M. le président. Madame la doyenne des présidents de chambre, le Sénat vous remercie et vous donne acte du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.
Nous allons procéder au débat dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame la doyenne des présidents de chambre, Première présidente, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le rapport public annuel de la Cour des comptes. C’est un moment symboliquement important, qui illustre l’assistance que la Cour apporte au Parlement, tel que le prévoit notre Constitution.
S’il reste une source d’inspiration essentielle pour les parlementaires dans leurs initiatives de réforme de l’action publique, le rapport public annuel est désormais complété par de nombreux autres travaux produits par la Cour tout au long de l’année, particulièrement utiles à l’analyse du bon usage des deniers publics et de la mise en œuvre des politiques publiques.
En application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la commission des finances commande régulièrement à la Cour des comptes des enquêtes éclairant des sujets d’intérêt général. Elle vient tout juste d’entendre, cet après-midi même, les magistrats de la deuxième chambre de la Cour, venus présenter, au cours d’une audition pour suite à donner, l’enquête sur l’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires. Cela a été l’occasion d’évoquer l’actualité récente, la mise à l’arrêt d’un des réacteurs de la centrale de Fessenheim, ainsi que les enjeux qui en découlent pour le territoire concerné et notre production énergétique.
M. André Reichardt. Un scandale !
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Nous entendrons de nouveau les magistrats financiers dans quelques semaines sur d’autres enquêtes, comme celles qui concernent le pilotage stratégique des opérateurs de l’action extérieure de l’État, le nouveau programme national de renouvellement urbain, ou encore la politique de lutte contre la pollution de l’air.
Par ailleurs, la commission des finances a adopté en début d’année son programme de contrôle pour 2020, qui comprend de nombreux travaux réalisés par ses moyens propres, mais aussi de nouvelles enquêtes commandées à la Cour sur des sujets qui font écho à nos travaux législatifs : ainsi en est-il de l’enquête sur le fonds de prévention des risques naturels majeurs, qui sera rapportée par Jean-François Husson, et qui fait suite à l’examen de la proposition de loi du groupe socialiste sur l’indemnisation et la prévention des catastrophes naturelles, discutée au mois de janvier au Sénat.
Par conséquent, le travail de contrôle de la Cour des comptes et celui de la commission des finances du Sénat, dans sa fonction législative et de contrôle de l’action du Gouvernement, se complètent et s’enrichissent réciproquement.
Le rapport public annuel commence, comme c’est l’usage, par une insertion consacrée à la situation des finances publiques, qui confirme ce que nous avions malheureusement anticipé : l’année 2020 ne devrait marquer aucun progrès dans le redressement de nos comptes publics.
Concrètement, la baisse du déficit, de 3,1 % du PIB en 2019 à 2,2 % en 2020, résulterait uniquement de la fin du cumul du CICE et de l’allégement de cotisations sociales le remplaçant, enregistré l’année dernière. En dehors de cet effet, aucune amélioration ni du déficit public ni du déficit structurel n’est à noter en 2020 : autrement dit, l’effort structurel est réduit à néant ! La dette publique frôle les 100 % du PIB, alors que l’Allemagne passe sous les 60 %, et ceci alors même que la charge de la dette ne cesse de s’alléger grâce aux taux d’intérêt bas. La France enregistre le déficit structurel le plus élevé de la zone euro en 2019, hormis l’Espagne.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Nos mauvais résultats sur le déficit et la dette au regard de ceux de nos partenaires européens trouvent une explication. À son arrivée, le nouveau gouvernement a d’abord fait le choix d’une baisse des prélèvements obligatoires dirigée vers les entreprises et les contribuables les plus aisés. Dans un second temps, il a dû, après le mouvement des « gilets jaunes », en plus de la suppression progressive, mais non financée, de la taxe d’habitation, revenir sur les hausses de fiscalité énergétique et de CSG qui touchaient les classes populaires. Enfin, après le grand débat national, il a décidé une réduction de l’impôt sur le revenu pour les classes moyennes.
