M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je soutiens la position de la commission spéciale. Cet article élargit la recherche d’anomalies chromosomiques au-delà des seules anomalies préalablement identifiées dans la famille. D’abord, le développement des techniques de séquençage du génome rend l’examen de celui-ci plus simple. En outre, comme vient de le souligner Mme la rapporteure, cela améliorera les chances des patientes ayant des échecs d’implantation, faisant des fausses couches à répétition ou dont l’âge prédispose à des anomalies chromosomiques non compatibles avec le développement embryonnaire.
Le DPI-A permettrait d’arriver plus rapidement à une grossesse en évitant les échecs répétés. Il concernerait non pas l’ensemble des femmes ayant recours à l’AMP, mais seulement celles qui répondent à certains critères – antécédents de fausse couche, échecs de FIV –, sous réserve bien sûr du consentement des intéressés.
J’ai écouté avec attention Mme la ministre, qui nous a délivré des explications très précises et a fait part de sa grande expérience. Reste que cette pratique n’aurait pas un caractère d’eugénisme : il est uniquement question d’autoriser, à titre expérimental, dans des conditions encadrées, comme l’a précisé Mme la rapporteure, le DPI-A pour la recherche d’anomalies chromosomiques non compatibles avec le développement embryonnaire.
Madame la ministre, vous avez pris l’exemple de la trisomie 21, mais celle-ci peut être détectée par une analyse de sang ou une amniocentèse.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Parce que nous traitons de questions qui renvoient souvent à des douleurs et à des parcours familiaux qui ne sont jamais simples, je tiens à dire au préalable que les situations qui ont été évoquées par les uns et les autres ou que certains d’entre nous ont pu vivre individuellement sont toutes particulières et singulières. D’ailleurs, selon leur situation familiale et l’environnement dans lequel ils évoluent, ces enfants, qui sont parfois aujourd’hui des adultes, peuvent vivre des réalités différentes.
D’autres collègues ont posé la question avant moi. Faisons-nous la loi pour répondre à ces cas particuliers ? Plus largement, quelle image renvoyons-nous à l’autre et à nous-mêmes ?
Quand il s’agit d’un texte de loi relatif à la génétique, le premier réflexe, c’est de se dire qu’il faut utiliser la science pour trouver des solutions à un problème naturel. Je ne reviens pas sur la question de l’équilibre entre nature et culture.
En légiférant ainsi, nous enverrions le message que nos choix, selon nous, n’auraient aucune incidence sur les autres ou sur le groupe, en niant ainsi que nous ferions société.
La ligne de crête est très difficile à trouver. Toutefois, comme je l’ai déjà dit – c’est donc sans surprise que je voterai ces amendements identiques de suppression –, je pense qu’il ne faut pas trop laisser le pouvoir à la science. Ce n’est pas être réfractaire aux progrès que la science peut apporter à l’humanité que de dire cela : le scientisme n’est pas toujours source de progrès. Par conséquent, ce n’est pas la science qui doit décider ; la science est aussi le produit de la société dans laquelle elle est faite et dans laquelle la recherche s’opère.
Tel qu’il est rédigé, cet article ouvre la porte aux difficultés évoquées, je n’y reviens pas.
J’ai relu pour préparer nos débats L’Éloge de la différence d’Albert Jacquard, qui conclut en disant qu’il faut savoir s’enrichir de la différence de l’autre. Ne cherchons donc pas forcément, parce que la science le permet, à uniformiser la société de demain. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. J’interviens au nom du groupe socialiste et républicain, qui, dans son ensemble, est contre la suppression de l’expérimentation du DPI-A. Nous avions d’ailleurs déposé un amendement en commission visant à ouvrir cette possibilité.
Le diagnostic préimplantatoire a pour principal objet la recherche d’une anomalie génétique pouvant être responsable d’une affection grave, reconnue comme incurable. Étendre son champ à la numération des autosomes, c’est-à-dire des chromosomes non sexuels, afin d’éviter tout risque de dérive discriminatoire, n’implique aucun acte supplémentaire dans le cadre du DPI.
La vérification du nombre d’autosomes est centrale pour deux raisons. Tout d’abord, elle a une incidence sur le taux de réussite des fécondations in vitro, déjà considérées à risques dès lors qu’elles font l’objet d’un DPI. Une mauvaise numération des autosomes, dite aneuploïdie autosomique, donne en effet très majoritairement des embryons non viables et entraîne des fausses couches. Cette vérification est ensuite essentielle pour l’enfant, car, dans les rares cas où la grossesse est menée à son terme, celui-ci souffre souvent d’une pathologie génétique grave, d’où l’autorisation de la pratique d’un avortement thérapeutique.
