M. le président. La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour la réplique.
M. Ronan Le Gleut. L’actuel directeur général de l’ESA, Johann-Dietrich Wörner, a annoncé qu’il partirait à la mi-2021. Ce sera certainement l’occasion, pour un candidat français, de porter cette vision, celle d’une meilleure synergie de la gouvernance spatiale européenne ; espérons qu’un Français puisse être désigné à la tête de l’ESA mi-2021.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Le groupe Union Centriste considère que la politique spatiale française et européenne se trouve à un stade extrêmement critique, non pas parce qu’il n’y aurait pas d’ambition budgétaire – vous l’avez rappelé dans votre propos liminaire, madame la ministre, il y a effectivement une volonté budgétaire –, mais parce que, deux rapports sénatoriaux ainsi que, dans une étude très récente intitulée Espace : le réveil de l’Europe ?, l’Institut Montaigne l’ont souligné, des risques se présentent.
On le voit autour de nous, le spatial se développe, de façon récente mais tout à fait significative, en tout cas à en croire les annonces. En effet, si l’on considère que, depuis 1957, on a porté à peu près 8 000 objets dans l’atmosphère, eh bien, SpaceX, la société d’Elon Musk, annonce l’envoi très prochain de 42 000 objets en orbite ! C’est dire la dimension particulièrement significative que tout cela doit prendre à court terme.
Or, en matière spatiale comme dans d’autres secteurs, c’est encore le low-cost qui s’annonce, et, dans ce domaine, si nous avons bien sûr des atouts – notamment Ariane –, on sait bien que notre dispositif ne peut être concurrentiel vu les prix auxquels on arrive, puisque les nouveaux acteurs du marché utilisent une technologie fondée sur la réutilisation partielle des lanceurs. Nous essaierons bien, comme toujours, de courir après, mais y arriverons-nous ?
Par conséquent, madame la ministre, est-on prêt à une politique disruptive en la matière ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Vous avez raison de le rappeler, monsieur le sénateur Canevet, nous avons effectivement changé d’échelle en matière spatiale, tant du point de vue du nombre d’objets envoyés dans l’espace que de la façon dont on les y envoie.
Cela dit, je pense qu’il faut faire attention aux annonces. Certes, on annonce l’envoi de 40 000 objets, mais suivons les choses de près, pour une raison très simple : en réalité, SpaceX se pose aujourd’hui en quasi-concurrent des satellitaires, alors qu’il n’était jusqu’à présent que lanceur de satellites. Je demande donc à voir, et c’est aussi ce que disent les satellitaires.
Comment ces derniers vont-ils, ailleurs dans le monde, se positionner par rapport à l’un de leurs concurrents ? Vont-ils continuer de lui confier le lancement de leurs satellites ? Le modèle économique de SpaceX est donc en train de changer et, évidemment, nous y sommes tous très attentifs.
Vous parlez par ailleurs du prix de lancement. Là encore, je pense qu’il est très important de comprendre que le prix des lancements institutionnels confiés à SpaceX est tellement élevé qu’il permet à cette société d’engager une guerre économique dans le lancement de satellites commerciaux.
De notre côté, nous soutenons globalement, au travers de l’ESA et des budgets de l’Union européenne, notre politique spatiale. C’est une autre façon de faire, et elle n’est pas forcément moins efficace.
Toutefois, vous avez raison, nous avons besoin d’innovations de rupture. C’est pour cela qu’ArianeWorks a été créé avec – je l’évoquais précédemment – du personnel issu d’ArianeGroup et du personnel issu du CNES. Cette entité dispose donc de toutes les compétences scientifiques et techniques pour concevoir l’innovation de rupture. Il est extrêmement important que nous puissions le faire, car, dans le domaine spatial, l’innovation incrémentale ne sera pas la solution pour garantir notre souveraineté.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour la réplique.
M. Michel Canevet. J’entends bien, madame la ministre, que l’on puisse s’interroger sur le nombre annoncé d’envois d’objets dans l’espace. Néanmoins, il ne vous aura pas échappé que, derrière ces initiatives, on trouve les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon et autres –, et, compte tenu des moyens que ces entreprises sont en mesure de mobiliser, on peut s’inquiéter de cette évolution.
