M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, nous avons déjà abordé ce sujet à plusieurs reprises.
Tout d’abord – il s’agit d’un point très important, que je rappelle régulièrement –, la transition agroécologique ne doit pas se faire en opposition au modèle économique ; toute décision doit prendre en compte le modèle économique des exploitations. En effet, les uns et les autres peuvent trouver de bonnes raisons de faire ceci ou cela ; mais, ce qui compte d’abord, c’est la viabilité de l’exploitation. Vous avez eu raison de le rappeler en préambule : je suis totalement d’accord avec vous, et je placerai toujours les enjeux économiques au même niveau que les transitions à mettre en œuvre.
Ensuite, vous évoquez un sujet qui me tient à cœur, et sur lequel nous menons, actuellement, un important travail : il s’agit d’un plan d’investissement d’agroéquipement.
Le Conseil d’État a demandé un certain nombre d’adaptations ; c’est ainsi qu’on a mis en place les zones de non-traitement. Toutefois, je pense que le mieux est l’ennemi du bien.
Aujourd’hui, nous le savons, avec des buses anti-dérives ou avec de nouveaux pulvérisateurs – je n’entrerai pas dans les détails, n’étant pas technicien –, on peut réduire les volumes de produits phytosanitaires de 70 % à 80 %, en les appliquant exactement au bon endroit.
M. Laurent Duplomb. Oui !
M. Didier Guillaume, ministre. Dès lors, deux réponses sont possibles : soit on défend le modèle productiviste, fondé sur une utilisation inchangée des produits ; soit on finance des agroéquipements pour réduire de 80 % les dépenses de produits phytosanitaires. Pour ma part, je suis pour la seconde solution.
M. Laurent Duplomb. Très bien ! Alors, nous allons pouvoir travailler ensemble !
M. Didier Guillaume, ministre. Bien sûr, la transition doit se poursuivre ; il faut avancer vers la fin de la dépendance aux produits phytosanitaires. Précisément, le Gouvernement y travaille, et je souhaite qu’il puisse mobiliser les crédits nécessaires dans le cadre d’un grand plan d’investissement. Malheureusement, les montants sont tels qu’aujourd’hui les agriculteurs peuvent difficilement acheter ces nouveaux matériels.
Enfin – je l’ai déjà dit en réponse à M. Daniel Laurent –, nous travaillons évidemment à une indemnisation. Je ne vais pas vous mentir : le coût de ces investissements ne sera pas nul pour les agriculteurs. Mais nous allons trouver un financement afin qu’ils obtiennent une compensation pour les zones qu’ils ne traiteront plus.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le ministre, vous l’avez dit à plusieurs reprises, vous voulez améliorer le quotidien de nos agriculteurs. Le dire c’est bien, le faire c’est mieux !
Or les comptes ne sont pas bons. En décembre 2019, les prix à la production de l’ensemble des produits agricoles étaient en baisse de 0,4 %, alors que les prix à la consommation des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées augmentaient de 2,1 %.
De façon plus générale, la faiblesse des revenus agricoles s’observe dans bon nombre de filières – je n’y reviens pas. À ce propos, la commission des comptes de l’agriculture de la Nation a publié, le 10 janvier dernier, les résultats des exploitations agricoles : le résultat net est en baisse de 11 % !
La loi Égalim ne rééquilibre pas les relations commerciales – force est de le constater. Cette loi laisse même un goût amer aux paysans et elle ne donne pas de perspectives en termes de prix. D’ailleurs, les parlementaires que nous sommes ne cessent d’examiner des propositions de loi qui, l’une après l’autre, modifient la loi Égalim et corrigent ce qui n’a pas fonctionné. C’est la preuve, s’il en fallait une aujourd’hui, que cette loi n’est pas la solution et que nous ne pouvons la laisser en l’état.
Monsieur le ministre, ma question est simple : quand le Gouvernement compte-t-il enfin se mettre au travail pour redonner de la dignité à une profession toujours plus précaire ? Les agriculteurs de notre pays attendent des réponses, à l’heure où s’ouvre le salon de l’agriculture, censé promouvoir notre agriculture et le savoir-faire de ces femmes et de ces hommes qui ont une mission d’intérêt public : nourrir l’ensemble de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, soyons fiers de notre agriculture, soyons fiers de notre alimentation, soyons fiers de nos agriculteurs. Arrêtons de toujours parler négativement de l’agriculture et des agriculteurs.