C’est pourquoi nous sommes, comme la commission spéciale, favorables à l’expérimentation du DPI-A, en faveur duquel s’est prononcé le Comité consultatif national d’éthique. Comme l’a indiqué le professeur Frydman devant la commission spéciale, il s’agit avant tout d’éviter « une violence psychique, physique et économique » à des femmes et à des couples en prévenant des échecs répétés, des fausses couches à répétition. Comme l’a dit très bien la rapporteure Corinne Imbert, c’est augmenter les chances dans le parcours déjà long et douloureux que constitue une AMP.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. La commission spéciale nous propose d’autoriser le DPI-A « à titre expérimental ». Cela signifie bien qu’elle a un doute !
Pour ma part, je n’ai pas envie que l’on procède à des expériences quand sont en jeu notre humanité, notre relation sociale et notre rapport au plus faible.
J’ajoute que si on procède à une expérimentation, il faut aussi prévoir une grille d’évaluation. Quelle grille de lecture est donc prévue ? En fin de compte, il y aura toujours, comme ce soir, un certain nombre de personnes pour dire qu’il faut poursuivre les expérimentations, car, les situations étudiées étant particulières, elles n’ont pas permis d’obtenir toutes les réponses aux questions posées.
Je ne voudrais pas que, sous couvert d’expérimentation, on remette ce sujet à plus tard. Ce sujet nous touche dès à présent, car ce qui est en jeu, c’est la création d’une norme génétique, que je ne souhaite pas.
La loi de bioéthique sert à poser des limites. Si nous n’adoptons pas les amendements de suppression, il n’y aura plus de limites. On sait qu’après une expérimentation le risque est que survienne la généralisation.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Alain Milon, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. J’ai écouté M. de Legge avec beaucoup d’attention, mais je ne partage pas du tout son point de vue. En revanche, je suis d’accord avec l’intégralité de ce qu’ont dit Mme la rapporteure et Daniel Chasseing. Je n’y reviens pas. Comme eux, je ne voterai pas ces amendements de suppression.
On ne doit pas supprimer cet article au prétexte d’éviter tout eugénisme, en particulier pour ne pas empêcher la naissance d’enfants atteints de trisomie 21. Je pense que ceux qui ont évoqué cette question pensaient à cette forme de trisomie, et non à d’autres formes beaucoup plus graves, comme la trisomie 18, qui, elle, est mortelle.
S’il s’agit de ne pas empêcher la naissance d’enfants atteints de trisomie 21, je suis d’accord, à une condition : il faut alors aller au bout du raisonnement et ne plus pratiquer le dépistage de cette maladie au cours de la grossesse, ne plus faire d’amniocentèse, ne plus laisser ensuite aux femmes enceintes le choix de poursuivre ou non leur grossesse. Il faut dire à tout le monde : « Puisque, pour des raisons éthiques, on n’autorise pas le dépistage de la trisomie dans le cadre du DPI-A, on ne l’autorise dans aucun cas. »
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Je le rappelle, le texte que propose la rapporteure prévoit de rechercher des anomalies chromosomiques non compatibles avec le développement de l’embryon. Il s’agit donc d’une pratique extrêmement encadrée.
Par ailleurs – j’anticipe sur l’amendement suivant –, Alain Milon a déposé un amendement tendant à assortir cette procédure d’un certain nombre de conditions, qui l’encadrent encore plus.
Je suis d’accord avec les propos de Bruno Retailleau, mais je récuse totalement le lien entre DPI et société inclusive. Nous sommes bien sûr tous favorables à cette société inclusive, mais, comme cela a été dit, la question n’est pas celle de la technique mise en œuvre pour dépister la trisomie 21.
Notre pays autorise une femme, un couple à choisir de ne pas donner naissance à un enfant atteint de trisomie 21. Si ce couple décide de garder cet enfant, nous devons faire beaucoup mieux pour que ce dernier ait toute sa place dans notre société. Or nous avons tous conscience des limites de notre politique actuelle dans ce domaine.
Ceux qui sont contre le DPI-A avancent des arguments techniques, que je peux comprendre, évoquent la fragilité de l’embryon, la question des mosaïques, que Mme la ministre n’a pas abordée, le fait que le résultat d’un DPI-A peut ne pas être exact. Tout cela doit être expliqué aux parents. Le DPI-A n’est pas une assurance. L’assurance d’avoir un enfant sain n’existe pas, et c’est très bien. En revanche, il faut avoir l’assurance d’avoir un enfant vivant. À cet égard, la mise en œuvre très encadrée du DPI-A constitue une avancée.