Il ne faut pas que l’industrie spatiale française reste à la remorque ni que nous soyons déconnectés des coûts, au risque que l’on ne fasse plus appel, hélas ! à nos lanceurs, ce qui serait absolument dramatique.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a procédé, le 7 novembre dernier, à l’audition des responsables de la politique spatiale européenne, notamment à celle du patron de l’Agence spatiale européenne.
Je remercie la commission des affaires européennes d’ouvrir ce débat, parce que, si nous avons obtenu, lors des rencontres des 27 et 28 novembre derniers de Séville, des réponses plutôt favorables, aucune des questions majeures qui se posent aujourd’hui – mon excellent collègue Canevet et M. Le Gleut viennent de les rappeler – n’est véritablement tranchée.
Un nouvel acteur se propose de conquérir une position dominante dans la fonction de lancement, c’est SpaceX. Ce nouvel acteur bénéficie d’un appui technique : la réutilisabilité – pardon de ce néologisme – de ses équipements. En vérité, il bénéficie aussi, vous venez de l’évoquer, de la mixité de ses commandes : commandes militaires publiques favorisées et commandes commerciales tirant profit des subventions du public. Enfin, il tire parti de la simplicité de son dispositif.
Nous avons, en Europe, exactement le contraire : un système superbe mais qui, n’étant pas réutilisable, est plus coûteux ; une loi du retour vers les différents pays, qui rend les choses extraordinairement compliquées ; et des usages principalement d’ordre régalien du lanceur – surveillance de la Terre ou du climat –, toutes choses absolument formidables, mais qui risquent de nous mettre hors marché.
Madame la ministre, partagez-vous cette inquiétude et cette urgence ? Au-delà de Prometheus et d’ArianeWorks, quelle est la logique du rapport de force entre lanceur satellitaire et utilisateurs de l’espace ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Vous évoquez, monsieur le sénateur Longuet, des choses essentielles.
Tout d’abord, en ce qui concerne la compétitivité et les comparaisons entre SpaceX, d’un côté, et Ariane 6 ou Vega C, de l’autre, en matière de lancement, on ne parle pas exactement de la même chose. Globalement, la majorité des lancements de SpaceX sont en orbite basse, alors que les lanceurs Ariane 6 ou Vega C ont une capacité et une portée beaucoup plus importantes.
On regarde, c’est vrai, SpaceX comme le petit dernier, le dernier arrivé ; la communication autour de cette entreprise est absolument spectaculaire ; cette société se présente comme un opérateur privé, ce qu’elle est effectivement, mais, je le rappelais précédemment, elle est capable de présenter, pour les vols institutionnels, une facture deux à trois fois plus élevée que pour les vols commerciaux.
M. Gérard Longuet. Tout à fait !
Mme Frédérique Vidal, ministre. Il est important que tout le monde en soit bien conscient et que l’on soit peut-être un peu moins admiratif de ce que SpaceX est capable de faire, car il ne s’agit pas d’un secteur totalement privé.
En termes de compétitivité, nos entreprises ont réalisé un énorme travail entre Ariane 5 et Ariane 6, puisque Ariane 6 sera 40 % moins chère qu’Ariane 5, tout en gardant la capacité à atteindre absolument toutes les orbites et à pouvoir embarquer des satellites beaucoup plus importants.
Vous avez raison sur le retour géographique. J’ai déjà longuement abordé cette question avec les industriels, et je l’évoque évidemment à chaque conférence ministérielle. Le retour géographique visait initialement à ce que chaque pays membre de l’ESA puisse revendiquer de participer à l’aventure spatiale. Ce principe doit perdurer, mais, sur le plan de l’organisation économique et industrielle, il ne faut pas qu’il se fasse ligne par ligne. C’est la position que défend le gouvernement français.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.
M. Gérard Longuet. Madame la ministre, je vous suggérerais que le Gouvernement français saisisse l’OMC de la déloyauté des prestations de SpaceX…
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Si je puis me permettre, monsieur Longuet, je vous trouve taquin. (Sourires.)
