M. le président. Veuillez conclure !
M. Julien Bargeton. Dans le triangle formé par le Gouvernement, le Parlement et les citoyens, la Cour se tient à équidistance, au centre de gravité. Il nous appartient à tous de veiller à ce qu’elle garde cette place centrale, gage de son indépendance. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Le rapport consacre un chapitre à l’École polytechnique. Étant l’un des très rares anciens élèves de cette école dans cette enceinte, je voudrais rectifier quelques éléments.
Tout d’abord, le rapport souligne qu’il n’y a que 17 % de femmes à l’École polytechnique, mais les classes préparatoires de haut niveau ne comportent que 17 % de femmes ! Il n’y a donc pas de ségrégation à l’égard des femmes. Si un problème existe, il se situe en amont : c’est tout simplement parce que les jeunes filles préfèrent d’autres filières, ce qui est tout à fait leur droit. On ne va pas les obliger à choisir les filières scientifiques si elles ne le souhaitent pas ! Le ratio de femmes à l’école, je le répète, est le même qu’en classe préparatoire. Il n’y a donc pas de ségrégation à l’entrée.
Ensuite, on déplore l’absence de mixité sociale. Lors de mes deux années de classe préparatoire au lycée Louis-le-Grand, l’internat ne coûtait presque rien. À 19 ans, j’étais nourri, logé, blanchi, je touchais une solde de Polytechnique et ne coûtais plus rien à mes parents. Qu’on ne vienne pas nous dire qu’il n’y a pas de mixité sociale : allez à HEC, par exemple, et vous verrez combien ça coûte !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il y a des prêts !
M. Jean Louis Masson. Mes parents n’auraient pas eu les moyens de me payer HEC. À la force du poignet, j’ai réussi le concours d’entrée à Polytechnique. Il n’y a pas de ségrégation au niveau financier. Il faut travailler pour y arriver et ce n’est pas donné à tout le monde !
Enfin, le rapport propose de supprimer la solde des élèves fonctionnaires à l’École polytechnique. Il est assez aberrant de se plaindre du manque de mixité sociale et de vouloir supprimer la solde ! À la limite, vous pourriez même rendre l’enseignement payant pour créer encore plus de ségrégation sociale !
Pour moi, le véritable sujet c’est revaloriser la « pantoufle », c’est-à-dire le montant que ceux qui partent dans le privé doivent verser à l’État pour rembourser leurs études. Or les auteurs du rapport ne le préconisent pas. Apparemment, s’il y a peut-être des partisans de la mixité sociale au sein de la Cour de comptes, il y a aussi un certain nombre de membres de cette instance qui sont tombés sur la tête ! (Mme Claudine Kauffmann applaudit. – Exclamations.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, je souhaite d’abord remercier l’ensemble de la Cour des comptes de la qualité du travail qu’elle fournit, de son indépendance, qui est très importante, et des éléments qu’elle apporte au Sénat et au Parlement en général. Nous nous servons fréquemment de ses rapports dans le cadre de la mission de contrôle de l’action du Gouvernement qui est la nôtre.
Année après année, et à quelques nuances près, les observations formulées par la Cour des comptes se suivent et se ressemblent.
Après une amélioration marginale en 2019, le déficit structurel ne recule plus. Vous l’avez noté, le redressement des finances publiques, « déjà très graduel au cours des dernières années », dans le langage très diplomatique de la Cour, est désormais « à l’arrêt ».
Le déficit structurel mesure les efforts budgétaires de l’État en corrigeant les effets « naturels » de la conjoncture sur les finances publiques. En France, il ne bouge pas d’un iota. L’État ne fournit que peu d’efforts, alors que c’est aujourd’hui et maintenant qu’il faudrait les faire, compte tenu de la politique monétaire accommodante, en réalité de plus en plus anesthésiante.
Le contraste avec nos partenaires de la zone euro est sans appel. Seule l’Espagne continuerait d’avoir un déficit structurel plus élevé que le nôtre, lui-même encore supérieur de 1,8 point à la moyenne de l’Union européenne.