Le salon de l’agriculture va s’ouvrir. Il va être une formidable vitrine. Même s’ils souffrent, même s’ils gagnent mal leur vie, les agriculteurs seront là. Ils prendront sur leur argent pour venir, pour présenter leurs animaux et leurs productions.
C’est toujours l’un des enjeux du salon de l’agriculture : montrer aux Parisiens, aux habitants d’Île-de-France et d’ailleurs ce qu’est la vraie alimentation, ce qu’est le vrai élevage. Nous avons parlé du bien-être animal et du bien-être de l’éleveur : aujourd’hui, dans les élevages, il y a souvent plus de mal-être du côté des éleveurs que du côté des animaux. Les chefs d’exploitation et les éleveurs sont en grande difficulté.
La loi Égalim n’est pas la réponse, je suis d’accord avec vous, mais c’est une des réponses pour garantir une régulation. Vous connaissez très bien le monde agricole dans votre département, et je vous l’assure : l’inversion de la construction du prix fait bouger les choses. Les fait-elle bouger suffisamment ? Non – je me suis déjà exprimé sur ce point. Va-t-on assez vite ? Non, le compte n’y est pas. Mais elle fait bouger les choses ; cela bouge beaucoup pour le lait ; c’est en train de bouger pour la viande ; cette année, nous faisons face à diverses difficultés pour les produits transformés et les céréales ; le prix du sucre pose également problème. Mais les choses avancent.
Nous arrivons au terme de la négociation commerciale, fixé au 1er mars prochain. Or le salon de l’agriculture est toujours un accélérateur de négociations. Aujourd’hui, beaucoup de contrats sont déjà conclus – la presse s’en est fait l’écho –, mais les parties ont décidé collectivement de ne plus communiquer sur les contrats signés entre l’amont et l’aval ; il faut prendre garde à ne pas déstabiliser le marché en compromettant la concurrence libre et non faussée. Mais les évolutions sont à l’œuvre.
Faut-il améliorer la loi Égalim ? Vraisemblablement ! Je suis venu au Sénat à plusieurs reprises pour parler de ce texte. Des avancées ont été accomplies. Doit-on revenir sur le seuil de revente à perte ? Doit-on revenir sur d’autres points ? Nous verrons.
À cet égard, je réponds également à l’interrogation de M. Duplomb quant à la prolongation, dans le projet de loi ASAP (projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique), de l’expérimentation. Sans cette disposition, tout se terminait à la fin de la seconde année.
Mme Sophie Primas. Eh oui !
M. Didier Guillaume, ministre. Voilà pourquoi nous prévoyons un filet de sécurité ; on verra bien comment les choses se passeront.
M. Laurent Duplomb. Avec un bilan d’étape ?
M. Didier Guillaume, ministre. Vous connaissez ma position sur ce sujet – je ne la rappellerai pas, ne voulant pas dépasser mon temps de parole. Je la redirai le moment venu.
Bref, la loi Égalim est une des réponses pour faire face au mal-être agricole et améliorer le revenu de nos agriculteurs.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le ministre, on peut effectivement être fier de notre agriculture et de nos agriculteurs. C’est justement pourquoi il faut avoir pour ambition qu’ils vivent de leur travail, et qu’ils en vivent dignement.
Mme Cécile Cukierman. Toutefois, un filet de sécurité pour quelques mois supplémentaires n’est pas suffisant : il faut prendre les mesures qui s’imposent. Mois après mois, pour beaucoup de familles d’agriculteurs, il est de plus en plus difficile de vivre correctement.
Conclusion du débat
M. le président. Pour clore ce débat, la parole est à M. Alain Houpert, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Houpert, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans deux jours, le salon international de l’agriculture ouvrira ses portes, et, comme chaque année, les Français seront au rendez-vous. Mais cet engouement ne doit pas masquer la réalité du quotidien des agriculteurs français ; c’est pourquoi les élus du groupe Les Républicains ont souhaité l’inscription d’un débat sur l’action du Gouvernement dans ce secteur.