La Cour estime ainsi à 17 milliards d’euros pour 2020 le coût des mesures adoptées après le projet de loi de finances pour 2019 ! Dans le même temps, le Gouvernement n’a pas dégagé de marges de manœuvre budgétaires à la hauteur de ses promesses de réforme de l’action publique, se heurtant souvent à l’impréparation des réformes annoncées. Il a ainsi baissé les impôts à crédit.
La situation de nos finances publiques est d’autant plus inquiétante que les perspectives macroéconomiques paraissent désormais très fragiles, dans un contexte de ralentissement européen et mondial qui s’accentue. On ne peut que souscrire au constat de la Cour selon lequel « les marges de manœuvre dont dispose la France en cas de retournement conjoncturel restent limitées, et nettement inférieures à celles de certains de nos partenaires ».
La trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques adoptée en janvier 2018 n’est donc pas respectée, mais le Gouvernement se garde d’en tirer les conséquences.
Alors que, comme le rappelle la Cour, l’écart par rapport aux orientations fixées par la loi, notamment s’agissant du déficit structurel, pourrait conduire au déclenchement du mécanisme de correction prévu par la loi organique de 2012, le Gouvernement retarde de mois en mois la présentation d’une nouvelle programmation pluriannuelle des finances publiques. Il faut dire que, pour justifier ce retard, le Premier ministre avait invoqué, en septembre dernier, les incertitudes liées au contexte macroéconomique et à la réforme des retraites… Chacun mesurera à quel point ces incertitudes sont désormais prêtes à être levées !
Faute de présenter une vision d’ensemble, que manifestement il ne maîtrise pas, le Gouvernement annonce régulièrement des lois de programmation sectorielles, qui d’ailleurs se font aussi attendre, et ne seront sans doute pas davantage respectées.
Seule l’obligation européenne de transmettre un programme de stabilité à la Commission devrait contraindre le Gouvernement à présenter aux parlementaires les perspectives d’évolution de nos finances publiques d’ici à la fin du mois d’avril.
Le rapport public annuel de la Cour des comptes, refondu cette année, comprend également plusieurs insertions balayant de nombreux enjeux de la vie économique du pays qui font souvent écho aux observations formulées par nos collègues dans leurs rapports de contrôle budgétaire et au cours de l’examen des projets de loi de finances.
À titre d’exemple, la Cour, comme l’a fait à plusieurs reprises la commission des finances, notamment son rapporteur spécial Philippe Dallier, souligne l’aspect inéquitable des mesures de gel et de sous-indexation des aides personnalisées au logement prises par le Gouvernement depuis 2017. Le rapport fait état des tensions et du manque de visibilité à moyen terme dans lesquels le monde du logement social a été plongé par la création de la réduction du loyer de solidarité.
Le second tome du rapport est consacré au numérique au service de la transformation de l’action publique. La commission des finances a entendu la semaine dernière le délégué interministériel à la transformation publique et nous avons pu mesurer les efforts qui restaient à accomplir dans ce domaine. Une enquête sur les grands projets informatiques pilotés par l’État, suivie par le rapporteur général Albéric de Montgolfier, nous sera remise par la Cour des comptes en juin prochain. Elle devra approfondir les aspects techniques de cette transformation numérique, alors même que la commission s’interroge régulièrement sur la gouvernance de ces projets, dont les coûts et les délais sont fréquemment dépassés.
Je relèverai trois éléments dans ce second tome du rapport.
La Cour s’est intéressée à la stratégie numérique mise en place par Pôle emploi depuis 2015, à la fois pour enrichir l’offre des services proposés, mais également pour dégager les gains d’efficacité indispensables pour faire face à l’afflux de demandeurs d’emploi. De plus, les problématiques liées à l’inclusion et à la fracture numérique, qui concernent certes l’ensemble des services publics, se posent avec une acuité toute particulière pour Pôle emploi, compte tenu de la fragilité d’une partie du public concerné. Dans son rapport spécial cosigné avec Emmanuel Capus en 2019, Sophie Taillé-Polian avait déjà critiqué la complexification de l’accès physique au conseiller Pôle emploi et des procédures dématérialisées « dissuasives » pour la part non négligeable de chômeurs n’utilisant pas internet dans leur démarche de recherche d’emploi. La Cour relève, quant à elle, l’insuffisance des actuelles modalités de détection en amont des personnes en difficulté face au numérique. Cet enjeu devra constituer une priorité de la nouvelle convention tripartie signée avec l’État et l’Unédic que nous examinerons attentivement.