Certains disent que cette pratique pourrait entraîner des dérives, que certains médecins pourraient être tentés d’examiner des éléments qu’ils n’ont pas à regarder et qu’ils ne sauront pas se taire ensuite, mais toute technique présente des risques.
Actuellement, seuls cinq centres sont autorisés à pratiquer des DPI en France. Même si l’on étend cette pratique, il ne sera pas nécessaire de porter leur nombre à vingt ou trente. Le contrôle par l’Agence de la biomédecine pourra parfaitement s’exercer.
Je suivrai la position sage de la rapporteure, qui permet d’avancer très prudemment.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Madame la ministre, si j’ai bien compris vos explications, moi qui ne suis pas un technicien de ces questions, vous ne vous opposez pas à la recherche des anomalies chromosomiques non compatibles avec le développement embryonnaire, mais vous craignez, en autorisant le développement du DPI, que l’on n’aille plus loin dans les contrôles génétiques.
De ce point de vue, le texte proposé par la rapporteure est extrêmement prudent, le DPI ne pouvant être réalisé que dans un établissement spécifiquement autorisé à cet effet par l’Agence de la biomédecine, et « à titre expérimental ». Je ne vois pas en quoi cela pose des difficultés, d’autant plus que vous dites vous-même, madame la ministre, qu’il s’agit d’un vrai sujet.
Nous avons tous été contactés par des femmes ayant vécu des fausses couches successives et connu des difficultés dans un parcours par ailleurs compliqué. On peut peut-être améliorer leur situation. J’avoue que je suis très étonné par la position du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt et de respect vos interventions, mes chers collègues, sur ces sujets, qui se situent au cœur des questions d’éthique, de morale, de respect.
Nous connaissons tous autour de nous des personnes qui sont dans des situations particulièrement difficiles. Le président Bruno Retailleau a parlé de « tri ». On peut procéder à des tris dans certains domaines, mais pas dans celui-ci.
Certes, la tâche des chercheurs, pour qui nous avons beaucoup de respect, est immense dans le domaine médical. Je voterai néanmoins ces amendements de suppression de l’article 19 ter, par solidarité, certes, mais aussi parce que nous sommes ici au cœur de valeurs morales.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. J’ai également les plus grands doutes sur les dispositions introduites par la commission spéciale.
Je relève que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), l’Agence de la biomédecine et le Conseil d’État ont tous trois émis de sérieuses réserves en raison des risques que présente l’élargissement des cas d’ouverture du diagnostic préimplantatoire eu égard à une loi consolidée ayant déjà fait l’objet d’une révision.
Je relève aussi que la ministre, qui s’appuie non seulement sur sa propre expérience, mais également sur l’expertise de la direction générale de la santé, laquelle est un observatoire remarquable de ce que font les équipes médicales en France, nous a mis en garde contre cet article, alors qu’elle s’en était remise à la sagesse de notre assemblée sur l’article précédent, sans éclairer notre choix. Là, elle est déterminée et nous livre toutes ses connaissances.
Je relève enfin que le texte qui permet d’étendre les possibilités de diagnostic préimplantatoire prévoit une expérimentation. Or il ne suffit pas d’écrire dans le texte les trois mots « à titre expérimental » pour que cette extension ne devienne pas définitive. En outre, aucun mécanisme d’évaluation ne semble prévu, de sorte qu’il ne pourrait pas être mis fin à cette expérimentation si elle ne convainquait pas. Il s’agit donc d’un faux-semblant, il faut le dire de la manière la plus nette.
Par ailleurs, j’observe que l’alinéa 7 dispose : « Ce diagnostic ne peut avoir pour seul objectif que celui d’améliorer l’efficience de la procédure d’assistance médicale à la procréation, à l’exclusion de la recherche du sexe de l’enfant à naître. » Mais qu’est-ce que « l’efficience de la procédure d’assistance médicale à la procréation », alors que les rédacteurs du texte n’ont exclu que la recherche du sexe de l’enfant à naître ?
Les malfaçons de ce texte, du fait des a contrario que crée cette formule, sautent aux yeux et montrent qu’il y a tout de même beaucoup de risques à l’accepter en l’état, compte tenu en outre de tous les doutes scientifiques qui ont été exprimés. Nous ne faisons pas de bioéthique-fiction. Nous devons régler des problèmes qui se posent. Si la pratique que l’on veut ouvrir est si peu assurée de ses avantages, je pense qu’il faut l’exclure. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. - M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour explication de vote.