Nous voulons non seulement tirer la sonnette d’alarme, mais surtout réaffirmer avec vigueur qu’il s’agit d’un secteur d’activité stratégique pour la France.
Je rappelle quelques faits : à elle seule, notre agriculture représente près de 17 % de la production européenne. Elle reste une force exportatrice qui pèse positivement dans la balance commerciale de notre pays. Nous sommes une puissance agricole de premier plan, fruit d’une longue tradition d’excellence, de savoir-faire reconnus dans le monde entier, et près d’un quart de nos exploitations agricoles produisent sous des labels d’identification de la qualité et de l’origine.
Notre agriculture est un acteur de la transition énergétique. Elle est respectueuse de l’environnement, elle est même un acteur majeur de sa préservation. Elle répond aux enjeux d’une économie toujours plus circulaire et plus durable. Pour la troisième année consécutive, l’hebdomadaire britannique The Economist classe d’ailleurs l’agriculture française comme le modèle agricole et alimentaire le plus durable du monde. Et pourtant, les agriculteurs souffrent !
Monsieur le ministre, les nombreuses questions de mes collègues ont permis de le rappeler : les maux sont nombreux pour nos exploitants. Leurs revenus subissent une diminution dramatique, malgré les promesses de la loi Égalim. On demande toujours plus à nos agriculteurs, qui affrontent la concurrence déloyale des produits importés. Enfin, la renationalisation annoncée de la PAC soulève des inquiétudes.
Or, malgré les sacrifices consentis par la profession, la méfiance de la population envers les agriculteurs est de plus en plus visible. Je vous le demande : quelle est cette société dans laquelle les données scientifiques reculent devant l’hystérie collective ? (M. Jean Bizet acquiesce.)
Les actions violentes et les agressions d’exploitants doivent nous alerter. Le Gouvernement doit cesser d’alimenter l’agribashing. Or il ne montre pas l’exemple. J’en veux pour preuve vos décisions récentes quant aux zones de non-traitement, dont il a été question au cours du débat.
Parce qu’il s’agit d’un secteur stratégique, le Sénat, et particulièrement sa majorité, a toujours eu à cœur de défendre l’agriculture dans ses travaux et de faire des propositions concrètes pour tenter de redresser la barre. Malheureusement, le Gouvernement n’y est pas très réceptif.
Un exemple parmi d’autres permet de l’illustrer : les travaux de suivi de la loi Égalim ont montré que, avec l’encadrement des promotions, de nombreuses PME et ETI de l’agroalimentaire, particulièrement dans le secteur des produits saisonniers, se trouvent en difficulté.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. Alain Houpert. C’est pourquoi une proposition de loi a été adoptée à l’unanimité du Sénat le 15 janvier dernier, pour contrer ces effets pervers de la loi et, ainsi, sauvegarder l’activité dans les territoires ruraux. Quelle ne fut pas notre surprise de constater dans le projet de loi ASAP, à l’article 44, une prolongation de l’expérimentation de l’encadrement des promotions !
Lors de la discussion de la proposition de loi, vous nous avez demandé d’attendre la fin de l’expérimentation pour en tirer tous les enseignements. Or, sans aucune évaluation, vous demandez aujourd’hui au Parlement de prolonger un dispositif qui fragilise nos territoires. (M. Laurent Duplomb applaudit.)
Ce mépris des travaux du Parlement est malheureusement une marque de fabrique de la majorité présidentielle et de ce gouvernement.
M. Laurent Duplomb. Exact !
M. Alain Houpert. Et, dans ce cas, c’est l’agriculture et le secteur agroalimentaire qui en subissent les conséquences.
Dernièrement, nous vous avons adressé des propositions sur des sujets précis. En voici deux exemples.
Avec notre collègue Yannick Botrel, je viens de déposer un rapport sur l’agriculture biologique, dans lequel nous recommandons de mettre en cohérence les objectifs de conversion des exploitations avec la programmation financière. Les crédits diminuent, alors que la demande de produits bio est en hausse en France, et nous nous voyons forcés d’importer 30 % des produits consommés.
