Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Daniel Dubois, Dominique de Legge.
2. Candidature à une commission d’enquête
3. Bioéthique. – Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Explications de vote sur l’ensemble
Ouverture du scrutin public solennel
Proclamation du résultat du scrutin public solennel
Adoption, par scrutin public n° 89, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
4. Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de loi
5. Modification de l’ordre du jour
6. Communication relative à une commission mixte paritaire
7. Mises au point au sujet de votes
8. Droits des usagers des transports en cas de grève. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi
Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article.
Adoption de l’article.
Amendement n° 36 de la commission. – Adoption.
Amendements nos 8 et 9 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenus.
Amendement n° 12 rectifié de Mme Michèle Vullien. – Rejet.
Amendements nos 10 et 11 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenus.
Amendement n° 11 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de l’article.
Amendement n° 13 rectifié de Mme Michèle Vullien. – Retrait.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 6
Amendement n° 35 rectifié de M. Roger Karoutchi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 4 rectifié quater de M. Joël Guerriau. – Retrait.
Amendement n° 14 rectifié de Mme Michèle Vullien. – Retrait.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 8
Adoption de l’article.
Adoption de l’article.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Nomination d’un membre d’une commission d’enquête
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Daniel Dubois,
M. Dominique de Legge.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 30 janvier 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Candidature à une commission d’enquête
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Bioéthique
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique (projet n° 63, texte de la commission spéciale n° 238, rapport n° 237).
Madame la ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à celles et ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote. Le temps de parole imparti est de sept minutes pour chaque groupe et de trois minutes pour un sénateur n’appartenant à aucun groupe.
Explications de vote sur l’ensemble
M. le président. La parole à Mme Christine Herzog, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Mme Christine Herzog. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, nous allons nous prononcer sur un texte qui va bouleverser les fondamentaux de notre société. En effet, qu’il s’agisse des liens parentaux et de la famille, du statut de l’embryon ou des manipulations génétiques, ce projet de loi suscite plus de questions qu’il n’apporte de réponses.
Concernant la procréation médicalement assistée (PMA) sans père, il faut rappeler un principe évident : l’enfant n’est pas un droit que l’on exige et qu’il faudrait respecter à tout prix. Néanmoins, je précise qu’il s’agit non pas de priver les personnes d’avoir des enfants, mais de refuser la transformation de notre modèle de société pour des raisons compassionnelles.
Par ailleurs, sous couvert d’égalité des droits, on oublie pourtant ceux de l’enfant, alors qu’il doit rester au centre des préoccupations.
L’anonymat du donneur et l’absence de toute mention « né sous PMA » sur l’acte de naissance ne vont pas dans ce sens.
Interdire à l’enfant d’avoir accès à son identité et à sa conception peut avoir de lourdes conséquences sur sa construction future. (Murmures sur de nombreuses travées.)
La PMA est fondée sur un principe d’égalité pour les femmes en couple ou célibataires, mais il faudrait aussi parler de l’égalité des droits pour les enfants. Connaître son père biologique et ses origines est un droit fondamental qu’on ne peut pas sciemment leur enlever par la loi.
De plus, les obliger à attendre jusqu’à leur majorité pour connaître le donneur est une épée de Damoclès qu’on devrait leur épargner. (Murmures prolongés sur de nombreuses travées.)
Ce déni des droits de l’enfant a été encore aggravé par la dernière décision de la Cour de cassation, qui supprime de fait le contrôle sur les gestations pour autrui (GPA) réalisées à l’étranger.
En éliminant la procédure d’adoption et en consacrant le parent d’intention, cette décision permet en réalité de contourner tout lien de filiation et donne la possibilité de le cacher complètement à l’enfant.
Le Gouvernement est lui-même intervenu sur ce texte pour revenir à la loi actuelle et éviter les pires dérives des trafics d’enfants permis par cette décision. (Les nombreux murmures parsemant l’hémicycle s’étant transformés en un bruit de fond continu, l’oratrice s’interrompt un instant et M. le président invite au silence.)
Concernant la GPA, nous savons tous que la PMA pour les couples de femmes induira nécessairement son autorisation au nom de l’égalité des droits.
Dans ce cas, parlons aussi des droits des mères porteuses dans les pays en développement. La marchandisation du corps et l’exploitation de la pauvreté sont inacceptables. L’absence de contrôle dans ces pays affaiblit encore plus ces femmes face aux abus. Est-ce vraiment cela que nous voulons ?
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur les dangers de ce texte, mais il faut conclure. Face à une série de mesures dont on ne maîtrise pas les conséquences et qui s’affranchissent des limites au nom du progrès, je voterai contre ce projet de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Claudine Kauffmann et M. Stéphane Ravier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui amenés à nous prononcer sur un texte qui vient modifier sensiblement notre loi de bioéthique.
Au terme de plusieurs heures de débat, nous avons abordé des sujets parfois troublants, souvent passionnants, toujours enrichissants. Je tiens à remercier les rapporteurs et le président de notre commission spéciale pour le travail accompli et la sérénité des débats.
Nous avons participé à des discussions comme il y en a finalement assez peu dans cet hémicycle, appelant chacune et chacun d’entre nous à s’exprimer de manière transpartisane, à définir de nouvelles frontières pour l’avenir.
Au sein de notre groupe, comme dans l’ensemble des autres groupes, nous ne nous sommes pas toujours accordés sur tous les sujets, tant ils sont sensibles : je pense particulièrement à la PMA post mortem ou encore au diagnostic préimplantatoire.
J’ai moi-même évolué au cours des auditions, mais aussi du débat dans l’hémicycle.
Sur d’autres dispositions, au contraire, un accord quasi unanime s’est dégagé. Je pense, bien sûr, aux évolutions sociétales que le texte initial prenait en compte pour mettre fin à une inégalité de traitement dans l’accès à la PMA entre couples hétérosexuels et couples de femmes.
Comme je l’ai souligné lors de l’intervention générale, nous faisons partie de celles et ceux qui pensent que la PMA n’aurait pas dû figurer dans une loi de bioéthique ; mais le Gouvernement en a décidé autrement.
Alors, nous avons bataillé pour que ce droit soit effectivement reconnu pour toutes, pour les couples de femmes et les femmes seules, et ce sans restriction, conformément au texte initial.
C’est une avancée essentielle, qui reconnaît enfin qu’il existe non pas « une seule » famille, composée « d’un papa, d’une maman et d’un bébé », mais « des » familles.
Dans cet esprit, nous regrettons fortement que la commission spéciale, dont la proposition a été approuvée en séance, soit venue limiter le remboursement de l’acte aux seules demandes engagées sur la base d’un critère médical.
Comment ne pas penser qu’il s’agit d’une concession aux anti-PMA, qui ont fait le siège devant le Sénat, nous inondant de méls prédisant la décadence de notre société ?
Mes chers collègues, cette mesure ne peut souffrir de moitié d’égalité ! Si le texte reste en l’état, la situation actuelle ne se trouvera modifiée qu’à la marge : celles qui en ont les moyens continueront à avoir accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) – comme elles y avaient déjà accès à l’étranger jusqu’à présent –, mais en toute légalité sur notre sol, et les autres n’y auront toujours pas accès. Drôle de conception d’une mesure censée rétablir une « inégalité »…
Comment ne pas nous indigner, également, de l’introduction d’une évaluation sociale et psychologique avant un recours à la PMA ? C’est totalement méconnaître le parcours des couples hétérosexuels, lesbiens ou de femmes seules candidats à la procréation médicalement assistée. C’est méconnaître le travail des équipes qui les suivent, les conseillent. Pourquoi une telle frilosité du Sénat, une attitude quelque peu punitive ?
Malgré tous ces obstacles, la majorité du Sénat a heureusement voté en faveur de la PMA, ce qui pour nous était fondamental. (Devant les murmures persistants et le bruit de fond continu, marques d’exaspération sur les travées du groupe CRCE)
Permettez-moi toutefois de souligner des reculs lors de l’examen de ce texte, qui nous ont fait nous interroger sur la finalité de notre vote au groupe CRCE.
Ainsi, concernant le droit de la filiation : contre l’avis du Gouvernement, et de manière absolument conservatrice, la majorité est revenue sur le principe d’une reconnaissance conjointe anticipée, en privilégiant un processus d’adoption accéléré pour la « deuxième mère », ce qui ne va rien changer ou presque à l’existant.
Pourtant, pour nous, le texte initial n’allait déjà pas assez loin. Dans les deux cas, on voit très bien les résistances à l’œuvre, en ne mettant pas sur un pied d’égalité les parents hétérosexuels et les parents homosexuels.
C’est aussi l’adoption qui a servi de base pour « laisser passer » l’article 4 bis sur l’interdiction de transcription totale à l’état civil des actes de naissance des enfants nés de GPA à l’étranger.
J’en profite ici pour rappeler l’opposition de notre groupe à la GPA, qui, contrairement à la PMA, marchandise le corps des femmes.
Cela dit, les enfants n’ont pas à être victimes de leur mode de conception et la loi doit permettre de leur apporter à tous une sécurité juridique.
À ce propos, je ne peux que me réjouir, en tant que parlementaire communiste, que toutes les familles politiques aient dénoncé cette marchandisation des corps.
Toutefois, il est édifiant de constater que cette unanimité ne s’appuie pas sur les mêmes approches idéologiques. Chez certains d’entre vous, mes chers collègues, il s’agit, comme chez les plus réactionnaires de nos concitoyens, de limiter la liberté de choix des femmes ! Preuve que le système patriarcal est toujours à l’œuvre et qu’il faudra encore de nombreux combats pour en débarrasser la société. (Marques de réprobation sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
Mme Laurence Cohen. Toutes ces dispositions nous ont amenés à aborder l’accès aux origines. Au fil des débats, alors que nous étions plutôt favorables au texte de la commission spéciale proposant de laisser le libre choix aux donneurs de dévoiler leur identité aux 18 ans de l’enfant, nous avons finalement été convaincus par la version du Gouvernement ouvrant l’accès aux origines pour tous les enfants conçus avec tiers donneur. Il s’agit en effet d’abord d’une question d’égalité pour les enfants en question, sans parler de l’impact sur leur construction individuelle.
Concernant la recherche, si certaines dispositions sont parfaitement autorisées à l’étranger, cela ne doit pas nous engager sur la piste du moins-disant éthique ; notre pays doit au contraire éclairer les autres nations avec son modèle bioéthique.
Ainsi, l’utilisation des outils de modification ciblée du génome en recherche fondamentale ne doit pas être prise à la légère. Les dispositions proposées à l’article 17, que notre groupe a fait supprimer par voie d’amendement, mériteraient une discussion d’ampleur tant les questions soulevées posent éthiquement problème.
Mais je pense personnellement que le Sénat a parfois été un peu trop timoré sur certaines dispositions ayant trait à la recherche, brandissant le risque d’eugénisme en confondant l’innovation avec les lignes rouges à ne pas franchir et la recherche sur un projet médical. Il en est ainsi du diagnostic préimplantatoire, à propos duquel, me semble-t-il, on a oublié le cadre étudié : l’infertilité des couples avec une réalité objective, à savoir que de nombreux embryons implantés n’iront pas jusqu’au bout. De ce point de vue, l’audition du professeur Frydman a été déterminante pour moi.
En conclusion, ce texte porte en lui toute une vision de la société et du sens que l’on veut donner à l’évolution de l’espèce humaine sur notre planète.
La navette va se poursuivre et elle va contribuer, pour une fois, de mon point de vue, à corriger bon nombre des reculs que je viens rapidement de dénoncer.
Nous voterons donc en faveur de ce projet de loi, en restant très vigilants. À nous de continuer à réfléchir, sans a priori, sur le monde de demain, tel que nous contribuons à le dessiner, pour espérer le rendre meilleur, en nous affranchissant des maux qui caractérisent notre société moderne et capitaliste.
Mes chers collègues, il s’agit au fond de prendre de la hauteur sur ces enjeux scientifiques et sociétaux, pour avoir une approche qui ne soit ni déshumanisante ni discriminante. C’est ainsi que nous serons une société éthique. (L’oratrice s’exaspère du bruit de fond continu.)
Je me dois de souligner combien j’ai préféré à l’ambiance d’aujourd’hui le débat qui a eu lieu dans ce même hémicycle sur ce projet de loi relatif à la bioéthique : lui au moins a été respectueux de chacune et de chacun, les uns et les autres s’écoutant, quelles que soient les prises de position ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. Mes chers collègues, je demande à chacun d’entre vous de faire silence pour écouter les orateurs !
La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les débats sur la bioéthique apportent souvent autant de questions que de réponses aux problèmes qui surgissent de la science. Nous révisons ces lois régulièrement, à un rythme qui d’ailleurs s’accélère pour s’ajuster aux avancées de la médecine, de l’intelligence artificielle et de la science en général.
Le groupe Les Indépendants tient à saluer le travail de la commission spéciale, de ses rapporteurs et de son président. Nous souhaitons aussi féliciter l’ensemble de nos collègues pour la qualité des échanges que nous avons eus : nos positions étaient diverses, mais nous avons su nous écouter les uns les autres et maintenir le débat à la hauteur des enjeux.
Nous avons ainsi su garder au cœur de nos débats la bienfaisance, que l’on retrouve dans l’injonction d’Hippocrate : « D’abord, ne pas nuire. »
Nous avons aussi été attentifs au respect de la dignité de la personne humaine, comme le prévoyaient déjà les lois de 1994. C’est ce qui a justifié le vote par le Sénat de certains amendements ou la suppression de certains articles.
Par ailleurs, même s’il n’y a pas d’eugénisme et même si la GPA ne figure pas dans le texte, son examen a soulevé de nombreux sujets de grande importance. Je n’en citerai que quelques-uns.
L’article 1er, qui est l’article principal, a été voté et a été aussi amendé. La PMA est donc autorisée pour les couples de femmes et les femmes seules. Plusieurs de ses modalités ont été modifiées. Le financement de cet acte, d’abord : notre assemblée a souhaité limiter le remboursement de la PMA par la sécurité sociale aux seuls couples hétérosexuels infertiles. Avant la réalisation de cette PMA, le Sénat a aussi souhaité la mise en place d’une évaluation psychologique.
Si le Comité consultatif national d’éthique s’est montré favorable à cette loi, l’Académie nationale de médecine et le Conseil de l’ordre se sont interrogés sur les effets de l’absence de père sur l’enfant, sans s’opposer néanmoins à la PMA.
Quant à la précarité d’une femme seule qui y recourrait, il faut indiquer que celle-ci ne sera pas toujours acceptée par l’équipe médicale. De plus, il s’agit une monoparentalité choisie et non subie.
Le Sénat a également exclu les PMA post mortem. À titre personnel, je suis favorable à cette rédaction de l’article 1er.
Nos débats ont été l’occasion d’entériner le fait qu’il n’existe pas de droit à l’enfant.
Le Sénat a aussi supprimé la possibilité de réaliser un diagnostic préimplantatoire. Cet article, inséré par la commission spéciale, devait permettre de rechercher des anomalies chromosomiques afin d’éviter les fausses couches dans le cadre d’une PMA ; il n’était nullement question d’eugénisme.
S’agissant des centres habilités à effectuer la PMA, notre assemblée en a exclu les centres privés à but lucratif.
Le maintien de l’interdiction de tous les tests génétiques a été décidé par notre assemblée. Je pense qu’il aurait mieux valu les encadrer, car ils sont de toute façon disponibles sur internet.
À l’article 2, le Sénat a supprimé l’autoconservation des gamètes pour des raisons de pression sociale. Personnellement, je ne pensais pas que les comportements de certains employeurs puissent être aussi violents.
Sur une autre mesure phare, l’accès aux origines d’un enfant issu d’un don de gamètes, le Sénat a modifié l’article 3 du projet de loi. En conséquence des dispositions du texte amendé, à sa majorité, l’enfant qui en fait la demande pourra connaître l’identité du donneur, sous réserve que ce dernier y consente.
Dans le cas d’un couple de femmes, la filiation via reconnaissance conjointe devant un notaire a été remplacée par la voie de l’adoption. J’ai voté cet amendement.
La PMA et le don de gamètes sont deux sujets ayant un fort retentissement dans notre société. Le projet de loi comporte d’autres dispositions qui ne sont en rien secondaires. C’est le cas des dispositions encadrant la recherche sur les embryons, les cellules souches humaines et les cellules pluripotentes humaines.
La commission a supprimé les embryons chimériques animal-homme et homme-animal, et le Sénat l’a suivie sur ce point. La possibilité d’introduire des cellules pluripotentes dans l’animal a été rejetée.
Le Sénat a fait le choix d’autoriser, à titre dérogatoire, les recherches sur les embryons jusqu’à leur vingt et unième jour de développement in vitro. Il faut rappeler que les recherches se font sur des embryons non implantables, avec l’accord du couple. Cette recherche vise à étudier la gastrulation et, ainsi, à comprendre la différenciation des cellules à ce stade, ce qui est très important pour la recherche et les applications médicales.
Au-delà des problématiques liées à la recherche, le texte comporte également des dispositions qui touchent les Français dans leur quotidien. Je pense notamment aux dons d’organes, de cellules hématopoïétiques et de sang, qui sont facilités par l’article 5.
Notre assemblée a aussi confirmé la suppression du délai de réflexion du couple en cas d’interruption médicale de grossesse.
Si ce projet de loi n’a jamais comporté de disposition autorisant la GPA, le Sénat a fait le choix d’insérer un nouvel article afin d’interdire la transcription d’actes étrangers mentionnant un ou des parents d’intention dans les registres de l’état civil. J’ai voté cet amendement.
Ce projet de loi ne peut pas être résumé à ces mesures et bien d’autres sujets y ont été abordés. Nous avons vu au cours des débats que toutes ces questions dépassent les clivages politiques actuels : appliquer la loi de bioéthique tout en permettant des avancées sociétales et en matière de recherche médicale.
Chacun votera conformément à ses valeurs, à ses idées, mais aussi à ses croyances. À titre personnel, je suis globalement favorable aux évolutions apportées par ce projet de loi, même si je regrette certaines suppressions. J’ai bien conscience de ne pas représenter la diversité des opinions de mon groupe. Nous sommes Les Indépendants et, sur ce sujet encore plus que sur tout autre, chacun d’entre nous dispose d’une totale liberté de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Sylvie Goy-Chavent et Christine Herzog applaudissent également.)
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant toute chose, qu’il me soit permis de saluer ici l’excellence des travaux des rapporteurs. Respectueux de tous leurs interlocuteurs, ils ont su faire preuve d’un sens de l’écoute particulièrement remarquable.
Grâce à eux, le Sénat a su ouvrir à un large spectre les consultations menées pour le plus grand bénéfice du débat démocratique.
Permettez-moi également de me faire l’interprète de nombre de mes collègues en soulignant, madame la ministre, combien pouvoir débattre d’un sujet majeur comme celui-ci sans pâtir des inconvénients inhérents à la procédure accélérée est appréciable.
Voilà pour ce qui est de la forme.
Quant au fond, la commission spéciale a donc adopté ce texte en y apportant de substantielles modifications, puisqu’elle l’a enrichi de 137 amendements.
Le texte final, aux conséquences considérables sur un plan tant médical que « sociétal », a, pour l’essentiel, lors de l’examen en séance publique : adopté, avec modification, l’extension de l’accès à la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules ; rejeté l’autorisation d’autoconservation de gamètes sans raison médicale ; adopté, avec modification, l’accès aux origines ; modifié l’établissement de la filiation d’un enfant issu d’une AMP par un couple de femmes ; donné une portée pleine et entière à l’interdiction de la gestation pour autrui ; rétabli l’interdiction de la création d’embryons transgéniques ; et soutenu l’ouverture de la possibilité de tests génétiques en première intention dans le cadre du dépistage néonatal.
Permettez-moi d’ajouter que, lors des débats, en confirmant le texte de la commission spéciale à l’article 3 concernant l’accès aux origines des personnes nées d’un tiers donneur, nous avons trouvé un point d’équilibre facilitant l’accès aux origines tout en protégeant l’identité des donneurs.
L’article 4, sur la filiation d’un enfant issu d’une AMP par un couple de femmes, a, quant à lui, été entièrement récrit. Il interdit désormais l’établissement de deux filiations maternelles concernant un même enfant tout en modifiant les conditions requises pour l’adoption, afin d’en permettre la réalisation par la mère d’intention.
Sur ce point précis, madame la ministre, ce dispositif permet, comme dans le texte que vous proposiez, d’apporter une réponse au nouveau fait social autorisé par l’article 1er. Néanmoins, certains au groupe Union Centriste s’interrogent sur la capacité de ce dispositif à répondre à la demande sociétale qui est exprimée par les couples de femmes.
Enfin, l’article 4 bis a ouvert la discussion sur la GPA. Le Gouvernement, opposé à la suppression de cet article, a montré qu’il partageait notre préoccupation. Cependant, plusieurs de mes collègues ne jugent pas le texte satisfaisant dans la mesure où il traite simplement de mesures juridiques et administratives relatives à l’état civil, ce qui n’est donc pas susceptible d’empêcher les couples d’y avoir recours.
Pour poursuivre, c’est avec l’avis favorable, sinon le soutien du Gouvernement, que le Sénat a supprimé l’ouverture des tests génétiques pour tous, les tests génétiques à visée généalogique ou encore les diagnostics préimplantatoires avec recherche d’aneuploïdies.
L’adoption de l’article 14 permet à la recherche sur les cellules souches embryonnaires de répondre à un régime de déclaration et porte, par ailleurs, la durée possible de la recherche sur l’embryon de sept à quatorze jours et, par dérogation, à vingt et un jours.
En outre, la suppression de l’article 17, qui posait le principe de l’interdiction de création d’embryons chimériques humains tout en ouvrant la création de chimères par adjonction de cellules souches pluripotentes humaines sous certaines conditions, a été supprimée.
Toutefois, les dispositions de cet article devant être considérées au regard de celles de l’article 4, qui n’ont pas été modifiées en conséquence, certains, parmi mes collègues, s’inquiètent de l’imprécision potentielle du cadre juridique relatif à la recherche sur les chimères tel qu’il ressort de nos travaux.
C’est ainsi qu’à l’issue de nos travaux en première lecture, à l’article 1er, nous avons collectivement choisi de permettre l’extension de l’AMP tout en en précisant les conditions et interdit le double don de gamètes.
Paradoxalement, alors que l’AMP n’a toujours été autorisée qu’en cas d’infertilité ou de risque médical, l’interdiction du double don de gamètes cumulée à la suppression de ce critère aboutit au fait que la femme seule fertile pourra recourir à l’AMP, tandis que la femme stérile ne le pourra pas.
C’est le choix que nous avons fait majoritairement, mais pas unanimement.
De la même manière, la prise en charge par l’assurance maladie n’est désormais possible que dans les cas d’AMP fondées sur des indications médicales.
Pour ce qui est de l’article 2, en supprimant l’autoconservation des gamètes sans raison médicale, nous avons voulu protéger les femmes d’éventuelles pressions de leurs employeurs.
Enfin, le diagnostic préimplantatoire avec type HLA, ouvert depuis 2004, a été confirmé.
Ainsi, comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, les discussions ont été sérieuses et approfondies, et les sénateurs du groupe Union Centriste demeurent partagés sur le texte issu de cette première lecture.
Pour ma part, et les amendements que j’ai déposés en témoignent, je suis et reste un opposant à la PMA, notamment parce qu’elle est l’antichambre de la GPA. (Marques de protestation sur des travées des groupes SOCR et CRCE. – M. Jackie Pierre applaudit.)
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Jean-Marie Mizzon. Soyez assurés, mes chers collègues, que je ne suis en rien réfractaire à la marche du progrès.
Sachez, madame la ministre, que j’entends vos arguments. L’une de vos phrases m’a d’ailleurs fortement marqué. Le 21 janvier dernier, vous déclariez, ici même, en substance : « Nos choix refléteront nécessairement un certain état de la science, des mentalités et de l’éthique. Ils résulteront de la confrontation entre le possible et le souhaitable, entre des parcours individuels parfois douloureux et des conséquences collectives. C’est au Parlement et nulle part ailleurs que ces choix doivent être faits, car nous les ferons ensemble. »
Madame la ministre, permettez-moi de vous dire, sans animosité aucune, que vous les ferez sans moi, car votre conception de la filiation n’est pas et ne sera jamais la mienne, tant elle va à l’encontre des principes fondamentaux qui s’attachent à la dignité humaine. Les enfants naissent d’êtres humains et doivent rester des êtres humains, avec leur beauté et leurs imperfections ! (Vifs applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Guillaume Arnell et Jérôme Bignon ainsi que Mme Christine Herzog applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Christine Herzog applaudit également)
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir été rapporteur d’une partie du projet de loi relatif à la bioéthique, il me revient d’exprimer le vote du groupe Les Républicains sur le texte issu du Sénat.
Ce vote ne sera pas unanime. Vous n’en serez pas surpris.
Ce vote ne sera pas unanime, peut-être parce que certains – ce n’est pas mon cas – estiment qu’on a, à tort, associé, dans ce projet, une décision sociétale, qui est l’extension de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules et aux couples de femmes, à des questions qui, elles, relèvent véritablement de la bioéthique.
Ce vote ne sera peut-être pas unanime non plus parce que, pour reprendre les propos tenus par le président Alain Milon la semaine dernière, à l’issue des débats, chacun avait en tête son texte idéal et qu’aucun ne se retrouvera dans le texte issu de nos travaux.
Pour autant, nous pouvons, me semble-t-il, dégager quelques lignes directrices du texte qui a été voté.
La première est que nous n’avons rien cédé au militantisme et que nous avons tout fondé sur la cohérence juridique.
Premièrement, nous avons rappelé que la sécurité sociale a pour vocation de rembourser non pas des actes médicaux, mais bien des actes en lien avec les risques et les conséquences d’une maladie.
Deuxièmement, nous avons rappelé que l’égalité des familles tient plus à l’égalité des droits et des obligations entre les parents et les enfants qu’à l’identité des modes de filiation. C’est la raison pour laquelle, dans les couples de femmes, les mères auront les mêmes droits et obligations à l’égard des enfants, mais ne bénéficieront pas du même mode d’établissement de leur filiation : celle qui a accouché sera la mère, quand l’autre deviendra mère en adoptant l’enfant. Sur ce point, nous avons donc fait preuve de cohérence juridique.
Enfin, nous avons rappelé que, pour que l’interdiction de la gestation pour autrui qui existe en France soit effective, il ne fallait pas que l’on puisse transcrire l’intégralité des actes d’état civil établis à l’étranger à l’issue de GPA qui y sont réalisées.
La deuxième ligne directrice que nous pouvons retrouver dans ce projet est constituée par les choix éthiques que nous avons arrêtés, qui établissent les limites que la condition humaine doit fixer à la science.
Ainsi, nous avons supprimé le dépistage préimplantatoire, sur les embryons, des anomalies chromosomiques. Nous avons maintenu les limites du diagnostic préconceptionnel. Nous avons interdit les modifications génétiques ainsi que l’introduction des cellules humaines dans un embryon animal – autrement dit, nous avons interdit les embryons transgéniques et les embryons chimériques. Ce faisant, nous avons réalisé un vrai travail de bioéthique, qui a permis de fixer les lignes rouges que nous ne souhaitons pas voir dépassées.
La troisième ligne directrice de ces débats est la liberté, et d’abord la liberté de parole. Nous nous sommes exprimés très librement dans cet hémicycle. Au reste, nous en avons eu largement le temps, car, dans notre sagesse collective, nous avions déposé un nombre modéré d’amendements. Nous avons ainsi pu nous exprimer très longuement sur chaque article. Un vrai débat s’est instauré. Nous avons pu exprimer nos positions, souvent opposées, mais aussi, parfois, nos doutes sur les différents points du texte, qui étaient tous délicats. Cette liberté de parole s’est exercée tout au long des débats. Quelle que soit l’issue que nous réserverons au texte aujourd’hui, elle s’exercera aussi lorsque le texte reviendra devant nous, en deuxième lecture.
La liberté s’est également manifestée dans la liberté de vote, qui s’est elle aussi exercée tout au long des débats. Au sein du groupe Les Républicains, le vote a été assez contrasté sur l’extension de l’assistance médicale à la procréation, même si la majorité du groupe a voté contre.
Quoi qu’il en soit, cette liberté de vote a existé. Elle est importante, parce qu’elle est, en réalité, le signe de la cohésion. En effet, la liberté de vote est l’émanation du respect que nous avons pour l’opinion des autres.
C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains s’exprimera et votera dans la cohésion, comme dans la liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, il est quelque peu compliqué d’avoir à expliquer la voix des membres de son groupe quand on n’a soi-même plus de voix ! (Sourires.) J’essaierai d’être aussi clair que possible sur le fond, à défaut de pouvoir l’être sur la forme.
Mes chers collègues, madame la ministre, les lois de bioéthique nous interpellent régulièrement sur la manière dont la société doit admettre les progrès réalisés par la science, la biologie ou la médecine, avec les dangers qu’ils peuvent comporter et les espoirs qu’ils peuvent susciter.
C’est la raison pour laquelle les débats ont été importants, comme l’ont dit Muriel Jourda ou encore Laurence Cohen. Ils ont été intenses. Ils ont fait état de notre diversité et des interrogations de chacun. Dans chaque groupe existe, bien évidemment, une liberté de vote sur ces questions, qui en appellent à nos consciences et à ce que nous pensons de ce qu’attendent nos concitoyens.
À cet égard, je veux remercier M. le président de la commission spéciale et les rapporteurs de la qualité du travail que nous avons effectué. À cet égard, je regrette que la commission n’ait pas été suivie dans l’hémicycle, mais nous savons que le débat parlementaire fonctionne ainsi.
Sur ces sujets, les débats sont essentiels. D’ailleurs, la convention d’Oviedo, qui émane du Conseil de l’Europe et qui a été si souvent citée – c’est l’une des rares à évoquer ce point –, insiste, en son article 28, sur la nécessité du débat public : « Les parties à la présente convention veillent à ce que les questions fondamentales posées par les développements de la biologie et de la médecine fassent l’objet d’un débat public approprié à la lumière, en particulier, des implications médicales, sociales, économiques, éthiques et juridiques pertinentes, et que leurs possibles applications fassent l’objet de consultations appropriées. »
C’est la raison pour laquelle existe le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). C’est la raison pour laquelle des États généraux de la bioéthique ont été organisés. La commission et ses rapporteurs ont très naturellement essayé de tenir compte des débats qui ont eu lieu sur la place publique.
Venant de Strasbourg, je peux vous dire que, depuis plus de dix ans, le professeur Israël Nisand y organise, avec le soutien de la ville et de l’eurométropole, des débats sur les sujets de bioéthique qui passionnent la population. Ces débats peuvent, par exemple, porter sur la fin de vie. Les débats de cette année ont commencé cette semaine sur le thème : « Quel humain pour demain ? » Ces questions sont permanentes et doivent nous permettre de faire évoluer nos lois.
Sur le texte qui nous est proposé, le Comité consultatif national d’éthique a rendu un avis – l’avis 129. En présentant cet avis, le président du CCNE a déclaré que la loi à venir, que nous sommes en train de préparer, devait être « une loi de confiance dans l’individu sur les grandes avancées des sciences plutôt qu’une loi d’interdiction ».
Ce texte, mes chers collègues, ne répond sans doute pas à ce vœu.
Ainsi, le titre Ier ne fonde pas de révolution médicale. L’assistance à la procréation médicale était déjà possible pour les femmes. Il n’est pas question, ici, de GPA. La femme qui bénéficiera d’un don de sperme dans le cadre d’un projet parental avec une autre femme ou d’un projet parental personnel portera l’enfant ; elle est la mère.
La seule question qui aurait dû être davantage abordée dans le cadre du titre Ier, mais qui ne relevait plus stricto sensu de la bioéthique – Muriel Jourda a raison sur ce point – est celle de la parentalité : à côté de la parentalité naturelle, charnelle, et de la parentalité adoptive doit apparaître une parentalité liée à un projet parental et permise par l’évolution de la médecine, comme le président Alain Milon l’a dit dans un article paru hier dans le journal Libération.
La situation est naturellement plus compliquée pour un couple d’hommes : il y a alors utilisation du corps d’une femme, ce qui est contraire à nos valeurs éthiques, notamment au principe d’indisponibilité du corps humain. Personne n’a abordé cette question. Nous aurions pu espérer mieux pour la PMA.
Madame la ministre, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale était un bon texte. Le texte du Sénat a au moins le mérite de ne pas avoir remis en cause la PMA, ce qui nous paraît important. J’espère que la navette permettra d’y réinscrire, notamment, le remboursement par la sécurité sociale.
Enfin, surtout, il faut faire comprendre à l’enfant né grâce à une PMA qu’il est aussi le fruit d’un donneur. Celui-ci n’est ni un père ni une mère. Il est comparable à celui qui donne le rein qui permet de sauver, à celui qui donne le cœur qui permet de survivre. Il faut admettre cette réalité du don, ce que tout le monde n’a pas fait. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et LaREM. – Protestations sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
En revanche, sur les autres points, madame la ministre, le texte adopté par l’Assemblée nationale ne suit pas du tout les évolutions de la génétique. De ce point de vue, les possibilités données à la recherche nous paraissent très restrictives, très en deçà des suggestions du Comité consultatif national d’éthique.
Fort heureusement, les amendements que nous avons proposés en commission ont rejoint les propositions des rapporteurs Olivier Henno, Corinne Imbert et Bernard Jomier, mais votre détermination, suivie par le groupe Les Républicains, a abouti à laisser de côté les évolutions que nous proposions. Je savais que votre gouvernement avait des certitudes absolues ; nous les avons constatées… Mais j’ai aussi constaté récemment que le Gouvernement était capable de reconnaître qu’il pouvait parfois se tromper ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Olivier Henno, rapporteur, applaudit également.)
