M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, pour la réplique.
Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse.
Je ne cherche pas à alimenter un discours systématiquement alarmiste sur le sujet, même s’il est vrai que je suis la troisième oratrice à parler de cette problématique cet après-midi. Il se trouve simplement que, dans beaucoup de territoires – et vous le savez d’ailleurs –, les difficultés des éleveurs sont réelles et accentuées par la suppression des zones défavorisées simples. Il y a donc urgence à aider l’élevage en France, notamment les éleveurs de ces territoires.
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Laurent. La mise en œuvre effective de l’arrêté relatif à l’instauration des ZNT et le décret qui conditionne la réduction des distances de sécurité à la signature de chartes départementales sont pour le moins confus. Aussi, monsieur le ministre, je souhaite vous relayer les préoccupations des agriculteurs et des élus que nous sommes.
Les syndicats demandent un moratoire jusqu’à la prochaine période culturale et refusent d’appliquer une réglementation imprécise, avec des appréciations divergentes entre l’administration centrale et les services déconcentrés de l’État, comme ce fut le cas pour les pesticides cupriques. Il aura fallu attendre plusieurs semaines pour que les instructions confirment que l’application de ces pesticides ne sera pas soumise aux distances de sécurité, sauf mention expresse de l’autorisation de mise sur le marché.
Par ailleurs, la question du lissage du cuivre n’a toujours pas été réglée.
Une instruction, c’est bien ; mais les viticulteurs demandent un texte qui les sécurise juridiquement.
Les élus sont, quant à eux, sollicités par certains de leurs administrés pour faire appliquer la loi, alors que les chartes départementales ne sont pas actées.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?
Les agriculteurs et les nouvelles générations qui s’installent sont de plus en plus sensibilisés aux questions environnementales : ils modifient leurs pratiques culturales et investissent dans du matériel plus performant, mais très coûteux, qui permet de réduire la distance de non-traitement. Or la liste des matériels a été publiée avant la sortie des textes. Elle ne vise que les appareils permettant une réduction de la dérive de 66 %. Quant aux haies comme moyen de réduction de la dérive, elles ne sont pas mentionnées. Il est donc nécessaire de revoir cette liste rapidement.
La profession agricole demande une compensation économique et souhaite déclarer les zones non traitées en surface d’intérêt écologique (SIE), en jachères, en prairies ou en mesures agroenvironnementales.
Enfin, il est difficile d’imposer à nos agriculteurs des mesures restrictives et de laisser entrer sur le marché français des produits alimentaires traités avec des substances interdites sur notre sol, en totale contradiction avec l’esprit de la loi Égalim – cela a été dit précédemment.
Le dialogue, la concertation et la voie de la raison doivent être de mise. Il y va de la cohésion sociale et du bien vivre ensemble dans nos territoires.
Monsieur le ministre, nous attendons des réponses claires et précises, car il y a trop d’incertitudes sur les modalités de mise en œuvre et d’insécurité juridique pour les agriculteurs. À quelques jours du salon de l’agriculture, ils attendent vos réponses ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, en vous répondant, je m’adresse également aux agriculteurs qui regardent le débat devant leur télé – je ne sais pas s’ils sont très nombreux à cette heure ; ils doivent plutôt être en train de travailler.
La semaine dernière, j’ai rencontré l’ensemble des organisations professionnelles agricoles – le Président de la République aussi – afin de leur expliquer clairement la situation.
D’abord, je vais vous dire une chose : si nous en sommes là, c’est parce que la France a été condamnée par le Conseil d’État. Il faut toujours le rappeler, car, moi, je veux bien tout assumer, mais pas le fait que ce soit le Conseil d’État qui nous impose cela. Sans une telle condamnation, nous n’en serions pas à évoquer ce sujet aujourd’hui. Je tiens à le dire, car, souvent, on dit que c’est la faute du Gouvernement.
