Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, entre le 5 décembre et le 17 janvier derniers, les Françaises et les Français ont subi six semaines d’une grève de grande ampleur dans les transports, notamment en Île-de-France. Cette grève a eu des conséquences importantes pour bon nombre de nos compatriotes, qu’ils soient salariés, étudiants ou retraités.
L’allongement des temps de transport a conduit beaucoup de Français à se lever très tôt le matin et à rentrer chez eux tard le soir pour respecter au mieux leurs horaires de travail. De nombreuses entreprises ont vu leur activité perturbée et des interventions médicales ou des examens universitaires ont dû être aménagés ou reportés.
La continuité du service de transport de voyageurs est essentielle à la vie quotidienne des Français et à l’activité économique du pays. Je comprends donc que le Sénat ait souhaité, par la voix du président du groupe majoritaire, Bruno Retailleau, faire évoluer de manière substantielle le cadre juridique dans lequel s’exerce le droit de grève dans les transports publics, en instaurant une véritable garantie de service minimum.
Je peux même dire que je partage l’objectif ultime des auteurs du texte, qui est d’assurer la continuité du service public et de permettre l’exercice dans les faits du « droit à la mobilité », ce droit que nous avons choisi d’inscrire, il y a peu, en ouverture du code des transports et dont nous souhaitons qu’il soit effectif pour tous, au quotidien, dans tous les territoires.
Dans le même temps, le Gouvernement est profondément attaché au respect du droit de grève, constitutionnellement garanti par le Préambule de la Constitution de 1946. Vous l’avez dit, monsieur Retailleau : il revient au législateur d’accomplir la tâche difficile de conciliation de ce droit avec le principe de continuité du service public.
La loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public présente déjà, en la matière, des avancées importantes.
Elle impose notamment des procédures de négociation en amont, de manière à prévenir les conflits, et crée, pour certains salariés, une obligation de déclaration préalable de leur intention de faire grève. Elle a ainsi facilité l’organisation des services en cas de perturbations prévisibles, au regard de priorités définies par les autorités organisatrices de la mobilité. Elle a en outre garanti aux usagers un certain nombre de droits, du droit à une information de qualité à celui de bénéficier, le cas échéant, du remboursement de leurs titres de transport.
La loi de 2007, complétée par celle du 19 mars 2012 relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers, issue d’une proposition de loi de M. le député Éric Diard, a permis de réduire considérablement l’impact des mouvements sociaux dans les transports.
Pour autant, l’épisode de ces derniers mois met en lumière les limites de notre cadre actuel, et il est légitime que la représentation nationale se saisisse du sujet.
Pour aller plus loin, il me semble toutefois indispensable de disposer d’une analyse juridique approfondie et de se laisser le temps de la concertation avec les parties concernées. C’est indispensable, car l’instauration d’un service minimum dans les transports implique de concilier plusieurs objectifs de valeur constitutionnelle. Or la rédaction actuelle de la proposition de loi me semble fragile sur le plan juridique et présente un risque réel de censure par le juge constitutionnel.
Par exemple, l’absence de tout plafond dans la fixation du niveau de service minimal expose la définition même de ce minimum à une insécurité juridique. De la même manière, confier aux entreprises le soin de réquisitionner les salariés sans leur conférer explicitement de pouvoir de réquisition me paraît insécurisant sur le plan du droit.
Dans ces conditions, l’encadrement du recours au service minimum par les autorités organisatrices apparaît insuffisant pour garantir la constitutionnalité du dispositif.
Les questions juridiques sont donc nombreuses et méritent d’être approfondies au-delà du travail de grande qualité accompli par Mme la rapporteure Pascale Gruny. Il convient également de progresser dans l’articulation avec les dispositions existantes, notamment celles de la loi de 2007.
Il me semble en outre nécessaire de prendre le temps de la concertation sociale. La grève qui bloquait les transports collectifs s’est arrêtée courant janvier et le contexte commande désormais l’apaisement des relations avec le corps social des entreprises concernées.