Lors de l’examen des crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », les rapporteurs spéciaux Claude Nougein et Thierry Carcenac avaient insisté sur les obstacles rencontrés par la direction générale des finances publiques (DGFiP) et les douanes pour recruter et fidéliser les informaticiens et spécialistes du numérique. Ils avaient noté trois difficultés : un défaut d’attractivité des ministères économiques et financiers, un processus de recrutement mal adapté et des barrières réglementaires. Ces constats sont partagés par la Cour qui recommande également de diversifier les modes de recrutement et de renforcer l’attractivité des ministères économiques et financiers.
Enfin, la Cour revient sur les dérapages du projet Sirhen, qui devait constituer la base de données unique permettant au ministère de l’éducation nationale de gérer l’ensemble de ses agents. Elle relève deux faiblesses qui ont freiné le développement du projet depuis 2008 : une gouvernance déficiente, une estimation initiale irréaliste des coûts, évalués à 60 millions d’euros, et des délais de production qui n’ont, par la suite, pas été respectés. Le coût du projet a ainsi atteint près de 500 millions d’euros en 2016. Le rapporteur spécial des crédits de la mission « Enseignement scolaire », Gérard Longuet, a régulièrement alerté sur le caractère irréaliste des hypothèses sous-tendant le développement du projet Sirhen et sur les risques d’un dérapage budgétaire et opérationnel, avant l’abandon du projet en juillet 2018. Je ne doute pas qu’il sera singulièrement attentif à la nouvelle stratégie annoncée par le ministère en novembre dernier.
En conclusion, la commission des finances sera particulièrement vigilante quant aux suites que le Gouvernement apportera aux observations de la Cour des comptes, comme à celles qu’elle a déjà pu formuler par le biais du travail de ses rapporteurs spéciaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, comme chaque année, la commission des affaires sociales a pris connaissance, avec un grand intérêt, du rapport public de la Cour des comptes. Comme ma fonction m’y invite, je dirai quelques mots sur les comptes sociaux, ainsi que sur les chapitres du rapport de la Cour relatifs à des sujets relevant de la compétence de notre commission.
Pour ce qui concerne la situation des comptes publics, la Cour fait le constat, sévère, suivant : « Le redressement des finances publiques, déjà très graduel au cours des dernières années, est aujourd’hui quasiment à l’arrêt. »
L’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 nous a montré à quel point cela se vérifiait pour les comptes de la sécurité sociale : sous le triple effet de baisses de recettes conjoncturelles, de quelques dépenses imprévues et de l’absence de compensation de plusieurs mesures, dont celles qui ont été accordées à la suite de la crise des « gilets jaunes », le retour à l’équilibre annoncé pour 2019 s’est transformé en augmentation brutale du déficit, supérieur à 5 milliards d’euros. La nouvelle échéance pour l’équilibre des comptes de la sécurité sociale serait désormais 2023 ou 2024.
Dans ces conditions, comme la Cour l’a souligné à l’automne, la perspective de remboursement de la dette sociale d’ici à 2024 semble illusoire, au vu du montant des déficits cumulés portés par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).
De plus, le début d’année 2020 ne devrait guère être favorable aux comptes sociaux. À cet égard, madame la Première présidente, il serait intéressant que la Cour puisse nous donner les premiers éléments permettant d’estimer, d’une part, l’incidence de l’actuelle crise sanitaire sur la conjoncture et sur les comptes publics et, d’autre part, pour ce qui concerne plus spécifiquement la sécurité sociale, l’effet des mesures annoncées par le Gouvernement, notamment celles qui sont relatives à la prise en charge des indemnités journalières des personnes invitées à rester chez elles.
J’en arrive aux chapitres du rapport public annuel qui concernent plus particulièrement la commission des affaires sociales : ils visent la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale, le dossier pharmaceutique et la gestion de l’opérateur de retraite complémentaire Agirc-Arrco.