Dans son rapport sur la dégradation de la place de l’agriculture française sur les marchés mondiaux, notre collègue Duplomb préconise quant à lui de conserver la diversité de notre agriculture. En effet, elle est capable de conquérir des marchés là où cette demande va exploser, en Afrique et en Asie, ou encore de lutter contre la concurrence déloyale des importations ne respectant pas les normes imposées aux agriculteurs français.
Monsieur le ministre, nous éprouvons semble-t-il les mêmes inquiétudes et nous dressons les mêmes constats. Joignez la parole aux actes et saisissez-vous des propositions concrètes que formule le Sénat.
L’agriculture française et les agriculteurs sont face à des défis majeurs : nous devons collectivement, et particulièrement votre ministère, être à leurs côtés et pas seulement sous l’œil des caméras au salon de l’agriculture ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne et Mme Denise Saint-Pé applaudissent également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’action du Gouvernement en faveur de l’agriculture.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
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Politique spatiale de l’Union européenne
Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires européennes, sur la politique spatiale de l’Union européenne.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. le rapporteur de la commission auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Jean-François Rapin, rapporteur de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, de nombreux travaux ont été menés par le Sénat ces derniers mois sur le thème de la politique spatiale : notre commission des affaires européennes a publié, l’été dernier, un rapport d’information sur la politique spatiale de l’Union européenne ; un groupe conjoint à la commission des affaires économiques et à la commission des affaires étrangères a produit un rapport invitant à restaurer l’ambition européenne dans le domaine des lanceurs ; l’Opecst a également publié plusieurs notes de grande valeur sur le sujet, notamment sur les satellites et les lanceurs.
De fait, l’année 2019 a représenté un cap pour l’Europe spatiale, puisque Ariane a brillamment passé la barre des 250 lancements, quarante ans après sa mise en service. La fin de l’année a été marquée par le succès de la conférence interministérielle de l’ESA, l’Agence spatiale européenne, à Séville ; j’y reviendrai.
Si la commission des affaires européennes a souhaité que soit organisé aujourd’hui un débat sur la politique spatiale européenne, ce n’est pas seulement pour se réjouir de ces succès, mais aussi pour que nous portions ensemble un regard prospectif sur les défis à venir. Ceux-ci sont nombreux, et, nous en sommes convaincus, ce n’est qu’à l’échelon européen que nous pourrons y apporter une réponse.
Les outils et les données fournis par l’activité spatiale sont indispensables pour affronter des enjeux qui ne peuvent eux-mêmes être envisagés et traités qu’au niveau européen. Je pense, par exemple, au changement climatique : sur cinquante variables essentielles pour mesurer le changement climatique, vingt-six ne peuvent être observées ou mesurées que depuis l’espace. Les satellites sont aussi seuls capables de mesurer de nombreux paramètres concernant les océans, où il peut être difficile de recueillir des informations in situ : acidification des eaux, évolution des glaces de mer, prolifération des algues ou modifications du trait de côte, autant de variables dont l’analyse est un enjeu essentiel pour la planète. Le spatial nous donne alors les moyens d’améliorer la prise de décision politique.
Un autre exemple est l’internet par satellite, qui peut contribuer à la réduction de la fracture numérique. Le spatial offre dans ce domaine des moyens techniques pour mettre en œuvre nos décisions politiques.
Le spatial et les applications qui en sont issues touchent aussi des domaines plus sensibles. Une politique spatiale ambitieuse est donc indispensable pour assurer l’autonomie stratégique et la sécurité de l’Europe, dont l’indépendance même est, à terme, en jeu. Il ne s’agit pas seulement de la militarisation de l’espace, mais aussi d’assurer, par exemple, la continuité de nos moyens de communication. À cet égard, il faut saluer le programme initié par la Commission européenne, GovSatCom, qui devrait être en mesure de fournir, dès 2020, des services sécurisés de communication par satellite aux pays, organismes et opérateurs d’importance vitale de l’Union.