Le Conseil d’État a estimé que les riverains n’étaient pas assez protégés et que le Gouvernement devait prendre des mesures. Nous avons donc réalisé une enquête publique et décidé de nous appuyer sur la science. C’est ce dont nous avons convenu avec les syndicats agricoles. Nous respecterons ce que dira l’Anses.
L’Anses a déclaré que la distance minimale devait être de dix mètres pour les cultures hautes et de cinq mètres pour les cultures basses, ramenée à cinq mètres pour les cultures hautes et à trois mètres pour les cultures basses, et même à zéro s’il existe des chartes de riverains. Nous incitons au développement de ces chartes.
J’ai envoyé une première instruction aux préfets afin qu’ils coordonnent ces chartes et favorisent leur généralisation, puis une seconde il y a quinze jours pour que, à partir du moment où une charte de riverains est en discussion dans un département, et jusqu’à la prochaine saison culturale, c’est-à-dire jusqu’au mois d’août, aucun contrôle n’ait lieu. Les ZNT devront être mises en place, mais sans mesures prohibitives, car, vous avez raison, monsieur le sénateur, les agriculteurs se trouvent encore en insécurité juridique. Tant que ce sera le cas, il est hors de question de leur ajouter un « sur-accident », si je puis m’exprimer ainsi. C’est donc dans cette direction que nous avançons.
Concernant les indemnités, j’ai pris un engagement. Nous allons réfléchir à un système d’indemnisation des agriculteurs dont les terres se situent dans ces zones de non-traitement. J’étais ce matin avec un président de fédération départementale, qui me disait : « Je loue mes terres, mais je ne vais pas pouvoir récolter sur une partie d’entre elles. » Nous devons trouver le moyen de mettre ces terres en SIE ou en surfaces peu productives afin de permettre aux agriculteurs d’être indemnisés.
Sachez que le Gouvernement fera tout pour que les agriculteurs ne soient pas les dindons de la farce dans cette affaire.
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
M. Yannick Botrel. Le 5 février dernier, la commission des finances du Sénat a donné son accord à la publication d’un rapport sur les financements publics accordés à l’agriculture biologique.
L’agriculture biologique est désormais une activité majeure dont l’importance va croissant. Elle représente une opportunité économique pour les agriculteurs et répond par ailleurs à des attentes sociétales très fortes. Les pouvoirs publics lui ont fixé des objectifs contenus dans le programme Ambition bio 2022 ; ils se résument en deux chiffres : 15 % de la surface agricole utile (SAU) devra être convertie en bio en 2022 et la part du bio dans la restauration collective devra atteindre 20 %. Or, si l’on se réfère à l’évolution de la conversion des terres, ce n’est pas avant 2026 que cet objectif de 15 % de la SAU en bio sera atteint.
Dans le même temps, la France importe 30 % des produits bio qu’elle consomme. Le moment est donc venu de clarifier un certain nombre de points et de lever quelques freins.
En premier lieu, la question des moyens budgétaires de soutien aux agriculteurs bio est à remettre à plat. Aujourd’hui, tout ou presque passe par l’Europe, les régions, voire les agences de l’eau : ces aides sont dispersées et mettent trop de temps à être versées aux bénéficiaires.
En second lieu, il faut garantir la sincérité des produits bio entrant en France. La confiance du consommateur, donc la fiabilité et la pérennité de la filière, passe par un renforcement des contrôles de la DGCCRF, dont les moyens doivent être adaptés.
L’État doit dire comment il compte soutenir les opérateurs agissant en son nom – l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité) et l’Agence Bio – et quels moyens il entend mettre en œuvre afin de s’assurer de l’accomplissement des missions qui sont confiées à ces opérateurs.
La situation de l’ITAB, l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques, est fragile. Or son rôle est stratégique en matière de recherche et de développement. Quels moyens seront mis en place afin d’accompagner la recherche ?