Puisque vous avez compris qu’il faut parfois savoir ne pas se tromper, la navette permettra peut-être quelques avancées sur ce point – pour une fois que l’on a droit à une deuxième lecture sur un texte… Les « marcheurs » pourraient être un peu plus « en marche » s’ils s’inspiraient de la lecture des rapports du CCNE.
Franchement, votre titre III – « Appuyer la diffusion des progrès scientifiques et technologiques dans le respect des principes éthiques » – est complètement en deçà des réalités. En fait, le Gouvernement a souhaité limiter considérablement cette diffusion.
Restent quelques petites lueurs d’espoir dans le titre IV, « Soutenir une recherche libre et responsable au service de la santé humaine ». Mais que fait-on de procès aux chercheurs ! L’article 14 et l’évolution qui a été acceptée par le Gouvernement – ce n’est pas vous qui le représentiez dans l’hémicycle à ce moment du débat – ouvrent quelques possibilités, qui permettront à la recherche génétique, en France, d’être sauvegardée. Nous sommes loin de ce qui peut exister ailleurs dans le monde !
Mes chers collègues, nous sommes conscients que la révision de la loi de bioéthique n’est jamais parfaite. Certains considèrent qu’il faut aller plus loin ; d’autres redoutent que l’on aille trop loin. Pour notre part, nous considérons qu’il y a encore de nombreuses marges de progrès. Nous espérons que la navette permettra que l’on y revienne, avec de meilleurs sentiments. C’est dans cet esprit que la majorité de notre groupe votera pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique Social et Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour clore l’examen en première lecture de ce texte si particulier, qui aura suscité des débats d’une grande intensité, où le respect a cependant toujours prévalu.
Sur ces sujets qui touchent à l’intime, je tiens à souligner la qualité des débats qui se sont tenus ces deux dernières semaines, avec l’éclairage indispensable de nos quatre rapporteurs, dont je salue le travail. Même si je ne partage pas toutes ses convictions, je tiens à souligner les qualités de pédagogue de Mme Jourda sur des points dont nous étions souvent éloignés.
M. Loïc Hervé. C’est bien vrai !
Mme Véronique Guillotin. Cette troisième grande révision des lois de bioéthique a été l’occasion pour nous d’évoquer des sujets aussi sensibles que la naissance, la mort, la maladie, le désir d’enfant, l’intérêt de l’enfant et, ainsi, des barrières éthiques que nous souhaitons poser aux progrès de la science. Quand je dis « nous », je parle de la société tout entière, mais aussi des sénateurs qui composent cette assemblée et qui s’efforcent, avec conviction, de la représenter.
Comme on l’a vu tout au long de ses débats, il n’est pas aisé, pour un parlementaire, de trancher sur des sujets aussi sensibles. Il y a eu, chez certains, une forme d’appréhension légitime à l’approche de l’examen de ce texte. Mais c’est le choix qu’a fait la France de confier aux représentants du peuple la responsabilité d’ériger des lignes rouges à ce que la science peut faire, considérant que l’élection démocratique nous octroie cette légitimité, qui ne vaut en aucun cas mandat impératif. C’est aussi au travers de la diversité de nos valeurs, de notre propre histoire et de celle de nos familles que nous sommes en capacité d’énoncer l’interdit. C’est portés par cette complexité que nous nous sommes astreints à légiférer en gardant toujours à l’esprit l’intérêt général, ce que nous comprenons de la société et ce que celle-ci souhaite pour son avenir.
Pour ma part, comme pour celle de la majorité des membres de mon groupe, j’ai l’intime conviction que la société est prête à accueillir en son sein des familles fondées sur une approche non pas seulement biologique, mais aussi affective de la parentalité, dans toute sa diversité.
Ma propre éthique m’a poussée à défendre, tout au long des débats, la capacité des femmes à décider de ce qui est bon pour elles et pour leur enfant à naître, à respecter leur désir de parentalité et leur résistance aux différentes pressions sociales qui s’exercent.
Aussi, j’ai deux grands regrets à l’issue de cette première lecture.
Premièrement, pour que la procréation médicalement assistée soit un droit réel pour toutes les femmes, il est indispensable que le remboursement ne soit pas restreint aux seules demandes fondées sur une pathologie médicalement prouvée : d’une part, parce que l’on maintiendrait alors une rupture d’égalité entre les femmes qui peuvent payer et celles qui ne le peuvent pas ; d’autre part, parce que la cause de l’infertilité n’est pas toujours médicalement prouvée, y compris pour les couples hétérosexuels.
Deuxièmement, s’agissant de la conservation des ovocytes, le vote s’est malheureusement cristallisé autour de la possibilité – ou de l’impossibilité – de réaliser cette procédure dans des établissements privés à but lucratif. Le RDSE a voté en majorité contre l’article 2, par rejet non pas de l’autoconservation ovocytaire, à laquelle il était favorable, mais d’une procédure qui, si elle était effectuée dans des établissements à but lucratif, ferait craindre à la majorité d’entre nous une forme de marchandisation qu’elle refuse.
Le débat, quant à lui, s’est concentré sur les pressions sociales subies par les femmes, pressions qui s’accentueraient en cas de généralisation de l’autoconservation de gamètes. Il est peut-être vrai que les femmes subissent des pressions sociales, tantôt pour fonder une famille, tantôt pour privilégier leur carrière. Il est salutaire d’en débattre, mais pas de les brandir comme un argument suffisant à justifier l’incapacité des femmes à décider pour elles-mêmes. Aussi, j’espère que la deuxième lecture nous permettra de nous entendre sur une rédaction plus ouverte sur l’autoconservation des ovocytes sans critère médical.
Trois autres sujets méritent un commentaire en lien avec la PMA, notamment la fécondation in vitro.
Si les débats sur la PMA post mortem ont été empreints de beaucoup de respect et de dignité, je suis favorable, comme je l’ai exprimé, à son autorisation et ne peux donc pas me réjouir du vote, très serré, qui a conduit à son rejet. Il en est de même pour le double don de gamètes, qui pourrait offrir une réponse aux couples doublement infertiles, et pour le diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies, lequel permettrait aux femmes ayant subi de nombreux échecs de limiter les risques de fausses couches lors de l’implantation de nouveaux embryons.
J’en viens maintenant aux questions de filiation. Si je suis farouchement opposée à l’article 4 bis, introduit en commission, qui pénalise l’enfant né d’une GPA à l’étranger, en interdisant la transcription de son acte de naissance en droit français, je regrette également le choix fait par la majorité sénatoriale concernant l’établissement de la filiation dans le cas des PMA réalisées pour les couples de femmes. La rédaction initiale de l’article 4 semblait tout à fait satisfaisante, en permettant la double filiation maternelle par déclaration anticipée de volonté, tandis que la filiation par adoption pour la mère d’intention ne me semble pas aller dans le sens du progrès.
Pour terminer, je veux saluer l’interdiction, votée en séance publique, des tests génétiques à visée commerciale. Des doutes demeurent, me semble-t-il, sur la fiabilité et la confidentialité de ces tests et des données récoltées. Après les débats, qui ont été riches et argumentés, je reste convaincue que le recueil d’informations génétiques doit rester circonscrit au milieu médical.
En résumé, comme l’ont dit certains, symbolisé par les « chimères politiques » qu’il est de nature à engendrer – face à un tel texte, les clivages gauche-droite ne tiennent plus et les appareils de parti n’ont plus de place –, ce projet de loi, globalement, ne satisfera probablement personne.
Si mon propos liminaire faisait l’éloge de nos débats et ma revue des articles mentionnait de nombreux désaccords avec la majorité sénatoriale, ma conclusion fait la synthèse du rôle qui a été le nôtre ces deux dernières semaines : nous avons dû faire des choix, prendre des décisions qui impacteront la vie intime de nombreux Français. Pour eux, le groupe RDSE ne peut se résoudre à rendre une copie blanche.
Nous avons débattu en bonne intelligence. Les conditions ont été réunies pour l’examen de sujets aussi sensibles que complexes. Nous ne pouvons donc nier ce débat qui a eu lieu et les avancées notables qu’il a fait émerger, malgré nos nombreux désaccords. C’est pourquoi le groupe RDSE votera en majorité pour l’adoption de ce texte. Et, puisque l’occasion nous est donnée – une fois n’est pas coutume – d’examiner un projet de loi en procédure normale, et non en procédure accélérée, nous profiterons de la deuxième lecture pour tenter de vous convaincre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC, SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec honneur et fierté, mais aussi non sans une certaine difficulté que je vais tâcher de donner la position du groupe La République En Marche sur le projet de loi relatif à la bioéthique.
Comme dans chaque groupe, des convictions personnelles divergentes se sont exprimées, tant les mesures contenues dans ce texte se situent à la croisée de chemins philosophiques, scientifiques, médicaux et sociétaux. Les nombreuses mises au point au sujet de votes en témoignent. De ce point de vue, notre groupe n’a pas fait exception.
Au cours de l’examen du projet de loi, nous avons abordé certains sujets avec des convictions fortes, sans toujours réussir à les faire partager.
Je pense bien évidemment à l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes. Je reste, pour ma part, convaincu de la justesse de cette mesure. Les réticences des uns et des autres sont non pas éthiques, mais culturelles, voire cultuelles.
Je suis, à ce titre, déçu – oui, déçu ! – que le Sénat ait ouvert un droit nouveau pour aussitôt en restreindre l’accès, en réintroduisant le critère pathologique et en excluant, ce faisant, les femmes seules ou les couples lesbiens du remboursement par l’assurance maladie.
Permettez-moi de rappeler qu’actuellement 15 % des couples hétérosexuels qui recourent à l’AMP ne présentent aucune infertilité médicalement constatée. Devra-t-on les exclure du recours à cette technique ? Qu’en sera-t-il également des couples qui, après avoir recouru à une AMP, ont un enfant naturellement ? Avec le système que vous avez mis en place, seront-ils contraints de rembourser la sécurité sociale ? Qu’est-ce qui empêchera les femmes de continuer à se rendre à l’étranger et de se faire rembourser en France, comme c’est déjà le cas ? Vous voyez bien que cette exclusion ne tient pas la démonstration et qu’elle cherche à induire une rupture d’égalité d’accès au droit, en distinguant celles qui auront les moyens des autres !
Je le réaffirme : l’extension de l’AMP à toutes les femmes n’opérera pas de glissement irréversible vers la gestation pour autrui. L’Espagne et la Norvège n’ont pas autorisé la GPA. En revanche, l’Estonie et la Lituanie, qui l’ont permise, refusent l’AMP aux couples de femmes.
À l’occasion de ces débats, nous avons tous, à quelques rares exceptions près, pu rappeler notre opposition farouche à la GPA, laquelle est interdite dans notre pays à tout le monde, ainsi que notre préoccupation pour le sort des enfants qui en sont issus.
Une telle précision dans ce débat m’est apparue inutile, tout comme celle qui vise à rappeler que nul n’a de droit à l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant a d’ores et déjà valeur constitutionnelle et supraconstitutionnelle. Où est cet intérêt lorsque l’on s’oppose à la transcription totale dans les actes d’état civil des actes de naissance de ceux qui sont nés à l’étranger à la suite d’une GPA ?
S’agissant de la levée de l’anonymat du donneur ou de la donneuse de gamètes, que l’on oublie trop souvent, à l’égard de l’enfant issu d’un don, il me paraît cruel et inégalitaire de laisser ce dernier dans l’incertitude jusqu’à sa majorité. Mettre fin à la tourmente à laquelle peut – je dis bien « peut » – exposer la quête de ses origines, c’est précisément ce que le texte cherchait à faire.
Enfin, je continue de croire que l’autoconservation des gamètes n’incitera pas les femmes à reporter leur grossesse. Elle leur donnera, au contraire, une chance supplémentaire de préserver leur fertilité jusqu’à ce qu’elles rencontrent un partenaire sérieux. Soyons honnêtes, messieurs : ce ne sont pas les femmes qui procrastinent le plus concernant la parentalité… (Mmes Sophie Primas et Catherine Procaccia applaudissent.)
Quant aux arguments liés aux risques de pressions sociales auxquelles elles pourraient être soumises, notamment de la part de leurs employeurs, renforçons plutôt le droit pour punir ces comportements. Cessons de traiter les femmes comme de petites choses fragiles qui auraient besoin d’être protégées de tous, y compris d’elles-mêmes, et laissons-les disposer enfin de leur corps !
Mme Sophie Primas. Bravo !
M. Thani Mohamed Soilihi. Nous regrettons également que le Sénat ait rejeté la possibilité d’insérer des cellules souches pluripotentes induites humaines, les « cellules iPS », dans un embryon animal, malgré un encadrement très strict. Cette technique aurait permis à la recherche de faire un véritable bond. Cela traduit une véritable défiance vis-à-vis du monde scientifique, jugé au mieux désinvolte, au pire dénué de discernement éthique. Je ne m’y associe évidemment pas.
A contrario, c’est emplis de doutes que nous avons examiné d’autres sujets. Nous avons même, parfois, changé de conviction au cours de nos discussions.
Je pense aux débats de très grande qualité qui ont eu lieu, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, autour de l’AMP post mortem ou encore sur l’expérimentation de l’accès aux examens génétiques. Ils ont, je le crois, fait honneur à la représentation nationale.
Pour d’autres mesures, les solutions trouvées ne nous satisfont pas encore. C’est le cas du mode de filiation retenu pour les enfants ayant deux mères. Nous aurions souhaité placer tous les parents dans une situation d’égalité. Le Gouvernement n’ayant pas déclaré l’urgence sur ce texte, la navette nous permettra de poursuivre nos réflexions pour, je l’espère, y parvenir.
Je pense sincèrement que ce texte, qui est l’aboutissement d’un long travail de consultations mené par le Gouvernement pour mettre à jour la législation en matière de bioéthique, contenait initialement des avancées scientifiques et sociétales majeures, dans le respect de ce qui fonde notre éthique.
Madame la ministre, vous l’avez rappelé, il n’y a pas, d’un côté, les garants de l’ordre moral et, de l’autre, ceux qui, au nom d’une liberté et d’une égalité débridées, conduiraient à sa perte. Mais nous ne pouvons nous résoudre à voter contre une avancée des droits, une avancée sociétale telle que l’extension de l’AMP pour toutes. Nous sommes attendus sur cette promesse présidentielle : au-delà de ces murs, de nombreuses femmes nous regardent !
Je l’avoue, que nous légiférions sur ce que les femmes doivent faire de leur corps m’a mis assez mal à l’aise. J’ai parfois eu l’impression qu’on les envisageait tantôt comme des êtres égoïstes, mus par leurs désirs individuels, tantôt comme des êtres fragiles, instrumentalisés à l’envi. (Marques d’approbation de plusieurs sénatrices.) Ces débats nous ont montré que le patriarcat et le paternalisme avaient encore de beaux jours devant eux. (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM et RDSE.)
En définitive, puisqu’il est hors de question de laisser la place au doute, les symboles tels que l’AMP étant encore plus importants que les nombreux reculs votés au Sénat, le groupe La République En Marche, dans sa majorité, votera en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SOCR.)
Ouverture du scrutin public solennel
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi relatif à la bioéthique.
Le scrutin sera ouvert dans quelques instants.
Mes chers collègues, je vous invite à insérer votre carte de vote dans le terminal.
Je vous rappelle que, si vous disposez d’une délégation de vote, le nom du sénateur pour lequel vous devez voter s’affiche automatiquement sur le terminal au-dessous de votre nom. Vous pouvez alors voter pour vous et pour le délégant en sélectionnant le nom correspondant, puis en choisissant une position de vote.
Si vous avez donné une délégation et que vous êtes finalement présent, vous pouvez voter directement en insérant votre carte dans votre terminal de vote. La position de vote alors exprimée primera sur un vote exprimé par délégation.
Le scrutin est ouvert. J’invite nos deux collègues secrétaires, MM. Dominique de Legge et Daniel Dubois, dès qu’ils auront voté, à monter au plateau pour superviser le déroulement du vote.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Plus personne ne demande à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Proclamation du résultat du scrutin public solennel
M. le président. Mes chers collègues, je tiens à le souligner, nous sommes 326 en séance ! (Applaudissements sur de nombreuses travées.) C’est dire, madame la ministre, l’engagement du Sénat !
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 89 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 296 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 143 |
Le Sénat a adopté, dans le texte de la commission, modifié, le projet de loi relatif à la bioéthique. (Applaudissements prolongés sur de nombreuses travées.)
M. David Assouline. Heureusement que la gauche existe, madame la ministre !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voilà arrivés, après quinze jours de débat, à ce vote solennel.
Il s’agit, je crois, d’un moment important.
En effet, chacun a pu constater, au cours de nos discussions, la dimension tout à fait singulière de ce texte et les conséquences concrètes qu’il emportera, demain, sur la vie de nos concitoyens.
C’est la grandeur du Parlement que d’assumer un certain nombre de changements que la science rend possibles et que la société appelle. Les progrès scientifiques et technologiques avancent à une vitesse effrénée. Les volontés particulières tantôt s’opposent et tantôt s’accordent, selon les convictions de chacun, mais, à la fin, la volonté générale s’incarne dans la loi.
Ces deux dernières semaines, nous avons cheminé ensemble sur la ligne de crête qui sépare le possible du souhaitable. Je le répète, c’est aux représentants de la Nation de discerner et d’établir la frontière entre ces deux mondes. Je ne m’attarderai pas sur toutes les mesures du projet de loi, la plupart d’entre elles ayant été rappelées par les intervenants précédents. Je me contenterai seulement de souligner quelques points.
Je pense tout d’abord à l’élargissement de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires.
En dépit de divergences sur les modalités, notamment en ce qui concerne la prise en charge par l’assurance maladie, je me réjouis que cette assemblée reconnaisse la famille dans ce qu’elle a de divers, de pluriel et de riche. J’ai une pensée toute particulière pour ces familles dont le projet de vie qu’elles construiront sera reconnu, bien au-delà de l’affection de leurs proches, par les lois de la République et au travers des droits et des devoirs que ces lois donnent à chacun. Ces familles nous regardent peut-être ; je sais qu’elles nous attendent.
Voilà deux semaines, lors de la discussion générale, j’avais indiqué qu’aucune des mesures de ce projet de loi ne devait mettre en tension le moindre principe éthique fondamental. C’est à ce titre que j’ai proposé la suppression des dispositions relatives à la génétique introduites par la commission spéciale. Je reste convaincue que le temps est encore à la recherche, pour mieux comprendre l’impact des différentes mutations génétiques et leurs conséquences non seulement en termes de prévention et de soins, mais aussi sur la société.
Les nouveaux droits qui seront ouverts par le texte ne doivent être contraires à aucun principe bioéthique et ne peuvent s’exercer que dans un cadre protecteur. Or les modifications que vous aviez apportées à l’article 2 et l’ouverture de l’autoconservation aux centres privés ne garantissaient plus ce cadre protecteur. Je pense sincèrement qu’il était préférable de ne pas adopter cet article ainsi modifié, ce que vous avez fait.
En deuxième lecture, Adrien Taquet et moi-même proposerons de rétablir l’article 3 dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Il ne nous semble en effet ni souhaitable ni juste que des enfants aient accès, à leur majorité, à l’identité de leur donneur tandis que d’autres se verraient refuser une telle possibilité.
Dans ce même souci de justice, Nicole Belloubet et moi-même proposerons de rétablir les dispositions prévues par l’Assemblée nationale à l’article 4 sur la filiation. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous souhaitons reconnaître un projet parental porté par deux femmes. Il n’y a aucune raison d’imposer à l’une d’elles de passer par l’adoption. Le système que nous proposons permet de sécuriser l’établissement du lien de filiation à l’égard de l’enfant et de ses deux mères.
Mme Sophie Primas. Le Sénat travaillerait-il donc pour rien ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement n’a pas souhaité supprimer le nouvel article 4 bis, afin de poursuivre le débat au cours de la navette parlementaire.
Il nous semble important de réaffirmer une règle simple : la conformité de la transcription de l’acte de naissance de l’enfant s’apprécie au regard des critères de la loi française. Cette solution, plus générale que celle qui a été adoptée, englobe un plus grand nombre de cas.
Il est hors de question, je le rappelle solennellement, de légaliser la GPA. Nous y sommes farouchement opposés. L’enjeu est ici de trouver un équilibre entre l’effectivité de l’interdiction de la GPA en France et la nécessaire reconnaissance d’un état civil sécurisé pour des enfants qui ont le droit de voir leur filiation établie et de vivre une vie familiale normale. Frédérique Vidal et moi-même avons décidé de relever d’emblée les points susceptibles de déséquilibrer le texte ou de l’entraîner dans une direction qui ne nous semble pas opportune.
Les recherches sur l’embryon humain telles que nous les défendons doivent avoir pour seul objectif d’enrichir nos connaissances de la biologie de l’homme et d’améliorer la santé. J’observe que les articles qui concernent la partie recherche ont été profondément modifiés. Je ne doute pas que le débat sera encore dense lors des prochaines lectures.
Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, un certain nombre de sujets seront approfondis lors des prochaines navettes parlementaires, mais je voudrais saluer une nouvelle fois la qualité, la sincérité et la richesse de nos débats, malgré les divergences et les convictions authentiques qui se sont exprimées. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. Madame la ministre, point important, n’anticipons pas sur la deuxième lecture qui aura lieu ici ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
J’ai vu hier soir que l’on anticipait sur le texte d’une proposition de loi. Je crois qu’il faut encore garder un espace ouvert de dialogue. C’est mon rôle de président du Sénat de le rappeler ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE et SOCR.)
Mes chers collègues, je voudrais remercier le président de la commission spéciale, les rapporteurs et tous ceux qui ont participé au débat. Je voudrais encore souligner votre très nombreuse présence aujourd’hui, ce qui démontre combien ces sujets sont majeurs pour nous. Nous ne sommes pas que la chambre des collectivités territoriales, nous sommes la chambre de la société française et des citoyens ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, Les Indépendants et SOCR.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à quinze heures cinquante, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de loi
Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date du 3 février, le Gouvernement demande l’inscription de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à modifier les modalités du congé de deuil pour le décès d’un enfant à l’ordre du jour du mardi 3 mars après-midi, après le vote solennel sur le projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée.
Acte est donné de cette demande.
Le délai limite de dépôt des amendements de séance pourrait être fixé au lundi 2 mars, à midi, et le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale serait d’une heure.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
5
Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. Par lettres en date des 3 et 4 février, M. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, demande le retrait de l’ordre du jour du jeudi 20 février du débat, inscrit à la demande de son groupe, sur le programme de travail de la Commission européenne et sur les perspectives de l’action européenne d’ici 2024 et son remplacement par un débat sur l’action du Gouvernement en faveur de l’agriculture.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
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Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique et du projet de loi modifiant les lois du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Hadopi est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Mises au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Madame la présidente, lors du scrutin n° 89 sur l’ensemble du projet de loi relatif à la bioéthique, je souhaitais voter pour.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, lors du scrutin n° 82, M. Antoine Lefèvre souhaitait s’abstenir.
Lors du scrutin n° 89, M. François-Noël Buffet souhaitait voter contre.
Mme la présidente. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique des scrutins.
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Droits des usagers des transports en cas de grève
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi tendant à assurer l’effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (proposition n° 166, texte de la commission n° 281, rapport n° 280).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi a pour objet de construire un nouveau droit pour nos compatriotes, celui d’accéder à un service minimum garanti, c’est-à-dire effectif, dans les transports publics.
Il s’agit de tenir compte de l’exaspération de tant de nos compatriotes qui se retrouvent régulièrement pris en otage, lors de conflits sociaux durs, alors qu’ils sont dépendants de la fiabilité des transports publics dans leur liberté d’aller et venir, qu’il s’agisse de se rendre au travail le matin ou d’en revenir le soir.
Il s’agit aussi, en créant ce nouveau droit, de donner du corps au principe souvent invoqué et trop peu appliqué de continuité des services publics.
Notre proposition de loi soulève plusieurs enjeux.
Le premier d’entre eux consiste à prendre acte de la dépendance quotidienne de nos compatriotes aux modes de transports collectifs. En quinze ans, nous sommes passés, pour prendre cette unité de compte, de 150 milliards de voyageurs-kilomètre à plus de 200 milliards. La part de marché des transports publics est de plus en plus importante, ce dont nous pouvons nous féliciter. Mais cette dépendance appelle également de la régularité et une plus grande fiabilité.
Le deuxième enjeu est écologique. Le 24 octobre dernier, la France a été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne pour avoir dépassé « de manière systématique et persistante » les seuils autorisés pour le dioxyde d’azote, émis notamment par les voitures individuelles.
Par conséquent, si l’on veut relever ce défi écologique, il faut développer la part des transports collectifs, ce qui suppose de rendre attractif le transport public.
Le troisième et dernier enjeu est législatif. La loi du 21 août 2007 censée instaurer le service minimum a constitué une première étape, un premier progrès, en organisant l’information des usagers en cas de grève : un salarié voulant faire grève doit désormais le déclarer quarante-huit heures à l’avance pour permettre à l’entreprise qui l’emploie d’informer les usagers et d’organiser le meilleur service possible.
Toutefois, comme vous le savez, ce texte n’a en aucun cas permis d’aboutir à un service minimum garanti. Nous devons aujourd’hui aller au-delà.
Je remercie la commission des affaires sociales et la rapporteure pour leur travail. À l’origine, nous avions prévu de concentrer sur les heures de pointe – environ deux heures le matin et deux heures le soir – un tiers de trafic journalier garanti en cas de grève. Mais nous avons très vite amendé cette disposition pour laisser aux autorités organisatrices de transport – les régions, par exemple, pour les TER, un certain nombre d’agglomérations et d’intercommunalités –, les plus à même d’apprécier la notion constitutionnelle de « besoins essentiels », le soin de juger quelles lignes devaient profiter en priorité de ce service minimum garanti. La commission a repris cette idée et je m’en félicite.
Nous maintenons le dispositif prévu dans la loi de 2007 : tout doit être fait pour favoriser d’abord le dialogue social. Ce n’est qu’en cas d’échec de cette phase de dialogue que le dispositif de service minimum garanti doit s’appliquer.
Nous avons tenu à inscrire dans le texte – je pense que Mme la rapporteure en parlera – un dispositif de remboursement automatique des titres de transport n’ayant pu être utilisés, faute de service, notamment durant les périodes de grève.
Il faut absolument simplifier la démarche, dont la responsabilité doit incomber non pas à celui qui subit la situation, mais à l’entreprise publique qui organise, gère et exploite le service. Nous tenons beaucoup à cette simplification et souhaitons qu’un remboursement intervienne automatiquement dans les sept jours, notamment lorsque le paiement a été réalisé par carte bancaire. Sans être le cœur de la proposition de loi, c’est un point fondamental.
Je voudrais maintenant répondre à quelques objections qui ont pu nous être opposées ici ou là, comme il est bien normal.
Tout d’abord, certains considèrent que vouloir encadrer le droit de grève revient à y porter atteinte. En réalité, je me suis souvent aperçu que l’argument principal de ceux qui soutiennent cette position est qu’une bonne grève, c’est celle qui crée le maximum de perturbations.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Eh oui…
Mme Éliane Assassi. Une bonne grève, selon vous, c’est une grève qui ne sert à rien ?
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. Une telle vision des choses me semble archaïque. (Rires sur les travées du groupe CRCE.) Il n’est pas acceptable qu’une ultra-minorité de Français soit en mesure de paralyser le pays ! Le droit de grève n’est pas un droit de blocage d’un pays. Ce sont les Françaises et les Français d’en bas qui sont le plus dépendants des transports publics pour se rendre au travail ou rentrer chez eux, pas ceux d’en haut !
M. Jacques Grosperrin. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. Ils sont épuisés : nous en avons eu des témoignages extraordinaires aux mois de janvier et de décembre.
M. Jean-Paul Émorine. Oui !
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. Pensons à eux !
Le droit de grève n’est pas non plus un droit de vie ou de mort sur les entreprises et sur les emplois !
Mme Éliane Assassi. Seuls les patrons l’ont !
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. On doit pouvoir trouver un équilibre et encadrer l’exercice du droit de grève afin qu’un service minimum soit garanti, comme dans toutes les autres démocraties. C’est dans l’ordre des choses !
Une autre objection est d’ordre juridique. Notre proposition est-elle une entorse au droit constitutionnel ? Bien sûr que non ! Il existe d’ores et déjà, en France, pas seulement pour l’hôpital, mais aussi pour l’audiovisuel public, Météo-France, les aiguilleurs du ciel, d’autres services publics encore, une faculté de réquisition des fonctionnaires. Cela veut bien dire qu’un tel dispositif ne méconnaît pas les principes juridiques, même les plus élevés, y compris les normes constitutionnelles. De surcroît, en France, certains fonctionnaires sont tout simplement interdits de grève. Au-delà de nos frontières, en Allemagne, en Italie, en Espagne ou au Portugal, le droit de grève est bien plus encadré que dans notre pays, croyez-moi ! Cela ne veut pas dire pour autant que, dans ces pays, le dialogue social n’existe pas ou qu’il n’y a pas de mouvements sociaux en cas de mécontentement.
Je ne conteste nullement, par ailleurs, qu’il puisse y avoir de mauvaises réformes (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRCE.), mais je pense qu’on doit pouvoir exprimer un désaccord, y compris sur le plan social, d’une façon qui tienne compte des usagers du service public. Le service public est d’abord un service au public !
Le Préambule de la Constitution de 1946, sans doute la plus sociale de toutes, dispose que le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. Le Conseil constitutionnel en a tiré deux conclusions, notamment dans une jurisprudence très connue de 1979.
En premier lieu, le droit de grève peut effectivement être encadré ; autrement dit, ce n’est pas un droit illimité. Ce point de vue est irréfragable.
En second lieu, c’est le législateur qui a la légitimité pour poser des limites au droit de grève. C’est donc à nous, mes chers collègues, de prendre nos responsabilités.
Il n’est donc pas outrancier de soutenir ce type d’argumentation. Une grande démocratie comme la nôtre doit être capable d’organiser le droit de grève tout en veillant à protéger les entreprises et les usagers du service public.
Ce que nous devons collectivement rechercher, c’est un point d’équilibre entre deux principes à valeur constitutionnelle : d’un côté, le droit de grève ; de l’autre, le principe de continuité des services publics. Nos propositions visaient à approcher au plus près cet équilibre ; je pense que nous y sommes parvenus.
Le Gouvernement s’opposera peut-être à ce texte. Cela ne m’étonnerait pas du tout. La grève a sans doute été, en effet, son meilleur argument pour défendre sa réforme des retraites, eu égard aux embarras créés par les grévistes qui s’y opposent.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un syllogisme !
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. Exactement, mais il n’est pas de moi. Un syllogisme est faux. Je vous invite donc à suivre notre rapporteur et à adopter le texte de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canevet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’épisode de grève d’une durée sans précédent dont notre pays sort à peine est venu rappeler que l’absence de certains services publics, notamment en matière de transports, peut avoir des conséquences importantes, sociales, économiques, environnementales ou de sécurité, pour l’ensemble de la société. Elle a, plus largement, privé d’effectivité la liberté d’aller et venir sur le territoire.
La paralysie des transports publics a entraîné des difficultés parfois considérables pour nos concitoyens habitant loin de leur lieu de travail. Ceux qui en ont les moyens ont dû assumer des frais d’hébergement ou de garde d’enfant. Mais les personnes les plus affectées ont été les plus fragiles, celles qui ne pouvaient pas se passer d’aller travailler, qui n’ont pas pu se permettre de prendre des jours de congé ou qui n’ont pas d’autre solution de transport que le train, le bus, le métro. Ce sont d’abord à ces personnes que nous devons penser lorsque nous légiférons !
Cette situation s’est traduite par un regain du recours aux transports individuels, à l’heure où la promotion des transports collectifs apparaît comme une réponse essentielle aux enjeux environnementaux. On peut craindre que beaucoup, parmi ceux qui se sont reportés sur la voiture individuelle, gardent désormais ce mode de transport et ne reviennent pas aux transports en commun.
Si la situation s’est aujourd’hui nettement améliorée, cette expérience encore bien présente dans nos mémoires doit nous pousser à nous interroger sur les moyens de garantir la continuité du service public et, plus largement, d’assurer la couverture des besoins essentiels de la population.
Si le droit de grève est un droit constitutionnel, il n’est pas un droit absolu, et il n’est pas supérieur aux autres droits et principes de valeur constitutionnelle. C’est ce qu’a jugé avec constance le Conseil constitutionnel, estimant que le droit de grève pouvait être limité afin d’assurer l’équilibre entre son respect et celui d’autres principes, comme la continuité du service public, ou, plus généralement, afin de sauvegarder l’intérêt général.
Le législateur a ainsi pu prévoir des aménagements du droit de grève. Dans le secteur public, il a prévu une obligation de préavis et a même privé certaines catégories d’agents du droit de grève.
Dans le même sens, la loi prévoit d’ores et déjà la possibilité de requérir des personnels grévistes dans certains cas précis : cette possibilité est ouverte au Gouvernement, en vue de préserver la sécurité nationale, et au préfet, lorsqu’une atteinte à l’ordre public l’exige. Ces possibilités de réquisition concernent tant des agents publics que des salariés d’entreprises privées, et dépassent même le seul cas du service public.
Dans le secteur des transports publics, la loi du 21 août 2007 a prévu un encadrement spécifique. Ainsi, le dépôt d’un préavis de grève doit être précédé du déclenchement d’une procédure d’alarme sociale, et les salariés souhaitant se mettre en grève sont tenus de le déclarer à leur employeur au moins quarante-huit heures à l’avance. Ces dispositions ont permis d’améliorer le dialogue social et de donner aux usagers une information fiable sur le service assuré.