Partageant toutefois l’esprit qui vous anime, mesdames, messieurs les sénateurs, et puisque le Gouvernement doit sécuriser le dispositif avant de pouvoir envisager de l’inscrire dans notre droit, je propose de lancer dans les prochaines semaines une mission sur ce thème. Pilotée par un juriste éminent qui pourrait être issu du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, celle-ci devra faire des propositions sous deux mois, afin que nous en puissions en disposer pour la suite du débat parlementaire. Cette mission portera sur les conditions de l’installation d’un service minimum garanti dans les transports, mais également sur les deux autres points que vous soulevez au travers de votre proposition de loi : les préavis illimités, d’une part, et, d’autre part, les grèves de très courte durée, dites « grèves de 59 minutes », qui, nous le savons, perturbent gravement l’organisation du service. Ses conclusions nous permettront d’appréhender le sujet de manière sécurisée et de travailler à un dispositif qui devra être à la fois constitutionnel et opérationnel.
Sur un sujet aussi sensible, qui touche à plusieurs libertés fondamentales, nous nous accorderons sans doute pour dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous ne pouvons légiférer que la main tremblante.
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Assassi, Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 5.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi tendant à assurer l’effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève (n° 281, 2019-2020).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, sous couvert d’assurer l’effectivité du droit au transport, porte une atteinte grave au droit de grève, constitutionnellement garanti par les jurisprudences du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour de cassation.
À vrai dire, nous ne sommes pas surpris de cette initiative, dont l’objet est de « signaler » aux usagers des transports en commun qu’en soutenant massivement le mouvement de grève de ces dernières semaines, ils n’ont en fait rien compris : en réalité, la grève, ça les dérange, et la droite sénatoriale va régler ça !
Vous avez une vision manichéenne des choses, mes chers collègues, qui oppose les pauvres usagers, d’une part, et les méchants grévistes, de l’autre. C’est oublier que l’exercice du droit de grève implique des sacrifices.
Des sacrifices financiers, d’abord : je pourrais brandir ici des fiches de paie du mois de janvier où figure un net à payer de zéro euro !
M. Bruno Sido. C’est normal !
Mme Éliane Assassi. Des sacrifices psychologiques, ensuite : je pense aux représailles diverses exercées par les directions d’entreprise et aux décisions insolentes, pour ne pas dire insultantes, prises envers les grévistes, comme celle de récompenser les non-grévistes par des primes allant de 300 à 1 500 euros !
Par ailleurs, comment ne pas voir de vraies convergences d’intérêts entre les grévistes et les usagers ? En effet, toutes les dernières grèves dans le secteur des transports se donnaient pour objectif la défense du service public, et donc de l’intérêt des usagers, face aux velléités de démantèlement et de libéralisation.
Votre vote du pacte ferroviaire et de la loi d’orientation des mobilités (LOM) entraîne en effet directement la dégradation du service et la galère quotidienne pour l’ensemble des usagers, celle-là même que vous dénoncez aujourd’hui.
En définitive, ce sont bien les politiques d’austérité, et non pas l’usage du droit de grève par les agents du service public, qui prennent en otage les usagers.
J’évoquerai maintenant le contexte particulier dans lequel ce texte est débattu.
Est-ce là la réponse de la majorité sénatoriale au rejet massif de la réforme des retraites ? Dans une situation de tension sociale majeure, où un pouvoir « droit dans ses bottes » remet en cause les fondements du pacte républicain issu du programme du Conseil national de la résistance, votre groupe s’attaque aux grévistes pour les contraindre à rentrer dans le rang en courbant l’échine.
Vous vous en prenez aujourd’hui aux transports de personnes, mais j’ai le sentiment que votre ambition est plus large. Ce que vous voulez, c’est bel et bien retirer aux salariés le droit ultime dont ils disposent pour défendre leurs intérêts, les laissant vulnérables et impuissants dans la guerre sociale menée par ce gouvernement contre tous les conquis sociaux.