S’agissant de la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale, dont nous avons parlé ce matin en commission, nous ne pouvons que regretter les avancées très insuffisantes relevées par la Cour depuis sa précédente étude de 2015.
Alors que cette pathologie affecte un nombre croissant de patients et emporte des coûts élevés pour notre système de santé, améliorer la pertinence des prises en charge est un objectif que nous ne pouvons que partager. Les actions de dépistage doivent être amplifiées, puisque 30 % des patients sont mis sous dialyse en urgence. Les modes de financement sont, sans conteste, un levier d’évolution encore insuffisamment exploité. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a ouvert la voie à une rémunération forfaitaire pour des maladies chroniques, dont l’insuffisance rénale, mais cette mesure ne concerne, pour le moment, que la prise en charge hospitalière. L’extension de ce « forfait » aux soins de ville serait un levier de meilleure coordination des parcours de soins, la Cour le souligne dans son rapport, avec un bénéfice tant pour la qualité de vie des patients que pour les finances de l’assurance maladie.
Quant au développement de la greffe que préconise la Cour, il est certain qu’un accès équitable sur l’ensemble du territoire et une bonne information de tous les patients sont d’indispensables prérequis. Les disparités territoriales, aussi relevées par les associations de patients, notamment dans les outre-mer, peuvent appeler des mesures correctives. Néanmoins, cela se heurte au principe de réalité qu’est le manque de greffons : la liste des patients en attente de greffe rénale compte 5 000 nouveaux inscrits par an quand seulement 3 500 greffes sont réalisées chaque année.
Nous avons besoin en ce domaine de mesures plus volontaristes, comme nous en avons récemment débattu lors de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique.
S’agissant du dossier pharmaceutique, la Cour plaide légitimement pour une intensification de son déploiement et préconise qu’un principe de consentement tacite du patient soit substitué au principe actuellement appliqué de consentement exprès.
Cette mesure a déjà fait son apparition au cours des débats en commission spéciale autour du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique ; elle constitue une piste intéressante. Toutefois, avez-vous pu vérifier sa compatibilité avec l’article 9 du règlement général sur la protection des données (RGPD), qui conditionne tout traitement de données à caractère personnel au recueil du consentement explicite de la personne concernée ? Nous aimerions avoir votre avis sur ce point, madame la Première présidente.
Par ailleurs, la Cour souligne qu’un des ralentissements imputables au déploiement du dossier pharmaceutique se situe au niveau des pharmacies à usage intérieur des établissements de santé ou médico-sociaux. Ce problème a été incidemment soulevé au cours de la discussion du dernier PLFSS par notre collègue Catherine Deroche. En effet, le ministère considère que la substituabilité d’un médicament bioprinceps et d’un médicament biosimilaire doit être entourée de précautions particulières – d’aucuns y verraient même des entraves – en raison d’une prescription en milieu hospitalier, d’une dispensation en officine et d’un défaut de communication, malheureusement réel, entre les deux.
Ne serait-il pas judicieux que la loi prévoie des dispositions particulières d’établissement du dossier pharmaceutique dans le cas où certaines spécialités pourraient faire l’objet de substitutions moins coûteuses pour la sécurité sociale et indifférentes, voire de meilleure qualité, pour le soin du patient ?
S’agissant de la gestion de l’Agirc-Arrco, la Cour rappelle le contexte et les situations qui ont mené à la fusion réalisée au 1er janvier 2019 entre les deux anciennes associations propres l’une aux cadres et l’autre aux salariés. Cette fusion était d’ailleurs l’une des préconisations du rapport thématique qu’avait produit la Cour en 2014.
Au titre des recommandations formulées cette année sont évoquées des préoccupations d’économies sur les coûts de gestion et la question des effectifs, même si la Cour relève que des efforts significatifs ont été réalisés.
Mais, bien sûr, ce rapport arrive alors que nous aurons bientôt à examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite. Je veux signaler deux éléments que nous devrons avoir à l’esprit.