M. Michel Amiel. Je ne voterai pas les amendements de suppression, car je partage l’argumentaire d’Alain Milon.
L’article 19 ter comporte deux aspects : il vise à étendre les possibilités de diagnostic préimplantatoire, afin de dépister des facteurs qui gêneraient l’implantation de l’embryon, mais il pose également la question du dépistage de la trisomie, en particulier de la trisomie 21.
Il ne faut pas craindre de briser un tabou : si on veut être logique, il faut aller jusqu’au bout et supprimer le dépistage de la trisomie 21 a posteriori chez la femme enceinte et, partant, interdire l’interruption médicale de grossesse. C’est une question de cohérence.
Un point me gêne également dans cet article, c’est l’aspect expérimental, qui me paraît un peu bizarre. Il s’agit selon moi d’un faux-semblant. Pour ma part, je prends mes responsabilités : je pense qu’il faut étendre le DPI.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Ce débat est extrêmement important, les points de vue exprimés sont variés. Ils reflètent non pas une sensibilité politique, mais des positions personnelles.
Ce qui me gêne, c’est que j’ai l’impression qu’on ne traite pas toutes les femmes et tous les couples de la même façon. Comme l’a très bien dit Alain Milon, si on veut être logique, mes chers collègues, il faut cesser de dépister la trisomie 21 et de pratiquer des amniocentèses chez les femmes tombées enceintes de manière naturelle.
En offrant aux couples qui n’ont pas de problèmes de fertilité des possibilités qu’on restreint pour les autres, on crée une discrimination. Il y a là quelque chose qui ne va pas. Peut-être le texte est-il mal formulé en visant une expérimentation, mais je pense qu’il faut réfléchir et ne pas faire deux poids deux mesures. Or j’ai le sentiment, en écoutant le débat, que c’est ce que nous nous apprêtons à faire. C’est pourquoi je suivrai l’avis de la commission spéciale.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. J’ai été très touché par l’argumentation de Philippe Bas. L’article, tel qu’il nous est proposé aujourd’hui, quand bien même l’excellent amendement de notre non moins excellent collègue Alain Milon serait adopté, ne « tourne » pas.
Nous n’en avons plus l’habitude, c’est vrai, mais ce texte fera l’objet d’au moins deux lectures ; il pourra donc être réellement amélioré. Je considère donc qu’il faut adopter les amendements de suppression, afin de nous laisser le temps, dans le cadre des deux lectures, de parvenir à une rédaction plus aboutie.
M. Bernard Jomier. Et l’entonnoir ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Je souhaite répondre à certains des arguments qui ont été avancés.
La position de la commission spéciale, qui propose une expérimentation, doit nous conduire à nous interroger. Si une telle technique était reconnue dans le monde comme utile, voire nécessaire, il n’y aurait pas besoin d’expérimentation. Le choix de la commission spéciale d’employer le terme « expérimental » prouve bien qu’il y a débat.
Le Gouvernement a répondu en proposant de financer un protocole de recherche qui permettra d’évaluer l’intérêt de cette technique par rapport à la technique actuelle, où l’on regarde simplement l’aspect des embryons et la morphologie. Selon l’étude américaine que j’évoquais, le DPI-A ne semble pas plus efficace que l’examen morphologique. Mais l’étude française permettra d’évaluer avec nos outils et nos chercheurs si cette technique a un intérêt réel pour améliorer l’efficience de l’AMP. Selon la Société américaine de médecine de la reproduction, ce n’est pas prouvé scientifiquement aujourd’hui. C’est donc bien un débat entre scientifiques.
L’expérimentation dont parle la commission spéciale implique de fait une ouverture ; il sera ensuite très difficile d’encadrer la pratique. Le Gouvernement fait le choix de financer un protocole selon la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, dite loi Huriet, avec les critères d’encadrement que vous connaissez. Ce protocole pourra démarrer cette année.
Malgré tout le respect que j’ai pour M. le président de la commission spéciale, je ne crois pas que l’on puisse mettre sur le même plan une interruption médicale de grossesse et le fait de trier des embryons avant la réimplantation. Je ne vois pas comment des médecins informés de la présence d’une anomalie chromosomique viable, comme la trisomie 21 – mais il y en a d’autres –, pourraient implanter un embryon dans ces conditions.
