mêmes droits qu’aux autres enfants, c’est-à-dire à ceux qui ont un père et une mère, et non pas deux pères ou deux mères.
Les enfants issus de l’AMP, que je n’ai pas votée à l’article 1er, auront une seule maman. Comment peut-on être dans le déni à ce point pour refuser de dire à un enfant, qui va vivre dans l’amour porté par ces deux femmes, qu’il n’y en a qu’une qui l’a porté ? Vous parlez de sécuriser juridiquement les deux mères. Mais comment peut-on dire une chose pareille ? Il n’y a qu’une mère, madame la garde des sceaux.
De par mon histoire personnelle, je sais ce que c’est que de chercher son père et sa mère. On les cherche toute sa vie ! N’imposons pas aux enfants ces questionnements sur la façon dont ils sont venus sur Terre. Ils sont venus, parce qu’ils ont eu une maman. Cela ne remet pas en cause la place de la deuxième femme, qui peut l’aimer, l’adorer, mais cessons de vouloir trouver des solutions à un problème que l’on ne mesure pas, que l’on ne maîtrise pas.
Un enfant a toujours besoin de savoir. On ne ment pas à un enfant. On doit lui dire la vérité, même si elle est compliquée. Les adultes qui ont fait le choix d’être à deux mamans pour assurer la vie d’un enfant doivent avoir le courage de lui dire qu’il n’y en a qu’une qui l’a porté. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Sans refaire le débat, je rappelle que j’ai voté pour l’AMP, parce qu’il m’a semblé que des personnes avaient le droit de désirer et d’aimer un enfant et qu’il s’agissait d’une aspiration de la société.
Ici, nous sommes dans un débat sur la filiation. Autant j’étais favorable à l’idée qu’il fallait adapter la filiation à cette réalité nouvelle, autant j’ai le sentiment que ce texte, tel que le Gouvernement le veut, est non pas une adaptation, mais un bouleversement de ce droit. Il y a quand même une remise en cause du principe en vertu duquel la femme qui accouche est la mère. Philippe Bas l’a bien dit en commission.
Pourquoi cette position du Gouvernement ? C’est la quête d’égalité dans l’établissement de la filiation qui le guide, mais, au fond, il n’y arrive pas vraiment.
M. Roger Karoutchi. Exact !
M. Olivier Henno. Faut-il d’ailleurs toujours rechercher l’égalité ? Est-ce que la vraie égalité suppose d’avoir exactement le même mode d’établissement de la filiation que son voisin ? Je ne le pense pas.
J’ajoute même, en faisant attention à bien peser mes mots, que l’adoption est un mode de filiation tout aussi légitime.
M. Philippe Bas. Très bien !
M. Olivier Henno. Je reste très prudent dans mon expression, mais il me semble que, derrière vos propos, madame la garde des sceaux, il y a comme une dévalorisation de la filiation établie par l’adoption. À titre personnel, j’en suis assez touché et je le ressens de manière assez forte, puisque ma femme est une enfant adoptée.
Je trouve que l’amendement de Mme Primas est tout à fait pertinent, car il prend en compte cette réalité de l’AMP sans bouleverser nos principes de filiation, dont nous avons longuement discuté en commission spéciale. En somme, je le trouve équilibré. C’est la raison pour laquelle je le voterai. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Dominique de Legge. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Madame la garde des sceaux, plusieurs principes dictent votre position à l’égard de cet amendement.
Vous refusez toute discrimination entre les deux femmes. Or vous aurez beau écrire tout ce que vous voulez dans le code civil, il n’en restera pas moins qu’il y aura une femme qui accouche et l’autre pas.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
Mme Sophie Primas. Il y a des règles naturelles intangibles contre lesquelles vous ne pouvez rien. En fait, avec votre dispositif, vous introduisez une discrimination entre les couples. Dans un couple hétérosexuel, il y a une femme qui accouche, comme dans un couple de femmes. En traitant les couples homosexuels et hétérosexuels de la même façon, nous refusons toute discrimination, contrairement à ce que vous dites.
Vous invoquez la sécurité juridique, mais, comme vient de la dire mon collègue, en quoi l’adoption n’est-elle pas juridiquement solide ? Selon moi, le fait de créer un titre VII bis dans le code civil reprenant les éléments de la filiation adoptive est extrêmement solide juridiquement.
Enfin, vous appelez de vos vœux une démarche simple, sans procédure supplémentaire. Je suis désolée de vous le dire, mais il y en aura bien une pour la femme qui accouche. Aujourd’hui, elle n’a pas besoin de faire de déclaration : elle est la mère, et elle n’a rien à faire. Avec votre dispositif, vous lui ajoutez une formalité juridique.
Vos arguments sont donc tout à fait réversibles et je ne les trouve pas convaincants au regard de vos objectifs. Heureusement, il y aura une navette, avec, je le pense, plusieurs allers-retours. Nous aurons tous, y compris le Conseil d’État, le temps de bien faire mûrir notre position sur cette problématique de la filiation. Reste que je suis persuadée qu’avec notre amendement nous répondons à vos exigences de non-discrimination, de sécurité juridique et de simplification des démarches. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Philippe Bas. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.