Pour autant, la loi de 2007 rencontre ses limites lorsqu’un conflit trouve son origine dans des décisions sur lesquelles l’employeur n’a pas de prise.
En outre, si elle définit différents niveaux de service en fonction de la perturbation, elle ne permet pas d’assurer un service minimal à même de couvrir les besoins essentiels de la population en cas de grève très suivie.
La proposition de loi déposée par notre collègue Bruno Retailleau et cosignée par de nombreux sénateurs de différents groupes s’inscrit dans le prolongement de la loi de 2007, mais cherche à modifier la logique qui la guidait. Il s’agit non plus de partir du service qui peut être assuré compte tenu du nombre de grévistes, mais bien de partir des besoins essentiels de la population et de prévoir les moyens d’assurer la couverture de ces besoins.
Le texte crée un droit pour les usagers à un service minimum de transport en cas de grève et ne limite le droit de grève que dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir ce service minimum.
La commission des affaires sociales, partageant largement cet objectif, a adopté ce texte en lui apportant plusieurs modifications destinées à sécuriser ses dispositions.
L’article 3 de la proposition de loi, qui en constitue le cœur, fixait le niveau minimal de service à un tiers du service normal, concentré aux heures de pointe, ce niveau pouvant être modulé par l’autorité organisatrice de transports. Les entreprises de transport auraient été tenues de requérir les personnels nécessaires pour assurer ce service minimal, sous peine d’amende administrative.
Sur ma proposition, la commission a adopté un amendement visant à assurer la constitutionnalité et le caractère opérant du dispositif, tout en permettant d’atteindre l’objectif des auteurs du texte.
Il a semblé à la commission que la fixation du niveau minimal à un tiers du service normal n’était pas une référence nécessaire. Les réalités ne sont, en effet, pas les mêmes d’un territoire à l’autre, selon qu’il existe ou non des alternatives aux transports publics. Lorsque l’offre de transports publics est diversifiée, par exemple en zone urbaine, il convient d’adopter une approche globale.
La commission a en outre relevé que l’application de la règle de l’arrondi à l’entier supérieur conduirait en pratique, lorsqu’il n’existe que quelques dessertes par jour, à un niveau de service nettement supérieur à un tiers du service normal.
Dès lors, restreindre le droit de grève sans l’adapter aux besoins réels de la population pourrait constituer une atteinte excessive à un droit de valeur constitutionnelle. Une telle proposition encourrait très probablement la censure du Conseil constitutionnel.
L’article 3, tel que récrit par la commission, laisse donc aux autorités organisatrices de transports, c’est-à-dire, le plus souvent, aux régions ou aux intercommunalités, le soin de définir au cas par cas le niveau minimal de service nécessaire. Cette définition prendrait la forme d’une délibération, susceptible d’être déférée devant le juge administratif.
Par hypothèse, une situation dans laquelle ce niveau minimal ne serait pas assuré constituerait une atteinte à la satisfaction des besoins de la population et autoriserait une limitation du droit de grève.
Toutefois, considérant que la population a une capacité d’adaptation, et dans le souci d’apporter au droit de grève une limitation proportionnée, la commission a prévu un délai de carence de trois jours, à l’issue duquel l’autorité organisatrice de transports pourrait enjoindre aux entreprises concernées de requérir les personnels nécessaires. Un salarié qui refuserait de se conformer à l’ordre de son employeur formulé dans ce cadre ferait alors un usage illicite de son droit de grève et serait donc passible de sanctions disciplinaires.
L’article 6 prévoit des dispositions relatives au remboursement des usagers qui n’ont pas pu voyager. Les transporteurs proposent bien souvent un échange ou un avoir, alors que les usagers sont en droit d’attendre un remboursement, de préférence sans avoir à en faire la demande. La commission a adopté cet article en lui apportant des modifications rédactionnelles.
Le texte étend par ailleurs aux liaisons maritimes de desserte des îles françaises les dispositions de la loi de 2007 et celles introduites par la proposition de loi. La commission a complété ces dispositions pour que s’appliquent à ces liaisons l’ensemble des dispositions du code des transports relatives à la prévention des conflits collectifs et à l’encadrement du droit de grève.
L’article 8 concerne le secteur aérien. Sur ma proposition, la commission a adopté un amendement tendant à limiter l’application du dispositif aux seules lignes sous obligation de service public, soit une douzaine de lignes en France continentale ainsi que certaines liaisons entre la Corse et le continent et entre la métropole et les outre-mer. Elle a ainsi établi une symétrie avec les dispositions de l’article 3, qui ne visent que les services publics de transport terrestre, et mis le dispositif en conformité avec le droit européen qui régit le secteur.
La commission a par ailleurs renforcé la possibilité pour les compagnies aériennes de réorganiser le service en utilisant les déclarations individuelles d’intention de faire grève, la Cour de cassation ayant jugé que le droit actuel ne le permettait pas.
La commission a également complété cette proposition de loi par des dispositions de nature à lutter contre certains abus constatés en matière d’exercice du droit de grève qui pénalisent indûment les usagers.
Si la procédure d’alarme sociale introduite par la loi de 2007 a permis d’améliorer le dialogue social et de réduire la conflictualité dans les transports publics, on observe pourtant des stratégies visant à contourner cette obligation de négociation et même l’obligation de préavis. Il n’est pas rare que des organisations syndicales déposent des préavis très longs ou illimités sur des sujets très larges, comme les salaires ou les conditions de travail. Ces préavis demeurent en vigueur même si le conflit a cessé, si bien qu’à tout moment des salariés peuvent se mettre en grève en n’ayant à respecter que le délai de prévenance de quarante-huit heures. Il s’agit là d’un contournement manifeste de la loi de 2007.
Aux termes de l’article 9 introduit par la commission, un préavis de grève pourra être déclaré caduc par l’entreprise dès lors qu’il n’aura été suivi par aucun salarié pendant une période de cinq jours. Cette mesure n’entrave pas la liberté des organisations syndicales, qui pourront toujours appeler à la grève dès lors qu’elles l’estimeront nécessaire, en respectant les règles.
La commission a également ajouté un article 10 visant à lutter contre les grèves de très courte durée, dites « de 59 minutes », qui désorganisent fortement les réseaux de transport. Un conducteur de bus ou de tramway qui a décidé de se mettre en grève pendant une heure au milieu de son service oblige son employeur à le remplacer pour l’intégralité de ce service, sans qu’il soit nécessairement possible de le réaffecter lorsque sa grève prend fin.
Il apparaît logique d’étendre aux entreprises chargées d’un service public de transport la possibilité d’imposer à leurs salariés de faire grève du début à la fin de leur service, possibilité déjà prévue, pour les collectivités territoriales, par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.
Voilà, mes chers collègues, le sens des modifications que nous avons apportées à la proposition de loi. Nous en avons conservé tous les objectifs et n’en avons modifié les contours, avec l’accord de ses auteurs, que pour sécuriser ses dispositions. La commission des affaires sociales vous demande de l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Indépendants. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, entre le 5 décembre et le 17 janvier derniers, les Françaises et les Français ont subi six semaines d’une grève de grande ampleur dans les transports, notamment en Île-de-France. Cette grève a eu des conséquences importantes pour bon nombre de nos compatriotes, qu’ils soient salariés, étudiants ou retraités.
L’allongement des temps de transport a conduit beaucoup de Français à se lever très tôt le matin et à rentrer chez eux tard le soir pour respecter au mieux leurs horaires de travail. De nombreuses entreprises ont vu leur activité perturbée et des interventions médicales ou des examens universitaires ont dû être aménagés ou reportés.
La continuité du service de transport de voyageurs est essentielle à la vie quotidienne des Français et à l’activité économique du pays. Je comprends donc que le Sénat ait souhaité, par la voix du président du groupe majoritaire, Bruno Retailleau, faire évoluer de manière substantielle le cadre juridique dans lequel s’exerce le droit de grève dans les transports publics, en instaurant une véritable garantie de service minimum.
Je peux même dire que je partage l’objectif ultime des auteurs du texte, qui est d’assurer la continuité du service public et de permettre l’exercice dans les faits du « droit à la mobilité », ce droit que nous avons choisi d’inscrire, il y a peu, en ouverture du code des transports et dont nous souhaitons qu’il soit effectif pour tous, au quotidien, dans tous les territoires.
Dans le même temps, le Gouvernement est profondément attaché au respect du droit de grève, constitutionnellement garanti par le Préambule de la Constitution de 1946. Vous l’avez dit, monsieur Retailleau : il revient au législateur d’accomplir la tâche difficile de conciliation de ce droit avec le principe de continuité du service public.
La loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public présente déjà, en la matière, des avancées importantes.
Elle impose notamment des procédures de négociation en amont, de manière à prévenir les conflits, et crée, pour certains salariés, une obligation de déclaration préalable de leur intention de faire grève. Elle a ainsi facilité l’organisation des services en cas de perturbations prévisibles, au regard de priorités définies par les autorités organisatrices de la mobilité. Elle a en outre garanti aux usagers un certain nombre de droits, du droit à une information de qualité à celui de bénéficier, le cas échéant, du remboursement de leurs titres de transport.
La loi de 2007, complétée par celle du 19 mars 2012 relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers, issue d’une proposition de loi de M. le député Éric Diard, a permis de réduire considérablement l’impact des mouvements sociaux dans les transports.
Pour autant, l’épisode de ces derniers mois met en lumière les limites de notre cadre actuel, et il est légitime que la représentation nationale se saisisse du sujet.
Pour aller plus loin, il me semble toutefois indispensable de disposer d’une analyse juridique approfondie et de se laisser le temps de la concertation avec les parties concernées. C’est indispensable, car l’instauration d’un service minimum dans les transports implique de concilier plusieurs objectifs de valeur constitutionnelle. Or la rédaction actuelle de la proposition de loi me semble fragile sur le plan juridique et présente un risque réel de censure par le juge constitutionnel.
Par exemple, l’absence de tout plafond dans la fixation du niveau de service minimal expose la définition même de ce minimum à une insécurité juridique. De la même manière, confier aux entreprises le soin de réquisitionner les salariés sans leur conférer explicitement de pouvoir de réquisition me paraît insécurisant sur le plan du droit.
Dans ces conditions, l’encadrement du recours au service minimum par les autorités organisatrices apparaît insuffisant pour garantir la constitutionnalité du dispositif.
Les questions juridiques sont donc nombreuses et méritent d’être approfondies au-delà du travail de grande qualité accompli par Mme la rapporteure Pascale Gruny. Il convient également de progresser dans l’articulation avec les dispositions existantes, notamment celles de la loi de 2007.
Il me semble en outre nécessaire de prendre le temps de la concertation sociale. La grève qui bloquait les transports collectifs s’est arrêtée courant janvier et le contexte commande désormais l’apaisement des relations avec le corps social des entreprises concernées.
Partageant toutefois l’esprit qui vous anime, mesdames, messieurs les sénateurs, et puisque le Gouvernement doit sécuriser le dispositif avant de pouvoir envisager de l’inscrire dans notre droit, je propose de lancer dans les prochaines semaines une mission sur ce thème. Pilotée par un juriste éminent qui pourrait être issu du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, celle-ci devra faire des propositions sous deux mois, afin que nous en puissions en disposer pour la suite du débat parlementaire. Cette mission portera sur les conditions de l’installation d’un service minimum garanti dans les transports, mais également sur les deux autres points que vous soulevez au travers de votre proposition de loi : les préavis illimités, d’une part, et, d’autre part, les grèves de très courte durée, dites « grèves de 59 minutes », qui, nous le savons, perturbent gravement l’organisation du service. Ses conclusions nous permettront d’appréhender le sujet de manière sécurisée et de travailler à un dispositif qui devra être à la fois constitutionnel et opérationnel.
Sur un sujet aussi sensible, qui touche à plusieurs libertés fondamentales, nous nous accorderons sans doute pour dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous ne pouvons légiférer que la main tremblante.
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Assassi, Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 5.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi tendant à assurer l’effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève (n° 281, 2019-2020).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, sous couvert d’assurer l’effectivité du droit au transport, porte une atteinte grave au droit de grève, constitutionnellement garanti par les jurisprudences du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour de cassation.
À vrai dire, nous ne sommes pas surpris de cette initiative, dont l’objet est de « signaler » aux usagers des transports en commun qu’en soutenant massivement le mouvement de grève de ces dernières semaines, ils n’ont en fait rien compris : en réalité, la grève, ça les dérange, et la droite sénatoriale va régler ça !
Vous avez une vision manichéenne des choses, mes chers collègues, qui oppose les pauvres usagers, d’une part, et les méchants grévistes, de l’autre. C’est oublier que l’exercice du droit de grève implique des sacrifices.
Des sacrifices financiers, d’abord : je pourrais brandir ici des fiches de paie du mois de janvier où figure un net à payer de zéro euro !
M. Bruno Sido. C’est normal !
Mme Éliane Assassi. Des sacrifices psychologiques, ensuite : je pense aux représailles diverses exercées par les directions d’entreprise et aux décisions insolentes, pour ne pas dire insultantes, prises envers les grévistes, comme celle de récompenser les non-grévistes par des primes allant de 300 à 1 500 euros !
Par ailleurs, comment ne pas voir de vraies convergences d’intérêts entre les grévistes et les usagers ? En effet, toutes les dernières grèves dans le secteur des transports se donnaient pour objectif la défense du service public, et donc de l’intérêt des usagers, face aux velléités de démantèlement et de libéralisation.
Votre vote du pacte ferroviaire et de la loi d’orientation des mobilités (LOM) entraîne en effet directement la dégradation du service et la galère quotidienne pour l’ensemble des usagers, celle-là même que vous dénoncez aujourd’hui.
En définitive, ce sont bien les politiques d’austérité, et non pas l’usage du droit de grève par les agents du service public, qui prennent en otage les usagers.
J’évoquerai maintenant le contexte particulier dans lequel ce texte est débattu.
Est-ce là la réponse de la majorité sénatoriale au rejet massif de la réforme des retraites ? Dans une situation de tension sociale majeure, où un pouvoir « droit dans ses bottes » remet en cause les fondements du pacte républicain issu du programme du Conseil national de la résistance, votre groupe s’attaque aux grévistes pour les contraindre à rentrer dans le rang en courbant l’échine.
Vous vous en prenez aujourd’hui aux transports de personnes, mais j’ai le sentiment que votre ambition est plus large. Ce que vous voulez, c’est bel et bien retirer aux salariés le droit ultime dont ils disposent pour défendre leurs intérêts, les laissant vulnérables et impuissants dans la guerre sociale menée par ce gouvernement contre tous les conquis sociaux.
M. François Bonhomme. Il ne faut pas exagérer !
Mme Éliane Assassi. Ce faisant, vous êtes les alliés de ce pouvoir rétrograde (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) que vous ne manquez pas de vilipender quand cela vous arrange…
Nous ne partageons pas la vision de la société qui s’exprime au travers de ce texte, pour des raisons politiques et sociales – vous l’aurez compris –, mais également parce qu’elle est inconstitutionnelle.
M. François Bonhomme. Carrément !
M. Fabien Gay. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Les tentatives de la commission pour « border » un texte inacceptable ne masquent pas un véritable aveu de culpabilité s’agissant du caractère inconstitutionnel de ce texte.
Nous regrettons d’ailleurs de ne pas disposer d’un avis du Conseil d’État. Porter atteinte au droit de grève pour l’ensemble des transports de personnes, maritimes, terrestres et aériens, ne peut se faire à la hussarde, sans éléments juridiques tangibles.
Votre exposé des motifs est à ce titre assez fascinant. Il évoque pêle-mêle la liberté d’aller et venir et la liberté du travail comme principes qui justifieraient des restrictions au droit de grève.
Pour ce qui concerne la liberté d’aller et venir, doit-on vous rappeler que les transports terrestres, maritimes ou aériens ne sont qu’une des modalités d’exercice de cette liberté, puisqu’il existe toujours des alternatives, telles que la voiture, le vélo, la marche ? (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Quant à la liberté du travail, elle n’existe pas, vous le savez bien ; elle n’a jamais été reconnue par le Conseil constitutionnel, contrairement au droit au travail, défini comme un droit social garanti par le Préambule de la Constitution de 1946.
L’exposé des motifs mentionne également la « liberté d’accès au service public », alors que les principes reconnus par la jurisprudence sont ceux d’« égal accès aux services publics » et de « continuité du service public ». Pourquoi autant d’inepties ?
Si nous nous référons bien aux mêmes principes constitutionnels, la seule conciliation dont nous pouvons convenir est celle qui doit être recherchée entre le droit de grève et le principe de continuité des services publics. Dans ce cadre, il existe une jurisprudence à laquelle il convient de se référer.
Ainsi, la décision du Conseil constitutionnel du 25 juillet 1979, Droit de grève à la radio et à la télévision, que vous avez mentionnée, monsieur Retailleau, a certes laissé au législateur la faculté d’apporter des limitations au droit de grève en vue d’assurer la continuité du service public, mais j’aurais aimé que vous citiez jusqu’au bout le texte de cette décision, qui spécifie que « ces limitations [ne] peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents » que pour ceux « dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ». Ce n’est quand même pas la même chose !
La question est donc de savoir définir ces « besoins essentiels du pays » qui justifient la réquisition. Nos positions, de ce point de vue, divergent : nous considérons pour notre part que le champ de ces besoins doit être limité aux enjeux de sécurité et de sûreté nationales. D’ailleurs, le rapport Mandelkern du Conseil d’État, base du projet de loi de 2007, reconnaissait lui-même l’existence d’une très grande incertitude sur ce point. Les auteurs de ce rapport notaient également que l’interdiction du droit de grève sur le fondement des « besoins essentiels du pays » doit être limitée au strict nécessaire.
Tel n’était pas le cas dans le texte initial de cette proposition de loi, qui prévoyait le maintien d’un tiers du trafic. On était bien loin de cette « stricte nécessité », et même du principe de proportionnalité, également reconnu par le Conseil constitutionnel lorsqu’il est porté atteinte à un droit de valeur constitutionnelle.
Dans le même esprit, l’instauration d’une carence de trois jours avant le recours à la réquisition n’est pas de nature à garantir cette stricte proportionnalité.
Par ailleurs, le choix fait par la commission, pour éviter cet écueil, de renvoyer la définition des services essentiels, et donc du niveau de réquisition, aux autorités organisatrices reste problématique. Rien ne garantit que certaines autorités ne feront pas le choix d’un service minimum allant au-delà du tiers des dessertes initialement prévu.
En outre, nous estimons qu’il s’agit d’un jeu dangereux. Que les autorités organisatrices exercent leur compétence en matière de transports, c’est une chose ; en faire des acteurs du rapport de force qui s’établit dans le cadre d’un mouvement social, c’est autre chose. Il n’est d’ailleurs pas certain que les élus souhaitent endosser cette responsabilité sociale de facilitateur ou de censeur de grève.
J’ajoute que donner aux collectivités compétence pour définir les services essentiels et les modalités du droit de grève ne peut que renforcer les inégalités de situations, en totale contradiction avec le principe d’égal accès aux services publics.
Le droit de grève ne peut souffrir cette « balkanisation ». Il faut rappeler que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 juillet 1980, a précisé qu’il appartenait au législateur de déterminer les limites du droit de grève. Il revient donc au Parlement, et non aux collectivités territoriales, de définir les modalités d’exercice de ce droit.
Cette même décision indique également que la loi ne saurait comporter aucune délégation au profit du Gouvernement, de l’administration ou de l’exploitant du service en matière de réglementation du droit de grève. Ainsi, laisser aux autorités organisatrices le soin de définir les services essentiels et à l’entreprise l’exercice de la réquisition est manifestement inconstitutionnel.
Par ailleurs, ce dispositif, qui vise à organiser la mise en place de dessertes garanties, soulève le problème de la traduction de la multiplicité des rapports des pouvoirs locaux par la multiplicité des conditionnements du droit de grève et des inégalités dans son exercice, liée notamment à la difficile ouverture à la concurrence des transports régionaux.
Vous l’aurez compris, nous estimons que cette proposition de loi est inconstitutionnelle. Pis encore, elle constitue une provocation inacceptable pour tous ceux –salariés des services de transports, mais aussi avocats, enseignants, médecins, agents territoriaux… – qui, courageusement et en toute responsabilité, se mettent en grève et battent le pavé, non pas pour eux, mais pour le plus grand nombre (Marques d’ironie sur des travées du groupe Les Républicains.), cette masse invisible que les puissants veulent toujours plus pauvre et plus docile, toujours plus dépourvue de droits et de libertés.
Pour exister dans un contexte social et politique qui ne vous est pas, pour le moins, favorable, vous n’hésitez pas à brandir des propositions de loi plus attentatoires les unes que les autres aux libertés collectives et individuelles, ce qui, à mes yeux, est un signe de faiblesse, et non de force. Cessez de jouer les pompiers pyromanes !
Pour réduire la conflictualité sociale, demandez avec nous le retrait du projet de loi de réforme des retraites. Vous verrez, tout rentrera dans l’ordre ! (M. Bruno Retailleau sourit.) Demandez avec nous l’instauration d’un dialogue social respectueux des syndicats ! Exigez enfin le maintien et le développement du service public afin de garantir aux usagers fiabilité, confort et sécurité !
En conclusion, je vous serais reconnaissante de ne pas convoquer Maurice Thorez, sauf à citer l’intégralité de ses propos : « Il faut savoir terminer une grève dès que la satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles. » C’est aujourd’hui loin d’être le cas, mes chers collègues, d’où de nouvelles journées de grève, comme celle de jeudi prochain ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « la formule républicaine a su admirablement ce qu’elle disait et ce qu’elle faisait ; la gradation […] est irréprochable. Liberté, Égalité, Fraternité. Rien à ajouter, rien à retrancher. Ce sont là les trois marches du perron suprême. La liberté, c’est le droit, l’égalité, c’est le fait, la fraternité, c’est le devoir. Tout l’homme est là. »
Voilà ce que disait le plus illustre des sénateurs, Victor Hugo, sur la devise de notre pays. C’est à la lumière de ces mots que je souhaite examiner la proposition de loi, présentée par Bruno Retailleau et de très nombreux collègues, visant « à assurer l’effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève ».
La liberté, c’est le droit. Le droit de grève en France est un droit à valeur constitutionnelle, et personne ne le conteste. Le droit à la continuité des services publics est également un droit à valeur constitutionnelle. Mais voilà que ces deux droits s’entrechoquent et même s’opposent aujourd’hui.
Fort logiquement, un des objectifs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est donc de débloquer une situation devenue insupportable, tout en respectant scrupuleusement ces droits fondamentaux et leur valeur constitutionnelle.
C’est tout simplement un véritable rééquilibrage des droits qu’il est proposé de mettre en œuvre ici. On est donc aux antipodes de l’exception d’irrecevabilité invoquée par nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
En effet, la liberté d’aller et venir est une composante fondamentale de la liberté individuelle. Chacun peut circuler sur l’ensemble du territoire national dès lors qu’il y est régulièrement entré. Or, pendant plus d’un mois, cette mission de service public n’a plus été assurée normalement dans notre pays. Dans ces conditions, garantir un trafic quotidien constitue non pas un recul des droits fondamentaux, mais plutôt le strict minimum pour que la liberté de chacun soit respectée.
L’égalité, c’est le fait. En 2020, mes chers collègues, on est en droit d’attendre que l’exercice d’un droit de grève mature puisse, certes, perturber un service public, mais en aucun cas le bloquer totalement ! Il n’est en effet plus possible que le droit de grève conduise une minorité organisée à prendre tout un pays et toute une économie en otage.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Jean-Raymond Hugonet. Ce n’est pas cela, l’égalité !
C’est pour éviter cette paralysie qu’est proposée la création d’un service minimum de transport garanti applicable aux transports publics ferroviaire, aérien et maritime. C’est bien de cela qu’il s’agit dans cette proposition de loi, et non pas d’une quelconque remise en cause liberticide d’un droit fondamental.
Le futur service minimum garanti contribuera ainsi à assurer la liberté d’aller et venir, la liberté d’accès aux services publics, la liberté du travail – n’en déplaise à certains ! –, la liberté du commerce et de l’industrie, tout en préservant la liberté de faire grève.
La loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs a constitué indéniablement un progrès, mais, reconnaissons-le, elle n’a pas permis d’atteindre l’objectif d’assurer, en toutes circonstances, la continuité du service public.
Pourtant, comme le rappelle fort justement notre collègue Pascale Gruny dans son rapport, la jurisprudence du Conseil constitutionnel prévoit la possibilité d’interdire purement et simplement le droit de grève aux agents « dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des services publics dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ».
Dans une décision de 1979 déjà citée, le Conseil avait considéré que l’audiovisuel public était un « besoin essentiel du pays ». (M. Bruno Sido manifeste son scepticisme.) Dès lors, je crois que nous pouvons raisonnablement estimer que les transports publics correspondent aussi à un « besoin essentiel du pays ».
La fraternité, c’est le devoir. La loi du 21 août 2007 prévoit des règles pour favoriser le dialogue social et permettre une meilleure organisation des services de transports publics en cas de grève. Elle instaure l’obligation pour les salariés d’indiquer quarante-huit heures à l’avance leur intention de faire grève. La mise en œuvre d’un service minimum aux heures de pointe est laissée aux accords entre syndicats et autorités organisatrices. Cette première étape de négociation est indispensable, et elle doit demeurer. En revanche, lorsqu’elle s’avère inopérante, un dispositif complémentaire doit permettre d’assurer la continuité du service public de transport. Tel est l’objet de la présente proposition de loi, qui s’attache à rendre obligatoire le fonctionnement partiel des transports publics les jours de grève.
Il s’agit, enfin, de partir des besoins de la population et d’en assurer la couverture, et non pas de partir du nombre de grévistes pour prévoir le service qui peut être assuré. Cela paraît tout de même évident !
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jean-Raymond Hugonet. Alors peut-être en finirons-nous enfin avec ces agressions dévastatrices entre grévistes et non-grévistes, entre ceux qui n’ont pas d’autre choix que d’aller travailler et ceux qui s’y opposent parce qu’ils revendiquent et qui voudraient créer le chaos alors que notre nation a besoin d’unité !
N’oublions pas que les premières victimes des mouvements de grève dans les transports, ce sont nos concitoyens les plus fragiles économiquement, comme l’a dit Bruno Retailleau, ceux qui n’ont pas les moyens de recourir à des solutions de repli. Il s’agit des salariés qui résident loin de leur lieu de travail et ne disposent pas d’un véhicule personnel, de ceux qui ne bénéficient pas d’une autonomie professionnelle leur permettant d’adapter leurs horaires de travail ou de télétravailler… Ce sont eux qui ont été les plus touchés !
Par ailleurs, mes chers collègues, il y a une nouvelle donne que nous devons absolument prendre en compte : je veux parler de l’enjeu écologique !
La substitution du transport collectif au transport individuel est l’une des réponses essentielles aux enjeux environnementaux.
Mme Laurence Cohen. Les cars Macron !
M. Jean-Raymond Hugonet. En ce domaine, la France a encore beaucoup de progrès à faire puisque, dans un jugement du 24 octobre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que notre pays avait dépassé depuis 2010 « de manière systématique et persistante » le seuil limite de dioxyde d’azote, un gaz produit notamment par les moteurs diesel. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
M. François Bonhomme. Pollueurs !
M. Jean-Raymond Hugonet. Ce jugement pourrait conduire, dans un deuxième temps, à des sanctions si la France ne faisait rien pour remédier à cette situation.
Nous sommes tous d’accord pour dire que le développement du transport collectif est une des solutions pour remédier à ces mauvais résultats. Dès lors, il doit être encouragé et accéléré. Il le sera d’autant plus que les transports publics apparaîtront enfin fiables et assurant en toutes circonstances le transport des passagers. On ne peut pas à la fois promouvoir les vertus du transport public et ne pas lui imposer des obligations de régularité de service. Cela paraît, là encore, assez évident ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants.)
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Jean-Raymond Hugonet. La place des transports publics croît dans les habitudes de déplacement des Français. Dans son dernier rapport, remis en 2019, le Commissariat général au développement durable a indiqué que la France était passée, pour ce qui concerne le transport collectif, de 152,4 à 200 milliards de voyageurs-kilomètres entre 2001 et 2016. Cette progression souligne l’importance des transports collectifs dans la vie quotidienne de nombreux Français. Le respect de la continuité du service public de transport est une des conditions indispensables de sa croissance rapide.
Comment ne pas évoquer également les problèmes de santé publique causés par les difficultés de circulation ? (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Le porte-parole des sapeurs-pompiers de Paris a fait état d’une hausse de 40 % des accidents constatés dans la capitale, notamment pour les deux-roues. Les embouteillages ont provoqué des retards d’intervention des véhicules de pompiers et de secours.
Mme Éliane Assassi. C’est la faute des grévistes ?
M. Jean-Raymond Hugonet. Les hôpitaux ont également signalé l’augmentation des pathologies liées à la pollution et une baisse des dons de sang.
M. Fabien Gay. C’est à cause du Gouvernement !
M. Jean-Raymond Hugonet. Tout cela est inacceptable !
La plupart de nos voisins européens ont déjà pris des mesures permettant d’assurer la couverture des besoins essentiels de la population en cas de grève. Ces mesures vont de l’autorégulation, avec l’accord des partenaires sociaux, dans les pays du Nord, à la réquisition des personnels en Grande-Bretagne, ou même à la garantie d’un service normal dans les transports en Italie. Notre pays se distingue donc une fois de plus par son inaction. Qu’attendons-nous, monsieur le secrétaire d’État ? (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Après la liberté, l’égalité, la fraternité, l’écologie et la santé, permettez-moi d’évoquer un nouveau paramètre de la grille de lecture : la justice.
L’article 6 de la proposition de loi prévoit de simplifier les démarches des usagers afin d’en finir avec ce qui s’apparente à un vol qualifié, et je pèse mes mots !
Mme Éliane Assassi. Et ce sont des voleurs, en plus…
M. Jean-Raymond Hugonet. En effet, si la SNCF et la RATP sont incapables, nonobstant leur monopole, d’assurer un service digne de ce nom, elles s’avèrent en revanche beaucoup plus expertes quand il s’agit de débiter avidement les comptes des usagers dont le voyage est annulé tout en osant leur proposer un avoir !
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jean-Raymond Hugonet. De qui se moque-t-on ? La proposition de loi interdit fort justement cette pratique scandaleuse de l’avoir, au profit d’un remboursement automatique lorsque le paiement a été effectué par carte bancaire. C’est bien la moindre des choses !
Monsieur le secrétaire d’État, il est maintenant de votre responsabilité de prendre les mesures qui s’imposent pour assurer la continuité effective du service de transport de voyageurs et de marchandises. Forts de notre expérience d’élus confrontés aux troubles de l’ordre public sur nos territoires, nous vous proposons ici un dispositif équilibré, proportionné, efficace et respectueux des droits de chacun ! (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Raymond Hugonet. Inutile de préciser, dès lors, que le groupe Les Républicains votera le rejet de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité déposée par nos collègues du groupe CRCE ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Éliane Assassi. Comme c’est étonnant…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. La commission ayant adopté la proposition de loi, elle est bien évidemment défavorable à cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Au demeurant, nous ne sommes pas d’accord avec les arguments juridiques avancés par ses auteurs. Le Préambule de la Constitution de 1946 dispose que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Par ces mots, le constituant a tout à la fois conféré une valeur constitutionnelle au droit de grève, ce que nul ici ne conteste, et affirmé que le législateur était compétent pour définir les limites qu’il convient d’apporter à ce droit, afin que son exercice ne porte pas atteinte à d’autres droits ou principes à valeur constitutionnelle.
Madame la présidente Assassi, nous avons bien entendu vos arguments, mais nous avons essayé de trouver un équilibre respectant les différents principes posés par la Constitution.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Fabien Gay. Favorable !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Le président Retailleau a évoqué la dépendance aux transports collectifs et l’écologie.
En ce qui concerne la dépendance, il me semble que le cadre concurrentiel dans lequel se développera dorénavant le transport ferroviaire, qu’il s’agisse de la SNCF ou de la RATP, permettra de restaurer une régularité et une qualité de service, comme le montrent depuis de nombreuses années les exemples de l’Allemagne ou de la Suède.
En matière d’écologie, la politique du Gouvernement vise à favoriser le mode ferroviaire, pour les voyageurs comme pour le fret. Nous avons une politique écologique très ambitieuse. Ainsi, la loi d’orientation des mobilités prévoit le verdissement de l’ensemble des véhicules particuliers légers. Les transports routier, maritime, fluvial et aérien doivent tous se conformer aux différentes stratégies gouvernementales, qu’il s’agisse de la stratégie nationale bas carbone ou de la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Sur le plan des faits, je voudrais souligner que, concernant la RATP, depuis le 5 décembre 2019, c’est-à-dire le premier jour de la grève, pas moins de 4 millions de voyages quotidiens sur les 12 millions assurés en temps normal ont été opérés. Cela signifie que 33 % de l’activité, y compris au plus fort de la grève, a été assurée chaque jour par la RATP.
De la même façon, pendant les trois dernières semaines du conflit, la SNCF a assuré plus de 50 % du trafic en moyenne.
M. Bruno Sido. Pas un train chez moi !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. C’est une moyenne, la situation étant évidemment hétérogène selon les territoires. Effectivement, se pose la question des heures de pointe.
En ce qui concerne le contrôle aérien ou Météo-France, je rappelle qu’il s’agit d’emplois postés, pour lesquels les possibilités de réquisition sont en pratique assez opérationnelles. À la SNCF, les conducteurs et les contrôleurs, aux qualifications hétérogènes, ont des emplois que l’on pourrait qualifier de plus « nomades » par nature.