Le premier concerne les réserves. C’est une particularité de ce régime : le choix a été fait d’un pilotage appuyé sur les réserves qui, à l’horizon de quinze ans, doivent être équivalentes à six mois de prestations. Ces réserves ont en partie permis au régime de surmonter la crise de 2009. La Cour invite aujourd’hui à renforcer leur gestion à l’échelon fédéral. Ce choix des réserves doit conduire à s’interroger sur le pilotage que nous entendons faire du futur système universel.
Le second est lié encore au pilotage. L’Agirc-Arrco est un système à points, avec des valeurs de service et d’achat, la première ayant été entre 2014 et 2018 revalorisée sur l’inflation diminuée d’un facteur de « soutenabilité ». Cette question d’indexation des valeurs de référence anime très largement les débats sur le futur système. Vous en conviendrez, chers collègues, nous avons là un exemple de gestion appuyée sur un impératif d’équilibre de long terme.
Ces éléments doivent nourrir nos réflexions, comme les préoccupations soulignées par la Cour cette année d’une meilleure lisibilité des contributions générant des droits ou relevant simplement de l’équilibre et de la solidarité de nos systèmes.
Telles sont, madame la Première présidente, les principales questions et observations que nous inspirent vos travaux, toujours aussi utiles et suivis par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, chaque année, la parution du rapport public annuel de la Cour des comptes constitue, à tout le moins, un rendez-vous attendu des observateurs de la vie publique et de plus en plus, vous l’avez dit, madame la Première présidente, un rendez-vous avec les Français.
Traditionnellement, et paradoxalement, seuls les présidents des commissions des finances et des affaires sociales s’exprimaient à cette occasion. Je salue donc l’évolution positive que constitue l’expression de la pluralité des vues relatées par les orateurs des différents groupes.
Je salue en premier lieu l’évolution que représente la publication d’un dossier traitant d’une même politique transversale cette année concernant le numérique au service de la transformation de l’action publique. Depuis la loi pour un État au service d’une société de confiance, le sujet de la dématérialisation et de la simplification administrative n’a jamais été aussi prégnant dans l’exécution des politiques publiques : principe du « dites-le-nous une fois », guichet unique, droit au contrôle et rescrit administratif. Toutefois, et le rapport de la Cour le souligne, la dématérialisation doit être associée à un accompagnement plus important des acteurs qui la mettent en œuvre et des usagers du service public.
Sur l’analyse globale des finances publiques, le rapport annuel apporte une pierre à l’édifice d’étude de la situation des finances publiques qui a lieu tout au long de l’année.
Partons des chiffres : le déficit pour 2020 serait de 2,2 points de PIB. Il est encore trop élevé – certes, l’effort n’est pas suffisant –, mais je vous rappelle, chers collègues, qu’il était par exemple de 4,1 points en 2003, dans une période d’allégresse au regard des règles budgétaires.
Je rappelle aussi que c’est en 2017 que le déficit est passé pour la première fois depuis dix ans sous la barre des 3 % du PIB, dans le contexte d’un effort de dépenses de 5 milliards d’euros en fin de gestion et du remplacement de la taxe à 3 % censurée par le Conseil constitutionnel pour 5 milliards d’euros. À cela s’ajoutaient les fréquentes sous-budgétisations, soit environ 4 milliards d’euros dans le budget pour 2017, selon un audit de la Cour.
Je rappelle aussi, comme l’a régulièrement fait la Cour des comptes, l’effort de sincérisation des lois de finances : la baisse du taux de mise en réserve des crédits de 8 % à 3 % – antérieurement, la mise en réserve dépassait 10 % et permettait de remédier aux sous-budgétisations croissantes –, la fin des décrets d’avance, dont certains prenaient le caractère de véritables lois de finances rectificatives en forme réglementaire. Ils n’avaient qu’une cause : l’insincérité des prévisions initiales.
Vous l’aurez compris, chers collègues, je réponds par avance aux critiques sur la réduction trop faible du poids de la dette dans le PIB.
On peut choisir la dette dans le PIB comme seul et unique critère, c’est une attitude légitime, parfois contradictoire avec la pratique des partis de gouvernement. J’ajouterai néanmoins d’autres critères.