Mme Laure Darcos. J’ai également cosigné l’amendement de ma collègue Sophie Primas.
Madame la garde des sceaux, je ne sais pas si vous avez interrogé beaucoup de couples de femmes homosexuelles. Moi je l’ai fait, et je puis vous dire qu’elles sont toutes d’accord : celles qui vont porter l’enfant, ou qui sont en train de le porter, veulent être déclarées comme mère. Elles souhaitent simplement que leur conjointe puisse bénéficier d’une adoption plénière et que soit reconnue une deuxième maternité. La plupart des femmes dans ce cas font déjà cette distinction, et heureusement ! Cela n’empêchera pas l’épouse de porter ultérieurement un autre enfant pour être « à égalité ».
Comme l’a bien dit Sophie Primas, la question ne se pose même pas pour un couple hétérosexuel. C’est la mère qui accouche. Pour l’instant, heureusement, rien n’a changé dans le statut.
À mon sens, l’amendement est très équilibré, et je le voterai des deux mains.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Cet amendement n’est que la reprise de ce que la rapporteure Muriel Jourda nous avait proposé en commission, en vain, puisqu’elle n’a pas été suivie.
À l’article 310-1-1, que vous souhaitez créer avec votre amendement, il serait précisé qu’« il ne peut être légalement établi deux filiations maternelles ou deux filiations paternelles à l’égard d’un même enfant ». Cela veut dire qu’il ne pourrait pas y avoir d’adoption plénière par une autre mère ou un autre père, ce qui est aujourd’hui possible. Il y a lieu de revoir ce point.
Nous sommes tous à peu près d’accord pour dire que l’assistance médicale à la procréation est possible et que cet enfant aura une mère, à savoir la femme qui aura accouché. Nous sommes également plutôt d’accord pour dire qu’il faut que ce soit clairement indiqué et pour définir la nature du lien avec celle qu’on appelle la mère d’intention. Le problème, c’est que votre amendement complexifie les choses, en obligeant à faire une démarche d’adoption après la naissance devant un tribunal. Il faut trouver les voies et moyens de simplifier la procédure.
Mme la garde des sceaux s’est efforcée de trouver une solution pour que, au moment du consentement donné devant notaire, il y ait d’ores et déjà la possibilité d’établir cette filiation à l’égard de la mère d’intention. Qu’importe si on appelle cela une adoption ou autrement. Vous avez fait le choix, madame la garde des sceaux, d’appeler cette procédure reconnaissance conjointe, le terme reconnaissance étant déjà dans le titre VII. Comme je vous l’ai dit en commission, madame Jourda, et vous le savez, la reconnaissance n’est pas la preuve absolue de la paternité de l’homme qui reconnaît, des reconnaissances pouvant se faire alors que l’enfant est né depuis quelques années.
Faut-il appeler cette procédure autrement ? J’ai dit lors de mon intervention préalable que je préférerais que nous introduisions dans le code civil un titre spécifique sur l’enfant né d’une assistance médicale à la procréation pour régler toutes les situations, ce qui permettrait aussi de traiter le problème de l’anonymat, dont nous avons parlé.
J’y insiste, votre amendement tend à complexifier les choses. Il ne peut donc pas répondre à l’attente des femmes. Je veux bien qu’on appelle différemment la mère d’intention, mais, de grâce, faisons en sorte de simplifier la vie de ces deux femmes, à qui nous permettons de réaliser un projet parental grâce à l’AMP. Tel sera le cas si tout est réglé dans l’acte notarié lors de la déclaration préalable conjointe. Ensuite, lorsque la mère aura accouché, une déclaration sera faite à l’officier d’état civil, ce dernier constatant qu’il y a une mère d’intention, comme vous l’avez prévu, madame la garde des sceaux. C’est cette voie simple qu’il faut rechercher, et pas la voie complexe de votre amendement, madame Primas, qui n’est d’ailleurs qu’une reprise de l’amendement de Mme Jourda, qui nous avait tous étonnés.
Mme Sophie Primas. Excusez-moi de ne pas en avoir la seule maternité, monsieur Bigot ! Vos propos sont assez désagréables !
M. Gérard Longuet. Une maternité partagée par deux femmes ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. La vie conjugale, depuis toujours, n’est pas un long fleuve tranquille, comme en témoignent les chiffres de la divortialité tels que l’INED les a présentés récemment. La mère d’intention n’échappera pas aux difficultés qui rencontrent tous les autres couples. La probabilité du divorce, dès lors qu’il y a mariage, ou de la séparation de fait, dès lors qu’il n’y a que concubinage, est relativement élevée. Elle n’est pas plus faible chez les couples homosexuels que chez les couples hétérosexuels. Elle serait même plus forte chez les couples homosexuels féminins d’après les premières statistiques, mais nous n’avons pas encore suffisamment de recul.