Sur les sujets tant opérationnels que juridiques, nous avons besoin d’éclairages, que pourra nous apporter la mission que j’ai annoncée. Dans cette attente, le Gouvernement émet un avis de sagesse sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Mme la présidente. Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?…
Je mets aux voix la motion n° 5, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. « Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniches,
« Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup
« Pour mordre, pour se défendre, pour attaquer,
« Pour faire la grève…
« La grève…
« Vive la grève ! »
Oui, madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la grève, comme le disent ces vers puissants de Jacques Prévert, constitue l’ultime moyen dont disposent les travailleurs pour faire face à une attaque contre leurs droits, n’en déplaise à certains. Ils n’ont sûrement pas à rougir de son exercice, car ils sont bien dans leur droit, celui de défendre des conquis sociaux, issus de grandes luttes. Aujourd’hui, ce sont nos retraites qui sont remises en cause par le patronat, avec l’appui du gouvernement en place. (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Avec l’appui du Gouvernement, pas du patronat !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Au lieu de fustiger, comme vous le faites au travers de cette proposition de loi, les agents des transports grévistes et de les traiter comme des preneurs d’otages, nous devrions tous et toutes les remercier (Non ! sur des travées du groupe Les Républicains.) de défendre notre système solidaire de retraites par répartition contre un gouvernement souhaitant voir les salariés travailler à vie et les dépouiller au profit de BlackRock !
M. Bruno Sido. Rien que ça !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous devrions les remercier de permettre, par la grève, de faire la lumière sur ce projet de réforme des retraites, en imposant un temps de débat populaire quand le Gouvernement nous contraint à une accélération du processus législatif.
Nous devrions les remercier de défendre nos services publics contre le désengagement de l’État et la privatisation qui entraînent la dégradation de ceux-ci et les difficultés quotidiennes rencontrées par nos concitoyens pour se déplacer.
Votre proposition de loi est en ce sens totalement hors sujet, mais aussi extrêmement dangereuse.
Mme Frédérique Puissat. Mais non !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Elle est hors sujet, d’une part, car l’objectif affiché au travers du titre de votre texte – assurer l’effectivité du droit au transport – est en complet décalage avec son contenu, qui vise, une fois encore, à restreindre le droit de grève des agents des transports publics.
Devons-nous encore vous rappeler que l’effectivité du droit au transport, si cher à vos cœurs, vous l’avez vous-mêmes enterrée en votant toutes les lois de démantèlement du service public ?
Je ne reviendrai pas sur l’inconstitutionnalité d’un tel dispositif, qui va jusqu’à prévoir la réquisition des grévistes, comme l’a si bien démontré ma collègue Éliane Assassi, mais je souhaite insister sur un point fondamental d’opposition entre nous : notre conception du service public des transports n’est sûrement pas la même que la vôtre. Nous nous battons aux côtés des agents des transports publics et de leurs organisations syndicales pour un véritable service public de qualité et de haut niveau pour tous les usagers. Je vous renvoie à ce titre au débat sur la réforme ferroviaire qui nous a opposés sur ces travées.
Lutter pour un véritable service public nécessite d’abord de revenir sur les politiques de libéralisation et de privatisation de nos entreprises publiques de transport. Ensuite, il s’agit de redonner des moyens financiers et humains au secteur des transports, dont l’État n’a eu de cesse, depuis des décennies, de se désengager, avec votre soutien.
Ces logiques ont conduit à des drames. Ce fut le cas avec l’accident ferroviaire de Brétigny, causant 7 morts et plus de 400 blessés, alors que les représentants du personnel avaient alerté à maintes reprises leur direction sur le risque d’une catastrophe. Plus récemment, c’est un conducteur de TER et des passagers qui ont été blessés à la suite d’un accident survenu en Champagne-Ardenne parce que les moyens humains et techniques manquent pour la sécurité ferroviaire… Malheureusement, sans un changement radical de politique, de telles catastrophes se reproduiront inéluctablement.
Par ailleurs, votre proposition de loi est dangereuse, car elle participe au mouvement de criminalisation de l’action syndicale (M. Bruno Sido s’exclame.) lorsque celle-ci prend la forme de la grève ou de tout autre conflit. Or dans le cadre d’une société capitaliste, le conflit est intrinsèquement lié à l’antagonisme des intérêts entre capital et travail. La grève est un moyen de rééquilibrer le rapport de force en faveur des salariés, mais vous souhaitez la faire disparaître,…
Mme Frédérique Puissat. Non !
Mme Cathy Apourceau-Poly. … y compris en usant de la force, comme avec la réquisition. Or, en faisant cela, vous donnez encore davantage de pouvoir à l’employeur qui, en plus de détenir le pouvoir de dégrader les conditions de travail de ses salariés, pourra anéantir toute forme d’expression conflictuelle tendant à rééquilibrer la relation de travail, par nature inégalitaire.
Il s’agit là d’une attitude irresponsable et d’une entreprise dangereuse, surtout lorsqu’elle se pare des meilleures intentions, comme c’est le cas avec votre texte. Nous observons en effet depuis de nombreuses années, et encore dans le cadre du mouvement social actuel, un accroissement de la répression syndicale, avec une volonté, de la part des directions des entreprises de transport, mais aussi du Gouvernement, de museler les agents refusant d’accompagner les politiques de privatisation et de dégradation tant du service public que de leurs conditions de travail.
Vous trompez également les usagers en leur faisant croire que les difficultés rencontrées au quotidien sont dues aux mouvements de grève.
Mme Françoise Gatel. On rêve !
Mme Cathy Apourceau-Poly. De plus, le droit de grève n’appartient pas seulement aux agents de transports mais à tous les salariés, dont les usagers des transports. Autrement dit, vous vous attaquez de fait aux droits des usagers et de tous les salariés dans leur ensemble.
Pour ces raisons, qui ne sont pas des moindres, notre groupe votera contre votre proposition de loi et s’opposera autant que nécessaire à toute attaque contre le droit de grève. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur des travées du groupe UC.)
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, grève par procuration, grève perlée, grève tournante, grève surprise, grève de solidarité… La grève sous toutes ses formes ! Il y a ceux qui la font et ceux qui peuvent être amenés à la subir. Il existe cependant d’autres droits, tout à fait objectifs, et nous devons respecter le fait qu’un droit ne doit pas prendre le pas sur un autre.
Nous avons vu ces derniers mois le droit de grève faire échec à la liberté d’aller et venir, à la liberté du commerce et de l’industrie, à la continuité du service public. Les PME ont particulièrement souffert de l’absence de leurs salariés. Eux-mêmes ne peuvent souvent pas faire grève, sauf à risquer de perdre leur emploi. Comment admettre que des salariés se retrouvent aujourd’hui au chômage à la suite du dépôt du bilan de leur entreprise, incapable d’exercer ses activités ?
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
M. Joël Guerriau. Les transports publics sont en effet essentiels à l’exercice de bon nombre de nos libertés. Beaucoup de nos concitoyens ont ainsi été dans l’impossibilité de se rendre sur leur lieu de travail. Beaucoup de commerces ont connu une faible fréquentation au moment qui aurait dû être le plus favorable pour eux en termes de chiffre d’affaires.
La grève est plurielle. Il y a celle qui a pour objet d’appuyer des revendications professionnelles dont la satisfaction dépend de l’employeur. C’est alors un outil de négociation dans les conflits du travail. Mais il est aussi des grèves qui appuient des revendications professionnelles dont la satisfaction ne dépend nullement de l’employeur. Que peut faire le patron de la SNCF ou celui de la RATP en matière de réforme des retraites ? Ont-ils le pouvoir de retirer le projet ?
La grève, nous dit-on parfois, est faite pour gêner. Mais gêner qui et pourquoi ? Ceux qui l’ont subie dans les transports collectifs sont des usagers, qui n’ont pas le pouvoir de retirer un projet de réforme. C’est à la démocratie de trancher ces sujets.
Nous assistons ainsi parfois à des abus : abus du droit de retrait, derrière lequel la grève peine à se dissimuler ; abus de l’exercice du droit de grève lui-même, chaque fois qu’il est détourné de sa finalité ou que les conditions de sa légalité ne sont pas respectées. C’est le cas aussi lorsque la grève se transforme en un instrument de pression sur des salariés non grévistes : ces pressions sont illégales et inacceptables.
La grève est un droit dont l’exercice doit respecter les formes prescrites et ne pas mettre en péril le nécessaire équilibre entre les différents droits et libertés de valeur constitutionnelle.
La question qui nous préoccupe aujourd’hui concernant les transports publics s’est déjà posée dans d’autres domaines : je pense notamment aux hôpitaux et à la télévision publique. Elle peut en réalité être soulevée pour tous les secteurs dans lesquels une grève est susceptible d’entraîner la paralysie du pays.
Le droit de grève peut être et doit être encadré afin de contenir d’éventuelles conséquences disproportionnées. Cela a déjà été fait par la loi de 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. Cette loi a constitué une avancée en instaurant, pour les salariés qui souhaitent faire grève, l’obligation de respecter un préavis de quarante-huit heures, mais aussi en promouvant le dialogue au sein des entreprises, pour tenter d’atteindre au mieux les objectifs du plan de transport.
Ce préavis est essentiel. C’est pourquoi nous vous proposons d’étendre cette obligation aux contrôleurs aériens. Le groupe Les Indépendants avait déposé une proposition de loi en ce sens ; je vous suggère aujourd’hui de voter par amendement le dispositif adopté en commission. Car rares sont ceux qui savent que les contrôleurs aériens ne sont pas soumis à un préavis !
La loi de 2007 ne permet cependant pas d’empêcher les situations de paralysie, a fortiori quand les revendications professionnelles ne dépendent pas de l’employeur.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à établir un service minimum effectif, afin de satisfaire aux besoins essentiels de la population.
Le pouvoir de réquisition de salariés grévistes existe déjà dans le droit actuel. Il appartient au préfet, et cela également pour répondre à ces besoins.
Nous sommes sensibles à l’argument selon lequel les collectivités locales doivent également pouvoir exercer cette faculté de réquisition. Celle-ci ne trouvera à s’appliquer que lorsqu’elle est strictement nécessaire à la satisfaction des besoins essentiels de la population.
Nous devons cependant veiller à ce que cette nouvelle prérogative ne soit pas porteuse de risques juridiques pour les collectivités de nos territoires, mais aussi à ce que les collectivités n’aient pas à suppléer d’éventuelles carences de l’État, comme ce fut le cas avec la loi Darcos, qui oblige les communes à assurer un service minimum d’accueil des enfants en cas de grève dans l’éducation nationale.
Par ailleurs, nous considérons que la réquisition, quand elle est nécessaire, doit être immédiate. C’est le sens d’un amendement que nous vous proposerons de voter.
Nous voulions aussi encourager les personnels grévistes réquisitionnés à porter un signe distinctif pour signaler qu’ils sont en grève. Cela permettrait de respecter la volonté des personnes qui ont choisi de faire grève. Nous sommes également convaincus que cela pourrait susciter des échanges respectueux et constructifs entre les usagers et les grévistes, sortant de la logique d’affrontement.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants soutient et approuve cette proposition de loi, tout en restant attentif au respect des équilibres entre les différents droits et libertés. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi tendant à assurer l’effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève.
Je tiens à saluer l’initiative des auteurs de cette proposition de loi, ainsi que notre rapporteur tant pour son travail très approfondi que pour les précisions juridiques qu’elle a apportées en commission.
Le préambule de la Constitution de 1946 énonce : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale […] ». La grève est une des actions possibles. Mais ce préambule prévoit aussi que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », et c’est là tout l’objet de la présente proposition de loi.
Il est incontestable et incontesté que, historiquement, certaines grèves ont permis aux travailleurs, puis à l’ensemble de la population, d’obtenir bon nombre de droits sociaux fondamentaux. Ce faisant, la grève a indéniablement participé à la construction de l’État-providence.
Aujourd’hui, de nombreuses grèves n’opposent plus les employés aux employeurs, mais constituent un levier d’action pour manifester contre la politique du Gouvernement.
Toutefois, l’exercice de ce droit constitutionnel vient se heurter à d’autres principes de même valeur, notamment la continuité du service public, et peut être limité par l’intérêt général.
Par ailleurs, il affecte directement les usagers des transports publics, mais aussi tout un pan du monde économique, dont les activités dépendent du ferroviaire, du maritime ou des transports aériens.
Plus singulièrement, les transports publics subissent inévitablement les effets collatéraux de certains mouvements de grève. Mais pas seulement eux ! Certains acteurs économiques ont été particulièrement touchés par ces grèves, qu’il s’agisse d’entreprises ou de commerces. Surtout, ces derniers subissent régulièrement les effets de mouvements sociaux de grande ampleur, qui fragilisent leur santé financière, et, dans le pire des cas, ils sont contraints de licencier des salariés, voire de cesser leur activité.
C’est pourquoi cette proposition de loi prend acte d’un constat : malgré la valeur constitutionnelle de ces deux normes, l’équilibre entre le droit de grève et le principe de continuité a basculé en faveur du premier. Un nécessaire rééquilibrage est juridiquement réalisable, conformément à la position du Conseil constitutionnel sur le sujet.
C’est ainsi que cette proposition de loi s’inscrit pleinement dans la continuité de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.
Précisément, cette proposition de loi vise à ce que l’autorité organisatrice de transport (AOT) définisse, par une délibération publique transmise au préfet, un niveau minimal de service correspondant à la couverture des besoins essentiels de la population.
Ce n’est que dans le cas où un minimum de service ne serait pas assuré pendant une durée de trois jours consécutifs que l’AOT pourrait demander à l’entreprise de transport de recourir à la réquisition des personnels indispensables pour assurer le niveau minimum de service. L’entreprise aura alors l’obligation de se conformer à cette injonction dans un délai de vingt-quatre heures.
Des dispositions similaires concernent les transports maritimes réguliers publics de personnes outre-mer et les services aériens réguliers.
Par exemple, en janvier 2020 – ce n’est pas si ancien ! –, en raison de fortes grèves chez les dockers, la Martinique et d’autres îles n’ont pas pu être approvisionnées en produits alimentaires et de première nécessité.
M. Bruno Retailleau. Tout à fait !
Mme Jocelyne Guidez. N’est-ce pas prendre toute une population en otage ?
Cette proposition vient donc compléter la loi de 2007. Elle est une réponse apportée aux victimes de l’échec des négociations préalables à la grève.
Il nous paraît aujourd’hui juridiquement possible et socialement souhaitable de préciser les contours du droit de grève. In fine, il s’agit de permettre aux salariés de défendre leurs droits, tout en garantissant aux personnes lésées par la grève que les leurs ne seront pas, outre mesure, affectés.
C’est pourquoi la majorité des membres du groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Michel Canevet. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui a été déposée le 2 décembre, au début d’un mouvement d’ampleur inédite dans les transports contre le projet de réforme des retraites.
Cette proposition de loi est incontestablement une proposition d’affichage politique, un petit coup de pied de l’âne aux syndicats qui préparaient une journée d’action pour le 5 décembre dernier, et une manière à mon sens peu délicate d’anticiper, voire d’attiser, des conflits d’intérêts divergents entre les grévistes et les usagers.
Par ailleurs, vous avez sans doute observé, comme moi, que si les usagers, dont les témoignages ont été recueillis quasi quotidiennement par les médias tout au long du mouvement sur les quais des gares et du métro, ont accueilli avec un soulagement non dissimulé le retour des trains et des métros à la circulation, peu d’entre eux se sont laissés aller jusqu’à remettre le droit de grève en question.
C’est pourtant ce que les auteurs de cette proposition de loi n’hésitent pas à faire. En effet, celle-ci aurait tout aussi bien pu s’intituler « proposition de loi pour limiter le droit de grève dans les transports par la réquisition des personnels » : cela aurait été assez conforme à son objet, car le cœur de ce texte est un transfert et un élargissement du droit de réquisition.
La proposition de loi opère plusieurs ruptures importantes avec le droit positif.
Rappelons que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle, que le législateur, ainsi que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, a la faculté d’encadrer pour le concilier avec un autre principe constitutionnel : la sauvegarde de l’intérêt général.
Ce souci de conciliation entre deux principes pouvant se contrarier a déjà conduit à un encadrement du droit de grève, qui peut aller parfois jusqu’à l’interdiction de ce droit, lorsque la grève porte atteinte aux besoins essentiels du pays. Ces restrictions légales sont précises et visent à protéger l’ordre public.
Le code de la santé, par exemple, prévoit que, pour faire face à un afflux de patients ou de victimes, ou si la situation sanitaire le justifie, le représentant de l’État peut requérir toute personne nécessaire. Aujourd’hui, au moment même où nous parlons, le préfet d’Île-de-France a requis, en vue d’assurer un service minimum, les entreprises d’incinération de déchets. Vous aurez en effet observé que la situation portait atteinte à l’ordre public.
Deux critères peuvent justifier une telle réquisition : la préservation de l’ordre public et la réponse à une urgence ou à une situation de crise. Personne ne conteste que la grève occasionne de nombreux désagréments aux usagers. Mais elle ne crée ni un trouble à l’ordre un trouble public ni une situation de crise. Nous ne sommes pas allés jusque-là !
Votre proposition d’étendre à des entreprises privées, nombreuses dans les transports, un droit de réquisition qui est aujourd’hui une prérogative de l’État par l’intermédiaire des préfets vise, en fait, à privatiser le droit de réquisition. Cette privatisation est plus qu’un glissement, c’est une dérive, et une dérive grave, car le droit de réquisition doit demeurer strictement régalien.
L’article 3 fait peser sur les entreprises de transport une obligation de service minimum, assortie de pénalités financières en cas d’impossibilité d’atteindre cette obligation de résultat, sans qu’il soit dit comment ces entreprises pourront faire respecter cette obligation.
Vous prévoyez une sanction disciplinaire. Pourtant, vous savez tous, sans doute, que la Cour de cassation a déclaré en 2009 qu’un gréviste ne pouvait pas être sanctionné en raison de son refus d’obtempérer à une réquisition.
Quelles seraient les conséquences sur le droit du licenciement, sur les travailleurs à statut, les salariés de droit privé, le code du travail… ? On ne sait pas ! Tout cela n’est pas très sérieux et prouve, à mon sens, que cette proposition de loi est d’abord un texte de propagande politique (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), qui consiste à faire de l’exception le droit courant, le droit commun.
Ce texte prévoit que la réquisition des salariés, grévistes ou non, deviendrait la procédure systématique applicable à toutes les grèves dans les transports. Il instituerait ainsi un droit de grève restreint pour les agents et les salariés des transports.
Or ce qui est nécessaire pour le maintien de l’ordre public dans le secteur de la défense ou dans les hôpitaux ne peut être systématiquement et a priori transposable aux activités des transports.
La loi de 2007 a favorisé le dialogue social, tous les acteurs en conviennent aujourd’hui. Votre proposition de loi ne favoriserait que le conflit, dans l’entreprise comme entre les usagers et les grévistes. Elle constituerait un recul grave en matière de libertés publiques et un précédent dans la restriction des droits des salariés à défendre et leurs conditions de travail et la qualité du service public.
En effet, je considère que, lorsque les agents et les salariés d’un service défendent leurs conditions de travail, ils défendent aussi la qualité du service aux usagers.
Quant à l’argument, développé par le président Retailleau, de l’impact du recours accru à la voiture pendant les grèves sur les émissions de CO2 – le droit de grève contre la planète ! –, je dois dire qu’il était bien tenté et assez osé, mais pas très convaincant… (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Mais que va dire Greta ?…
Mme Laurence Rossignol. Voilà toutes les raisons pour lesquelles le groupe socialiste ne votera ni cette proposition de loi ni aucun de ses articles. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec la proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains, nous nous penchons sur une question éminemment sensible, celle du droit de grève et des restrictions que nous pouvons ou pas lui apporter.
Une fois n’est pas coutume, notre groupe, riche de sa diversité, ne se positionnera pas de façon unanime. Chacun votera selon ses convictions, et c’est avec les miennes que je m’exprime devant vous.
Avant d’aborder le contenu même du texte, on peut légitimement soulever un préalable : la période est-elle la plus opportune pour en débattre, alors que les perturbations issues des grèves contre la réforme des retraites ont hystérisé la situation ?
C’est un sujet grave, mettant en jeu l’une nos libertés publiques fondamentales et fondatrices. Nous nous devons donc d’aborder ce type de réflexion dans le calme et dans un climat apaisé, détachés, les uns et les autres, des émotions que nous avons pu vivre ces dernières semaines… Des émotions nécessairement affectées par nos situations individuelles, selon, par exemple, que l’on est francilien ou provincial, usager ou non des transports en commun.
Sur le sujet précis de l’encadrement du droit de grève, nos réflexions doivent être guidées, il me semble, par deux principes que j’estime fondamentaux : la nécessité et la proportionnalité.
En d’autres termes, notre législation actuelle apparaît-elle à ce point inopérante ou insuffisante pour que sa modification soit rendue nécessaire ? Et l’atteinte au droit de grève est-elle adaptée aux objectifs que l’on vise ? Surtout, ces objectifs autorisent-ils à restreindre un droit constitutionnel, chèrement acquis à grand renfort de luttes sociales ?
Ce droit fondamental, au cours de notre histoire, aura permis aux salariés de notre pays d’obtenir des avancées ou de corriger des réformes qui leur étaient excessivement défavorables. L’exemple, pris au hasard, de la mobilisation massive contre la réforme des retraites en 1995 le montre bien, avec ses 5 millions de jours de grève cumulés et les 2 millions de personnes dans la rue le 12 décembre 1995…
Issu du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, je puis par ailleurs témoigner de mobilisations ouvrières historiques, réprimées parfois dans la violence militaire et dans le sang, qui méritent tout notre respect et toute notre considération, et qui commandent la plus grande prudence chaque fois que l’on s’interroge sur leur restriction.
Sur le fond du texte qui nous est soumis, j’aimerais partager avec vous plusieurs réflexions et interrogations.
En premier lieu, sur un sujet aussi important, on ne peut regretter que la proposition de loi ne soit pas sous-tendue par une étude d’impact préalable. Je n’ai pas parlé de référendum… Une telle étude aurait permis, sans nul doute, d’évaluer ses avantages, mais aussi ses inconvénients, tout autant que sa faisabilité.
En second lieu, je reste convaincu qu’il ne nous faut pas légiférer à l’excès sur un sujet de cet ordre. Au contraire, nous devons faire confiance à l’intelligence collective, ainsi qu’à l’arsenal des règles existant d’ores et déjà.
On nous dit que ces règles seraient inefficaces, car elles ne permettraient pas d’assurer un service minimum en cas de grève massive. Le taux de 90 % a même été avancé par certains…
Je suis de ceux qui pensent qu’une mobilisation d’une telle ampleur ne doit pas nous amener à imaginer quelle restriction apporter au droit de grève, mais plutôt à réfléchir au bien-fondé d’une réforme qui soulève une telle unanimité contre elle.
Vous l’aurez compris, j’estime que la restriction proposée est disproportionnée.
La référence au tiers des dessertes quotidiennes aux heures dites « de pointe » l’était tout autant, mais j’avoue ne pas forcément être rassuré par le texte issu de la commission. Et M. le secrétaire d’État a parlé de 50 % !
La référence au tiers n’est plus présente. Le renvoi à l’évaluation par l’autorité organisatrice du niveau de desserte suffisant peut induire, certes, une exigence moindre, mais aussi, pourquoi pas, plus importante.
En outre, la notion de période de pointe apparaît elle-même complexe à définir et sujette à interprétation, ce qui pourrait laisser présager d’importantes difficultés pratiques dans sa mise en œuvre.
Au-delà, la proposition de loi autorise la réquisition d’agents des entreprises de transport, au motif que le service minimum, tel qu’il existe aujourd’hui, serait inefficace. La logique du texte est donc bien – pardonnez-moi l’expression – une casse du droit de grève, à laquelle je ne peux souscrire.
Je me permets de rappeler que la réquisition est une décision forte, privant les salariés de l’exercice de leur droit de grève et les exposant à des sanctions disciplinaires en cas de refus. Il faut donc l’autoriser avec la plus grande mesure !
S’engager sur la voie d’un tel durcissement des restrictions au droit de grève pourrait ouvrir la porte à d’autres velléités… Avec, il y a lieu de le craindre, la mise en débat d’autres propositions de lois limitant le droit de grève dans d’autres secteurs affectant les déplacements de nos concitoyens, comme le transport routier, les raffineries ou encore les ports.
Je comprends l’exaspération des Franciliens et de tous nos concitoyens qui ont subi les inconvénients de cette grève d’une amplitude et d’une durée rares dans notre pays, mais à qui la faute ? Y répondre par la restriction du droit de grève emporte, à terme, le risque de vider ce droit de son contenu !
Si faire grève n’entraîne plus aucune gêne, la grève ne sera plus un moyen de pression et condamnera, au bout du compte, tout rapport de forces entre opposants et défenseurs d’une réforme.
Et que dire sur l’amende forfaitaire possiblement infligée à l’entreprise défaillante ? Une nouvelle fois, les auteurs du texte se positionnent du côté de la sanction dans un champ qui relève, selon moi, prioritairement et principalement de la négociation.
Il vous sera aisé de comprendre que, pour toutes ces raisons, je ne suis pas non plus favorable à l’extension du service minimum à d’autres secteurs, comme le prévoit le texte pour les transports maritime ou aérien.
Les articles 9 et 10 nouveaux, ajoutés par la commission saisie au fond, introduisent la caducité du préavis de grève et la possibilité d’imposer une grève sur toute la durée du service. Ils n’emportent pas non plus mon adhésion, dès lors qu’ils reflètent cet esprit de contrainte et de restriction que j’ai pu dénoncer auparavant.
Enfin, même si cela peut apparaître anecdotique à l’échelle du texte, l’article 6, consacré à l’amélioration des modalités de dédommagement des usagers, mérite qu’on le soutienne.
Pour conclure, mes chers collègues, je ne suis pas opposé au service minimum, ou encore à l’encadrement du droit de grève, mais j’estime que les mesures inscrites dans cette proposition de loi ne sont ni opportunes ni justifiées.
Pour ma part, je voterai contre ce texte, même si au sein de mon groupe, cette position ne fait pas l’unanimité. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous accorderons sur un point : les sujets qui nous réunissent aujourd’hui sont complexes. J’emploie le pluriel à dessein : il traduit la réalité des enjeux que soulève cette proposition de loi et qui doivent, tous, être considérés par le législateur que nous sommes.
Tout d’abord, un constat, que nous partageons avec les auteurs de la proposition de loi. La grève qui a frappé les services publics de transport à la suite de la mobilisation du 5 décembre dernier a pesé sur notre pays. Elle a pu, en particulier, léser les plus modestes, ceux qui ne disposent pas de moyen de transport alternatif, ceux dont l’emploi ne permet pas toujours d’avoir recours au télétravail.
Dans le même temps, il y a le droit. Et, plus spécifiquement, le droit de grève. Celui-ci s’exerce « dans le cadre des lois qui le réglementent » et qui doivent, conformément à la jurisprudence constitutionnelle, le concilier avec d’autres droits fondamentaux, tels que la continuité du service public, et cela dans une logique de proportionnalité.
C’est justement dans ce cadre que le législateur est intervenu en 2007, avec la loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres.
Voilà d’où part la présente proposition de loi, mes chers collègues. D’une réalité complexe, donc, à laquelle nous devons appliquer, autant que faire se peut, une approche nuancée, qui ne soit réductible ni à un « réflexe » ni à une « démangeaison législative », pour reprendre les mots de Guy Carcassonne.
Or le texte, déposé juste avant les mouvements de grève du mois de décembre 2019, ainsi que son évolution après examen en commission, laisse à penser qu’il s’agit là d’une « réponse » plutôt que d’une « solution », pour poursuivre avec la terminologie précitée.
Initialement, la proposition de loi prévoyait ainsi la définition légale d’un service minimum de transport terrestre, maritime et aérien de personnes, correspondant à un tiers du service normal. Était également prévue la réquisition des personnels non grévistes par les entreprises de transport en cas d’impossibilité d’assurer ce niveau de service.
Le dispositif a nécessairement été assoupli lors de l’examen en commission. En effet, il n’apparaissait pas proportionné et présentait donc un risque sur le plan de sa constitutionnalité.
Par ailleurs, il privait de leur faculté d’appréciation les AOT, qui, dans de nombreux cas, relèvent de l’échelon territorial.
Or, nous le savons bien au sein de cette assemblée, cette faculté d’appréciation qu’ont les AOT est pertinente, car elle est fondée sur une connaissance du territoire et des besoins de la population. Elle apparaît par là même comme une condition nécessaire au caractère proportionné des limitations du droit de grève.
Finalement, après assouplissements, le texte que nous examinons aujourd’hui dispose, comme c’est actuellement prévu par le code des transports, qu’il revient à chaque AOT de déterminer le niveau de service minimum.
Autres assouplissements : la suppression de l’amende prononcée par l’AOT à l’encontre des entreprises de transport, ou encore le rétablissement de la définition contractuelle des modalités pratiques de remboursement.
Enfin, la faculté de réquisition est conservée, mais ne peut intervenir qu’après injonction de l’AOT, qui ne peut elle-même être prononcée qu’après un délai de carence de trois jours.
L’évolution importante dont a fait l’objet la présente proposition de loi témoigne d’un déficit de recul. Or le temps de la réflexion, cher à la Haute Assemblée, est indispensable à l’analyse d’une situation complexe ayant des implications juridiques et pratiques non négligeables. D’autant que le niveau de service minimum défini par l’AOT serait désormais au fondement d’une faculté de réquisition du personnel, ce qui implique une attention particulière au regard du droit constitutionnel.
L’extension, en commission, de l’obligation d’exercer le droit de grève pendant toute la durée du service peut également poser question, eu égard à la différence de situation des salariés des entreprises de transport et des fonctionnaires territoriaux. Cette mesure aurait dû impliquer, en tout état de cause, une étude de son impact juridique.
Nous pourrons probablement trouver un point d’accord sur la nécessité de mener une réflexion quant au bilan de la grève qu’a connue notre pays ces dernières semaines. Mais, justement, une telle réflexion ne peut qu’être approfondie et s’inscrire dans un temps réfléchi et apaisé.
Le droit en vigueur offre à ce titre un levier, en prévoyant que les entreprises de transport établissent un bilan annuel, détaillé et rendu public des incidences financières de l’exécution des plans de transport. Il est même précisé qu’elles doivent dresser la liste des investissements nécessaires à l’amélioration de la mise en œuvre de ces plans.
Aussi, mes chers collègues, force est de constater qu’il n’y a pas de vide juridique en matière de continuité du service public des transports. La loi de 2007 mentionnée précédemment permet d’organiser le service en amont, pendant et en aval des perturbations prévisibles du trafic, dont la grève est une composante.
Est notamment prévue la définition d’un plan de transport adapté aux dessertes prioritaires, ainsi qu’un accord collectif de prévisibilité du service applicable. Notons que cet accord va jusqu’à organiser la réaffectation des personnels non grévistes, en fonction des besoins du service concerné.
Soulignons également, à titre d’exemple particulièrement significatif, l’existence du contrat entre la RATP et Île-de-France Mobilités, qui prévoit la mise en œuvre d’un service minimum équivalant à 50 % du service normal.
Ainsi, avant d’entreprendre toute démarche législative, réfléchissons attentivement à la mise en œuvre du droit en vigueur, telle que les récents mouvements sociaux nous l’ont donnée à voir.
Plus spécifiquement, axons cette réflexion sur les négociations conventionnelles et le dialogue social. Cette dimension sociale constitue en effet un véritable « hors champ » du texte initial, alors même qu’elle est centrale dans la loi de 2007 et qu’elle se trouve au fondement de la mise en œuvre du service minimum. Il est difficilement envisageable de changer de paradigme sans étudier l’impact que cela aurait ou sans même consulter les personnes morales aujourd’hui compétentes.
Pour conclure, mes chers collègues, ne dressons pas de vaines oppositions entre ceux qui, soutenant la proposition de loi, seraient pour l’ordre et du côté des usagers, et ceux qui, exprimant des réserves sur le texte, seraient en faveur du blocage du pays et de la dégradation de la situation.
En effet, la vocation de la loi est d’être non pas performative, mais bien normative. Dire qu’une proposition de loi « répond aux besoins essentiels du pays en cas de grève » ne revient pas à répondre de manière effective aux besoins essentiels du pays en cas de grève.
En témoignent les évolutions de la proposition de loi : lors de son examen en commission, le dispositif s’est justement révélé peu proportionné aux besoins pourtant mentionnés dans son intitulé. De même, ne pas voter un texte ne revient pas nécessairement à s’opposer à son objet. L’enjeu est dans le contenu normatif.
Ainsi, une approche nuancée n’est pas réductible à une position tiède, fébrile ou circonstanciée politiquement. En tant que législateur, nous devons être à la hauteur du réel et de sa complexité, ne pas confondre précipitation et réactivité.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Thani Mohamed Soilihi. Si nous partageons les préoccupations des auteurs du texte, nous ne partageons pas les réponses que celui-ci prévoit. C’est pourquoi le groupe La République En Marche s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Jean-Claude Requier et Mme Michèle Vullien applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la structure de l’économie française a profondément évolué depuis le XIXe siècle. Or le fonctionnement actuel du droit de grève en France et dans certains autres pays correspond à la situation de ce droit au moment où il a été instauré, au cours des XIXe et XXe siècles.
Actuellement, nous avons une économie moderne. On ne peut pas accepter que des secteurs de l’économie qui emploient très peu de gens parviennent, à eux seuls, à bloquer complètement l’économie française.