Monsieur le ministre, quelles sont les perspectives dressées par le Gouvernement à l’égard de l’agriculture bio et de son développement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Botrel, vous le savez, je suis toujours avec beaucoup d’attention les travaux du Sénat. J’ai été interloqué par le rapport que vous avez rendu avec l’un de vos collègues au nom de la commission des finances. Ce rapport est partisan, subjectif et comporte une dizaine de fake news comme l’on dit aujourd’hui. Je suis au regret de vous le dire, d’autant que je n’aime pas polémiquer et que je connais votre exigence intellectuelle.
Ce rapport m’a beaucoup choqué : il comporte de nombreuses contre-vérités sur la réalité du bio en France. Je ne peux pas répondre à toutes cet après-midi, mais je suis prêt, si vous m’invitez à la commission des finances ou si vous voulez venir au ministère de l’agriculture, à vous indiquer la dizaine d’erreurs qui figurent dans votre rapport. J’espère qu’elles ne sont pas volontaires… En tout cas, elles dénotent par rapport à la qualité du travail que vous accomplissez habituellement vous-même, ainsi que votre collègue, au sein de la commission des finances.
Aujourd’hui, contrairement à ce que vous affirmez, l’État finance 99 % des aides au bio. Quant aux aides à la conversion en bio, contrairement également à ce que vous écrivez, il n’est pas question de les ramener de cinq à trois ans ; elles seront toujours sur cinq ans.
Je me demande parfois comment on peut publier un rapport qui met à mal l’agriculture biologique dans son ensemble et la filière bio. De même, dire que l’ITAB est en difficulté n’apporte rien : cela n’a aucune conséquence sur le travail mené sur le bio.
Regardons les chiffres ! Vous dites qu’on n’arrivera jamais à atteindre la surface agricole utile en bio. Vos propos ne correspondent pas à la réalité : 6 000 conversions en bio ont eu lieu l’année dernière, soit 7,5 % de la SAU, sachant qu’il nous reste encore cinq ou six ans. D’ailleurs, le nombre de conversions en bio au premier trimestre de cette année équivaut déjà à celui de toute l’année dernière. Nous pourrons donc tout à fait atteindre les objectifs fixés pour 2025.
M. Yannick Botrel. C’est 2022 ?
M. Didier Guillaume, ministre. Non, 2025 !
Je ne sais pas si nous en serons à 12 %, 15 % ou 16 %. À vrai dire, peu importe ! Ce qui compte, c’est la trajectoire. Or, aujourd’hui, celle-ci est en place. Certes, l’ITAB connaît des difficultés, mais son premier financeur est l’État, qui lui a encore versé 1 million d’euros. Dans le COP (contrat d’objectifs et de performance) des chambres d’agriculture, sur lequel nous travaillons, les efforts seront axés sur ce domaine.
Je suis au regret de vous dire que ce que vous avez écrit n’est pas la vérité. Je suis prêt à venir en commission des finances ou à en parler avec vous pour que nous confrontions nos données, car il n’y a rien de pire que de partir sur de mauvais chiffres.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison.
M. Michel Raison. La transition – qu’elle soit technologique ou écologique – est une spécialité de l’agriculture depuis des décennies et des décennies. Pour ce faire, les agriculteurs ont toujours su s’organiser. De leurs côtés, les pouvoirs publics, dont les conseils régionaux, ont injecté des fonds importants en faveur de la recherche et de l’innovation.
La capacité d’organisation des agriculteurs a permis la mise en place de l’Association nationale pour le développement agricole, l’ANDA, qui était financée à l’époque par des taxes payées uniquement par les céréaliers dans le cadre d’une solidarité entre les professions les plus riches et les moins riches. Aujourd’hui, cette taxe est devenue le Casdar, qui ressemble étrangement à une cotisation et qui a été plafonné par la loi de finances 2019 à 136 millions d’euros. Or près de 140 millions d’euros ont été collectés.