M. François Bonhomme. Il ne faut pas exagérer !
Mme Éliane Assassi. Ce faisant, vous êtes les alliés de ce pouvoir rétrograde (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) que vous ne manquez pas de vilipender quand cela vous arrange…
Nous ne partageons pas la vision de la société qui s’exprime au travers de ce texte, pour des raisons politiques et sociales – vous l’aurez compris –, mais également parce qu’elle est inconstitutionnelle.
M. François Bonhomme. Carrément !
M. Fabien Gay. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Les tentatives de la commission pour « border » un texte inacceptable ne masquent pas un véritable aveu de culpabilité s’agissant du caractère inconstitutionnel de ce texte.
Nous regrettons d’ailleurs de ne pas disposer d’un avis du Conseil d’État. Porter atteinte au droit de grève pour l’ensemble des transports de personnes, maritimes, terrestres et aériens, ne peut se faire à la hussarde, sans éléments juridiques tangibles.
Votre exposé des motifs est à ce titre assez fascinant. Il évoque pêle-mêle la liberté d’aller et venir et la liberté du travail comme principes qui justifieraient des restrictions au droit de grève.
Pour ce qui concerne la liberté d’aller et venir, doit-on vous rappeler que les transports terrestres, maritimes ou aériens ne sont qu’une des modalités d’exercice de cette liberté, puisqu’il existe toujours des alternatives, telles que la voiture, le vélo, la marche ? (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Quant à la liberté du travail, elle n’existe pas, vous le savez bien ; elle n’a jamais été reconnue par le Conseil constitutionnel, contrairement au droit au travail, défini comme un droit social garanti par le Préambule de la Constitution de 1946.
L’exposé des motifs mentionne également la « liberté d’accès au service public », alors que les principes reconnus par la jurisprudence sont ceux d’« égal accès aux services publics » et de « continuité du service public ». Pourquoi autant d’inepties ?
Si nous nous référons bien aux mêmes principes constitutionnels, la seule conciliation dont nous pouvons convenir est celle qui doit être recherchée entre le droit de grève et le principe de continuité des services publics. Dans ce cadre, il existe une jurisprudence à laquelle il convient de se référer.
Ainsi, la décision du Conseil constitutionnel du 25 juillet 1979, Droit de grève à la radio et à la télévision, que vous avez mentionnée, monsieur Retailleau, a certes laissé au législateur la faculté d’apporter des limitations au droit de grève en vue d’assurer la continuité du service public, mais j’aurais aimé que vous citiez jusqu’au bout le texte de cette décision, qui spécifie que « ces limitations [ne] peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents » que pour ceux « dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ». Ce n’est quand même pas la même chose !
La question est donc de savoir définir ces « besoins essentiels du pays » qui justifient la réquisition. Nos positions, de ce point de vue, divergent : nous considérons pour notre part que le champ de ces besoins doit être limité aux enjeux de sécurité et de sûreté nationales. D’ailleurs, le rapport Mandelkern du Conseil d’État, base du projet de loi de 2007, reconnaissait lui-même l’existence d’une très grande incertitude sur ce point. Les auteurs de ce rapport notaient également que l’interdiction du droit de grève sur le fondement des « besoins essentiels du pays » doit être limitée au strict nécessaire.
Tel n’était pas le cas dans le texte initial de cette proposition de loi, qui prévoyait le maintien d’un tiers du trafic. On était bien loin de cette « stricte nécessité », et même du principe de proportionnalité, également reconnu par le Conseil constitutionnel lorsqu’il est porté atteinte à un droit de valeur constitutionnelle.
Dans le même esprit, l’instauration d’une carence de trois jours avant le recours à la réquisition n’est pas de nature à garantir cette stricte proportionnalité.
Par ailleurs, le choix fait par la commission, pour éviter cet écueil, de renvoyer la définition des services essentiels, et donc du niveau de réquisition, aux autorités organisatrices reste problématique. Rien ne garantit que certaines autorités ne feront pas le choix d’un service minimum allant au-delà du tiers des dessertes initialement prévu.