Mme Cécile Cukierman. La SNCF est en effet une entreprise familiale… (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. Jean Louis Masson. On n’est plus au XIXe siècle, à l’époque de Germinal ! Il est évident que, à cette époque, il fallait un droit de grève complètement libre. Mais, aujourd’hui, il est tout de même incroyable qu’une quarantaine d’aiguilleurs du ciel, par exemple, puissent bloquer tout le pays ! (M. Jean-Paul Émorine approuve.)
Si, demain, on autorise les concierges de centrales nucléaires à se mettre en grève et à en bloquer l’entrée, il n’y aura quasiment plus d’électricité en France ! Et tout cela parce que trente ou quarante concierges auront fait grève… (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRCE.)
M. Bruno Retailleau. C’est juste !
M. Jean Louis Masson. Il est évident que, dans certains secteurs, le droit de grève tel qu’il a été conçu, à l’ancienne, ne peut pas continuer à être exercé de la sorte. On voit actuellement que les personnes qui se mettent le plus en grève sont aussi les plus favorisées ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. On l’attendait, celle-là !
M. Jean Louis Masson. On ne peut pas dire que les salariés de la RATP sont des malheureux ! Ils sont infiniment plus privilégiés que, par exemple, les chauffeurs de bus des sociétés privées.
Mme Cécile Cukierman. Et ils ont des châteaux en Espagne !
M. Jean Louis Masson. Les gens de la RATP font peur à tout le monde, et aucun gouvernement n’a eu le courage de prendre les mesures qui s’imposaient.
Dans les grands services publics, il me semble qu’il est indispensable d’avoir un service minimum. Il est regrettable que les présidents de la République et les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, n’aient jamais rien fait à cet égard !
Mme Viviane Malet. Sauf Nicolas Sarkozy !
M. Jean Louis Masson. Je trouve donc cette proposition de loi pertinente, et je considère que le travail qui a été fait en commission est très bon, parce qu’il a considérablement amélioré le texte.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Jean Louis Masson. Je formule le souhait que l’auteur de cette proposition de loi, si un jour il est majoritaire dans ce pays, mette en œuvre ce texte. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Chiche !
M. Jean Louis Masson. On a trop connu, à droite comme à gauche, des gouvernements qui promettaient n’importe quoi avant de parvenir aux affaires, puis qui, une fois au pouvoir, ne faisaient plus rien.
J’espère que notre collègue Retailleau, si un jour il participe au pouvoir, n’aura pas changé d’avis entre-temps ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Bruno Retailleau rit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat.
Mme Frédérique Puissat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président Retailleau, vous qui êtes à l’initiative de ce texte de loi, mes chers collègues, avant toute chose, je souhaite affirmer avec conviction quelques principes.
Premièrement, les responsables, quels qu’ils soient, et a fortiori les responsables politiques législateurs, doivent éviter les caricatures.
Deuxièmement, notre groupe affirme avec conviction – il l’a prouvé à maintes reprises – l’importance qu’il accorde à tous les corps intermédiaires et au dialogue social : si la grève permet d’appuyer des revendications professionnelles, c’est avant tout le dialogue qui résout 60 % et plus des conflits sociaux dans les entreprises et les services publics.
Troisièmement, les législateurs que nous sommes doivent tout à la fois – cela a été réaffirmé par un certain nombre d’orateurs – défendre les intérêts des professionnels et également sauvegarder l’intérêt général auquel la grève peut parfois porter atteinte. Nous ne devons pas le nier, car cela revient parfois à oublier les plus faibles d’entre nous. Nous avons tous des exemples en la matière, et Mme le rapporteur en a évoqué certains en commission.
Rappelons aussi que la loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs date d’août 2007. Treize ans se sont écoulés depuis. Entre-temps, le climat social a évolué. S’est-il durci ou pas ? Chacun en jugera !
En tout cas, les modes d’expression ont changé. Il faut le dire, certains syndicats ont su faire preuve de beaucoup d’imagination pour s’adapter à cette loi. Les grèves de cinquante-neuf minutes, qui ont été évoquées, les grèves dites « longues » ou « illimitées » n’en sont que des exemples ; j’y reviendrai.
Je réaffirme donc avec force et conviction que ce texte de loi est nécessaire et attendu, et qu’il ne contrevient en aucune façon au droit de grève, qui, en France, a valeur constitutionnelle.
Par ailleurs, ce texte de loi répond à des enjeux de société fondamentaux, qui visent certes à éviter les prises d’otages de nos concitoyens, mais également à donner crédit aux actions publiques de transition écologique, qui poussent à développer les transports publics en assurant leur continuité et leur fiabilité, comme notre collègue Jean-Raymond Hugonet l’a rappelé.
Enfin, ce texte de loi est équilibré, puisqu’il a été adapté par amendement aux outre-mer, via les enjeux de transport aérien, mais également à la ruralité, en permettant aux autorités organisatrices de transports, les AOT, de moduler le niveau minimal de service selon le contexte.
Je souhaite également insister sur deux pratiques évoquées à plusieurs reprises, notamment par Mme le rapporteur, et qui soutiennent notre nécessaire adaptabilité du fait législatif. Il apparaît aujourd’hui que certaines pratiques visent clairement à détourner le texte de 2007. L’objet du présent texte est de prévoir un encadrement plus spécifique des dérives.
Je pense, par exemple, aux préavis de très longue durée – plusieurs décennies parfois ! –, qui perdurent en l’absence de grévistes, privant d’effet les dispositions prévues par la loi du 21 août 2007 en matière de grève.
Je pense aussi aux arrêts de travail de très courte durée, qui perturbent le service et entraînent une désorganisation complète des services de transport.
Je pense également aux préavis multiples, qui visent à instaurer des mouvements de grève discontinus ingérables.
Je pense enfin aux déclarations de salariés quant à leur arrêt de travail ne permettant pas d’organiser efficacement les services.
L’ensemble de ces pratiques porte un préjudice considérable aux voyageurs, aux autorités organisatrices et aux entreprises de transport public de voyageurs, qui ne peuvent prévenir utilement les clients…
Mme Éliane Assassi. Les usagers !
Mme Frédérique Puissat. … en cas de perturbations de trafic.
Je remercie donc Mme le rapporteur d’avoir intégré à ce texte des amendements visant à permettre à l’entreprise d’imposer au salarié gréviste d’exercer son droit durant toute la période de son service et à empêcher le recours répété à des grèves courtes ou de plusieurs décennies.
En conséquence de quoi, je vous invite, sans contrevenir, monsieur le secrétaire d’État, à la mission que vous venez de nous proposer, à voter ce texte de loi, dans l’intérêt des usagers et des transports publics. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canevet. Bravo !
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si les mouvements de grève en France sont vus à l’étranger comme un sport national, la présente proposition de loi rappelle, à juste titre, que ce droit de valeur constitutionnelle ne peut supplanter celui qui tend à assurer la continuité du service public.
Je salue ainsi ce texte, qui apporte des réponses concrètes face aux récents abus du droit de grève, de tels abus posant la question de l’encadrement de ce droit, et ce pour deux principales raisons.
Dans un premier temps, nous ne devons pas oublier que les difficultés quotidiennes qu’ont connues nos concitoyens ont tout d’abord affecté les plus précaires d’entre eux. Cette situation, conduisant à une véritable « galère » de travailleurs qui sont tributaires des transports publics et se retrouvent sans aucune autre solution, se traduit également sur la fiche de paie et peut avoir des conséquences dévastatrices.
Il était donc indispensable de compléter la loi du 21 août 2007, afin d’assurer un véritable service minimum qui puisse lutter contre les abus du droit de grève. En effet, face au manque de solutions de mobilité, de tels abus sont vécus comme une source d’inégalités et d’injustice entre les citoyens, et de fractures entre les territoires. C’est le sentiment d’une assignation à résidence pour une population sans solution de rechange !
Ainsi, la proposition de loi permettrait des améliorations réelles, en introduisant une exigence de service garanti en cas de grève et en luttant contre les grèves de courte durée, qui désorganisent de manière excessive le service public de transport.
De même, en permettant à chaque autorité organisatrice de transport de définir le niveau de service minimal nécessaire à la couverture des besoins de la population, les apports de la commission des affaires sociales ouvrent la voie à une différenciation bienvenue, qui préfigure les débats à venir au sein de cet hémicycle.
Dans un second temps, il se révèle que les abus que je dénonçais précédemment vont également à rebours des efforts engagés afin de répondre à l’urgence climatique. Tandis que la priorité doit être de transférer les passagers de la route vers le rail pour réduire les émissions polluantes, les grèves à répétition font rebasculer une partie du trafic ferroviaire sur la route. C’est un contresens !
Si les émissions du secteur des transports représentent actuellement plus d’un quart de l’empreinte carbone totale de l’Union européenne, le train ne constitue que 3 % de ces émissions, contre 70 % pour la route.
De même, en provoquant des pertes considérables, dépassant le milliard d’euros, pour un opérateur déjà endetté à hauteur de près de 55 milliards d’euros, les grèves mettent à mal les indispensables efforts d’investissements sur le rail. De tels efforts sont pourtant essentiels pour développer le fret et acter le développement de réseaux ferrés transeuropéens, mais également participer à la desserte fine de nos territoires dépendants de la voiture.
Mme Éliane Assassi. Vous avez tout cassé !
M. Jean-François Longeot. Pour toutes ces raisons de justice sociale, d’urgence climatique et d’équilibre entre deux droits étroitement liés, le groupe Union Centriste votera en faveur d’une telle proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Michel Canevet. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yves Bouloux. Bravo !
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte, faut-il le préciser, n’a pas vocation à restreindre un droit, mais il a pour objectif d’en assurer un autre, primordial : celui de se déplacer.
Mme Éliane Assassi. Dans le VIe arrondissement de Paris ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier. L’élue de Paris et l’usagère des transports que je suis est en colère de constater le chaos auquel les Parisiens ont dû faire face depuis plusieurs mois.
Ces Parisiennes et ces Parisiens auxquels la bien-pensance explique, depuis des années, que la genèse de tous les maux de la terre se trouve dans leur pot d’échappement et que la réduction de leur empreinte carbone commence par l’utilisation des transports en commun, que le développement du commerce en ligne conduira inévitablement à la mort de leur boutique de quartier s’ils ne font pas l’effort conscient d’acheter physiquement les produits qu’ils consomment, que le bien-être de leurs enfants repose sur une routine stable et équilibrée !
Je parle au nom des dizaines de milliers de Parisiens qui, pendant un mois et demi, ont été contraints de marcher en moyenne dix kilomètres par jour pour maintenir leur activité professionnelle (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.),…
Mme Éliane Assassi. C’est bon pour la santé !
Mme Céline Boulay-Espéronnier. … de ceux qui ont développé tous les symptômes physiques et psychologiques du fameux burn-out, dont le Gouvernement entendait faire une priorité de santé publique, des enfants dont le temps de sommeil a été bouleversé parce qu’il fallait une heure de transport de plus par jour.
M. François Bonhomme. Eh oui !
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Je parle aussi au nom des neuf commerces sur dix qui ont déploré une baisse de fréquentation et de leur chiffre d’affaires – jusqu’à 60 % pour certains, selon les dernières estimations de la chambre de commerce et d’industrie d’Île-de-France –, au nom des cafés, restaurants et hôtels parisiens, qui ont accusé des diminutions de leur chiffre d’affaires de l’ordre de 50 % à 60 %, d’après l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie.
Ce sont ces mêmes Français qui ont subi de plein fouet le mouvement des « gilets jaunes » l’an dernier. Ils n’acceptent plus que la première région économique d’Europe, qui rassemble un tissu entrepreneurial parmi les plus denses au monde avec 1,055 million de TPE, de PME, d’ETI et de grands groupes, et qui produit 31 % du PIB du pays, puisse être paralysée par un mouvement de grève, aussi légitime soit-il !
Ils n’acceptent plus non plus que l’État, comme la Ville de Paris, soit contraint de dédommager ces entreprises au moyen de la recette de leurs prélèvements obligatoires. Quid de leur liberté et de leur droit de se déplacer ?
Personne dans cet hémicycle ne remet en question l’intégrité du droit de grève, tel qu’il est garanti par la Constitution.
Mme Éliane Assassi. Si !
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Non !
Toutefois, ce droit constitue un pouvoir considérable et, comme tout pouvoir, il peut donner lieu à des abus. Il est nécessaire d’établir des limites.
Ce texte vise justement à prévoir de telles limites de façon responsable et raisonnable, afin de garantir, dans l’intérêt général, un fonctionnement minimal essentiel des transports.
Pascale Gruny l’explicite parfaitement dans son rapport : « Lorsqu’une activité de transport relève d’un service public, le principe de valeur constitutionnelle de continuité du service public justifie en lui-même une intervention des pouvoirs publics ».
Les articles de cette proposition de loi se concentrent sur des situations de grève portant directement atteinte à la continuité du service public, voire au principe même de continuité territoriale en ce qui concerne la desserte des îles françaises. Avec la région d’Île-de-France, ces dernières sont les grandes perdantes des blocages à répétition, qui altèrent non seulement la possibilité d’aller et de venir des citoyens, mais également leur approvisionnement. Cela a été notamment le cas en Corse, ces trois dernières semaines, où des rayons entiers de supermarchés étaient vides.
Les dispositions relatives au transport aérien prévues aux articles 8 et 9 tendent à répondre aux mêmes problématiques et affectent notamment l’accès aux soins de nombre de nos compatriotes, contraints de prendre l’avion pour bénéficier de certains traitements médicaux.
Enfin, les articles 5 et 6 tendent à prévenir les situations de chaos auxquelles nous assistons en cas d’opérations coup de poing et de blocages intempestifs. Une communication entre l’entreprise de transport et l’autorité organisatrice du mouvement de grève est indispensable, afin d’assurer une information fiable des usagers.
De même, tout titre de transport non utilisé doit être remboursé via le moyen de paiement qui a été utilisé, et non par un échange ou un avoir. Je tiens d’ailleurs à saluer l’engagement de Valérie Pécresse, présidente de la région d’Île-de-France, afin de s’assurer que chaque usager est remboursé de son pass Navigo pour le mois de décembre.
Dans cet hémicycle où nous examinons régulièrement des dispositions éminemment techniques, pour ne pas dire parfois technocratiques, je le dis clairement : il n’y a rien de plus concret, me semble-t-il, que d’assurer aux Français la possibilité de se déplacer. Je remercie donc Bruno Retailleau d’être à l’initiative de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin. (M. Jean-Michel Houllegatte applaudit.)
M. Olivier Jacquin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a très bien expliqué Laurence Rossignol avant moi, les auteurs de cette proposition de loi tentent une nouvelle fois de récupérer un mouvement social pour faire un coup politique.
Hélas, c’est un mauvais coup politique qu’ils essayent de jouer ! C’est pourquoi nous avons déposé des amendements de suppression sur l’ensemble des dispositions de ce texte.
Respectueux de la Constitution qui consacre la grève comme un droit, nous ne pensons pas que cette dernière puisse être définie comme une perturbation prévisible – article 2 – ni qu’elle puisse être déclarée caduque – article 9 – ou empêchée – article 10. Au reste, ce dernier article ajouté en commission m’interroge vraiment du point de vue constitutionnel, puisqu’il vise à empêcher le recours à des grèves de courte durée.
Chers collègues, vous semblez imaginer que certains font grève par plaisir… Cela pose question ! Il me semble plutôt que vous vous faites plaisir sur ce chapitre, car la jurisprudence est importante et plus précise que votre rédaction pour contenir la grève perlée.
Éviter au maximum les perturbations, notamment dans la durée, pour les usagers passe selon nous, tout d’abord, par une nouvelle approche et un véritable dialogue social.
L’article 3 ne ferait en tout état de cause que jeter de l’huile sur le feu, comme l’ensemble de ce texte, qui a pour seule vocation de poser un marqueur politique.
Avec l’article 1er, vous souhaitez étendre le champ d’application de la loi de 2007, dont nous estimons qu’il est bien suffisant.
Quant aux procédures d’information et de remboursement des voyageurs – articles 5, 6 et 7 –, si elles sont souhaitables, elles ne peuvent servir de faire-valoir à la déstabilisation totale du droit de grève que porte ce texte.
C’est pourquoi, en cohérence, nous vous proposerons de supprimer ces dispositions, quitte à réfléchir dans le cadre de l’examen d’un autre véhicule législatif aux moyens à mettre en œuvre pour assurer une meilleure information et une meilleure indemnisation des usagers. Nous ne tomberons pas dans le piège que vous nous tendez de la division entre les travailleurs !
Enfin, ce n’est pas parce que votre texte est presque exclusivement centré sur le ferroviaire que nous laisserons passer des atteintes au droit de grève dans le secteur aérien, à l’article 8.
Cet article a été largement remodelé et réduit à pas grand-chose par la commission, qui a bien vu la fragilité juridique du dispositif : à défaut d’une étude d’impact, je rappelle à mes collègues que les lignes soumises à des obligations de service public ne sont qu’une dizaine en France. C’est la preuve que vous n’avez pas cherché à répondre concrètement et complètement aux problématiques des usagers des transports.
« Assurer l’effectivité du droit au transport », dites-vous ? Alors, occupons-nous prioritairement des 25 % de nos concitoyens qui sont assignés à résidence parce qu’ils sont handicapés, âgés, sans permis, trop pauvres. Ces chiffres sont donnés par Éric Le Breton dans son excellent ouvrage Mobilité, la fin du rêve ?
Cependant, chers collègues, nous avons un point de satisfaction, je veux parler de la suppression en commission de l’article 4, comme l’a souligné Laurence Rossignol. Nous vous invitons à continuer sur cette lancée en supprimant l’ensemble des articles de ce texte, ainsi que nous vous le proposerons par voie d’amendements. (Mme Laurence Rossignol applaudit.)
Autre motif de satisfaction, je constate que vous avez su relancer et revivifier considérablement le clivage gauche-droite !
M. Bruno Retailleau. C’est plutôt positif, non ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Jacquin. Pour conclure, votre proposition de loi, axée sur le ferroviaire, cible particulièrement la RATP et la SNCF. Pour ma part, je remercie les grévistes, qui ont supporté quarante-cinq jours de grève illimitée, pas par plaisir ni par sadisme.
M. François Bonhomme. Et la loi El Khomri ?
M. Olivier Jacquin. Ils ont fait grève par délégation pour tous les Français qui ne veulent pas de cette mauvaise réforme des retraites.
M. Martial Bourquin. Très bien !
M. Olivier Jacquin. Quelqu’un a dit que les grévistes seraient des « privilégiés »… Qu’il lise Thomas Piketty, et il comprendra qui sont les privilégiés dans notre société !
Chers collègues, si vous vous étonnez de la radicalité de certaines professions, particulièrement à la SNCF et à la RATP, renseignez-vous : la situation de ces salariés est grave, pour ne pas dire infernale depuis la loi ferroviaire de 2018, renforcée par la loi d’orientation des mobilités. Le nombre des démissions n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui. Les difficultés de recrutement sont considérables. Comment peut-on croire qu’ils sont des privilégiés ?
Je remercie donc tous ces grévistes, qui ont permis d’attirer très fortement l’attention de tous les Français sur cette mauvaise réforme, dont nous espérons qu’elle subira le même sort que cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis un ardent défenseur d’un principe fondamental, qui, à mon sens, devrait constituer le ciment de notre société et la valeur cardinale du vivre ensemble, à savoir…
Mme Laurence Rossignol. Le droit de grève ? (Sourires sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. Stéphane Piednoir. … le principe selon lequel la liberté des uns doit s’arrêter là où commence celle des autres.
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
M. Stéphane Piednoir. Certes, nous avons la chance, dans notre pays, de disposer de droits fondamentaux inscrits dans le marbre de notre Constitution. Force est néanmoins de constater, à la lumière des blocages observés ces derniers mois, que ces droits peuvent entrer en quelque sorte dans une concurrence insoluble si on ne les réglemente pas.
Ainsi, le droit de grève, appliqué au secteur des transports, entre en conflit avec la liberté des Français d’aller et de venir à leur guise, de poursuivre leurs activités, de quelque nature qu’elles soient, et évidemment, en premier lieu, de se rendre à leur travail.
Rappelons que, pendant les grèves du mois de décembre dernier, certains de nos concitoyens ont été contraints d’interrompre leur activité professionnelle, de prendre des congés – payés ou non – ou de renoncer à des déplacements stratégiques.
Les conséquences financières ont été importantes pour beaucoup, notamment les plus fragiles. Cela a aussi eu un impact sur la croissance de notre pays, qui n’a franchement pas besoin de handicap supplémentaire dans le contexte actuel.
La présidente de ma très belle région des Pays de la Loire, Christelle Morançais, a pleinement conscience de cet enjeu et proposait, il y a tout juste deux mois, une obligation de circulation pour au moins un tiers des trains. Elle suggérait même une obligation totale la veille des vacances scolaires, à l’instar de ce se pratique déjà depuis plus de vingt ans en Italie.
Je salue donc l’initiative courageuse de Bruno Retailleau et le travail méticuleux de Mme la rapporteure Pascale Gruny pour aller dans ce sens et produire cette proposition de loi, qui s’attaque à un sujet délicat, que d’aucuns voudraient ériger en tabou absolu.
C’est un texte mesuré, qui prend en compte les réalités exposées précédemment et qui, bien évidemment, n’est pas contraire à notre Constitution. Oui, le droit de grève est un droit fondamental, mais il peut être réglementé. D’ailleurs, cela s’est déjà fait dans notre pays, par exemple dans l’enseignement primaire.
Par les décisions qu’il a rendues, le Conseil constitutionnel a renforcé l’habilitation du législateur à fixer des limites au droit de grève, à concilier la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut porter atteinte. C’est la traduction opérationnelle du septième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
D’un point de vue politique, je veux souligner la position paradoxale de quelques-uns de nos collègues. En effet, on ne peut pas clamer haut et fort son attachement au service public, sa conviction qu’il est indispensable au bon fonctionnement de notre activité humaine, et, en même temps, si j’ose dire, nier la nécessité de sa continuité, contester son utilité à chaque instant !
Si la grève apporte évidemment son lot d’inconforts, voire de nuisances, elle ne peut pas, elle ne doit pas pénaliser l’ensemble d’une population ayant à subir la force de paralysie d’une minorité, quels que soient ses motifs de protestation.
On peut même aller plus loin, sans vouloir donner de leçons aux leaders syndicalistes qui, de toute façon, n’entendent généralement pas grand-chose : il y a fort à parier qu’une grève qui n’entraverait pas les droits des usagers aurait tendance à être plus populaire et mieux acceptée. Elle susciterait même davantage d’adhésion.
Enfin, comment de ne pas admettre unanimement que les blocages dans le secteur du transport de passagers vont totalement à l’encontre des intentions de la transition souhaitée dans le domaine des mobilités ?
Comment ne pas comprendre que, pour changer durablement les comportements, pour créer des habitudes, il est indispensable de pouvoir faire confiance à ce service public censé assumer les orientations inscrites par exemple dans la dernière loi d’orientation des mobilités (LOM) ?
Pour faire consensus sur ces objectifs de bon sens, je vous appelle à voter sans réserve cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à assurer l’effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève
Article 1er
I. – Le code des transports est ainsi modifié :
1° L’article L. 1222-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elles s’appliquent également aux transports maritimes réguliers publics de personnes pour la desserte des îles françaises mentionnés à l’article L. 5431-1. » ;
1° bis (nouveau) L’article L. 1324-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Elles sont également applicables aux transports maritimes réguliers publics de personnes pour la desserte des îles françaises mentionnés à l’article L. 5431-1. » ;
2° (Supprimé)
II. – Le paragraphe 1 de la sous-section 2 de la section 2 du chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales est complété par un article L. 4424-21-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4424-21-1. – La collectivité territoriale de Corse est l’autorité organisatrice de transports pour l’application du chapitre II du titre II du livre II de la première partie du code des transports. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Je tiens à féliciter la majorité sénatoriale d’avoir su, au travers de ce texte, convoquer dans cet hémicycle le débat sur l’écologie ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Chers collègues, ce n’était pas évident, vous avez tous plus ou moins su vous montrer convaincants, mais je suis au regret de vous dire que tout cela arrive un peu tard !
Pourquoi avez-vous aujourd’hui un tel souci de l’écologie, alors que c’est vous qui avez voté les lois de casse du service public ferroviaire ? Celui-ci assurait pourtant un véritable maillage de notre territoire à travers des mobilités douces et écologiques.
N’est-ce pas vous, aussi, qui avez encouragé l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire et du trafic TER dans les régions ? Du moins, vous ne vous y êtes pas opposés… Dans un certain nombre de collectivités, vous êtes en train d’accompagner de processus ! Logiquement, le service public ferroviaire ne va donc pas bien, et tout le monde aujourd’hui se précipite à son chevet.
J’entends tout ce qui a été dit sur le souci de protéger certaines personnes et de limiter les excès, mais je ne suis pas sûre que cette proposition de loi facilite le dialogue social dans notre pays. De fait, comme elle est très politique, elle stigmatise celles et ceux qui font grève. Or, en France comme dans tous les pays, si vous limitez le droit de grève, d’autres formes de lutte s’exprimeront.
Il est faux de croire que demain tout ira mieux parce que vous légiférez pour réduire l’exercice du droit de grève. Bien au contraire, ce sera pire ! En effet, il y a bien d’autres possibilités – plus ou moins légales – que la grève ou le blocage des dépôts pour empêcher de circuler un train, un car ou un avion ! (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
C’est user de démagogie que de faire croire que, demain, tout ira bien simplement grâce au service minimum. Et, sur le fond, c’est un vrai projet politique de remise en cause du droit de grève que vous nous proposez au travers de ces différents articles !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 15 est présenté par Mme Rossignol, MM. Jacquin et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 24 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 15.
Mme Laurence Rossignol. L’article 1er, je le rappelle, vise à étendre au transport maritime les dispositions sur le service minimum.
Pour ma part, je n’ai pas eu l’occasion de participer à des rencontres avec les organisations professionnelles ou syndicales, notamment celles qui exercent le droit de grève. J’ignore donc quelle est leur position sur l’extension de ce service minimum.
Parfois, le remède peut être pire que le mal. Je ne voudrais pas qu’une telle disposition, si elle était adoptée par le Sénat, aboutisse à provoquer une grève dans le secteur maritime !
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 24.
Mme Michelle Gréaume. Le présent article prévoit l’application du service garanti aux transports maritimes réguliers publics de personnes pour la desserte des îles françaises, ce qui recouvre non seulement les îles métropolitaines, mais aussi les îles d’outre-mer dans la mesure où le code des transports y est applicable.
La commission a complété ces dispositions en étendant aux services de desserte maritime des îles les dispositions relatives au dialogue social, à la prévention des conflits collectifs et à l’exercice du droit de grève qui sont applicables aux services de transport ferroviaire issu de la loi de 2007.
C’est donc tout un processus nouveau autour de l’usage du droit de grève par le système de déclaration individuelle, de prévention des conflits, de durée du préavis pour l’instauration d’une sorte de « préavis du préavis » et d’organisation particulière de service. Autant de règles à nos yeux profondément attentatoires au droit de grève, et ce sans aucune étude d’impact et sans avis du Conseil d’État.
Cela ne nous paraît absolument pas sérieux. Comment engager de telle restriction d’un droit fondamental sans même prendre la peine d’entendre les acteurs de ce secteur d’activité et les partenaires sociaux ?
C’est ce type même d’initiative qui, à l’inverse du but visé, risque de produire du conflit et donc d’entraîner des désagréments pour les usagers. Il s’agit d’un contresens.
Mes chers collègues, souvenez-vous : il y a quelques années déjà, un texte similaire a été présenté à l’Assemblée nationale. C’était en 2013. Le ministre de l’époque, M. Cuvillier, l’avait rejeté pour un double motif : la faible conflictualité au sein des transports maritimes et la liberté des collectivités territoriales dans le cadre des contrats de délégation de service public, qui, pour la plupart, contiennent déjà des dispositifs d’alarme sociale pour prévenir les conflits.
Même Nicolas Sarkozy, qui a eu l’initiative du texte relatif au service minimum, en 2007, avait renoncé à y inclure les transports maritimes pour les mêmes motifs.
Puisque tout le monde s’accorde sur la nécessité de ne pas étendre ces mesures aux transports maritimes, nous demandons le rejet de cette disposition purement démagogique.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme Michelle Gréaume. Chers collègues, la continuité de desserte des îles vous intéresse parfois moins,…
Mme la présidente. Il faut conclure !
Mme Michelle Gréaume. … par exemple lorsqu’il s’agit d’affréter des médicaments ou d’autres produits de nécessité. Mais il s’agit là d’un autre débat !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Ma chère collègue, je suis ravie de vous entendre invoquer Nicolas Sarkozy… (Sourires. – Mme Françoise Gatel rit.)
Mme Éliane Assassi. C’est bien le but ! (Nouveaux sourires.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur. … et je tiens à vous en remercier !
En outre, je me réjouis de voir à quel point le Conseil d’État devient à la mode.
Mme Éliane Assassi. Oui !
Mme Pascale Gruny, rapporteur. De fait, on cite ses positions sur bon nombre de textes. Toutefois, même s’il est possible de demander l’avis du Conseil d’État pour les propositions de loi, je note que cette procédure n’a jamais été mise en œuvre ; il en est de même pour les études d’impact.
Madame Rossignol, je vous assure que toutes les organisations syndicales ont été invitées dans le cadre de cette concertation. Certaines sont venues, d’autres non : voilà tout.
L’article 1er étend aux transports maritimes réguliers publics de personnes pour la desserte des îles françaises, non seulement les dispositions de la loi de 2007, mais aussi les avancées contenues dans le présent texte.
À l’issue des auditions que j’ai pu mener, l’analogie des services de desserte maritime des îles et des transports ferroviaires urbains est apparue pertinente. D’ailleurs, des dispositifs d’alarme sociale ont déjà été déployés sur une base conventionnelle.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Une mission de haut niveau est bien chargée de clarifier et de sécuriser le cadre juridique d’un possible service minimum. De plus, ce travail inclut une concertation avec l’ensemble des acteurs concernés.
Pour ces raisons, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat pour ce qui concerne ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. Les sénateurs des départements littoraux mesurent tous l’importance de la continuité territoriale avec les îles : souvent, les transports maritimes sont le seul moyen de déplacement, qu’il s’agisse, pour les îliens, d’aller sur le continent, ou, pour les continentaux, de se rendre sur les îles.
N’attendons pas un conflit, susceptible de provoquer une paralysie, pour prendre des dispositions garantissant la continuité territoriale. Je ne puis approuver le discours, que j’ai encore entendu il y a un instant, selon lequel il faut absolument utiliser l’arme de la grève pour empêcher les déplacements. Ce n’est pas acceptable !
Voilà pourquoi il est important de disposer d’un cadre mieux défini. C’est un point important, et je remercie Mme le rapporteur d’avoir introduit ces dispositions dans le présent texte : elles permettront de sécuriser la situation de nombreux îliens.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 15 et 24.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
La section 1 du chapitre II du titre II du livre II de la première partie du code des transports est complétée par un article L. 1222-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1222-1-1. – Sont réputées prévisibles au sens du présent chapitre les perturbations du trafic qui résultent :
« 1° De grèves ;
« 2° De plans de travaux ;
« 3° D’incidents techniques, dès lors qu’un délai de trente-six heures s’est écoulé depuis leur survenance ;
« 4° D’aléas climatiques, dès lors qu’un délai de trente-six heures s’est écoulé depuis le déclenchement d’une alerte météorologique ;
« 5° De tout événement dont l’existence a été portée à la connaissance de l’entreprise de transports par le représentant de l’État, l’autorité organisatrice de transports ou le gestionnaire de l’infrastructure depuis trente-six heures. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 16 est présenté par Mme Rossignol, MM. Jacquin et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 25 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 16.
Mme Laurence Rossignol. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 25.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Cet article n’apporte ni ne modifie rien à la législation relative aux transports : il s’agit d’un simple copier-coller de l’article L. 1222-2 du code des transports. Ainsi, les mêmes dispositions apparaîtront deux fois au sein du même chapitre.
L’article en question dresse la liste des causes de perturbation du trafic ; évidemment, la grève figure en tête…
À cet égard, cette proposition de loi n’apporte rien. Dès lors, que signifie ce nouvel article ? Il trahit une obsession de l’auteur de ce texte en faisant apparaître la grève deux fois comme cause de perturbation du service.
Aussi, je lui pose cette question : est-ce une manière de dire que la grève est deux fois plus pénalisante ou deux fois plus condamnable ? L’un des buts de ce texte est, sans conteste, d’alimenter une vision péjorative de la grève dans les transports.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Ma chère collègue, il ne s’agit pas de faire figurer la grève plusieurs fois dans le texte : nous avons simplement déplacé la définition des perturbations prévisibles de l’article 3 à l’article 2.
Nous ne pouvons donc qu’être défavorables à ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée. (Murmures sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 16 et 25.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Le code des transports est ainsi modifié :
1° Après la section 1 du chapitre II du titre II du livre II de la première partie du code des transports, est insérée une section 1 bis ainsi rédigée :
« Section 1 bis
« Définition d’un niveau minimal de service dans les transports publics
« Art. L. 1222-1-2. – L’autorité organisatrice de transport définit un niveau minimal de service correspondant, compte tenu des autres moyens de transport existant sur le territoire, à la couverture des besoins essentiels de la population et fixe les fréquences et plages horaires correspondant à ce niveau de service.
« Ce niveau est celui qui permet d’éviter que soit portée une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir, à la liberté d’accès aux services publics, à la liberté du travail, à la liberté du commerce et de l’industrie et à l’organisation des transports scolaires ainsi que de garantir l’accès au service public de l’enseignement les jours d’examens nationaux. Il prend en compte les besoins particuliers des personnes à mobilité réduite.