Comme Bercy est spécialisé dans les hold-up des différentes chambres de commerce et des fonds qui ne lui appartiennent pas, il prévoit aisément d’opérer un prélèvement de 7 millions d’euros afin de réintégrer cette somme dans le budget de l’État. Je sais, monsieur le ministre, que vous ne défendez pas cette thèse. Cela étant, je souhaiterais connaître l’état d’avancement de vos négociations avec Bercy et l’arbitrage du Premier ministre, car ces fonds servent à financer des actions réalisées dans les instituts techniques, aussi bien pour les animaux que pour les productions végétales, ainsi que dans les chambres d’agriculture. Or, plus que jamais, elles en ont besoin ! Déjà que ce gouvernement voulait réduire leurs recettes, maintenant, on apprend que cette somme ne pourra pas être mise en réserve !
Une taxe sur le chiffre d’affaires, c’est forcément fluctuant d’une année sur l’autre ; les recettes avaient diminué en 2018, et il peut en être de même cette année. Pourquoi donc Bercy voudrait-il faire un hold-up sur ces 7 millions d’euros ? Monsieur le ministre, j’y insiste, où en sont les négociations à ce sujet ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Raison, le Casdar a en effet été sanctuarisé à 136 millions d’euros.
Un groupe de travail a été mis en place avec les OPA, l’ACTA, l’APCA, l’Anvar et l’État, afin de réfléchir à une évolution du Casdar. Aujourd’hui, nous sommes d’accord pour dire qu’il a vécu : il doit être plus flexible, car le financement des associations, qui sont renouvelées d’année en année, ne va pas forcément dans la bonne direction. Nous avons donc lancé cette réflexion, qui est pilotée non par le ministère, mais par les instituts, les associations et les OPA.
Le Casdar joue un rôle essentiel pour le développement rural, mais il finance des choux et des carottes : des syndicats, des associations, etc. Il est donc nécessaire de mieux préciser les choses.
Concernant le passage de 136 millions d’euros à 140 millions d’euros, je dirai que, d’un point de vue purement juridique, les taxes ne sont pas affectées. Elles vont au budget général de l’État. L’APCA et les syndicats avec lesquels j’ai discuté s’en plaignent en disant que les paysans ont cotisé, mais, plutôt que de revenir directement chez nous, ces cotisations vont à Bercy dans le budget général. Certes, ces sommes pourraient réintégrer le budget agricole au travers de la fiscalité, mais ce n’est pas le cas.
Le ministère de l’agriculture a demandé à Bercy le retour de ces sommes, parce que c’est la moindre des choses. Je ne suis pas certain que nous obtiendrons satisfaction cette année dans la mesure où elles ont déjà été intégrées au budget général. D’où notre volonté de travailler sur la réforme du Casdar.
Quoi qu’il en soit, nous sommes actuellement en discussion avec le monde agricole, Bercy et Matignon, sur le cas des taxes « affectées ». Je le répète, en vertu des textes financiers en vigueur, elles intègrent le budget général. Il est donc urgent de rénover le Casdar, afin de garantir le retour aux agriculteurs des sommes qu’ils ont versées.
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. La délégation aux droits des femmes réalise actuellement un travail de fond sur les spécificités des retraites des femmes, thème qui donnera lieu à la publication d’un rapport que je présenterai avec mes collègues Laurence Cohen, Françoise Laborde et Michelle Meunier.
À l’heure où le Parlement commence à débattre du projet du Gouvernement, je souhaiterais évoquer les retraites spécifiques des agricultrices. J’imagine que vous allez me rétorquer, monsieur le ministre, que ce sujet sera examiné lors du débat sur les retraites, mais j’anticipe peut-être votre réponse… Je voudrais tout de même rappeler que le sujet des retraites des agricultrices revêt une importance particulière pour le Sénat. La délégation en avait fait état dans un rapport très étoffé en 2017.