Certes, le rythme de la progression de la dépense publique a ralenti et n’est plus que de 0,4 % en moyenne, hors inflation, depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Mais, avec une progression de 22 milliards d’euros, les dépenses publiques de la France ont franchi pour la première fois la barre des 1 300 milliards d’euros en 2019, pour atteindre 54 % du PIB. Une paille ! Ce résultat est d’autant moins satisfaisant que la charge de la dette a baissé de 4,4 milliards d’euros et que les 3,7 milliards d’euros de dépenses exceptionnelles ayant dû être payés en 2018 pour solder le contentieux sur la taxe à 3 % sur les dividendes n’ont pas été renouvelés.
Certes, on note une meilleure sincérité des comptes publics depuis deux ans. Mais c’est insuffisant.
Il y a effectivement un satisfecit à accorder à l’actuel gouvernement s’agissant non seulement de la sortie de la France de la procédure de déficit excessif, mais également de la « sincérisation » de la dette, avec l’ajout de 35 milliards d’euros, liés notamment à la reprise de la dette de la SNCF.
Le rapport de la Cour des comptes confirme sur ce point des efforts de sincérité fournis et consolidés, bien éloignés des sous-budgétisations et des surévaluations de recettes de l’ère Hollande-Sapin-Eckert, trio dont les tours de passe-passe dans les comptes publics avaient laissé un trou dans la caisse de près de 8 milliards d’euros ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains. – Marques d’agacement sur les travées du groupe SOCR.) Il faut rappeler la vérité !
La dette publique génère l’illusion et l’injustice fiscales. En 2019, elle a grimpé jusqu’à atteindre 98,8 % du PIB. Et, d’après les prévisions gouvernementales, elle devrait à peine refluer.
On le sait : la raison de l’impôt, c’est la dépense. Mais une grande partie des dépenses financent des dépenses consommées et décidées par les générations passées. Autrement dit, les générations présentes paient pour des dépenses qu’elles n’ont pas voulues.
La diminution de la dette publique est d’autant plus impérative que l’endettement galopant crée une situation d’impôts non consentis, c’est-à-dire d’impôts injustes. Elle transfère des revenus de ceux qui ne sont pas encore nés vers ceux qui vivent aujourd’hui. Elle n’est rien d’autre qu’une forme d’externalisation des coûts d’une génération vers une autre, sur les épaules de laquelle s’alourdit dangereusement le fardeau.
Il est illusoire et funeste de laisser filer les déficits en invoquant l’urgence et la justice sociale pour mieux différer tout effort structurel. La justice de notre système financier public est incompatible avec une dette publique tutoyant les 100 % du PIB !
Méfions-nous collectivement du phénomène d’illusion fiscale qui consiste pour les gouvernements à éviter l’impopularité de l’impôt tout en bénéficiant de la popularité de la dépense, dépense que l’on finance la main sur les yeux par l’inflation ou la dette publique !
Il n’y aura pas de baisse significative de la dépense publique sans réforme profonde de l’État et redéfinition de son périmètre.
Le ministre de l’économie et des finances a indiqué réfléchir avec le ministre de l’action et des comptes publics à consentir des efforts sur un certain nombre de politiques publiques. Il serait intéressant qu’il nous livre davantage de détails sur ce point. Nous sommes nombreux à être convaincus que le problème est non pas tant celui des moyens publics, pléthoriques en France, que celui de leur gestion.
Entre 1980 et 2015, le nombre d’agents publics a augmenté de 46 % alors que la population ne croissait que de 23 %. Êtes-vous sûrs que nous soyons nettement mieux administrés aujourd’hui qu’en 1980 ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Non ! D’ailleurs, les gens sont mécontents !
M. Vincent Delahaye. Prenons l’exemple de l’hôpital public. En 2009, la fonction publique hospitalière comptait 1,035 million d’agents ; en 2017, elle en comportait 1 163 278. Les hôpitaux drainaient 50,9 milliards d’euros d’argent public en 2009 ; ils ont drainé 82 milliards d’euros en 2019 et cette somme atteindra 84 milliards d’euros en 2020. La situation de l’hôpital public s’améliore-t-elle à mesure que l’on y injecte des crédits par milliards ? La réponse est évidemment non.
Comme chaque année d’ailleurs, le rapport de la Cour des comptes apporte son lot de gaspillages. Cette fois-ci, la palme revient à l’éducation nationale, avec l’abandon en juillet 2018 de son logiciel de gestion des ressources humaines, Sirhen, pour la modique somme de 400 millions d’euros. M. le président de la commission des finances évoquait même le chiffre de 500 millions d’euros. Dans les deux cas, c’est énorme.