Madame la ministre, en novembre dernier, j’ai produit, avec mon collègue Jean-Marie Bockel, un rapport sur les lanceurs spatiaux. Nous y faisions le constat que nous connaissons, à savoir qu’Ariane est une filière d’excellence pionnière du transport spatial commercial, dont nous sommes fiers, mais qui est aujourd’hui soumise à une très forte pression susceptible de remettre en cause notre indépendance dans l’accès à l’espace. Cette très forte pression provient, nous le savons, des concurrents américains, dont SpaceX, qui bénéficient de commandes institutionnelles fort bien payées et qui ont développé la seule rupture technologique réussie dans le domaine des lanceurs depuis le lancement de Spoutnik en 1957 : la réutilisation du premier étage.
Par ailleurs, tous les gouvernements européens ne sont pas également convaincus de la nécessité de maintenir un accès autonome à l’espace, ce qui rend certains réticents à contribuer mieux et plus avant au programme de développement des lanceurs.
Dans ce contexte, la dernière chose dont l’Europe a besoin est d’une concurrence fratricide. C’est pourquoi nous avions alerté, avant la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne, sur la nécessité d’être extrêmement prudents sur le programme Vega E, proposé par l’Italie
Vega est une grande réussite, que nous soutenons pleinement. Nous avons d’ailleurs reçu les représentants d’Avio. Proposer une amélioration est une bonne nouvelle pour l’Europe spatiale, mais il ne faut pas que ce nouveau programme d’amélioration de Vega se traduise par des augmentations de performances telles que le lanceur viendrait concurrencer Ariane 6, contrairement au schéma qui a été défini initialement.
Lors de la conférence ministérielle, l’enveloppe accordée pour financer le programme Vega E a dépassé celle qui avait été demandée initialement. Dès lors, je vous interroge, madame la ministre : avez-vous obtenu l’assurance que Vega E ne se traduira pas par l’émergence d’une concurrence fratricide en Europe ?
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Bruno Sido. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice Primas, vous avez raison de rappeler que l’accès autonome à l’espace doit rester au cœur des préoccupations de l’ensemble des pays européens et que, parfois, notamment au regard des contraintes budgétaires, certains pourraient être tentés de sortir de cette aventure.
Cependant, c’est par notre capacité à défendre l’espace et à convaincre nos populations des apports de l’observation de la Terre et des avancées scientifiques que permet celui-ci que nous pourrons maintenir la cohérence de l’ensemble des partenaires européens et des pays européens membres de l’ESA.
Cette position a été défendue très fortement et de manière unanime lors de la conférence de Séville, parce que l’ESA va aussi financer des missions exploratoires, parce que l’espace doit toujours continuer à nous faire rêver, parce que nous devons être davantage en capacité d’expliquer son importance à nos concitoyens.
Vous imaginez bien que la question de Vega E et de la compétition potentielle fait l’objet de discussions permanentes, à la fois avec le gouvernement italien, mais aussi entre les industriels. Toutefois, n’oublions pas que Vega et Ariane partagent les mêmes boosters, ce qui signifie que toute amélioration qui pourrait être apportée à l’un bénéficiera à l’autre, mais aussi que, si une forme de concurrence devait un jour advenir, la question de l’intérêt des industriels italiens comme français à se lancer dans une telle concurrence se poserait.
Que nous ayons des chaînes de production et des outils en commun permet que les négociations avancent sur ce sujet et que Vega E, qui constitue bien une amélioration de Vega C, n’ait pas vocation à concurrencer Ariane 6.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Je souhaite revenir sur la notion d’encombrement spatial, non pas sous l’angle de la pollution, mais plutôt sous celui de la circulation dans l’espace.
Ainsi que nombre de mes collègues l’ont indiqué, l’espace semble de plus en plus rempli. On a parlé de 8 000 satellites lancés depuis Spoutnik. Environ 4 000 sont en orbite à l’heure actuelle. D’ailleurs, sur ces derniers, seuls 1 500 sont véritablement opérationnels, contre 2 500 qui seraient inactifs.
Pour l’heure, 34 000 objets de plus de dix centimètres se promènent dans l’espace – j’exclus les astéroïdes géocroiseurs, auxquels on ne peut absolument rien.
Avec les projets qui ont été mentionnés, nous sommes véritablement en train de changer d’échelle. Nous avons bien évidemment évoqué SpaceX, qui prévoit le déploiement de 42 000 satellites. Ce projet s’ajoute à d’autres constellations, comme Iridium ou Globalstar, et à d’autres projets, tels OneWeb, Kuiper ou LeoSat, en matière de télécommunications et d’internet.