Selon les informations transmises voilà trois ans par votre ministère à la délégation, seuls 31 % des agriculteurs et des agricultrices totalisaient une durée d’assurance d’au moins 150 trimestres, soit 37,5 années. Avec la mise en place d’un système universel à points et l’obligation d’avoir accompli une carrière complète, ne va-t-on pas aggraver encore la faiblesse des retraites agricoles, singulièrement celles des agricultrices ? Nous ne pouvons en effet ignorer que les agricultrices embrassent cette profession souvent plus tardivement que les hommes.
Un autre sujet d’importance est celui de la liquidation des pensions.
Lorsque nos collègues de la délégation ont publié leur rapport sur les agricultrices en juillet 2017, une réforme venait d’entrer en vigueur : la liquidation unique des retraites des régimes alignés. Il s’agissait alors de simplifier la liquidation des pensions de retraite pour les polypensionnés et de permettre aux assurés des régimes alignés de liquider l’ensemble de leur retraite de base en s’adressant au dernier régime d’affiliation pour obtenir un paiement mensuel unique de leur pension. Dans son rapport, la délégation avait toutefois exprimé la crainte que cette réforme ne se traduise par une baisse des retraites pour certaines agricultrices, relativement nombreuses parmi les personnes polypensionnées.
Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ? Pouvez-vous également nous indiquer ce qu’il adviendra de cette liquidation unique avec le système à points ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice Darcos, je vais répondre à votre question sans vous renvoyer à des débats ultérieurs.
Le régime universel à points est très favorable aux agriculteurs. Évidemment, il y aura une hausse des cotisations, mais, vous l’aurez remarqué, c’est le seul secteur qui n’a pas bougé. Les organisations syndicales – à une exception près –, dont la plus importante, sont favorables à cette réforme.
M. Laurent Duplomb. Ce n’est pas la panacée quand même !
M. Didier Guillaume, ministre. Vous me direz qu’ils partent de tellement bas…
Reste que le « stock », comme disent les technocrates, des retraités actuels pose problème. Actuellement, en France, trois secteurs ont vraiment des retraites très basses, hormis les cas particuliers des accidents de la vie : l’agriculture, l’artisanat et le commerce. C’est une réalité, pour des raisons différentes que je ne développerai pas.
Nous travaillons beaucoup avec mes interlocuteurs agricoles à la façon de prendre en compte les retraités actuels. Parmi les difficultés que nous voyons pour avoir beaucoup examiné ces sujets, la situation des chefs d’exploitation n’est peut-être pas la pire – peut-on leur dire cela alors qu’ils ont une retraite très faible ? Je pense au statut des conjointes collaboratrices, qui ne peut rester en l’état. J’ai donc pris l’engagement de trouver une solution.
Demain, tout sera réglé par la liquidation des pensions avec le système universel. Aujourd’hui, ces femmes, qui ont travaillé toute leur vie à la ferme aux côtés de leur mari sans jamais être payées ni cotiser, souvent veuves – en principe, les hommes partent plus tôt que leur épouse –, se retrouvent avec une pension de misère. Elles doivent parfois quitter la ferme pour trouver un logement en centre-bourg ou ailleurs.
Un groupe de travail a été créé à l’Assemblée nationale – je sais que le Sénat travaille aussi sur cette question – et le Premier ministre a demandé un rapport pour savoir quelles mesures pouvaient être prises assez rapidement sur le sujet particulier des retraités agricoles, de l’artisanat et du commerce. L’injustice la plus criante concerne les conjointes collaboratrices.
Madame la sénatrice, je vous le dis en toute sincérité, je souhaite vraiment que nous trouvions une solution.
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.
Mme Laure Darcos. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse précise, qui a en effet l’accent de la sincérité.
Au-delà de leurs retraites, vous le savez parfaitement, nos agricultrices souhaitent une seule chose : enfin obtenir un vrai statut social ! Percevoir 85 % du SMIC, ce n’est pas une grande revendication. Je m’adresse à nos deux collègues communistes présents dans l’hémicycle : voilà deux ans, nous aurions pu voter cette première étape. Or nous ne l’avons pas votée, faute d’accord avec le Gouvernement.