Mme Nathalie Goulet. C’est trop !
M. Vincent Delahaye. Ce sont donc 400 millions d’euros dépensés pour rien ! La Cour des comptes constate : « Faute d’outil de suivi, le ministère a insuffisamment contrôlé le travail des entreprises et mal piloté le travail de ses équipes. » Bref, l’exemple cinq ans plus tôt du logiciel de paie Louvois pour les militaires n’aura pas servi de leçon.
Alors que la Cour souligne que l’accès aux services publics se trouve amélioré par la dématérialisation qu’offrent les outils numériques, nous aimerions également savoir où en est l’État dans l’adaptation de son administration à l’ère numérique. Qu’en est-il du projet de modernisation porté par le programme Action publique 2022 ?
Bon nombre de pays font la démonstration que le progrès technologique, et avec lui le développement de l’intelligence artificielle, permet tout à la fois de réduire les coûts, d’augmenter la productivité et la qualité des services publics et, à l’arrivée, de réduire les impôts, donc d’améliorer le pouvoir d’achat des habitants. Des gains de productivité et des économies substantielles sont possibles. Ne traînons pas des pieds.
Enfin, je souligne que les enjeux liés à la lutte contre la fraude fiscale et la fraude sociale nous tiennent particulièrement à cœur.
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. Vincent Delahaye. Nous savons que c’est aussi le cas de la Cour des comptes. Nous aurions aimé vous entendre sur ce sujet, madame la Première présidente. Mais nous savons pouvoir compter sur vous et sur vos services pour nous aider à lutter efficacement contre un tel fléau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM et UC.)
M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, comme chaque année, la Cour des comptes a rendu son rapport public annuel, qui présente une situation d’ensemble des finances publiques de la France. Il nous revient donc d’en débattre ce jour. Outre les analyses thématiques, riches d’enseignements, ce rapport nous administre une saine piqûre de rappel quant à la situation financière de notre pays.
Il nous confirme un certain nombre de constats. Le déficit structurel sera maintenu à 2,2 % du PIB en 2020 ; le ratio d’endettement continue de flirter avec les 100 % ; le déficit public progresse.
Bien sûr, il faut mettre au crédit du Gouvernement des efforts, certes insuffisants, mais qui ont d’ores et déjà abouti à quelques résultats concrets.
La politique économique porte ses fruits et le taux de croissance de notre PIB figure parmi les meilleurs de la zone euro, même si les tensions actuelles l’affectent et nous invitent à la plus grande prudence. Les comptes publics sont aujourd’hui mieux maîtrisés, mais c’est encore bien insuffisant. Le déficit est désormais contenu sous la barre des 3 %, conformément à nos engagements européens.
Malgré tout, le ratio d’endettement a reculé de 9 points dans la zone euro au cours des cinq dernières années. Nous n’avons pas su mettre en place une politique suffisamment ambitieuse pour réduire notre dette publique, alors que le contexte économique pouvait le permettre. Ou plutôt, puisque nous ne parvenons pas à diminuer les dépenses, nous avons diminué les recettes, en faisant le pari que la baisse des prélèvements obligatoires stimulerait suffisamment la consommation et l’investissement pour relancer l’économie.
À ce jour, le pari peut sembler gagné. Mais nous sommes peu nombreux dans cette enceinte à être convaincus que ces efforts seront suffisants à long terme. Or, sans baisse massive des dépenses publiques, nous amputons nos capacités d’avenir, d’autant plus que le déficit public continue d’être essentiellement le fait de l’État.
Les collectivités locales ont, elles, déjà réalisé des efforts importants pour contribuer au redressement de nos comptes publics.
Bien sûr, elles peuvent encore mieux faire et s’améliorer. À cet égard, le rapport annuel de la Cour des comptes est très instructif. Les cas de la restauration collective ou des abattoirs publics l’illustrent parfaitement. Les collectivités ne disposent pas toujours des ressources adéquates pour optimiser la gestion de telles infrastructures, notamment la dimension d’échelle. En outre, elles sont souvent dépourvues face aux évolutions législatives et réglementaires, qui leur imposent à la fois d’investir pour mettre aux normes leurs infrastructures et de diminuer leurs dépenses.