Je tiens à rappeler que, en septembre dernier, le satellite européen d’observation de la Terre Aeolus a dû être dévié de sa trajectoire pour éviter une collision avec l’un des satellites de Starlink 44.
Ma question est très simple : ne risque-t-il pas, à terme, de ne plus y avoir d’espace dans l’espace ? Comment l’Union européenne peut-elle réguler la circulation pour éviter des collisions et, potentiellement, des dommages extrêmement importants ? On sait que, en cas de collision, des débris peuvent retomber sur la Terre.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Houllegatte, vous avez raison, le nombre d’objets qui seront envoyés dans l’espace est en train de changer d’échelle. C’est pourquoi le programme SSA de la Commission européenne a été mis en place, avec l’objectif que nous soyons en capacité de suivre les satellites, donc d’éviter les collisions. Cet engagement financier, à hauteur de 600 millions d’euros, a justement pour vocation de permettre de réguler la circulation des satellites dans l’espace.
Cela dit, il faut comprendre qu’il existe plusieurs types d’orbites. En réalité, si le chiffre de 8 000 satellites peut paraître énorme, il n’y a pas de risque immédiat de collision importante, compte tenu du volume d’espace dans lequel ces satellites sont répartis – du moins je l’espère.
Quoi qu’il en soit, le programme SSA de l’Union européenne comme la stratégie spatiale de défense qui a été définie prévoient désormais un suivi fin de l’ensemble de ces satellites, ne serait-ce que pour que nous puissions connaître ceux d’entre eux qui survolent les territoires français et qui sont en capacité de procéder à des observations. Cela fait partie de la stratégie spatiale de défense, qui, je le répète, n’a pas vocation à être agressive : elle vise simplement à prendre en compte la réalité de notre monde d’aujourd’hui.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour la réplique.
M. Jean-Michel Houllegatte. Je me pose une question, à laquelle vous aurez peut-être l’occasion de répondre une autre fois : est-ce, en fin de compte, à l’Europe de s’occuper de ses propres satellites ou faut-il une gouvernance mondiale de l’espace, qui appartient à tout le monde et qui est universel ?
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. La France – seule, au début, avec le CNES, puis avec nos partenaires européens, dans le cadre de l’ESA – a réussi à mettre en place une politique spatiale performante et ambitieuse. Les lanceurs Ariane 4 et 5 en sont l’expression la plus achevée. Les entreprises européennes ont aussi conçu des satellites de très grande qualité et très performants.
Cette politique, soutenue continûment par les États partenaires, nous a permis d’être indépendants, tant dans le domaine civil que sur le plan militaire.
Enfin, grâce à la France, l’Europe dispose, à Kourou, en Guyane, d’une remarquable base de lancement, le CSG.
Si Ariane 5, qui a été lancée pour la cent septième fois, avec succès, le 16 janvier dernier, est très fiable – elle aligne un nombre de lancements sans accident ni incident tout à fait remarquable –, elle arrive néanmoins en fin de carrière, car elle a des défauts. L’un est de devoir emporter deux satellites, ce qui conduit parfois à des retards de lancement. Un autre, et non des moindres, est que chaque lancement coûte très cher en subventions aux États, donc aux contribuables.
La concurrence est vive dans le domaine commercial. SpaceX a de plus en plus de succès. Il fallait donc réagir.
Le programme Ariane 6 a été conçu et décidé en 2014 et développé par ArianeGroup. Ce lanceur plus petit pourra n’emporter qu’un seul satellite, ce qui lui donnera plus de souplesse, et le dernier étage sera réallumable, ce qui lui offrira plus de possibilités en cas d’emport de plusieurs satellites dont les orbites sont différentes. Le premier lancement est prévu pour juillet 2020.
Au vu de ces enjeux, madame la ministre, la réorganisation de la filière spatiale et les choix techniques retenus pour Ariane 6 permettront-ils de réaliser des lancements économiquement compétitifs par rapport à ceux que propose SpaceX ? Des subventions sont-elles encore nécessaires pour équilibrer le budget ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Sido, permettez-moi, pour commencer, de rendre hommage à Hubert Curien, père du programme Ariane.