Monsieur le ministre, nous sommes à votre disposition pour trouver des améliorations sans attendre la fin des discussions sur les retraites. (Mme Cécile Cukierman applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. À quelques heures de l’ouverture du salon de l’agriculture, occasion de mettre à l’honneur ce beau métier que celui de nourrir nos concitoyens et qui demande cinquante à soixante-dix heures de travail par semaine, je voudrais focaliser mon intervention sur l’agribashing, évoqué par Laurent Duplomb et certains de nos collègues.
Cette attaque en règle de notre agriculture et de la ruralité prend la forme de harcèlements permanents envers nos agriculteurs, que ce soit de la part de mouvements extrémistes végans ou des « faucheurs volontaires ». Ceux-ci mènent des campagnes d’intimidation inacceptables, sous forme d’actions violentes à l’encontre de certaines professions, dont les bouchers, mais aussi les agriculteurs, qu’ils soient éleveurs ou céréaliers. Ces six derniers mois, ce ne sont pas moins de soixante interventions malveillantes dans les fermes qui ont été constatées.
Parallèlement, les fermiers se voient régulièrement cambriolés. On leur vole du fioul, des capteurs GPS, encore le week-end dernier près de chez moi, dans le département de l’Aisne, du matériel, des véhicules agricoles ou encore du bétail. Récemment, dans la Marne, un éleveur, parce que déjà cambriolé plus de quarante fois depuis 2015, a grièvement blessé au fusil le dernier cambrioleur.
Le contexte est particulièrement anxiogène. C’est en partie une des raisons, en plus de celles qui ont été évoquées par tous mes collègues, pour lesquelles les exploitants et les salariés agricoles ont un risque plus élevé de décès par suicide que l’ensemble de la population – un par jour, je le rappelle, et ce depuis plusieurs années…
Monsieur le ministre, voici mes questions.
En collaboration avec les syndicats agricoles et tout récemment, le 14 janvier dernier, dans mon département de l’Aisne, les pouvoirs publics ont installé les observatoires et cellules dites « Déméter », que vous avez évoqués. Ces structures doivent recenser les actes d’agribashing et de délinquance tout en luttant contre eux. Mais auront-elles les moyens et les effectifs suffisants pour mener à bien cette mission ?
De plus, le 7 janvier dernier, au cours d’une réunion à la Chancellerie, les sanctions envers les auteurs de ces actes et la nécessaire évolution du droit ont été évoquées. Il convient de prendre en compte la spécificité du monde agricole ; à ce titre, on envisage notamment la création d’une circonstance aggravante en cas d’intrusion, eu égard à la violation des normes sanitaires et des règles de biosécurité applicables.
Ici même, le 1er octobre 2019, la proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés a été votée, puis transmise à l’Assemblée nationale ; mais, depuis, plus rien. Pouvez-vous nous dire où en est votre réflexion ? Cette proposition de loi serait un véhicule législatif approprié pour répondre aux problèmes d’intrusion.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Lefèvre, ce dénigrement permanent, cet agribashing, que nous avons déjà évoqués, empoisonnent véritablement la vie quotidienne de nos agriculteurs. S’y ajoutent des intrusions, sinon incessantes, du moins régulières. Il y a quelque temps de cela, on a même vu des représentants d’une association s’introduire sur une exploitation accompagnés d’une télévision de service public. Je vous le dis avec le plus grand calme : c’est inacceptable !
Le Gouvernement est là pour défendre le monde agricole. Nous avons pris plusieurs initiatives, que j’ai déjà citées et que vous avez rappelées à votre tour. Il y a près d’un an, j’ai demandé aux préfets de créer des cellules départementales de lutte contre l’agribashing. Ces instances permettent de réunir tout le monde autour de la table : syndicats agricoles, chambres d’agriculture, évidemment, gendarmerie, police, etc. Il faut lutter contre ces agissements.