S’il y a tout lieu d’appliquer un certain nombre de recommandations de la Cour des comptes aux collectivités, il va sans dire que notre attention et nos efforts doivent se focaliser en priorité sur l’État.
Le levier de la transformation numérique peut à cet égard se révéler particulièrement puissant. S’il est bien utilisé, il peut permettre à la fois de diminuer les dépenses publiques et d’améliorer l’efficacité de l’action publique.
Je tiens également à évoquer le cas de La Poste, qui prouve que la transition numérique constitue une occasion de faire bouger les lignes. Cette entreprise a réussi, dans un secteur en pleine transformation, à opérer un virage encourageant, même si d’autres réformes et d’autres efforts sont bien évidemment nécessaires.
Il en va finalement de La Poste comme de la réforme de l’État. Des mesures ambitieuses et courageuses sont nécessaires si nous voulons pérenniser notre service public de proximité, en particulier si nous souhaitons qu’il conserve un maillage territorial riche et équitable dans tout le pays.
Nos territoires ne doivent pas faire les frais de notre incapacité à diminuer les dépenses publiques. Cette situation, dont nombre de concitoyens souffrent déjà, notamment en zone rurale, constitue le véritable terreau de la colère sociale.
Le groupe Les Indépendants continuera de soutenir les mesures visant à diminuer les dépenses publiques. Cela nécessitera, selon nous, une réforme plus ambitieuse de l’État et de son périmètre. Nous sommes bien conscients des difficultés politiques. Néanmoins, nous espérons que la fin de ce quinquennat sera placée sous le signe de la maîtrise budgétaire, trop longtemps différée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM et UC. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, avec une certaine constance, nous nous retrouvons chaque année à la même période pour la présentation du rapport annuel de la Cour, et toujours avec une certaine constance, nous constatons l’écart entre les engagements pris et les résultats atteints ! Je me réjouis cependant cette année du nouveau cadre de nos échanges, qui permet davantage de débat.
Les chiffres, une nouvelle fois, ne sont pas tous bons, voire ne sont tout simplement pas bons. Comme vous le soulignez, madame la Première présidente, le déficit structurel n’a été réduit que de 0,1 point de PIB entre 2018 et 2019. Et ce même déficit structurel ne marquerait « aucune amélioration en 2020 ». La loi de programmation des finances publiques que le Parlement a votée en 2018 disposait pourtant que celui-ci atteignît 1,9 % du PIB en 2019, bien en deçà des 2,2 % finalement atteints. En un an, notre dépense publique a augmenté de 22 milliards d’euros. Nous dépensons largement plus que nos grands voisins européens, pour des politiques publiques comparables.
Il ne s’agit pas de nier la nécessité des dépenses que nous avons votées au mois de décembre 2018, dans un contexte inédit et de grande tension sociale. Ce que nous regrettons, ce sont les acrobaties budgétaires consistant finalement à débloquer en urgence des crédits de circonstance, dont le financement repose sur des taux providentiellement bas. Ce ne sont malheureusement que des pansements sur une jambe de bois qui repoussent le problème sans jamais le régler. Ces expédients ne remplacent pas une politique courageuse s’appuyant sur une vision stratégique. Et soyons sûrs que les bénéficiaires des crédits d’aujourd’hui, et leurs enfants après eux, auront à en payer tôt ou tard le prix. Cette politique ne me paraît pas responsable.
Alors, me direz-vous, quelle marge de manœuvre resterait-il à l’État si demain nous devions affronter une nouvelle crise monétaire et bancaire ? Quelle marge de manœuvre si l’épidémie sanitaire qui nous touche devait affecter significativement nos capacités de croissance ? Le ministre de l’économie et des finances annonçait à ce titre que la perte de croissance serait « beaucoup plus significative » que le 0,1 point estimé par la direction du Trésor. Quelle marge enfin si les tensions internationales mondiales venaient à s’accroître en pénalisant plus fortement encore nos capacités commerciales ?
Le Gouvernement parle beaucoup de responsabilité, puisqu’il va jusqu’à l’engager devant la représentation nationale. Pourtant, une politique pleinement responsable voudrait que, dans ces conditions, tout soit mis en œuvre pour se redonner des marges de manœuvre suffisantes permettant à la France de réagir en cas de chocs externes. Or, comme la Cour le souligne, les baisses d’impôt, favorables aux ménages, ont été consenties « sans avoir renforcé […] au préalable [les] marges de manœuvre budgétaires. »
Votre voix et celle de la Cour, madame la Première présidente, témoignent à la fois de la consistance de vos analyses et de la constance de nos institutions. Cette constance, en rappelant les erreurs du passé, devrait conduire le Gouvernement à éviter de reproduire de manière presque incorrigible les mauvais comportements qui ont fait perdre beaucoup de temps et d’argent à notre pays antérieurement.