Au-delà de ces programmes ciblés, il est indispensable que l’Union européenne demeure un acteur de premier plan de toute la chaîne de valeur du secteur spatial.
Des signaux positifs ont été envoyés ces derniers mois par les États comme par les instances européennes, marquant une véritable prise de conscience de l’importance du secteur spatial. Nous pouvons saluer, au niveau de la Commission européenne, la mise en place d’un règlement unique pour l’ensemble des activités spatiales de l’Union et la création d’une nouvelle direction générale – Defis –, spécifiquement dédiée aux industries spatiales et de défense, placée sous la houlette du commissaire français, Thierry Breton.
Néanmoins, trois points méritent notre vigilance.
Le premier est celui de la gouvernance. Nous avons tous en mémoire l’interruption de service de Galileo l’été dernier, causée par des problèmes de coordination entre les différentes parties prenantes. Il est donc nécessaire de rationaliser cette gouvernance, notamment en précisant le rôle de la future Agence de l’Union européenne pour le programme spatial, l’Euspa. Les prochaines négociations entre la Commission et l’ESA, agence interétatique dont le périmètre ne recouvre pas celui de l’Union, s’annoncent difficiles sur ce point, encore plus depuis la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Le deuxième point est celui du financement. Les États-Unis, leader historique, consacrent chaque année plus de 40 milliards d’euros au secteur spatial, la Chine, qui ne cache plus ses ambitions dans ce domaine – elle a effectué l’année dernière un tiers des lancements, ce qui est considérable –, plus de 5 milliards, soit plus de deux fois le budget annuel du CNES.
En novembre dernier, les pays membres de l’Agence spatiale européenne sont allés au-delà des espérances de cette agence, en lui accordant plus de 14 milliards d’euros sur trois ans, ce qui permettra de poursuivre les programmes historiques concernant l’exploration, les applications ou les lanceurs, mais aussi de développer de nouveaux programmes, pour répondre aux nouveaux enjeux auxquels nous sommes confrontés, par exemple en matière de sûreté et de sécurité de l’espace.
La volonté de l’Union européenne d’accompagner cet élan est moins claire. Certes, la proposition budgétaire initiale de la Commission témoignait d’une véritable ambition spatiale, avec 16 milliards d’euros sur sept ans, une somme saluée sur toutes les travées. Toutefois, la dernière proposition du président du Conseil européen a réduit cette enveloppe prévisionnelle à 13,2 milliards d’euros.
Ces derniers mois, le Sénat a affirmé, dans deux résolutions européennes, son attachement au niveau de financement initialement envisagé. Charles Michel réunit aujourd’hui les membres du Conseil européen pour tenter d’obtenir un accord – ce n’est pas gagné – sur le prochain cadre financier pluriannuel. Savez-vous, madame la ministre, ce qui en sortira ? Je ne le crois pas, mais je pose tout de même la question.
Le Gouvernement a indiqué à plusieurs reprises soutenir un financement ambitieux, mais n’y a-t-il pas, chez certains de nos partenaires, la tentation de préférer financer le secteur spatial via l’ESA, qui applique le principe du retour géographique ? Ce serait une logique court-termiste qui ne ferait à terme que des perdants. Je l’ai rappelé à nos collègues représentants des parlements nationaux pas plus tard que ce mardi, lors de la conférence interparlementaire sur la stabilité, la coopération économique et la gouvernance en Europe qui était organisée au Parlement européen : tout ce que nous n’accomplirons pas au niveau de l’Union européenne, c’est sur notre budget national que nous devrons le prendre en charge, mais à une échelle moins pertinente, et donc moins efficace.
Qu’en est-il du budget de la recherche ? Auditionnée récemment par la commission des affaires européennes du Sénat, la secrétaire d’État aux affaires européennes a indiqué que le Gouvernement visait désormais une enveloppe dédiée au spatial à l’intérieur du programme Horizon Europe de 2,5 milliards d’euros, quand nous réclamions 4 milliards d’euros. Ce n’est pas satisfaisant, à l’heure où les modifications radicales des technologies de l’écosystème spatial s’accélèrent. Nous devons nous donner les moyens d’accompagner les start-up innovantes, mais aussi anticiper les futurs développements de Galileo, de Copernicus et d’Egnos.