Pour ma part, je voterai l’amendement de Mme Primas, car il permettra de créer un lien stable, durable entre l’enfant qui est né et la personne qui a accompagné la mère charnelle au moment de cette naissance. La déclaration d’intention est quelque chose de très sympathique, mais la volonté qu’elle fige à un moment donné n’est pas durable. La probabilité n’est pas nulle – elle est statistiquement de 45 % à 50 % – que ce couple disparaisse, la vie n’étant pas un long fleuve tranquille, comme je l’ai déjà dit. Qui gardera l’enfant ?
Le fait d’avoir une reconnaissance à travers cet acte fort que propose Mme Primas met les deux éléments du couple sur un pied d’égalité. Dans les familles hétérosexuelles, nous le savons, la garde de l’enfant est un problème majeur. Les pères, quelles que soient leurs qualités par ailleurs, en sont en général privés. Vous avez à envisager cette situation.
Si vous voulez la véritable égalité entre les deux personnes qui ont voulu cette naissance dans leurs relations à l’égard de l’enfant à naître, il faut tout simplement accepter la solution solide que propose Mme Primas.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Ce qui me gêne dans cet article 4, madame la garde des sceaux, c’est qu’il y a une totale décorrélation entre le possible et le vraisemblable. La PMA est possible. Pour autant, permet-elle à une femme qui n’a pas accouché de devenir mère ?
J’appartiens à un modèle familial totalement dépassé : je suis marié et j’ai quatre enfants dont je n’ai pas accouché. Pour autant, je ne m’en sens pas moins parent.
Il me semble que l’on confond tout dans cet article 4. Je rejoins ce qu’a dit notre collègue Olivier Henno : pensez-vous un seul instant que des parents adoptifs se sentent moins parents que d’autres ?
Je ne comprends pas pourquoi vous voulez absolument, au travers de cet article, rendre le droit invraisemblable et consacrer quelque chose qui n’existe pas, alors que nous avons tous les outils juridiques pour répondre aux objectifs que vous vous fixez.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Jusqu’à présent, j’étais plutôt favorable au mode d’établissement de la filiation par la déclaration anticipée de volonté devant notaire, censée permettre une filiation indivisible entre l’enfant et les deux membres du couple. C’est parce que nous avons rencontré des femmes ayant fait une PMA à l’étranger qui mettaient beaucoup de temps à pouvoir adopter.
La solution proposée par Mme Primas pourrait être tout à fait adaptée, mais je pose une question : est-ce que l’adoption pourrait être réalisée dès la naissance de l’enfant ?
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je pense aussi qu’il faut absolument voter l’amendement de Sophie Primas, qui reprend une proposition de la rapporteure Muriel Jourda. Il le faut, parce que l’on ne doit pas bouleverser le socle commun de la filiation prévu dans le code civil. C’est fondamental.
Madame la garde des sceaux, vous voulez mettre en place un cadre distinct, quand nous avons plutôt besoin de cadres communs aujourd’hui. L’objectif de la politique est non pas de fournir des réponses spécifiques pour chaque demande, mais d’organiser la société autour de règles qui nous rassemblent véritablement.
À mon sens, le choix que vous faites est non pas juridique, mais idéologique, un choix guidé par une volonté d’égalité mal comprise. En effet, les enfants de couples de femmes seront dans une situation d’inégalité par rapport aux enfants qui connaîtront un père. De même, certains de ces enfants subiront une inégalité dans la mesure où ils n’auront pas accès à leurs origines quand le donneur n’y aura pas consenti.
Nous pouvons mobiliser le régime juridique actuel. La femme qui accouche, selon l’ancien droit romain, devenu notre socle de la filiation, sera la mère. C’est le principe. Pour l’autre mère, il y aura l’adoption.
L’adoption est déjà aujourd’hui la voie empruntée par les couples de femmes qui se procurent des gamètes à l’étranger, selon le régime établi par la jurisprudence. La proposition de Sophie Primas consiste donc simplement à inscrire cette jurisprudence dans la loi. Par ailleurs, l’arrêt de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) du 12 décembre dernier ne s’oppose absolument pas, au contraire, à cette solution.
Pourquoi le Conseil d’État, dans l’avis qu’il a rendu le 28 juin, a-t-il très nettement déconseillé la solution que le Gouvernement a finalement choisie ? La première raison est qu’elle rompt avec le principe de vraisemblance de la parentalité. Au-delà de l’aspect strictement juridique, il ne faut pas briser ce lien charnel, qui nous unit à la réalité. Il ne faut pas tricher, il ne faut pas mentir ! En outre, en donnant toute puissance à l’intentionnalité, vous dégagez, pour demain, la voie pour la GPA. C’est une évidence ! Si vous voulez conserver un principe de prohibition de la GPA, alors n’ouvrez pas cette voie-là, car elle est très dangereuse ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains – M. Loïc Hervé applaudit également.)