Nous sommes comme englués dans le mirage d’une croissance, certes positive, mais faible, et qui risque de l’être durablement. Cet endormissement paraît presque indolore grâce à des stabilisateurs automatiques puissants.
Nous sommes pourtant au moment du kairos, ce moment favorable pour baisser notre dépense publique, sortir de la spirale infernale de la dette et oser présenter – je serais tenté de dire « enfin » – des mesures budgétaires qui, par un effort partagé entre tous, conduisent à retrouver les conditions d’une croissance durable.
Songeons au prix que les Français devraient payer alors que notre pays se distingue déjà par un taux de fiscalité et de dépense publique le plus élevé de l’Union européenne.
Par le biais de votre rapport, madame la Première présidente, vous tirez une nouvelle fois la sonnette d’alarme, comme nous avons eu l’occasion de le faire au Sénat lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2020. Nous avions alors proposé une série de mesures de baisse de la dépense publique. Le ministre les avait rejetées.
Si j’osais, je dirais que nous n’arrivons pas à endiguer ce mauvais virus de la dépense publique qui ne cesse de croître et qui est pourtant fortement préjudiciable à la bonne santé de notre pays et à l’avenir de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM, Les Indépendants et UC.)
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, le rapport annuel de la Cour des comptes regroupe plusieurs approches : le constat de la situation fin 2019, une appréciation de l’évolution prévisible, des recommandations et une évaluation du niveau de mise en œuvre des recommandations passées.
L’analyse de la situation des finances publiques repose sur des données et des chiffres incontestables. Elle apporte ainsi un éclairage assez objectif du présent en y ajoutant une projection plausible des évolutions des différents indicateurs à court et à moyen termes. En revanche, les recommandations ne sont pas nécessairement toutes pertinentes, car elles peuvent relever d’options politiques contestables ; je prendrais dans quelques instants l’exemple de la restauration scolaire.
Dans cette approche critique, il me paraît normal, voire heureux que toutes les recommandations de la Cour des comptes ne soient pas prises en considération.
En ce qui concerne les finances publiques, le constat – dans leurs interventions, de tonalités diverses, les orateurs précédents en ont apporté la preuve – est celui du verre à moitié plein ou du verre à moitié vide.
La situation d’ensemble est jugée comme n’étant pas encore satisfaisante. En 2019, le solde des administrations publiques se traduit par un déficit de 3,1 % du PIB ramené à 2,2 % si on neutralise l’effet de la double charge du CICE sur cette année-là. L’endettement demeure à un niveau élevé, à 98,8 % de PIB, et les perspectives pour 2020 ne laissent pas entrevoir d’améliorations significatives sur ces deux critères, alors que la faiblesse des taux d’intérêt – cela a déjà été indiqué – permet d’alléger la charge de la dette de 3 milliards d’euros à 5 milliards d’euros par an selon les années. Le chiffre était par exemple de 4,4 milliards d’euros en 2019.
On se trouve donc dans une phase de stabilisation du déficit et de la dette, alors que nos principaux partenaires européens ont largement amorcé une courbe de décrue.
On peut aussi voir le verre à moitié plein si on considère que cette stabilisation a permis de supporter des dépenses exceptionnelles consécutives au mouvement des « gilets jaunes », et qui pèsent encore 9 milliards d’euros dans le budget pour 2020, avec en même temps une légère diminution des prélèvements obligatoires ; elle est tout de même de 10 milliards d’euros en 2020, soit 0,4 point de PIB.
On peut également remarquer que le déficit de 2,2 % du PIB représente le niveau le plus faible depuis 2001. Il convient aussi de noter la spécificité bien française qu’est le taux d’épargne des ménages, qui a atteint 15,2 % en 2019, contre 14,9 % fin 2018. Ce taux d’épargne est, certes, légèrement inférieur à celui de la Suède et de l’Allemagne, mais d’environ 50 % plus élevé que la moyenne des pays de l’Union européenne. Il y a là une réserve de richesse importante qu’il conviendrait sans doute d’essayer de mobiliser en direction de l’investissement et de la consommation.