Le développement d’Ariane 6 est en phase finale. Nous espérons que son succès sera aussi grand que celui d’Ariane 5.
Ariane 6 existera sous deux versions : Ariane 62 et Ariane 64, respectivement équipées de deux et quatre boosters, capables d’emporter un ou deux satellites, avec la possibilité de mettre des satellites sur deux orbites différentes, possibilité que n’offre aucun autre lanceur au monde.
Beaucoup a déjà été fait pour réorganiser la filière spatiale, puisque le prix de vente d’Ariane 6 sera de 40 % inférieur à celui d’Ariane 5.
Oui, nous avons toujours besoin d’accompagner la filière spatiale, pour la simple raison que nous devons accompagner la transition entre Ariane 5 et Ariane 6. Chaque fois qu’un nouveau lanceur est mis sur le marché, il y a une hésitation et donc une baisse du nombre d’Ariane 5 et une augmentation du nombre d’Ariane 6 fabriquées. Nous avons évidemment besoin de soutenir l’industrie spatiale dans cette période de transition. Cependant, le secteur spatial fait tout pour maintenir cette question de la compétitivité au cœur de ses préoccupations.
C’est aussi, d’ailleurs, ce qui explique la création d’ArianeWorks : l’objectif est de pouvoir proposer, petit à petit, des briques technologiques nouvelles que l’on puisse poser sur l’infrastructure Ariane 6, si je puis m’exprimer ainsi. Par exemple, si j’ai bien compris – je ne suis pas une grande spécialiste –, des moteurs plus légers permettent de réduire les coûts, parce qu’ils requièrent moins de carburant au moment du décollage.
C’est donc un travail permanent d’amélioration d’Ariane 6 qui est d’ores et déjà engagé. En réalité, dans le domaine spatial, il faut toujours travailler avec dix à quinze ans d’avance. C’est ce que nous avons fait.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour la réplique.
M. Bruno Sido. Le fait est que SpaceX, largement soutenu par la NASA, maîtrise la récupération et la réutilisation du premier étage, ce qui est préjudiciable à la compétitivité de notre lanceur par rapport à celui des Américains.
En outre, l’organisation industrielle de SpaceX – j’invite quiconque à aller voir à quoi elle ressemble – est incomparablement supérieure à la nôtre, Europe oblige. Cela se traduit très nettement dans les coûts.
En 2014, nous – comme le CNES, d’ailleurs – portions sur SpaceX un regard plein de condescendance. Regardons où ils en sont aujourd’hui !
Dès lors, je veux vous interroger, madame la ministre : quel avenir pour Ariane 6 ?
M. le président. Vous ne pourrez obtenir de réponse à votre question immédiatement, mon cher collègue.
La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Avec l’émergence de nouveaux acteurs étatiques et privés, la dernière décennie a été le théâtre d’une transformation rapide et profonde de l’économie du secteur spatial. La concurrence exacerbée qui s’exerce désormais sur ces marchés de plus en plus stratégiques a érodé la position des industriels européens, qui ont vu leur chiffre d’affaires baisser de l’ordre de 3 % en 2018.
Le secteur des lancements, qui commande ni plus ni moins que l’accès à l’espace lui-même, est bien évidemment particulièrement touché. En 2019, l’Europe s’est fait largement distancer, au nombre de tirs réalisés, par la Chine, les États-Unis et la Russie.
L’une des raisons de cette perte de vitesse réside, à mon sens, dans le volume trop faible de la commande publique. En effet, là où le carnet de commandes de SpaceX est constitué à 75 % de contrats publics largement surfacturés et à 25 % seulement de lancements commerciaux – ainsi fonctionne cette entreprise –, cette proportion est quasiment inverse pour Arianespace.
Dans ce contexte, il est nécessaire de consentir aux efforts budgétaires à même d’accroître la commande publique et de mieux structurer le marché institutionnel, mais il est également indispensable de progresser plus rapidement et de manière plus affirmée sur la voie de la préférence européenne, qui a plusieurs fois été évoquée dans ce débat. Nos concurrents n’ont aucun état d’âme à imposer une telle préférence nationale pour leur lancement satellitaire. Nous n’y sommes malheureusement pas encore en Europe. C’est un handicap majeur pour notre industrie et sa pérennité.