Enfin, je vous appelle, mes chers collègues, à mener, dans vos territoires, la bataille de l’opinion publique. Thomas Pesquet, qui repartira l’an prochain dans la station spatiale internationale, demeurera, certes, le meilleur ambassadeur de notre ambition spatiale. Au-delà de l’exploration, l’espace donne toutefois lieu à des applications beaucoup plus terre à terre, mais si utiles pour notre vie quotidienne, pour notre sécurité, pour notre souveraineté.
À l’heure des batailles de chiffres, quand les intérêts nationaux menacent de primer sur l’intérêt commun, regardons plus haut : c’est peut-être là que se construira le futur de notre Terre commune. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Colette Mélot et M. Jean-Claude Requier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier la commission des affaires européennes pour l’organisation de ce débat. Les questions spatiales demeurent trop souvent éloignées des débats en séance publique, et cela est évidemment regrettable.
Chacun comprend bien à quel point les enjeux spatiaux sont consubstantiels à la défense de notre souveraineté et à la construction de notre prospérité économique, et je sais à quel point les commissions des affaires économiques, des affaires étrangères et de la défense et des affaires européennes sont engagées sur ces sujets.
La question spatiale est au cœur des enjeux européens. Le séminaire Perspectives spatiales, que j’ai ouvert ce matin, le rappelle en ce moment même.
Naturellement, cela est un acquis du traité de Lisbonne et de l’article 189 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui assignent à l’Union européenne l’obligation de se doter d’une politique spatiale en vue de favoriser le progrès scientifique et technologique, mais aussi de renforcer sa compétitivité industrielle. Cette politique fut historiquement – c’est toujours le cas aujourd’hui – le fruit d’une coopération renforcée entre les États de l’Union européenne. Les politiques spatiales des pays membres de l’Union contribuent ainsi à alimenter ses orientations propres dans le cadre proposé par l’Agence spatiale européenne.
La France, comme chacun le sait, joue un rôle leader dans la structuration de la politique spatiale de l’Union européenne. Nous le devons à des choix politiques forts et structurants qui garantissent à la France et à l’Union européenne d’appartenir au cercle des grandes puissances spatiales. Je songe également au rôle stratégique que jouent la Guyane et le centre de Kourou, qui, ainsi que le relève le rapport de votre commission des affaires européennes, est le véritable « port spatial de l’Europe », garantissant le libre accès de l’Union européenne à l’espace.
Ce mode de fonctionnement, qui est le produit tant de l’histoire que de l’originalité même du projet européen, distingue d’emblée la politique européenne de celles des autres puissances spatiales, dont la politique est d’abord structurée autour des questions de défense. Cette originalité, si elle n’a jamais fait obstacle au succès de la politique européenne en matière spatiale, doit être questionnée à la lumière des enjeux actuels relatifs à la nouvelle donne qui s’impose dans la compétition spatiale.
La politique spatiale de l’Union européenne n’a pas à rougir de la concurrence internationale. Le volume d’investissement annuel cumulé de l’Europe en la matière est tout à fait comparable aux investissements réalisés par la Chine. Au-delà des seules grandes masses financières, l’Union européenne peut revendiquer de réels succès. Je songe évidemment à Galileo ou à Copernicus, deux programmes qui témoignent par eux-mêmes de la spécificité de notre politique spatiale et de sa pertinence stratégique.
La collecte de données et d’informations depuis l’espace représentera, dans les prochaines décennies, un enjeu majeur de développement économique et de prévention des risques en Europe et dans le monde. C’est l’un des enjeux du programme Copernicus.
De même, en matière de transport et de géolocalisation, les applications de Galileo sont reconnues pour leur valeur ajoutée en comparaison du GPS ou des systèmes russes ou chinois. Galileo dépasse les frontières de la seule Union européenne et profite aujourd’hui à plus de 1 milliard d’utilisateurs dans le monde.