On pourrait aussi évoquer la reprise de l’emploi industriel et la baisse du chômage, comme l’a fait un collègue.
J’ajouterai que le potentiel d’économies à réaliser dans les dépenses publiques demeure presque intact. Cela peut donner des marges de manœuvre à moyen terme pour améliorer la situation financière du pays. En effet, l’effort principal n’a pas encore été effectué.
Je veux maintenant évoquer rapidement l’apport du numérique dans la transformation de l’action publique. Il est indéniable en termes de capacités de traitement et de recherche et d’économies pour les administrations de l’État, du secteur socio-sanitaire et des collectivités locales. Cependant, comme le note la Cour, l’accompagnement à la mise en place systématique de la dématérialisation est sans doute insuffisant. On peut même s’interroger pour savoir si une dématérialisation totale est souhaitable ; aujourd’hui, la dématérialisation contribue à marginaliser une partie non négligeable de la population, et pas uniquement des personnes âgées. Certes, on peut rêver pour le secteur public de relations totalement déshumanisées où les seuls risques de contamination seraient ceux des virus informatiques. Mais est-ce bien le modèle de société que nous voulons ?
À propos d’autres domaines concernant les collectivités territoriales, je partage l’analyse et les recommandations de la Cour s’agissant des abattoirs publics, qui relèvent à mon sens de la sphère concurrentielle, donc du secteur privé. En revanche, j’émets des réserves sur la partie du rapport relative à la restauration scolaire.
Comme la Cour des comptes l’indique dans son introduction, les sujets de politique publique ne peuvent pas être analysés uniquement à travers le prisme financier. La restauration scolaire s’exerce principalement à l’échelon communal. La Cour le regrette. Elle préconise une mutualisation à l’échelle intercommunale, voire une externalisation du service, via notamment la délégation de service public, et enfin une collaboration entre l’État et l’échelon local pour la mise en place d’indicateurs de suivi.
Devant la diversité des territoires de par leur taille – de ce point de vue, l’intercommunalité offre une grande diversité, en termes de potentiel humain et de superficie –, leur caractère urbain ou rural, il faut laisser aux collectivités locales l’entière liberté de s’adapter aux caractéristiques de leur population et de leur territoire avec comme indicateur principal le rapport qualité-prix. Pour ma part, j’estime que l’on peut arriver sur ce critère à d’excellents résultats dans des communes de taille moyenne avec une gestion en régie. C’est l’exemple que je voulais donner de préconisations qui me semblent contestables surtout lorsqu’on veut les généraliser. Elles peuvent être émises par la Cour des comptes dans une approche que, pour ma part, j’estime – je vous prie de m’excuser, madame la Première présidente – un peu trop technocratique.
En conclusion, si notre pays, de par son modèle, fonctionne plutôt sur le mode diesel, avec des évolutions plus lentes que chez nos voisins européens, nous disposons de tous les atouts en termes de richesse, d’attractivité et d’ingéniosité pour améliorer progressivement la situation économique et sociale, ainsi, bien entendu, que nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, nous nous retrouvons comme chaque année devant le rapport public annuel de la Cour des comptes, mais la parole est aujourd’hui offerte à tous les groupes politiques après la présentation du rapport. Je veux à mon tour saluer cette décision. En ces temps difficiles, le débat parlementaire ne nuit pas à la démocratie. (M. Julien Bargeton s’exclame.)
Malgré tout le respect que nous avons pour les magistrats de la Cour des comptes, dont les travaux sont régulièrement évoqués et utilisés en ces murs, l’obsession omniprésente de la réduction de la dépense publique exposée nous fait évidemment grincer des dents. « Réduire le déficit et la dette publique, rationaliser les dépenses »… Voilà des propos que l’on retrouve régulièrement au fil des pages du rapport, et la France y est montrée comme le mauvais élève de l’Union européenne, nous faisant croire que le non-respect des règles budgétaires de Bruxelles implique forcément un « retard ». Il s’agirait, selon nous, de sortir et de se libérer de cette vision étriquée, afin de comprendre que la dette publique n’est pas nécessairement un problème en soi. Je sais que nous ne partageons pas tous cet avis.