En outre, nous estimons qu’il s’agit d’un jeu dangereux. Que les autorités organisatrices exercent leur compétence en matière de transports, c’est une chose ; en faire des acteurs du rapport de force qui s’établit dans le cadre d’un mouvement social, c’est autre chose. Il n’est d’ailleurs pas certain que les élus souhaitent endosser cette responsabilité sociale de facilitateur ou de censeur de grève.
J’ajoute que donner aux collectivités compétence pour définir les services essentiels et les modalités du droit de grève ne peut que renforcer les inégalités de situations, en totale contradiction avec le principe d’égal accès aux services publics.
Le droit de grève ne peut souffrir cette « balkanisation ». Il faut rappeler que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 juillet 1980, a précisé qu’il appartenait au législateur de déterminer les limites du droit de grève. Il revient donc au Parlement, et non aux collectivités territoriales, de définir les modalités d’exercice de ce droit.
Cette même décision indique également que la loi ne saurait comporter aucune délégation au profit du Gouvernement, de l’administration ou de l’exploitant du service en matière de réglementation du droit de grève. Ainsi, laisser aux autorités organisatrices le soin de définir les services essentiels et à l’entreprise l’exercice de la réquisition est manifestement inconstitutionnel.
Par ailleurs, ce dispositif, qui vise à organiser la mise en place de dessertes garanties, soulève le problème de la traduction de la multiplicité des rapports des pouvoirs locaux par la multiplicité des conditionnements du droit de grève et des inégalités dans son exercice, liée notamment à la difficile ouverture à la concurrence des transports régionaux.
Vous l’aurez compris, nous estimons que cette proposition de loi est inconstitutionnelle. Pis encore, elle constitue une provocation inacceptable pour tous ceux –salariés des services de transports, mais aussi avocats, enseignants, médecins, agents territoriaux… – qui, courageusement et en toute responsabilité, se mettent en grève et battent le pavé, non pas pour eux, mais pour le plus grand nombre (Marques d’ironie sur des travées du groupe Les Républicains.), cette masse invisible que les puissants veulent toujours plus pauvre et plus docile, toujours plus dépourvue de droits et de libertés.
Pour exister dans un contexte social et politique qui ne vous est pas, pour le moins, favorable, vous n’hésitez pas à brandir des propositions de loi plus attentatoires les unes que les autres aux libertés collectives et individuelles, ce qui, à mes yeux, est un signe de faiblesse, et non de force. Cessez de jouer les pompiers pyromanes !
Pour réduire la conflictualité sociale, demandez avec nous le retrait du projet de loi de réforme des retraites. Vous verrez, tout rentrera dans l’ordre ! (M. Bruno Retailleau sourit.) Demandez avec nous l’instauration d’un dialogue social respectueux des syndicats ! Exigez enfin le maintien et le développement du service public afin de garantir aux usagers fiabilité, confort et sécurité !
En conclusion, je vous serais reconnaissante de ne pas convoquer Maurice Thorez, sauf à citer l’intégralité de ses propos : « Il faut savoir terminer une grève dès que la satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles. » C’est aujourd’hui loin d’être le cas, mes chers collègues, d’où de nouvelles journées de grève, comme celle de jeudi prochain ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « la formule républicaine a su admirablement ce qu’elle disait et ce qu’elle faisait ; la gradation […] est irréprochable. Liberté, Égalité, Fraternité. Rien à ajouter, rien à retrancher. Ce sont là les trois marches du perron suprême. La liberté, c’est le droit, l’égalité, c’est le fait, la fraternité, c’est le devoir. Tout l’homme est là. »
Voilà ce que disait le plus illustre des sénateurs, Victor Hugo, sur la devise de notre pays. C’est à la lumière de ces mots que je souhaite examiner la proposition de loi, présentée par Bruno Retailleau et de très nombreux collègues, visant « à assurer l’effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève ».