En parallèle, le ministre de l’intérieur a mis en place les cellules Déméter. Il s’est rendu sur le terrain, par exemple avec Mme Lambert, pour créer officiellement une telle structure en Bretagne. Ces cellules fonctionnent. En la matière, nous ne sommes pas face à un problème de moyens. En revanche, nous devons travailler sur deux points.
Premièrement, lorsqu’un éleveur se rend à la gendarmerie après avoir subi une intrusion, il ne doit pas s’entendre répondre : « Ne portez pas plainte, on va déposer une main courante. De toute manière, on ne retrouvera jamais l’auteur. » Non : il faut porter plainte systématiquement. C’est indispensable !
M. Jean Bizet. Et sanctionner !
M. Didier Guillaume, ministre. Ensuite, il faut que l’enquête soit menée et, évidemment, qu’il y ait une sanction.
Deuxièmement – ce sujet est un peu compliqué –, quand on connaît le monde agricole, on sait qu’il n’y a souvent pas d’intrusion stricto sensu, tout simplement parce que la ferme n’a pas de portail.
M. Laurent Duplomb. Quand même…
Mme Sophie Primas. Et dans un poulailler ?
M. Didier Guillaume, ministre. Évidemment, les poulaillers sont souvent fermés – je me suis rendu dans l’Orne, pour soutenir le jeune éleveur qui s’est fait brûler ses trois poulaillers ; mais, souvent, faute de portail cassé ou de chaîne brisée, on ne peut pas qualifier le délit d’intrusion. Il faut que cela bouge – le Sénat a déjà travaillé sur le délit d’entrave –, afin que toute intrusion dans un élevage puisse être condamnée : c’est absolument indispensable.
M. Laurent Duplomb. Il faut modifier la loi !
M. Didier Guillaume, ministre. On ne peut pas tolérer ces intrusions, qui sont le fait d’une minorité d’activistes. On évoque régulièrement le bien-être animal, mais il ne faudrait pas oublier le bien-être de l’éleveur. Le bien-être animal, c’est important, le bien-être de l’éleveur, c’est essentiel !
M. le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Bien sûr, nous adhérons pleinement à la transition agricole dans laquelle s’inscrit le Président de la République, et nous la saluons avec tous les égards qu’elle mérite. Il s’agit de défendre une logique et une action en faveur d’un renforcement significatif de la qualité de nos modèles tout en préservant notre environnement. Néanmoins, il ne faut pas que cette évolution se traduise par un environnement économique dégradé pour nos agriculteurs, qui subissent déjà trop de changements et qui ne peuvent assumer sans cesse de nouveaux ajustements.
Monsieur le ministre, mon intervention comprend deux volets.
En premier lieu, aucune évaluation n’a été fournie quant à l’impact économique des zones de non-traitement : pouvez-vous nous garantir que leur mise en place ne se traduira pas par de nouvelles charges ? Le cas échéant, quelles mesures concrètes de compensation financière des éventuels surcoûts prévoyez-vous ? Pouvons-nous compter sur des mesures d’accompagnement, tel qu’un plan global d’investissement dans du matériel adéquat, dans la durée et pour toutes les filières ?
En second lieu, la réglementation des zones de non-traitement au 1er janvier 2020 s’analyse indubitablement comme un mauvais signal envers les agriculteurs, qui doivent encore et toujours s’adapter malgré l’amélioration continue de leurs pratiques.
Il faut garantir la stabilité des espaces agricoles. Aujourd’hui, on impose de prendre en compte les zones de riverains ; demain, pourquoi ne pas y ajouter toutes les routes, pour « protéger les passants » ? Aussi, pouvez-vous nous garantir que l’implantation de ces zones de non-traitement se fera sans consommation supplémentaire de foncier agricole et que, le cas échéant, les aménageurs incluront dans l’emprise de chaque projet l’implantation de telles zones ?