M. Philippe Dallier. Le déficit structurel, c’est important !
M. Julien Bargeton. Le pouvoir d’achat tout d’abord, qui croît de 2,3 % en 2019 selon l’Insee, après une hausse de 1,6 % en 2018, principalement en faveur des classes moyennes, alors même qu’il avait diminué dans la période précédente. Il était, par exemple, inférieur de 1,2 % aux revenus de 2008 en 2016.
Autre critère intéressant : la baisse des prélèvements obligatoires, de 30 milliards d’euros en 2020 par rapport à 2017.
M. Philippe Dallier. À crédit !
M. Julien Bargeton. Après 10 milliards d’euros de baisse de la fiscalité pour les ménages en 2019, la fiscalité diminuera en 2020 de 9,3 milliards d’euros, dont 5 milliards d’impôt sur le revenu et 3,6 milliards de taxe d’habitation.
Troisième critère : le taux de chômage. On a longtemps cru à une exception française, depuis que notre pays est touché par le chômage de masse. Il diminue et s’établit à 8,1 % en 2019.
M. Philippe Dallier. Tout va bien !
M. Julien Bargeton. Enfin, au regard des relations entre l’État et les collectivités, après une réduction entre 2014 et 2017 de plus de 11,5 milliards d’euros, la dotation globale de fonctionnement (DGF) est stabilisée à 27 milliards d’euros.
Sans être exhaustif, bien entendu, j’ajouterai l’effort en faveur des armées, avec 16 milliards d’euros de hausses de 2018 à 2025, ou encore la reprise par l’État de la dette de SNCF Réseau à hauteur de 25 milliards d’euros.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Déficit !
M. Julien Bargeton. Il n’empêche que la dépense publique doit être réduite. Elle était de 55 % du PIB en 2017, mais déjà de 54,7 % en 2003, je vous le rappelle, avant la crise de 2008. N’oublions pas que la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, ou loi TEPA, fut financée en 2008 par le déficit public.
En 2020, les dépenses publiques seraient limitées à 53,4 % du PIB. Il faut pourtant aller plus loin, c’est vrai, et nous devons donc proposer des mesures d’économies.
Cependant, nous savons, gestionnaires parfois de collectivités locales, qu’il est facile d’être contre la dépense en général et pour la dépense en particulier.
M. Jean-François Husson. Vous parlez en connaisseur !
M. Julien Bargeton. Évidemment, les propositions d’économies ne sont pas faciles à accepter.
Le Président de la République l’a dit, la promesse de suppression, en 2017, de 50 000 postes de fonctionnaires d’État ne sera pas tenue. (Rires et exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. On avait compris !
M. Julien Bargeton. Je crois que les Français l’ont dit pendant la crise des « gilets jaunes » et durant le grand débat : ils ne sont pas favorables à des suppressions quantitatives. L’enjeu est de déployer plus de fonctionnaires vers des postes au contact des usagers, des fonctionnaires de guichet, et moins de fonctionnaires dans les bureaux, de circulaires.
Nous devons agir sur tous les leviers : la clarification des compétences entre les différents échelons et la fin des doublons, qui seront l’un des enjeux de la loi Gourault ; le dynamisme de l’économie, la baisse du chômage réduisant les dépenses sociales. Et n’oublions pas le numérique. Il ne faut pas que le secteur public soit dans le déni : dans les réseaux bancaires, la grande distribution, les transformations digitales sont en train de balayer les modèles existants ; certains groupes changent radicalement leur modèle. Si le secteur privé a pris une vraie conscience des incidences liées au numérique, nous avons du retard dans le secteur public. Données, intelligence artificielle, blockchain collaboratif, réseaux sociaux : voilà autant de paramètres qui modifient les services.
Enfin, une question se pose dans le calcul des dépenses publiques, celle de la prise en compte des investissements en faveur de la transition énergétique pour faire face à l’urgence écologique.
Il est difficile d’être exhaustif sur l’ensemble des sujets que la Cour aborde, mais soyez assurée, madame la Première présidente, que nous savons l’importance de son travail. Elle n’est pas particulièrement tendre, mais elle ne l’a pas été avec les gouvernements précédents, c’est là son rôle…