Comme vous l’avez dit, madame la ministre, des avancées ont eu lieu autour d’une poignée de pays, dont la France, dans le cadre communautaire de l’ESA, avec certaines dispositions – floues – du règlement pour le programme spatial européen. Toutefois, il manque encore l’outil clair et contraignant garantissant l’engagement de tous les donneurs d’ordre publics. Vous avez déclaré qu’un tel instrument pourrait voir le jour. Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette échéance ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le sénateur Piednoir, le sujet de l’accès autonome à l’espace est extrêmement important. Les vols commerciaux représentent 64 % des tirs européens, contre 44 % des tirs effectués par les États-Unis, 6 % des tirs russes et 5 % des tirs chinois.
Vous l’avez dit, l’Europe a lancé moins de satellites que la Chine, mais cela s’explique notamment par le fait qu’un nombre non négligeable de satellites lancés actuellement par ce pays sont, au final, non opérationnels. Ce sont des satellites institutionnels, que la Chine remplace au fur et à mesure.
Les satellitiers ne souhaitent aucunement ne pouvoir choisir qu’un seul lanceur. C’est un élément important, que nous devons garder à l’esprit.
Bien sûr, la confiance du Gouvernement en Ariane 6 est absolument intacte. Je répète que notre objectif est que nous soyons progressivement capables de faire évoluer Ariane 6 à partir de ses chaînes de montage et de toute son organisation industrielle. Autrement dit, alors que le passage d’Ariane 5 à Ariane 6 a nécessité de repenser jusqu’au pas de tir du lanceur, nous travaillons avec les industriels pour parvenir à une évolution permanente d’Ariane 6, fondée sur des innovations. Par exemple, rien ne nous empêche d’installer des étages réutilisables sur Ariane 6.
La question de la préférence européenne a été au cœur des discussions de ces deux dernières années. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, maintenant que le Bundestag a voté en ce sens, plus rien n’empêche cette préférence européenne. Nous en parlerons lors du prochain conseil, mais je pense que c’est désormais acté, du moins du point de vue des plus gros lanceurs.
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Madame la ministre, en tant que rapporteure pour avis de la commission de la culture pour les crédits de la recherche, j’observe avec satisfaction que les vingt-deux États membres de l’Agence spatiale européenne ont souscrit plus de 14 milliards d’euros de programmes pour les trois à cinq prochaines années lors du conseil ministériel de l’ESA qui s’est tenu à la fin du mois de novembre dernier à Séville.
De la même façon, nous pouvons nous réjouir que la Commission européenne ait prévu d’inscrire 16 milliards d’euros de crédits pour la période 2021-2027 au profit des deux programmes majeurs que sont Galileo et Copernicus et de deux programmes plus récents, consacrés l’un aux satellites gouvernementaux, l’autre à la surveillance des objets en orbite.
Permettez-moi, à cet instant, de saluer l’action continue du président du CNES, Jean-Yves Le Gall, qui permet à la France, mais aussi à l’Europe, d’être toujours dans la course spatiale mondiale.
Toutefois, les défis à relever sont immenses. Le secteur spatial français et européen est confronté à une forte concurrence internationale : celle des États, d’une part, avec le renforcement de puissances émergentes comme le Japon, la Chine et l’Inde, et l’apparition de nouveaux acteurs, à l’image des Émirats arabes unis ; celle des acteurs privés, d’autre part, avec les sociétés SpaceX, présidée par Elon Musk, et Blue Origin, dont le président n’est autre que Jeff Bezos, le président d’Amazon, qui investissent lourdement dans le secteur spatial.
Dans ce contexte, pensez-vous, madame la ministre, que les budgets dégagés permettront d’assurer le maintien de notre compétitivité industrielle dans les filières satellitaires, à l’aune de cette concurrence internationale très forte ? Pensez-vous qu’ils permettront également de répondre aux enjeux de demain, à savoir l’observation du changement climatique, le développement du secteur spatial militaire ou encore le cyberespace ?
Enfin, en termes de gouvernance européenne, comment la France peut-elle contribuer à mieux coordonner l’effort de l’Agence spatiale européenne avec celui de l’Union européenne ?