La liberté, c’est le droit. Le droit de grève en France est un droit à valeur constitutionnelle, et personne ne le conteste. Le droit à la continuité des services publics est également un droit à valeur constitutionnelle. Mais voilà que ces deux droits s’entrechoquent et même s’opposent aujourd’hui.
Fort logiquement, un des objectifs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est donc de débloquer une situation devenue insupportable, tout en respectant scrupuleusement ces droits fondamentaux et leur valeur constitutionnelle.
C’est tout simplement un véritable rééquilibrage des droits qu’il est proposé de mettre en œuvre ici. On est donc aux antipodes de l’exception d’irrecevabilité invoquée par nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
En effet, la liberté d’aller et venir est une composante fondamentale de la liberté individuelle. Chacun peut circuler sur l’ensemble du territoire national dès lors qu’il y est régulièrement entré. Or, pendant plus d’un mois, cette mission de service public n’a plus été assurée normalement dans notre pays. Dans ces conditions, garantir un trafic quotidien constitue non pas un recul des droits fondamentaux, mais plutôt le strict minimum pour que la liberté de chacun soit respectée.
L’égalité, c’est le fait. En 2020, mes chers collègues, on est en droit d’attendre que l’exercice d’un droit de grève mature puisse, certes, perturber un service public, mais en aucun cas le bloquer totalement ! Il n’est en effet plus possible que le droit de grève conduise une minorité organisée à prendre tout un pays et toute une économie en otage.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Jean-Raymond Hugonet. Ce n’est pas cela, l’égalité !
C’est pour éviter cette paralysie qu’est proposée la création d’un service minimum de transport garanti applicable aux transports publics ferroviaire, aérien et maritime. C’est bien de cela qu’il s’agit dans cette proposition de loi, et non pas d’une quelconque remise en cause liberticide d’un droit fondamental.
Le futur service minimum garanti contribuera ainsi à assurer la liberté d’aller et venir, la liberté d’accès aux services publics, la liberté du travail – n’en déplaise à certains ! –, la liberté du commerce et de l’industrie, tout en préservant la liberté de faire grève.
La loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs a constitué indéniablement un progrès, mais, reconnaissons-le, elle n’a pas permis d’atteindre l’objectif d’assurer, en toutes circonstances, la continuité du service public.
Pourtant, comme le rappelle fort justement notre collègue Pascale Gruny dans son rapport, la jurisprudence du Conseil constitutionnel prévoit la possibilité d’interdire purement et simplement le droit de grève aux agents « dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des services publics dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ».
Dans une décision de 1979 déjà citée, le Conseil avait considéré que l’audiovisuel public était un « besoin essentiel du pays ». (M. Bruno Sido manifeste son scepticisme.) Dès lors, je crois que nous pouvons raisonnablement estimer que les transports publics correspondent aussi à un « besoin essentiel du pays ».
La fraternité, c’est le devoir. La loi du 21 août 2007 prévoit des règles pour favoriser le dialogue social et permettre une meilleure organisation des services de transports publics en cas de grève. Elle instaure l’obligation pour les salariés d’indiquer quarante-huit heures à l’avance leur intention de faire grève. La mise en œuvre d’un service minimum aux heures de pointe est laissée aux accords entre syndicats et autorités organisatrices. Cette première étape de négociation est indispensable, et elle doit demeurer. En revanche, lorsqu’elle s’avère inopérante, un dispositif complémentaire doit permettre d’assurer la continuité du service public de transport. Tel est l’objet de la présente proposition de loi, qui s’attache à rendre obligatoire le fonctionnement partiel des transports publics les jours de grève.
Il s’agit, enfin, de partir des besoins de la population et d’en assurer la couverture, et non pas de partir du nombre de grévistes pour prévoir le service qui peut être assuré. Cela paraît tout de même évident !
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jean-Raymond Hugonet. Alors peut-être en finirons-nous enfin avec ces agressions dévastatrices entre grévistes et non-grévistes, entre ceux qui n’ont pas d’autre choix que d’aller travailler et ceux qui s’y opposent parce qu’ils revendiquent et qui voudraient créer le chaos alors que notre nation a besoin d’unité !