Pour autant, si l’Europe dispose d’atouts indéniables, si elle est déjà riche d’un bilan remarquable en la matière, nous devons regarder avec lucidité la nouvelle donne à l’œuvre dans le monde. Une course mondiale aux lanceurs est en cours, révélant une compétition pour l’accès le plus efficient à l’espace.
La concurrence s’accroît, notamment du fait de la montée en puissance du secteur spatial asiatique ; je songe aux fusées Longue Marche chinoises ou aux fusées SLV indiennes. Bien que la mission Chandrayaan-2 ait échoué, l’Inde a clairement affirmé son intention d’envoyer des hommes sur la Lune, un objectif toujours partagé également par les États-Unis et la Chine.
Au-delà des seules puissances étatiques, les dernières années ont vu l’émergence d’acteurs industriels puissants. Je songe naturellement au secteur du New Space et à son porte-étendard, SpaceX, qui dispose à la fois d’une force de frappe inédite en matière de communication et qui poursuit surtout des objectifs ambitieux. Le groupe pourrait en effet bientôt disposer d’une constellation de 180 satellites tout en ayant annoncé son souhait de déployer plus de 40 000 appareils autour de la Terre.
Cet investissement de l’espace n’échappe pas non plus aux GAFA. Blue Origin est ainsi une société dirigée par Jeff Bezos, le président-directeur général du groupe Amazon.
Dans ce contexte, l’Europe doit tenir son rang et affirmer sa position de leader. Nous sommes confiants dans notre capacité à conserver ce rôle, à condition que nous continuions d’avancer dans un même mouvement au sein de l’Union européenne.
Les engagements souscrits à Séville dans le cadre de l’ESA ont atteint 14,4 milliards d’euros, une somme supérieure à ce qui était attendu par l’Agence et représente une augmentation de 4 milliards d’euros par rapport à la précédente conférence ministérielle, témoignant d’une grande confiance collective dans le spatial européen. Ces engagements permettront d’impulser des projets ambitieux comme de garantir l’achèvement des programmes Ariane 6 et Vega C.
En matière scientifique, la mission LISA nous permettra de progresser dans la détection des ondes gravitationnelles dans l’espace ; la mission Athéna nous permettra quant à elle d’étudier les phénomènes à très haute énergie dans l’univers. Je songe également à la rénovation du centre spatial de Kourou. L’observation de la Terre n’est pas en reste, avec 1,8 milliard affecté par l’ESA au programme Copernicus, en plus des financements qu’y consacrera par ailleurs l’Union européenne.
La conférence a également mis en avant la mission Arctic Weather pour le suivi de la météo arctique.
Enfin, en matière d’exploration, plusieurs missions ont pu être financées grâce à cette conférence : la mission qui permettra le retour des échantillons de roches martiennes, le Lunar Gateway, pour disposer d’une station à mi-chemin entre la Terre et la Lune, ou encore le prochain retour en vol de Thomas Pesquet sur la station spatiale internationale.
Naturellement, la France a joué un rôle déterminant dans le succès et l’ambition de la conférence de Séville, que j’avais l’honneur de coprésider. La souscription totale de notre pays a été de 2,7 milliards d’euros, des nouveaux engagements qui s’ajoutent à notre contribution annuelle et à la fin de l’apurement de notre dette à l’ESA, que je me suis engagée à régler dès mon arrivée, afin de réaffirmer le leadership de la France. Cela sera chose faite dès la fin de l’année 2020.
Au-delà des chiffres et des engagements financiers, il va de soi que, une politique spatiale, c’est aussi un récit sur l’aventure collective vécue par celles et ceux, dans vos territoires, qui dédient leur carrière et leurs rêves au secteur spatial. C’est un désir d’exploration et d’aventure, c’est un besoin de connaissance. Ce récit existe en Europe, et mon engagement en tant que ministre, c’est de travailler à le diffuser à une époque où la défiance envers le progrès scientifique et technologique se répand dans le débat public.
Faire connaître ce récit, faire connaître cette politique, rappeler ce qu’elle apporte au quotidien à nos concitoyens, mais également à vos territoires, en termes d’activité et de développement économique, tout cela fait partie des enjeux de ce débat. Je tâcherai naturellement de répondre à l’ensemble de vos questions. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Débat interactif