« La délibération définissant le niveau minimal de service est transmise au représentant de l’État et rendue publique.
« En cas de carence de l’autorité organisatrice de transport, le représentant de l’État détermine le niveau minimal de service. » ;
2° Les six derniers alinéas de l’article L. 1222-2 sont supprimés ;
3° L’article L. 1222-3 est ainsi modifié :
a) Après le mot : « prioritaires », sont insérés les mots : « mentionnées à l’article L. 1222-2 ainsi que le niveau minimal prévu à l’article L. 1222-1-2 » ;
b) Les troisième à sixième phrases sont supprimées ;
4° Les deuxième et troisième phrases de l’article L. 1222-5 sont supprimées ;
5° Après la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 1222-7, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Il détermine également les personnels nécessaires à l’exécution du niveau minimal de service susceptibles d’être requis en application de l’article L. 1222-7-1. » ;
6° Après l’article L. 1222-7, sont insérés des articles L. 1222-7-1 à L. 1222-7-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 1222-7-1. – Lorsque, en raison d’un mouvement de grève, le nombre de personnels disponibles n’a pas permis, pendant une durée de trois jours consécutifs, d’assurer le niveau minimal de service correspondant à la couverture des besoins essentiels de la population mentionné à l’article L. 1222-1-2, l’autorité organisatrice de transports enjoint à l’entreprise de transports de requérir les personnels indispensables pour assurer ce niveau de service conformément à l’accord ou au plan de prévisibilité mentionné à l’article L. 1222-7.
« La décision de l’autorité organisatrice de transports est transmise aux organisations syndicales représentatives dans chacune des entreprises concernées.
« Art. L. 1222-7-2. – L’entreprise de transports est tenue de se conformer à l’injonction de l’autorité organisatrice de transports dans un délai de vingt-quatre heures.
« Art. L. 1222-7-3. – Les personnels requis en application de l’article L. 1222-7-1 en sont informés au plus tard vingt-quatre heures avant l’heure à laquelle ils sont tenus de se trouver à leur poste.
« Est passible d’une sanction disciplinaire le salarié requis en application de l’article L. 1222-7-1 qui ne se conforme pas à l’ordre de son employeur. »
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.
M. Guillaume Gontard. Une nouvelle fois, je déplore le dépôt de ce texte caricatural et inutile ; mais, pour certains, elle constitue peut-être un moyen d’exister…
Le socle de cette proposition de loi, c’est l’instauration d’un service dit « garanti », et non plus « minimum », par la possibilité de réquisitionner les salariés nécessaires à l’accomplissement des besoins définis comme essentiels par l’autorité organisatrice.
Chers collègues, il s’agit là d’une lourde erreur d’appréciation quant aux « services essentiels pouvant justifier la réquisition ». Il me semble même que vous vous trompez doublement.
Premièrement, vous faites fausse route sur la définition des « services essentiels ». Ces derniers ne relèvent que des besoins vitaux et de sécurité – hôpitaux, pompiers ou policiers –, qui font l’objet de lois particulières. Étendre aux transports la notion de « besoins essentiels », telle que l’entend, dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel, nous paraît donc largement excessif, y compris parce que d’autres moyens de déplacement sont toujours possibles.
Deuxièmement, vous vous trompez quant aux autorités compétentes en matière de réquisition : seule une loi ou, à défaut, une décision du préfet peut imposer la réquisition. L’autorité organisatrice, et encore moins l’entreprise, n’a pas le droit, sans autre procédure, de réquisitionner le personnel.
Vous nous proposez donc une nouvelle usine à gaz. En effet, alors que vous avez acté la libéralisation des transports et le démantèlement des monopoles des entreprises publiques, la tâche risque d’être particulièrement ardue pour les autorités organisatrices : avec de telles mesures, vous ne leur faites pas un cadeau.
Il est d’ailleurs incroyable de voir ceux-là mêmes qui ont ouvert la SNCF et la RATP à la concurrence pleurer, aujourd’hui, la continuité du service public. C’est même un comble !
Enfin, je vous signale que, selon un sondage BVA du 23 janvier dernier, sept Français sur dix estiment que le mouvement de protestation actuel doit se poursuivre.
Nos concitoyens sont loin d’être dupes et, contrairement à ce que j’ai pu entendre dans cet hémicycle, la grève n’a pas eu d’effet néfaste sur l’environnement, bien au contraire. En matière d’écologie, elle a eu des conséquences tout à fait positives : entre novembre et décembre 2019, l’usage du vélo a bondi de 200 % à Paris.
M. Bruno Sido. Il n’y a pas que Paris !
M. Guillaume Gontard. De nouvelles vocations sont nées. On compte aujourd’hui 130 % de cyclistes supplémentaires. J’ai même vu Laurent Wauquiez pédaler il y a quelques jours à Paris… (Exclamations.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Alors, dans ce cas…
M. Bruno Sido. Paris, Paris, toujours Paris !
M. Joël Guerriau. Pensez un peu aux régions !
M. Guillaume Gontard. C’est peut-être un signe et, en conclusion, je dis : vive la grève ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. Cette proposition de loi constitue une véritable provocation sociale, dans un contexte déjà particulièrement tendu, à cause de la volonté inébranlable de faire passer en force le projet de loi portant réforme des retraites.
Toute la communication institutionnelle, relayée par les médias, tend à faire passer les grévistes pour des fauteurs de troubles irresponsables, guidés par la seule volonté de défendre leurs acquis, sans visée collective.
C’est évidemment faux : les grévistes, notamment dans les transports – ceux qui paient le plus lourd tribut à la lutte –, se battent pour tous, y compris pour ceux qui ne font pas grève aujourd’hui. Ils sont les « premiers de cordée » de la forte contestation sociale que connaît notre pays. En exerçant leurs droits, ils expriment le rejet que leur inspire cette réforme : c’est aussi le prix de la démocratie.
La droite et le patronat ont un fantasme ancien : en revenir au temps des maîtres de forges, disposant de salariés sans droits et de citoyens sans voix.
D’ailleurs, une forte complicité se fait jour entre le Gouvernement et les directions d’entreprise pour casser les droits collectifs des travailleurs, que ce soit en mettant fin au statut, par de précédentes réformes, comme le pacte ferroviaire, ou en brisant les grèves, y compris en accordant des primes à ceux qui n’ont voulu ou pu rejoindre le mouvement…
Monsieur le secrétaire d’État, on ne vous a toujours pas entendu sur cette question, mais vous le savez bien : les primes accordées aux non-grévistes sont anticonstitutionnelles !
Nous pouvons également invoquer la manière dont le Gouvernement est intervenu lorsque les agents de la SNCF ont fait valoir leur droit de retrait. Cette collusion d’intérêts est inacceptable et dangereuse, car elle a pour but la régression des droits collectifs !
Enfin, dois-je rappeler que les grèves sont un puissant outil de conquêtes sociales ? Pour rafraîchir les mémoires de toutes et tous, je citerai les accords de Grenelle, obtenus après les grèves de 1968 : l’extension de la quatrième semaine de congés payés et l’augmentation du SMIC de 35 % en sont le fruit, comme bien d’autres acquis.
Priver du droit de grève les agents du service public de transport en organisant les conditions de leur réquisition, c’est nous condamner collectivement à renoncer à tout grand progrès social. Nous demandons donc le retrait de cette proposition de loi, qui – nous le répétons – est une provocation, surtout dans le moment social que nous sommes en train de vivre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Chers collègues, vous l’avez compris : nous n’approuvons pas du tout cette proposition de loi, qui s’attaque au droit de grève, et au message d’autorité et de fermeté qu’elle contient.
J’aimerais bien vous voir afficher la même exigence et la même fermeté lorsqu’il s’agit de défendre les services publics. Mais, bien sûr, il n’en est pas question dans ce texte…
Les autorités organisatrices de mobilité ont besoin non pas de compétences nouvelles en matière de réglementation des grèves, mais de moyens pour financer les services publics, pour que, enfin, ce ne soit plus la galère quotidienne dans les transports.
Vous le savez comme moi, les grèves constituent une part infime des dysfonctionnements. Votre but est bien loin des préoccupations quotidiennes des usagers : aujourd’hui, s’ils sont pris en otage, c’est par les politiques de restriction budgétaire, c’est par le règne du « tout-marché ». En tant qu’ancienne administratrice d’Île-de-France Mobilités, l’ex-syndicat des transports d’Île-de-France (STIF), je puis en témoigner.
Il est totalement démagogique de pointer du doigt les grévistes pour leur imputer tous les maux de la dégradation du service public. Comment ignorer que ces agents se mobilisent, justement, pour la sauvegarde de leur outil de travail, pour la sécurité et le confort des usagers ? Qu’ils se battent pour que ce patrimoine reste celui de toutes et de tous ?
Votre initiative a, au moins, un effet positif… En creux, vous formulez un aveu : celui de l’utilité des agents publics et des services publics. Il faut transmettre le message à tous ceux qui, hypnotisés par le dogme de la réduction de la dette, veulent supprimer des emplois, que ce soit parmi les fonctionnaires de l’État ou dans les entreprises publiques, notamment à la SNCF.
La réduction du nombre d’enseignants, de cheminots, de juges ou encore d’avocats est préjudiciable à la bonne marche de la société : vous le savez pertinemment !
Enfin, ce texte traduit une conception bien particulière du respect des partenaires sociaux. Comment accepter que cette proposition de loi n’ait fait l’objet d’aucune consultation ? Comment croire qu’elle freinera la conflictualité ? Manifestement, c’est tout l’inverse qui va se produire. Quand on veut une réelle concertation, on en crée les conditions.
De 2010 à 2015, j’ai présidé la commission « démocratisation au STIF » au sein du conseil régional d’Île-de-France. À ce titre, j’ai associé tous les syndicats à l’examen des contrats conclus avec les opérateurs. J’ai ainsi veillé à les auditionner pour étudier les différences offres, en particulier au regard de la qualité de service. Or vous proposez tout le contraire !
Je le répète : loin de résoudre les problèmes de conflictualité, vous allez les aggraver. Il faut absolument retirer ce texte !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
M. Bruno Sido. Oh là là…
Mme Laurence Cohen. Eh oui, cher collègue, c’est le débat parlementaire !
Mme Cécile Cukierman. Mes chers collègues, je trouve que cet article, si j’ose dire, ne fait pas très Sénat… (Exclamations amusées.) En effet, tel qu’il est rédigé, il constitue un cadeau empoisonné aux collectivités territoriales.
Cet article transfère à l’autorité organisatrice de transport le soin de définir le service minimal correspondant. Il s’agit principalement des régions. Demain, il appartiendra donc à celles et ceux qui les dirigent – vous en conviendrez, il y en a davantage de votre bord que du nôtre –…
Mme Laurence Cohen. Hélas !
Mme Cécile Cukierman. … de dire que telle ligne disposera de deux allers-retours par jour, quand telle autre en aura trois ou quatre, ou, à l’inverse, une seule.
Aujourd’hui, les fermetures de petites lignes ferroviaires et de gares mettent en émoi tous les présidents de région : jusqu’à présent, ces derniers n’avaient finalement pas dit grand-chose pour défendre le service public ferroviaire… Et, demain, ils devront gérer ces lignes de train en fonction de leur fréquentation ; la concurrence entre elles s’en trouvera encore accentuée.
Cela étant, maligne est la rédaction de l’article : l’alinéa 8 prévoit tout de même une éventuelle carence de l’autorité organisatrice de transport. En effet – on le devine –, les régions ne seront pas si nombreuses à faire ce pari pour mettre en concurrence leurs propres lignes ferroviaires ; une telle réforme revient à faire peser des décisions un peu trop importantes sur les épaules des élus.
À vous entendre, tout ira mieux demain grâce à cette proposition de loi. Mais, en fait, ce texte provoquera surtout du mécontentement. On l’a vu à propos du « service minimum » : si, pour certains, ces dispositions suffiront, pour d’autres, on n’en fera jamais assez, et nous tomberons dans une spirale.
Pour toutes ces raisons, je m’opposerai à l’article 3, d’autant qu’il n’est pas très clément pour les collectivités territoriales, au premier rang desquelles les régions.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 17 est présenté par Mme Rossignol, MM. Jacquin et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 26 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 17.
Mme Laurence Rossignol. Cet article est tout de même étrange…
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Après « pas très Sénat », maintenant « étrange »…
Mme Laurence Rossignol. Jusqu’à nouvel ordre, le droit de réquisition est une compétence exclusive de l’État, exercée par l’intermédiaire des préfets. Ce n’est pas un hasard : il ne s’agit pas simplement de limiter le droit de grève. Le droit de réquisition se justifie par des situations exceptionnelles, à savoir un état de crise, par exemple sanitaire, ou une menace pesant sur l’ordre public.
Or, avec cet article, l’on nous propose de privatiser cette compétence régalienne, en la sous-traitant. Cécile Cukierman vient de le rappeler, il s’agit de la confier aux autorités organisatrices de transport, au premier rang desquelles les régions. Mais, ensuite, ces autorités organisatrices demanderont aux entreprises, qui peuvent être publiques ou privées, d’exercer la réquisition !
Je ne comprends pas comment des personnes, d’habitude très attachées à l’État et au maintien de ses compétences, peuvent ainsi transférer à des entreprises une part de son autorité…
Je le dis très clairement : à mon sens, cet article ne tient pas debout. En effet, l’on ne donne pas aux entreprises en question la capacité de réquisitionner. De plus, ces dispositions sont rédigées de manière très imprécise : elles n’indiquent pas de quelle manière l’on pourrait réquisitionner les salariés.
Par un arrêt du 15 décembre 2009, la Cour de cassation affirme sans aucune ambiguïté qu’un salarié gréviste ne peut être passible de sanction pour avoir refusé une réquisition, en vertu du cadre fixé par la loi, que je viens d’évoquer.
Il faudrait donc que la Cour de cassation revoie sa jurisprudence. Surtout, on ne nous dit pas quelles sanctions seraient infligées ; on ne nous dit pas comment ce droit de réquisition serait appliqué, dans les entreprises à statut comme dans les entreprises régies par le code du travail, et par quels moyens.
Ce travail a été mené au mépris de la rigueur juridique et des principes républicains : ce n’est pas sérieux. C’est pourquoi je demande la suppression de l’article 3 ! (M. Olivier Jacquin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 26.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Plusieurs de mes collègues ont déjà pris la parole sur l’article, et Céline Brulin s’exprimera en explication de vote : je considère donc cet amendement comme défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Bien sûr, la commission est défavorable à ces amendements identiques. Il s’agit là du cœur de la proposition de loi : supprimer l’article 3, c’est vider le texte de tout contenu.
Madame Rossignol, vous évoquez les dispositions spécifiques aux entreprises. Au titre du service minimum dans le nucléaire, EDF requiert déjà les salariés qui doivent rester en poste : pourquoi de telles mesures ne seraient pas possibles, demain, en cas de privatisation du service des transports ?
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas pareil !
Mme Pascale Gruny, rapporteur. En outre, le Conseil constitutionnel a admis un service minimum en matière de télévision, et le droit de réquisition est exercé par les directeurs de chaîne.
Quant aux autorités organisatrices de transport, elles dressent déjà les plans de transport applicables en temps normal. En conséquence, elles peuvent très bien établir les plans de transport a minima : c’est précisément pourquoi on leur donne ce pouvoir supplémentaire.
À nos yeux, l’article 3 répond tout à fait aux attentes de la population en matière de transport. Il prolonge la loi de 2007, qui créait un minimum de service, en mettant en place un service minimum.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous émettons un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Je confirme les propos de Mme la rapporteure : la réquisition ne relève pas du domaine de compétence exclusive du préfet. Elle peut être gouvernementale, préfectorale…
Mme Laurence Rossignol. Dans tous les cas, c’est l’État !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Elle peut également être prononcée par l’employeur : la jurisprudence le reconnaît. À ce titre, je vous renvoie à la décision Fédération Force ouvrière Énergie et Mines et autres, rendue en 2013 par le Conseil d’État.
À mon sens, ce débat renvoie au travail juridique qu’il nous reste à faire pour sécuriser le texte. C’est précisément le sens de la mission que j’ai mentionnée à l’instant, et dont je souhaite la constitution rapide.
À cet instant, pour ce qui concerne ces deux amendements identiques, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Madame la rapporteure, vous dites que l’article 3 constitue le cœur de cette proposition de loi. Sur ce point, je vous rejoins : c’est précisément la raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de cet article !
Plusieurs de mes collègues l’ont rappelé, on connaît le débat qui nous oppose au sujet du droit de grève. Mais, en l’occurrence, quelle mouche vous a piquée ? Pourquoi voulez-vous impliquer à ce point les régions, en leur confiant des responsabilités qu’elles ne demandent absolument pas ?
Les régions sont autorités organisatrices de transport et elles devraient, demain, s’immiscer dans des conflits auxquels elles sont totalement étrangères. Les grèves qui, aujourd’hui, bousculent la France en témoignent : en quoi les élus régionaux ont-ils quelque chose à voir avec ce qui oppose les salariés à l’exécutif national sur un projet de réforme des retraites ?
M. Jean-Paul Émorine. Précisément, cela n’a rien à voir !
Mme Céline Brulin. On pourrait multiplier les exemples de ce type : je connais assez peu de conflits qui concernent les seules régions. D’ailleurs, ces dernières ont déjà fort à faire avec les fusions qu’elles ont été obligées d’engager.
Enfin, j’y insiste, on ne peut pas espérer atténuer la colère en limitant le droit de grève. Cela reviendrait à vouloir ferait baisser la fièvre en cassant le thermomètre… C’est précisément le contraire qui est en train de se passer.
Ce que nous ressentons de l’état de notre pays, vous devez également le ressentir ! Nous avons eu les « gilets jaunes ». Auparavant, nous avions eu Nuit debout. Aujourd’hui, nous connaissons des blocages que personne ne souhaite voir perdurer. Pourquoi ? Parce que les gens ont le sentiment que les formes d’action dites « traditionnelles », comme la grève, ne sont absolument plus entendues dans ce pays.
Mme Éliane Assassi. Très juste !
Mme Céline Brulin. Des Présidents de la République, ou des chefs de gouvernements, comme le Premier ministre actuel, se plaisent à dire que, désormais, les grèves ne se voient plus. Eh bien, dans ce contexte, ne soyons pas étonnés que nos concitoyens cherchent d’autres formes de lutte.
Soyons très attentifs : cette situation peut nous conduire très loin, ce que personne ici ne souhaite !
Mme Laurence Cohen. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour explication de vote.
M. Didier Mandelli. Je m’inscris en faux contre les arguments développés en faveur de ces amendements : demain, en vertu de la loi d’orientation des mobilités, les régions ou les intercommunalités qui en feront la demande obtiendront de nouvelles compétences en matière de mobilité.
Aussi, il m’apparaît logique et cohérent que ces niveaux de collectivités, au plus près des besoins et des attentes des usagers, soient chargés de définir le service minimum à mettre en œuvre à leur échelle. C’est d’autant plus vrai que, au titre de la loi d’orientation des mobilités, nous avons voté un élément essentiel concernant le ferroviaire : la gestion des petites lignes pourra être confiée aux régions.
Non seulement l’évolution proposée est possible, mais ces dispositions sont juridiquement étayées !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. On ne peut pas laisser dire que cette proposition de loi n’est pas sérieuse : bien au contraire, elle est particulièrement solide.
Dès lors que des autorités organisatrices de transport sont chargées de mettre en place des services pour assurer la mobilité de nos concitoyens, il est logique qu’elles puissent prendre l’ensemble des mesures permettant effectivement de garantir cette mobilité, y compris lorsque des événements viennent la troubler.
En outre, on ne peut pas accepter que nos concitoyens soient pris en otage par des grévistes, ou que leur liberté de circulation soit entravée au nom de quelque lutte que ce soit. La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.
Mme Éliane Assassi. Et inversement !
M. Michel Canevet. Il est temps d’appliquer ce principe.
Il n’est pas normal que bon nombre d’usagers subissent – je l’ai également entendu tout à l’heure ! – une galère quotidienne dans les transports : ce n’est pas acceptable. Une minorité agissante ne saurait empêcher la grande majorité de se déplacer, en particulier pour aller au travail. Il est temps d’agir pour que les libertés de circuler et de travailler soient effectivement assurées dans notre pays ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Sur le RER B, grève ou pas grève, c’est la galère tous les jours !
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Mes chers collègues, je ne voudrais pas polémiquer ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.) Mais il y a une chose dont les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste ne semblent pas avoir conscience ; c’est la gêne occasionnée pour les usagers.
Je m’explique : je suis comme vous sénateur et, comme vous, je suis présent toutes les semaines. Je suis Haut-Marnais, et à Chaumont, où je vis, il n’y a pas eu un seul train pendant deux mois : zéro !
Mme Michelle Gréaume. Eh oui, c’est la grève !
Mme Laurence Rossignol. C’est la faute du Gouvernement : il n’a qu’à retirer son projet de loi !
M. Bruno Sido. C’est pourquoi je considère que cette proposition de loi est la bienvenue : il s’agit de garantir un minimum de service pour les trains.
Par ailleurs, madame Assassi, vous semblez oublier que, à cause de cette grève, la SNCF, qui n’avait pas besoin de cela, a perdu des centaines de millions d’euros…
M. Franck Menonville. Un milliard d’euros !
M. Bruno Sido. … alors même qu’elle n’est pour rien dans ce mouvement.
Certains y ont gagné, par exemple les autoroutes – moi-même, je suis venu en voiture pendant deux mois, ce qui était fatigant et dangereux, surtout après des séances de nuit – ou BlaBlaCar, mais beaucoup, comme les commerçants ou les industriels, ont perdu de l’argent. Vous rendez-vous compte de cette situation où l’on se fait doubler par les autres, qui plus est – on peut le déplorer, mais c’est ainsi – dans une société mondialisée ? (M. Fabien Gay s’exclame.)
Je me demande si vous mesurez bien la portée d’une grève d’une telle durée : huit jours, passe encore, mais deux mois ! Ne trouvez-vous pas cela excessif ?
Mme Laurence Cohen. C’est pour cela que le Gouvernement doit retirer son projet de loi !
M. Bruno Sido. C’est la raison pour laquelle je voterai ce texte. Sur ce sujet, il faut mettre bon ordre.
Mme Éliane Assassi. Mais quelle est la cause de ces difficultés ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. La discussion a tendance à dévier, mais pourquoi pas, puisque cela revient toujours à parler du droit de grève.
Personne n’a dit ici que les jours de grève étaient des jours de fête et que cela ne posait pas de problème.
Mme Michelle Gréaume. Bien sûr !
Mme Cécile Cukierman. Bien évidemment, la grève a une action pénalisante : elle touche d’abord l’activité économique, puis, en cascade ou par ricochet, les usagers qui ne peuvent accéder à ce mode de transport.
Par ailleurs, nous avons tous en tête un certain nombre de lignes sur lesquelles aucun train n’a circulé pendant la durée du mouvement. Ainsi, sur la ligne Saint-Étienne-Lyon, qui est la ligne la plus fréquentée de France hors de l’Île-de-France, le taux de grève a été maximal. Régulièrement, il n’y avait pas de train, et c’était la galère.
La seule question que pose l’article 3 est la suivante : est-ce ou non aux présidents de régions de régler demain cette question ?
Pour ma part, je ne le crois pas. La mobilisation et l’état de la grève sur la ligne Saint-Étienne-Lyon n’ont rien à voir avec le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, quand bien même j’aurais beaucoup à dire sur sa politique régionale, en bien et en mal.
Or, avec cet article, on lui demande de mettre en place et d’organiser des services minimums différenciés selon les lignes, c’est-à-dire selon le taux de fréquentation, et d’établir en quelque sorte une hiérarchisation des lignes TER au sein d’une même région, alors que, comme tout le monde l’a dit, ce conflit est celui du Gouvernement.
Monsieur le secrétaire d’État, nous souhaiterions vous entendre ! Si nous en sommes là, c’est surtout à la suite de la décision du Gouvernement de déposer ce projet de réforme des retraites, qui a paralysé le pays et qui va très certainement provoquer d’autres gênes.
Je tiens à répéter les propos de ma collègue. Faisons attention ! À force de s’attaquer au droit de grève, demain, d’autres expressions de colère monteront dans ce pays, ce que personne sur ces travées ne souhaite.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. La grève, qu’est-ce que c’est ? Une cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles en bloquant le pays. C’est exactement par ce type de pressions que, par le passé, les ouvriers ont obtenu différents acquis sociaux. Certains ont même affirmé que les luttes, les grèves et les occupations d’usines auraient permis le progrès social.
Regardez et écoutez le peuple qui est dans la rue aujourd’hui ! C’est un peuple qui se bat, car il souffre. Toutes ces personnes expriment leur mal de vivre, refusent la baisse du pouvoir d’achat. Ils défendent leur travail, demandent des augmentations de salaire, une meilleure retraite. Ils rejettent en bloc les lois qui s’attaquent à leurs acquis sociaux, comme le droit du travail ou le droit à la retraite.
Maintenant, vous voulez même les empêcher de s’exprimer, en encadrant par ce texte un service minimum pour que le pays ne soit plus bloqué. Allez-y, chers collègues, ignorez-les, mais vous porterez la responsabilité du chaos en France !
Ce n’est pas une menace, mais, si la grève ne permet plus au peuple de bloquer le pays pour qu’il fasse entendre ses revendications, d’autres pressions populaires pourraient émerger. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. C’est antirépublicain !
Mme Michelle Gréaume. Lesquelles ? Réfléchissez-y, et vous verrez que notre demande de suppression de ce texte est primordiale !
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Notre débat porte sur le droit de grève. J’ai beaucoup entendu les membres du Gouvernement dire : « Le droit de grève est constitutionnel, mais on n’a pas le droit de bloquer. »
M. Bruno Sido. Oui !
M. Fabien Gay. « Vous pouvez faire grève et manifester, mais plutôt en silence. »
M. Bruno Sido. Non !
M. Fabien Gay. Chers collègues, vous êtes en fait en train de mener un combat idéologique. Vous savez bien que cette proposition de loi sera adoptée ici, mais qu’elle se perdra ensuite dans les méandres du processus législatif.
M. Bruno Sido. Non, non et non !
M. Fabien Gay. Reste que vous êtes en train de marquer des points. Ainsi, la question de l’automatisation des lignes prend de l’ampleur.
En réalité, la grève est faite pour bloquer le travail et arrêter l’économie à un moment donné. C’est un rapport de force. Évidemment, nous savons que les usagers sont pénalisés, mais les premiers touchés, ce sont les salariés. On ne fait pas grève pour se faire plaisir !
Mme Michelle Gréaume. Tout à fait !
M. Fabien Gay. La présidente de notre groupe a indiqué que les cheminots avaient reçu leur fiche de paie du mois de janvier à zéro euro. Eux aussi ont des familles, eux aussi ont des crédits ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRCE.)
Le Gouvernement a demandé à la direction de la SNCF de faire les retenues sur salaire des cheminots sur un seul mois, alors qu’elle aurait pu étaler les jours de grève, pour qu’ils perçoivent une paie. C’est d’une violence sociale inédite !
D’ailleurs, vous n’avez pas répondu à la question : est-il normal que les non grévistes aient une prime quand les autres se retrouvent à zéro euro ?
Évidemment, quand le dialogue social est épuisé, pour les salariés, se mettre en grève et cesser le travail est le dernier recours. (M. Bruno Sido fait un geste de dénégation.) Quand les électriciens se mettent en grève, il n’y a pas de courant. Quand les cheminots et les traminots se mettent en grève, il n’y a pas de transport. Quand les professeurs se mettent en grève, il n’y a pas de cours. C’est ainsi, mais ne croyez pas que c’est par plaisir qu’ils le font.
M. Bruno Sido. Je n’ai pas dit cela !
M. Fabien Gay. Les premiers pénalisés, ce sont eux-mêmes, et ils sont main dans la main avec les usagers.
Votre problème, c’est que, au bout de cinquante jours de grève, les usagers n’ont pas basculé : ils sont restés du côté des grévistes, parce qu’ils savent que, sur la question des retraites, c’est aussi leur avenir qui se joue. De la même façon, cette proposition de loi est minoritaire dans le pays, et vous le savez.
Mme Michelle Gréaume. Exactement !
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. J’entends bien ce qui est dit : le droit de grève est inscrit dans la Constitution, il n’y a pas de sujet. En revanche, la continuité du service public est aussi une absolue nécessité, sinon la notion même de service public est remise en cause.
Vous ne pouvez soutenir qu’il est impossible de privatiser la SNCF ou la RATP parce que ces entreprises ont une mission de service public et une mission de continuité du service public, et admettre l’idée qu’il puisse ne pas y avoir de service public des transports dans le pays pendant des semaines. Cela revient à nier la mission de service public et de continuité du service public de ces entreprises.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Roger Karoutchi. Il faut donc trouver un équilibre entre le droit de grève, que je respecte, et le fait que tous les usagers de ces services publics dont la continuité est une nécessité absolue puissent se déplacer.
Avoir un service minimum à certains horaires répond à une nécessité, notamment pour les Franciliens et pour ceux que Bruno Retailleau a appelés les « gens d’en bas », qui sont les plus touchés par les grèves quand elles sont menées en continu et se poursuivent sur une longue durée.
En revanche, je ne comprends pas que des sénateurs s’étonnent que les régions deviennent l’autorité organisatrice.
Nous nous sommes battus pour que ce soient les régions qui aient les transports publics. J’ai le souvenir d’avoir été membre du conseil d’administration du syndicat des transports, à une époque où c’était le préfet de la région d’Île-de-France qui décidait où les trains allaient et comment étaient les quais, sans se soucier de ce que pensaient les élus. La région s’est battue pour avoir cette capacité. C’est donc à elle d’assurer. On ne peut pas se battre pour avoir la responsabilité des transports publics, sans avoir ensuite la responsabilité de mettre en place le service minimum.
Oui, il faut un équilibre entre le droit de grève et la continuité du service public. Eh oui, cela dépend entièrement des régions autorités organisatrices ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. J’entends bien que personne ne fait la grève par plaisir et que les grévistes en subissent aussi les conséquences.
Il ne faut toutefois pas oublier ceux qui sont pénalisés et qui ne sont pas grévistes, notamment tous ceux pour qui la grève a des conséquences – des chiffres sont aujourd’hui publiés –, ceux qui ont perdu leur emploi, car l’entreprise pour laquelle ils se sont battus disparaîtra. Ce sont des victimes ! Cette pénalisation est extrêmement lourde pour eux, parce qu’ils ne bénéficient pas du statut de la fonction publique, à savoir un emploi à vie. Ce sont des salariés du privé : lorsqu’ils perdent leur emploi, il ne leur est pas facile d’en trouver un autre. Cette pénalisation est une réalité.
C’est aussi une réalité pour tous ceux qui vont prendre leur véhicule. Vous avez souligné que la grève permettait de faire du vélo ou d’aller travailler à pied.
M. Bruno Sido. Pour les Parisiens !
M. Joël Guerriau. Excusez-moi, mais nous sommes en période hivernale : les journées sont très courtes, le temps est mauvais, et je ne suis pas sûr que ce soit là une solution viable. Il semble que les Français utilisent davantage leur voiture, ce qui entraîne pour eux des frais supplémentaires. Cette grève pénalise donc des gens qui ont des revenus modestes et qui doivent utiliser du carburant, alors qu’ils prenaient auparavant les transports en commun à un prix moindre.
Au regard de tout ce que je viens dire, il est clair qu’il faut trouver un équilibre, afin que les conséquences et les dégâts soient limités pour chacun.
C’est la raison pour laquelle je trouve cette proposition de loi de bon aloi. Il faut bien qu’il y ait un arbitre, et l’idée de se tourner vers le monde des élus, auquel nous appartenons, est excellente. En effet, qui mieux que les élus connaît le terrain et la proximité, c’est-à-dire les régions, les départements ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Ce débat prend une tournure quelque peu étonnante. On croirait que certains aiment la grève et que d’autres ne l’aiment pas. La grève est pénible pour tout le monde. C’est un moyen ultime. Par nature, elle n’est pas agréable.
Madame la rapporteure, je souhaite revenir sur des arguments développés par Laurence Rossignol. Dans votre réponse, vous avez cité les entreprises publiques qui peuvent actuellement réquisitionner du personnel. Ma collègue vous a expliqué qu’avec ce texte des entreprises privées seront amenées à utiliser cette prérogative qui n’appartient pour l’instant qu’à l’État.
C’est sur ces entreprises de transport que l’on va faire peser une obligation de service minimum, assortie de pénalités financières. Nous ne savons pas comment elles pourront faire respecter cette obligation : j’espère qu’elles ne pourront pas faire appel à la force publique, qui reste heureusement encore un pouvoir régalien. De même, nous ne connaissons pas les conséquences précises de ce dispositif pour les salariés.
Ce transfert de charge et de responsabilité politique vers les collectivités territoriales nous inquiète également. Cela posera bien des questions.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé que vous alliez lancer une mission juridique pour préciser ces éléments. En d’autres termes, vous admettez, en creux, que l’article n’est pas satisfaisant. C’est bien pour cela que nous souhaitons le supprimer !
Par ailleurs, dans votre exposé liminaire, vous avez livré un chiffre, qui est extrêmement intéressant, dans le grave conflit que l’on vient de vivre, notamment à Paris : en moyenne, 33 % des services ont été assurés.
Or ce chiffre correspond à l’objectif initial de cette proposition de loi. Ce texte ne sert donc à rien, puisque la loi de 2007 prévoit déjà ces obligations minimales, avec une méthode beaucoup moins brutale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Cohen. C’est le débat, chers collègues !