N’oublions pas que les premières victimes des mouvements de grève dans les transports, ce sont nos concitoyens les plus fragiles économiquement, comme l’a dit Bruno Retailleau, ceux qui n’ont pas les moyens de recourir à des solutions de repli. Il s’agit des salariés qui résident loin de leur lieu de travail et ne disposent pas d’un véhicule personnel, de ceux qui ne bénéficient pas d’une autonomie professionnelle leur permettant d’adapter leurs horaires de travail ou de télétravailler… Ce sont eux qui ont été les plus touchés !
Par ailleurs, mes chers collègues, il y a une nouvelle donne que nous devons absolument prendre en compte : je veux parler de l’enjeu écologique !
La substitution du transport collectif au transport individuel est l’une des réponses essentielles aux enjeux environnementaux.
Mme Laurence Cohen. Les cars Macron !
M. Jean-Raymond Hugonet. En ce domaine, la France a encore beaucoup de progrès à faire puisque, dans un jugement du 24 octobre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que notre pays avait dépassé depuis 2010 « de manière systématique et persistante » le seuil limite de dioxyde d’azote, un gaz produit notamment par les moteurs diesel. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
M. François Bonhomme. Pollueurs !
M. Jean-Raymond Hugonet. Ce jugement pourrait conduire, dans un deuxième temps, à des sanctions si la France ne faisait rien pour remédier à cette situation.
Nous sommes tous d’accord pour dire que le développement du transport collectif est une des solutions pour remédier à ces mauvais résultats. Dès lors, il doit être encouragé et accéléré. Il le sera d’autant plus que les transports publics apparaîtront enfin fiables et assurant en toutes circonstances le transport des passagers. On ne peut pas à la fois promouvoir les vertus du transport public et ne pas lui imposer des obligations de régularité de service. Cela paraît, là encore, assez évident ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants.)
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Jean-Raymond Hugonet. La place des transports publics croît dans les habitudes de déplacement des Français. Dans son dernier rapport, remis en 2019, le Commissariat général au développement durable a indiqué que la France était passée, pour ce qui concerne le transport collectif, de 152,4 à 200 milliards de voyageurs-kilomètres entre 2001 et 2016. Cette progression souligne l’importance des transports collectifs dans la vie quotidienne de nombreux Français. Le respect de la continuité du service public de transport est une des conditions indispensables de sa croissance rapide.
Comment ne pas évoquer également les problèmes de santé publique causés par les difficultés de circulation ? (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Le porte-parole des sapeurs-pompiers de Paris a fait état d’une hausse de 40 % des accidents constatés dans la capitale, notamment pour les deux-roues. Les embouteillages ont provoqué des retards d’intervention des véhicules de pompiers et de secours.
Mme Éliane Assassi. C’est la faute des grévistes ?
M. Jean-Raymond Hugonet. Les hôpitaux ont également signalé l’augmentation des pathologies liées à la pollution et une baisse des dons de sang.
M. Fabien Gay. C’est à cause du Gouvernement !
M. Jean-Raymond Hugonet. Tout cela est inacceptable !
La plupart de nos voisins européens ont déjà pris des mesures permettant d’assurer la couverture des besoins essentiels de la population en cas de grève. Ces mesures vont de l’autorégulation, avec l’accord des partenaires sociaux, dans les pays du Nord, à la réquisition des personnels en Grande-Bretagne, ou même à la garantie d’un service normal dans les transports en Italie. Notre pays se distingue donc une fois de plus par son inaction. Qu’attendons-nous, monsieur le secrétaire d’État ? (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Après la liberté, l’égalité, la fraternité, l’écologie et la santé, permettez-moi d’évoquer un nouveau paramètre de la grille de lecture : la justice.
L’article 6 de la proposition de loi prévoit de simplifier les démarches des usagers afin d’en finir avec ce qui s’apparente à un vol qualifié, et je pèse mes mots !