Par conséquent, l’article rédigé par la commission spéciale ne me paraît pas satisfaisant. Les médecins auront la totalité de l’information en effectuant le test. Ils ne pourront pas choisir de ne pas voir. C’est le même test qui donne l’information des trisomies ou d’autres anomalies viables. Le dispositif proposé par la commission spéciale empêchera la réimplantation de tout embryon aneuploïde, alors que le dépistage prénatal laisse un choix aux familles. Selon l’Agence de la biomédecine, aujourd’hui, sur 8 000 interruptions médicales de grossesse proposées, 1 500 familles choisissent de garder un enfant avec anomalie viable. Cela prouve bien que les deux cas de figure sont totalement distincts : dans l’un, l’élimination est a priori systématique ; dans l’autre, les familles ont le choix. Je ne peux donc pas admettre un tel argument.
La même technique permet aussi de détecter des anomalies génétiques, au-delà de celles qui sont liées au nombre de chromosomes. Il est ainsi possible d’aller plus loin et d’analyser également le génome. Tout cela nécessiterait donc d’être aujourd’hui déployé à grande échelle pour tenir compte du nombre de FIV par an. Je le rappelle, on dénombre cinq centres de DPI pour 800 embryons triés pour des anomalies chromosomiques intrafamiliales. Si cette technique était appliquée sur 100 000 embryons, elle serait largement déployée en France, avec le risque qu’un certain nombre d’équipes aillent plus loin dans la détection d’anomalies génétiques.
Pour toutes ces raisons, il nous semble pour l’instant nécessaire de continuer la recherche sur la technique.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Alain Milon, président de la commission spéciale. J’entends bien votre raisonnement sur la trisomie 21, madame la ministre.
Simplement, dans un cas, lors d’une recherche d’embryons, on trouve une trisomie 21 sur des embryons non encore implantés. Les chercheurs ne doivent pas cacher la vérité aux parents. Ils peuvent les informer qu’un des embryons de la série est porteur d’une trisomie 21 et les interroger sur les suites à donner.
Dans l’autre cas, il s’agit d’une grossesse avec non plus un embryon, mais un fœtus porteur d’une trisomie 21. Vous indiquez que, sur 8 000 cas diagnostiqués, 1 500 familles choisissent de garder l’enfant. Cela signifie que 6 500 décident de faire une interruption de grossesse. En l’occurrence, il s’agit d’une interruption de grossesse non plus avec un embryon, mais avec un fœtus pratiquement viable. Le problème est tout de même différent : d’un côté, on propose aux parents de prendre un embryon ou pas ; de l’autre, on élimine un fœtus.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. J’entends les reproches adressés à la commission spéciale d’avoir introduit la possibilité de diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies sous forme d’expérimentation. Mais je pense que si nous ne l’avions pas envisagée à titre expérimental, on nous aurait reproché de l’avoir instituée d’emblée. Nous aurions donc été critiqués dans les deux cas…
M. Philippe Bas. Ce n’est pas une expérimentation !
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Le texte est ainsi rédigé.
À mes yeux, une telle démarche n’est pas incompatible avec le fait et le souhait du Gouvernement de privilégier la poursuite de la recherche. Si vous ne supprimez pas l’article, mes chers collègues, nous aurons l’occasion d’examiner des amendements tendant à améliorer l’encadrement du dispositif ; je pense notamment à celui qui a pour objet une évaluation par l’Agence de la biomédecine de la possibilité d’avoir recours au diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies.
Je regrette un peu que les débats aient essentiellement tourné autour de la trisomie 21. Je partage ce qu’ont souligné Alain Milon et Michel Amiel, même si ces propos ont été contredits par Mme la ministre : allons jusqu’au bout, soyons courageux et arrêtons le dépistage systématique de la trisomie 21 ! Depuis dix ans, il est proposé à toutes les femmes au cours du premier trimestre de grossesse. Voilà une trentaine d’années, il n’était proposé qu’aux femmes âgées d’au moins 35 ans ou 37 ans, dont la grossesse était considérée comme à risques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 68 rectifié, 100 rectifié ter et 290.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission spéciale est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 86 :
Nombre de votants | 323 |
Nombre de suffrages exprimés | 304 |
Pour l’adoption | 181 |
Contre | 123 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 19 ter est supprimé, et les amendements nos 251 rectifié et 190 rectifié n’ont plus d’objet.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous avons examiné 101 amendements au cours de la journée ; il en reste 20.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.