Mme Cécile Cukierman. Nous, on ne fait pas grève !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Puisque vous avez déposé un texte, on a le droit de dire ce que l’on en pense ; sinon, il ne fallait pas le déposer ! On prendra le temps qu’il faudra, mais on dira ce que l’on a à dire. D’ailleurs, on a le temps : on n’est pas en grève, et on a des trains… (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
J’ai entendu des propos qui m’horrifient. Les cheminots remettraient en cause la mission de service public ? Mais la mission de service public est déjà remise en cause, et par le Gouvernement ! Quand tous les jours des TGV sont supprimés, quand tous les jours des TER sont supprimés, quand les élus sont obligés de se mobiliser pour que leur gare ou leur école ne soit pas fermée, n’est-ce pas une remise en cause et une fermeture des services publics ? N’est-ce pas laisser nos territoires complètement déserts, avec des lignes de train qui ferment de-ci de-là ?
Et l’on voudrait nous donner des leçons en nous parlant des salariés qui font grève, notamment des cheminots ? Pour la mission de service public, il faut vous adresser au Gouvernement ! C’est à lui de mettre plus de services publics partout. On n’en serait peut-être pas là s’il agissait en ce sens.
Un autre sujet me met en colère. On affirme ici que des gens auraient été licenciés par leur entreprise parce qu’ils ne seraient pas arrivés à l’heure.
M. Jean-Paul Émorine. Ce sont des licenciements économiques !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Évidemment, la grève ne fait plaisir à personne, Fabien Gay l’a rappelé à juste titre. Quand on est gréviste, à la fin du mois, on se retrouve quelquefois avec zéro euro de salaire ; pourtant, on a une famille.
J’aimerais que l’on m’amène ici la preuve que des salariés sont licenciés aujourd’hui parce qu’ils n’ont pas pu prendre leur train. Je n’en connais pas ! C’est bien de lancer des affirmations, mais il faut des preuves : la preuve du pudding, c’est qu’on le mange. (Sourires.)
Mme Laurence Cohen. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je voudrais que l’on soit précis sur ce que l’on vote. J’ai entendu dire tout à l’heure que le texte ne faisait jamais qu’élargir ce qui existait déjà. En l’état actuel du droit, aucune entreprise privée ne peut procéder à la réquisition des salariés, c’est de jurisprudence constante. Or le service public des transports n’est pas uniquement assuré par des entreprises publiques.
Si l’on en croit d’autres débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle précédemment, il existe une forte volonté des auteurs de cette proposition de loi et de bien d’autres membres de cette assemblée d’ouvrir le service public des transports à un maximum d’entreprises privées et concurrentielles. Cet article est donc une révolution dans le droit de réquisition.
Par ailleurs, je n’ai pas compris la position du secrétaire d’État. Il est très aimable de s’en remettre à notre sagesse, et nous sommes très touchés de sa confiance à notre égard. Pour autant, le Gouvernement est-il pour ou contre l’extension du droit de réquisition dans les entreprises qui assurent les transports ?
Cette question est simple, et l’on ne peut pas y répondre en évoquant des groupes de travail ou des hauts conseils qui réfléchissent sur le sujet. Le Gouvernement doit avoir une position ! Est-il pour ou contre l’extension du droit de réquisition dans les entreprises de transport ?
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Je réponds à la question sur les licenciements.
Malheureusement, certaines entreprises, qui avaient déjà subi des baisses de chiffre d’affaires énormes à la suite de la crise des « gilets jaunes », ont mis la clé sous la porte. S’il vous faut les noms des salariés concernés, parce que vous ne les avez pas, nous pourrons vous les communiquer en dehors de cet hémicycle. Quand nous annonçons quelque chose, il faut nous croire !
Il est vrai que les personnels de la SNCF ou de la RATP reçoivent des bulletins de paie à zéro euro quand ils sont grévistes, mais ils ne perdent pas pour autant leur emploi.
Je l’ai dit plusieurs fois, il faut absolument trouver un équilibre. Ce texte a pour objectif non pas de retirer le droit de grève, mais bien de répondre aux besoins de la population.
J’ai souligné, à l’instar de Bruno Retailleau, qu’il fallait toujours regarder le plus petit, celui qui était le plus en difficulté. Je sais bien que cela vous dérange, parce que vous pensez toujours que ce qui relève du social et de l’humain vous incombe – à nous, le reste. Ce n’est pas cela. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.) Si, on l’entend toujours ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
D’ailleurs, M. Jacquin a affirmé que nous devrions plutôt nous occuper des personnes handicapées et des personnes âgées. Vous qui êtes membres de la commission des affaires sociales, vous savez très bien que c’est un sujet sur lequel on se retrouve tous et que l’on ne néglige pas.
Mme Cécile Cukierman. Quel rapport avec ce texte ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Demandez à M. Jacquin pourquoi il m’a interpellée à ce sujet !
Vous soutenez que les Français sont avec les grévistes.
M. Fabien Gay. Bien sûr !
M. Bruno Sido. C’est faux !
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Pour ma part, je ne sais pas. Certes, au mois de janvier, je n’ai pas beaucoup entendu parler des grèves, parce que, dans le département rural dont je suis élue, tout le monde prend sa voiture, sauf ceux qui vivent dans les villes et qui prennent habituellement le train pour aller travailler à Paris ; ceux-là sont très gênés. Tout dépend donc de celui à qui l’on s’adresse et des questions que l’on lui pose. Chacun peut donc avoir ses arguments.
Par ce texte, je le répète, nous entendons répondre aux besoins essentiels de la population par un service public continu. Il s’agit non pas d’empêcher de faire grève, mais d’empêcher de faire grève tout le temps et au moment où l’on a besoin des services publics.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 17 et 26.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 36, présenté par Mme Gruny, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Remplacer les mots :
troisième à sixième phrases
par les mots :
deuxième à dernière phrases du deuxième alinéa
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, visant à corriger une erreur de référence.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 3 rectifié quater est présenté par MM. Guerriau, Decool, Malhuret, Menonville, A. Marc, Chasseing, Laufoaulu et Wattebled, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Canevet, Mayet et Longeot, Mme Dumas, M. Danesi, Mme Sollogoub, MM. Mizzon et Saury, Mmes Ramond et F. Gerbaud, M. Bouloux, Mme Saint-Pé, M. Joyandet et Mme Goy-Chavent.
L’amendement n° 7 est présenté par M. Masson et Mmes Kauffmann et Herzog.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 16
Remplacer les mots :
n’a pas permis, pendant une durée de trois jours consécutifs,
par les mots :
ne permet pas
La parole est à M. Joël Guerriau, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié quater.
M. Joël Guerriau. Pourquoi prévoir un délai de carence, dès lors que le besoin de la population est reconnu comme essentiel et que l’on constate la difficulté à y répondre ? Il nous paraît nécessaire de pouvoir agir immédiatement par la réquisition. Dans la mesure où, grâce au préavis de quarante-huit heures, la grève est connue par avance, on peut mesurer si les besoins essentiels de la population seront satisfaits.
Par ailleurs, cette proposition de loi prévoit que le salarié est informé de sa réquisition vingt-quatre heures à l’avance.
Cet amendement vise donc à supprimer le délai de carence.
Mme la présidente. L’amendement n° 7 n’est pas soutenu, de même que les amendements nos 8 et 9.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. En commission, nous avons eu une discussion à ce sujet. Certains ont demandé la suppression des jours de carence, dans la mesure où existent déjà le délai pour l’alarme sociale, les quarante-huit heures pour se mettre en grève et les vingt-quatre heures pour la réquisition. La commission a souhaité établir une certaine proportionnalité entre le droit de grève, dont nous débattons aujourd’hui, et la réquisition.
Pendant ce délai de trois jours, les usagers arrivent souvent soit à prendre des jours de congé, soit à s’organiser pour ne pas être trop pénalisés. C’est la raison pour laquelle la commission a conservé ce délai de trois jours, même si elle comprend le sens de cet amendement et votre position, monsieur Guerriau.
La commission a donc émis un avis défavorable sur l’amendement n° 3 rectifié ter.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Le Gouvernement constate que le Conseil d’État s’est fondé à plusieurs reprises et de façon assez constante sur la durée du mouvement pour juger de la validité d’une réquisition et, dès lors, supprimer tout délai qui serait de nature à fragiliser juridiquement le dispositif.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Permettez-moi maintenant de répondre à quelques questions qui ont été posées. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.) Vous serez frustrés sinon ! (Mêmes mouvements.)
Mme Cécile Cukierman. On a cru que le Gouvernement faisait grève !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Jamais, madame la sénatrice ! (Sourires.)
Tout d’abord, vous décrivez un paysage social assez monolithique, qui ne ressemble pas à ce que j’ai pu vivre au contact des syndicats.
Vous décrivez des syndicats qui seraient unanimement contre la réforme des retraites. J’ai eu affaire à des syndicats qui, pour partie, pratiquaient ce qu’ils ont qualifié eux-mêmes de « réformisme combatif » : sans être des partenaires, ils ont fait montre d’une exigence dans le dialogue social.
M. Fabien Gay. Nous aussi !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Ils ont permis d’inscrire des garanties fortes et ont parfois annoncé des trêves dans le mouvement, de manière à avoir le temps de transmettre les différentes modalités qui avaient été négociées.
Par ailleurs, certains syndicats ou plutôt des organisations ont adopté la posture d’un syndicalisme plus politique,…
M. Fabien Gay. Pourquoi politique ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. … et qui ont répondu aux appels des centrales confédérales.
Je vous livre ce que j’ai vécu au ministère. Cela me semble différent du paysage que vous décrivez, qui me paraît un peu trop figé et non conforme à la réalité.
Par ailleurs, vous avez parfaitement raison de dire que le droit de grève, c’est l’exercice du rapport de force. Reste que cela doit se faire dans le respect du droit. Cela n’implique pas, par exemple, un droit de retrait abusif ou des pressions sur des collègues.
M. Fabien Gay. C’est faux !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Je vous rappelle que des procédures disciplinaires sont en cours, qui sont particulièrement graves.
Cela n’implique pas non plus l’atteinte à l’outil de production.
M. Fabien Gay. De la part des salariés ? Jamais ils ne portent atteinte à leur outil de production !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. C’est pleinement le rapport de force dans le cadre de la loi.
J’en viens aux primes, monsieur Gay, puisque vous avez évoqué le sujet. Sur cette question, j’ai pris position.
M. Fabien Gay. Donc, vous assumez !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Ces primes sont des décisions de gestion prises par les cadres ou de proximité, en cas de surcroît de travail temporaire. Elles s’appliquent à des agents qui sont sur place, qui travaillent, qui ont à faire face à des situations difficiles. Ils ont été gratifiés à l’occasion de ce mouvement de grève, comme ils le sont par exemple en cas de gestion d’intempéries, d’incident ou d’accident grave.
M. Fabien Gay. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Ce sont des mesures de gestion classique, qui ne sont ni générales ni absolues et qui correspondent à des nécessités de service. Je précise d’ailleurs qu’elles ne sont pas coordonnées avec le Gouvernement, mais qu’elles relèvent pleinement de la gestion classique.
M. Fabien Gay. Donc, vous assumez !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Je l’ai dit, monsieur Gay, aucune entreprise en France, qu’elle soit publique ou privée, ne gratifie pas ou ne rémunère pas des agents qui sont en poste et qui subissent des conditions de travail compliquées ou des surcroîts de travail temporaires.
M. Fabien Gay. Vous allez perdre sur ce point !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Sur les feuilles de paie, il est évident, et c’est d’ailleurs le message que nous avons passé aux DRH des entreprises SNCF et RATP, qu’il faut un traitement social au cas par cas.
M. Fabien Gay. On le sait !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Écoutez-moi : soit je vous fais part de la réalité de ce qui est vécu dans les entreprises, soit vous avez une idée préconçue de ce qui existe sans peut-être bien le connaître.
M. Fabien Gay. Pas préconçue !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Enfin, madame Rossignol, je réponds à votre question. Le Gouvernement souhaite comprendre comment le dispositif peut être sécurisé sur le plan juridique. Il est clair que, sur la base de ce qu’il est possible de faire en droit, il se déterminera et viendra vous expliquer la décision qu’il aura prise.
Mme Laurence Rossignol. Le droit, il se fait ici, monsieur le secrétaire d’État !
Mme la présidente. Monsieur Guerriau, l’amendement n° 3 rectifié quater est-il maintenu ?
M. Joël Guerriau. D’une part, selon le Gouvernement, ce qui peut justifier une réquisition, c’est la durée ; d’autre part, selon Mme la rapporteure, le délai de trois jours peut être considéré comme raisonnable et des solutions palliatives peuvent être trouvées.
Au regard de ces réponses, je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié quater est retiré.
L’amendement n° 12 rectifié, présenté par Mmes Vullien et Guidez, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 16
Remplacer les mots :
l’autorité organisatrice de transports enjoint à l’entreprise de transports de requérir
par les mots :
le représentant de l’État dans le département, saisi à cette fin par l’autorité organisatrice de transports, requiert
II. – Alinéa 17
Remplacer le mot :
décision
par le mot :
demande
III. – Alinéa 18
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Michèle Vullien.
Mme Michèle Vullien. Même si je partage les objectifs des auteurs de cette proposition de loi, laquelle vise à garantir à nos concitoyens un service minimum de transport lors des périodes de grève – nous en avons largement débattu –, il ne me semble pas pertinent de permettre à l’entreprise de transport de se substituer à l’État et aux forces de l’ordre pour réquisitionner une partie de son personnel. En outre, le texte n’est pas clair s’agissant des régies.
Assurer l’ordre public et faire appliquer les lois sont des missions relevant de l’État et de ses représentants dans les départements.
Cet amendement vise à garantir un dialogue social serein au sein de l’entreprise de transport, dialogue qui serait inévitablement rompu si cette dernière devait réquisitionner elle-même son personnel. Mieux vaut se mettre autour de la table pour discuter, plutôt que de voter une énième loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. L’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales permet déjà au préfet de réquisitionner tout service ou tout bien et de requérir toute personne pour assurer l’ordre public. Or ces dispositions n’ont à ma connaissance jamais été utilisées en matière de transports. C’est pourquoi il nous est apparu nécessaire de trouver une autre solution.
L’entreprise de transports, qui doit définir en amont des plans de prévisibilité, nous semble être davantage en mesure de connaître les besoins du service et les salariés qu’il lui faut réquisitionner.
Mme Michèle Vullien. Bien sûr que non !
Mme Pascale Gruny, rapporteur. La commission a donc émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Avis défavorable, pour les mêmes raisons qu’a développées Mme la rapporteure.
Mme la présidente. Les amendements nos 10 et 11 ne sont pas soutenus.
Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
(Supprimé)
Article 5
L’article L. 1222-9 du code des transports est ainsi modifié :
1° Sont ajoutés les mots : « ainsi que des éventuelles difficultés qu’elle anticipe dans la mise en œuvre du plan de transport adapté prévu par l’article L. 1222-4 » ;
2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu’une organisation syndicale représentative lui notifie qu’elle envisage de déposer un préavis de grève, l’entreprise de transport tient l’autorité organisatrice de transports informée de l’évolution de la négociation préalable prévue à l’article L. 1324-2.
« En cas de dépôt d’un préavis de grève, l’entreprise de transport tient l’autorité organisatrice de transports informée de l’évolution de la négociation prévue par l’article L. 2512-2 du code du travail. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 18 est présenté par Mme Rossignol, MM. Jacquin et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 27 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Olivier Jacquin, pour présenter l’amendement n° 18.
M. Olivier Jacquin. Cet amendement de suppression tend à s’inscrire dans la continuité des amendements précédents, que nous avons déposés pour signifier notre hostilité à cette nouvelle tentative de restreindre le droit de grève dans les transports.
En effet, c’est bien d’une nouvelle attaque contre le droit de grève qu’il s’agit. En outre, on stigmatise une fois de plus les salariés des transports publics, en particulier les cheminots et les chauffeurs de bus, dont les conditions de travail sont particulièrement pénibles, car ils travaillent régulièrement le samedi et le dimanche, les soirs ou les nuits.
Je rappelle que les chauffeurs de bus en Île-de-France sont régulièrement confrontés à des incivilités et à des violences. On comprend donc qu’ils puissent être attachés à leur statut et à leur régime spécial de retraites, qui peuvent être vus comme des compensations légitimes eu égard à la pénibilité de leur métier.
Pourquoi, selon vous, la RATP a-t-elle autant de mal à recruter des chauffeurs de bus, si ce n’est en raison de la pénibilité de ce métier ?
Pensez-vous qu’il soit opportun d’examiner une telle proposition de loi après un conflit aussi dur, aussi long – sans doute d’ailleurs n’est-il pas fini – que celui que nous venons de connaître ?
Pensez-vous qu’il soit opportun, face aux revendications portées par les cheminots, par le personnel de la RATP et par tous ceux qui se sont mobilisés, de faire voter des dispositions permettant de réquisitionner des grévistes, de supprimer certaines formes de grèves, d’obliger les salariés à faire grève pendant la totalité de leur service ?
Est-ce ainsi que vous répondez à ces salariés grévistes, légitimement inquiets pour leur avenir ?
Votre proposition de loi relève du pur opportunisme politique. Nous nous opposons à cette nouvelle attaque contre le droit de grève. Ce n’est pas sérieux !
Il n’y a pas que les salariés des transports publics qui se sont mis en grève ; de nombreux autres secteurs d’activité sont aujourd’hui touchés par des mouvements de grève. Ces salariés sont eux aussi inquiets pour l’avenir de leur régime de retraite, pour eux et pour leurs enfants.
Si vous stigmatisez les cheminots et les chauffeurs de bus, c’est parce que les désagréments qu’ils causent aux usagers sont sans doute plus visibles que dans d’autres secteurs et que vous jouez sur l’exaspération de certains de nos concitoyens.
Ce n’est pas à la hauteur de la situation actuelle et de la grogne sociale qui monte, alors que de nombreux salariés, dans de multiples secteurs d’activité, se sont mis en grève ces derniers mois. Ils sont inquiets, alors que les inégalités sociales ne cessent de croître et que les mesures du Gouvernement participent d’un mouvement de régression sociale.
Stigmatiser les salariés du secteur des transports publics n’est vraiment pas acceptable. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 27.
Mme Céline Brulin. Nous proposons nous aussi la suppression de cet article, pour les raisons qui viennent d’être évoquées, auxquelles j’en ajouterai d’autres. J’aimerais en outre avoir quelques éclaircissements.
Si l’on peut savoir où en sont les négociations entre une entreprise de transport et ses salariés, si l’on peut concevoir que cette entreprise puisse informer l’autorité organisatrice de transports de l’avancée ou non de ces négociations, au moment du préavis ou pendant la grève, ce n’est pas le cas dans la situation que nous connaissons aujourd’hui.
Dans le cas où les salariés des entreprises de transport seraient en grève contre une réforme gouvernementale, comme la réforme des retraites aujourd’hui, comment l’entreprise de bus délégataire d’une communauté d’agglomération, par exemple, fera-t-elle pour informer l’agglomération en question de l’avancée des négociations entre les syndicats et l’État, afin de lui permettre de mettre en œuvre le service minimum et de procéder aux réquisitions ?
Je serais curieuse de savoir comment les choses vont se passer concrètement ! Je crains que ces dispositions ne soient une véritable usine à gaz, impossible à mettre en œuvre. Ce n’est pas un cadeau empoisonné qui est fait aux collectivités, c’est carrément une double peine qui leur est infligée !
Le plus sage serait de supprimer cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. L’autorité organisatrice de transports sera bien entendu informée au cours de la négociation, pas au cours de la grève elle-même, sauf si une nouvelle négociation a lieu.
Mme Céline Brulin. Elle sera informée au cours des négociations ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Il s’agit juste de dire si une négociation est toujours en cours ou s’il n’a pas été possible de parvenir à un accord.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. C’est un avis de sagesse, madame la présidente, pour les mêmes raisons que sur l’article 1er.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 18 et 27.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Article 6
La section 3 du chapitre II du titre II du livre II de la première partie du code des transports est ainsi modifiée :
1° L’article L. 1222-11 est ainsi modifié :
a) Après la première phrase du premier alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée : « En cas de grève, l’entreprise est considérée comme directement responsable du défaut d’exécution si elle ne s’est pas conformée à l’injonction formulée par l’autorité organisatrice de transports en application de l’article L. 1222-7-1. » ;
b) (Supprimé)
2° L’article L. 1222-12 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « ou à l’échange » sont supprimés ;
b) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le paiement de l’abonnement ou du titre de transport a été effectué par voie dématérialisée, le remboursement est effectué, sans qu’il puisse être exigé de l’usager qu’il en fasse la demande, par la même voie et dans un délai de sept jours. » ;
c) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un usager a effectué une réservation composée de plusieurs trajets, l’annulation de l’un de ces trajets ouvre droit à sa demande, au remboursement des autres trajets s’ils n’ont pas été effectués par l’usager. » ;
d) (Supprimé)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 19 est présenté par Mme Rossignol, MM. Jacquin et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 28 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Olivier Jacquin, pour présenter l’amendement n° 19.
M. Olivier Jacquin. Nous souhaitons la suppression de cet article, qui vise à renforcer les droits des usagers en matière de remboursement en cas d’annulation du voyage en raison d’une grève.
Si nous pouvons entendre certains des arguments qui sont avancés, nous l’avons dit lors de la discussion générale, nous ne voulons pas entrer dans une discussion sur ce sujet dans le cadre de ce véhicule législatif, dont l’objet est tout autre sur le fond.
Il s’agit ici d’attaquer le droit de grève, sous prétexte d’améliorer la situation pour les usagers. Nous sommes tout à fait prêts à travailler sur cette question, mais dans un cadre plus serein et plus apaisé pour le lien social dans notre pays.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 28.
M. Fabien Gay. Mes arguments sont les mêmes que ceux de notre collègue Olivier Jacquin.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu ce que vous avez dit concernant le paiement de primes aux personnels non grévistes. Vous assumez ; c’est un choix. Je rappelle tout de même que cette pratique est illégale et discriminatoire.
Selon l’article L. 2511-1 du code du travail (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), l’exercice du droit de grève « ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire […], notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux. »
Vous savez que, conformément à la jurisprudence, la Cour de cassation donnera raison aux grévistes sur cette question.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Fabien Gay. On peut donc débattre de la réponse que vous nous avez faite tout à l’heure.
Vous essayez d’opposer les usagers aux grévistes. Vous dites prendre à cœur la question des petites gares, des petites lignes, mais on vous l’avait bien dit qu’il ne fallait pas voter le pacte ferroviaire !
Je vous ai entendu dire ce matin, monsieur le secrétaire d’État, je ne sais plus si c’était à la radio ou à la télévision, que vous alliez rouvrir des petites lignes, peut-être d’ailleurs même avant les élections municipales. (Sourires.) Ça a fait rire tout le monde !
Pour répondre à Mme la rapporteure, nous n’avons certes pas le monopole du cœur, mais si vous voulez défendre, comme vous ne cessez de le dire depuis tout à l’heure, les petites gens, les salariés et la classe laborieuse, alors débattons de l’augmentation du SMIC et entamons des négociations dans les branches professionnelles pour revaloriser les salaires, parce que c’est ce qu’attendent les gens aujourd’hui. Nous pourrions débattre ensemble de ces sujets.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression de l’article, ce dernier prévoyant le remboursement des titres de transport en cas de grève. J’ajoute que je ne vois pas le rapport entre le texte et les sujets que M. Gay vient d’évoquer.
Mme Cécile Cukierman. Quand on cherche, on trouve !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. C’est toujours un avis de sagesse, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 19 et 28.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 13 rectifié, présenté par Mmes Vullien et Guidez, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Michèle Vullien.
Mme Michèle Vullien. Il faut définir précisément à quel moment les préfets doivent intervenir et dans quelles conditions, notamment quand il y a trouble à l’ordre public.
Pendant plus d’un mois, des gens n’ont pas pu se déplacer et aller travailler. Vous vouliez des exemples, permettez-moi d’évoquer celui d’une jeune femme qui travaille dans un hôtel, où elle doit être à six heures et demie tous les matins : pendant les grèves, cette personne faisait 17 kilomètres à pied par jour ! Il s’agit là d’un trouble à l’ordre public.
Dans ce genre de situation, les préfets doivent avoir le courage d’intervenir. S’ils ne le font pas, l’État doit les y obliger. Ce n’est pas aux autorités organisatrices d’intervenir auprès de leur déléguant. Au reste, comment procéder en cas de régie ?
Il faut laisser le pouvoir régalien exercer les missions régaliennes.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Michèle Vullien. Je regrette que vous ne m’ayez pas suivie tout à l’heure, mes chers collègues. Je le répète : le régalien doit s’occuper du régalien, ce n’est pas au secteur privé de le faire.
Cela étant, je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 13 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 6.
(L’article 6 est adopté.)
Article additionnel après l’article 6
Mme la présidente. L’amendement n° 35 rectifié, présenté par M. Karoutchi, Mmes Canayer et L. Darcos, M. Pemezec, Mmes Dumas, Deromedi et Micouleau, MM. Bascher et Sol, Mmes Noël et Troendlé, MM. Cambon et Gremillet, Mme Raimond-Pavero, MM. Lefèvre, B. Fournier, Vogel et Saury, Mme Procaccia, M. Sido, Mme M. Mercier, MM. Charon et Houpert, Mme Imbert et MM. Kennel, Bonhomme et Paccaud, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 1222-11 du code des transports, il est inséré un article L. 1222-11-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1222-11-… – En cas de défaut d’exécution dans la mise en œuvre du service garanti prévu à l’article L. 1222-1-2, l’autorité organisatrice de mobilité impose à l’entreprise de transport, quand celle-ci est directement responsable du défaut d’exécution, un remboursement total des titres de transport aux usagers en fonction de la durée d’inexécution des plans. La charge de ce remboursement ne peut être supportée directement par l’autorité organisatrice de mobilité.
« L’autorité organisatrice de mobilité détermine par convention avec l’entreprise de transport les modalités pratiques de ce remboursement selon les catégories d’usagers. »
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement est d’une simplicité biblique : il tend à prévoir que, si le service minimum n’est pas mis en œuvre lors d’une grève prolongée, l’autorité organisatrice peut imposer à l’entreprise de transport, ou aux entreprises de transport s’il y en a plusieurs dans la région, de rembourser les usagers au prorata de la durée du non-service ou de proroger les abonnements.
C’est déjà le cas aujourd’hui, mais une négociation est nécessaire entre l’autorité organisatrice et les entreprises de transport, lesquelles peuvent très bien refuser de rembourser les usagers ou n’accepter qu’un remboursement partiel.
Dès lors que l’autorité organisatrice est chargée de l’ensemble des transports publics dans la région ou dans un secteur donné, il est normal que ce soit elle qui demande à l’entreprise de transport de rembourser les usagers ou de proroger leur abonnement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Mon cher collègue, votre amendement tend à prévoir un remboursement des usagers lorsque l’entreprise de transport n’a pas assuré le niveau minimal défini par l’autorité organisatrice de transports.
Or un tel remboursement est d’ores et déjà prévu aujourd’hui, lorsque le plan de transport adapté n’a pas été respecté. Si cette disposition n’est pas appliquée, comme vous le dites, c’est parce que l’AOT ne la met pas en œuvre.
Cet amendement me paraît satisfait. La commission en demande donc le retrait ; à défaut elle émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Dans le droit fil de ce que vient de dire Mme la rapporteure, je rappelle que le code des transports prévoit déjà des plans de transport à l’article L. 1222-4, lesquels définissent des niveaux de service minimum.
Par ailleurs, si ces plans de transport ne sont pas respectés, l’article L. 1222-11 prévoit un remboursement total des titres de transport aux usagers pendant la période de non-respect.
Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Karoutchi, l’amendement n° 35 rectifié est-il maintenu ?
M. Roger Karoutchi. C’est comme pour tout : il y a les textes, et il y a la vraie vie ! (Sourires.)
J’ai le souvenir ému du président Huchon, qui ne cessait de me dire, lorsqu’il était à la fois président du Syndicat des transports d’Île-de-France et président de la région, qu’il passait plus de temps à demander à la SNCF ou à la RATP à quel moment elles allaient déclencher le système, si elles étaient d’accord ou non sur le nombre de jours ou de semaines de grèves, etc.
En fait, il est aberrant de demander aux entreprises de transport de définir elles-mêmes le nombre de jours de grève qu’elles sont prêtes à rembourser. Elles ont évidemment intérêt à fixer un nombre de jours minimal,…
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Roger Karoutchi. … car ce sont elles qui remboursent les usagers ou prorogent la durée des abonnements.
Il semble préférable de laisser l’autorité organisatrice, qui a d’ailleurs signé des conventions avec les entreprises de transport à cet égard et qui gère l’ensemble des budgets des transports de la région, définir la durée.
Il est aberrant de demander à l’entreprise elle-même de fixer le nombre de jours qu’elle va rembourser ! Elle n’effectuera jamais le même calcul que l’autorité organisatrice de transports. Les usagers et l’ensemble des syndicats, que ce soit au STIF ou ailleurs, peuvent, eux, très clairement définir la durée de remboursement ou de prorogation de l’abonnement. Il me paraît beaucoup plus raisonnable de confier cette mission à l’autorité organisatrice.
Je maintiens donc mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 35 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 7
À la seconde phrase de l’article L. 2121-9-1 du code des transports, après le mot : « correspondance, », sont insérés les mots : « la définition du niveau minimal de service mentionné à l’article L. 1222-1-2, ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 20 est présenté par Mme Rossignol, MM. Jacquin et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 29 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Olivier Jacquin, pour présenter l’amendement n° 20.
M. Olivier Jacquin. Cet amendement est quasiment défendu par les arguments que j’ai avancés pour présenter l’amendement n° 19.
Il est intéressant d’associer les comités de suivi des dessertes, mais nous ne voulons pas jouer à ce jeu-là dans ce texte-là. Nous demandons donc la suppression de l’article 7.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 29.
Mme Michelle Gréaume. Cet article prévoit la consultation des comités de suivi des dessertes, comme vient de le dire mon collègue, sur les mesures envisagées dans le cadre de la mise en œuvre du service minimum garanti, particulièrement sur les différents niveaux de service à assurer en cas de perturbations.
Ces comités associent aujourd’hui les représentants des usagers, des personnes handicapées et des élus locaux. Ils sont utiles pour améliorer le service public des transports, notamment ferroviaires, pour garantir une réelle présence territoriale et pour lutter contre les velléités de rétraction du réseau sur les axes rentables évoqués dans le rapport Spinetta, lequel, je le rappelle, suggérait la suppression de 9 000 kilomètres de lignes.
Ces comités ont en effet vocation à être consultés sur « la politique de desserte et l’articulation avec les dessertes du même mode en correspondance, les tarifs, l’information des voyageurs, l’intermodalité, la qualité de service, la performance énergétique et écologique et la définition des caractéristiques des matériels affectés à la réalisation des services ».
Mes chers collègues, nous ne pouvons accepter que ces comités deviennent des outils de restriction du droit de grève et que leur rôle soit ainsi détourné.
Les comités d’usagers ont leur mot à dire sur l’exécution et le niveau de qualité du service public, ainsi que sur les réponses apportées aux besoins. En revanche, ils n’ont pas leur mot à dire sur l’exercice d’un droit constitutionnel par les salariés des entreprises chargées de ces missions de service public. Ils n’ont pas à intervenir sur la définition des services dits « essentiels » et « inessentiels » en temps de grève. Il ne leur appartient pas de faire de la conciliation.
Pour ces raisons, nous demandons la suppression de cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Nos collègues demandant par cohérence la suppression de tous les articles, nous émettons par cohérence un avis défavorable sur tous ces amendements de suppression.
Cet article prévoit juste la consultation des comités de suivi des dessertes, qui ne seront pas appelés à prendre des décisions concernant le service minimal.
J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 20 et 29.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 7.
(L’article 7 est adopté.)
Article 8
I. – Le chapitre IV du titre Ier du livre Ier de la première partie du code des transports est ainsi modifié :
1° À l’intitulé, les mots : « au droit à l’information » sont remplacés par les mots : « aux droits » ;
2° La section II est complétée par un article L. 1114-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1114-2-1. – Les entreprises, établissements ou parties d’établissement au sein desquels a été déposé un préavis de grève en informent immédiatement les représentants de l’État des départements concernés. Ils les tiennent informés de l’évolution des négociations prévues à l’article L. 2512-2 du code du travail. » ;
2° bis (nouveau) Après le mot « pour », la fin de la première phrase du sixième alinéa de l’article L. 1114-3 est ainsi rédigée : « permettre l’organisation de l’activité aérienne assurée mentionnée à l’article L. 1114-7. » ;
3° Après la section 3, est insérée une section 3 bis ainsi rédigée :
« Section 3 bis
« Garantie de la continuité du service public en cas de grève
« Art. L. 1114-6-1. – Lorsque, en raison d’un mouvement de grève dans une ou plusieurs entreprises ou établissements mentionnés à l’article L. 1114-1, le niveau minimal prévu à l’article L. 6412-6-1 n’a pas pu être assuré pendant une durée de trois jours, le ministre enjoint aux entreprises ou établissements concernés de requérir les personnels nécessaires pour en assurer l’exécution.
« L’entreprise ou l’établissement est tenu de se conformer à l’injonction de l’autorité organisatrice de transports dans un délai de vingt-quatre heures.
« Les personnels requis en application du présent article en sont informés au plus tard vingt-quatre heures avant l’heure à laquelle ils sont tenus de se trouver à leur poste.
« Est passible d’une sanction disciplinaire le salarié requis en application du présent article qui ne se conforme pas à l’ordre de son employeur. » ;
II. – Après l’article L. 6412-6 du code des transports, il est inséré un article L. 6412-6-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 6412-6-1. – Le ministre chargé de l’aviation civile peut décider, sur proposition de collectivités territoriales ou d’autres personnes publiques intéressées et sous réserve des compétences spécifiques attribuées à certaines d’entre elles, d’imposer des obligations de service public sur des services aériens réguliers dans les conditions définies à l’article 16 du règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008.
« Dans ce cas, le ministre définit d’une part les obligations de service public et d’autre part le niveau minimal de service correspondant à la couverture des besoins essentiels de la population. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 21 est présenté par Mme Rossignol, MM. Jacquin et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 30 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Olivier Jacquin, pour présenter l’amendement n° 21.
M. Olivier Jacquin. Cet article est assez sensible, puisqu’il prévoit d’étendre au transport aérien de passagers les dispositions relatives au service minimal garanti, et, partant, à la réquisition de personnels.
On peut saluer le travail de la commission, qui a bien perçu que l’extension de ces dispositions à l’ensemble des lignes aériennes en France présentait un risque constitutionnel considérable, et qui a réduit leur application aux seules lignes faisant l’objet d’une obligation de service public. Le risque, sans cela, était que cette disposition ne passe à la trappe.
Cet article ne s’applique donc plus qu’à une dizaine de lignes, sur les cent lignes initialement concernées. Franchement, il est réduit à très peu de choses. Nous ne nous attarderons pas sur cette extension des possibilités de réquisition : vous savez ce que nous en pensons.
Nous demandons donc la suppression de l’article 8.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 30.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous demandons également la suppression de cet article, qui prévoit d’étendre les dispositions relatives au service garanti, donc la possibilité de réquisitionner des personnels grévistes, aux lignes de transport aérien placées sous obligations de service public.
Je rappelle que la loi sur le service minimum dans les transports terrestres de voyageurs ne s’applique pas au secteur aérien, et ce pour une raison évidente : la plupart des lignes aériennes ont été libéralisées et n’assurent plus de mission de service public !
Le texte, modifié en commission par un amendement de Mme la rapporteure, a certes circonscrit l’application des dispositions de l’article 8 aux personnels travaillant sur des lignes aériennes soumises à des obligations de service public.
Néanmoins, le même amendement vise à autoriser toutes les entreprises de transport aérien – y compris celles qui ne sont pas soumises à obligations de service public – à utiliser l’obligation de déclaration d’intention de faire grève des salariés de ce secteur pour réorganiser le service.
La loi Diard de 2012 est pourtant très claire sur ce sujet : cette déclaration vise simplement à permettre l’information des passagers dans le cas où leur vol serait annulé. Cette information ne peut être utilisée pour réorganiser le service, comme l’a d’ailleurs précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 12 octobre 2017.
Enfin, mes chers collègues, comment ne pas relever votre manque de cohérence politique ? Vous donnez compétence au ministre chargé de l’aviation civile d’imposer, sur proposition des collectivités territoriales, une obligation de service public sur certaines lignes aériennes régulières, et cela uniquement pour appliquer vos dispositions portant atteinte au droit de grève dans les transports. Votre défense du service public est décidément à géométrie variable !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. L’avis sera défavorable, notre objectif étant bien entendu de répondre aux besoins de la population en termes de transport.
L’article concerne les douze lignes pour lesquelles il n’existe pas d’alternative en termes de transport, le risque étant, pour les populations concernées, de ne plus pouvoir sortir du tout de leur ville ou de leur département.
Quant aux déclarations individuelles, elles nous ont été demandées lors des auditions auxquelles nous avons procédé.
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 21 et 30.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié quater, présenté par MM. Guerriau, Decool, Malhuret, Menonville, A. Marc et Laufoaulu, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Chasseing, Wattebled, Canevet, Longeot, Mizzon et Danesi, Mmes F. Gerbaud et Dumas, M. Saury, Mme Ramond, MM. Bouloux et Joyandet, Mmes Saint-Pé, Sollogoub et Goy-Chavent et M. Mayet, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Remplacer les mots :
n’a pas pu être assuré pendant une durée de trois jours
par les mots :
ne peut pas être assuré
La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. La problématique ici étant la même qu’à l’article 3, qui portait sur le délai de carence et sur lequel nous avons obtenu une réponse, je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié quater est retiré.
L’amendement n° 14 rectifié, présenté par Mmes Vullien et Guidez, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 9
Remplacer les mots :
le ministre enjoint aux entreprises ou établissements concernés de requérir
par les mots :
le représentant de l’État dans le département requiert
II. – Alinéas 10 et 12
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Michèle Vullien.
Mme Michèle Vullien. Même motif, même punition : je vais le retirer.
Je profite néanmoins du temps qui m’est imparti pour dire que je m’abstiendrai lors du vote sur l’ensemble de cette proposition de loi, que nous ne pouvons pas voter en l’état, car elle mérite d’être complètement remise à plat.
Je retire donc cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 14 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 8.
(L’article 8 est adopté.)
Article additionnel après l’article 8
Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié quater, présenté par MM. Guerriau, Decool, Malhuret, Menonville, A. Marc, Wattebled, Laufoaulu et Lagourgue, Mme Mélot, M. Chasseing, Mme Guidez, MM. Canevet, Longeot, Danesi, Gabouty et Mizzon, Mmes F. Gerbaud et Dumas, M. Saury, Mmes Saint-Pé et Ramond, MM. Bouloux et Joyandet, Mmes Sollogoub et Goy-Chavent et M. Mayet, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 1er de la loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984 abrogeant certaines dispositions des lois n° 64-650 du 2 juillet 1964 relative à certains personnels de la navigation aérienne et n° 71-458 du 17 juin 1971 relative à certains personnels de l’aviation civile, et relative à l’exercice du droit de grève dans les services de la navigation aérienne, il est inséré un article 1er bis ainsi rédigé :
« Art. 1er bis. – En cas de grève et pendant toute la durée du mouvement, les personnels des services de la navigation aérienne qui assurent des fonctions de contrôle, d’information de vol et d’alerte et qui concourent directement à l’activité du transport aérien de passagers informent leur chef de service ou la personne désignée par lui de leur intention d’y participer, de renoncer à y participer ou de reprendre leur service, dans les conditions prévues aux trois premiers alinéas de l’article L. 1114-3 du code des transports. En cas de manquement à cette obligation, ces personnels sont passibles d’une sanction disciplinaire dans les conditions prévues à l’article L. 1114-4 du même code.
« Les informations issues des déclarations individuelles des agents ne peuvent être utilisées que pour l’organisation du service durant la grève. Elles sont couvertes par le secret professionnel. Leur utilisation à d’autres fins ou leur communication à toute personne autre que celles désignées par l’employeur comme étant chargées de l’organisation du service est passible des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal. »
La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Aujourd’hui, alors que le personnel navigant est tenu de déposer un préavis de grève quarante-huit heures à l’avance, les personnels de contrôle, eux, ne sont soumis à aucune obligation à cet égard. Or les obligations doivent être les mêmes pour les uns et pour les autres.
C’est d’autant plus nécessaire qu’il suffit de quelques grévistes parmi les 4 000 contrôleurs aériens que compte la France pour en arriver à des situations indescriptibles. C’est non pas le contrôle aérien qui est alors touché en tant que tel, mais les compagnies aériennes, qui, elles, n’y sont évidemment pour rien.
Dans près d’un cas sur deux, ces grèves ne sont pas motivées par des revendications des contrôleurs ; il s’agit de grèves par solidarité, pour des motifs qui ne concernent pas leurs propres services.
Ces grèves ont un coût très élevé pour les compagnies aériennes, qui se trouvent déséquilibrées. Il est ainsi arrivé que Hop et Air France enregistrent 10 millions d’euros de pertes en une journée de grève.
Ce n’est pas rien connaissant les difficultés que connaît Air France, qui plus est dans un secteur concurrentiel. Je rappelle que, aujourd’hui, la marge d’Air France est égale à zéro. Pourtant, elle porte le drapeau France. Nous devons être extrêmement vigilants pour ne pas l’affaiblir davantage. Bien au contraire, nous devons faire en sorte qu’elle puisse se trouver dans une situation plus confortable que celle qu’elle a pu connaître dans le passé, eu égard aux grèves qu’elle ne peut anticiper.
Il serait juste d’imposer un préavis de quarante-huit heures aux contrôleurs aériens en cas de grève.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Cet amendement tend à s’inscrire tout à fait dans l’esprit de la proposition de loi. Il s’agit de mettre en œuvre une meilleure organisation afin de répondre aux besoins et aux attentes des passagers aériens.
La commission a donc émis un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Il existe déjà un service minimum pour le contrôle aérien ; il prévoit notamment un dispositif d’astreintes. En outre, une extension du service minimum aurait nécessité une concertation préalable, ce qui n’a pas été le cas.
Par conséquent, le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement, faute de quoi son avis serait défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. Je regrette la position du Gouvernement, qui connaît pourtant les difficultés dans lesquelles les compagnies aériennes sont placées du fait de la situation actuelle. À mon sens, la « marque France » – je pense notamment à notre principale compagnie aérienne – doit impérativement être défendue.
Rien ne justifie que l’on autorise l’absence de dépôt de préavis sous prétexte qu’il existe déjà des possibilités de réquisition. C’est incompréhensible !
Songeons aux usagers victimes de la situation. Certains sont déjà à l’aéroport, voire dans l’avion quand ils apprennent que leur vol est annulé pour cause de grève des contrôleurs aériens. Humainement, c’est une catastrophe !
Les passagers qui voyagent dans le monde en transitant par la France ne comprennent pas ! Je le rappelle, quelque 33 % des retards d’avions en Europe sont liés aux contrôleurs aériens français, et 67 % des journées de grève en matière de contrôle aérien ont lieu en France. Il faut que cela cesse ; l’image donnée par notre pays est catastrophique !
Je ne comprends vraiment pas la position du Gouvernement. Le sujet ressurgira tôt ou tard.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. À l’instar de Mme la rapporteure, je soutiens totalement l’amendement de notre collègue Joël Guerriau. C’est une question de cohérence et de bon sens : il est incompréhensible que certaines catégories socioprofessionnelles soient hors du droit commun !
Je voterai cet amendement, et je suis certain que nombre de collègues feront de même.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Ce ne sera pas notre cas, monsieur Retailleau ! (Sourires.)
Vous refaites le débat que nous avons eu lors de l’examen de votre proposition de loi sur les contrôleurs aériens. Je le rappelle, le texte a été voté et transmis à l’Assemblée nationale au mois de décembre 2018.
Ne cherchez pas à faire croire que les maux du transport aérien seraient liés aux seuls contrôleurs aériens ; c’est totalement réducteur. Je vous donne un chiffre : la durée moyenne de retard causé par un mouvement de grève des contrôleurs aériens est inférieure à cinquante-cinq secondes par vol. C’est sans doute trop, mais cela ne représente pas 33 % des retards ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Compte tenu de ce que nous avons déjà indiqué sur la présente proposition de loi et sa raison d’être, nous ne voterons pas cet amendement tendant à insérer un article additionnel relatif aux contrôleurs aériens.
M. Joël Guerriau. N’importe quoi !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 8.
Article 9 (nouveau)
L’article L. 1324-6 du code des transports est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un préavis déposé dans les conditions prévues à l’article L. 2512-2 du code du travail devient caduc s’il n’a pas donné lieu à la cessation du travail d’au moins un salarié pendant cinq jours. L’employeur constate la caducité du préavis et en informe la ou les organisations syndicales ayant déposé ce préavis. Les déclarations individuelles mentionnées à l’article L. 1324-7 du présent code transmises postérieurement à ce constat ne peuvent produire d’effet. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 22 est présenté par Mme Rossignol, MM. Jacquin et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 31 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Olivier Jacquin, pour présenter l’amendement n° 22.
M. Olivier Jacquin. Les articles 9 et 10, qui ont été ajoutés en commission, constituent clairement une atteinte au droit de grève.
On peut effectivement s’interroger sur la pratique des préavis par certaines organisations syndicales. Mais ce texte n’est pas le bon véhicule pour le faire. Nous demandons donc la suppression de l’article 9.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 31.
Mme Céline Brulin. Nous proposons également la suppression de l’article 9, qui vise à rendre caducs les préavis de grève de longue, voire de très longue durée, au bout de cinq jours en l’absence de grève effective d’au moins un salarié.
Une telle restriction porte une atteinte manifeste au droit de grève. En plus, cela va, me semble-t-il, à rebours des objectifs que vous invoquez.
En effet, les négociations longues qui peuvent être couvertes par ce type de préavis permettent justement d’apporter des solutions à un certain nombre de problèmes. Et l’argument relatif aux « grèves-surprises » ne me paraît pas recevable : les salariés doivent de toute manière déclarer leur intention de faire grève.
En particulier, ceux qui concourent directement à la production doivent prévenir l’entreprise de transports au moins quarante-huit heures plus tôt… Cela laisse le temps de prévoir un plan de transports adapté aux usagers.
Il serait donc, me semble-t-il, raisonnable de supprimer cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. L’article 9 concerne les grèves qui ne s’arrêtent jamais. Vous n’avez que quarante-huit heures pour rejoindre une grève en cours. Certaines grèves restent ouvertes pendant un an, deux ans, voire une durée illimitée.
Nous proposons que le préavis soit déclaré caduc s’il n’y a aucun gréviste pendant cinq jours. Bien entendu, il est toujours possible d’en déposer un nouveau, sachant que cela implique de reprendre l’alarme sociale et la négociation. Nous n’empêchons pas la grève ; simplement, il est normal qu’elle soit annulée si personne ne la fait.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. C’est un véritable sujet. Plusieurs décisions de justice ont mis en lumière la complexité de cette question au plan juridique. La mission que j’ai annoncée dans mon propos liminaire devra permettre de tirer toutes les conséquences en la matière.
Le Gouvernement émet donc un avis de sagesse.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 22 et 31.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 9.
(L’article 9 est adopté.)
Article 10 (nouveau)
Après l’article L. 1324-7 du code des transports, il est inséré un article L. 1324-7-1 ainsi rédigé :
« Art. 1324-7-1. – Lorsque l’exercice du droit de grève en cours de service peut entraîner un risque de désordre manifeste dans l’exécution du service, l’entreprise de transports peut imposer aux salariés ayant déclaré leur intention de participer à la grève dans les conditions prévues à l’article L. 1324-7 d’exercer leur droit dès leur prise de service et jusqu’à son terme. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 23 est présenté par Mme Rossignol, MM. Jacquin et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 32 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Olivier Jacquin, pour présenter l’amendement n° 23.
M. Olivier Jacquin. L’article 10 est nettement plus contestable que l’article 9. J’ai reconnu tout à l’heure que l’on pouvait s’interroger sur d’éventuels abus liés à l’absence de limite au droit de grève. Mais là, vous y allez fort ! Je ne suis pas juriste, mais je ne sais pas ce que dirait le Conseil constitutionnel saisi en cas d’adoption de ce texte…
Le dispositif que vous proposez est grave. Vous voulez conditionner la grève à une durée minimale, pour qu’elle fasse mal aux grévistes et les pénalise fortement. C’est une mesure très dure. De plus, il existe une jurisprudence abondante et plus précise que votre proposition de loi sur les cas où la grève à durée limitée ou la « grève perlée » créent un désordre manifeste.
Au demeurant, l’article 10 concerne les transports soumis à une obligation de service public. Je rappelle que le TGV n’est pas dans ce cas. Votre dispositif s’appliquerait donc aux TER, aux Intercités, aux transports communs urbains, mais pas au TGV ni aux « cars Macron ». Il y a donc des flous importants et des précisions à apporter. Mais l’article porte une forte atteinte au droit de grève.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 32.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous demandons la suppression de l’article 10, qui a été inséré en commission.
Ainsi que M. Jacquin vient de le souligner, cet article permet aux entreprises de transport, à l’instar de ce qui existe désormais pour la fonction publique, d’imposer aux salariés grévistes d’exercer leur droit pendant toute la durée de leur service. Il s’agit ce faisant d’empêcher le recours répété à des grèves de courte durée, qui constitue pourtant l’une des modalités du droit de grève.
Une telle restriction porte une fois de plus une atteinte manifestement disproportionnée au droit de grève.
Aujourd’hui, la réglementation autorise les agents à faire grève sur une période d’une heure ou sur une période de quatre heures, précisément cinquante-neuf minutes pour le premier cas et trois heures cinquante-neuf minutes pour le second. Ces dispositions peuvent s’opérer uniquement à la prise de service de l’agent, et pas en cours de journée de travail.
Cela permet de ne pas trop gêner le service public dans la durée et de ne pas arrêter tout le plan de transports de manière inopinée. L’entreprise est de toute manière avisée dans la même durée de quarante-huit heures, afin d’organiser le service. Le décompte de salaire s’effectuant sur la période en heures de grève réalisées, et non sur une journée de travail complète, cette modalité d’exercice du droit de grève est moins lourde financièrement pour ceux qui y recourent.
En tout état de cause, en rendant l’exercice du droit de grève plus difficile, une telle atteinte à un droit constitutionnellement garanti est inacceptable.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Une grève de moins d’une heure désorganise fortement le service, alors que – vous l’avez souligné – la retenue opérée est assez infime. Nous voyons donc bien pourquoi certains détournent la loi.
Sur l’initiative du Sénat, la toute récente loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a permis aux collectivités d’imposer à certains agents, notamment à ceux des services publics de transports exploités en régie, de faire grève du début à la fin de leur service en cas de risque de désordre manifeste.
À mon sens, cela concerne les cas dont nous parlons depuis tout à l’heure. Cette disposition a été validée par le Conseil constitutionnel.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. C’est toujours un avis de sagesse, madame la présidente. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 23 et 32.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Le septième alinéa du préambule de la Constitution reconnaît, à tous, le droit fondamental de faire grève. Voilà ce que vous remettez en cause, chers collègues, avec cette proposition de loi ! Elle est d’ailleurs très pernicieuse, puisque vous ne lui donnez pas un intitulé cohérent avec son contenu : la remise en cause complète du droit de grève.
Nous avons une nouvelle fois découvert vos véritables intentions au cours des débats : ne plus permettre aux salariés de se défendre et d’avoir recours au droit de grève.
Vous en rêviez depuis longtemps… Voilà longtemps que l’on stigmatise les cheminots, ces « privilégiés », ces gens « qui font grève et sont payés ». Non ! Comme mes collègues l’ont rappelé, dans ce pays, un salarié qui fait grève n’est pas payé. Au contraire ! Beaucoup ont eu zéro euro sur leur feuille de paie de janvier. Pourtant, ils ont une famille à nourrir, un loyer à payer… Ce ne sont pas évidemment des privilégiés.
Chacun prendra ses responsabilités. Mais, encore une fois, c’est très grave : le droit de grève a été obtenu par la lutte des salariés, et vous le remettez en cause. C’est votre choix. Ce ne sera pas le nôtre !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je félicite tout d’abord notre collègue Bruno Retailleau d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi, qui ne remet pas en cause, tant s’en faut, le droit de grève ; elle vise juste à l’organiser et à l’encadrer.
Comme nous avons pu le constater au cours des dernières semaines, les premiers à être pénalisés par les mouvements de grève sont les usagers. C’est inadmissible !
Il est inadmissible que des gens ne puissent pas aller au travail ! Il est inadmissible qu’ils ne puissent pas se déplacer ! Il est inadmissible que certains utilisent les transports comme moyen de rétention ! On peut très bien manifester – le droit de grève est reconnu dans notre pays –, mais sans perturber les services,…
Mme Éliane Assassi. Bref, un droit de grève qui ne dérange personne !
M. Michel Canevet. … et, surtout, en permettant aux uns et aux autres d’exercer leurs responsabilités.
Peut-être faudra-t-il aller plus loin,… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Mais bien sûr !
M. Michel Canevet. … notamment en pénalisant ceux qui empêchent de travailler les personnes qui en ont envie. Il est inacceptable que des salariés désireux d’aller travailler en soient empêchés par des manifestants !
Tous ceux qui souhaitent soutenir le service public doivent comprendre que cette proposition de loi vise à le préserver ; ce n’est pas un texte contre les salariés.
Les premiers à être pénalisés sont les usagers, et non, comme le prétendait M. Gay, les salariés. Les salariés qui n’ont pas de rémunération à la fin du mois l’ont choisi : ils ont fait le choix de ne pas aller travailler ; il est donc normal qu’ils ne soient pas payés. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Avec de nombreux sénateurs de mon groupe, j’ai cosigné la proposition de loi présentée par Bruno Retailleau.
Sur le transport ferroviaire, je partage souvent le point de vue de nos collègues. Je rappelle d’ailleurs que je n’ai pas voté le paquet ferroviaire.
Mme Cécile Cukierman. C’est vrai !
M. Marc Laménie. Néanmoins, je voterai cette proposition de loi, qui – cela a été largement expliqué – ne remet pas en cause le droit de grève.
Depuis le 5 décembre dernier, les usagers des TGV, des TER, des Intercités, du métro, des RER sont dans des situations très difficiles.
Je suis un défenseur du monde cheminot, que j’aime beaucoup ; mais là, je n’ai pas compris certaines attitudes. En plus, elles étaient liées à un tout autre sujet : les retraites. C’est un sujet important, certes ; mais c’est un tout autre sujet. Je ne pouvais évidemment pas souscrire au fait de pénaliser par anticipation tous les usagers.
En 2013, j’ai travaillé avec une ancienne sénatrice, Isabelle Pasquet, membre du groupe qui était alors le CRC. Nous avions remis un rapport au nom de la commission pour le contrôle de l’application des lois sur la loi de 2007. Nous avions très bien travaillé ensemble, auditionnant les représentants d’organisations syndicales de tous les modes de transport.
Même si je suis souvent d’accord avec nos amis du groupe CRCE sur le ferroviaire, je voterai cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sans surprise, notre groupe ne votera pas cette proposition de loi. Celle-ci aura tout de même permis de redonner du sens politique à ce que nous vivons depuis quelques jours.
Comme cela a été dit dans la discussion générale, évitons de tomber dans la caricature. Au début, certains ont invoqué l’écologie à l’appui de ce texte. Je ne voudrais pas que, lors des explications de vote, certains prétendent défendre plus que d’autres le service public, sous prétexte qu’ils soutiennent la proposition de loi ! Tout de même, un peu de modestie…
Nous nous sommes exprimés sur le fond en prenant la parole sur les différents articles.
Le droit de grève est un droit constitutionnel reconnu. Le modifier comme vous le faites – vous ne le remettez pas totalement en cause, mais vous y touchez – n’est pas sans incidence. Nous l’avons d’ailleurs vu avec les amendements. Certains ont été défendus ; d’autres non, du fait de l’absence de leurs auteurs. Les uns remettent un peu en cause le droit de grève ; d’autres le remettent encore un peu plus en cause… Jusqu’où irons-nous demain ?
Ce qui a bloqué le pays au cours de ces dernières tient moins au droit de grève et à ses conditions d’exercice qu’à une colère sociale – cela a été souligné – qui monte en France.
Monsieur le secrétaire d’État, la question n’est pas de savoir à quelles organisations syndicales parlent les uns ou les autres, ni comment celles-ci sont classées ; d’ailleurs, il ne me paraît pas souhaitable de procéder à une classification s’agissant d’organisations syndicales.
En tout cas, il y a une réalité : certains ont le sentiment que le droit de grève, dans sa forme actuelle, ne suffit plus pour se faire entendre. Et restreindre ce droit n’est, à mon avis, pas la meilleure solution pour apaiser, demain, le dialogue social dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. Pour ma part, je ne perçois pas cette proposition de loi comme restreignant l’exercice du droit de grève. Je crois au contraire qu’elle s’inscrit dans un esprit d’équilibre.
Nous sommes face à une situation qui est aujourd’hui constatée comme un dysfonctionnement, et parfois ressentie comme une oppression. Nous ne pouvons pas y rester insensibles.
Le texte proposé par Bruno Retailleau s’inscrit pleinement dans l’actualité. Nous devons répondre à la souffrance d’une population qui n’a pas aujourd’hui la capacité de satisfaire un besoin essentiel dans la vie collective.
Notre groupe votera donc de manière unanime cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Cette discussion est à la fois intéressante et révoltante sur le fond.
Transférer un pouvoir régalien de réquisition aux entreprises privées dans les conditions que l’on a décrites, même s’il y a eu un travail de la commission à l’hémicycle, n’est absolument pas satisfaisant. Les entreprises privées n’auront pas la capacité d’exercer ce transfert et cette réquisition, sinon en faisant appel à la force publique. J’ai apprécié les interventions de ma collègue Michèle Vullien, qui a rappelé que le recours à la force publique devait rester un pouvoir régalien de l’État ; sinon, où allons-nous ?
Vous nous dites que notre pays est fracturé et qu’il a besoin d’apaisement ? Mais ce n’est pas avec un tel texte qu’il va s’apaiser ! Les mesures contenues dans la proposition de loi mettent de l’huile sur le feu.
Ainsi que nous l’avons souligné durant la discussion générale, vous faites de la récupération politique, ce qui vient fort mal à propos. Cela fera peut-être plaisir à votre électorat, mais ce n’est pas ce dont notre pays a besoin en ce moment.
Je le rappelle, personne n’aime la grève, qu’il la pratique ou qu’il la subisse. Nous l’avons dit, ceux qui la pratiquent sont les premiers pénalisés. La grève reste un moyen ultime. Elle est de moins en moins utilisée, car la société a évolué.
Les attaques contre le droit de grève ne sont vraiment pas satisfaisantes. En particulier, l’article 10, qui a été ajouté en commission et qui vise à empêcher des grèves de courte durée, illustre le caractère spécieux de votre argumentation d’ensemble.
Nous sommes donc en désaccord profond avec cette proposition de loin, mais je remercie le groupe Les Républicains et M. Retailleau de nous avoir permis d’exposer nos positions. Le fait qu’elles soient tranchées permet de mieux nous situer respectivement.
Je ne doute pas que nous saurons nous retrouver pour contrer cette très mauvaise réforme des retraites. Certes, nos arguments différeront peut-être selon les travées. Mais avouez qu’elle est mal engagée. J’espère que nous nous retrouverons alors.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au terme de l’examen de ce texte, je veux rendre hommage au travail de la commission et de sa rapporteure.
Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, les amendements proposés par la commission vont dans le bon sens et tendent à affiner le texte. J’avais moi-même prévu une disposition permettant aux autorités administratives organisatrices des transports de régler très finement les services, ligne par ligne.
Par ailleurs, l’article 10 du texte complète l’outillage, pour faire en sorte que le droit de grève s’exerce de façon responsable.
Mes chers collègues, je ne crois pas que le droit de grève soit un droit de blocage, un droit absolu qui pourrait s’exercer sans limites. Je ne pense pas non plus que le droit de grève soit un droit de vie ou de mort sur des emplois et des PME.
Au contraire, ces abus et ces outrances dénaturent le droit de grève en France.
À entendre certains, notre proposition de loi viendrait au mauvais moment. Mais je suis convaincu qu’il n’y aura jamais de bon moment pour la déposer. Autour de nous, dans toutes les grandes démocraties européennes, le droit de grève a été encadré. Il s’exerce dans certaines limites, ce qui ne le remet nullement en cause.
Si, demain, nous voulons faire vivre le droit de grève dans notre démocratie, nous devons accepter qu’il subisse un certain nombre de limites.
Encore une fois, il ne peut s’agir d’un droit absolu, et les limites que nous avons posées visent simplement à trouver le bon point d’équilibre entre ce principe à valeur constitutionnelle qu’est le droit de grève, que je n’ai nullement l’intention de remettre en cause, et celui de continuité des services publics, autre principe à valeur constitutionnelle, même s’il n’a jamais réellement été consacré.
Roger Karoutchi disait fort justement qu’il ne pouvait y avoir de service public si l’on ne concrétisait pas précisément le principe de sa continuité. Ce n’est pas possible ! Les débordements sont trop nombreux en France. Nous devons faire un choix, et le moment me semble venu d’apporter de telles limites.
Je pense aussi que, dans quelques années, ce débat parfois enflammé que nous avons aujourd’hui sera clos. L’avenir, me semble-t-il, est à un droit de grève vivant, certes, mais encadré par des limites responsables et raisonnables.
Je remercie la commission, ainsi que nos collègues des autres groupes qui soutiennent cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Je ne sais quel sera le destin de cette proposition de loi, qui, à l’évidence, sera adoptée ce soir. Si elle est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, j’espère qu’elle ne recueillera pas les voix des députés du groupe La République En Marche.
En réponse à plusieurs interventions, monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé la création d’une mission chargée de travailler plus largement sur le sujet. J’aurais aimé que vous nous en disiez un peu plus sur la composition de cette mission, en particulier s’il est prévu que des parlementaires en soient membres.
Ce qui nous est proposé ce soir au travers de cette proposition de loi est très grave. De nombreux arguments ont été avancés au cours de son examen.
Monsieur Retailleau, vous le savez très bien, je ne minore absolument pas le droit d’initiative parlementaire. Mais une telle atteinte au droit de grève mériterait à tout le moins une étude d’impact et un avis du Conseil d’État, ce que ne permet pas le dépôt d’une proposition de loi. Je le regrette, car nous n’aurions peut-être pas obtenu le même vote ce soir.
Cette proposition de loi a néanmoins le mérite de mettre en lumière vos fondamentaux, chers collègues, et l’atteinte qu’ils portent aux libertés individuelles et collectives. Une chose me trouble tout de même dans notre débat cet après-midi : personne, du côté droit de l’hémicycle, n’a évoqué les causes d’une grève !
On aurait pu parler de la réforme ferroviaire, qui a provoqué l’an dernier une grève perlée chez les cheminots ou des raisons qui expliquent que des centaines de salariés soient aujourd’hui en grève. Les impacts sont en effets nombreux pour nos concitoyennes et nos concitoyens, et pas simplement pour les chefs d’entreprise.
Ce gouvernement a mis dans la rue plus de monde que les gouvernements Sarkozy et Hollande réunis : vous devriez tout de même vous interroger sur ce point, mes chers collègues !
Mme Frédérique Puissat. Ce n’est pas le sujet !
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. Il est assez ironique que la droite donne aujourd’hui quitus au Gouvernement sur le projet de loi de réforme des retraites !
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Fabien Gay. En réalité, vous rêvez de grève sans occupations d’usines, sans manifestations, et peut-être même sans grévistes, ou alors de grévistes qui travaillent sans être payés, voire qui paient pour travailler ! (Sourires.)
Au-delà de ce trait d’humour, nous devons avoir un vrai débat de fond, dont ma collègue Céline Brulin a posé les termes tout à l’heure.
Le Gouvernement a choisi de diviser les travailleurs et les syndicalistes. Mais lorsqu’il n’y aura plus de syndicats ou qu’ils seront très faibles, lorsque le droit de manifester sera rendu impossible, la violence s’exprimera ailleurs ; elle ne sera pas encadrée et sera encore plus forte.
Vous avez été nombreux, du côté droit de l’hémicycle, à dénoncer la violence du mouvement des « gilets jaunes », à vous demander où étaient les organisations syndicales, qui auraient permis d’encadrer ces manifestations. Et voilà que vous menez à présent, avec cette proposition de loi, un combat idéologique, censé préparer l’avenir en restreignant à l’excès les droits syndicaux.
Il y a aussi une question absente de nos débats, celle de la répression syndicale après les mouvements sociaux. Monsieur le secrétaire d’État, nous voyons en ce moment des exemples d’une telle répression à la SNCF et à la RATP. Il faudra en parler franchement. En effet, il ne s’agit pas de voyous, ni de terroristes, mais d’hommes et de femmes qui donnent de leur temps pour défendre leur entreprise et le service public.
La question de l’expression de la colère sociale dans notre pays nous sera inévitablement posée au cours de la décennie à venir. Cette proposition de loi, qui ne prend pas le bon chemin selon nous, n’y répond pas. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Je rappelle qu’il s’agit surtout d’un texte pour un service minimal au public – cette expression me semble plus claire que celle de service public –, dans les transports.
Nous avons cherché un équilibre, en respectant le droit de grève, mais aussi la liberté d’aller et venir et le droit de travailler, avec comme souci de répondre aux besoins de la population.
Je remercie chacun de sa présence et de sa participation au débat, y compris nos collègues opposés à ce texte, car la contradiction est toujours intéressante et permet d’avancer. Je remercie aussi les présidents Bruno Retailleau et Alain Milon de leur confiance.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, j’ai surtout entendu que vous partagiez nos objectifs. La balle est désormais dans votre camp. J’espère un vote identique à l’Assemblée nationale. Nous restons par ailleurs à votre disposition pour la mission que vous avez annoncée, en espérant qu’elle réponde aux besoins de la population, dans le respect du droit de grève. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
M. Jean-Pierre Corbisez. Je m’abstiens !
M. Jean-Claude Requier. Moi aussi !
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
9
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 5 février 2020 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente :
Sous réserve de son dépôt, examen d’une proposition de création d’une commission spéciale sur le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique ;
Désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols.
De seize heures trente à vingt heures trente :
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative aux enfants franco-japonais privés de tout lien avec leur parent français à la suite d’un enlèvement parental, présentée par M. Richard Yung et plusieurs de ses collègues (texte n° 29, 2019-2020) ;
Proposition de loi relative à la sécurité sanitaire, présentée par M. Michel Amiel et les membres du groupe LaREM (texte de la commission n° 279, 2019-2020).
nomination d’un membre d’une commission d’enquête
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a présenté une candidature pour la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Éric Jeansannetas est membre de la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières, en remplacement de M. Yvon Collin, démissionnaire.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures dix.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication