Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet, Mme Catherine Deroche.
2. Hommage à Nicolas Alfonsi, ancien sénateur
3. Allocution de M. le président du Sénat
5. Questions d’actualité au Gouvernement
réponse européenne à la crise sanitaire
M. Franck Menonville ; M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
protection sanitaire des français
M. Bruno Retailleau ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
fonctionnement de la justice pendant la crise sanitaire
Mme Nathalie Goulet ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice ; Mme Nathalie Goulet.
mesures économiques annoncées par le gouvernement, notamment en faveur des indépendants
M. François Patriat ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
Mme Nathalie Delattre ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
quels moyens d’urgence pour l’hôpital public et la politique de santé publique ?
Mme Laurence Cohen ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Laurence Cohen.
M. Patrick Kanner ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
Suspension et reprise de la séance
6. Mesures d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. – Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié et d’un projet de loi organique dans le texte de la commission
Candidatures à d’éventuelles commissions mixtes paritaires
Discussion générale commune :
M. Édouard Philippe, Premier ministre
M. Philippe Bas, président de la commission des lois, rapporteur
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, rapporteure pour avis
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis
Mme Jacqueline Eustache-Brinio
M. Édouard Philippe, Premier ministre
Clôture de la discussion générale commune.
Suspension et reprise de la séance
projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19
Articles 1er, 1er bis, 2 et 3 (réservés)
Amendement n° 24 de M. Philippe Mouiller. – Adoption.
Amendement n° 34 rectifié de M. Patrick Kanner. – Rejet.
Amendement n° 48 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 52 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 89 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 17 de M. Patrick Kanner. – Rejet.
Amendement n° 16 de M. Patrick Kanner. – Retrait.
Amendement n° 18 de M. Patrick Kanner. – Adoption.
Amendement n° 38 de M. Gilbert-Luc Devinaz. – Non soutenu.
Amendement n° 50 de Mme Éliane Assassi. – Retrait.
Amendement n° 35 rectifié de M. Patrick Kanner. – Retrait.
Amendement n° 36 rectifié de M. Patrick Kanner. – Adoption.
Amendement n° 12 de M. Patrick Kanner. – Rejet.
Amendement n° 51 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 15 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 49 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 63 rectifié du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 5
Amendement n° 86 rectifié bis de Mme Samia Ghali. – Non soutenu.
Amendement n° 64 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 53 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 33 de M. Patrick Kanner. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 6
M. Olivier Véran, ministre
Adoption de l’article.
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
Article additionnel après l’article 6 bis
Amendement n° 45 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 97 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article 7 B (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 65 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 66 rectifié du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 67 du Gouvernement. – Rectification.
Amendement n° 67 rectifié du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 54 de Mme Éliane Assassi. – Irrecevable.
Amendement n° 68 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 58 de Mme Éliane Assassi. – Irrecevable.
Amendement n° 62 de M. Gilbert-Luc Devinaz. – Non soutenu.
Amendement n° 56 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 29 de M. Patrick Kanner. – Rejet.
Amendement n° 57 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 30 de M. Patrick Kanner. – Rejet.
Amendement n° 103 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 69 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 75 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 37 de M. Gilbert-Luc Devinaz. – Non soutenu.
Amendement n° 23 de M. Franck Menonville. – Irrecevable.
Amendement n° 70 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 78 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 71 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 46 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 101 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 77 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 76 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 85 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 72 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 73 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 3 de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.
Amendement n° 31 de M. Patrick Kanner. – Rejet.
Amendement n° 10 de M. Patrick Kanner. – Rejet.
Amendement n° 74 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 7 rectifié de M. Patrick Kanner. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 7
Amendement n° 2 rectifié bis de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.
Amendement n° 6 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° 19 de M. Patrick Chaize. – Retrait.
Amendement n° 20 de M. Patrick Chaize. – Retrait.
Amendement n° 8 de M. Vincent Éblé. – Retrait.
Amendement n° 79 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 26 de Mme Nathalie Delattre. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 104 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 43 de M. Jean-Yves Leconte. – Irrecevable.
Amendement n° 47 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 10
Amendement n° 59 de M. David Assouline. – Rejet.
Articles 11 et 12 (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 91 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Suspension et reprise de la séance
Article 1er (précédemment réservé)
Amendement n° 80 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Amendement n° 44 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 81 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Amendement n° 82 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Amendement n° 87 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 25 rectifié bis de Mme Nathalie Delattre. – Rejet.
Amendement n° 83 de Mme Éliane Assassi. – Retrait.
Amendement n° 39 de M. Gilbert-Luc Devinaz. – Non soutenu.
Amendement n° 28 de M. André Reichardt. – Non soutenu.
Amendement n° 96 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 41 de M. Patrick Kanner. – Retrait.
Amendement n° 21 de M. Laurent Lafon. – Devenu sans objet.
Amendement n° 94 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 105 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 110 du Gouvernement. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Article 1er bis (nouveau) (précédemment réservé)
Amendement n° 1 rectifié de Mme Sophie Primas. – Retrait.
Amendement n° 107 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 95 rectifié de la commission. – Adoption.
Amendement n° 102 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article 2 (précédemment réservé)
Amendement n° 88 du Gouvernement. – Retrait.
Amendement n° 106 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article 3 (précédemment réservé)
Amendement n° 32 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 99 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption, par scrutin public n° 95, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
projet de loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19
Adoption, par scrutin public n° 96, de l’article unique du projet de loi organique dans le texte de la commission.
Nomination de membres d’éventuelles commissions mixtes paritaires
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
Mme Catherine Deroche.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 5 mars 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Hommage à Nicolas Alfonsi, ancien sénateur
M. le président. Monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec émotion que nous avons appris le décès, lundi, de notre ancien collègue Nicolas Alfonsi, qui fut sénateur de la Corse-du-Sud de 2001 à 2014. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mme et MM. les ministres, se lèvent.)
Maire de Piana pendant trente-neuf ans, premier vice-président de l’Assemblée de Corse, premier vice-président du conseil général de la Corse-du-Sud, Nicolas Alfonsi a été un acteur majeur de la vie démocratique et de la décentralisation en Corse. Il a été le défenseur passionné de son île, qu’il a servie également au travers de la présidence du Conseil des rivages de Corse et des responsabilités qu’il a assumées en tant que premier vice-président du Conservatoire du littoral.
Élu député de la Corse-du-Sud en 1973, en 1981 et en 1986 avant de devenir sénateur le 2 décembre 2001 – une date symbole – et membre du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, il est toujours resté fidèle à son idéal républicain et à sa tradition radicale.
Pendant treize années à nos côtés, Nicolas Alfonsi a éclairé notre assemblée et la commission des lois, dont il était membre, par la finesse de son analyse, la rigueur et la subtilité de son raisonnement juridique, façonné par son métier d’avocat.
Sa grande culture historique, marquée de sa passion pour l’épopée napoléonienne, son sens politique conjugué à son sens de l’humour ont marqué tous ceux qui ont eu la chance de travailler à ses côtés. La grande intelligence, les réparties parfois mémorables, l’indéfectible esprit de justice, de solidarité et de fraternité de ce grand républicain, de ce grand Français, de ce grand Corse vont cruellement manquer.
Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre sympathie et notre profonde compassion à sa famille, à ses proches, ainsi qu’au président et aux membres du groupe RDSE, auquel il a appartenu. J’ai une pensée particulière pour son épouse.
Je vous propose d’observer un instant de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et Mme et MM. les ministres, observent un moment de recueillement.)
3
Allocution de M. le président du Sénat
M. le président. Avant d’ouvrir la séquence de notre séance consacrée aux questions d’actualité au Gouvernement, je tiens, en votre nom à tous, à assurer de notre soutien et de notre profonde reconnaissance tous nos compatriotes – en particulier les personnels soignants, en ville et à la campagne, les personnels hospitaliers des secteurs public et privé, soignants, administratifs ou techniques, ainsi que toutes les équipes de secours – qui sont engagés depuis plusieurs semaines maintenant dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
Le Sénat salue leur détermination, leur disponibilité et leur dévouement face à une crise sanitaire exceptionnelle qu’ils affrontent en première ligne, dans des conditions particulièrement difficiles. Ils méritent toute notre gratitude. Leur attitude exemplaire rend d’autant plus indispensable, en ces moments critiques, l’effort de responsabilité et de discipline exigé de chacun.
Je souhaite aussi rendre hommage à tous ceux qui, à leur poste de travail, assurent la continuité des services de la Nation. Qu’ils soient agents publics ou salariés du secteur privé ou associatif, ils sont indispensables.
Qu’il me soit également permis de remercier nos collègues présents et d’avoir une pensée pour tous ceux qui, comme l’ensemble de nos concitoyens, ne sont pas en mesure de se déplacer ou qui ont accepté le principe, souhaité par les présidents de groupe et moi-même, d’une limitation du nombre de participants à cette séance. J’ai une pensée toute particulière pour nos deux collègues que j’ai eus au téléphone ce matin et dont les nouvelles sont rassurantes, ainsi que pour le président Requier, absent parce qu’il respecte les mesures mises en place.
Je souhaite également remercier l’ensemble du personnel et des collaborateurs du Sénat, les collaborateurs des sénateurs, ainsi que les policiers du palais et les militaires de la garde républicaine, mobilisés pour permettre nos délibérations et la continuité de nos travaux.
Enfin, je tiens à saluer les élus locaux, qui sont des acteurs essentiels de la solidarité et de la proximité en ces temps d’inquiétude. M. le ministre des solidarités et de la santé et M. le ministre de l’intérieur savent pouvoir compter sur eux. (Applaudissements.)
4
Conférence des présidents
M. le président. Mes chers collègues, les conclusions adoptées par la conférence des présidents réunie ce jour sont consultables sur le site internet du Sénat.
La conférence des présidents a fixé l’ordre du jour des séances de cette fin de semaine et, au regard des mesures de restriction de circulation et de réunion en vigueur, elle a décidé de retirer de l’ordre du jour les débats de contrôle et les textes législatifs qui avaient été précédemment inscrits pour les trois prochaines semaines.
Vous serez bien entendu tenus informés des conditions dans lesquelles nous reprendrons nos travaux et assurerons notre mission de contrôle de l’action du Gouvernement, qui est aussi une mission essentielle.
En l’absence d’observations, je considère les conclusions de la conférence des présidents comme adoptées.
5
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à sept questions d’actualité au Gouvernement, à raison d’une question par groupe.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat. Je ne doute pas que chacun sera attentif au respect du temps de parole et des orateurs.
réponse européenne à la crise sanitaire
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, à cet instant, nous entendons rendre hommage au travail remarquable du personnel soignant qui est en première ligne pour sauver des vies, parfois dans des conditions dramatiques, comme actuellement dans le Grand Est. Nous avons aussi une pensée émue pour les malades et leurs proches. Je tiens également à remercier nos concitoyens qui respectent les consignes sanitaires : ces mesures extraordinaires sont contraignantes, mais absolument nécessaires. Nous saluons enfin l’engagement des pouvoirs publics, des services de l’État, mais aussi des élus locaux et des agents mobilisés au quotidien.
Au Sénat, nous avons fait le choix de traiter au travers de nos questions les différents aspects de la crise, afin d’obtenir les réponses les plus complètes du Gouvernement.
Notre continent est à présent le premier foyer de la pandémie. Pour limiter la propagation du virus et éviter la saturation de nos hôpitaux, l’Union européenne a renforcé le contrôle de ses frontières, et certains pays membres ont fait de même. Seule une solidarité intra-européenne permettra de faire face à cette crise qui ne connaît pas de frontières. Aucun des pays membres de l’Union européenne ne peut cependant vivre de manière autarcique ; le marché unique doit donc continuer de fonctionner, mais avec précaution et contrôle.
Les réponses des États membres doivent être coordonnées et cohérentes. La coopération européenne doit jouer en matière de mesures sanitaires, bien sûr, mais également de recherche et de production des équipements de protection, aujourd’hui en nombre insuffisant.
Quelles mesures de coordination et quelles procédures le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre, avec nos partenaires européens, pour permettre une gestion de la pandémie à l’échelle de l’Union européenne ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Menonville, le combat contre le Covid-19 est européen. C’est une épreuve et un défi pour l’Europe ; les Européens doivent le relever ensemble, pour préserver leur espace commun. C’est dans cet esprit que le Président de la République a souhaité la tenue, avant-hier, d’un Conseil européen par visioconférence.
Ce Conseil européen a débouché sur la prise de trois grandes séries d’initiatives.
Tout d’abord, pour limiter les déplacements et endiguer la diffusion du virus, il a été décidé de fermer les frontières extérieures de l’Union européenne et de l’espace Schengen. Cette décision s’applique depuis mardi aux citoyens des pays extérieurs à l’Union européenne, mais n’empêche pas nos compatriotes et les autres ressortissants européens de rentrer chez eux. À l’intérieur de l’espace européen, la même logique de limitation des déplacements afin de restreindre la diffusion du virus prévaut. Des contrôles conjoints aux frontières nationales sont ainsi mis en place, en particulier avec l’Allemagne, l’Espagne et la Suisse, mais chacun pourra rentrer chez soi, les marchandises continueront à circuler et les transfrontaliers pourront se rendre à leur travail.
La deuxième série d’initiatives a trait à la mise en commun de moyens pour mieux nous protéger. Cela se traduit notamment par des achats groupés de matériel de protection et par la mise à disposition de crédits significatifs pour financer la recherche sur le Covid-19 et trouver un vaccin.
La troisième série d’initiatives vise à limiter l’impact économique de cette crise. La Commission européenne a ainsi permis la mobilisation immédiate de 37 milliards d’euros pour financer les mesures nationales de soutien aux systèmes de soins et aux secteurs économiques les plus vulnérables. Cela conduit à davantage de souplesse sur les aides d’État et sur la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance.
Enfin, la Banque centrale européenne a adopté hier un programme de rachat de la dette publique et privée, à hauteur de 750 milliards d’euros, pour soutenir l’activité.
Ces initiatives inédites doivent nous permettre de faire face à une crise sans précédent. En tout état de cause, la réponse sera en grande partie européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
protection sanitaire des français
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, depuis mardi midi, la France est presque cloîtrée, les Français sont confinés. Cependant, nous sommes là, nous siégeons, parce que nous avons une mission à assumer. En effet, dans cette épreuve, les parlementaires ont le devoir d’aider le Gouvernement à protéger nos compatriotes, en votant des mesures sanitaires, sociales et économiques, ainsi que les crédits nécessaires.
Au nom du groupe Les Républicains, je voudrais vous dire, monsieur le Premier ministre, que vous pouvez compter sur notre disponibilité et sur notre soutien, déterminé et vigilant.
Si nous sommes là aujourd’hui, c’est aussi parce que le Parlement a également pour mission d’être le relais exigeant des questions que les Français se posent, au-delà des polémiques, quant à leur santé, à leur avenir.
À cet instant, je voudrais saluer à mon tour toutes celles et tous ceux qui sont en première ligne, des personnels de santé aux caissières de supermarché. Tous méritent le même hommage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, LaREM et SOCR.)
Monsieur le Premier ministre, je ne demande qu’à vous croire en ce qui concerne les masques, mais comment expliquer un tel décalage entre le terrain et vos déclarations ? Des dizaines de millions de masques auraient été commandés, mais ils n’arrivent qu’au compte-gouttes. Pourquoi ? Il en est de même pour le gel et les solutions hydroalcooliques. Pourtant, des entreprises françaises des secteurs du textile et des cosmétiques sont prêtes à produire en masse. Les Français ont finalement compris la consigne ; ils restent chez eux. Du coup, l’économie risque un arrêt brutal, ce qui pourrait entraîner des problèmes d’approvisionnement.
Par ailleurs, des traitements sont en train d’être mis au point. C’est encourageant, mais quand pourront-ils être généralisés ?
Enfin, dans cette lutte, la défiance est un poison, la confiance une arme. Monsieur le Premier ministre, il faut donc parler clair, agir, prendre de bonnes décisions ; vous nous trouverez à vos côtés, nous vous accompagnerons. Je fais confiance aux Français. La France a surmonté d’autres épreuves ; nous surmonterons celle-ci et nous vaincrons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE. – M. Richard Yung applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Retailleau, je m’associe à l’hommage que vous venez de rendre à toutes celles et à tous ceux qui, quel que soit leur profession, font leur devoir avec un sens très élevé de l’intérêt général et avec la conscience que leur activité est nécessaire à la vie du pays.
Je partage également vos propos sur le rôle du Parlement. J’irai même plus loin : non seulement il est indispensable, dans une démocratie, que le Parlement puisse continuer à se réunir, le cas échéant dans des formes aménagées, pour exercer son contrôle sur le Gouvernement, y compris dans une période de crise sanitaire et de confinement, mais le Gouvernement en a aussi besoin. J’ai besoin du contrôle du Parlement, parce que les mesures que nous prenons pour faire face à une situation aussi sérieuse et délicate ont un impact considérable sur nos concitoyens : elles sont certes exigées par les circonstances, mais elles ne sauraient relever de la seule volonté du pouvoir exécutif ; il est indispensable que le Parlement puisse exercer son contrôle, avec sens de l’État, avec vigilance, avec exigence. Je n’attends rien de moins de vous, monsieur le président Retailleau, et du Sénat, car je sais que nous partageons la volonté de trouver les solutions à la crise que nous traversons.
Concernant les masques et la production de gel hydroalcoolique, vous avez soulevé des questions que se posent aussi les Français. Je pense que le débat sur le projet de loi d’urgence, tout à l’heure, sera l’occasion d’apporter des réponses. Nous avons déjà pris des mesures, des décisions. Nous disposons de réserves de masques, mais leur distribution est effectivement difficile, je n’en disconviens pas. Le ministre des solidarités et de la santé s’exprimera tout à l’heure sur ce sujet. Je lui laisse le soin d’exposer clairement l’ensemble des éléments.
Nous sommes entrés dans une crise sanitaire inédite en France depuis un siècle. Cette crise va porter un coup d’arrêt puissant, massif et brutal à notre économie et entraîner une transformation puissante, massive et brutale de nos habitudes collectives de vie. Elle fait courir le risque d’un impact puissant, massif et brutal sur les structures collectives nationales, européennes et internationales que nous avons toujours connues. La situation est donc très sérieuse.
Les projets de loi que nous vous présenterons et l’ensemble des décisions que nous sommes et serons amenés à prendre visent à nous permettre de traverser cette crise dans le strict respect du cadre démocratique et sous le contrôle du Parlement. Comme vous, monsieur le président Retailleau, et exactement pour les mêmes raisons, j’ai confiance ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants, UC, RDSE et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
fonctionnement de la justice pendant la crise sanitaire
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste.
Mme Nathalie Goulet. Je m’associe bien sûr aux témoignages de soutien et de solidarité qui ont été adressés aux héros du quotidien, notamment aux personnels de santé.
Madame la garde des sceaux, comme le Gouvernement et l’ensemble de la population, nous avons pris la mesure du défi que représente l’épidémie de coronavirus pour notre pays, mais aussi pour l’institution judiciaire, déjà en difficulté en temps normal. Il s’agit de repenser complètement le fonctionnement de la justice à l’heure du coronavirus, rien de moins !
Vous avez débattu, avec la présidente du Conseil national des barreaux, de la question de la suspension indispensable des délais de prescription en matière civile et pénale ; des mesures figurent d’ailleurs à l’article 7 du projet de loi que nous examinerons tout à l’heure.
Dans le cadre du plan de continuation d’activité des juridictions et avec les mesures de confinement, les extractions judiciaires vont être matériellement rendues quasiment impossibles en l’état des moyens de notre justice, outre le danger de propagation que présenteraient ces mouvements, comme l’a déjà signalé l’Association des magistrats.
Nos juridictions et nos établissements pénitentiaires ne disposent ni de matériels de protection pour les personnels et les auxiliaires ni d’équipements de visioconférence en nombre suffisant.
Les parloirs sont suspendus. Hier, le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris a lancé un cri d’alarme sur les conditions sanitaires dans les geôles du tribunal de Paris et refusé de désigner des avocats pour le service de l’urgence pénale.
Madame la garde des sceaux, quelles mesures précises avez-vous prises pour éviter que des terroristes et autres individus dangereux soient libérés en raison de failles procédurales ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Goulet, la situation sanitaire de la France nous a conduits, depuis quelques semaines déjà, à prendre un certain nombre de décisions, dont la mise en œuvre des plans de continuation d’activité des juridictions, que vous avez évoquée.
La restriction des activités qui s’installe désormais nous conduit à aller plus loin et à prévoir des mesures provisoires qui seront prises en application des ordonnances visées dans le projet de loi d’urgence que vous examinerez à partir de cet après-midi.
Nous avons, dans ce cadre, un double objectif : reporter les délais procéduraux et permettre, sans risque de nullité, une extension du recours à la visioconférence pour l’activité juridictionnelle. Depuis deux ans, nous avons considérablement modernisé nos réseaux et augmenté le nombre des équipements de plus de 80 %. Nous pouvons donc développer de manière importante et sereine le recours à la visioconférence, ce qui va nous permettre de réduire de manière drastique les extractions judiciaires.
Madame la sénatrice Goulet, je sais que vous êtes très attentive à la situation des établissements pénitentiaires, en particulier ceux de Condé-sur-Sarthe et d’Argentan. Sachez que, dans le cadre du projet de loi d’urgence, nous allons prendre des mesures pour limiter les courtes peines et soulager les centres de détention. Bien évidemment, ces dispositions ne concerneront pas les détenus dangereux.
Les mesures générales de confinement récemment prises empêchent les familles d’accéder aux parloirs qui, de fait, ont été suspendus, mais les avocats peuvent, quant à eux, continuer à voir leurs clients en détention. Les parloirs avocats ne sont pas interdits ; ils seront organisés dans le respect des gestes barrières.
Vous avez évoqué la situation spécifique du tribunal judiciaire de Paris. Des mesures ont été prises pour permettre aux avocats d’avoir accès aux prévenus dans des conditions de sécurité sanitaire satisfaisantes – j’en parlais encore ce matin avec le procureur et le président du tribunal de Paris. Je sais que nous pourrons compter sur les avocats pour assurer le respect des droits de la défense dans cette période exceptionnelle.
Soyez assurée, madame la sénatrice, que tous les personnels judiciaires et pénitentiaires sont actuellement pleinement mobilisés pour assurer la continuité du service public de la justice et la sécurité de nos concitoyens, cela dans le respect des droits fondamentaux de chacun.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. Je vous remercie de ces précisions, madame la garde des sceaux. Les dispositions que vous avez prises par circulaire le 14 mars ne n’avaient pas échappé ; elles doivent maintenant être inscrites dans la loi, parce qu’elles ne sont pas d’ordre réglementaire. Surtout, les personnels pénitentiaires et les auxiliaires de justice ont absolument besoin d’équipements de protection ; on ne peut pas les laisser dans la situation actuelle, les enjeux de sécurité sont trop importants.
mesures économiques annoncées par le gouvernement, notamment en faveur des indépendants
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche.
M. François Patriat. Monsieur le Premier ministre, nous sommes confrontés à une crise sanitaire dramatique, sans précédent, mais aussi à une crise économique. Nous saluons l’action du Gouvernement pour faire face à cette double crise. Beaucoup de questions portent sur le volet sanitaire ; j’évoquerai pour ma part l’aspect économique.
Nous sommes tous sollicités par les fédérations professionnelles, les entrepreneurs et les salariés à propos des mesures devant être prises pour assurer la survie des entreprises ou aider les particuliers. Au-delà des réponses d’ensemble que vous pourrez nous apporter, monsieur le Premier ministre, sur les moyens mis en œuvre par notre pays et par l’Union européenne pour faire face à cette crise économique, je voudrais attirer votre attention sur la situation spécifique des indépendants, qui se trouvent aujourd’hui démunis. Nombre d’entre eux ont souscrit des assurances contre les événements dramatiques, tels que les catastrophes naturelles, mais les épidémies ne sont pas couvertes. Le Gouvernement ne pourrait-il demander aux assureurs de participer à l’effort national en intégrant les épidémies dans le champ des événements couverts par les contrats souscrits par les entreprises individuelles, en particulier ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Patriat, je l’ai dit, la crise sanitaire que nous vivons va porter un coup de frein massif, brutal et immédiat à l’activité du tissu productif de notre pays. Nous savons quelles conséquences dangereuses cela peut emporter.
Dans l’immédiat et dans l’urgence, la priorité, pour le Gouvernement, est de faire en sorte que nous puissions passer la crise sanitaire, en permettant aux entreprises de survivre à ce trou d’air et de conserver leurs salariés, c’est-à-dire leurs compétences, de façon à pouvoir ensuite repartir.
C’est la raison pour laquelle le projet de loi d’urgence dont nous débattrons tout à l’heure prévoit un dispositif particulier d’activité partielle, qui permettra d’indemniser dans de bien meilleures conditions qu’aujourd’hui les salariés se trouvant dans cette situation.
Nous avons également prévu un report immédiat de charges et la création d’un fonds de solidarité qui permettra à tous les indépendants de bénéficier d’une subvention versée automatiquement par la direction générale des finances publiques (DGFiP). Cela n’empêchera pas que les professionnels subissent les effets du ralentissement massif de l’activité, mais ils seront accompagnés à hauteur d’environ 1 500 euros. Les régions ont accepté de participer au financement de ce fonds de solidarité et un deuxième étage du dispositif permettra d’aider l’ensemble des indépendants et des PME, qui se trouvent confrontés à des situations redoutablement difficiles, la quasi-totalité de leur chiffre d’affaires pouvant disparaître du jour au lendemain.
Je le redis, notre priorité est d’accompagner le tissu économique pour passer l’urgence. Ensuite, une fois la crise sanitaire finie – car elle aura bien une fin –, il faudra aider l’économie française à rebondir, aider l’ensemble du tissu productif à reprendre du muscle et à repartir de l’avant. Nous avons de ce point de vue un peu de temps devant nous, mais cela exigera la préparation d’un plan de relance et une discussion en profondeur avec l’ensemble des organisations syndicales et patronales et des acteurs publics et privés intéressés par le redémarrage économique. Mais l’urgence, je le répète, est de passer cette période de crise.
Concernant l’association des assureurs à ces mesures d’urgence, je ne puis, monsieur le président Patriat, m’engager de chic sur un sujet de cette ampleur. Pour autant, personne ne pourra s’exempter de l’effort considérable que nous allons tous devoir consentir pour permettre à notre pays de repartir.
Le Président de la République a eu raison de dire : « quoi qu’il en coûte », car l’urgence est là, mais cela signifie que la Nation dans son ensemble devra accompagner le mouvement, dans un effort collectif pour dépasser cette situation d’urgence et, demain, repartir de l’avant. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
rôle des élus
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Nathalie Delattre. Depuis trois mois, une bataille planétaire s’est engagée ; une guerre mondiale contre un ennemi invisible, et pourtant si présent, comme l’a justement dit notre président.
Pour autant, la France n’est pas restée derrière sa ligne Maginot. Nous sommes passés à l’offensive avec, dès samedi dernier, la mise en place de mesures inédites. Devant la gravité du moment, nous avons entendu l’ordre de mobilisation générale du Président de la République. L’heure de l’affrontement est arrivée.
Au front, nos médecins, nos infirmiers, nos pharmaciens et l’ensemble de nos personnels soignants et d’entretien, nos forces de sécurité intérieure, civiles et militaires, mais aussi les personnels des supermarchés, nos boulangers, nos buralistes, nos pompistes et nos chauffeurs routiers, font tous face avec courage et détermination aux assauts de la maladie. La viticultrice que je suis a également une pensée particulière pour nos agriculteurs. À chacune et à chacun d’entre eux, je tiens à exprimer, au nom de mon groupe parlementaire, toute notre admiration et notre gratitude.
J’exhorte chacun à remplir son devoir et à poursuivre le combat, où qu’il se trouve, quel que soit son rôle. Alors, la France pourra être fière de ses enfants et sera une nouvelle fois au rendez-vous de l’histoire.
Je souhaite adresser, depuis l’hémicycle du Sénat, un mot particulier aux personnels de l’État et municipaux, ainsi qu’à nos élus locaux, bien évidemment, en particulier nos maires, qui se mobilisent comme à leur habitude au service de l’intérêt général. Notre République, solidaire et fraternelle, démontre une fois encore qu’elle est debout lorsque l’essentiel est en jeu.
Monsieur le ministre de l’intérieur, pouvez-vous indiquer aux élus de la République ce que le Gouvernement attend d’eux précisément ? Avec quels moyens, notamment techniques, pourront-ils agir ? Les maires pourront-ils réquisitionner, par exemple ? Ils sont les plus à même de prendre des mesures urgentes et de proximité utiles.
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, je veux d’abord, comme vous, saluer le combat que mène la nation France. Toutes les professions que vous avez évoquées – les blouses blanches, les forces de sécurité intérieure… – sont au premier rang de l’engagement, mais tous les Français font République dans ce combat que nous devons mener contre le virus.
Vous avez raison de considérer que les élus locaux, en particulier les maires, font partie de ce que j’appellerai les acteurs éclairés. Ils mènent un combat de proximité pour rassurer les Français face à la situation et agir, qu’il s’agisse de garantir l’accueil dans les crèches et les écoles des enfants des personnels de santé mobilisés, de prendre des mesures de prévention ou de communiquer sur les gestes qui protègent et les bons comportements à observer.
Il nous faut renforcer leurs pouvoirs. Nous discuterons notamment tout à l’heure de la possibilité de permettre aux polices municipales de dresser des procès-verbaux pour infraction au confinement et aux règles posées en début de semaine par le Président de la République et le Premier ministre.
Nous devons aussi nous interroger sur la capacité des 30 000 nouveaux exécutifs élus dès le premier tour des élections municipales à se rassembler dans les jours à venir pour appliquer la loi. Il nous faudra prendre le temps, tout à l’heure, de trouver la meilleure façon de les protéger. Des amendements ont été adoptés en ce sens ce matin par la commission des lois, sous l’autorité de Philippe Bas. Nous devons bien évidemment accompagner celles et ceux qui, demain, seront les acteurs de la protection de la nation française. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
quels moyens d’urgence pour l’hôpital public et la politique de santé publique ?
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. L’heure n’est pas à la polémique, le temps du bilan viendra, mais voilà des années que les personnels médicaux, paramédicaux, administratifs et techniques des hôpitaux tirent la sonnette d’alarme sur les conséquences des politiques austéritaires menées par les gouvernements successifs.
En vingt ans, 100 000 lits ont été fermés, selon le médecin urgentiste Christophe Prudhomme, dont près de 4 500 ces deux dernières années, et 50 % des lits des services de soins de longue durée de l’AP-HP sont voués à la fermeture.
Devant cette asphyxie délibérée de l’hôpital, la casse de la santé et du secteur médico-social, la mobilisation du personnel n’a pas faibli. Depuis plus d’un an, il est en grève, mais ce gouvernement n’a pas répondu à ses demandes légitimes.
Aujourd’hui, vous annoncez la mobilisation de 2 milliards d’euros pour faire face à cette urgence sanitaire, mais il ne s’agit en réalité que d’un dégel de crédits. C’est proprement insuffisant, et même insultant pour les personnels de santé, qualifiés par le Président de la République de « héros en blouses blanches » mais qui ont besoin non de compliments, mais d’actes forts !
Monsieur le ministre, pourquoi refusez-vous de rendre à la santé, a minima, les 5 milliards d’euros, dont 1 milliard d’euros pour l’hôpital, qui lui ont été pris au travers notamment du dernier PLFSS ? Allez-vous, oui ou non, ouvrir les crédits nécessaires pour répondre à l’urgence sanitaire ? Pour l’heure, aucune ligne budgétaire ne figure dans le projet de loi de finances rectificative que nous examinerons demain au Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Sophie Taillé-Polian applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Laurence Cohen, « quoi qu’il en coûte », a dit le Président de la République voilà quelques jours… Tout l’argent, tous les moyens nécessaires pour soutenir nos soignants, à l’hôpital comme en ville, sont et seront mis en œuvre.
Je comprends parfaitement que vous vous inquiétiez du provisionnement des ressources, madame la sénatrice, mais cette question ne relève pas de notre logiciel actuel. Notre préoccupation est d’apporter, par tous les moyens et quoi qu’il en coûte, assistance et soutien aux soignants qui se battent pour sauver des vies. Le soutien de l’État sera sans faille dans la durée, madame la sénatrice.
Au-delà, vous me donnez l’occasion de saluer la mobilisation citoyenne et l’élan de solidarité très fort qui traversent notre Nation. Ainsi, des restaurateurs ont décidé d’installer des food trucks afin de préparer à manger pour le personnel hospitalier, des ostéopathes viennent masser les soignants pendant leurs rares moments de pause, de grands groupes hôteliers mettent à disposition des chambres gratuites à proximité des établissements de santé, de grandes compagnies de véhicules de transport collectif proposent des tarifs extrêmement négociés pour permettre à l’État de soutenir les soignants jusque dans leur quotidien.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est pas la question !
M. Pascal Savoldelli. On parle de lits !
M. Olivier Véran, ministre. Le moment venu, nous ferons les comptes, madame la sénatrice, mais l’État sera au rendez-vous pour soutenir l’hôpital public et celles et ceux qui sauvent des vies, quoi qu’il en coûte ! (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM. – MM. Jean-Marc Gabouty et Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le ministre, avec tout le respect que je vous dois, c’est de l’enfumage ! (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.) Je ne parle pas de logiciel, mais de budget. Or vous n’avez absolument rien dit à ce sujet ! La société civile se mobilise, en effet, mais pas le Gouvernement, qui ne débloque pas de crédits pour la santé. Combien de lits seront-ils ouverts ? On ne sait pas ! Nous sommes dans le flou.
Dans les hôpitaux, il y a aujourd’hui un manque criant de masques, de gel hydroalcoolique, de gants, et vous le savez pertinemment. Nous sommes tous alertés à ce sujet dans nos circonscriptions. Vos belles paroles peuvent sans doute servir à amuser la galerie, mais elles ne me satisfont pas ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Cohen. L’heure est grave, mes chers collègues, et, dans ces moments, on a besoin d’actes, et non de paroles ! Vous nous trouverez à vos côtés si vous débloquez effectivement des moyens, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Nouvelles protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
carte hospitalière
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, 89 décès supplémentaires, doublement des cas infectieux en vingt-quatre heures : nous devons aborder les questions liées à cette épidémie dans un esprit de responsabilité.
Rien n’est plus remarquable que l’attitude de nos soignants qui, en dépit d’un danger possible, et même presque certain, n’en continuent pas moins d’exercer leur profession, parce que nous avons tous besoin de leurs compétences et de leur savoir-faire. Ils savent que leur vie a pour vocation de permettre aux autres de vivre.
Soutenir le monde de la santé est une priorité, en particulier pour le Gouvernement. Je souhaite qu’il nous apporte des informations précises sur les moyens qui sont déployés, à l’heure où nombre de professionnels de santé sont obligés de « bricoler », si vous me permettez cette expression. Y aura-t-il assez de respirateurs, de brancards, de médecins, d’infirmières ? Combien de lits de réanimation sont-ils aujourd’hui ouverts ? Combien le seront dans les prochaines semaines ? D’autres hôpitaux de campagne sont-ils prévus dans notre pays ? Pourquoi les soignants de ville, qui sont également mobilisés dans cette « guerre », pour reprendre le mot du Président de la République, ne reçoivent-ils pas de kits de protection ? Qu’en est-il des bénévoles associatifs, auxquels on demande d’aller au contact de la population la plus fragile et la plus exposée sans leur délivrer de masques ni de gel ? Pourquoi les personnels de l’aide à l’enfance ne figurent-ils pas dans la liste des professions prioritaires, alors que l’on sait que les enfants représentent un vecteur important de transmission du virus ? Nous ne pouvons que nous interroger, monsieur le Premier ministre, sur le travail d’anticipation du Gouvernement.
Enfin, le manque de tests pose un problème majeur, car si nous en disposions en grande quantité, nous pourrions repérer les individus suspects et les isoler de leurs contacts potentiels. Pour sortir de l’étape du confinement, il faudra des tests ! Il ne faut pas opposer la stratégie de confinement à l’utilisation des tests. L’OMS insiste sur ce point : ce sont deux phases qui doivent se succéder rapidement. Il faut tester, tester et encore tester ! Le professeur Delfraissy l’a rappelé hier lors du journal du soir de France 2. J’espère, monsieur le Premier ministre, que nous aurons des réponses satisfaisantes à ces questions, dans l’intérêt des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Kanner, il y a beaucoup de questions dans votre question, et c’est bien légitime.
Notre objectif principal, aujourd’hui, est de contenir l’évolution du nombre de cas graves, ceux-ci ayant malheureusement souvent vocation à être accueillis dans les services de réanimation et de soins intensifs, dont la capacité est forcément limitée : c’est vrai en France comme partout dans le monde. Aucun système de santé au monde n’est capable de faire face à un afflux massif de patients dont l’état justifie leur admission au même moment dans un service de réanimation ou de soins intensifs.
C’est la raison pour laquelle nous avons pris des mesures pour ralentir la circulation du virus. Nous avions aussi, bien avant, commencé à augmenter nos capacités d’accueil dans les services de réanimation et de soins intensifs, en transformant des lits, d’une part, et en déclenchant le Plan blanc, d’autre part, afin de déprogrammer des opérations non urgentes pour accroître l’offre de lits en services de réanimation et de soins intensifs. Hier soir, grâce à ces déprogrammations et à l’effort de reconversion de lits que nous avons réalisé, 3 700 lits de soins critiques adultes et 300 lits pédiatriques étaient disponibles pour les malades du Covid-19.
Cette augmentation de la capacité permettra-t-elle de faire face à l’afflux de nouveaux patients ? C’est l’enjeu du moment. Les mesures de confinement strictes qui ont été prises devraient avoir un impact massif dans les jours qui viennent. Elles ont vocation à lisser le pic.
Dans le même temps, nous nous mobilisons, avec l’industrie française, pour faire en sorte que le matériel nécessaire puisse être disponible. Je pense notamment aux respirateurs. Je ne suis pas médecin et je ne veux surtout pas donner le sentiment que je maîtrise ces sujets – à supposer que j’y arrive ! –, mais il y a respirateur et respirateur. On ne peut pas utiliser tous les types de respirateurs pour des malades dont la situation est très grave et l’état général très affecté, sauf à leur faire courir de réels dangers. Il faut donc pouvoir équiper les lits de respirateurs adaptés. Nous avons relancé les commandes, les entreprises vont augmenter leur production. Cela nous ramène au sujet de la continuité de la vie économique : si nous voulons pouvoir disposer de tests, de respirateurs et de tout le matériel nécessaire, il faut que les lignes d’approvisionnement et les chaînes logistiques continuent de fonctionner. Sinon, nous n’y arriverons pas ! C’est pourquoi il est indispensable d’assurer la continuité de la vie économique, en prenant évidemment toutes les dispositions nécessaires pour garantir la sécurité et la santé des salariés et de nos concitoyens.
Au-delà de l’augmentation de la capacité d’accueil des services de réanimation, notre stratégie consiste aussi à utiliser des moyens militaires pour déplacer les malades, avec toutes les garanties de sûreté nécessaires, depuis les zones où la pression sur le système sanitaire est très forte vers des régions où il peut encore faire face à l’afflux de nouveaux patients. Des malades ont ainsi été transportés de Mulhouse à Toulon. Nous avons également choisi d’installer à Mulhouse un hôpital de campagne d’une capacité de trente lits de réanimation, afin d’aider le système de santé local.
Les priorités sanitaires sont la limitation du nombre de cas graves et l’augmentation de la production des matériels nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous informerai, mes chers collègues, des conditions dans lesquelles seront organisées les prochaines séances de questions d’actualité au Gouvernement dans les semaines à venir.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Mesures d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19
Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié et d’un projet de loi organique dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (projet n° 376, texte de la commission n° 382, rapport n° 381) et du projet de loi organique (projet n° 377, texte de la commission n° 383, rapport n° 381) d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.
La procédure accélérée a été engagée sur ces deux textes.
J’informe le Sénat que la conférence des présidents a décidé la réserve du titre Ier du projet de loi n° 376 jusqu’à la fin de l’examen du texte.
Candidatures à d’éventuelles commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein d’éventuelles commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Discussion générale commune
M. le président. Il a été décidé que les deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Je rappelle que tous les orateurs, y compris le Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la France fait face à sa plus grave épidémie depuis un siècle. Le virus, détecté fin décembre, est déjà, trois mois plus tard, répandu sur les cinq continents. La crise est mondiale, avec 8 700 morts, une propagation rapide de pays en pays, une mortalité qui touche sans choisir, mais d’abord les plus âgés et les plus vulnérables, des prévisions épidémiologiques alarmantes qui peuvent faire craindre, si la riposte était défaillante, des centaines de milliers de décès à travers le monde.
La France est frappée de plein fouet et fait face avec détermination depuis janvier. Elle a recensé plus de 9 000 malades et déplore 264 morts à ce jour, un chiffre élevé et qui va s’accroître. Ni le Sénat ni l’Assemblée nationale ne sont épargnés, et je voudrais, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, présenter mes vœux de très rapide et très complet rétablissement aux parlementaires, fonctionnaires et collaborateurs des assemblées malheureusement atteints.
Cette crise sanitaire a également des répercussions majeures sur tous les aspects de la vie de la Nation. En quelques jours, nos modes de vie, nos priorités, nos habitudes, nos plaisirs les plus simples, nos préoccupations ont basculé. La vie économique, sociale et culturelle quotidienne s’est comme figée.
Le Président de la République l’a dit, c’est une forme de guerre que nous menons. J’ai été personnellement frappé d’entendre la chancelière allemande, Mme Merkel, estimer hier qu’il s’agissait de la crise la plus grave que traversait l’Allemagne depuis 1945. Je m’inscris pleinement dans ces analyses : la période dans laquelle nous sommes entrés n’a rien de commun avec les crises économiques ou financières que nous avons connues depuis 1945. Elle aura des répercussions dans nos vies individuelles et dans la vie de notre Nation, dont nul ne peut aujourd’hui mesurer l’intensité, mais dont nous sentons tous qu’elles seront majeures.
Notre réaction, notre politique, notre stratégie peuvent être résumées par deux mots simples : faire face.
Dès janvier, nous organisions le rapatriement de nos compatriotes depuis la Chine et leur isolement rigoureux pendant quatorze jours. J’ai le souvenir de commentaires selon lesquels nous en faisions alors peut-être trop. Dès l’identification des premiers « clusters », dans les Alpes puis dans l’Oise, nous organisions leur confinement grâce à un travail méticuleux et assez remarquable d’identification des cas contacts réalisé par les équipes médicales du ministère de la santé et les responsables locaux.
Notre stratégie n’a pas varié : empêcher aussi longtemps que possible le virus de s’installer et en freiner au maximum la progression.
Les médecins nous disent que, pour 80 % des patients atteints par ce virus, les symptômes sont bénins ; pour 10 %, ils sont sérieux, et 5 % des malades présentent des formes sévères pouvant nécessiter un placement en réanimation. Les enfants semblent épargnés, mais la gravité augmente avec l’âge et les autres fragilités sanitaires, avec une mortalité importante pour nos anciens.
Si elle n’est pas freinée, l’épidémie se propage de façon exponentielle. Or aucun système hospitalier ne peut tenir si les 5 % de patients sévèrement atteints affluent au même moment. Notre objectif est donc d’abord de protéger les plus vulnérables et ensuite de ralentir la progression du virus, de façon à aplatir le pic épidémique. C’est ce qui nous permettra de diminuer considérablement le nombre d’urgences qui affluent chaque jour vers les hôpitaux. Nous limiterons ainsi le risque d’asphyxie de nos services de réanimation et nous leur donnerons le temps de s’organiser. Nous donnerons aussi le temps aux producteurs de masques, de solutions hydroalcooliques et de respirateurs de fournir les équipements dont nous avons besoin. En freinant la progression de la maladie dans la population, nous nous rapprochons également du moment où, nous l’espérons, nous disposerons de traitements, voire de vaccins.
Dans certaines régions, en particulier dans l’Est et en Île-de-France, les hôpitaux font face à un afflux massif de patients nécessitant des soins urgents. Malgré la très forte pression qui s’exerce sur lui, notre système de soins tient le choc, avec bien sûr des différences d’intensité entre les territoires et au prix d’efforts considérables.
Nous le devons à l’extraordinaire mobilisation, aux capacités d’anticipation et d’organisation des personnels soignants, que nous tenons tous à citer, car ils sont en première ligne dans cette bataille : les médecins, les internes, les infirmiers, les aides-soignants, les médecins retraités, les étudiants. Nous demandons l’impossible à des femmes et à des hommes qui, chaque jour, depuis plusieurs semaines, accomplissent des miracles. Je veux leur redire ici notre reconnaissance, celle de la République, la nôtre, celle de millions de Français qui l’expriment parfois avec des mots, des actes ou des gestes qui ont frappé l’imagination de nos concitoyens. Je veux les assurer de notre totale mobilisation pour qu’ils puissent disposer, dans les meilleures conditions, des moyens dont ils ont besoin.
Notre stratégie comporte aussi une dimension européenne et internationale. Dans le monde ouvert où nous vivons, rien ne peut être accompli sans coopération internationale, mais il est de fait que nous sommes confrontés à un défi inédit. Nous avons immédiatement saisi les institutions de l’Union européenne de la nécessité de coordonner nos réponses.
Ce n’est pas un secret : quand, à la demande pressante de la France, les ministres de l’intérieur, d’une part, et les ministres de la santé, d’autre part, se sont réunis en février, beaucoup estimaient qu’il n’y avait pas lieu de le faire. Rétrospectivement, on ne peut qu’être surpris de ce décalage entre l’appréciation formulée par un certain nombre d’homologues européens du ministre des solidarités et de la santé ou du ministre de l’intérieur et la réalité que nous connaissons aujourd’hui.
C’est en grande partie grâce à l’insistance du Président de la République et du Gouvernement que des mesures de coordination minimales ont pu être prises aux frontières comme en matière de politique sanitaire.
Il est clair que la responsabilité première incombe aux États, mais nous devons pouvoir compter sur les avis de l’OMS, partager nos réponses, mieux coordonner les efforts de recherche de traitements et de vaccins. C’était l’objet du sommet exceptionnel des 7 et 16 mars derniers.
C’est aussi par la solidarité européenne et internationale que nous pourrons aborder les dramatiques conséquences économiques de la crise. Je salue à cet égard les récentes décisions de la Banque centrale européenne.
La bataille sera longue, et nous savons que le bilan en sera lourd. Nous agissons terriblement contraints par le temps, par l’incertitude dans laquelle nous nous trouvons quant à de multiples aspects de ce virus encore inconnu voici trois mois, par l’absence de vaccin et, à ce stade, de traitement, même si – rayon d’espoir – des essais cliniques et des tests, autorisés d’ailleurs avec une célérité jamais vue dès le mois de février, laissent espérer des découvertes en la matière.
Nous agissons dans des délais très courts, selon quelques principes simples que je voudrais résumer.
L’humilité, d’abord : elle oblige à reconnaître que l’on ne sait pas tout, que l’on peut se tromper et que l’on doit, dans ce cas, corriger sans délai la trajectoire sans s’obstiner, que l’on doit s’inspirer aussi de ce que font les autres pays ayant le redoutable privilège de nous précéder parfois d’une semaine ou de quelques jours sur la courbe épidémique.
La confiance dans la science, ensuite : toutes nos décisions – je dis bien toutes – sont fondées sur ce que les meilleurs scientifiques de ce pays nous disent. Cela ne signifie pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous déléguions la décision aux scientifiques : il ne leur appartient pas de prendre les décisions. Nous les écoutons, nous leur posons des questions. Leurs avis sont souvent traversés d’opinions, d’analyses différentes, et le consensus scientifique n’est pas chose aisée. Mais nous essayons systématiquement de tenir compte de ce que nous disent les scientifiques que nous consultons. Toutes nos décisions politiques prennent appui sur ce que les scientifiques peuvent nous indiquer dans l’océan d’incertitudes dans lequel nous nous trouvons.
Dernier principe, la transparence à l’égard des Français. Nous disons ce que nous savons et ce que nous ne savons pas, parce que la confiance est nécessaire pour vaincre la peur et que la France est un grand pays qui saura surmonter cette épreuve à condition qu’on lui dise la vérité.
Il y a et il y aura, c’est bien légitime, des discussions, des contestations et des polémiques sur nos choix. Les discussions, les contestations, même rugueuses, sont bienvenues : elles nous font avancer, nous en avons besoin. Clemenceau, pendant la Grande Guerre, n’a jamais cessé de réunir le Parlement. Mais les polémiques, que je classe dans une autre catégorie, peuvent nous distraire, nous retarder. Mesdames, messieurs les sénateurs, mon objectif est de conserver toute mon énergie pour avancer. Ce dont je veux vous assurer, c’est que le Président de la République, le Gouvernement et moi-même sommes engagés sans réserve, avec l’humilité que commande le moment, mais avec une détermination absolue, et décidés à assumer les choix que dictent notre compréhension de la situation, nos forces, nos vulnérabilités, sur la base des recommandations du corps médical.
Je tiens à vous remercier, monsieur le président, ainsi que le président de l’Assemblée nationale, les présidents de groupe parlementaire, les présidents de commission et l’ensemble des parlementaires, d’avoir adapté, dans des délais très resserrés et dans des conditions, y compris sanitaires, très difficiles, l’organisation de la démocratie parlementaire pour qu’elle puisse se mettre en ordre de bataille.
Je salue également l’esprit républicain dans lequel les formations politiques se sont inscrites. Devant le Sénat, je tiens à rendre hommage à tous les élus locaux, à tous les fonctionnaires nationaux, régionaux, départementaux, municipaux, qui donnent sans compter leur temps et leurs efforts.
L’évolution rapide de l’épidémie nous a conduits, en fin de semaine dernière, à donner, sur la recommandation des médecins, un nouveau coup de frein et à décider, lundi, le confinement des populations sur le territoire national. Ces mesures sont massives, draconiennes ; jamais notre pays n’avait connu des mesures de restriction aussi générales et rigoureuses sur l’ensemble de son territoire. J’ai parfaitement conscience de l’effort qu’elles représentent pour des millions de Français. Taraudés par des questions, des inquiétudes que l’on peut parfaitement entendre, ils doivent à la fois s’acquitter de leurs obligations professionnelles, fût-ce à distance, continuer à gérer les contraintes familiales, les engagements de toutes sortes qu’ils ont pu souscrire, faire face à la diminution dramatique de leur chiffre d’affaires et de leurs perspectives économiques, à une angoisse liée à la maladie ou au risque de la maladie.
Je saisis cette occasion pour redire aux Français – en vous demandant, mesdames, messieurs les sénateurs, de relayer ce message – que ces mesures sont indispensables, qu’elles sont les seules efficaces pour soulager nos soignants et protéger ceux que nous aimons, que la négligence, la légèreté, l’insouciance que l’on constate parfois encore dans nos rues sont – je pèse mes mots – irresponsables et doivent laisser place à une prise de conscience totale de la responsabilité de chacune et de chacun d’entre nous dans le combat que nous avons engagé.
L’épidémie et ces mesures de restriction ont, vous le savez, des répercussions d’une extrême gravité sur notre économie. Dans de nombreux secteurs – je pense au transport aérien, à l’hébergement, aux activités culturelles et sportives, à l’événementiel, à la restauration, au commerce de détail non alimentaire –, les chutes de chiffre d’affaires sont proches de 50 %, voire de 100 %.
Cette crise bouleverse aussi l’ensemble de nos relations économiques, juridiques, administratives, ainsi que le fonctionnement de nos institutions démocratiques, nationales et locales.
Lors de ses deux adresses aux Français, le Président de la République a annoncé des mesures massives pour contrer l’épidémie, pour soutenir financièrement les personnes les plus fragiles, les salariés, les indépendants, ainsi que les entreprises, grandes et petites. Ces mesures sont attendues, elles sont nécessaires, d’abord pour que les Français puissent se concentrer sur le seul objectif qui vaille : protéger leur santé, celle de leurs proches, celle de leurs concitoyens. Elles sont aussi nécessaires pour ne pas ajouter de l’angoisse sociale, économique, à l’angoisse que suscite déjà l’épidémie. Elles sont nécessaires pour que la vie économique et sociale de notre pays puisse reprendre le plus vite possible une fois la crise sanitaire derrière nous.
Tout l’enjeu consiste maintenant à traduire ces mesures dans notre législation pour qu’elles puissent produire leurs effets dans le délai le plus court possible. L’urgence commande, et le Parlement est appelé à les discuter et à les voter aussi vite que possible, mais l’urgence ne saurait aller sans respect de l’indispensable pouvoir de contrôle des deux assemblées. C’est cet équilibre entre la rapidité de la décision dans la bataille et l’impératif absolu du contrôle démocratique que nous nous sommes employés collectivement à respecter.
C’est ainsi que j’ai l’honneur de vous présenter les projets de loi adoptés hier en conseil des ministres : un projet de loi d’urgence, assorti d’un très court projet de loi organique, ainsi qu’un projet de loi de finances rectificative.
L’ensemble de leurs dispositions visent à atteindre quatre objectifs.
Le premier, c’est de protéger à tout prix, quoi qu’il en coûte, la population contre l’épidémie.
Le deuxième objectif consiste à prendre les mesures économiques et sociales exceptionnelles que la situation impose.
Le troisième objectif est d’adapter très temporairement nos règles de droit aux bouleversements que nous connaissons dans nos relations économiques ou administratives, que l’on soit une entreprise ou un particulier.
Ces dispositions visent enfin, quatrièmement, à tirer les conséquences de l’impossibilité que nous avons constatée d’organiser le second tour des élections municipales ce dimanche.
Le titre Ier du projet de loi d’urgence, dans la rédaction initiale présentée par le Gouvernement, porte ainsi sur le report du second tour des élections municipales. Ce report, nous l’avons décidé lundi après avoir consulté le conseil scientifique et les forces politiques, parce que l’accélération de la propagation du virus le rendait indispensable.
Je souhaite revenir sur cette question qui suscite, et c’est bien normal, discussions et interrogations.
Nous avons maintenu le premier tour de ces élections municipales après un débat et une réflexion approfondis. Les élections, c’est le temps fort de la démocratie, et, nous le savons, seules des circonstances absolument exceptionnelles peuvent permettre d’en modifier le calendrier, sur la base, dans toute la mesure du possible, du consensus des forces politiques.
Dès le mois de février, lorsque j’ai réuni à Matignon les partis et les groupes politiques pour les informer précisément de la situation sanitaire, la question du maintien du scrutin municipal a été abordée. À l’époque, sur l’avis unanime des autorités scientifiques, nous avons considéré que ce scrutin pouvait et devait être maintenu.
À partir de ce moment, nous avons systématiquement interrogé les spécialistes sur les conditions d’une organisation sûre de ce scrutin sur le plan sanitaire. Leur réponse a été de recommander la sensibilisation de nos concitoyens et de tous ceux qui allaient procéder ou faire procéder aux opérations électorales à ces consignes de sécurité et à ces gestes barrières grâce auxquels les contaminations pouvaient être évitées. Il n’y avait donc, à leurs yeux, pas de risque plus élevé à voter qu’à procéder à des actes courants de la vie quotidienne, comme faire les courses ou emprunter les transports en commun.
Jeudi dernier, avant le premier tour, alors que nous décidions des premières mesures lourdes de confinement, la question du report a de nouveau été examinée. Le Gouvernement a instruit cette question : pouvions-nous décider, jeudi, de reporter le premier tour des élections municipales ? Beaucoup de ceux qui ont été consultés, parfois informellement, c’est vrai, nous ont dit que, sur la base des informations dont ils disposaient, ils considéraient que les opérations électorales, pour autant qu’elles soient bien organisées, que les consignes de sécurité soient bien mises en œuvre et respectées, pouvaient se tenir, et le conseil scientifique a confirmé son analyse précédente.
Samedi, enfin, veille du vote, alors que nous resserrions encore les mesures de confinement, nous avons de nouveau consulté les experts, qui ont confirmé leurs recommandations.
Qu’aurait-on dit, mesdames, messieurs les sénateurs, si, par un décret pris nuitamment la veille d’une élection, nous avions annulé ou reporté le scrutin tandis que, le lendemain, les Français se promenaient dans les parcs et les jardins publics, sans avoir pleinement mesuré les contraintes nouvelles ? Certains auraient alors pu crier au coup de force. Souvenons-nous-en !
Le scrutin s’est, sur les plans technique et sanitaire, bien déroulé, et j’en remercie les responsables de son organisation. Mais la très forte abstention a montré que, dimanche, l’inquiétude avait saisi un grand nombre de Français. De surcroît, la propagation du virus s’est accélérée à ce moment précis. Lundi, nous avons donc décidé, après une nouvelle consultation des forces politiques, le report du second tour, que recommandaient les experts du conseil scientifique.
Il faut maintenant tirer les conséquences de cette situation sur notre vie municipale.
Les solutions que préconise le Gouvernement, qui trouvent leur traduction dans le projet de loi qui vous est présenté, reposent sur deux principes.
D’abord, dans toutes les communes où le premier tour n’a pas permis d’élire l’ensemble du conseil municipal, le texte fixe la tenue du second tour au mois de juin, sous réserve bien sûr que nous ayons alors contenu l’épidémie. Pour nous en assurer, et pour anticiper, le Gouvernement remettra un rapport au Parlement au milieu du mois de mai 2020. Ce rapport se fondera sur les observations du conseil scientifique. Si nous devons en conclure que l’épidémie rend impossible la tenue du second tour de l’élection en juin, nous reviendrons alors devant vous pour décider des meilleures mesures à prendre.
Ensuite, ce rapport indiquera s’il est possible d’installer les conseils municipaux dans les communes où le premier tour a permis d’élire l’ensemble du conseil. Cette installation, si elle est possible, interviendrait alors dans des délais très brefs, par exemple dans la semaine qui suivra le 10 mai.
Cette solution que nous proposons se fonde, d’une part, sur l’avis du président du conseil scientifique, qui, consulté aujourd’hui, a indiqué que les conditions sanitaires pour l’installation des conseils municipaux, prévue par le code électoral entre demain matin et dimanche, n’étaient plus réunies, et, d’autre part – j’exprime ici ma reconnaissance au président du Sénat, à l’ensemble des présidents de groupe et au président de la commission des lois –, sur une analyse partagée des contraintes qui pèsent sur nous.
Cette analyse a permis de construire une solution qui m’apparaît à la fois simple, claire et raisonnable. Elle implique la prorogation des mandats des sortants, afin d’assurer la continuité de l’administration des affaires locales. Elle impose au Gouvernement d’expliquer ses choix au Parlement à une date fixée par le projet de loi au 10 mai.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit également des règles spécifiques pour clarifier un certain nombre de cas. Je pense à celui des communes de moins de 1 000 habitants, dans lesquelles il arrive que des candidats soient élus au premier tour sans que le conseil municipal soit au complet.
Le projet de loi prévoit aussi des règles relatives au bon fonctionnement des établissements publics de coopération intercommunale.
Sur tous ces points, nous sommes évidemment ouverts à des améliorations, avec toujours pour objectif de recueillir le consensus le plus large possible.
Le titre II prévoit l’instauration de l’état d’urgence sanitaire et sociale. Comme vous le savez, l’article L. 3131-1 du code de la santé publique autorise le ministre de la santé à prendre, « en cas de menace d’épidémie », toute mesure pour protéger la santé de la population. C’est sur ce fondement légal que nous avons pris les mesures que la propagation de l’épidémie imposait.
Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne sommes plus face à une menace : nous affrontons une pandémie installée, plus forte que personne n’aurait pu l’imaginer. Il nous a semblé que les mesures que nous prenons, qui immobilisent l’ensemble du pays, méritaient un cadre plus respectueux de notre vie démocratique qu’un simple arrêté ministériel. Il s’agit non pas de choisir entre protection de la santé publique et démocratie, mais de protéger la santé de nos concitoyens, face à l’urgence, tout en respectant pleinement le rôle du Parlement et les garanties fondamentales.
C’est la raison pour laquelle le projet de loi vise à créer un cadre juridique clair, solide pour le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire et sociale, permettant au Parlement d’exercer son contrôle. Ce cadre est inspiré, avec des adaptations, par la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Il prévoit une déclaration par la voie d’un décret en conseil des ministres, dont la prorogation au-delà d’un mois devra être autorisée par la loi. Dans une démocratie, on ne peut pas gérer l’exception sans le Parlement ; on ne peut pas déroger aux libertés essentielles sans en appeler à son contrôle. Le cadre que nous proposons est objectivement plus satisfaisant et plus respectueux du Parlement que celui qui prévaut à ce jour.
La comparaison entre les deux régimes d’état d’urgence s’arrête là. Il s’agit évidemment non pas d’autoriser des perquisitions, des assignations à résidence, mais de prendre des mesures générales de protection de la population.
Pour bien en marquer la nature sanitaire, nous avons décidé de faire figurer ce dispositif dans le code de la santé publique. Les mesures envisagées auront donc toujours un objectif sanitaire et leur proportionnalité sera évidemment contrôlée. En revanche, ne me demandez pas d’en dresser à l’avance la liste : l’expérience des dernières semaines nous appelle à l’humilité en la matière. Veillons aussi, ensemble, à ce que la loi nous permette de nous adapter si l’épidémie devait sévir par pics successifs ou selon des formes variées sur les territoires.
Je l’ai dit, la situation actuelle est sans précédent ; jamais la vie ne s’était arrêtée à ce point dans notre pays. À bien des égards, nous évoluons dans une forme d’inconnu. Nous avons pu anticiper un certain nombre de conséquences de cette vie en quelque sorte soudainement mise sous cloche. Dans d’autres domaines, nous ne connaissons pas avec certitude la nature, la durée et l’étendue des mesures que nous aurons à prendre pour nous adapter. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement demande au Parlement, au travers du titre III du projet de loi d’urgence, de l’habiliter à prendre de nombreuses mesures par ordonnances.
Ces mesures visent d’abord à mettre en œuvre les décisions que le Président de la République a prises pour protéger les Français. Je pense par exemple aux mesures économiques de soutien à la trésorerie des entreprises, aux aides directes, à l’assouplissement des règles commerciales et de procédure civile ou aux délais que nous voulons accorder aux très petites entreprises pour payer leurs factures d’eau ou d’électricité. Bien souvent, ce sont des mesures de survie pour nos restaurateurs, nos artisans, nos commerçants.
Ces mesures sont aussi destinées à assouplir l’organisation du travail, à faciliter, le cas échéant, le recours aux congés payés, à la formation, et à indemniser, à des niveaux bien plus élevés qu’aujourd’hui, le chômage partiel, de manière à éviter des licenciements massifs, qui seraient catastrophiques sur les plans social et économique.
Ces mesures vont également permettre à des millions de foyers de ne pas souffrir de pertes brutales de revenus, comme cela pourrait être le cas dans d’autres pays.
Ces mesures d’exception visent en outre à faciliter la garde des enfants, alors que nous avons décidé de fermer, toujours pour freiner l’épidémie et la circulation du virus, les structures d’accueil de jeunes enfants.
Ces mesures, enfin, ont vocation à protéger les plus fragiles. Nous mettons ainsi en œuvre les engagements du Président de la République en suspendant les expulsions locatives ou en prenant des dispositions exceptionnelles en faveur des personnes qui souffrent d’un handicap. Nous leur devons évidemment notre protection. Par ailleurs, nous avons maintenu ouvertes toutes les places d’hébergement d’urgence et mis en place des dispositifs d’accueil des personnes à la rue.
À côté de ces mesures de soutien, le projet de loi vise à autoriser le Gouvernement à prendre des dispositions de bon sens. Je pense à celles qui simplifient la tenue des assemblées générales de toute nature, y compris celles de copropriété, pour éviter aux personnes concernées de devoir se réunir. Le recours à la visioconférence rend désormais techniquement possibles ces simplifications.
Ces mesures de bon sens visent également à adapter les délais légaux et les procédures dans les juridictions civiles, pénales ou commerciales, afin de garantir les droits des citoyens. En d’autres termes, pas un Français ne doit perdre un droit ou prendre un risque inutile pour sa santé à cause de règles de droit qui se justifient parfaitement dans des conditions normales, mais qui se révéleraient hors de propos dans un pays confiné.
Toutes les dispositions que nous suspendons s’appliqueront de nouveau à la fin de la période d’épidémie, mais ces mesures d’assouplissement, de soutien ou de suspension doivent nous aider à passer le gros de la tempête, avant que la situation ne redevienne à peu près normale.
Cette crise sanitaire grave, terrible même, nous la surmonterons. Ensuite, la vie économique, sociale, politique reprendra, le plus vite possible. La crise, on le sait, aura des conséquences graves sur l’activité économique dans notre pays. Tout l’enjeu est d’aider nos entreprises et leurs salariés à franchir ce cap.
Dans cette perspective, le Président de la République a fixé un objectif clair : nous devons soutenir nos entreprises et nos emplois quoi qu’il en coûte. C’est l’objet des mesures de soutien que je viens d’évoquer, ainsi que du projet de loi de finances rectificative, qui organise la mobilisation financière de la Nation et que vous examinerez demain, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nous l’avons annoncé cette semaine, ce projet de loi de finances rectificative prévoit un soutien budgétaire de l’ordre de 45 milliards d’euros, dont plus de 32 milliards d’euros de reports de charges et 8,5 milliards d’euros destinés à améliorer massivement le financement de l’activité partielle. Nous consacrerons également, avec les régions, dont je tiens à saluer ici l’engagement, près de 1 milliard d’euros au fonds d’indemnisation dont bénéficieront les indépendants. Nous avons en outre prévu une provision de 2 milliards d’euros pour soutenir l’hôpital et faire face aux dépenses d’indemnités journalières.
Le projet de loi de finances rectificative met par ailleurs en place un dispositif exceptionnel de garantie publique des crédits bancaires aux entreprises, à hauteur de 300 milliards d’euros, soit un montant comparable à ceux que les Allemands ou les Britanniques sont en train de mobiliser.
Concrètement, il s’agit de faire en sorte que les banques continuent de prêter aux entreprises et de soutenir leur trésorerie. Les entreprises s’adresseront directement à leur banque et bénéficieront automatiquement d’un différé d’un an avant de rembourser leur prêt, qui pourra représenter jusqu’à 25 % du chiffre d’affaires constaté en 2019.
Un tel dispositif est massif et inédit. Il est, je le crois, à la mesure de la crise que nous connaissons, des risques que cette crise sanitaire fait courir à l’ensemble de notre économie.
Comme vous le savez, le temps presse. Chaque jour, chaque semaine qui passe, ce sont des milliers d’entreprises qui se fragilisent, c’est la précarité qui menace. C’est la raison pour laquelle nous n’avons eu d’autre choix que de proposer au Parlement un examen de ces projets de loi dans des délais très contraints. Je remercie une nouvelle fois ses membres et les groupes des deux assemblées de leur volonté de s’accorder très vite sur les termes de ces textes et de faire prévaloir l’union.
C’est dans le même esprit, selon la même volonté d’union nationale, que le Président de la République a demandé au Gouvernement de suspendre l’examen et la mise en œuvre du système universel de retraite et l’application de certaines dispositions de la réforme de l’assurance chômage.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous savons tous que l’heure est particulièrement grave. La France affronte une grande épreuve ; elle combat un ennemi silencieux, invisible, aveugle. Dans le passé, nombreux ont été les scientifiques, les responsables politiques à redouter la survenue d’une crise sanitaire de cette ampleur. La vie a décidé qu’il reviendrait à ce gouvernement, à ce Parlement, de l’affronter, aux côtés de nos 65 millions de compatriotes de métropole, d’outre-mer et de l’étranger. Nous devons le faire dans l’unité, le calme, la discipline, le sang-froid, avec l’esprit de responsabilité et de fermeté qui a animé nos prédécesseurs dans des circonstances exceptionnelles.
Cette bataille aura, je le sais bien, et on le voit déjà, sa part d’ombre avec ces vols, ces trafics, ces accapareurs et ces profiteurs, ces violences, cette légèreté, ces basses polémiques, parfois, qui ne sont que le triste reflet de ce que l’homme peut faire lorsqu’il est angoissé, lorsqu’il a peur ou lorsqu’il oublie qu’il fait partie d’une grande Nation.
Mais elle connaîtra ses héros. Je les ai salués déjà, et je n’ai aucun doute que, dans la durée, d’autres se révéleront. Elle connaîtra ses victimes, aussi, et nous devons en limiter le nombre. Elle connaîtra ses soldats du quotidien, toutes celles et tous ceux qui s’appliqueront avec discipline, avec acharnement, avec inventivité, avec fraternité à respecter les règles tout en maintenant l’espoir, le sourire et la vie.
Nous sommes, mesdames, messieurs les sénateurs, une grande Nation, et si les facilités des temps tranquilles nous le font oublier parfois, il y a, au cœur de l’âme française, cette force, cette cohésion, cette grandeur qui me donnent une absolue confiance dans l’issue.
Nous vaincrons ce virus avec nos forces politiques, économiques, scientifiques, culturelles, spirituelles aussi, avec tous les pays, toutes les communautés qui se liguent contre lui, et nous devrons être prêts, ensuite, à repartir d’un pied nouveau, mieux armés pour nous affirmer dans ce XXIe siècle dont les défis et les promesses font notre destin. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, UC, Les Indépendants et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis les mesures drastiques prises par le Gouvernement il y a quelques jours, quelques semaines pour certaines d’entre elles, c’est la première fois que nous sommes réunis en séance publique. Le Gouvernement agit ; il appartient au Parlement de répondre présent pour contribuer à relever ce défi exceptionnel qui est lancé à notre pays et, au-delà, à chaque Française et à chaque Français.
Le Parlement est présent dans toutes ses composantes pour représenter – il est seul à pouvoir le faire – la diversité de nos compatriotes. Il est, je l’espère, uni pour que, dans cette période si difficile de notre histoire, nous sachions faire face et être à la hauteur des difficultés auxquelles nous sommes collectivement confrontés.
Cette voix des Français que nous portons, c’est aujourd’hui celle de l’inquiétude, de l’angoisse voire de la peur, parfois, mais c’est aussi, nous le sentons depuis quelques jours, celle d’un peuple qui sait faire preuve de sang-froid, prendre ses responsabilités et assumer dans la tempête la part qui lui revient pour faire barrage à l’épidémie, autant que faire se pourra, et pour affronter les difficultés de l’épreuve que nous avons commencé à traverser et dont nous savons bien, hélas, qu’elle va s’aggraver au fil des prochains jours, avant que nous puissions la surmonter. À cet égard, la note d’espoir sur laquelle vous avez terminé votre intervention, monsieur le Premier ministre, est importante.
Nous assumerons, au sein de tous nos groupes et dans chacune de nos commissions, nos fonctions de législation et de contrôle. Je remercie tout spécialement, à cet égard, le président du Sénat. Dans la République, le Parlement se doit d’être présent en permanence au côté des Français, et tout particulièrement dans les circonstances que nous connaissons actuellement. Au fond, ces circonstances, exceptionnellement graves, nous font un devoir plus grand encore que dans les temps ordinaires de jouer notre rôle constitutionnel et de ne pas laisser l’exécutif seul face à la crise, en prenant notre part du fardeau sans renoncer en rien à la mission de contrôle de l’action de l’exécutif que nous confère la Constitution. Le Gouvernement a l’obligation, qu’il accepte volontiers, comme vous l’avez indiqué, monsieur le Premier ministre, de s’expliquer devant les représentants des Français et de passer par eux pour arrêter des mesures exceptionnelles que, dans une grande démocratie, le Gouvernement ne peut assumer seul, mais que nous sommes prêts à lui permettre de prendre ou de consolider quand elles ont déjà été prises sur un fondement légal, dont vous avez souligné à l’instant qu’il n’était pas suffisant, ce qui justifiait donc que nous nous réunissions pour déterminer de nouvelles mesures législatives.
Nous porterons pendant toute cette période l’exigence de dialogue et de transparence, autant que celle, impérieuse, d’unité nationale, parce que nous le devons à nos compatriotes. Au fond, le combat qui est engagé n’est pas seulement ni même principalement celui de l’État : il est le combat de chacun de nos compatriotes. Chacun doit pouvoir dire : « Le virus ne passera pas par moi, parce que je fais ce qu’il faut faire pour l’éviter et contribuer ainsi à ce que la santé publique soit sauvegardée malgré la gravité de cette épidémie. » Je veux saluer ici l’esprit de discipline et de responsabilité qui prévaut aujourd’hui parmi les Français, après qu’ils eurent pris le temps d’intégrer la gravité de la situation et la menace qui pèse sur chacune et chacun d’entre nous. Je salue bien sûr aussi l’engagement des élus, l’engagement des femmes et des hommes des services publics, et, plus encore, l’engagement de tous ceux qui contribuent à notre santé.
Telle est la disposition d’esprit dans laquelle la commission des lois a examiné le texte du Gouvernement. Elle a veillé à mettre au premier rang de ses préoccupations la sécurité sanitaire de nos concitoyens, pour contribuer à lutter le plus efficacement possible contre cette épidémie du Covid-19. Elle a donc veillé à ce que les autorités disposent des moyens d’action exceptionnels dont elles ont besoin pour faire face à la crise, pour prévenir les contaminations et pour assurer dans les meilleures conditions possible la prise en charge des malades. Elle s’est aussi attachée, dans ses travaux, à ce que les moyens mis en œuvre, parfaitement dérogatoires dans notre État de droit, soient strictement proportionnés aux objectifs de sécurité sanitaire des pouvoirs publics, dont nous soutenons l’action de lutte contre ce fléau, en faisant en sorte que les restrictions apportées à l’exercice de libertés fondamentales ne soient que des restrictions strictement indispensables, instaurées pour une durée limitée et sous un contrôle renforcé du Parlement. Vous verrez, au moment de l’examen des articles, quelles conséquences nous en avons tirées. À ce stade de nos débats, je veux surtout insister sur la philosophie qui nous a inspirés.
L’état d’urgence sanitaire permettra au Gouvernement de prendre par décrets des mesures restrictives. Nous voulons qu’elles soient limitées et qu’elles relèvent de catégories énoncées par le législateur.
Les conseils municipaux et communautaires n’auront pas à être réunis pendant la période de confinement si les conditions de sécurité sanitaire ne sont pas réunies. Les présidents de conseil communautaire resteront en place pour qu’il ne soit pas nécessaire de convoquer des réunions qui pourraient comporter plus de 200 participants dans certains cas. Les règles de quorum et le régime des procurations seront aménagés pour que, lorsque des conseils devront se réunir, ils puissent être moins nombreux qu’à l’ordinaire, afin de respecter les exigences de distance entre les participants. Nous avons également fait en sorte que l’on s’écarte le moins possible des règles de droit commun. C’est pourquoi, pour la préparation du second tour des élections municipales, nous avons tenu à ce que les déclarations de candidatures soient déposées dans les plus brefs délais, afin d’éviter d’interminables négociations. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Enfin, je veux saluer l’effort fait par le Gouvernement pour l’élection des maires et de leurs adjoints, prévue initialement vendredi, samedi et dimanche de cette semaine. Monsieur le ministre de l’intérieur, nous nous en étions entretenus dès hier soir avec Mme Braun-Pivet, mon homologue la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Nous étions convenus que, si ces élections étaient maintenues, il fallait à tout le moins que des dispositions exceptionnelles soient prises pour que les conseils municipaux soient en mesure d’élire les maires sans que tout le monde soit présent, grâce à un assouplissement du régime des procurations et des règles de quorum. La discussion s’est prolongée. Les avis scientifiques que vous avez recueillis, monsieur le Premier ministre, ont amplifié la préoccupation que nous avions partagée hier soir. La commission des lois proposera un dispositif, que nous avons pu discuter avec vous, qui permettra le maintien des municipalités élues en 2014 tant que seront maintenues les règles du confinement. Nous en saurons un peu plus long quand le conseil scientifique aura rendu le rapport prévu dans le projet de loi pour le 15 mai prochain.
Ainsi, si la situation s’améliore d’ici au 30 juin, il pourra y avoir à la fois élection des maires, élection des nouveaux présidents de communauté de communes et second tour de l’élection pour les conseils municipaux. Sinon, il faudra, monsieur le Premier ministre, que vous reveniez devant le Parlement et que nous prenions d’autres dispositions pour assurer la continuité du fonctionnement de la démocratie. N’oublions pas que nous avons besoin des maires : s’ils n’étaient pas là, l’action du Gouvernement en serait rendue plus difficile encore. (Mme Françoise Gatel applaudit.) Les maires sont les référents de nos concitoyens. Ils ont, parmi leurs attributions, des responsabilités en matière d’hygiène publique. Il est important que notre démocratie ne soit pas mise en suspens. Gageons au contraire que c’est grâce aux méthodes qui sont propres à notre démocratie que nous serons les plus forts, puisque tout le monde doit s’engager dans le combat pour maîtriser la grave situation d’épidémie que nous avons à surmonter.
Mes chers collègues, nous aurons, dans la suite du débat, l’occasion d’approfondir chacune des questions que j’ai abordées brièvement, ainsi que celles que je n’ai pas traitées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, rapporteure pour avis. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, à intervalles réguliers dans son histoire, le peuple français a été menacé par des défis très graves. Il a toujours su se relever. Aujourd’hui, un tsunami sanitaire et économique a débuté, et la France, de nouveau, doit rester debout.
La crise rappelle, à ceux qui l’auraient oubliée, la valeur inestimable de la solidarité nationale, de notre service public, et la formidable énergie collective qui anime notre Nation. Sachons rendre hommage à ces femmes et ces hommes qui œuvrent, chaque jour, pour endiguer la crise ou en atténuer les effets.
À la place qui est la mienne, je pense également à nos agriculteurs, à nos industriels, aux salariés du commerce, qui garantissent aux Français une alimentation suffisante, même quand les rayons des magasins sont assaillis par des consommateurs inquiets.
Le choc économique actuel agit à la fois sur la demande et sur l’offre. Il affectera fortement notre modèle économique. Conjoncturellement, la France affrontera cette année une récession, peut-être pire que celle annoncée à ce stade par le Gouvernement, si la pandémie venait à durer. C’est pourquoi la commission des affaires économiques a émis un avis favorable, monsieur le Premier ministre, à toutes les mesures du titre III du texte du Gouvernement.
Néanmoins, nous avons quelques questions.
Pouvez-vous nous confirmer que tous les professionnels sont visés par l’article 7, indépendamment de leur statut juridique, c’est-à-dire y compris les associations de l’économie sociale et solidaire ou les professions libérales, par exemple ?
Vous évoquez un seuil de 70 % de perte de chiffre d’affaires pour le mois de mars, par rapport à mars 2019, pour être éligible au fonds de solidarité. Ce seuil nous paraît soit trop élevé, ne serait-ce que parce que le mois de mars est déjà entamé et que mars 2019 avait été marqué par la crise des « gilets jaunes », soit inadapté, pour les artisans notamment.
Tout le monde comprend que, dans ces circonstances, nous devions déroger au droit commun du travail ou du commerce, y compris lorsqu’il faudra redémarrer. Mais il n’y a pas, dans ce texte, de limitation dans le temps. Or il y aura bien retour au droit commun. Quand ? Six mois après la fin de la crise ? Un an après ?
Au titre du chômage partiel, les salariés sont indemnisés sur la base de 35 heures, mais certaines conventions collectives fixent le temps de travail hebdomadaire à 39 heures, voire davantage. Comment cela sera-t-il pris en compte ?
Enfin, nous nous étonnons que le monde des assurances ne contribue pas à l’effort de la Nation.
Mme Éliane Assassi. Absolument !
Mme Sophie Primas, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Aujourd’hui, nous soutenons les efforts du Gouvernement, mais nous serons vigilants sur l’application et l’équité des mesures. Nous suivrons pas à pas leur mise en œuvre, en nous appuyant sur les retours du terrain, secteur par secteur, en provenance tant des TPE-PME que des grandes entreprises, toutes étant impactées. C’est pourquoi nous soutiendrons l’initiative sénatoriale en faveur d’un suivi de l’application de ces mesures.
La crise atteindra également structurellement notre modèle économique.
Cette crise nous montre que nous sommes entrés dans une période de graves incertitudes géopolitiques, écologiques, sanitaires et donc économiques. Après les Trente Glorieuses, nous sommes sans doute entrés dans les « trente dangereuses », marquées par des chocs qui mettent en cause notre modèle de société.
Dans ce monde incertain, la France ne manque pas d’atouts, mais elle doit rester guidée par trois valeurs qui ont toujours fait corps avec le modèle français : la souveraineté, la responsabilité et la résilience.
La souveraineté, tout d’abord, économique, numérique, énergétique ou alimentaire. La crise a montré, et la gaulliste que je suis en est convaincue, que nous devons cesser de croire aveuglément que nous pouvons compter sur les autres autant que sur nous-mêmes. Ne prenons pas à la légère notre destin économique ou alimentaire. À l’heure où nous importons une part significative de notre alimentation, nous devons nous interroger.
La responsabilité, ensuite. L’État comme les collectivités territoriales auront une responsabilité immense. Ils devront réintroduire la notion de long terme et en finir avec un court-termisme qui nous désoriente. Qu’attendons-nous, monsieur le Premier ministre, pour suspendre les cotations boursières, en coordination avec nos partenaires européens ? Chacun, citoyen, consommateur, salarié, entrepreneur, devra modifier ses attitudes pour prendre en compte les conséquences collectives de ses décisions individuelles.
La résilience, enfin. La France de demain doit repenser sa capacité à réagir aux défis. Le rôle de l’État doit évoluer : il sera plus régulateur, plus stratège. Il devra être plus économe en période de croissance, pour disposer de plus de ressources budgétaires en cas de crise.
Le secteur privé doit réinventer de nouveaux modèles, de nouveaux services, en particulier dans le domaine numérique.
Enfin, la société elle-même doit organiser sa propre capacité de résistance, une résistance sociale, générationnelle et solidaire.
Résilience, souveraineté, responsabilité : voilà le cap qu’il nous faut fixer dans cette tempête !
Nous relèverons ce défi, monsieur le Premier ministre. La France et son peuple sont puissants : l’histoire n’a eu de cesse de le montrer. Cependant, la France devra changer, notamment infléchir son modèle économique, pour pouvoir mieux résister, demain, aux orages qui s’annoncent. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, les circonstances exceptionnelles qui nous réunissent aujourd’hui appellent des mesures exceptionnelles.
Parmi les dispositions contenues dans le projet de loi ordinaire soumis à notre examen, la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis du titre II, qui porte sur la création d’un état d’urgence sanitaire, ainsi que de l’article 7, qui prévoit l’habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnances plusieurs mesures touchant au droit du travail ainsi qu’en matière sociale.
Deux principes ont guidé notre examen de ce texte destiné à adapter notre droit à des circonstances exceptionnelles : la nécessité et la proportionnalité, avec le souci de ne pas aller plus loin que ce que prescrit la situation difficile que nous vivons et que nous allons vivre encore pendant une période indéterminée, laquelle sera de toute façon très longue.
À travers le prisme de ces deux principes, il a semblé à la commission des affaires sociales que les dispositions de l’article 7 étaient nécessaires et proportionnées, à deux exceptions près.
Concernant le titre II, en revanche, il est légitimement permis de s’interroger sur la nécessité d’un nouveau dispositif s’ajoutant au droit actuel.
La création d’un état d’urgence sanitaire a répondu à la nécessité de conforter la base légale du décret pris par le Premier ministre le 16 mars dernier, dans lequel sont décrites les mesures de confinement, par définition restrictives de certaines libertés publiques, qui s’imposent à nous depuis bientôt trois jours. Le Conseil d’État a estimé indispensable la définition d’une nouvelle base légale, dont nous n’avons pas approuvé toutes les modalités.
À notre sens, quatre difficultés pouvaient se présenter : premièrement, le caractère pérenne du dispositif proposé, qui s’ajoutait aux dispositifs existants en matière de mesures d’urgence sanitaire, au risque d’une concurrence juridique avec ces derniers ; deuxièmement, le périmètre initial des restrictions aux libertés d’aller et de venir ainsi que de réunion excédait très largement les mesures pour l’heure contenues dans le décret du 16 mars 2020 et faisait courir le risque d’une disproportion des mesures administratives ; troisièmement, certaines ambiguïtés relatives au rôle des différents acteurs ministériels, notamment s’agissant de l’articulation entre le ministre de la santé, revêtu d’une autorité hiérarchique d’exception sur les forces de l’ordre, et le ministre de l’intérieur, leur autorité naturelle, dont le décret du 16 mars continue de faire expressément mention ; quatrièmement, un élargissement problématique des compétences du préfet, notamment lorsque ce dernier se trouve délégataire de l’ensemble des compétences normalement exercées par l’échelon ministériel.
À l’ensemble de ces difficultés, nous estimons que les modifications introduites par la commission des lois apportent des corrections satisfaisantes, et la commission des affaires sociales s’en est remise à la nouvelle rédaction qu’elle propose pour l’état d’urgence sanitaire.
Nous prenons néanmoins date auprès du Gouvernement, monsieur le Premier ministre, pour redéfinir ensemble, lorsque cet épisode douloureux sera passé, le régime juridique de l’urgence sanitaire, dont nous voyons aujourd’hui qu’il ne peut se satisfaire d’interventions législatives précipitées. Nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réflexion approfondie. Ce ne sont certainement pas les conditions dans lesquelles nous légiférons aujourd’hui, sur le fondement d’un texte connu seulement dans la soirée d’hier, qui permettront d’élaborer un dispositif d’exception pérenne et proportionné.
Sur l’article 7, je voudrais dire que les circonstances exceptionnelles ne doivent pas être vues comme l’occasion de recycler des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel. Je pense aux assistantes maternelles. Nous devons veiller en toutes circonstances à ne pas porter des atteintes démesurées aux droits des salariés. C’est le sens de l’amendement de la commission des affaires sociales sur le régime des congés payés.
Enfin, la commission des affaires sociales a rappelé que la protection des salariés était une obligation de résultat pour l’employeur. Le défaut de protection suscite des angoisses légitimes et n’est pas acceptable s’agissant de personnes dont l’activité est essentielle à la vie du pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, je tiens à vous informer que, au regard du nombre d’amendements déposés, nous devons prévoir de siéger ce soir et cette nuit.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette séance, par sa forme exceptionnelle, souligne la gravité de la crise à laquelle notre pays est confronté, comme bien d’autres dans le monde.
Notre présence aujourd’hui, dans un Paris confiné, souligne aussi la volonté du Parlement d’être là, de tenir son rang et de conserver à la République un équilibre des pouvoirs nécessaire en toutes circonstances.
Oui, la France est en situation d’urgence, de grande urgence sanitaire. Le virus Covid-19 se répand ; l’épidémie gagne et des mesures extrêmes, lourdes sont bien entendu nécessaires pour endiguer le mal.
Avant toute chose, je le dis à nos compatriotes : prenez soin de vous, restez chez vous, protégez les autres par votre prudence ; respectez les consignes d’hygiène, ces fameuses barrières ; faites grandir la solidarité, ce mot que beaucoup réservaient à l’histoire ; soutenez ceux qui, vulnérables, souffrent particulièrement de cette situation ; bien entendu, affichez un soutien sans faille aux personnels de santé, qui, dans des conditions d’une difficulté inimaginable, affrontent la maladie. Oui, nous les applaudissons, celles et ceux qui, malgré un manque de moyens criant, malgré la disette imposée au monde de l’hôpital depuis des années, sont là, debout, jour et nuit, alignant les heures supplémentaires. Comment ne pas noter ici le rôle majeur joué par les femmes, à l’hôpital comme dans les Ehpad, ou encore dans les magasins d’alimentation, où elles sont en première ligne ?
Oui, monsieur le Premier ministre, il y a urgence, grande urgence ! Notre groupe fera sien l’appel à l’unité de la Nation pour franchir cette épreuve dramatique. Aujourd’hui, comme en d’autres temps de l’histoire de notre pays, nous faisons preuve de responsabilité et ne souhaitons alimenter aucune controverse. Le temps viendra, mais l’urgence, c’est de sauver des vies ! Nous sommes concentrés sur les faits, sur les attentes, sur les besoins. Le projet de loi d’urgence présenté pour faire face à l’épidémie comporte des mesures nécessaires, comme celles relatives au confinement, mais il ne porte aucune rupture – un mot pourtant mis en avant par Emmanuel Macron lui-même, jeudi dernier – avec les désastreuses politiques de santé publique de ces dernières années, qui nous ont amenés là où nous en sommes aujourd’hui.
La situation de l’hôpital dénoncée tout à l’heure avec force par mon amie Laurence Cohen est d’une extrême gravité pour les personnels et les patients. Emmanuel Macron a pourtant affirmé, martelant son « quoi qu’il en coûte », que les moyens allaient être donnés à la santé, « qui n’a pas de prix », selon lui. « Ce que révèle cette crise », a-t-il noté, « c’est qu’il y a des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » Or rien n’est prévu à cette heure dans le projet de loi de finances rectificative. Or, « en même temps », ces textes sont encore et toujours marqués, encadrés, corsetés par la loi du marché. Comment ne pas voir que ce projet de loi d’urgence, en dehors des mesures d’ordre public et de soutien aux entreprises qu’il contient, fait peu de place à l’urgence sanitaire en elle-même, c’est-à-dire à une aide massive, immédiate, à la hauteur de l’état de crise que nous vivons ?
Nous attendions par exemple des mesures pour accroître en urgence la production de masques, pour développer les tests, pour rendre plus efficace le confinement pour les personnels de santé, bien sûr, mais aussi pour celles et ceux qui sont en contact avec la population, comme les policiers, les pompiers, et d’autres professions encore.
Le soutien à l’économie, fondamental, occulte de manière un peu trop manifeste le soutien à notre système de santé. Nous n’acceptons pas le poids que vous faites peser sur les salariés, encore et toujours première variable d’ajustement de la gestion des entreprises. Vous avez renoncé à l’interdiction des licenciements, pourtant annoncée par Mme Pénicaud lundi, et vous appelez les entreprises à la raison. Nous proposons, pour notre part, qu’aucune suppression d’emploi ne puisse avoir lieu durant cette période d’urgence.
Vous remettez en cause, pour une durée indéfinie, le droit des salariés aux congés payés et aux RTT, ainsi que les 35 heures. Vous généralisez le travail du dimanche. Ces propositions sont inacceptables, d’autant que jamais vous n’émettez l’idée de demander aux actionnaires et aux assurances privées de mettre la main à la poche.
Les modifications apportées à votre texte par la commission des affaires sociales restent insuffisantes. La loi de finances rectificative est du même acabit ; nous y reviendrons demain.
Ce projet de loi pose également un problème démocratique. Nous comprenons que la situation impose d’agir vite et de disposer d’une liberté d’action, mais le Parlement ne saurait être mis sur la touche en renvoyant à un, voire deux mois, un premier vote d’approbation de votre politique, alors qu’un délai de douze jours était prévu lors des états d’urgence précédents.
De plus, l’introduction de cette nouvelle catégorie d’état d’urgence dans le code de la santé publique ne revient-elle pas à faciliter sa mise en œuvre future ? C’est pourquoi nous proposons la mise en place d’un comité national de suivi de l’état d’urgence sanitaire pluraliste pour accompagner et contrôler l’action du Gouvernement. C’est une mesure absolument nécessaire. Si personne, ici, ne peut remettre en cause, bien évidemment, les avis du comité scientifique ni l’expertise et la responsabilité de ses membres, nous ne pouvons laisser le pays être dirigé par ce comité.
Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, monsieur le président du Sénat, monsieur le ministre de l’intérieur, d’avoir réuni cet après-midi les présidents de groupe pour échanger sur le report de l’élection des maires, prévue dès ce week-end, mais vous comprenez bien que l’on ne peut pas continuer à fonctionner ainsi, surtout si, malheureusement, cette crise sanitaire devait se poursuivre et s’aggraver encore. C’est pourquoi mon groupe insiste sur la création de ce comité de suivi pluraliste, qui devrait se réunir, selon nous, chaque semaine et rendre publiques les conclusions de ses débats.
Enfin, le projet de loi organise le report du second tour des élections municipales, ce que nous approuvons, mais pourquoi fixer au 24 mars la date limite pour le dépôt des listes pour le second tour ?
Monsieur le Premier ministre, cette grave crise sanitaire qui traverse la planète pose des questions fondamentales à l’humanité. La mondialisation sauvage, cette mondialisation financière qui privilégie à outrance le profit sur l’humain, ne pourra pas suivre son cours. Beaucoup pensaient que c’est le réchauffement climatique qui imposerait en premier lieu les changements et les ruptures inéluctables. Malheureusement, c’est un virus au cœur de l’homme, au cœur de l’humanité, qui peut ouvrir la conscience de ceux qui ne croient qu’à l’argent…
Nous ne nous opposerons pas à ce texte, mais, pour l’heure, nous réservons notre vote final. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, jamais un réalisateur de films catastrophes n’aurait imaginé un tel scénario. Au début de l’hiver, sur les étals d’un marché chinois, où l’on vend pêle-mêle champignons et plantes médicinales improbables, animaux à plumes et à poils, morts et vivants, où des chauves-souris nichent dans les trous des plafonds, un vieil homme achète à la découpe un morceau de l’animal le plus bizarre au monde, le pangolin, qui ressemble à un rat entièrement couvert d’écailles. (Murmures sur des travées du groupe SOCR.) Il l’emporte chez lui, le prépare, le mange et meurt en quelques jours, bientôt suivi par d’autres clients du même marché. Les médecins signalent l’affaire aux autorités. Les apparatchiks locaux, terrifiés à l’idée, assez plausible en Chine, d’être châtiés pour un événement dont ils ne sont pas responsables, menacent les soignants des pires sanctions s’ils l’ébruitent. Un jeune médecin passe outre ; son compte WeChat est bloqué, mais son post a commencé à circuler. Il meurt quelques jours plus tard de la maladie qu’il vient de découvrir. Entre le 17 novembre, date de l’apparition du premier cas, et l’annonce en janvier par les autorités chinoises de l’émergence d’un nouveau virus, deux mois se sont écoulés. Un petit foyer d’infection qui aurait pu être contenu va donner naissance à une pandémie.
Ce n’est là que le début du film. La scène suivante se déroule dans un palais à Riyad. La Chine est à l’arrêt, le cours du pétrole vacille ; l’OPEP propose une réduction commune de la production à Poutine, qui refuse. Mohammed ben Salmane se venge en cassant les prix pour étouffer son concurrent : la guerre du pétrole entre l’Arabie saoudite et la Russie a commencé.
À l’ouverture des marchés, le lundi 9 mars, les cours du Brent s’effondrent. Wall Street s’affole. La décision de l’Italie de confiner sa population fait comprendre le choc de demande qui va survenir. La dégringolade de la bourse se transforme en panique : le Vix, l’indice de la peur, s’envole. Les coupe-circuits des trois grands indices américains s’activent automatiquement. Les marchés européens plongent.
Dernière séquence : une série de plans sur des dizaines d’écrans d’internautes. L’épidémie s’est transformée en « infodémie ». Les réseaux antisociaux affichent les chiffres les plus alarmistes, promeuvent les médecines farfelues, les bains d’eau chaude et les huiles essentielles. Les chaînes d’information, en concurrence effrénée, n’arrivent plus à trouver assez d’« experts ». À ceux de premier plan succèdent les deuxièmes et troisièmes couteaux, qui répètent en boucle ce qu’ils viennent de voir sur une chaîne concurrente ou disent n’importe quoi. Plus personne n’y comprend rien, la peur s’installe.
Ce film, que même Orson Welles n’aurait osé imaginer, c’est l’état du monde aujourd’hui. Personne n’en connaît le dénouement.
Face à cette crise mondiale, notre premier impératif est l’humilité.
Nous sommes réunis pour décider des mesures qui vont s’imposer à notre pays. Jusqu’à présent, à quelques outrances près, l’union sacrée a prévalu. Si cet hémicycle, ou celui de l’Assemblée nationale, devait se transformer en une tribune politicienne, les Français ne nous le pardonneraient pas. Ils attendent des actes, et non des roulements de mécaniques. La question n’est pas de s’écharper sur l’opportunité d’avoir maintenu le premier tour des élections municipales ou sur la date de réunion des conseils municipaux. Prenons garde à ne pas être déclarés hors sujet.
Il s’agit d’une crise sanitaire, gérée comme telle depuis le début. Lorsque l’on a la chance de posséder l’un des meilleurs systèmes de santé au monde et des professionnels dont je tiens à saluer ici la compétence, le courage et l’abnégation, il est essentiel de faire confiance aux autorités sanitaires et à leurs efforts quotidiens de transparence devant la marée des fake news, du complotisme et de la peur. Il peut leur arriver, il leur est déjà arrivé de ne pas avoir toutes les réponses face à un ennemi inédit ; je suis en tout cas certain que les réponses qu’ils ont sont plus pertinentes que celles de leurs contradicteurs.
Il s’agit également, bien sûr, d’une crise économique et sociale. Elle sera tout aussi grave et pose un dilemme effrayant : prendre des mesures de confinement trop drastiques, c’est tuer l’économie ; ne pas en prendre, c’est laisser mourir des Français. Quoi que l’on fasse, les critiques fuseront.
Le Président de la République est confronté à la plus grande crise de son mandat, à la suite de ses deux prédécesseurs : Nicolas Sarkozy avait dû faire face à la crise des subprimes, François Hollande aux carnages terroristes. Il va falloir à Emmanuel Macron beaucoup de doigté, beaucoup de sincérité, beaucoup de force de conviction.
Cette crise, en quelques jours, a changé les Français. Jusqu’à dimanche dernier, les journaux du monde entier s’étonnaient de ce peuple incurable, rebelle à toute discipline, se réunissant par milliers dans les parcs sous le soleil. Depuis lundi, c’est un spectacle saisissant : très majoritairement, les Français respectent les consignes et supportent les contraintes. Ils ont compris que de leur attitude dépendra non seulement leur santé, mais aussi celle de leurs compatriotes. Comme aux grands moments de leur histoire, ils se comportent en citoyens.
Je vais me risquer à un pronostic : je ne suis pas pessimiste. Les exemples de la Chine – une fois les mensonges terminés – et de la Corée du Sud démontrent qu’avec des mesures adaptées la victoire sur l’épidémie est une question de semaines, et non de mois. C’est la voie que nous sommes en train d’emprunter.
Quant à la crise économique, elle n’a rien à voir avec celle de 2008. Elle est beaucoup plus profonde, mais elle sera, je le crois, beaucoup plus courte.
Lorsque la pandémie cessera, le monde entier sera saisi d’une frénésie de consommer, de voyager, d’aimer, en un mot de vivre – espérons-le d’une manière plus respectueuse de notre planète qu’aujourd’hui.
Il n’y a rien qui s’oublie aussi vite que les guerres, les catastrophes ou les épidémies, une fois les beaux jours revenus. Je ne dis pas cela au hasard, mais pour l’avoir vécu, souvent, dans des pays bien plus vulnérables que le nôtre. C’est aussi ce que nous disent les livres d’histoire. Cette capacité d’oublier le malheur – peut-être faudrait-il dire « de le confiner » – explique sans doute en partie que l’humanité ait survécu à des époques infiniment plus rudes et à des crises infiniment plus graves que celles d’aujourd’hui. Cette crise, comme les précédentes, bien sûr, nous la surmonterons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Ce projet de loi traduit les annonces faites dernièrement par le Président de la République et précisées par vous, monsieur le Premier ministre. Le Président de la République estime que nous sommes en guerre et assure que l’État soutiendra financièrement notre système de santé et notre économie, « quoi qu’il en coûte ».
Rares sont les situations où l’urgence sanitaire est à ce point caractérisée. Le coronavirus a déjà infecté 200 000 personnes à travers le monde ; plus de 8 200 malades sont décédés. Le nombre de cas recensés en France est en constante augmentation. Désormais, l’Europe constitue le premier foyer de cette terrible pandémie.
Les mesures barrières, pourtant théoriquement suffisantes, n’ont pas été suivies par un grand nombre de nos concitoyens. Aussi le Gouvernement a-t-il dû renforcer les mesures de précaution.
Cette situation sanitaire nous oblige à faire preuve de responsabilité, de réactivité, d’adaptation et de solidarité. Le présent projet de loi en est une illustration.
Son titre II donne une base juridique spécifique à l’urgence sanitaire en répartissant les pouvoirs entre le Premier ministre, le ministre de la santé et, par délégation, le représentant de l’État. La durée de l’urgence reste encadrée et un comité scientifique est institué.
Les temps à venir seront éprouvants pour nos professionnels de santé, qui savent toujours faire passer l’intérêt de leurs patients avant le leur. Toutefois, de nombreux témoignages inquiétants nous parviennent quant au manque de matériels pour nos soignants. Sans ces matériels, c’est la capacité de notre système de santé à combattre cette pandémie qui est mise en danger.
C’est pourquoi je tiens à saluer les initiatives de certains industriels français, grands ou petits, qui produisent désormais des masques ou du gel hydroalcoolique, essentiels pour sécuriser l’activité des soignants, mais aussi celle des aides à domiciles, qui en ont grand besoin.
Je veux, à cette occasion, saluer à mon tour, après les plus hautes autorités de l’État, l’abnégation de nos personnels soignants, dont l’engagement sans faille assure, en ce moment même, la survie et la vie de nos concitoyens, qui les applaudissent chaque soir à 20 heures. Nous espérons que le Gouvernement leur témoignera une reconnaissance autre que symbolique.
Le temps n’est pas à la polémique, mais il conviendra, dans l’avenir, de faire un retour d’expérience de cette crise majeure, pour permettre à notre système de santé de réagir plus vite et d’être mieux préparé. Il faudra aussi que les réponses sanitaires soient coordonnées au moins à l’échelon européen, si ce n’est au niveau mondial.
À la crise sanitaire sans précédent que vivent les Français s’ajoute une crise économique majeure dont les conséquences sont à la fois immédiates et de long terme : immédiates, car la gradation des mesures de protection, jusqu’au confinement généralisé, empêche le fonctionnement d’une très large partie de notre économie ; de long terme, car cette paralysie aura des conséquences sur la pérennité des entreprises, sur l’emploi des salariés et sur notre modèle économique général.
Afin de limiter les conséquences économiques pour les entreprises et de garantir le pouvoir d’achat des Français, le présent projet de loi prévoit un important train de mesures à prendre par voie d’ordonnances. Ces mesures correspondent aux annonces de l’exécutif.
Le Gouvernement réagit de manière globale. Il me semble avoir pris la mesure des difficultés que rencontrent les entreprises, en particulier les TPE-PME et les artisans. Nous saluons les mesures présentées, en particulier celles qui visent à soutenir la trésorerie des entreprises, la mise en place d’un fonds de financement alimenté par l’État et les collectivités locales, mais aussi celles relatives au droit du travail, en particulier à l’indemnisation du chômage partiel.
Toutefois, une interrogation persiste quant au report du versement des cotisations Urssaf pour les petites entreprises, voire à leur remboursement pour celles qui les auraient acquittées par avance.
La question de l’arrêt des chantiers se pose, ainsi que celle du recours au dispositif d’activité partielle pour les entreprises concernées.
Par ailleurs, nous aurions aimé savoir dans quelle mesure les assurances privées pourront être mobilisées au titre des garanties de pertes d’exploitation, par exemple pour les restaurateurs.
Enfin, cette crise devra nous conduire à nous interroger sur nos orientations économiques et sur notre modèle de développement. Elle suscite une réflexion sur la relocalisation des activités économiques. Cela nécessitera d’accompagner les entreprises pour qu’elles fassent ces choix cruciaux, mais aussi, peut-être, de réinvestir dans la formation et l’apprentissage pour retrouver des compétences qui ont souvent été perdues du fait des délocalisations. Nous souhaiterions savoir si le Gouvernement réfléchit déjà à une forme de grand plan de relocalisation et de formation.
Nous ne doutons pas, monsieur le Premier ministre, que votre gouvernement mettra tout en œuvre pour sortir de cette crise et nous vous accompagnerons pour y parvenir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Richard Yung applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, je remercie le Gouvernement d’avoir accepté la demande de réserve du titre Ier. Cela nous permettra de discuter d’abord de l’urgence sanitaire, sociale et économique. Ce n’est point que, dans cette assemblée, nous nous désintéressions des élections municipales, mais il me semble que le message envoyé à nos concitoyens sera ainsi plus adapté à la situation que nous connaissons.
En entendant les Français applaudir à leurs fenêtres nos soignants, au front dans cette guerre contre l’épidémie, on sent que la démocratie repose non seulement sur une fraternité, mais aussi sur un sens civique, une vertu, une pratique morale. Les Français acceptent les sacrifices ; ils se mobilisent et serrent les rangs. Rarement avons-nous autant éprouvé combien nous dépendons les uns des autres, combien le dévouement, la compétence, les sacrifices et l’abnégation du corps médical sont nécessaires à notre vie.
Monsieur le Premier ministre, que l’engagement de ce corps médical et de tous ceux qui l’accompagnent puisse vous inciter, ainsi que l’exécutif tout entier, à être encore plus à l’écoute de leurs justes revendications ! Celles-ci ne sont pas l’expression d’un corporatisme, car leur seul but est de servir nos concitoyens. C’est le sens profond de la notion de service public, qui fait partie de notre ADN républicain et n’est pas incompatible avec le développement du monde économique privé.
Dans cette épreuve, la démocratie doit demeurer exigeante. Elle n’est pas plus faible qu’un régime autoritaire quand il faut affronter les périls sanitaires. Nous en ferons la preuve, en ne confondant jamais vitesse et précipitation.
Surmontons la tension entre l’autorité du Gouvernement et la continuité démocratique exprimée dans le contrôle parlementaire, sans rien céder sur l’unité nationale, sans la laisser mettre en péril.
On ne saurait pour autant, au nom de cette unité nationale, affaiblir les garanties fondamentales. Trouvons un équilibre entre le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de nos droits et libertés. La voie est étroite ; elle ne saurait en tout cas être celle d’une application rampante de l’article 16 de la Constitution.
L’instauration d’un nouveau régime d’état d’urgence sanitaire sera pour nous une épreuve.
L’état d’urgence sanitaire, tel qu’il est envisagé par le Gouvernement, diverge du régime d’état d’urgence issu de la loi du 3 avril 1955, que nous connaissons trop bien, hélas !
Disons-le d’emblée : l’équilibre reste encore à construire. Nous pouvons le faire ici. Certains aspects de ce texte apparaissent en effet inquiétants pour le fonctionnement de nos institutions et le rôle du Parlement en période de crise, d’abord. Si le régime créé par la loi de 1955 prévoit un contrôle continu par le Parlement, le projet de loi que nous examinons prévoit, quant à lui, la possibilité de donner au Premier ministre, au ministre de la santé et, par délégation, aux préfets le pouvoir de limiter la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, sans qu’ils n’aient de comptes à rendre à la représentation nationale.
Les modalités d’entrée en vigueur de ce nouvel état d’urgence ne permettront pas au Parlement de le valider, ni même d’en débattre ou d’avoir simplement connaissance des mesures prises après son déclenchement. Le Gouvernement usera de ses pouvoirs exorbitants sans contrôle du Parlement, lequel sera simplement invité à dire « oui » ou « non » au déclenchement de l’état d’urgence sanitaire, sans rien savoir de son contenu ni rien pouvoir en dire. Cela ne saurait nous convenir ; j’imagine que nous corrigerons le texte ce soir au travers de différents amendements de notre groupe et de la commission des lois.
Aucun contrôle parlementaire n’est prévu, à rebours du travail parlementaire accompli en 2015 à la suite des attentats. Pourtant, si l’on peut réunir quatre commissions cette semaine, il devrait être possible de mettre en place une commission spéciale de suivi capable de voter, au fil de l’eau, les mesures législatives nécessaires. C’est notre capacité de réaction qui est ici en cause : quelles que soient les mesures de confinement, nous montrons aujourd’hui que nous sommes capables de servir notre pays en conscience.
Il nous appartient de résister à la tentation d’instituer des exceptions aux régimes d’exception. Dans ce cadre, monsieur le Premier ministre, aucun comité, même scientifique, ne saurait devenir, de fait, l’alpha et l’oméga de la décision politique. D’ailleurs, le comité scientifique ne le demande pas ! Nous entendons régulièrement son président affirmer qu’il se borne à formuler des recommandations et que c’est au pouvoir politique de décider au nom de la Nation. Il faut le rappeler en permanence. Un jour ou l’autre, il faudra peut-être que ce comité soit auditionné par le Parlement, non pour vérifier la pertinence de ses propositions, mais pour assurer que nous soyons dans la boucle de l’élaboration des décisions prises sur le fondement de ses préconisations.
Ce texte est également inquiétant du fait de son champ d’application indéfini. Aucune définition n’est donnée de la notion de « catastrophe sanitaire ». Cette qualification juridique ne figure d’ailleurs pas davantage dans le code de la santé publique. Le sens de la formule « en cas d’épidémie » est très ouvert. La notion même de « catastrophe sanitaire » a une signification très large et pourrait recouvrir les épidémies de grippe, qui font plusieurs milliers de victimes par an, voire celles de gastro-entérite. Une définition trop générale du champ d’application de la loi encourage à la prise d’innombrables mesures, favorise des pratiques variables et des marges d’appréciation illimitées. Il faudra encadrer celles-ci ; ce sera aussi notre travail.
Le dispositif proposé par le Gouvernement, dans les conditions de délibération extrêmement contraintes que nous connaissons, laisse à l’exécutif un champ d’action large, sans contrôle parlementaire. Il conviendrait de prévoir, a minima, sa caducité automatique, dans un an au plus tard. Nous reviendrons sur ce point lors de la discussion des amendements.
Ce texte est inquiétant, enfin, au regard de la protection sociale des Français. Son titre III, qui détaille les mesures économiques et sociales envisagées, prévoit notamment de lourdes dérogations au code du travail ; nous ne pouvons les accepter. Je ne suis pas le premier à le dire : les salariés ne sauraient être la variable d’ajustement d’une situation sanitaire dont ils sont les premières victimes.
Voilà les principales raisons qui nous ont conduits à déposer des amendements visant, d’une part, à préciser dans le texte les mesures précises qui relèvent de l’état d’urgence sanitaire, et, d’autre part, à assurer au Parlement le même niveau de contrôle de l’action gouvernementale que ce qui est prévu par la loi de 1955.
Monsieur le Premier ministre, ce sont là les exigences minimales de la démocratie représentative dans le cadre d’un régime exceptionnel. Nous assumons la situation exceptionnelle que vit notre pays, sans esprit de polémique, mais avec exigence et vigilance. Après le drame que nous vivons aujourd’hui, la France se redressera : c’est pour cela, mes chers collègues, que nous sommes fiers de la servir. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, les Français sont soumis depuis trois jours à des mesures lourdes, mais vitales. Confinés chez eux, ils ont suivi avec attention les prises de parole du Président de la République. Nos concitoyens respectent l’arsenal des mesures déployées par le Gouvernement pour protéger leur santé, assurer leur sécurité, maintenir leur emploi et garantir leur vote.
L’urgence et la gravité de la situation nous réunissent aujourd’hui dans cet hémicycle pour transcrire dans la loi les annonces faites à nos concitoyens et à nos élus. En tant que parlementaires, nous devons permettre l’inscription dans notre législation et l’application dans les faits de ces mesures d’urgence.
S’il est difficile d’imaginer dès aujourd’hui toutes les conséquences qu’aura la pandémie dans les jours, les semaines, et les mois qui viennent, nous devons tout de même nous y employer. Nous devons élaborer le cadre législatif d’un nouvel état d’urgence sanitaire pour les Français, tout en veillant à ne pas empiéter sur leurs droits.
Les interdictions en vigueur concernant la liberté d’aller et de venir, la liberté de réunion ou la liberté d’entreprendre sont, dans ce texte, circonscrites dans le temps et dans l’espace. Pour garantir le contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement, même dans des circonstances exceptionnelles où l’unité nationale doit prévaloir, l’Assemblée nationale et le Sénat doivent être informés sans délai des mesures prises pendant cet état d’urgence. Le Parlement est seul habilité à proroger, le cas échéant, l’état d’urgence sanitaire. Nous devrons également avoir un débat sur la durée de l’habilitation à légiférer par ordonnances.
Je me félicite de l’adoption en commission de l’amendement que j’ai cosigné avec Jacqueline Eustache-Brinio, visant à prolonger la durée des commissions d’enquête, dans la mesure où celles-ci ne pourront pas procéder à leurs travaux et à leurs auditions pendant la période de confinement.
Nous devons tenter de remédier efficacement aux effets que la crise pourrait avoir sur notre économie et ses acteurs. Soutien à la trésorerie, aide à l’activité partielle, report du paiement des loyers et limitation des cessations d’activité et des licenciements sont essentiels si nous voulons garantir la survie de nos entreprises, en particulier de nos TPE et PME, qui constituent 99 % de notre tissu économique.
J’ai défendu en commission, ce matin, un amendement visant à adapter le dispositif prévu en cas de catastrophe naturelle au régime d’urgence sanitaire, de manière à permettre aux départements de soutenir les entreprises. Je me réjouis que le Gouvernement ait été sensible à cette proposition et qu’il se soit engagé à la mettre en œuvre par ordonnance.
Nous devons aussi anticiper l’impact que la mise en suspens de notre vie quotidienne pourrait avoir sur les demandes de titres de séjour, les questions prioritaires de constitutionnalité, le nombre d’enfants pouvant être gardés par un même assistant maternel agréé ou le respect des horaires de travail. Les restrictions imposées en la matière par la loi ne pouvant être respectées, les mesures appropriées ont été intégrées à ce projet de loi.
La nécessité d’agir vite et de manière proportionnée, dans chaque domaine de la vie économique et sociale de notre pays, doit faire loi, dans le respect du cadre de notre démocratie : c’est aussi une priorité.
Ce projet de loi contient également des dispositions devenues indispensables à la réorganisation démocratique de nos assemblées locales.
Nous devons asseoir les bases d’un pouvoir exécutif local stable, capable d’accompagner nos administrés en ces temps difficiles. Le combat contre le Covid-19 ne pourra se faire sans nos élus de proximité, comme je l’ai exprimé tout à l’heure à l’occasion de ma question d’actualité au Gouvernement.
J’ai participé, au nom du président de mon groupe, à la prise de la décision que vient d’annoncer M. le Premier ministre, que je soutiens pleinement dans cette démarche. Oui, il nous faut reporter l’installation des conseils municipaux et, par conséquent, prolonger les mandats des élus de 2014 jusqu’à la fin du confinement. Nous reprendrons alors l’installation des nouveaux conseils municipaux. En cas de démission d’un maire, le préfet prendra le relais et, par délégation spéciale, installera un nouveau maire, bien évidemment le candidat ayant remporté le premier tour.
Il nous faut également entériner les mesures visant à préserver le fonctionnement des syndicats de communes et des syndicats mixtes.
En revanche, je suis farouchement opposée à ce que nous obligions les candidats au second tour à déposer dans la précipitation leurs déclarations de candidature en préfecture, d’autant que nous ne savons pas aujourd’hui à quelle date se tiendra ce second tour.
C’est pourquoi je défendrai de nouveau en séance publique un amendement visant à prévoir que le dépôt des déclarations de candidature devra intervenir, au plus tard, douze jours seulement avant le second tour. D’ici là, nous aurons bien d’autres urgences à traiter !
Celles-ci ne doivent pourtant pas nous empêcher de prendre le temps de recueillir l’avis du Conseil constitutionnel sur toutes les mesures qui seront adoptées aujourd’hui par le Sénat, demain par l’Assemblée nationale. C’est la garantie de notre fonctionnement démocratique, même en temps de crise, et de la stabilité de notre République.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nous sommes au cœur d’une crise majeure qui met en péril la santé de millions de nos concitoyens et la vie de centaines de milliers d’entre eux. Elle a un impact mondial ; le degré de responsabilité qu’il faut assumer est donc exceptionnel.
Nous avons comme impératif – le Premier ministre l’a exposé avec une grande clarté – de préserver le plus de vies possible et de rétablir la santé publique, dans tous ses aspects, autant que faire se peut. Cela devra se faire dans un contexte de profonde incertitude, malgré les efforts des scientifiques, quant à l’évolution courante et prochaine de cette pandémie.
Aussi la démarche retenue par le Gouvernement et le Président de la République, démarche qui est encore en cours de perfectionnement, peut-elle à mon sens être qualifiée de défense dynamique. Nous ne pouvons pas simplement procéder à l’arrêt des activités ; il faut aussi nous montrer proactifs.
En particulier, l’une des missions qui s’imposent dès maintenant consiste à soutenir la continuité des activités essentielles du pays ; le Parlement doit s’y associer pleinement. Cela commence, bien entendu, par les missions fondamentales du service public, mais cela recouvre également les activités économiques qui sont, en réalité, le support de celui-ci et la garantie des conditions de vie les plus élémentaires de nos concitoyens.
La situation impose, outre les évolutions que nous avons subies, d’assurer le fonctionnement régulier des institutions de manière à soutenir l’effort de réaction et de réorganisation. Ainsi, on pourra mener à terme l’ensemble de ces efforts tout en restant dans un État de droit plein et entier.
Ces efforts s’accompagnent – nous le saluons tous – de la contribution de millions d’acteurs, à commencer par nos concitoyens. Ceux-ci, après un temps d’hésitation consécutif à la réception de toutes ces alertes, ont à mon sens assumé pleinement les obligations qui s’imposent en ce temps de crise.
C’est aussi, bien sûr, la contribution de tous les serviteurs du service public et de tous les salariés du secteur privé qui restent en pleine action en dépit de l’exposition qu’ils risquent, en particulier dans le cadre de leurs missions de service aux personnes. C’est enfin la contribution de tous nos élus dans les territoires.
Nous devons nous prononcer sur un cadre renforcé de mesures contraignantes, regroupées sous le vocable d’« état d’urgence sanitaire ». Le débat va se poursuivre ce soir. Il a son plein intérêt : il s’agit de savoir, comme l’a exprimé M. Bas devant la commission des lois, si nous devons garder le cadre de l’état d’urgence tel qu’il a été construit au cours d’une autre période de crise, armée celle-là, ou si nous devons au contraire, à partir de l’expérience dans laquelle nous sommes engagés et sur laquelle les pouvoirs publics continuent de réfléchir, adopter un régime original qui n’a pas à être calqué sur l’état d’urgence sécuritaire.
Cette réflexion conduit peut-être à être moins radical que certains de nos collègues quant au caractère impératif d’un contrôle parlementaire instantané, puisque le déroulement de la présente crise est tout autre que celui des précédentes. Il ne nous en faut pas moins donner une base solide et équilibrée, au regard de l’État de droit, à l’état d’urgence que nous créons.
Par ailleurs, nous allons sans aucun doute approuver très largement les mesures de soutien à la poursuite de l’activité économique qui nous sont proposées dans un contexte de très fort ralentissement, qu’a parfaitement décrit M. Malhuret tout à l’heure. Nous devons évidemment tout faire pour que ce ralentissement ne débouche pas sur une paralysie.
Il faut donc que l’ensemble de ce dispositif soit bien ajusté. Des ordonnances seront prises dans des délais très courts. Les habilitations sont encadrées ; elles permettront donc un contrôle effectif par le Parlement de tout ce processus sans précédent.
On entend dire qu’il s’agit de la crise sanitaire la plus grave depuis un siècle. Cela conduit à fouiller parmi nos souvenirs historiques quant au déroulement de la grippe de 1918 et 1919. Elle s’était distinguée par son caractère très international, alors même que les mouvements de personnes étaient d’une intensité moindre qu’aujourd’hui, mais surtout par le fait qu’elle était survenue par vagues successives. Cela nous conduit forcément à nous interroger sur notre capacité à prévoir l’évolution de la pandémie actuelle.
Je ne mentionnerai que brièvement le débat sur l’adaptation de nos collectivités territoriales à ce moment de crise. Nous constatons une incertitude quant aux conditions d’entrée en fonction des nouvelles équipes municipales. C’est une période de transition ; il faudra assumer son caractère imparfait. Nous devons aménager les procédures pour le cas où cette crise serait plus longue que prévu, de manière à assurer la continuité légale du fonctionnement de nos collectivités territoriales, soutiens essentiels de l’action de l’État en période de crise, comme on l’a vu dès les premiers jours.
Je veux, en conclusion, saluer le climat de compréhension et d’unité nationale qui a inspiré l’essentiel de notre débat. Nous devons nous placer à cette hauteur, en sachant que nous aurons, dès les prochaines semaines à revenir, en dialogue avec le Gouvernement, sur l’évolution de cette crise et son pilotage. Il me semble en tout cas que la conduite qui nous est proposée aujourd’hui et la façon dont nous avons ouvert le débat appellent à l’optimisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’heure est à la solidarité nationale, et non à la discorde ou à la critique politique. L’heure est à la reconnaissance envers tous ceux qui sont en première ligne, au contact des malades, et qui se battent souvent avec des moyens insuffisants, notamment en termes de matériels de protection. L’heure est à la reconnaissance envers ceux qui font tourner l’économie du quotidien.
Toutefois, cela ne doit pas conduire à excuser les défaillances en matière de prévision et d’organisation. Nous savions ce qui devait arriver, puisque d’autres l’avaient vécu avant nous. Or nous ne disposons pas de suffisamment de gel hydroalcoolique, de masques, de lits. L’heure viendra de rendre des comptes et de relever les manquements : une commission d’enquête devrait d’ailleurs, à mon sens, être mise en place à cette fin. L’heure viendra aussi de tirer les leçons de ces dysfonctionnements, afin que notre société soit mieux organisée et mieux préparée à l’avenir.
Pour l’heure, nous devons voter les textes qui nous sont soumis sans hésiter ni barguigner, mais cela doit nous rendre encore plus exigeants en matière de contrôle et de mise en œuvre.
Sur le plan financier, les dépenses seront énormes, mais il faut les engager. C’est la valse des milliards ! Peut-être serait-il utile de prévoir la possibilité d’utiliser les comptes d’heures stockées, voire les RTT, pour être en mesure de relancer plus fortement la machine le moment venu. Peut-être serait-il temps d’envisager la suppression des jours fériés du mois de mai prochain, au cas où la situation permettrait alors de repartir.
Ne nous y trompons pas : après la situation sanitaire extraordinairement difficile que nous vivons, nous connaîtrons une situation financière qui ne le sera pas moins.
Enfin, je souhaiterais, monsieur le président, monsieur le Premier ministre, que, dans les communes où une équipe a été élue dès le premier tour, le préfet puisse faire en sorte que la commission spéciale permette à celle-ci d’accéder dès maintenant aux responsabilités.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi dans les circonstances difficiles que vous connaissez. Alors que l’épidémie du nouveau coronavirus a connu une forte progression dans notre pays durant ces derniers jours, le chef de l’État et le Gouvernement ont proposé une série de mesures d’une ampleur considérable, visant à maîtriser la situation et à ralentir la progression du virus. Nous discutons aujourd’hui de leur concrétisation législative.
Avant d’évoquer le contenu de ces mesures, je tiens à rendre hommage à ceux qui, face à la maladie, sont depuis le début au premier rang. Je parle bien évidemment de l’ensemble des personnels soignants, ainsi que des membres des forces de sécurité. S’il est vrai, comme l’a affirmé le Président de la République, que nous sommes en guerre, alors ce sont eux les soldats du front les plus exposés, dont le dévouement dans l’assistance aux malades et la mise en place des mesures de sécurité sanitaire doivent nous inspirer et nous inciter à agir avec solidarité et responsabilité.
Avec solidarité, parce qu’en ces heures éprouvantes l’entraide et l’assistance à son prochain sont d’autant plus essentielles. Elles permettront de protéger les membres les plus fragiles de notre société, ceux qui, en raison de leur âge ou de leur état de santé, sont les plus vulnérables face au virus ou à la désorganisation de la vie quotidienne.
Avec responsabilité personnelle ensuite, parce que, devant un tel péril, l’égoïsme et l’indifférence sont autant de facteurs susceptibles de compliquer le travail des professionnels dont j’ai salué à l’instant l’importance et l’efficacité et, par conséquent, de mettre en danger des vies humaines. Il faut que chacun prenne ses responsabilités, avec sérieux et sans pessimisme. Agissons donc avec discernement, que ce soit en respectant les préconisations des autorités sanitaires ou en évitant de colporter des informations douteuses.
Venons-en au fond des textes présentés.
Il s’agit d’un ensemble de mesures destinées à aménager la vie publique, économique et sociale des prochains mois, au regard des perturbations causées par l’épidémie. J’interviendrai sur le volet « vie publique » ; deux autres membres de mon groupe inscrits dans cette discussion générale commune évoqueront les autres aspects de ces projets de loi.
La question la plus complexe, juridiquement, est sans doute celle des conséquences à tirer du report du second tour des élections municipales, report rendu inévitable par la situation sanitaire. Nous nous trouvons dans une situation inédite, où coexistent durablement des milliers de communes dans lesquelles un nouveau conseil municipal a d’ores et déjà été élu et d’autres dans lesquelles un second tour devra être organisé à une date ultérieure. Des adaptations du droit ont été proposées par le Gouvernement, visant à repousser le terme des mandats en cours, à ajuster les procédures destinées à compléter les conseils communautaires. Il est impératif d’adapter la loi aux circonstances.
Cependant, certaines de ces mesures sont discutables. Il en est ainsi de la fixation de la date de dépôt des listes pour le second tour. Il serait préférable de la fixer explicitement au plus tôt, au lieu de la remettre au deuxième lundi précédant une date de scrutin encore incertaine, en faisant ainsi sortir davantage encore le déroulement de ces élections du droit commun.
L’existence de conseils municipaux incomplètement élus présente également certains enjeux. Le texte du Gouvernement prévoit que, dans les petites communes, puisse être élu ce qui s’apparente à un « maire temporaire ». Cette solution est susceptible de soulever des interrogations sur la sincérité du second tour du scrutin. En l’état actuel du droit, le maire sortant continue d’assurer après le premier tour certaines fonctions de gestion des affaires courantes et des urgences. N’est-il pas plus simple de prolonger le mandat des conseillers municipaux sortants et de prévoir le maintien de cette situation jusqu’à ce qu’un nouveau conseil municipal puisse être constitué ?
La situation des communautés de communes est également complexe. Elles voient cohabiter des communes dotées d’un conseil municipal avec d’autres où celui-ci est incomplet. Là aussi, le Gouvernement semble privilégier la solution d’un « exécutif temporaire ». Cela est susceptible de faire émerger des situations juridiquement complexes.
Ce ne sont là que les questions les plus urgentes ; les collectivités sont confrontées à bien d’autres problématiques. Il sera nécessaire d’adapter les règles s’appliquant à elles pendant les semaines à venir, afin de rendre possible un fonctionnement à distance. Faisons encore plus confiance à nos élus locaux en ces temps de crise.
Enfin, le projet de loi ordinaire prévoit la création d’un état d’urgence sanitaire, reprenant de manière transparente certains des modes d’action instaurés par la loi de 1955 relative à l’état d’urgence. Il s’agit là, potentiellement, d’un outil puissant de lutte contre l’épidémie. Par certains aspects, ce régime est même plus exigeant que celui de l’état d’urgence « ordinaire », par exemple en matière de réquisitions.
Cependant, les pouvoirs dévolus au titre de l’état d’urgence sanitaire doivent être utilisés avec prudence, en prenant soin de s’assurer systématiquement de l’équilibre entre respect des libertés publiques et exigences de la sécurité sanitaire. Le comité scientifique permettra d’assurer, pour une part, cet équilibre, en identifiant les impératifs sanitaires comme seul un collège d’experts peut le faire. Toutefois, il est essentiel que le Parlement assure l’autre part, en évaluant ces politiques et en contrôlant l’action du Gouvernement, rôle dévolu à la représentation nationale, y compris dans les circonstances les plus exceptionnelles.
Le groupe Les Républicains votera ces textes et apportera sa contribution à la résolution de la crise sanitaire actuelle, sans jamais cesser de faire preuve de la vigilance et de l’exigence qui sont essentielles à l’action parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Très bien ! Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre pays traverse une crise sanitaire unique. Si le temps des interrogations et du bilan viendra, l’heure est aujourd’hui à la cohésion nationale, à la responsabilité et à la solidarité.
Il s’agit, pour le Parlement, de donner au Gouvernement les moyens de gérer cette crise et d’éviter une paralysie des collectivités territoriales. Je salue l’esprit de responsabilité des différents groupes politiques et du président-rapporteur de la commission des lois, qui, en dialogue avec le Gouvernement, proposent des dispositions de nature à répondre à l’urgence, tout en veillant scrupuleusement au respect des principes de droit, en confinant, si je puis dire, l’application de ces dispositions à la crise du Covid-19 et en rappelant le rôle du Parlement dans notre démocratie.
Monsieur le Premier ministre, les maires, fidèles serviteurs, sont une fois encore pleinement engagés aux côtés de l’État, malgré le tour quelque peu inattendu pris par les élections municipales. Leur fonction et leur action doivent être sécurisées. C’est pourquoi le groupe Union Centriste souscrit aux propositions de la commission des lois, qui appelle au respect du cycle des élections municipales, avec dilatation du délai pour la tenue du second tour, mais maintien du dépôt des listes dans la foulée du premier tour, et à la modification des délais et des conditions de quorum et de procuration. Il est toutefois sans doute impossible d’appréhender les questions de manière exhaustive. Nous avons pu le vérifier aujourd’hui : ce qui était vrai à 10 heures ne l’était plus à 17 heures…
Chacun de nous doit être humble et modeste devant ce que vous avez qualifié d’« océan d’incertitudes », monsieur le Premier ministre. Aussi entendons-nous la décision d’annuler l’installation des conseils municipaux, qui s’appuie sur l’avis des scientifiques. Toutefois, cette décision interroge et elle ne sera pas sans engendrer d’importants dysfonctionnements.
Reste que l’heure est à l’union et à la responsabilité. C’est pourquoi le groupe Union Centriste se tiendra à vos côtés et ne faillira pas à son devoir. En effet, notre pays, malgré la noirceur de certains comportements constatés ces dernières semaines, prouve, par l’engagement admirable de ceux que vous avez appelés, monsieur le Premier ministre, les « soldats du quotidien », sa capacité à tenir, à faire face, calme et droit, comme aime à le dire le premier d’entre nous…
Nous avons rendu hommage à la mobilisation des maires et de leurs services. D’ailleurs, nous proposerons un amendement portant sur le délai de carence des personnels municipaux. Je salue aussi les autres « essentiels », ceux qui soignent, mais aussi tous ceux qui nourrissent la France, car tous participent à la cohésion sociale, si fragile en ce temps de crise. L’urgence de procurer les équipements de protection nécessaires aux personnels de santé s’impose, bien entendu, mais il est tout aussi prioritaire de protéger ceux qui nous nourrissent, alors qu’aujourd’hui la distribution et l’industrie agroalimentaire nous alertent sur la difficulté, faute d’équipements de protection, de pérenniser la mobilisation de leur personnel, qui est, jour après jour, en première ligne.
Oui, monsieur le Premier ministre, la France est une grande Nation. Elle a su affronter de grands dangers et se relever par son unité.
Oui, monsieur le Premier ministre, aujourd’hui, nous tiendrons le front à vos côtés, en responsables exigeants et vigilants, et aux côtés de ceux que j’ai appelés les « essentiels », pour que, demain, la Belle au bois dormant qu’est tristement devenu notre pays s’éveille à nouveau à la vie, une vie qui ne sera plus jamais la même… (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne Chain-Larché. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, rien ne sera plus jamais comme avant. La situation que nous vivons est tout à fait inédite depuis plusieurs générations : une crise sanitaire mondiale entraînant la prise de mesures privatives de liberté, nécessaires pour contenir l’épidémie, un système hospitalier submergé par la gravité de la maladie et, au premier plan de ce cataclysme, un arrêt brutal de notre économie et de l’économie mondiale. C’est la fin d’un monde pour les enfants gâtés que nous étions !
Plus que jamais, l’heure est à la responsabilité collective et au consensus. C’est dans ces circonstances exceptionnelles que le Parlement se réunit pour examiner deux projets de loi. Il est à mon sens primordial de ne pas mettre la vie parlementaire et démocratique de ce pays en quarantaine. Il est de notre devoir, en tant que sénateurs, d’assurer la continuité des institutions.
En tant que membre de la commission des affaires économiques, je m’attarderai sur le titre III du projet de loi ordinaire qui nous est présenté aujourd’hui. Il recouvre des enjeux multiples.
Comment accompagner cette crise économique dans le temps ? À la période de confinement succédera la reprise d’une vie normale, mais les entreprises seront durablement affectées. Les conséquences de la crise sur la trésorerie, la consommation, l’investissement se feront ressentir dans la durée.
Comment mettre en œuvre les différentes les mesures économiques de façon simple, sans lourdeurs administratives, pour que les entreprises touchées par la crise en bénéficient rapidement ?
Quelle coordination est mise en place avec les autres pays de l’Union européenne ? Le Conseil européen a d’ores et déjà annoncé un plan de 25 milliards d’euros, mais, on l’a vu en 2008, une coordination des différentes politiques nationales est nécessaire pour résister à une crise mondiale.
Quel modèle économique voulons-nous pour demain ? Il faudra peut-être envisager la relocalisation de certaines activités, accompagner les entreprises dans ce sens, renforcer les différents modèles agricoles… Nous devrons nécessairement engager une réflexion de fond. Cette crise sans précédent doit nous inciter à créer un nouveau modèle économique et agricole.
Sur la forme, les mesures économiques sont inscrites dans des habilitations très larges données au Gouvernement pour légiférer par voie d’ordonnances. Si, au Sénat, nous ne sommes généralement pas très favorables aux ordonnances, car elles dessaisissent le Parlement de ses prérogatives, les circonstances exceptionnelles et l’urgence d’agir vite dans le domaine économique justifient entièrement que l’on y recoure.
Nous nous investirons bien entendu pleinement dans notre mission de contrôle de l’action du Gouvernement. Sophie Primas a notamment annoncé la mise en place d’une cellule de veille au sein de la commission des affaires économiques pour suivre la mise en œuvre du plan du Gouvernement et faire remonter les difficultés et problématiques spécifiques de chaque secteur d’activité.
Sur le fond, les mesures du plan d’urgence, qui ont pour finalité de limiter les cessations d’activité d’entreprises, quel qu’en soit le statut – cela est très important –, seront provisoires. Elles concerneront le soutien à la trésorerie et l’attribution d’aides directes ou indirectes aux entreprises dont la viabilité est mise en cause, notamment grâce à la mise en place d’un fonds de solidarité pour les TPE et les indépendants, dont le financement sera partagé avec les collectivités, la modification des obligations des entreprises à l’égard de leurs clients et de leurs fournisseurs, notamment en termes de délais, de pénalités et de nature des contreparties, le report ou l’étalement du paiement des loyers, des factures d’eau, d’électricité et de gaz afférents aux locaux professionnels – pour les très petites entreprises, dont l’activité est affectée par les mesures prises pour limiter la propagation du virus, il sera demandé aux fournisseurs de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions ou réductions de fourniture, en cas de non-paiement de ces factures –, l’adaptation des dispositions relatives à l’organisation de la Banque publique d’investissement, afin de renforcer sa capacité à accorder des garanties.
Toutes ces mesures seront complétées par des dispositions relevant du code du travail. Je pense notamment à la prise en charge de nouvelles catégories de bénéficiaires au titre du chômage partiel. C’est parce que nous, sénateurs, sommes des relais essentiels de nos territoires que nous savons que tout cela va indéniablement dans le bon sens.
Beaucoup de questions restent néanmoins en suspens, et j’espère que le Gouvernement pourra nous éclairer.
Par exemple, l’abaissement de 70 % à 50 % du seuil de perte de chiffre d’affaires au mois de mars pour obtenir l’aide de 1 500 euros du fonds de solidarité est plébiscité par tous les acteurs économiques, en premier lieu par les TPE et les indépendants, qui sont concernés. Quelle garantie a-t-on que le Gouvernement entendra cette revendication, monsieur le Premier ministre ?
Autre exemple, quelles mesures spécifiques seront mises en place pour le secteur agricole, exclu des mesures de confinement, à l’exception des horticulteurs et des pépiniéristes, qui doivent réaliser la majeure partie de leur chiffre d’affaires ces trois prochains mois ? Est-il envisagé que les banques ne facturent pas les frais de découvert et les agios ?
Plus que jamais, les entreprises ont besoin de nous tous à leurs côtés ; elles ont besoin que nous agissions vite dans ces circonstances exceptionnelles. Elles peuvent compter sur l’engagement du groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la santé, mes chers collègues, certes, le territoire est pour l’instant serein, comme sidéré, mais on sent bouger les lignes et monter une certaine grogne chez les professionnels de santé et tous ceux qui œuvrent au service de nos concitoyens, parce qu’ils manquent cruellement de moyens, en termes notamment d’équipements de protection, tels que le gel hydroalcoolique et les masques.
Dans le département de la Marne, qui n’est pas touché au même degré que la Lorraine, l’Alsace ou l’Île-de-France, trente personnes sont hospitalisées aujourd’hui. Les dispositions prises doivent varier suivant la situation des territoires au regard de l’épidémie. Cela étant, le CHU de Reims a besoin de 42 000 masques pour trois jours. Or 28 000 masques ont été livrés pour l’ensemble du département ! Nous rencontrons des difficultés pour mobiliser les réserves et faire en sorte d’avoir les moyens de mieux soigner les gens. L’enjeu est crucial.
Les médecins de ville, généralistes ou spécialistes, ne peuvent pas bénéficier des tests de dépistage, ceux-ci étant réservés aux médecins hospitaliers. Il faut élargir le champ du dépistage : je tiens à faire remonter cette revendication des médecins de ville, car cela ne peut pas continuer ainsi ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE.)
M. Patrick Kanner. Très bien !
Mme Laurence Rossignol. C’est du bon sens !
M. René-Paul Savary. Concernant maintenant la situation économique, si je comprends tout à fait le discours sur le « quoi qu’il en coûte », il n’empêche qu’il faut bien qu’un certain nombre de personnes continuent à travailler, dans des conditions sanitaires qui doivent être encadrées,…
Mme Éliane Assassi. Et les CHSCT ?
M. René-Paul Savary. … car sinon ces personnes ne pourront répondre aux besoins de la population. Elles se demandent aujourd’hui ce qu’elles doivent faire. En temps normal, par exemple, on prône le covoiturage, mais se regrouper dans une voiture n’est guère conseillé à l’heure actuelle… Il faut prendre un certain nombre de dispositions pratiques pour sécuriser l’activité de ceux qui sont obligés de travailler. Sinon, nos concitoyens ne comprendront plus le message. On leur dit de rester chez eux, mais certains doivent continuer à travailler. Il faut leur permettre de le faire dans des conditions sanitaires à définir de façon très précise pour aider les chefs d’entreprise.
Monsieur le Premier ministre, voilà les quelques messages que je souhaitais vous transmettre. Il importe que nous puissions répondre aux préoccupations de nos concitoyens, qui perdront rapidement patience si la crise doit durer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – MM. Jean-Yves Leconte et Franck Montaugé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier l’ensemble des orateurs, notamment les trois présidents de commission qui se sont exprimés. La discussion des articles permettra de répondre à nombre des questions qui ont été posées et d’échanger sur le fond des sujets. À cet instant, je voudrais formuler quelques remarques à la suite des propos que j’ai entendus.
Le Gouvernement aborde l’examen de ces textes et des amendements dans un esprit de grande ouverture et d’attention marquée aux propositions qui pourront lui être faites. Pour autant, il ne faut bien entendu pas en déduire que nous les accepterons toutes ! Simplement, nous voulons faire en sorte d’améliorer ces textes. Pour cela, comme je l’ai dit tout à l’heure lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement et dans mon intervention liminaire, nous avons besoin du Parlement. Le contrôle parlementaire est indispensable dans une telle période.
J’exprime de nouveau ma reconnaissance à tous ceux qui ont contribué à l’élaboration d’un compromis sur la délicate question de la réunion des conseils municipaux, prévue, aux termes du droit électoral, entre demain matin et dimanche. C’est là, je le crois, la traduction d’un état d’esprit que je voulais souligner.
Concernant l’état d’urgence sanitaire, je suis parfaitement conscient que légiférer est difficile et délicat, d’autant plus dans les conditions présentes. Je crois me souvenir – je parle sous le contrôle de ceux qui sont plus versés que moi dans les questions juridiques – que la loi de 1955 relative à l’état d’urgence avait elle-même été rédigée et discutée dans des conditions de rapidité assez exceptionnelles – en quarante-huit heures, me dit-on…
Ce que je sais en tout cas, c’est que nous devons raffermir le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les mesures que nous avons été conduits à prendre et que nous devrons prendre dans les jours et les semaines à venir. Non que le fondement juridique de ces mesures soit incertain –l’article L. 3131-1 du code de la santé publique constitue une base solide sur laquelle nous pouvons nous appuyer, compte tenu des circonstances –, mais le Conseil d’État a indiqué qu’il est objectivement insuffisant au regard de l’ensemble des dispositions à prendre.
Le texte initial du Gouvernement prévoyait d’ailleurs, à l’instar de la loi de 1955, que le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire ou sa prorogation appelle une convocation du Parlement au bout de douze jours. (Mme Éliane Assassi s’exclame.) C’est le Conseil d’État qui nous a amenés à changer d’avis.
Mme Laurence Rossignol. Vous n’auriez pas dû !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Voyez-vous, madame la sénatrice, dans d’autres circonstances, on nous a reproché de ne pas suivre l’avis du Conseil d’État… (Sourires.)
M. Rachid Temal. La réforme des retraites est loin !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le Gouvernement a donc suivi la recommandation du Conseil d’État, lequel a considéré que, dans un certain nombre d’hypothèses, notamment dans le cas d’une pandémie, un délai de douze jours pourrait ne pas être approprié. Le texte prévoit donc désormais un délai de trente jours. Toutefois, j’insiste sur le fait que nous entendons nous inspirer des dispositions les plus exigeantes en matière de contrôle parlementaire.
Monsieur Kanner, je respecte l’inquiétude que vous avez exprimée : l’urgence, l’exception sont toujours des sujets sensibles. Il convient d’être prudent et vigilant quand on légifère dans ce champ.
Au fond, je crois que nous proposons un dispositif plus robuste que celui qui existe. Il s’agit évidemment d’un dispositif temporaire. Je serai bien entendu attentif, avec l’ensemble des membres du Gouvernement, aux propositions qui pourraient être formulées en la matière.
Le ministre des solidarités et de la santé pourra répondre, lorsque seront examinées les dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire, à vos questions relatives aux masques et aux tests. Il vous exposera notamment notre politique actuelle en matière de tests. Je pense que cela éclairera utilement le Sénat.
J’en viens aux remarques relatives aux dispositions concernant les élections municipales. Je salue le travail de la commission des lois, qui a su trouver des solutions à des questions que nous aurions pensé n’avoir jamais à nous poser, mais qui se posent désormais. Le Gouvernement avait présenté un certain nombre de propositions, que la commission des lois a permis d’enrichir et de corriger. Je lui en suis grandement reconnaissant. Je confesse cependant un désaccord avec M. le président-rapporteur de la commission des lois sur les conditions d’organisation du second tour et sur la date limite de dépôt des listes. Nous nous en sommes ouverts l’un à l’autre.
Enfin, vous avez posé un certain nombre de questions sur les dispositions économiques contenues dans le titre III du projet de loi ordinaire. Vous l’avez bien compris, celles-ci visent à nous permettre de franchir le cap de l’urgence et à accompagner toute une série d’acteurs économiques. Évidemment, de nombreuses questions pratiques vont se poser dans des secteurs spécifiques. J’ai d’ailleurs précisé que, dans cet océan d’incertitudes, nous étions collectivement incapables de dresser la liste de toutes les mesures de nature législative qu’il nous sera nécessaire de prendre rapidement pour aider les entreprises, les salariés, les indépendants.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement demande de nombreuses habilitations à légiférer par ordonnances – des habilitations assez larges, je le concède. Elles nous permettront d’intervenir rapidement dans la matière législative lorsque ce sera nécessaire. Au fond, les questions qui ont été posées témoignent qu’il sera nécessaire d’intervenir par voie d’ordonnances. Je veillerai à faire en sorte que celles-ci soient, dans la mesure du possible, le plus vite possible présentées au Parlement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie très sincèrement de la qualité de nos échanges. J’espère que nous pourrons achever l’examen de ce texte cette nuit ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale commune est close.
Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est presque vingt heures. Les Français vont applaudir les soignants ; je ne doute pas que le Sénat s’associera à ces applaudissements. (M. le président, Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le Premier ministre et M. le ministre, se lèvent et applaudissent longuement.)
Pendant la suspension de la séance, une opération sanitaire aura lieu dans l’hémicycle. Je vous invite à protéger tous vos documents et objets personnels. Nous respectons scrupuleusement et avec beaucoup d’exigence la procédure mise en place.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi et du projet de loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.
Je rappelle que la discussion générale commune a été close.
Nous passons à l’examen, dans le texte de la commission, du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.
projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19
TITRE Ier (réservé)
Dispositions électorales
Articles 1er, 1er bis, 2 et 3 (réservés)
M. le président. Je rappelle que le titre Ier est réservé jusqu’à la fin de l’examen du texte.
TITRE II
L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE
Article 4
Au premier alinéa du I de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique, après la référence : « L. 1462-1 », est insérée la référence : « , L. 3131-26 ».
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
Le livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° L’intitulé du titre III est ainsi rédigé : « Menaces et crises sanitaires graves » ;
2° Le chapitre Ier est ainsi modifié :
a) L’intitulé du chapitre est ainsi rédigé : « Menaces sanitaires » ;
b) Le premier alinéa de l’article L. 3131-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l’état d’urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis, afin d’assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire. » ;
c) L’article L.3131-8 est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’indemnisation des réquisitions est régie par le code de la défense. »
3° Après le chapitre Ier du titre III, il est inséré un chapitre Ier bis ainsi rédigé :
« CHAPITRE Ier bis
« État d’urgence sanitaire
« Art. L. 3131-20. – L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain et des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril par sa nature et sa gravité, la santé de la population.
« Art. L. 3131-21. – L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en Conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application.
« La prorogation de l’état d’urgence au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi.
« Art. L. 3131-22. – La loi autorisant la prorogation au-delà d’un mois de l’état d’urgence sanitaire fixe sa durée.
« Il peut être mis fin à l’état d’urgence sanitaire par décret en conseil des ministres avant l’expiration du délai fixé par la loi prorogeant l’état d’urgence.
« Les mesures prises en application du présent chapitre cessent d’avoir effet en même temps que prend fin l’état d’urgence sanitaire.
« Art. L. 3131-23. – Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique :
« 1° restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ;
« 2° interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements justifiés par des besoins familiaux, professionnels ou de santé impérieux ;
« 3° ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d’être affectées ;
« 4° ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées ;
« 5° ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services essentiels aux besoins de la population ;
« 6° limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ;
« 7° ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre l’épidémie du Covid-19 ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens. L’indemnisation de ces réquisitions est régie par le code de la défense.
« Les mesures prescrites en application des 1° à 7° du présent article sont proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.
« Art. L. 3131-24. – Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l’exception des mesures prévues à l’article L. 3131-23, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-20.
« Dans les mêmes conditions, le ministre de la santé peut prescrire toute mesure individuelle nécessaire à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre en application du même article L. 3131-23.
« Les mesures prescrites en application du présent article sont proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.
« Art. L. 3131-25 – Lorsque le Premier ministre ou le ministre de la santé prennent des mesures mentionnées aux articles L. 3131-23 et L. 3131-24, ils peuvent habiliter le représentant de l’État territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions
« Lorsque les mesures prévues aux articles L. 3131-23 et L. 3131-24 doivent s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas le territoire d’un département, les autorités mentionnées à ces mêmes articles L. 3131-23 et L. 3131-24 peuvent habiliter le représentant de l’État dans le département à les décider lui-même. Les décisions sont prises par le préfet après avis du directeur général de l’agence régionale de santé.
« Art. L. 3131-26 – En cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire, il est réuni sans délai un comité de scientifiques. Son président est nommé par décret du Président de la République. Il comprend deux personnalités qualifiées respectivement nommées par le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat et des personnalités qualifiées nommées par décret. Ce comité rend public périodiquement son avis sur les mesures prises en application des articles L. 3131-23 à L. 3131-25. Ce comité est dissous lorsque prend fin l’état d’urgence sanitaire.
« Art. L. 3131-27. – (Supprimé)
« Art. L. 3131-28 – Les dispositions des articles L. 3131-3 et L. 3131-4 sont applicables aux dommages résultant des mesures prises en application des articles L. 3131-23, L. 3131-24 et L.3131-25.
« Les dispositions des articles L. 3131-9-1, L. 3131-10 et L. 3131-10-1 sont applicables en cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire. » ;
4° L’article L. 3136-1 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le fait de ne pas respecter les réquisitions prévues aux articles L. 3131-23, L. 3131-24 et L.3131-25 est puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000 € d’amende.
« Un décret détermine les sanctions encourues en cas de violation des autres interdictions ou obligations édictées en application des articles L. 3131-23, L. 3131-24 et L. 3131-25.
« L’application de sanctions pénales ne fait pas obstacle à l’exécution d’office, par l’autorité administrative, des mesures prescrites en application des articles L. 3131-23 à L. 3131-25. »
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Pour faire face à la propagation du coronavirus au sein de notre population, les articles 4 à 6 visent à instaurer un état d’urgence sanitaire. Il s’agit notamment d’habiliter le Gouvernement et ses représentants dans les départements à prendre toutes mesures nécessaires pour assurer la sûreté sanitaire de nos concitoyens. Seront en particulier concernées la liberté d’aller et de venir et celle de réunion.
Nous comprenons parfaitement l’urgence engendrée par la pandémie qui frappe notre Nation. À ce jour, on déplore plus de 260 décès et 9 000 cas de contamination. De ce fait, et bien que nous défendions à toute force les libertés individuelles et publiques, nous ne pouvons que nous résigner à la création d’un état d’urgence sanitaire, nécessaire en ces temps de crise.
Cependant, si nous en acceptons le principe, nous resterons très vigilants. La représentation nationale exercera son droit de contrôle sur les actions de l’exécutif pendant cet état d’urgence. Aucun excès d’autorité ne sera accepté. L’état d’urgence sanitaire est et devra rester exceptionnel. Il ne doit pas avoir vocation à intégrer le droit commun. Nous veillerons à ce que les mesures prises soient proportionnées, adaptées à la situation et toujours respectueuses de l’État de droit.
M. le président. L’amendement n° 24, présenté par M. Mouiller, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) À l’article L. 3131-10, après les mots : « professionnels de santé » sont insérés les mots : « y compris bénévoles » ;
La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Dans le contexte actuel, le bénévolat tiendra une place essentielle pour contribuer au renforcement des ressources médicales des établissements publics de santé.
Or la définition des catégories de praticiens composant le personnel médical des établissements publics de santé a un caractère limitatif et ne mentionne pas la possibilité d’un exercice à titre bénévole. Cela rend incertain que ce mode d’exercice puisse être autorisé.
Le présent amendement vise donc à étendre les garanties assurées par l’établissement public de santé, dans le seul cas de l’urgence sanitaire, aux professionnels de santé y exerçant à titre bénévole.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission estime que cet amendement, outre qu’il est utile, constitue une marque de reconnaissance à l’égard de tous les bénévoles qui concourent au service public de la santé. Elle émet donc un avis très favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. L’avis est défavorable, pour une double raison.
D’abord, cet amendement n’a pas de lien direct avec l’objet du texte. Le Gouvernement proposera assez systématiquement de ne conserver que des dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire.
Ensuite, les bénévoles, dont nous avons effectivement besoin, interviennent déjà dans les hôpitaux, au titre notamment de la réserve sanitaire. Ils peuvent bénéficier d’une protection juridique en tant que collaborateurs occasionnels, par exemple, dans le cadre de l’exercice hospitalier.
Votre amendement, qui a pour objet de garantir une protection aux personnes exerçant à titre bénévole dans un établissement de santé, est donc satisfait, monsieur le sénateur. En outre, je doute fort qu’il y ait le moindre contentieux, surtout dans une situation d’état d’urgence sanitaire.
M. le président. L’amendement n° 34 rectifié, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Après les mots :
catastrophe sanitaire
insérer le mot :
exceptionnelle
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le ministre, le Gouvernement a pris le parti de créer un régime juridique spécifique, alors même qu’il aurait pu adapter le régime de l’état d’urgence que notre pays connaît, malheureusement, depuis quelques années.
La loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence prévoit déjà un certain nombre de dispositifs. Des solutions existent, la preuve en est que vous avez pris un certain nombre de décisions sur ce fondement. Vous choisissez pourtant de créer un régime d’état d’urgence sanitaire.
Curieusement, votre texte ne contient pas de définition claire de la notion de « catastrophe sanitaire ». Il conviendrait sans doute d’établir une hiérarchie entre la « menace sanitaire grave », notion qui renvoie à l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, la « catastrophe sanitaire » et la « catastrophe sanitaire exceptionnelle ». Sinon, je ne vois pas comment vous pourrez faire le départ entre les diverses situations.
Nous proposons donc d’ajouter le mot : « exceptionnelle » après les mots : « catastrophe sanitaire », car il nous semble important de définir le plus précisément possible la situation qui nous occupe, afin d’éviter tout flottement dans l’interprétation et tout risque de recours excessif à l’état d’urgence sanitaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement. S’il devait y avoir des catastrophes « exceptionnelles », cela signifie qu’il y aurait aussi des catastrophes « habituelles » ou « ordinaires ». Ces qualificatifs me paraissent incompatibles avec le mot « catastrophe »…
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il existe bien des catastrophes dites « naturelles » !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable.
Pour avoir moi-même signé les arrêtés pris au titre du fameux article L. 3131-1 du code de la santé publique, je n’ignore pas, madame la sénatrice, que l’on peut prendre des dispositions restreignant les libertés individuelles et collectives en période de crise sanitaire.
Dans sa grande sagesse, le Conseil d’État considère toutefois que cette base est insuffisante pour fonder juridiquement toutes les mesures que nous sommes susceptibles de prendre, au regard de leur nature et de leur durée d’application.
Des pays voisins ont pris des dispositions visant à restreindre les libertés aux fins de lutter efficacement contre la propagation du virus et de réduire l’impact de l’épidémie. Le terme « exceptionnelle » ne renvoie pas à une définition précise. Chacun peut considérer qu’une situation virale qui oblige des pays comme la France, l’Italie ou l’Espagne, demain le Royaume-Uni et l’Allemagne, à fermer leurs écoles et à demander à leur population de se confiner a un caractère exceptionnel, mais celui-ci n’est pas explicité en l’espèce. Nous nous sommes conformés, pour rédiger cet article, aux recommandations du Conseil d’État.
Par ailleurs, le texte prévoit que la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne pourra être autorisée que par la loi. Le dispositif juridique que nous proposons me paraît donc suffisamment sécurisé en l’état.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous tenons particulièrement à cet amendement.
Vous savez bien, monsieur le ministre, que le mot « catastrophe » est très banal dans notre littérature juridique. On intervient constamment pour obtenir la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.
Or nous sommes véritablement là en présence d’une situation exceptionnelle. Nous voulons qu’il soit bien spécifié que les mesures que nous sommes appelés à voter ne s’appliqueront que dans la situation sans aucun précédent que nous connaissons : ce sera notre fil conducteur tout au long de l’examen de cet article. Ces mesures ont vocation à cesser, à ne plus avoir d’effet dès lors que cette situation sans précédent aura pris fin.
M. le président. L’amendement n° 48, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 11, première phrase et alinéa 16
Après les mots :
pris sur le rapport du ministre chargé de la santé
insérer les mots :
, après consultation des organisations représentatives du personnel
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Nous pensons nécessaire d’instaurer un état d’urgence sanitaire, mais l’urgence ne doit pas conduire à exclure le débat. Concernant l’hôpital public, nous pensons que les organisations syndicales, qui connaissent bien la situation, doivent être consultées, au même titre que les directions. Plus nous les associerons à la concertation, mieux nous pourrons répondre à la crise.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission considère – à regret, car il est toujours utile de consulter le personnel – que, dans les circonstances actuelles, il vaut mieux ne pas adopter un tel amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 52, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Remplacer les mots :
d’un mois
par les mots :
de douze jours
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Cet amendement vise à ramener à douze jours la durée de l’état d’urgence sanitaire, pour les raisons qu’Éliane Assassi a exposées lors de son intervention en discussion générale et comme le prévoit la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. La version initiale du projet de loi retenait d’ailleurs cette durée, qui apparaît raisonnable compte tenu du caractère exorbitant du droit commun des mesures envisagées.
Évidemment, nous ne nions pas l’urgence et la nécessité de prendre des mesures d’ampleur immédiatement, mais un contrôle régulier du Parlement doit pouvoir s’exercer. La situation évoluant extrêmement vite, fixer la durée de l’état d’urgence sanitaire à douze jours paraît approprié. Il sera toujours possible de proroger l’état d’urgence au-delà en cas de nécessité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Le Gouvernement a voulu créer, à côté du régime de l’état d’urgence prévu par la loi de 1955, un nouveau régime qui permette de lui attribuer des pouvoirs exorbitants du droit commun, dont celui de restreindre un certain nombre de libertés en vue de combattre une crise sanitaire.
Son intention était bien de faire coexister de manière permanente ce nouveau régime dérogatoire avec d’autres régimes dérogatoires, comme ceux qui résultent de la loi de 1955, de la théorie des circonstances exceptionnelles ou de l’article 16 de la Constitution.
La commission des lois a adopté un dispositif de nature différente. Nous ne voulons pas inscrire dans notre droit un régime exceptionnel qui pourrait être mobilisé dans des circonstances que nous ignorons dans cinq, dix ou vingt ans, parce que tout régime dérogatoire pose des problèmes en termes de respect des libertés publiques. Par conséquent, nous avons voulu circonscrire le recours à l’état d’urgence sanitaire à la crise que nous connaissons.
Nous ne retirons aucun des moyens que le Gouvernement souhaite se voir attribuer par le Parlement, mais nous ne voulons pas que ce système survive à la fin de la crise née de la propagation du coronavirus. Il y a changement de paradigme, si j’ose dire, entre l’approche du Gouvernement, qui souhaite mettre en place un régime permanent mobilisable en toutes circonstances à l’avenir, et celle de la commission des lois du Sénat, qui souhaite circonscrire l’instauration de ce régime à la crise présente.
Nous verrons plus tard, lorsque sera venu le temps de la réflexion et du bilan de la gestion de cette crise, s’il faut créer un nouveau dispositif permanent, mais, pour l’heure, nous ne pensons pas que ce soit indispensable.
Concernant la durée, le projet initial du Gouvernement, lorsqu’il a saisi le Conseil d’État, était un décalque parfait du régime de la loi de 1955 : le Gouvernement ne pouvait prolonger l’état d’urgence sanitaire au-delà de douze jours sans un vote du Parlement. Le Conseil d’État ayant considéré que douze jours n’étaient pas suffisants pour faire face à une épidémie, la durée d’un mois a finalement été retenue dans le projet de loi.
Nos collègues du groupe CRCE considèrent qu’un mois est une durée trop longue, sans doute parce qu’ils en sont restés à l’idée d’un système permanent dérogatoire – un régime que nous ne voulons pas mettre en place. Ils préféreraient donc que le Parlement se prononce plus tôt. Mais si le Parlement se prononce aujourd’hui, on ne va pas lui demander de le faire de nouveau dans douze jours !
Mme Éliane Assassi. Pourquoi pas ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Sinon, nous allons devoir sans cesse nous prononcer de nouveau sur des questions dont nous aurons débattu douze jours auparavant !
Nous pensons qu’il faut donner au Gouvernement des moyens étendus d’agir pendant une durée limitée. La commission des lois a porté cette durée à deux mois, mais le régime juridique n’est plus celui qui avait été prévu par le Gouvernement, d’abord pour douze jours, puis pour un mois.
J’espère m’être bien fait comprendre, mais je pense que nous aurons l’occasion d’y revenir. Pour l’heure, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 52.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Le Gouvernement avait initialement retenu une durée de douze jours, avant de connaître l’avis de la commission des lois du Sénat et celui du Conseil d’État.
Le Conseil d’État a préconisé de fixer à un mois la durée de l’état d’urgence sanitaire, son éventuelle prorogation étant soumise à un vote du Parlement, afin que ce dernier puisse exercer un contrôle et déterminer si une telle prorogation est nécessaire. Le Gouvernement s’est rangé à la fois à l’avis de la commission des lois du Sénat et à celui du Conseil d’État.
J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 52, même s’il tend, paradoxalement, à revenir à la rédaction initiale du Gouvernement.
Mme Éliane Assassi. Nous, ce qui nous intéresse, c’est l’avis du Conseil d’État !
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Si je comprends bien, monsieur le rapporteur, vous souhaitez que l’état d’urgence sanitaire ne devienne pas un nouveau régime juridique permanent. Nous partageons cette préoccupation, mais cela n’empêche pas un contrôle plus régulier du Parlement. On nous dit que douze jours, c’est trop court, mais regardez ce qu’il vient de se passer en douze jours : la situation a changé plusieurs fois ! Cet après-midi encore, il a été nécessaire de convoquer une réunion exceptionnelle dans cette enceinte pour prendre des mesures nouvelles concernant les élections municipales. Douze jours, lors d’une crise de cette ampleur, cela peut être très long. Réunir le Parlement ne constitue pas un obstacle au déploiement des moyens nécessaires.
M. le président. L’amendement n° 89, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures réglementaires prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence sanitaire. À leur demande, sont portées à leur connaissance toutes informations utiles sur l’évolution de la catastrophe sanitaire ayant justifié sa mise en œuvre.
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Cet amendement vise à préciser les conditions du contrôle parlementaire s’exerçant pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire. L’Assemblée nationale et le Sénat seront informés sans délai des mesures réglementaires prises par le Gouvernement. À leur demande, seront portées à leur connaissance toutes informations utiles sur l’évolution de la catastrophe sanitaire ayant justifié la mise en œuvre de cet état d’urgence sanitaire. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. À la différence du Gouvernement, nous voulons que le contrôle parlementaire porte sur toute la loi, y compris sur les dispositions qui ne relèvent pas de l’état d’urgence sanitaire, et non sur le seul volet relatif à l’urgence sanitaire.
Il me semble, monsieur le ministre, que, compte tenu de la volonté manifestée par le Gouvernement de faire toute la transparence et l’union nationale sur tout ce qui touche à la mise en œuvre de sa politique de lutte contre cette épidémie, la dimension économique et sociale doit être incluse dans le contrôle parlementaire. C’est la raison pour laquelle nous avons émis un avis défavorable sur cet amendement, en espérant que notre position ne contrariera pas trop le Gouvernement, car nous sommes désireux d’aboutir à un accord entre les deux assemblées.
M. le président. Monsieur le ministre, l’amendement n° 89 est-il maintenu ?
Mme Éliane Assassi. Mais cela n’a pas de sens !
M. le président. L’amendement n° 17, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Remplacer les mots :
du ministre chargé de la santé
par les mots :
des ministres chargés de la santé, de l’intérieur, de la défense, de l’outre-mer, de la justice et de l’économie
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Compte tenu du fait que les dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire induisent des limites aux libertés d’aller et de venir, d’entreprendre et de réunion et qu’elles permettent de procéder à la réquisition des biens et des services, nous considérons qu’il serait souhaitable que le rapport sur lequel se prononcera le conseil des ministres soit rendu après avis des différents ministres cités dans le texte de l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 16, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 23
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les modalités de restitution des réquisitions mentionnées au premier alinéa du présent article sont définies par décret en Conseil d’État.
La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Le projet de loi prévoit la possibilité de procéder à des réquisitions pour faire face aux besoins d’hébergement, notamment pour les personnes en grande difficulté sociale, mais les modalités de restitution des réquisitions ne sont pas précisées. Or certains lieux d’hébergement qui auront été réquisitionnés pendant plusieurs mois pourront avoir subi des dégradations.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Le code de la défense règle ce problème. Nous sommes donc défavorables à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Pour les mêmes raisons que la commission, nous demandons le retrait de cet amendement. Le code de la défense prévoit déjà les conditions de restitution des biens réquisitionnés.
M. le président. Monsieur Kanner, l’amendement n° 16 est-il maintenu ?
M. Patrick Kanner. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 16 est retiré.
L’amendement n° 90, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 23
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« 8° prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits ; le Conseil national de la consommation est informé des mesures prises en ce sens ;
« 9° en tant que de besoin, prendre toute autre mesure générale nécessaire limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-20.
II. – Alinéa 24
Remplacer la référence :
7°
par la référence :
9°
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Le propre des crises sanitaires telles que celle du Covid-19 est d’être inédites et de justifier des mesures pouvant l’être également. Si la liste proposée dans le texte de la commission couvre la plupart des mesures qui sont actuellement prises, elle ne saurait pour autant être définitive ni exhaustive. À ce titre, il pourrait être utile de la compléter en prévoyant la possibilité d’adopter des mesures de contrôle des prix, à l’instar de celle qui a été prise par le biais du décret du 5 mars 2020 relatif au prix de vente du gel hydroalcoolique. Je le rappelle, cela m’a permis de plafonner le prix de vente de ce produit, qui était en train de décoller dans les pharmacies. Cette mesure a été prise sur le fondement du troisième alinéa de l’article L. 410-2 du code de commerce, sous la forme d’un décret en Conseil d’État après consultation du Conseil national de la consommation. Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, elle pourrait faire l’objet d’un décret simple.
D’autres atteintes potentielles à la liberté d’entreprendre pourraient intervenir. Je pense par exemple à des autorisations, voire des obligations, de fabriquer certains produits, comme le gel hydroalcoolique, par les entreprises dont les chaînes de production peuvent être adaptées en ce sens.
Afin de réduire la difficulté que pourrait poser l’édiction d’une liste strictement limitative, il est donc proposé de conserver la possibilité de prendre des mesures autres que celles qui y figurent. Le Gouvernement pourrait être amené à prendre dans l’urgence des mesures de régulation extraordinaires dans le champ de l’exercice du commerce, de manière à garantir l’accès à des produits absolument nécessaires d’hygiène ou de santé pour l’ensemble des Français. L’idée est de conserver suffisamment de fluidité et de souplesse pour ne pas perdre une minute. Il a tout de même fallu vingt-quatre heures pour mettre en application de façon opérationnelle la décision que j’avais prise de plafonner le prix du gel hydroalcoolique. Nous serons probablement amenés à prendre d’autres mesures de cet ordre dans les prochaines semaines. Le Gouvernement vous demande de simplifier la procédure pour que nous puissions simplifier la vie des soignants et des Français.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je reconnais la valeur des intentions du Gouvernement, mais je dissocierai l’avis que je donnerai sur le 8° de celui que j’exprimerai sur le 9° du texte de l’amendement.
Sur le 9°, l’avis est défavorable. Nous avons fait un gros effort pour établir la liste des catégories d’actes limitant drastiquement un certain nombre de libertés, comme la liberté d’aller et venir ou la liberté du commerce et de l’industrie, que le Gouvernement peut prendre. À nos yeux, il existe une exigence constitutionnelle, qui est aussi une exigence républicaine, consistant à faire en sorte que l’on ne puisse pas utiliser des pouvoirs exorbitants du droit commun sans que le législateur ait circonscrit les catégories de mesures pouvant être prises dans ce cadre. Or le 9° du texte de l’amendement vise à ajouter une nouvelle catégorie à celles que nous avons définies en faisant référence à « toute autre mesure générale nécessaire ». C’est précisément ce que nous avons voulu éviter !
Si vous nous aviez proposé une disposition d’encadrement des prix de vente telle que celle que vous avez prise pour les gels désinfectants, nous aurions pu l’accepter.
Par conséquent, monsieur le ministre, si vous voulez emporter le morceau sur le contrôle des prix, rectifiez votre amendement en supprimant le 9°. À défaut, l’avis de la commission sera défavorable.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Je me permets de persister et de signer. J’ai besoin d’un dispositif souple. Des recherches thérapeutiques d’importance majeure sont conduites dans notre pays et à l’étranger. Je n’exclus pas de devoir être amené à demander la mise en œuvre de manière très réactive d’un dispositif de licences d’office ou de plafonnement du prix de médicaments, par exemple. Je sais que certains sénateurs sont très sensibles à ce sujet.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est possible dans le cadre du dispositif du 8° !
M. Olivier Véran, ministre. Non, il ne suffit pas, je vous le garantis. Sinon, j’aurais volontiers cédé face à votre argumentaire.
Imaginons que l’efficacité d’un produit expérimenté soit démontrée, qu’il puisse être fabriqué en France, mais que les brevets appartiennent à des entreprises chinoises ou américaines, par exemple. Dans ce cas, la mécanique légistique pour déclencher la production et faire un séquestre afin d’éviter que les médicaments ne sortent du pays est extrêmement complexe. Nous allons perdre du temps.
J’y insiste, nous sommes dans une situation exceptionnelle, qui nous oblige à prendre des dispositions exceptionnelles. Nous n’avons aucune intention d’abuser d’un tel pouvoir pour sortir du champ sanitaire. Simplement, des dispositifs légistiques trop complexes nous feront perdre du temps.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le ministre, croyez-le bien, je vous aurais volontiers aidé si, au lieu de prévoir une sorte de rubrique « pleins pouvoirs », vous aviez fait l’effort de définir plus précisément quelles étaient vos intentions. Vous les avez parfaitement exprimées oralement à l’instant, mais vous ne les avez pas traduites dans votre texte.
Par conséquent, puisque vous ne voulez pas le rectifier, j’émets un avis défavorable sur la totalité de votre amendement. J’espère d’ailleurs que, comme vous l’avez fait ces quinze derniers jours, vous trouverez dans l’arsenal juridique les ressources nécessaires pour pouvoir agir vite dans les domaines où vous voulez le faire. Si vous aviez rédigé votre amendement de manière à traduire clairement dans le droit votre intention, à laquelle je souscris, l’avis aurait été favorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le ministre, je le confesse, comme beaucoup d’entre nous, je ne vous connaissais pas. En revanche, je connais un peu votre itinéraire politique, et je ne m’attendais à vous voir défendre une mesure de contrôle des prix !
M. Philippe Dallier. Ça vous rappelle des souvenirs !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. À situation exceptionnelle, propositions exceptionnelles !
Vous déclarez avoir déjà imposé un encadrement des prix des gels hydroalcooliques, qui s’envolaient, mais vous considérez que la procédure est trop complexe et qu’il faut pouvoir aller plus vite. Soit, je vous fais confiance par principe.
Mais la seconde partie du texte de l’amendement – M. le rapporteur l’a souligné avec beaucoup d’onctuosité – n’a rien à voir : il s’agit de décider que vous, ministre de la santé, allez pouvoir « prendre toute autre mesure générale nécessaire limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire ». Véran, roi du monde ! (Sourires sur les travées du groupe SOCR.)
Il y a là une curiosité. D’accord, vous êtes ministre de la santé, vous faites une belle carrière, mais vous n’êtes pas ministre de l’intérieur ni Premier ministre.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. En outre, M. le rapporteur aura l’occasion d’y revenir tout à l’heure, nous avons détaillé toute une série de mesures que vous pourriez être amené à prendre en urgence, mais en l’encadrant juridiquement. Nous sommes plusieurs à être en désaccord avec la liste qui a été fixée, mais elle a au moins le mérite d’exister. Ce n’est pas rien, ce que vous proposez !
Il me semble que si vous acceptiez de rectifier votre amendement en supprimant le 9°, comme vous l’a suggéré M. Bas, le Sénat pourrait le voter. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRCE.) En revanche, je crains que le Sénat ne rejette votre amendement si vous le maintenez en l’état.
Mme Éliane Assassi. C’est sûr !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Afin que nous puissions avancer, serait-il possible de déposer un sous-amendement visant à supprimer, au 9° de l’amendement du Gouvernement, la référence à la limitation de la liberté d’aller et venir et de la liberté de réunion ? Ne resterait alors visée que la liberté d’entreprendre, ce qui répondrait au besoin exprimé par M. le ministre.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’ai beaucoup de respect et d’amitié pour le président Bas, mais nous sommes véritablement confrontés aujourd’hui à une situation d’urgence et j’estime que les dispositions nécessaires pour y faire face doivent pouvoir être prises. Une telle mesure de contrôle des prix me paraît absolument indispensable.
M. Philippe Bas, rapporteur. Mais je suis pour !
Mme Éliane Assassi. Il est d’accord !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je comprends les réticences à l’encontre du 9°, mais je vous exhorte à ne pas bloquer la situation et à voter cet amendement, quand bien même il ne serait pas rectifié ou sous-amendé.
Comme je l’indiquais à M. le ministre avant la séance, on m’a informée qu’une pharmacie aurait vendu une boîte de 100 masques à un médecin connu pour 800 euros… C’est inadmissible !
Mme Éliane Assassi. Cela n’a rien à voir avec l’amendement !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je crois important de prendre des mesures très claires et très strictes. Je voterai donc cet amendement, même non rectifié.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, rapporteur pour avis.
M. Alain Milon, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Je soutiens totalement l’amendement de M. le ministre – je prie Philippe Bas de m’en excuser.
Chaque année, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nous évoquons des difficultés à se procurer certains types de médicaments. Les explications que M. le ministre vient d’apporter devront nous inciter à revenir, en loi de financement de la sécurité sociale, sur les autorisations et sur les moyens d’obliger certains laboratoires à fournir certains médicaments.
Dans le cadre de la crise actuelle, il est nécessaire que nous puissions disposer sans difficulté de l’ensemble de l’arsenal thérapeutique.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je suis favorable au 8°. Les explications de M. le ministre sur les difficultés d’approvisionnement en médicaments étaient parfaitement claires. Chacun sait que notre groupe est favorable à la licence d’office, notamment, pour laquelle nous avons bataillé à d’autres occasions. Nous nous réjouissons d’avoir aujourd’hui le soutien du Gouvernement sur ce point.
En revanche, monsieur le ministre, je partage totalement les critiques adressées au dispositif du 9°. Il n’a aucun rapport avec le sujet et son maintien risque d’amener le Sénat à rejeter l’ensemble de votre amendement, ce qui serait dommageable.
Certes, il est précisé que la possibilité de « prendre toute autre mesure générale nécessaire limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion » a pour « seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire », mais comment définissez-vous concrètement cette « seule finalité » ?
Le 8° suffit et, à mon avis, votre amendement pourrait être largement adopté si vous le restreigniez à cette seule disposition.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, rapporteure pour avis.
Mme Sophie Primas, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Je soutiens la position du président Bas.
J’approuve entièrement le 8°. D’ailleurs, monsieur le ministre, je vous félicite d’avoir encadré le prix des gels désinfectants. Nous comprenons bien que vous puissiez avoir besoin d’un tel outil. En revanche, le champ du dispositif du 9° est sans limite. Il vous donne toute possibilité de restreindre la liberté d’aller et venir et la liberté de réunion : cela me semble beaucoup trop large. J’observe d’ailleurs que vous n’avez pas eu besoin d’un tel dispositif pour déjà limiter ces libertés, puisque nous sommes confinés à domicile. Je n’en vois donc pas l’utilité.
Enfin, si je peux comprendre vos arguments et ceux de M. Milon sur la nécessité de pouvoir porter atteinte à la liberté d’entreprendre, ne pourrait-on pas viser le seul domaine pharmaceutique, la seule finalité étant de mettre fin à une catastrophe sanitaire ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous ne nous sommes pas concertés avec Sophie Primas, et pour cause : cet amendement n’a pu être examiné par la commission, tant il est arrivé tardivement.
Mais je souligne qu’adopter le dispositif du 9°, dont tous nos collègues n’ont peut-être pas pu prendre connaissance, reviendrait à annuler purement et simplement l’effort qui a été fait pour circonscrire le champ des mesures susceptibles d’être prises par le Gouvernement. Cette disposition permet en effet au Gouvernement de prendre, en tant que de besoin, « toute autre mesure générale nécessaire limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire ». Cela revient à dire que le ministre pourra tout faire !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est normal, il est ministre de la santé !
M. Philippe Bas, rapporteur. Rejoignant en cela M. Milon, je souscris pleinement à la volonté du Gouvernement de mettre à la disposition du public les médicaments dont il a besoin en mobilisant tous les moyens nécessaires, mais le prix à payer pour cela ne saurait être de donner les pleins pouvoirs au Gouvernement pour limiter la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, au seul motif de l’existence d’une crise sanitaire.
Cela étant, je tiens vraiment à ce que nous puissions avancer et je suis favorable au 8°, comme beaucoup des orateurs qui se sont exprimés. Aussi vais-je vous faire, monsieur le ministre, une proposition permettant de satisfaire votre intention sans ouvrir le champ démesurément, d’une manière qui me paraît radicalement inconstitutionnelle. En effet, il serait parfaitement inutile d’instituer l’état d’urgence sanitaire pour donner un fondement juridique sûr à votre action contre le coronavirus si c’est pour s’exposer à un risque constitutionnel majeur ! Je veux vous aider, mais aidez-moi à vous aider.
Je propose donc de sous-amender votre amendement en prévoyant, au 9°, que le Gouvernement pourra prendre toute mesure permettant la mise à disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de l’épidémie. Je pense que notre collègue Alain Milon sera satisfait par ce sous-amendement.
M. Vincent Capo-Canellas. Très bien !
M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 100, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, et ainsi libellé :
Alinéa 4
Après le mot :
toute
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
mesure permettant la mise à disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de l’épidémie
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Ce n’est pas une question de respect ; on vous demande un avis !
M. Olivier Véran, ministre. Que permet aujourd’hui le droit ? En signant un simple arrêté sur la base de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, j’ai pu limiter la liberté d’aller et venir et la liberté de réunion, hors du contrôle du Parlement. En l’état actuel du droit, un arrêté du ministre de la santé suffit.
M. Philippe Bas, rapporteur. Ça ne veut pas dire que c’était légal ! Sinon, vous ne nous présenteriez pas un projet de loi instaurant l’état d’urgence sanitaire !
M. Olivier Véran, ministre. C’est parfaitement légal. Nous avons simplement voulu renforcer le contrôle du Parlement au travers d’un texte législatif. Ce n’est ni la première ni la dernière fois, coronavirus ou pas, que l’on active le dispositif de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, qui permet, pour des raisons de santé publique, de manière proportionnée dans le temps et dans l’intensité, de restreindre les libertés collectives si c’est nécessaire à des fins de santé publique.
J’ai d’ailleurs signé un tel arrêté une deuxième fois, pour renforcer le confinement des populations. Je ne l’ai pas fait de gaieté de cœur. Interdire les réunions, les rassemblements religieux, fermer les écoles, interdire l’ouverture des commerces : autant de mesures qui pourraient tout à fait figurer dans la liste des dispositions qu’il vous semblait effrayant d’inscrire dans le droit, alors que l’article L. 3131-1 du code de la santé publique permet déjà de les prendre par arrêté…
Madame la sénatrice de la Gontrie, ce n’est pas le ministre de la santé qui prend la décision ; c’est le Premier ministre, sur proposition du ministre de la santé. Le décret est signé par le Premier ministre.
La finalité est exclusivement de santé publique. La mise en œuvre du dispositif ne peut absolument pas déborder sur d’autres domaines et elle doit être proportionnée. L’alinéa 24 prévoit d’ailleurs que les mesures prescrites en application du présent article doivent être « proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu » et qu’il y est « mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires ». Au demeurant, cela garantit un contrôle à la fois par le juge et par le Parlement.
Dernier argument juridique, s’il en fallait un, le Conseil d’État a jugé complètement conforme la disposition que le Gouvernement vous présente.
Je ne voudrais pas que vous vous mépreniez sur la volonté du Gouvernement. Vous l’imaginez bien, nous n’avons aucune intention cachée de limiter les libertés publiques. Nous vous demandons de nous aider à aller plus vite, en situation de crise sanitaire exceptionnelle, pour prendre des mesures qui s’imposent. Je peux les prendre par arrêté, mais je vous propose qu’elles soient prises par décret du Premier ministre.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 100.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 100.
M. Jean-Yves Leconte. Ce sous-amendement relève du même esprit que la proposition que j’avais formulée. Nous nous y rallions.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Si M. le ministre dispose déjà, avec l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, du fondement juridique lui permettant de prendre de telles mesures, il peut facilement renoncer aux dispositions du 9° de son amendement.
M. Philippe Mouiller. Mais oui !
M. Philippe Bas, rapporteur. J’affirme que le fondement juridique de ses arrêtés était insuffisant pour mettre en cause des libertés fondamentales. Seule la théorie des circonstances exceptionnelles a permis qu’ils soient mis en œuvre ; au demeurant, ils n’ont pas été attaqués. D’ailleurs, je m’en réjouis, car je souscris aux mesures qui ont été prises.
Pour autant, si vous voulez faire un travail juridique convenable, monsieur le ministre, vous devez nous indiquer quelles catégories de mesures vous entendez inscrire dans la loi. C’est ce que nous vous proposons avec ce sous-amendement.
M. le président. L’amendement n° 18, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 24, première phrase
Après le mot :
sont
insérer le mot :
strictement
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 38 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 50, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 25
Après les mots :
de la santé
insérer les mots :
, après consultation du comité de scientifiques,
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Le présent article confère des pouvoirs exceptionnels au ministre de la santé, qui pourra prescrire par voie réglementaire les mesures générales et individuelles qu’il jugera nécessaires. Étant donné le champ indéfini, donc potentiellement très large, des mesures en question, il s’agit de s’assurer que les décisions sont prises après consultation du comité de scientifiques dont le projet de loi prévoit la création.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable. Il y aura beaucoup de mesures individuelles, et le comité de scientifiques risquerait d’être engorgé et de ne plus pouvoir se prononcer sur l’essentiel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Même avis que la commission.
Il faut que l’on puisse aller vite. De même que je proposais tout à l’heure d’éviter de revenir systématiquement devant le Parlement après chaque conseil de défense visant à mettre en place des mesures de confinement en cas d’urgence sanitaire, je suis défavorable à tout ce qui pourrait entraîner un retard dans la prise de mesures. Bien entendu, cela n’empêchera pas ensuite la discussion et la concertation avec les parlementaires et les scientifiques.
Le Président de la République a souhaité instaurer un conseil scientifique indépendant, pour la première fois dans une crise sanitaire. Cette instance se réunit et travaille bien, en toute transparence. Ses avis font l’objet d’une publication totale. Il faut le souligner.
Honnêtement, pour être plongé dans la gestion de la crise sanitaire depuis quatre semaines, je ne pense pas qu’instituer une telle consultation avant toute prise de décision soit de nature à nous aider.
Mme Laurence Cohen. Je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 50 est retiré.
L’amendement n° 35 rectifié, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 25
Après les mots :
catastrophe sanitaire
insérer le mot :
exceptionnelle
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Notre amendement précédent ayant le même objet a connu un sort funeste, ce que nous n’avons pas compris. En effet, une catastrophe, ce n’est pas la même chose qu’une catastrophe exceptionnelle. Cela étant, nous retirons l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 35 rectifié est retiré.
L’amendement n° 36 rectifié, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 28
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ces dernières mesures font l’objet d’une information sans délai du procureur de la République territorialement compétent.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à préciser les conditions d’information du procureur de la République s’agissant de mesures individuelles de restriction des droits et libertés constitutionnellement garantis appliquées dans le cadre du régime spécifique d’exception sanitaire créé par le présent projet de loi.
Il nous paraît nécessaire de s’assurer de l’immédiateté de cette information indispensable au contrôle de l’action du représentant de l’État dans ce cadre juridique dérogatoire et, pour le coup, exceptionnel…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Nous travaillons vite, et il y a forcément de petits risques d’imperfection. Cela étant, si je trouve logique que l’on informe le procureur des mesures individuelles, quel est le rôle du procureur s’agissant de mesures collectives ?
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 12, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 30
Remplacer cet alinéa par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 3131-26. – En cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire, un comité de scientifiques placé auprès du Premier ministre est réuni immédiatement. Il assure l’analyse et le suivi de l’évolution de la catastrophe sanitaire exceptionnelle et émet des recommandations rendues publiques.
« Il comprend des personnalités qualifiées pour leur expertise médicale et scientifique nommées par décret, deux députés et deux sénateurs nommés par le Président de leur assemblée respective. Son président est nommé par décret du Président de la République.
« Ce comité rend public périodiquement, et au moins une fois par semaine pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, son avis sur les mesures prises en application des articles L. 3131-23 à L. 3131-25.
« Sa composition et ses missions sont définies par décret.
« Ce comité est dissous lorsque prend fin l’état d’urgence sanitaire.
La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Nous souhaitons que le Parlement puisse être représenté par deux sénateurs et deux députés au sein du comité de scientifiques chargé d’éclairer, par son expertise, les décisions du Gouvernement.
Outre que cela donnera, me semble-t-il, de la force aux avis qui seront présentés, cela permettra au Parlement de contrôler l’action de ce comité, qui joue un rôle si important aujourd’hui dans la prise de décision par le Gouvernement.
M. le président. L’amendement n° 51, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 30, avant-dernière phrase
Remplacer le mot :
périodiquement
par les mots :
de manière hebdomadaire
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Ainsi que je l’ai souligné lors de la discussion générale, dans la crise que nous traversons actuellement, il est essentiel que l’exécutif soit le plus transparent possible. À ce titre, il convient de saluer, même si l’on peut quelquefois émettre des réserves, les communications régulières du Gouvernement.
Toutefois, la cote de confiance du Gouvernement étant ce qu’elle est, il est essentiel de prévoir que le comité de scientifiques communique hebdomadairement ses préconisations – une telle mention est plus précise que celle qui figure pour l’instant dans le texte –, afin de fixer une périodicité minimale.
Selon nous, c’est à cette condition que nous pourrons enrayer à la fois les vagues de panique et les actes irresponsables que nous connaissons depuis plusieurs jours.
M. le président. L’amendement n° 15, présenté par Mme Benbassa, est ainsi libellé :
Alinéa 30, avant-dernière phrase
Remplacer le mot :
périodiquement
par les mots :
de manière bimensuelle
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Conformément à la nécessité d’information du Parlement énoncée dans ce projet de loi, l’article 5 prévoit la constitution d’un comité d’experts, chargé de remettre régulièrement un avis scientifique portant sur les mesures prises par le Gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Suivant l’argumentation déjà développée par Mme Assassi, il me semble nécessaire que ce rapport soit, non pas hebdomadaire, mais bimensuel. Il ne s’agit pas d’une divergence entre nous ; j’estime plutôt que, sur ce point, nous nous complétons.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il faut savoir ce que l’on veut faire de ce conseil scientifique. À mon sens, il s’agit d’un organe très précieux, répondant aux questions que le Gouvernement lui pose quand il est confronté à une difficulté pour prendre une décision de sécurité sanitaire, dans cette crise du coronavirus.
Mes chers collègues, ce conseil ne doit pas être alourdi par les procédures ; il doit être souple. Surtout, j’insiste sur le fait qu’il s’agit d’un conseil scientifique. Bien que vous soyez nombreux à disposer de qualifications scientifiques très élevées, mes chers collègues, il ne me semble pas que nous puissions facilement, en tant que parlementaires, justifier notre présence au sein de cette instance.
Bien sûr, il me paraît important que le conseil scientifique fasse preuve de transparence. Au reste, le Gouvernement a toujours rendu publics ses avis, et il ne pourrait sans doute pas faire autrement, étant donné l’attente très forte exprimée par l’opinion. Mais prenons garde : il ne faudrait pas rigidifier le fonctionnement de cette instance.
J’émets donc un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Il m’est arrivé de saisir le conseil scientifique dans l’heure, et j’ai toujours obtenu de lui des réactions extrêmement rapides.
J’ai proposé à ses membres des modalités de travail spécifiques, et ils ont décidé de se retrouver au minimum une fois par jour, parfois deux fois par jour lorsque c’est nécessaire – en visioconférence ou en audioconférence. Y compris les samedis et les dimanches, j’ai pu être conduit à les saisir en toute urgence.
Par définition, une crise sanitaire comme celle que nous traversons aujourd’hui supporte mal une régulation fondée sur une temporalité rigide ; or, plus nous alourdissons les procédures, plus nous perdons en souplesse, et la souplesse est une arme quand on est en guerre contre un tel virus.
J’émets donc, moi aussi, un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, je comprends ces avis défavorables, mais, en vous écoutant, j’ai récapitulé les décisions prises depuis 2015 au titre de l’état d’urgence. Avec M. Cazeneuve, ministre de l’intérieur, et ses services, nous avons organisé de manière spontanée un suivi de l’état d’urgence.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Nathalie Goulet. À ce titre, le Parlement était informé chaque fois qu’il avait besoin de l’être.
Si vous vous engagiez tout simplement à entreprendre une telle démarche, cela garantirait à la fois la souplesse du dispositif et l’effectivité, sinon du contrôle, du moins du suivi.
J’y insiste : un tel dispositif a été mis en œuvre avec Bernard Cazeneuve. On nous communiquait par exemple le nombre de perquisitions. Tout était fait de manière totalement transparente. Ainsi, la représentation nationale avait obtenu satisfaction.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Monsieur le ministre, nous, parlementaires, nous apprêtons à donner un grand nombre de pouvoirs au Gouvernement, notamment à vous. Mais, dès lors, nous sommes face à la question suivante : comment avoir accès à l’information des scientifiques ?
Aujourd’hui, quand un membre du Gouvernement nous dit : « L’avis des scientifiques nous conduit à prendre telle décision », il ne nous donne pas de véritables informations quant aux recommandations énoncées. Nous devons nous contenter des éléments filtrés par les médias ; et cette information présente ses limites, voire ses travers.
Notre demande traduit donc une exigence de transparence, que vous devez entendre. Nous devrions avoir accès à l’expertise des scientifiques par d’autres canaux que la télévision !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Compte tenu des circonstances, nous allons voter des mesures exorbitantes du droit commun en matière de libertés publiques – je pense notamment à la liberté d’entreprendre et à la liberté de réunion. Nous ne pouvons pas prendre une telle décision sans que la transparence soit pleinement assurée.
Cette crise est mondiale. Elle touche toute l’humanité. J’en suis convaincu : de la manière dont nous nous comporterons face à cette crise dépendra le monde de demain.
Or, pour dessiner le monde de demain, en garantissant la liberté et la démocratie, nous devons respecter la transparence. Il faut expliquer pourquoi, dans les circonstances présentes, il y a des choses que l’on ne peut pas faire.
Ce devoir de transparence passe aussi par les parlementaires. Il implique de revoir le rôle du comité scientifique. Je le répète, c’est de cette transparence que dépendra le monde d’après !
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Monsieur le ministre, vous nous dites que vous faites confiance au comité scientifique – vous avez sûrement raison –, en précisant qu’il s’agit d’un outil d’une grande souplesse pour favoriser les bonnes prises de décision de la part de l’exécutif.
Toutefois, je veux vous rappeler quelques faits. Jeudi 12 mars dernier, ce comité scientifique nous explique que 47 millions de Français peuvent se déplacer sans aucun problème le 15 mars. Dans sa déclaration du 14 mars au soir, le Premier ministre confirme cet avis, tout en annonçant la fermeture des restaurants et des cafés… Nous allons donc voter. Puis, le 16 mars, le même comité scientifique propose le confinement.
Il y a sûrement beaucoup de cohérence dans tout cela… Il faudra un jour l’expliquer aux Français ! À mon sens, le fait que des parlementaires soient associés à ce travail sera une garantie de transparence.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, je vous avoue que vos propos m’inquiètent un peu.
Depuis tout à l’heure, on nous dit en substance que le Parlement n’a pas à être informé. Le délai de douze jours après la déclaration de l’état d’urgence sanitaire n’existe plus – il est porté à un mois. À présent, vous refusez la présence de parlementaires au sein d’un comité de suivi. On peut légitimement se poser cette question : à quoi sert le Parlement aujourd’hui ?
Nous sommes la représentation nationale et nous sommes, nous, Sénat, la chambre des collectivités territoriales. Or, je le rappelle, ce sont les élus locaux qui sont, le plus souvent, confrontés directement à cette crise sanitaire.
Bien entendu, il ne s’agit pas de freiner les travaux du comité scientifique, mais le Parlement aurait toute sa place dans cette instance. On ne peut pas renoncer à la possibilité de donner notre avis et d’exposer notre point de vue, même si nous faisons confiance au comité scientifique. Il ne s’agit en aucun cas de mettre en cause sa compétence, mais nous existons. Aussi, existons vraiment !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre, de toute évidence, nous avons du mal à trouver le bon ajustement pour le comité scientifique : ce comité ad hoc est créé par le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, mais d’une certaine manière il existe déjà. En effet, je n’imagine pas que les décisions prises par les pouvoirs publics, qu’il s’agisse de la direction générale de la santé, de vous-même ou de votre prédécesseur, aient jamais été retenues sans que l’avis des scientifiques ait été préalablement recueilli.
En outre – c’est précisément pourquoi il s’agit d’un comité ad hoc –, selon la nature de la crise sanitaire, l’on ne fait pas appel aux mêmes scientifiques.
En fait, l’hésitation qui se manifeste en cet instant est palpable depuis plusieurs jours. Pour ma part, j’ai été étonnée d’entendre le Président de la République déclarer, jeudi dernier : « Le comité scientifique m’a recommandé de maintenir les élections municipales », puis annoncer : « Le comité scientifique m’a recommandé de ne pas maintenir le second tour des élections municipales ».
Là n’est pas le rôle de cette instance ! Le comité scientifique informe quant à la nature du virus, à l’expansion de la pandémie, à la progression du nombre de décès, à la manière dont on avance pour traiter l’épidémie. Mais, maintenir ou non les municipales, c’est une décision purement politique : c’est la responsabilité du Gouvernement, c’est presque une décision d’ordre public.
Soyons vigilants : au fil des jours, le comité scientifique apparaît comme un paravent, voire comme un ministre bis. Mais je ne voudrais pas interrompre la conversation entre M. le ministre, qui, au demeurant, tourne le dos à M. le président, et M. le président du groupe La République En Marche…
Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas si grave, monsieur le ministre : si vous ne m’écoutez pas, peut-être m’entendez-vous néanmoins !
Quelle que soit la manière dont le présent texte organisera ce comité, vous ne pourrez pas continuer à faire peser sur cette instance les décisions politiques que vous prenez. Confirmer ou non les élections, instaurer ou non un couvre-feu, ce sont des décisions purement politiques, relevant de l’ordre public. Les scientifiques vous conseillent le confinement ; à vous de prendre les décisions politiques pour l’organiser !
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Premièrement, je tiens à réagir aux propos de M. Kanner.
Il est exact que, le 12 mars dernier, le comité scientifique a conseillé de maintenir le premier tour des élections municipales. Toutefois, les scientifiques ayant déclaré que le scrutin ne présentait pas de dangerosité, je me demande comment des parlementaires siégeant éventuellement au sein du comité auraient pu aller contre leur avis. Je ne suis donc pas sûr que le Gouvernement aurait pris, en définitive, une décision différente.
Deuxièmement – monsieur le ministre, je vous donne ce conseil en vue des futures crises, que je ne souhaite bien sûr pas, mais qui risquent de survenir –, il me semblerait plus utile que le comité scientifique comprenne des gens de terrain : des praticiens hospitaliers – comme vous, par exemple –, des médecins généralistes, des infirmiers, des personnes qui sont au contact direct de la crise et qui, elles, la voient évoluer jour après jour, alors que les scientifiques sont souvent plongés dans leurs études.
Rejoignant l’avis de la commission des lois et du Gouvernement sur ce sujet, je ne voterai pas ces amendements. Mais je souhaite que, à l’avenir, les acteurs de terrain soient eux aussi associés au comité scientifique.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Madame Assassi, j’ai le plus grand respect pour le Parlement et les parlementaires. Je suis au Sénat depuis quatorze heures trente ; aussi, depuis plus de huit heures, je ne me suis pas rendu au sein de la cellule de crise sanitaire, je n’ai pas vu mes équipes et je n’ai pas rencontré le directeur général de la santé.
Je suis parmi vous, dans l’hémicycle de la Haute Assemblée. J’ai passé cette journée avec vous,… (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Mme Éliane Assassi. C’est normal !
M. Olivier Véran, ministre. … ce qui est tout à fait normal, en effet : il y va du fondement de la démocratie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est votre travail !
M. Olivier Véran, ministre. Certes, mais c’est aussi mon travail que d’être avec mes équipes, en cellule de crise sanitaire, quand la contagion gagne du terrain. Les hôpitaux ont aussi besoin de leur ministre… Mais au cas où un doute subsisterait quant au respect que j’éprouve pour le Sénat, je le répète : je suis avec vous depuis quatorze heures trente.
Monsieur Milon, le conseil scientifique comprend déjà des médecins de terrain, notamment un médecin généraliste, le docteur Pierre-Louis Druais, des praticiens venant de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) ou encore d’hôpitaux de province. Tels sont les profils retenus : à la fois médecins de terrain et chercheurs spécialisés dans des problèmes très pratiques. Siègent également, au sein du comité, un sociologue et une anthropologue spécialiste des réseaux sociaux.
Nous avons souhaité disposer d’un groupe de personnes homogène dans sa manière de fonctionner, mais hétérogène dans ses modes de penser et certainement pas politisé. Personne n’a émis de doute à cet égard, mais je tiens à rassurer tout le monde : nous n’avons pas regardé le pedigree politique des uns et des autres.
Madame Rossignol, vous avez raison de le dire : ce n’est pas le conseil scientifique qui décide. D’ailleurs, personne n’a prétendu que c’était le cas. (Mme Laurence Rossignol manifeste son scepticisme.) Non ! Je vous mets au défi de trouver une seule intervention du Président de la République, du Premier ministre ou de moi-même laissant entendre que le conseil scientifique a pris une décision. Je dis exactement l’inverse.
J’ai précisément abordé cette question avec le professeur Jean-François Delfraissy, qui est par ailleurs président du Comité consultatif national d’éthique. Il est donc habitué à éclairer les pouvoirs publics à l’heure où ils prennent des décisions qui engagent la société tout entière – je pense notamment aux questions de bioéthique. Ce n’est pas en cette qualité qu’il siège au conseil scientifique ; mais je vous signale que ce mécanisme existe déjà, qu’il a déjà été introduit dans le droit.
J’y insiste, nous voulons que ce conseil scientifique soit réactif. Au sujet des élections municipales, je lui ai relayé la question que les Français nous posaient.
Jeudi dernier, j’ai demandé à ses membres : d’après vous, scientifiquement, le premier tour doit-il avoir lieu ? Ils pourront vous répéter ce que je leur ai dit : « N’internalisez certainement pas la contrainte politique. Tel n’est pas votre rôle, vous n’êtes pas à notre place. D’un point de vue scientifique, épidémiologique, sociologique, médical, le fait d’aller voter présente-t-il ou non un surrisque, étant donné la situation et les mesures de confinement partiel proposées ? » Leur réponse a été non.
Samedi dernier, je leur ai de nouveau posé la question, après l’intervention du Président de la République, considérant que la situation épidémiologique avait pu évoluer. Je leur ai répété : « Oubliez que les élections ont lieu demain, ce n’est pas votre problème. Vous êtes là pour nous dire, comme médecins, comme scientifiques : oui ou non, doit-on reporter le scrutin ? Si votre réponse est affirmative, nous en tiendrons forcément compte. Cela ne signifie pas que c’est vous qui décidez ; mais, si vous avez des arguments en faveur d’un report, il est important de nous les donner maintenant. » Leur réponse a été non.
Monsieur Laurent, tout ce travail est transparent. Vous nous dites que vous êtes contraint de vous informer par la presse. Les membres du conseil scientifique se sont engagés en signant une déclaration préalable d’intérêt.
En revanche, ils n’ont pas signé de clause les empêchant de communiquer. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux se rendent régulièrement sur les plateaux de télévision et dans les studios radiophoniques. C’était le cas hier, c’est encore le cas aujourd’hui. Enfin, je leur ai demandé de dresser systématiquement des comptes rendus écrits et exhaustifs de l’ensemble de leurs avis. Ces documents sont publiés ; ils sont totalement publics.
Vous pouvez chercher dans les annales : c’est la première fois que nous fonctionnons ainsi, de manière progressive et en toute transparence. Nous procédons ainsi depuis le premier jour, et nous continuerons jusqu’au dernier jour de la crise.
La dernière étape de la transparence consiste à dire : ce comité fonctionne bien, nous en avons besoin, mais nous voulons aussi que le Parlement dispose d’un droit de regard à son sujet. C’est précisément pourquoi nous proposons d’introduire ces dispositions dans le droit !
M. le président. L’amendement n° 49, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 33
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« À compter de la promulgation de la loi n° … du … d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, il est instauré un comité national de suivi de l’état d’urgence sanitaire, composé du Premier ministre, des ministres compétents, du directeur général de la santé, de deux représentants du comité de scientifiques, d’un représentant par formation politique représentée au Parlement et d’un représentant par association nationale d’élus locaux. » ;
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Compte tenu de la discussion que nous venons d’avoir, cet amendement est défendu, monsieur le président. Je tiens simplement à soutenir les propos de Mme Goulet.
En 2015, lorsque l’état d’urgence a été déclaré, le ministre de l’intérieur a pris la précaution de réunir un comité de suivi. De mémoire, ces réunions hebdomadaires se sont relativement bien passées et nous avons pu en tirer des éléments intéressants, même si la situation était différente. Le gouvernement d’alors – Dieu sait ce que j’en pense par ailleurs ! – avait créé les conditions pour que le Parlement soit tout de même associé, dans les grandes lignes, aux décisions prises à la suite des attentats.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 63 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 36
Après les mots :
des articles
insérer la référence :
L. 3131-1,
II. – Après l’alinéa 36
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les agents mentionnés aux articles L. 511-1, L. 521-1, L. 531-1 et L. 532-1 du code de la sécurité intérieure peuvent constater par procès-verbaux les violations des interdictions ou obligations mentionnées à l’alinéa précédent lorsqu’elles sont commises sur le territoire communal, sur le territoire de la commune de Paris ou sur le territoire pour lesquels ils sont assermentés et qu’elles ne nécessitent pas de leur part d’actes d’enquête.
III. – Alinéa 37
Après les mots :
des articles
insérer la référence :
L. 3131-1,
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Il s’agit d’étendre le pouvoir de contravention, en cas d’infraction aux limitations de sortie, aux polices municipales et aux agents de la ville de Paris. Ainsi, l’action engagée sera pleinement efficace.
Au cours des vingt-quatre premières heures d’application du confinement généralisé, près de 4 000 contraventions ont déjà été dressées en France.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Favorable !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le ministre, cet amendement est savoureux !
Nous avons récemment débattu dans cet hémicycle de la police municipale. À l’époque, vous étiez député et vous en aviez vous-même débattu à l’Assemblée nationale.
Malgré toutes nos tentatives, nous n’avons pas pu convaincre le Gouvernement que Paris avait besoin d’une police municipale, comparable à celles dont disposent les autres collectivités territoriales et dotée des mêmes pouvoirs. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Il n’y a pas longtemps que vous avez changé d’avis !
M. Antoine Lefèvre. C’est une conversion récente !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cher monsieur Dallier, si vous le souhaitez, nous pouvons rouvrir ce débat.
Vous le savez, d’après un rapport de la Cour des comptes, 2,5 % du temps utile des fonctionnaires de police à Paris est consacré au terrain. Or, depuis les derniers attentats, notamment au Bataclan, les agents de police nationale n’ont, de fait, plus le temps de se consacrer à une série d’interventions que l’on peut qualifier de moins graves, mais qui sont tout aussi importantes pour le bien-être de nos concitoyens.
La parenthèse étant fermée, cet amendement vise à doter les agents de la ville de Paris des pouvoirs de police municipale qui nous ont été refusés il y a quelques semaines. Je me dois de le souligner !
Monsieur le ministre, je souhaite obtenir un certain nombre d’éclaircissements sur ce sujet. Qu’il s’agisse de l’autorité hiérarchique, de la formation ou encore des pouvoirs donnés à ces agents, aucune précision n’est apportée. Or ce sont autant de sujets que l’on déclarait, il y a quelques semaines, si difficiles qu’ils ne pouvaient être traités… (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
La période est particulière ; ces pouvoirs sont nécessaires ; il faut dresser des contraventions ; mais – vous en conviendrez – l’intervention de ces personnels reste entourée d’un grand flou juridique. Je souhaite que le Gouvernement apporte un minimum de précisions.
J’indique enfin que la ville de Paris n’a seulement pas été consultée avant le dépôt de cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 63 rectifié.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il n’y a pas de réponse du Gouvernement ?…
M. le président. L’amendement n° 4 a été déclaré irrecevable. (Exclamations sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Je mets aux voix l’article 5, modifié.
(L’article 5 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 5
M. le président. L’amendement n° 86 rectifié bis n’est pas soutenu.
L’amendement n° 64, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnances, dans un délai de deux mois à compter de la publication de la présente loi, les mesures d’adaptation destinées à adapter le dispositif de l’état d’urgence sanitaire dans les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, dans le respect des compétences de ces collectivités.
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Il s’agit d’adapter diverses dispositions aux territoires de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna et de la Nouvelle-Calédonie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Favorable !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 5.
Article 5 bis (nouveau)
Par dérogation aux dispositions de l’article L. 3131-21 du code de la santé publique, l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.
Un décret en Conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur.
La prorogation de l’état d’urgence au-delà de la durée prévue au premier alinéa ne peut être autorisée que par la loi.
M. le président. L’amendement n° 53, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Nous sommes toujours opposés à la mesure proposée par la commission des lois, à savoir étendre à deux mois la durée de l’état d’urgence.
Toutefois, à ce sujet, M. Bas nous a déjà répondu avec beaucoup de pédagogie. Aussi, je considère cet amendement de suppression comme défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Pour les raisons déjà exposées, j’émets un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 33, présenté par MM. Kanner et Sueur, Mme de la Gontrie, M. Leconte, Mme Artigalas, MM. Carcenac et Éblé, Mme Féret, MM. Jomier et Montaugé, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, MM. Temal, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
de deux mois
par les mots :
d’un mois
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, les dispositions de cet amendement sont, pour nous, parmi les plus importantes. Certes, comme il l’a déjà dit et répété en commission, M. Bas nous répondra qu’il suit une « logique différente » et que, en fait, il n’y a pas de problème : l’ensemble des dispositions du présent texte s’étalerait dans le temps, en quelque sorte naturellement.
Pour notre part, nous sommes extrêmement attachés aux pouvoirs du Parlement, et je pense que Philippe Bas l’est aussi. Or, avec la collection d’ordonnances qui s’annoncent et avec nombre d’articles de ce projet de loi, nous donnons de tels pouvoirs au Gouvernement que le Parlement doit être en mesure d’exercer sa mission de contrôle.
Monsieur le ministre, le contrôle parlementaire nous paraît absolument indispensable. Il semble même absolument indispensable au Gouvernement. En effet, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, dans le projet de loi initial, il était question de douze jours.
Ce délai était sans doute excessivement court. Dans sa sagesse, le Conseil d’État a préconisé un mois. Que, au bout d’un mois, l’on puisse faire le point sur les dispositions mises en œuvre de manière totalement dérogatoire et absolument exceptionnelle, c’est selon nous le minimum, eu égard aux droits du Parlement.
Monsieur Bas, le texte de la commission fait état d’un délai de deux mois sans contrôle du Parlement, sans aucun droit de regard des assemblées ; ce délai peut même être porté à trois mois !
Mes chers collègues, Patrick Kanner a rappelé que, du jour au lendemain, la situation pouvait changer du tout au tout. Cette après-midi, à quinze heures, nombre d’entre nous n’imaginaient même pas que, dans 30 000 communes, on lancerait un appel national à ne pas appliquer la loi. Cette dernière, telle qu’elle est aujourd’hui rédigée, impose d’y élire les maires et les adjoints. Voyez comme les choses vont vite !
Nous aurons l’occasion d’en parler, et nous savons qu’il faut faire preuve de responsabilité. Mais, dans un tel contexte, où tout change tellement vite, où les mesures prises sont d’une telle importance et d’une telle gravité, nous n’abdiquerons jamais : nous défendrons ce qui constitue, selon nous, le socle des droits du Parlement, en suivant les préconisations du Conseil d’État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Mes chers collègues, une nouvelle fois, je me dois d’apporter quelques explications.
On se réfère toujours à l’état d’urgence, tel qu’il est défini par la loi de 1955, qui a été utilisé pour lutter contre le terrorisme. Mais nous ne sommes pas dans ce cadre !
En vertu de la loi de 1955, le Gouvernement décrète l’état d’urgence ; et, s’il veut continuer à bénéficier des pouvoirs prévus dans ce cadre au-delà de douze jours, il doit obtenir un vote du Parlement. Quand nous avons eu à le faire, nous avons voté la prorogation de l’état d’urgence pour six mois, et il a fallu renouveler ce vote plusieurs fois. Le Parlement s’est d’ailleurs à chaque fois prononcé en faveur de la reconduction de l’état d’urgence.
Le système que nous proposons n’est pas calqué sur la loi de 1955. La procédure est différente : aujourd’hui et demain, les deux assemblées votent un projet de loi. Ce texte ouvre directement la mise en œuvre des pouvoirs d’urgence sanitaire, que le Gouvernement exerce pendant deux mois. S’il veut les reconduire passé ce délai, il revient devant le Parlement, afin d’y être autorisé.
Vous le voyez, ce délai est déjà beaucoup plus court que celui dont nous avons l’habitude pour l’état d’urgence, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Si l’épidémie s’arrête après que l’état d’urgence sanitaire a produit tous ses effets et si, malheureusement, elle repart dans six mois, le Gouvernement devra prendre un décret. C’est à cet égard que la mécanique traditionnelle de l’état d’urgence, défini par la loi de 1955, nous a inspirés. Par ce décret, le Gouvernement remettra en vigueur l’état d’urgence et, au bout d’un mois, il devra revenir devant le Parlement pour que ses pouvoirs soient prolongés.
Enfin, cette procédure ne saurait durer pour la vie : les dispositions encadrant la mécanique élaborée prendront fin dans un an.
J’espère avoir détaillé clairement ce dispositif technique. Nous avons tenu à ce que ce système ne soit pas durablement gravé dans le marbre de la loi. Il disparaîtra dans un an. Il pourra cesser de s’appliquer dès le mois de mai prochain ; si l’épidémie repart en novembre, par exemple, un décret sera pris et, passé un mois, la loi pourra consolider la seconde phase de l’état d’urgence qui aurait été jugée nécessaire.
Au fond, nous sommes pleins d’espoir. Nous pensons que, dans un an, nous aurons définitivement surmonté cette épidémie ; et, si tel n’est pas le cas, le Gouvernement pourra nous demander de rétablir les pouvoirs qu’il sollicite aujourd’hui.
En parallèle, nous sommes très prudents. Nous ne voulons pas que les régimes d’exception s’incrustent dans notre législation ad vitam æternam.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Certaines des discussions qui viennent d’avoir lieu ne me semblent pas prendre la bonne mesure de la coopération entre le Gouvernement et le Parlement en période de crise.
Cette coopération peut s’effectuer sous la forme d’échanges réguliers, volontaires, comme cela a déjà commencé à plusieurs reprises avec les présidents de groupe et les représentants des formations politiques ; je ne crois pas qu’il soit judicieux de l’encadrer par des procédures obligatoires.
En revanche, monsieur le ministre, il serait opportun que, à l’issue de ce débat ou demain, le Gouvernement nous annonce ses intentions en matière de concertation régulière avec le Parlement.
Il n’est pas indispensable que cela passe par les présidents de groupe. En revanche, comme plusieurs collègues l’ont souligné, la formule d’un comité de suivi, souple, avec chacune des assemblées serait, me semble-t-il, la meilleure façon de traiter ce problème.
M. François Patriat. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l’article 5 bis.
(L’article 5 bis est adopté.)
Article 6
Après le mot : « loi », la fin de l’article L. 3821-11 du code de la santé publique est ainsi rédigée : « n° 2020-… du… mars 2020 relative… ». – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 6
M. le président. L’amendement n° 27, présenté par M. Mouiller, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article L. 6141-7-3 du code de la santé publique, après les mots : « activités de recherche », sont insérés les mots : « ou de soins ».
La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Les fondations hospitalières sont actuellement limitées dans leur action, puisque leur objet se borne à concourir à la recherche.
Il est nécessaire, durant la crise sanitaire actuelle, de leur permettre de soutenir les établissements publics de santé, notamment via le financement de matériels et d’actions de soins, et ainsi de concourir à la lutte contre l’épidémie du virus Covid-19, dans un contexte où de nombreux acteurs se manifestent pour apporter leur contribution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 6.
Article 6 bis (nouveau)
Le chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique est applicable jusqu’au 1er avril 2021.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, nous terminons le bloc consacré à l’état d’urgence sanitaire, et je ne vous laisserai pas partir sans que vous ayez répondu, comme vous l’a demandé M. le Premier ministre,…
M. Bruno Retailleau. … aux questions que je lui avais posées sur les masques.
J’ai organisé voilà deux heures une visioconférence avec tous les sénateurs de mon groupe qui n’ont pu siéger ici. Et les retours sont catastrophiques !
Dans l’Oise, monsieur le ministre, et ce n’est pas Laurence Rossignol qui me contredira,…
Mme Laurence Rossignol. Malheureusement !
M. Bruno Retailleau. … les masques n’arrivent pas !
Pourtant, l’Oise est un cluster qui a été déclaré comme tel depuis longtemps. J’ai assisté auprès du Premier ministre, avec vous, monsieur le ministre, à deux réunions. En outre, j’ai entendu à plusieurs reprises sur les chaînes télévisées le Président de la République et le Premier ministre. Or, en dépit des déclarations, les masques n’arrivent pas. C’est désespérant !
De deux choses l’une, monsieur le ministre.
Soit vous nous donnez les vrais chiffres, département par département, et vous nous dites : « Non possumus, l’État est dépassé ». Dans ce cas, les collectivités, régions et départements, géreront la situation. Pour ma part, j’ai contacté ce soir deux entreprises, dont l’une, qui dispose d’une unité en Chine, peut produire 400 000 masques par jour, tandis que l’autre est également en mesure d’en importer. La situation ne peut plus durer !
Soit vous nous dites que vous contrôlez les choses, et vous continuez à nous jeter à la figure un certain nombre de millions, voire de dizaines de millions de masques.
M. Bruno Retailleau. Ce que je vous demande, c’est de nous répondre !
Pardonnez-moi, mais nous sommes comptables, vous comme nous, le Parlement. J’ai un esprit de responsabilité,…
M. Bruno Retailleau. … mais, très honnêtement, j’en arrive à la conclusion que ce que l’on nous dit n’est pas la vérité.
J’évoquerai, pour conclure, la chloroquine.
Les États-Unis veulent mettre la main sur les stocks de l’entreprise – française, de surcroît – Sanofi, et d’une société anglo-suédoise, que vous connaissez. Si jamais la chloroquine était la solution, j’espère que la France ne se fera pas souffler les stocks d’une entreprise française pour des produits aussi importants !
Je hausse le ton, parce que, demain, on nous le reprochera à tous, collectivement. Et l’important, monsieur le ministre, c’est de réussir le défi ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, je voudrais moi aussi attirer votre attention sur un élément très important, qui pourrait relever de l’article 7 de ce texte.
Il s’agit des Français qui sont de retour en France après avoir résidé à l’étranger et qui ne disposent pas, pendant trois mois, de la protection universelle maladie ni d’une quelconque assurance maladie en France. Dans les circonstances actuelles, il est absolument indispensable que vous preniez cela en compte dans vos futures ordonnances.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article.
Mme Laurence Rossignol. Allez-vous quitter notre hémicycle, monsieur le ministre ? Est-ce à dire que vous ne serez pas présent lorsque nous aurons à examiner d’autres sujets de santé figurant dans le texte ?
M. le président. C’est la règle, ma chère collègue. Nous passons ensuite à d’autres chapitres.
Mme Laurence Rossignol. Certes, mais il est un sujet nouveau sur lequel j’ai déposé un amendement visant à insérer un article additionnel après l’article 7. J’aimerais vous en parler tout de suite, si monsieur le président m’y autorise.
M. le président. Dites ce que vous avez à dire, puis M. le ministre quittera l’hémicycle.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre, je voulais attirer votre attention sur le fait que, depuis deux jours, les services d’orthogénie me font part de gros problèmes dans l’accès à l’IVG, à tel point que le Collège des gynécologues et obstétriciens français a diffusé à ses membres une note sur la façon de prendre en charge les interruptions volontaires de grossesse pendant cette période.
J’ai déposé un amendement pour répondre notamment à la demande de Mme Ghada Hatem, que vous connaissez, je l’imagine : elle est gynécologue obstétricienne et médecin-chef à la Maison des femmes de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis. Si vous ne l’avez pas déjà fait, vous aurez l’occasion de la visiter comme tous les ministres.
Nous sommes confrontés à un grave problème, car les délais de l’IVG ne sont pas compatibles avec les circonstances actuelles. Nous le savons tous pour en avoir discuté plusieurs fois ici, quelque 5 000 femmes se rendent chaque année à l’étranger, car elles se trouvent « hors délai ». Tout le monde le sait, et nul ne les a jamais empêchées de le faire. Cela nous arrange même, puisque l’on ne veut pas allonger les délais de l’IVG.
Aujourd’hui, les frontières sont fermées, donc plus personne ne peut aller à l’étranger. Or en France, les services manquent de médecins et de soignants, dont certains sont malades, vous le savez. Certains hôpitaux ne réalisent plus d’IVG ou restreignent leur nombre, ce qui contraint les femmes à s’adresser à d’autres hôpitaux. Comme leurs demandes ne peuvent pas toujours être satisfaites, les médecins vous demandent d’allonger les délais de deux semaines.
Dans la mesure où vous n’avez apparemment pas vu mon amendement, j’aimerais que vous nous donniez votre avis sur cette mesure avant de nous quitter. Vous devez vous prononcer sur ce sujet, car, ne faisant pas l’objet de l’habilitation, il requiert l’intervention de la loi.
À défaut d’une mesure en ce sens, nous allons au-devant de difficultés importantes, qui s’ajouteront aux problèmes intrafamiliaux que provoquera incontestablement le confinement.
M. Patriat est probablement en train d’appuyer ma proposition en vous demandant de me suivre. (M. François Patriat ironise.)
Je vois bien que je vous ennuie, monsieur le ministre. Dans ce cas, je ferai part aux obstétriciens qui m’ont saisie du fait que, lorsque je vous en ai parlé, cela vous ennuyait et vous vouliez partir. (M. le ministre proteste.) Est-ce cela que vous voulez ? Prenez donc le temps de me répondre ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Madame Rossignol, je veux bien participer à une séance de questions au Gouvernement, mais il est vingt-trois heures… (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il est la même heure pour tous les sénateurs présents ce soir, y compris moi ! Répondez donc aux différents orateurs, monsieur le ministre.
M. Stéphane Ravier. Vous irez dire au corps médical et aux aides-soignants qu’il est vingt-trois heures ! C’est une honte !
M. Olivier Véran, ministre. Monsieur Ravier, je ne vais pas me coucher, puisque je me rends à la cellule de crise, laquelle mobilise nombre de mes collaborateurs. Venez voir par vous-même : ils dorment tous très peu depuis un mois.
M. Alain Richard. Nos collègues de l’opposition devraient essayer d’être à la hauteur !
M. Olivier Véran, ministre. Monsieur Retailleau, sur la question des masques, vous avez demandé des chiffres en réclamant aussi la transparence. Celle-ci existe depuis le début, mais je vais vous apporter des précisions.
En 2010, notre pays disposait d’un stock d’État d’un milliard de masques chirurgicaux et de 600 millions de masques FFP2, soit au total 1,6 milliard de masques – le même nombre qu’en 2009 et les années précédentes.
Lors de l’épisode de la grippe H1N1, le Haut Conseil de la santé publique a été saisi de la question.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est pas la question !
M. Olivier Véran, ministre. Il a alors été décidé, en vertu d’arguments qui, avec un peu de recul, pourraient être revisités, qu’il n’était plus nécessaire de conserver et de réalimenter des stocks d’État en masques chirurgicaux et en masques FFP2.
En 2011, il ne restait plus que 800 millions de masques chirurgicaux ; en 2012, il y en avait 680 millions – je parle de mémoire ; en 2013, il y en avait 550 millions, et ainsi de suite.
Quand je suis arrivé au ministère, et la situation était identique lorsqu’Agnès Buzyn était ministre de la santé et des solidarités (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), le stock d’État ne comptait plus que 150 millions de masques chirurgicaux, et aucun masque FFP2.
M. Bruno Retailleau. Vous pleurez sur le lait renversé…
M. Olivier Véran, ministre. On pourra revisiter cette décision, mais, je vous le dis, la première mesure que je prendrai, une fois la crise sanitaire passée, sera de réunir un conseil scientifique, afin que l’on se mette, une bonne fois pour toutes, à l’abri de ce type de situation.
Seulement, à l’époque – j’ai ressorti les dossiers de 2010 et de 2011 –, on considérait qu’il n’était pas indispensable de conserver des stocks susceptibles de se périmer avec le temps, dans la mesure où la production de masques était gigantesque, notamment en Chine, et que l’on pourrait s’alimenter le moment venu.
Toutefois, ce qui n’avait pas été anticipé à l’époque, c’est que la Chine serait frappée de plein fouet avant la France par une épidémie terrible, qui toucherait la première région industrielle productrice de masques au monde, à tel point que, durant trois mois, aucune usine ne tournerait.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est pas la question !
M. Olivier Véran, ministre. L’histoire est importante, madame la sénatrice. Je crois en tout cas avoir la liberté d’expliquer l’état de la situation et d’en indiquer les causes – mes prédécesseurs pourraient également vous en parler.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Et Mme Buzyn !
M. Olivier Véran, ministre. Nous nous retrouvons donc avec 150 millions de masques chirurgicaux et pas de masques FFP2.
Nous avons, dès le 3 mars 2020, procédé à une réquisition – nous sommes le seul pays à l’avoir imposée – de la totalité des stocks et des capacités de production. Pour ce faire, nous avons réalisé ce qu’on appelle un monitoring, c’est-à-dire l’examen de tous les besoins potentiels, de toutes les capacités de production et de tous les stocks, sur notre territoire national, à la date du 3 mars.
M. Bruno Retailleau. Mais cela n’avance pas. Mon médecin traitant n’a toujours pas de masques !
M. Olivier Véran, ministre. Je comprends votre impatience, mais ma réponse sera longue, monsieur le sénateur, car le sujet est vaste et mérite une réponse circonstanciée.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre !
M. Olivier Véran, ministre. Cette réquisition était un acte unique et fort ; la France est d’ailleurs le seul pays à l’avoir choisie. Lors de mes déplacements à Bruxelles et à Rome, j’avais demandé à mes homologues européens d’agir de la même façon, afin que l’Union européenne puisse se doter d’un monitoring européen des capacités de production, de stockage et des besoins en masques.
Considérant la situation de relative pénurie dans laquelle nous nous trouvions, j’ai saisi les sociétés savantes d’hygiène hospitalière, de santé publique, le Haut Conseil de la santé publique, Santé publique France, en leur demandant de définir une doctrine de résilience, c’est-à-dire de déterminer qui, parmi les soignants, qu’il s’agisse des médecins, des infirmières, à la ville, à l’hôpital, etc., devait utiliser tel ou tel masque.
Tout cela a été présenté aux organisations syndicales. J’ai réalisé deux premiers déstockages massifs de 15 millions de masques qui ont permis de tenir pendant environ deux semaines, deux semaines et demie.
Toutefois, on s’est rendu compte de l’importance des pertes en ligne, du vol dans les hôpitaux, comme ce fut le cas au CHU de Montpellier, où 14 000 masques ont disparu pendant la nuit, du vol dans les pharmacies. Vous avez entendu tout à l’heure le témoignage de l’une de vos collègues qui expliquait que, parfois, des masques étaient dérobés.
M. Bruno Retailleau. C’est abominable, mais cela ne peut pas tout expliquer !
M. Olivier Véran, ministre. Personne n’a dit cela ! La base de l’explication, monsieur Retailleau, est que notre pays n’était, hélas ! pas préparé, du point de vue des masques et des équipements de protection, à une crise sanitaire, et ce en raison d’une décision qui a été prise voilà neuf ans ; je vous le dis en toute transparence. (Exclamations sur des travées des groupes Les Républicains, UC, SOCR et CRCE.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Et avant le 3 mars ?
M. Olivier Véran, ministre. Quels sont les chiffres actuels ? Dorénavant, toutes les entreprises qui fabriquent des masques chirurgicaux sur le territoire français fonctionnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous avons passé un contrat d’exclusivité avec chacune d’entre elles, et, avec la réquisition, elles ne peuvent pas exporter.
Aujourd’hui, la production s’élève à 6 millions de masques chirurgicaux par semaine, et d’ici à trois semaines, elle passera à 8 millions de masques par semaine.
J’ai décidé le déstockage conformément à ce qu’a annoncé le Président la République, et les 16, 17 et 18 mars ont été livrés dans les pharmacies d’officine 12,3 millions de masques, dont 1,7 million de masques FFP2 à destination des professionnels de santé libéraux. En outre, les 18 et 19 mars, c’est-à-dire hier et aujourd’hui, ont été livrés à l’ensemble des hôpitaux du territoire français quelque 17 millions de masques chirurgicaux et de masques FFP2.
J’entrerai plus encore dans les détails : dans chaque groupement hospitalier de territoire, l’hôpital support est chargé de réunir les masques, à charge ensuite pour les différents organismes médico-sociaux, sociaux et hospitaliers de venir les chercher sur site.
La logistique a été extrêmement compliquée, vous avez raison de le souligner, nous contraignant à recourir à des prestataires. Le droit de retrait a été invoqué par un certain nombre de livreurs. De plus, il a fallu intervenir en pleine nuit pour lever des séquestres…
Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas cela, la réquisition !
M. Bruno Retailleau. Mobilisez l’armée pour la logistique !
M. Olivier Véran, ministre. Nous sommes en train de travailler avec l’armée, qui nous a d’ailleurs livré 5 millions de masques. (Exclamations sur des travées des groupes Les Républicains et SOCR.)
C’est la vérité, et notre coopération est parfaite ! Par conséquent, 12,3 millions de masques ont été déstockés et livrés dans les officines, et 17 millions de masques ont été livrés dans les hôpitaux – ce sont les chiffres. Il nous reste aujourd’hui 80 millions de masques chirurgicaux et quelques millions de masques FFP2. Nous avons aujourd’hui la charge de programmer l’utilisation de ces masques de manière à pouvoir tenir dans la durée.
Dernier paramètre, nous avons passé des commandes à tous les pays susceptibles de nous fournir des masques, quelles que soient les conditions de vente, avec pour seule exigence que les masques destinés à protéger les médecins soient normés, sécurisés.
Je ne vais pas vous mentir, je reçois vingt à trente messages par jour, y compris, parfois, de sénateurs, qui m’indiquent connaître un entrepreneur prêt à produire des masques et me demandent pourquoi nous ne lui en commandons pas. Mais nous effectuons d’abord toutes les vérifications nécessaires, au moyen d’une cellule de quinze logisticiens, concernant la proposition de chaque entreprise dont on dit qu’elle pourrait produire.
Nous sommes allés au-delà : Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, travaille avec tous les industriels des secteurs du papier et du textile, en vue de réorienter leur production vers la fabrication de masques.
Croyez-moi, monsieur le sénateur, la question des masques est prééminente ; elle me préoccupe énormément, car nous devons la protection aux soignants et aux Français.
Je vous dis les choses en toute transparence : si nous avions disposé d’un milliard de masques chirurgicaux et de 600 millions de masques FFP2 comme c’était le cas en 2010, personne ne parlerait de ce problème. Mais la situation n’est pas celle-ci, et nous devons faire avec ; c’est pour cela que nous travaillons d’arrache-pied pour trouver les capacités de production et les importations dont nous avons besoin. (Exclamations sur des travées des groupes Les Républicains et CRCE.)
M. Philippe Adnot. Vous n’avez pas pris les décisions à temps ! Vous avez failli !
M. Olivier Véran, ministre. Monsieur Retailleau, s’agissant de votre question sur le traitement par chloroquine, lorsque le professeur Didier Raoult, directeur de l’institut hospitalo-universitaire de Marseille, m’a fait part de son projet de recherche clinique, en vingt-quatre heures – je dis bien en vingt-quatre heures –, je lui ai donné, après l’avoir fait valider par les autorités compétentes, un protocole clinique lui permettant de tester le médicament.
Il s’agit en l’occurrence d’une bithérapie alliant la chloroquine à l’azithromycine, qu’il a testée chez vingt-quatre malades et dont il a publié les résultats. Cela étant, on ne peut pas se limiter à une étude portant sur aussi peu de malades et dont on ne connaît pas encore tous les paramètres pour décider d’en donner aux malades.
C’est pourquoi j’ai demandé la réalisation d’une étude multicentrique. Elle a démarré voilà déjà trois jours, notamment dans les hôpitaux parisiens, à Lille et dans d’autres territoires, sur quelques centaines de malades, et elle sera rapide. Elle comprendra des protocoles opérationnels qui ont été délivrés en moins de vingt-quatre heures, pour que l’on ne perde pas une journée.
Vous me posez la question de savoir si nous serons capables, le cas échéant, de donner les traitements aux patients. Pour le vérifier, je me suis entretenu, voilà deux jours encore, avec les industriels qui produisent les médicaments. Ceux-ci m’ont indiqué qu’ils disposaient aujourd’hui de 300 000 boîtes de médicaments et d’une capacité de production de plusieurs millions de boîtes par mois.
Par ailleurs, nous avons pris les devants, monsieur le sénateur, puisque l’exportation de ces médicaments est impossible en France depuis déjà deux semaines, par anticipation, au cas où la nouvelle serait bonne.
Je reste néanmoins extrêmement prudent, monsieur le sénateur. Si je n’en ai pas parlé jusqu’à présent, c’est parce que, tant que nous ne pouvons pas garantir la sécurité et l’évidence sanitaires de ce traitement, ainsi que son utilité pour les malades, je ne veux pas en faire la promotion.
Ce serait dangereux, sachant que, voilà un mois, les Français ont commencé à se jeter sur des boîtes de chloroquine dans les pharmacies. Or ce médicament n’est pas anodin et peut avoir des conséquences sur l’état de santé de nos concitoyens. Je serais totalement irresponsable, comme ministre de la santé, si j’en faisais aujourd’hui la promotion. Cela étant, croyez-moi, si les nouvelles sont bonnes, nous serons en mesure de soigner les malades français.
J’espère avoir répondu à vos interrogations, monsieur Retailleau.
Monsieur Leconte, vous m’avez interrogé sur les Français qui reviennent en France – à ce propos, il convient de parler non pas de rapatriement, mais de retour. Je vous propose de vous en entretenir avec Jean-Yves Le Drian, dont l’implication quotidienne est très forte sur ces sujets et qui aurait pu vous répondre lors de la séance de questions au Gouvernement s’il avait été interrogé là-dessus.
M. Jean-Yves Leconte. Je vous interrogeais sur les délais de carence !
M. Olivier Véran, ministre. Madame Rossignol, ne polémiquez pas avec moi sur la question de l’IVG compte tenu de l’intérêt que je porte aux droits des femmes et à l’accessibilité de celles-ci à l’interruption volontaire de grossesse.
Mme Laurence Rossignol. Je ne polémique pas. Je vous alerte !
M. Olivier Véran, ministre. Vous avez terminé votre question en disant que vous avertiriez les obstétriciens… Madame Rossignol, l’accès des femmes à l’IVG est un sujet qui m’intéresse profondément.
Faut-il pour autant, dans un état d’urgence sanitaire, augmenter de deux semaines le délai de l’IVG ? Honnêtement, je ne suis pas sûr que ce soit l’objet du texte et que de tels débats nous permettent d’aborder la question prééminente de l’état d’urgence sanitaire.
En revanche, je connais très bien cette formidable médecin que vous avez citée, madame Rossignol, et qui s’occupe de la Maison des femmes en Seine-Saint-Denis. Je l’accompagne depuis quelque temps, elle vous le confirmera. Il m’est donc très facile de lui en parler, pour qu’elle me fasse part de son ressenti au sujet d’éventuelles difficultés accrues pour accéder à l’IVG.
Mme Laurence Rossignol. Téléphonez-lui !
M. Olivier Véran, ministre. J’en parlerai également à Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, pour que nous réfléchissions, ensemble, à la nécessité ou non de prendre des dispositions pour en faciliter l’accès.
J’avoue que le lien entre l’épidémie et le délai d’accès à l’IVG ne me vient pas spontanément à l’esprit…
Mme Laurence Rossignol. C’est une conséquence du coronavirus !
M. Olivier Véran, ministre. Peut-être, mais le lien de causalité n’est pas évident. Toutefois, je vous promets de creuser la question et de vous apporter une réponse dans les deux jours. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, de cette réponse circonstanciée.
Je mets aux voix l’article 6 bis.
(L’article 6 bis est adopté.)
(M. Philippe Dallier remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
Article additionnel après l’article 6 bis
M. le président. L’amendement n° 45, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Après l’article 6 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé
Tout licenciement est interdit durant l’état d’urgence sanitaire.
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Nous sommes nombreux à partager la même conviction : l’urgence sanitaire ne doit pas servir de prétexte à des licenciements de salariés. Il est de la responsabilité de l’État d’assurer les entreprises de son soutien dans cette période terrible.
Le chômage partiel des salariés devra être pris en charge par l’État, mais il est nécessaire de les protéger tous temporairement, au même titre que les entreprises, pendant la crise sanitaire.
Si le confinement vient à durer, comme il semble que ce soit le cas, les demandeurs d’emploi n’auront aucun moyen de trouver un nouveau travail, et les entreprises ne pourront plus recruter. Notre économie risque bien d’être paralysée.
Nous ne pouvons laisser ni les entreprises ni les Français en général au bord de la route. Des émeutes ont déjà eu lieu dans certains magasins à cause du manque de civisme de certains de nos concitoyens. N’ajoutons pas de l’insécurité économique à l’insécurité sanitaire et physique.
Je profite de cette intervention pour défendre également mon amendement n° 46 à l’article 7.
Dans le même esprit, je demande à ce que soit inscrite dans le marbre la prolongation des droits pour les personnes au chômage, car il est impossible de retrouver un emploi dans cette période. Il est urgent de protéger ceux qui sont frappés par ce mal économique !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Cette proposition présente un inconvénient : elle est tellement générale que, si un salarié commet une faute professionnelle, il sera impossible de le licencier.
Il est opportun de se préoccuper de la situation des salariés qui pourraient être menacés par la baisse d’activité liée à la crise du Covid-19. D’ailleurs, un nombre important de dispositions en ce sens ont été annoncées et figurent dans ce texte.
Néanmoins, des mesures d’interdiction générales seraient profondément injustes pour de nombreux employeurs, dont certains sont d’ailleurs, eux aussi, en grande difficulté, s’agissant notamment des très petites entreprises. Pensons à nos artisans ou à nos entrepreneurs individuels ayant recruté un ou deux salariés qui auraient commis des fautes professionnelles et qu’ils n’auraient pas le droit de licencier.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. L’intention de l’auteur de cet amendement est d’éviter des vagues de licenciements collectifs pendant l’urgence sanitaire. Nous avons décidé de traiter ce problème par le biais d’un dispositif de chômage partiel – « activité partielle » est la terminologie juridique exacte – extrêmement renforcé.
Nous aurons l’occasion de reparler de cet instrument, qui est, selon nous, la meilleure solution. En effet, comme l’a dit M. le rapporteur, l’interdiction générale des licenciements individuels ou collectifs, et quelle qu’en soit la cause, serait plutôt contre-productive.
Par conséquent, le Gouvernement émet également un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 45.
(L’amendement n’est pas adopté.)
TITRE III
MESURES D’URGENCE ÉCONOMIQUE ET D’ADAPTATION À LA LUTTE CONTRE L’ÉPIDÉMIE DE COVID 19
Article 7 A (nouveau)
I. – Par dérogation aux troisième et quatrième alinéas de l’article L. 1612-1 du code général des collectivités territoriales, jusqu’à l’adoption du budget d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public mentionné à l’article L. 1612-20 du même code pour l’exercice 2020 ou jusqu’au 31 juillet 2020, l’exécutif peut engager, liquider et mandater les dépenses d’investissement, dans la limite des sept douzièmes des crédits ouverts au budget de l’exercice précédent, non compris les crédits afférents au remboursement de la dette.
Toutefois, dans les communes mentionnées aux 1° et 2° du III de l’article 1er de la présente loi et leurs établissements publics, la limite mentionnée au premier alinéa est ramenée au tiers des crédits ouverts au budget de l’exercice précédent, non compris les crédits afférents au remboursement de la dette. Il en va de même dans les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ayant parmi leurs membres au moins une telle commune ainsi que dans leurs établissements publics.
II. – Pour l’application à l’exercice 2020 de l’article L. 1612-2 du code général des collectivités territoriales, la date à compter de laquelle le représentant de l’État dans le département saisit la chambre régionale des comptes à défaut d’adoption du budget est fixée au 31 juillet 2020.
III. – Par dérogation à l’article L. 1612-12 du même code, le vote de l’organe délibérant arrêtant les comptes de la collectivité territoriale ou de l’établissement public au titre de l’exercice 2019 doit intervenir au plus tard le 31 juillet 2020.
M. le président. L’amendement n° 97, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de conséquence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 7 A, modifié.
(L’article 7 A est adopté.)
Article 7 B (nouveau)
Pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire prévu à l’article L. 3131-20 du code de la santé publique et dans les zones géographiques où il reçoit application, par dérogation aux articles L. 2121-17, L. 2121-20, L. 3121-14, L. 3121-16, L. 4132-13, L. 4132-15, L. 4422-7, L. 7122-14, L. 7122-16, L. 7123-11, L. 7222-15 et L. 7222-17 du code général des collectivités territoriales, les organes délibérants des collectivités territoriales et des établissements publics qui en relèvent ne délibèrent valablement que lorsque le tiers de leurs membres en exercice est présent. Un membre de ces organes peut être porteur de deux pouvoirs. – (Adopté.)
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Bas, au nom de la commission des lois, d’une motion n° 92.
Cette motion est ainsi rédigée :
Constatant que les amendements nos 23, 43, 54 et 58 visent à étendre le champ d’une habilitation à légiférer par ordonnances et qu’ils sont contraires au premier alinéa de l’article 38 de la Constitution, le Sénat les déclare irrecevables en application de l’article 44 bis, alinéa 10, de son règlement.
En application du dernier alinéa de l’article 44 bis, alinéa 10, du règlement, ont seuls droit à la parole l’auteur de la demande d’irrecevabilité, un orateur d’opinion contraire, la commission saisie au fond – chacun disposant de deux minutes et demie –, ainsi que le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est une originalité de la procédure législative : quand le Gouvernement demande à être habilité à légiférer par ordonnance, nous nous dessaisissons temporairement d’une partie de nos prérogatives constitutionnelles.
Toutefois, nous n’avons pas le droit de nous dessaisir nous-mêmes par des amendements qui conféreraient au Gouvernement le pouvoir de prendre des mesures législatives par ordonnance. Il s’agit donc d’une irrecevabilité d’une nature particulière.
Par conséquent, à ceux de nos collègues qui ont déposé des amendements visant à vous donner, madame la ministre, plus de pouvoir législatif, je suis obligé d’opposer une motion d’irrecevabilité. Celle-ci nous permet d’ailleurs de traiter simultanément tous les amendements qui tendraient à conférer au Gouvernement de nouvelles habilitations ponctuelles à légiférer par ordonnance.
M. Fabien Gay. Nous sommes surpris. Nous avons déposé deux des amendements visés par la motion : le premier a pour objet de restreindre le licenciement au motif de la crise sanitaire ; le second tend à prévoir au minimum la validation du licenciement par l’inspection du travail.
Nous ne comprenons pas pourquoi l’amendement visant à insérer un article additionnel après l’article 6 bis et identique au nôtre n’a pas été déclaré irrecevable, tandis que notre amendement à l’article 7 est frappé par cette irrecevabilité.
Je le redis, nous allons traverser une grave crise économique.
L’Organisation internationale du travail vient aujourd’hui de publier un rapport selon lequel, au niveau mondial, 25 millions d’emplois pourraient être touchés, soit 3 millions de plus qu’à l’issue de la crise de 2008. Demain, l’État a prévu 300 milliards d’euros de garanties en faveur des entreprises. Or à côté de la direction, des actionnaires et des machines-outils, il ne faut pas oublier les salariés, qui ne peuvent pas être les grands perdants de la crise sanitaire.
La protection du droit des salariés implique qu’ils ne puissent faire l’objet d’un licenciement économique en raison de la crise sanitaire, a fortiori avec la mobilisation de ces 300 milliards d’euros de garanties, qui justifiait au minimum l’organisation d’un débat dans cet hémicycle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Mon cher collègue, je serai désolé que vous pensiez qu’il y ait eu deux poids deux mesures.
M. Fabien Gay. Je n’ai pas dit cela !
M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous précise que l’amendement précédent, contrairement au vôtre, n’avait pas pour objet une habilitation législative à prendre une ordonnance en vue d’interdire les licenciements ; il visait à prendre une mesure d’interdiction législative.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 92, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, les amendements nos 23, 43, 54 et 58 sont déclarés irrecevables.
Article 7
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi :
1° Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et ses incidences sur l’emploi, en prenant toute mesure :
a) D’aide directe ou indirecte aux entreprises dont la viabilité est mise en cause, notamment par la mise en place de mesures de soutien à la trésorerie de ces entreprises ainsi que d’un fonds dont le financement sera partagé avec les régions ;
b) En matière de droit du travail, de droit de la sécurité sociale et de droit de la fonction publique ayant pour objet :
– De limiter les ruptures des contrats de travail et atténuer les effets de la baisse d’activité, en facilitant et en renforçant le recours à l’activité partielle, notamment en l’étendant à de nouvelles catégories de bénéficiaires, en réduisant, pour les salariés, le reste à charge pour l’employeur et, pour les indépendants, la perte de revenus, en adaptant ses modalités de mise en œuvre, en favorisant une meilleure articulation avec la formation professionnelle et une meilleure prise en compte des salariés à temps partiel ;
– D’adapter les conditions et modalités d’attribution de l’indemnité complémentaire prévue à l’article L. 1226-1 du code du travail ;
– De modifier les conditions d’acquisition de congés payés et permettre à tout employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, des jours de réduction du temps de travail et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d’utilisation définis au livre 1er de la troisième partie du code du travail, les conventions et accords collectifs ainsi que par le statut général de la fonction publique ;
– De permettre aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles du code du travail et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ;
– De modifier, à titre exceptionnel, les dates limites et les modalités de versement des sommes versées au titre de l’intéressement en application de l’article L. 3314-9 du code du travail, et au titre de la participation en application de l’article L. 3324-12 du même code ;
– D’adapter l’organisation de l’élection mentionnée à l’article L. 2122-10-1 du code du travail, en modifiant si nécessaire la définition du corps électoral, et, en conséquence, proroger, à titre exceptionnel, la durée des mandats des conseillers prud’hommes et des membres des commissions paritaires régionales interprofessionnelles ;
– D’aménager les modalités de l’exercice par les services de santé au travail de leurs missions définies au titre II du livre VI de la quatrième partie du code du travail et notamment du suivi de l’état de santé des travailleurs et définir les règles selon lesquelles le suivi de l’état de santé est assuré pour les travailleurs qui n’ont pu, en raison de l’épidémie, bénéficier du suivi prévu par le code du travail ;
– De modifier les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique pour leur permettre d’émettre les avis requis dans les délais impartis ;
– D’aménager les dispositions de la sixième partie du code du travail, notamment afin de permettre aux employeurs, aux organismes de formation et aux opérateurs de satisfaire aux obligations légales en matière de qualité et d’enregistrement des certifications et habilitations ainsi que d’adapter les conditions de rémunérations et de versement des cotisations sociales des stagiaires de la formation professionnelle ;
c) Modifiant, dans le respect des droits réciproques, les obligations des personnes morales de droit privé exerçant une activité économique à l’égard de leurs clients et fournisseurs, ainsi que des coopératives à l’égard de leurs associés-coopérateurs, notamment en termes de délais de paiement et pénalités et de nature des contreparties, en particulier en ce qui concerne les contrats de vente de voyages et de séjours mentionnées au II et au III de l’article L. 211-14 du code du tourisme ;
d) Modifiant le droit des procédures collectives et des entreprises en difficulté afin de faciliter le traitement préventif des conséquences de la crise sanitaire ;
e) Adaptant les dispositions de l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles, notamment pour prolonger, pour l’année 2020, le délai fixé à son troisième alinéa, et reportant la date de fin du sursis à toute mesure d’expulsion locative prévue à l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution pour cette même année ;
f) Adaptant les règles de délais de paiement, d’exécution et de résiliation, et notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet ;
g) Permettant de reporter ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels, de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des très petites entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ;
2° Afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation du Covid-19, et des mesures prises pour limiter cette propagation, toute mesure :
a) Adaptant les délais applicables au dépôt et au traitement des déclarations et demandes présentées aux autorités administratives, les délais et les modalités de consultation du public ou de toute instance ou autorité, préalables à la prise d’une décision par une autorité administrative, et, le cas échéant, les délais dans lesquels cette décision peut ou doit être prise ou peut naitre ainsi que les délais de réalisation par toute personne de contrôles, travaux et prescriptions de toute nature imposées par les lois et règlements, à moins que ceux-ci ne résultent d’une décision de justice ;
b) Adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. Ces mesures sont rendues applicables à compter du 12 mars 2020 et ne peuvent excéder de plus de trois mois la fin des mesures de police administrative prises par le gouvernement pour ralentir la propagation du Covid-19 ;
c) Adaptant, aux seules fins de limiter la propagation du Covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire, ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions autres que pénales ;
d) Adaptant, aux seules fins de limiter la propagation du Covid-19 parmi les personnes participant à ces procédures, les règles relatives au déroulement des gardes à vue, pour permettre l’intervention à distance de l’avocat et la prolongation de ces mesures pour au plus la durée légalement prévue sans présentation de la personne devant le magistrat compétent, et les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires et des assignations à résidence sous surveillance électronique, pour permettre l’allongement des délais d’audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder trois mois en première instance et six mois en appel, et la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat ;
e) Aménageant aux seules fins de limiter la propagation du Covid-19 parmi les personnes participant ou impliquées dans ces procédures, d’une part, les règles relatives à l’exécution et l’application des peines privatives de liberté pour assouplir les modalités d’affectation des détenus dans les établissements pénitentiaires, les modalités d’exécution des fins de peine et, d’autre part, les règles relatives à l’exécution des mesures de placement et autres mesures éducatives prises en application de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante ;
f) Simplifiant et adaptant les conditions dans lesquelles les assemblées et les organes dirigeants collégiaux des personnes morales de droit privé se réunissent et délibèrent, ainsi que du droit des sociétés relatif à la tenue des assemblées générales ;
g) Simplifiant, précisant et adaptant les règles relatives à l’établissement, l’arrêté, l’audit, la revue, l’approbation et la publication des comptes et des autres documents que les personnes morales de droit privé sont tenues de déposer ou de publier, notamment celles relatives aux délais, ainsi que d’adapter les règles relatives à l’affectation des bénéfices et au paiement des dividendes ;
h) Adaptant les dispositions relatives à l’organisation de la Banque publique d’investissement créée par l’ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d’investissement afin de renforcer sa capacité à accorder des garanties ;
i) Simplifiant et adaptant le droit applicable au fonctionnement des établissements publics et des instances collégiales administratives y compris les organes dirigeants des autorités administratives ou publiques indépendantes, notamment les règles relatives à la tenue des réunions dématérialisées ou le recours à la visioconférence ;
j) Adaptant le droit de la copropriété des immeubles bâtis pour tenir compte, notamment pour la désignation des syndics, de l’impossibilité ou des difficultés de réunion des assemblées générales de copropriétaires ;
k) Dérogeant aux dispositions du chapitre III du titre II du livre VII du code rural et de la pêche maritime afin de proroger, pour une période n’allant pas au-delà du 31 décembre 2020, la durée des mandats des membres du conseil d’administration des caisses départementales de mutualité sociale agricole, des caisses pluridépartementales de mutualité sociale agricole et du conseil central d’administration de la mutualité sociale agricole ;
l) Permettant aux autorités compétentes pour la détermination des modalités d’accès aux formations de l’enseignement supérieur, des modalités de délivrance des diplômes de l’enseignement supérieur ou des modalités de déroulement des concours ou examens d’accès à la fonction publique d’apporter à ces modalités toutes les modifications nécessaires à garantir la continuité de leur mise en œuvre, dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats ;
3° Afin de permettre aux parents dont l’activité professionnelle est maintenue sur leur lieu de travail de pouvoir faire garder leurs jeunes enfants dans le contexte de fermeture des structures d’accueil du jeune enfant visant à limiter la propagation du Covid-19, toute mesure :
a) étendant à titre exceptionnel et temporaire le nombre d’enfants qu’un assistant maternel agréé au titre de l’article L. 421-4 du code de l’action sociale et des familles est autorisé à accueillir simultanément ;
b) prévoyant les transmissions et échanges d’information nécessaires à la connaissance par les familles de l’offre d’accueil et de sa disponibilité afin de faciliter l’accessibilité des services aux familles en matière d’accueil du jeune enfant ;
4° Afin, face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19, d’assurer la continuité de l’accompagnement et la protection des personnes en situation de handicap et des personnes âgées vivant à domicile ou dans un établissement ou service social et médico-social, des mineurs et majeurs protégés et des personnes en situation de pauvreté, toute mesure :
a) Dérogeant aux dispositions de l’article L. 312-1 et du chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’action sociale et des familles pour permettre aux établissements et services sociaux et médico-sociaux autorisés d’adapter les conditions d’organisation et de fonctionnement de l’établissement ou du service et de dispenser des prestations ou de prendre en charge des publics destinataires figurant en dehors de leur acte d’autorisation ;
b) Dérogeant aux dispositions du code de l’action sociale et des familles et du code de la sécurité sociale pour adapter les conditions d’ouverture ou de prolongation des droits ou de prestations aux personnes en situation de handicap, aux personnes en situation de pauvreté, notamment les bénéficiaires de minima et prestations sociales, et aux personnes âgées ;
5° Afin, face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19, d’assurer la continuité des droits des assurés sociaux et leur accès aux soins et aux droits, en prenant toute mesure dérogeant aux dispositions du code de la sécurité sociale, du code rural et de la pêche maritime, du code de la construction et de l’habitation et du code de l’action sociale et des familles pour adapter les conditions d’ouverture, de reconnaissance ou de durée des droits relatifs à la prise en charge des frais de santé et aux prestations en espèces des assurances sociales ainsi que des prestations familiales, des aides personnelles au logement, de la prime d’activité et des droits à la protection complémentaire en matière de santé ;
6° Afin, face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19, d’assurer la continuité de l’indemnisation des victimes, en prenant toute mesure dérogeant aux dispositions du code de la santé publique et de l’article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 pour adapter les règles d’instruction des demandes et d’indemnisation des victimes par l’Office national d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante ;
7° Afin, face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19, d’assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l’exercice de leurs compétences, ainsi que la continuité budgétaire et financière des collectivités territoriales et des établissements publics locaux, prendre toute mesure permettant de déroger :
a) Aux règles de fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, s’agissant notamment de leurs assemblées délibérantes et de leurs exécutifs, y compris en autorisant toute forme de délibération collégiale à distance ;
b) Aux règles régissant les délégations que peuvent consentir ces assemblées délibérantes à leurs exécutifs, ainsi que leurs modalités ;
c) Aux règles régissant l’exercice de leurs compétences par les collectivités locales ;
d) Aux règles d’adoption et d’exécution des documents budgétaires ainsi que de communication des informations indispensables à leur établissement prévues par le code général des collectivités territoriales ;
e) Aux dates limites d’adoption des délibérations relatives au taux, au tarif ou à l’assiette des impôts directs locaux ou à l’institution de redevances ;
f) Aux règles applicables en matière de consultations et de procédures d’enquête publique ou exigeant une consultation d’une commission consultative ou d’un organe délibérant d’une collectivité territoriale ou de ses établissements publics ;
g) Aux règles applicables à la durée des mandats des représentants des élus locaux dans les instances consultatives dont la composition est modifiée à l’occasion du renouvellement général des conseils municipaux.
II. – Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de chaque ordonnance.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. L’article 7 – il compte huit pages, c’est un « gros morceau » – comporte des dispositions auxquelles nous souscrivons, s’agissant en particulier des aides directes ou indirectes aux entreprises, notamment en matière de trésorerie.
En revanche, d’autres enjeux nous paraissent faire débat : les congés payés, le travail dominical, le temps de travail. J’en reviens donc à la question que nous posons depuis le début de ce débat, sans obtenir de réponse : quelle est la durée de l’habilitation, notamment sur les sujets que je viens de citer ?
De fait, la situation n’est pas la même selon que l’habilitation doit durer le temps de la crise sanitaire, trois ou six mois ou jusqu’à la fin de l’année, voire, comme l’un de nos collègues l’a envisagé ce matin en commission des affaires économiques, plus longtemps encore – qui sait, peut-être trois ans ?
Je rappelle que l’habilitation demandée vise toutes les entreprises nécessaires à la reconstruction de la Nation, plus celles qui entrent dans le champ économique et social, soit 99 % des entreprises. Si toutes peuvent déroger pendant trois ans aux règles de congés payés, de travail dominical et de temps de travail, cela nous pose question…
Par ailleurs, madame la ministre, puisque beaucoup de nos concitoyens sont au travail – à l’hôpital, évidemment, et dans tous les services publics, notamment de sûreté et de sécurité, mais aussi dans le secteur privé –, nous pensons que les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, ou plutôt ce qu’il en reste, ou les comités sociaux et économiques, les CSE, doivent pouvoir se réunir dans les meilleures conditions possible pour examiner, notamment, les enjeux d’hygiène et de sécurité sanitaire.
Or on nous alerte que, dans nombre d’entreprises, les directions refusent de réunir ces instances. Madame la ministre, nous vous demandons d’agir à cet égard, par exemple par décret.
Enfin, le ministre de l’économie a ouvert un débat sur des nationalisations, partielles ou totales. M. Retailleau a d’ailleurs abondé dans son sens. Pour notre part, nous sommes assez à l’aise avec cette idée de mise en commun, plutôt que de concurrence… Nous sommes disponibles pour y travailler, notamment dans les domaines du transport, de l’énergie et des médicaments, sans oublier les banques et assurances, qui doivent être solidaires dans cette crise.
J’ajoute que, pour toutes les dispositions dérogatoires qui vont être prises, dès aujourd’hui et après la crise, il est nécessaire de mettre en place un comité de suivi, et même davantage : un comité de pilotage.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, sur l’article.
Mme Françoise Gatel. Contrairement aux salariés du secteur privé, les agents publics atteints par le Covid-19 ne bénéficient du maintien de leur rémunération qu’à partir du deuxième jour d’arrêt maladie, car ils se voient appliquer le jour de carence prévu pour les fonctionnaires. Il s’agit là, nous semble-t-il, d’un traitement inéquitable.
Madame la ministre, votre collègue Olivier Dussopt se serait engagé à demander par voie de circulaire aux employeurs publics de faire preuve de souplesse en la matière. Si l’intention est bonne, l’acte serait un peu léger, une circulaire n’ayant pas force de loi. Quelles dispositions comptez-vous prendre pour ne pas pénaliser les serviteurs de l’État et tous les agents publics, aujourd’hui très souvent mobilisés au front ?
M. le président. L’amendement n° 65, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par les mots :
, et, le cas échéant, à les étendre et à les adapter aux collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement vise à étendre aux collectivités territoriales d’outre-mer le champ de l’habilitation donnée au Gouvernement dans les domaines économique, financier et social. En effet, certaines adaptations devront être prévues pour tenir compte des compétences de ces collectivités.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 66 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
activité économique et
insérer les mots :
des associations ainsi que
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il s’agit de préciser la rédaction du 1° de l’article 7, en mentionnant les associations.
La formulation actuelle, visant les personnes physiques ou morales exerçant une activité économique, laisse subsister une certaine ambiguïté. Or les mesures prises concernent bien l’ensemble du secteur privé, lucratif et non lucratif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 67, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
1° Remplacer les mots :
aux entreprises
par les mots :
à ces personnes
et les mots :
ces entreprises
par les mots :
ces personnes
2° Compléter cet alinéa par les mots :
, les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution et la Nouvelle-Calédonie
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’amendement vise à préciser que le fonds de solidarité pour les entreprises, auquel concourent l’État et les régions, pourra être mis en œuvre aussi dans les collectivités d’outre-mer autonomes – Polynésie française et Nouvelle-Calédonie.
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Ayant opposé l’irrecevabilité à plusieurs amendements tendant à élargir l’habilitation, je ne puis à mon tour prendre une initiative, mais seulement, madame la ministre, essayer de vous convaincre…
Je vous suggère donc d’étendre votre amendement à toute autre collectivité territoriale ou à tout établissement public volontaire. C’est une latitude dont, je pense, vous aurez besoin.
M. le président. Madame la ministre, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens suggéré par M. le rapporteur ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Oui, c’est une bonne initiative. Les régions se sont tout de suite engagées pour abonder le fonds de solidarité, mais d’autres collectivités territoriales seront certainement prêtes à y concourir aussi.
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 67 rectifié, présenté par le Gouvernement, et ainsi libellé :
Alinéa 3
1° Remplacer les mots :
aux entreprises
par les mots :
à ces personnes
et les mots :
ces entreprises
par les mots :
ces personnes
2° Compléter cet alinéa par les mots :
, les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution et la Nouvelle-Calédonie et toute autre collectivité territoriale ou établissement public volontaire
Je le mets aux voix.
(L’amendement est adopté.)
M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 54 a été déclaré irrecevable.
L’amendement n° 68, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
notamment
insérer les mots :
en adaptant de manière temporaire le régime social applicable aux indemnités versées dans ce cadre,
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il convient que le régime social des indemnités d’activité partielle fasse l’objet d’une adaptation temporaire. Notre intention est de favoriser l’activité partielle aussi pour les salariés à temps partiel, ce qui est aujourd’hui très difficile.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 58 a été déclaré irrecevable.
Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 62 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 56, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. L’alinéa 7 autorise les employeurs à imposer unilatéralement des jours de congé aux salariés. Cette disposition remet en cause de manière grave et disproportionnée les droits des salariés, sur un sujet extrêmement sensible et qui va le devenir davantage encore pendant et à l’issue de la période de confinement.
Aujourd’hui, des entreprises imposent ou tentent d’imposer à leurs salariés de poser leurs jours de congé pendant la période de confinement. Non seulement, donc, ces salariés seraient confinés, comme tous les autres, mais, en outre, à l’issue de la période de confinement, ils seraient privés de la possibilité de prendre leurs congés, notamment cet été…
Nous sommes inquiets de cette disposition, qui constitue une attaque contre les droits des salariés qui est d’autant plus grave qu’elle repose sur une décision unilatérale des employeurs. (Mme Sophie Primas s’exclame.)
Je rappelle que la Cour de justice de l’Union européenne, s’appuyant sur l’Organisation internationale du travail, a fait du droit au congé un principe du droit social de l’Union européenne.
Pour toutes ces raisons, nous considérons que cet alinéa doit être supprimé.
M. le président. L’amendement n° 29, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
1° Supprimer les mots :
modifier les conditions d’acquisition de congés payés et
2° Après le mot :
employeur
insérer les mots :
lorsque le recours au télétravail est impossible ou pour éviter le recours à l’activité partielle
3° Supprimer le mot :
unilatéralement
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. L’alinéa 7, relatif aux congés payés et aux jours de réduction du temps de travail, nous paraît déroger au droit du travail de manière exagérée : il va jusqu’à modifier les conditions d’acquisition des congés payés, sans proportionnalité et sans se limiter aux entreprises touchées par la crise due à l’épidémie en cours.
Pour notre part, nous pensons que ces dispositions doivent être réservées aux entreprises réellement en difficulté, qui ont besoin de mettre une partie de leurs salariés au chômage partiel. Par ailleurs, elles doivent être limitées à la durée de la crise sanitaire.
Dans cet esprit, nous proposons de limiter et de mieux encadrer les mesures prévues, au bénéfice des salariés. Il n’est pas question d’ouvrir la voie à une réduction disproportionnée et généralisée des droits des travailleurs aux congés !
M. le président. L’amendement n° 57, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. L’alinéa 8 vise les entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation – je vois de quoi il s’agit –, mais aussi à la continuité de la vie économique et sociale. Je le répète : si l’on prend cette disposition au pied de la lettre, plus de 95 % des entreprises sont concernées. Est-ce que je me trompe, madame la ministre ?
À toutes ces entreprises, on va donc permettre de déroger aux règles du code du travail et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical… Une fois de plus, de demande : pour combien de temps ?
J’insiste d’autant plus que « les entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation », ce sont celles qui, jusqu’à il y a peu, avaient un statut : ce sont les gaziers-électriciens, les cheminots et traminots, mais aussi les forces de sûreté et de sécurité, toutes celles et tous ceux qui ont parfois été montrés du doigt, alors qu’ils travaillent déjà beaucoup plus que les autres les dimanches, les jours fériés et les week-ends, pour assurer la continuité du service public.
Madame la ministre, si ce ne sont pas ces salariés qui seront concernés par les dérogations, il faut nous dire précisément à quelles entreprises vous pensez.
Si les mesures sont limitées à la durée de ce que nous appelons la crise sanitaire, nous pouvons entendre un certain nombre d’arguments. Mais ne resteront-elles pas en vigueur plusieurs mois, peut-être jusqu’à l’été ou même en décembre prochain, voire au-delà ? Madame la ministre, nous avons besoin d’une réponse !
M. le président. L’amendement n° 30, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Après les mots :
vie économique et sociale
insérer les mots :
dont la liste est définie par décret
La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Si l’alinéa 8 n’est pas supprimé, il convient au moins, pour les raisons que vient d’expliquer M. Gay, que la liste des entreprises concernées soit définie par décret. Il est évident qu’il faut préciser quels secteurs doivent être privilégiés.
M. le président. L’amendement n° 103, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Remplacer les mots :
du code du travail
par les mots :
d’ordre public
La parole est à Mme la ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Le projet de loi autorise le Gouvernement à agir par voie d’ordonnance pour, en réalité, faciliter le maintien dans l’emploi, en modulant les conditions de mise en congés payés, les conditions horaires de travail, les conditions du repos hebdomadaire et celles du repos dominical.
En particulier, il s’agit d’imposer à des salariés de prendre certains congés payés, ce qui vaut mieux pour eux que le chômage partiel, lequel, même s’il est amélioré, est moins favorable du point de vue de la rémunération. En ce qui concerne la durée du travail, du repos hebdomadaire et du repos dominical, il convient de ménager quelques souplesses permettant de maintenir l’activité, donc la rémunération des salariés.
Toutes ces dispositions ne peuvent être justifiées que par les difficultés nées de la crise économique causée par l’épidémie à laquelle nous sommes confrontés.
Nous sommes défavorables à l’ensemble des amendements en discussion commune, à l’exception de celui du Gouvernement, dont je parlerai dans quelques instants. En effet, nous considérons qu’il est profitable aux salariés de permettre l’aménagement des conditions d’exercice de leur activité et de leur mise en congé, de telle sorte qu’il ne soit pas nécessaire de les mettre au chômage technique.
Au reste, madame la ministre, les dispositions que vous prendrez seront strictement limitées. La commission des affaires sociales, sous l’égide de son président, Alain Milon, a prévu des garanties supplémentaires en ce sens, en particulier l’impossibilité pour un employeur d’obliger un salarié à prendre plus de six jours de congés payés. Cette disposition est de nature à apaiser la crainte des salariés désireux de conserver des congés pour la période qui suivra la crise, parce qu’ils en ont besoin pour leur vie familiale ou pour reconstituer leurs forces.
S’agissant de l’amendement du Gouvernement, je ne vous ferai pas de reproche, madame la ministre, car nous travaillons tous dans des conditions de délai très contraintes ; mais je vous demanderai de faire preuve d’indulgence à l’égard de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, qui n’ont pas eu le temps de prendre connaissance de votre amendement, à mon avis pourtant très intéressant, avant la séance publique…
C’est donc à titre personnel que j’émets un avis favorable sur cet amendement, dont l’adoption permettra aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la continuité de la vie économique et à la sécurité de la Nation pour lesquels les règles d’ordre public en matière de durée du travail sont régies par d’autres codes que le code du travail, en particulier les codes de l’agriculture et des transports, de bénéficier elles aussi des simplifications et des dérogations mises en place pour faciliter l’activité. Dans l’agriculture et les transports aussi, on a besoin de souplesse pour faire face à la crise.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’amendement du Gouvernement a été excellemment présenté par le rapporteur. Il s’agit simplement d’étendre les possibilités de dérogation aux secteurs régis par d’autres codes que le code du travail, notamment ceux de l’agriculture et des transports.
En ce qui concerne les congés, il faut bien se placer dans le contexte de la crise que nous vivons, une crise non seulement sanitaire, mais aussi, par voie de conséquence, économique.
Il est clair que tout le monde est mobilisé dans un esprit d’unité nationale : l’ensemble du secteur économique doit consentir des efforts, pour être la base arrière du front sanitaire sur lequel nos soignants se battent tous les jours. C’est dans cet esprit de civisme que j’ai demandé aux entreprises de faire tout leur possible pour investir massivement dans la protection des salariés, tout en continuant leur activité autant que possible, là où c’est possible, afin d’éviter une rupture brutale de la vie économique.
Dans le même esprit de mobilisation, il nous a semblé que, dans une période de crise, il était possible de demander à des salariés de prendre une semaine de congés payés – la mesure ne concerne pas tous leurs congés –, avant d’être placés au chômage partiel. De nombreuses entreprises sont en train d’en discuter par le dialogue social.
Le code du travail autorise déjà une entreprise à imposer des dates de congés payés, avec un délai de prévenance de quatre semaines. Nous ne créons donc pas cette possibilité : nous souhaitons simplement qu’elle puisse être mise en œuvre, lorsque c’est nécessaire, sans la condition de délai, qui n’a pas de sens en période de crise.
J’insiste : les congés ne sont pas annulés ; seulement, les salariés les prendront à la date fixée par l’entreprise. Nous visons une durée d’une semaine environ.
S’agissant de la durée du travail, le projet de loi renvoie à un décret pour définir non pas les secteurs eux-mêmes, mais les critères permettant de les déterminer, ce qui nous donnera une plus grande souplesse. En effet, sur le plan économique comme sur le plan sanitaire, nous allons faire face, jour après jour, semaine après semaine, à des situations nouvelles.
Bien sûr, les dérogations seront consenties dans des cas plutôt rares. Dans nombre de secteurs, l’heure n’est pas à augmenter le temps de travail… La question se pose dans les secteurs indispensables, comme l’agroalimentaire, la logistique ou la production de matériels médicaux. Cette journée dérogatoire provisoire est entièrement liée à la crise sanitaire : elle durera autant que la crise, peut-être juste un peu plus longtemps, s’il faut assurer un rebond très rapide, par exemple dans le secteur alimentaire.
J’émets donc un avis défavorable sur tous les amendements qui ont été présentés, à l’exception de celui du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Sauf accord d’entreprise ou de branche sur un système différent, les droits à congés payés des salariés s’acquièrent du 1er juin de l’année précédente au 31 mai de l’année en cours. À cette période de l’année, donc, la plupart des congés payés ont été consommés.
Sans doute, un certain nombre d’entreprises permettent d’en prendre sur l’exercice suivant, mais je ne pense pas que, aujourd’hui, même avec ce dispositif, une entreprise puisse obliger un salarié à prendre par anticipation des congés qui ne seront acquis qu’à partir du 1er juin prochain.
Voilà qui limite quelque peu la portée du dispositif prévu par le Gouvernement, mais qui, aussi, est de nature à rassurer nos collègues.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la ministre, vous parlez d’union nationale et de la nécessité de faire en sorte que tout le monde ait le sentiment d’être dans le même bateau, pour lutter contre cette épidémie. Seulement, dans de nombreux secteurs, un fort sentiment d’injustice règne aujourd’hui, contre lequel il faut lutter.
Certains sont obligés d’aller travailler, dans des conditions parfois difficiles, et ne se sentent pas suffisamment protégés. D’autres sont contraints au confinement, dans des conditions également difficiles, parce que leur logement est exigu. Pendant ce temps, d’autres peuvent télétravailler ou disposent de logements plus vastes.
Dans ce contexte, les mesures en matière de congés payés, la possibilité de piocher dans le compte épargne-temps et les dérogations envisagées au temps de travail suscitent des inquiétudes, qui sont à mon sens légitimes, au regard des droits acquis des salariés. C’est pourquoi nous soutenons les amendements tendant à préciser la portée des dispositions prévues.
Nous nous interrogeons aussi sur l’opportunité de procéder par ordonnances sur des sujets aussi sensibles et à un moment où, vous le savez, madame la ministre, bon nombre de salariés expriment des inquiétudes graves quant à leurs conditions de travail, de télétravail ou de confinement, et où règne un sentiment d’injustice sociale par rapport aux situations faites aux uns et aux autres en matière de conditions générales de vie. Le Gouvernement doit être très attentif à ces problèmes.
Par ailleurs, madame la ministre, vous avez mentionné la nécessité d’assurer un rebond économique par l’augmentation du temps de travail. Je rappelle que la limitation de la durée du travail vise aussi à protéger la santé des salariés. Prenez garde à l’image que votre politique et votre demande d’habilitations à légiférer par voie d’ordonnance renvoient en termes de protection des salariés dans ce contexte de crise.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Les enjeux soulevés sont graves. C’est que, madame la ministre, vous souhaitez permettre – disons-le – à la totalité des entreprises de notre pays de déroger aux règles, comme notre collègue Fabien Gay l’a fort bien expliqué. (Mme la ministre fait un geste de dénégation.)
Vous semblez en désaccord, madame la ministre. Mais quelles sont donc les entreprises que l’on ne pourrait faire entrer dans la catégorie « Vie économique et sociale du pays » ? À la vérité, cet article vise à la fois les entreprises dont on identifie le périmètre comme nécessaire à la sécurité de la Nation et les autres – toutes les autres.
En outre, votre amendement vise à renforcer encore les inquiétudes que peut soulever votre texte. S’il s’agit d’élargir le champ, vous pouviez citer les codes concernés. En réalité, il s’agit d’ordre public, c’est-à-dire du noyau dur des règles préservant l’intérêt du salarié.
De fait, vous souhaitez que puissent être reniées et rognées des règles qui sont au cœur de la protection du salarié, dans une circonstance difficile et dans 100 % des entreprises du pays !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Madame la ministre, il est temps, en effet, d’adapter les règles et conditions de travail, parce que, après quelques jours de sidération, les entreprises ne savent plus comment faire, et les employés non plus.
Les employeurs sont inquiets, parce que les règles ne sont pas définies : on ne sait pas quelles entreprises doivent ou non travailler. Quant aux employés, certains sont pleins de bonne volonté et veulent travailler, mais ils se demandent s’ils ne font pas courir des risques à leur famille.
Vos ordonnances devront donc préciser les règles. Les entreprises doivent-elles travailler, sauf à telle ou telle condition ? Ne doivent-elles pas travailler, sauf à telle ou telle condition ? Il est temps de définir précisément la stratégie, pour sortir de cette confusion totale.
Vous avez pris des mesures d’urgence, en disant à nos concitoyens : « Restez confinés chez vous », et aux entreprises : « On s’occupera de tout et on paiera, quel qu’en soit le coût ». Dans ces conditions, certaines entreprises se disent qu’il vaut peut-être mieux rester au chômage ou en activité partielle, plutôt que de faire courir des risques aux employés ou de réaliser un chiffre d’affaires qui remettrait leur existence en cause. L’urgence passée, il faut maintenant fixer un véritable cadre !
Par exemple, dans le cadre des mesures d’urgence, vous avez décidé, d’ailleurs à juste titre – ce n’est pas une critique –, qu’un employé fragile pourrait, en cochant une case sur Ameli, décider de ne pas se rendre au travail à raison de sa pathologie.
Comme mesure d’urgence, c’est bien, mais, ensuite, des contrôles doivent être mis en place. D’un côté, celui qui a un petit diabète peut décider de ne pas aller travailler : je coche et, hop, c’est terminé ! De l’autre, celui qui a une pathologie grave, mais qui veut travailler peut se rendre à son poste, alors qu’il devrait rester chez lui… Il faut donc que, dans les vingt-quatre ou quarante-huit heures, le médecin traitant ou le médecin du travail valide, ou non, le dispositif.
Il s’agit d’exemples pratiques, mais essentiels, parce qu’ils illustrent une situation de complète confusion, qui risque de provoquer des conflits sociaux, à l’heure où nous avons besoin non pas de diviser nos concitoyens, mais de les rassembler.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. J’ai l’impression qu’il va falloir quelque peu hausser le ton… On essaie de nous endormir, en disant : « Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer, on ne veut de mal à personne ». Mais, concrètement, les dispositions dont nous parlons ouvrent toutes les possibilités de déroger à des éléments importants du code du travail !
D’ailleurs, le Conseil d’État l’a bien relevé à propos de l’alinéa 7 :
« En ce qui concerne plus spécifiquement la possibilité de dérogation aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical, ainsi que les conditions d’acquisition des congés payés et d’utilisation du compte épargne-temps du salarié, le Conseil d’État rappelle qu’il ressort de la jurisprudence constitutionnelle que le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant. Il appartiendra au Gouvernement, lors de la préparation de l’ordonnance à intervenir, de veiller à ce qu’une atteinte excessive ne soit pas portée aux contrats en cours. »
Vous prétendez nous rassurer, madame la ministre, mais, dans le texte, rien ne nous rassure ! Je vais vous poser une question concrète, sur les congés payés. Des salariés sont actuellement confinés, obligés de garder leurs enfants, par exemple des caissières de supermarché : au mois de juillet prochain, leur expliquera-t-on qu’ils doivent continuer à travailler, parce que l’intérêt de l’entreprise est qu’ils prennent leurs congés à un autre moment ?
Il faut dire clairement aux salariés qui subissent cette situation si, dans deux ou trois mois, ils pourront prendre leurs congés d’été.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est vrai !
M. Pierre Laurent. C’est la question concrète que des millions de personnes vont se poser. Peut-être n’en sont-elles pas conscientes pour l’heure, mais c’est notre devoir de la poser aujourd’hui.
Mme Laurence Cohen. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Tissot. Je souhaite simplement vous demander un complément d’information, madame la ministre. Si j’ai bien compris, vous allez imposer, ou quasiment, aux salariés de prendre six jours de congés payés maintenant, en période de confinement.
Autrement dit, vous envisagez d’imposer aux salariés d’être en vacances chez eux, avec l’interdiction de sortir. Est-ce bien cela ?
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. L’alinéa 7 du présent article permet à des employeurs de contraindre leurs salariés à prendre leurs jours de congés payés et de RTT, autrement dit, à utiliser leur compte épargne-temps. Nous le savons, des employeurs vont faire pression auprès des salariés, pour que ces derniers privilégient cette solution, moins chère et moins contraignante que le recours à l’activité partielle. Résultat, des salariés n’auront plus de congés à la reprise de leur activité, notamment cet été.
Madame la ministre, nous sommes face à un problème de rupture d’égalité entre salariés, selon que l’entreprise aura ou non déposé un dossier de recours à l’activité partielle, et selon que le recours au télétravail ou à l’arrêt maladie pour garde d’enfants est possible ou non ; certains auront des congés et d’autres non.
Outre ce qu’ont dit mes camarades, ce sont autant de raisons de voter ces amendements de suppression de l’alinéa 7.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Cher collègue Pierre Laurent, vous avez raison, il est temps de prendre conscience de ce problème. Mais il est temps de prendre conscience aussi que nous sommes confrontés à une crise économique majeure, catastrophique pour notre pas, et qu’il faut protéger les salariés.
Mme Éliane Assassi. Ils ne vont pas le faire !
Mme Sophie Primas. Les dispositifs de chômage partiel – ou, comme l’a dit Mme la ministre, d’activité partielle – visent à protéger les salariés et la pérennité des entreprises. Mais d’autres outils doivent être mis à la disposition des entreprises, non seulement pour la période que nous traversons, mais aussi pour après, car il faudra certainement mettre un coup de reins pour redémarrer les entreprises.
Il faudra peut-être travailler un peu plus que 35 heures…
Mme Éliane Assassi. C’est votre logique, crise ou pas !
Mme Sophie Primas. Il faudra peut-être travailler le dimanche et peut-être même, madame la présidente Assassi, en juillet et en août. Ce n’est confortable pour personne, mais nous sommes en face d’une crise économique majeure.
Mme Éliane Assassi. Il faut donc rogner des droits ?
Mme Sophie Primas. La seule question que je souhaite poser à Mme la ministre est la suivante : pendant combien de temps ces dérogations, dont je comprends que leur importance suscite des inquiétudes chez les salariés, devront-elles être maintenues ?
Nous reviendrons bien un jour ou l’autre au droit commun du travail, mais ces dérogations devront-elles être maintenues jusqu’à la fin de la crise sanitaire, six mois après, un an après ? J’aimerais savoir ce qui est prévu.
Mes chers collègues, ayons conscience qu’il faut protéger les salariés. Un salarié en congés payés gagne mieux sa vie qu’un salarié au chômage partiel ou en activité partielle.
Mme Éliane Assassi. Il est plus facile de donner un congé payé que de déposer un dossier de chômage partiel !
Mme Sophie Primas. Prenons garde, car nous avons besoin de ces outils.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Je souscris pleinement aux propos de la présidente Primas : il s’agit aussi de sauver des emplois.
Je voudrais profiter de ce débat pour vous interroger, madame la ministre, sur la situation des métiers du bâtiment. Je ne dirai pas que la position de l’État en la matière est confuse, car je comprends votre volonté de ne pas arrêter toute l’économie et d’essayer de maintenir des chantiers. Mais, aujourd’hui, les entreprises du bâtiment sont dans l’incapacité de travailler : il n’y a plus de restaurants pour accueillir les ouvriers. Ces derniers doivent fournir des attestations de déplacement et ils se retrouvent parfois dans des conditions de promiscuité telles que l’employeur ne peut pas respecter les distances de précaution que vous recommandez.
En Ille-et-Vilaine, la préfète a clairement conseillé aux entreprises du bâtiment d’éviter le travail à temps partiel au motif que l’État n’assurera pas. Or des employées de ces entreprises se retournent contre leur employeur, dont la responsabilité est engagée.
C’est pourquoi je souhaite que vous soyez plus précise et plus claire sur ce sujet et que vous mesuriez les difficultés auxquelles des petites entreprises, qui sont des entreprises artisanales extrêmement précieuses pour le tissu économique, sont parfois confrontées.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Madame la ministre, dans la continuité de l’intervention de Mme Gatel, je souhaite faire le point sur les problèmes rencontrés par les entreprises du bâtiment. Au-delà des problématiques de temps partiel, nous sommes tous saisis de questions relatives à la responsabilité juridique.
Un chef d’entreprise qui demande à ses salariés de continuer à travailler sur les chantiers alors qu’il est dans l’incapacité de leur fournir les moyens de sécurité requis, notamment des masques, ne s’expose-t-il pas à un risque juridique ? Un salarié malade peut-il se retourner contre un client ou contre le chef d’entreprise ?
Aujourd’hui, il existe un flou complet (M. René-Paul Savary s’exclame.), voire des incohérences : certains métiers devant s’exercer à deux, il est impossible de respecter le mètre de distance. Comment faire si l’on n’est pas protégé ?
Tant que les choses ne seront pas clarifiées pour chaque métier et chaque type de chantier et tant que nous ne serons pas capables d’apporter la sécurité aux salariés, les grands discours n’y feront rien ; nous serons incapables de mettre au travail des salariés qui s’inquiètent de leur devenir, et en priorité de leur santé, avant même de se soucier de la pérennité de leur emploi.
S’agissant du temps de travail, j’entends toutes les remarques, mais imaginez que nous soyons confinés jusqu’au mois de mai, voire jusqu’au mois de juin : si, à tout ce temps d’arrêt du travail, s’ajoutent les congés payés, il me paraît effectivement que notre économie rencontrera de grandes difficultés pour se relancer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Il n’en demeure pas moins que le confinement n’a rien à voir avec des vacances !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Mes chers collègues, ne cédons pas au manichéisme. Nous défendons nous aussi les entreprises, en même temps que les salariés et les droits de ces derniers.
Je rappelle tout de même de même que, sans salarié, aucune entreprise ne tourne.
M. Philippe Mouiller. Mais sans activité, il n’y a pas d’entreprise !
M. Fabien Gay. Cela vous ennuie, mais ce sont les salariés qui produisent la richesse dans ce pays. Pendant les grèves, vous criiez : « Haro sur les grévistes. Les cheminots ne travaillant pas, la SNCF a perdu 500 millions d’euros… »
Eh oui, quand les cheminots ne conduisent pas les trains, il n’y a pas de production ! De même, il faudra bien que les salariés soient mobilisés pour faire redémarrer leur entreprise, et cela dans leur propre intérêt, mais pas à n’importe quel prix.
Pierre Laurent est intervenu sur les congés payés. Je m’arrêterai pour ma part sur l’alinéa 8, qui porte sur le repos hebdomadaire et le repos dominical. Au moment de la sortie de la crise sanitaire, les salariés ne seront plus à 35 ou à 39 heures : dans certaines entreprises, ils pourront travailler jusqu’à 48 heures, c’est-à-dire s’aligner au niveau européen et travailler les dimanches et jours fériés. J’ai même entendu dire tout à l’heure qu’il faudrait peut-être prévoir, dès maintenant, la suppression des jours fériés du mois de mai.
Mme Sophie Primas. Peut-être…
M. Fabien Gay. Je repose donc la question très précisément : quelles sont les entreprises concernées ? En effet, pour l’instant, la rédaction de l’alinéa 8 vise la totalité des entreprises en France, et pas seulement les secteurs stratégiques.
Ma deuxième question est la suivante, madame la ministre : quelle sera la durée de ces habilitations ? Jusqu’à la sortie de la crise sanitaire, ou plus longtemps ? Que veut dire « quelque temps après » : après les grandes vacances, en septembre, en décembre, ou encore au-delà ? Si c’est très loin dans le temps, je vous préviens, ce sera sans nous.
J’évoquerai enfin le chômage partiel. Quelque 300 milliards d’euros vont être mis sur la table. Le chômage partiel représente 70 % du salaire brut et 84 % du salaire net. Si on veut défendre les salariés et les employés, on pourrait porter le taux d’indemnisation à 100 % du salaire net. Ces 300 milliards d’euros pourraient notamment servir à cela.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Cette disposition est particulièrement gênante. En effet, les salariés sont appelés à faire du télétravail, mais ce dernier est profondément inégalitaire, car il faut déjà pouvoir le faire dans de bonnes conditions, à l’instar des cadres supérieurs qui sont bien logés. Tout le monde ne peut pas faire du télétravail !
Les salariés visés par cette disposition sont ceux qui ne peuvent faire de télétravail, qui sont confinés dans des situations difficiles et qui travaillent pour des entreprises qui vont être en difficulté.
Le Président de la République l’a dit : « L’État paiera ». En l’occurrence, les entreprises concernées sont les entreprises du secteur touristique – les restaurants, les bars, les hôtels –, et ce sont leurs salariés, qui ne gagnent pas beaucoup, qui devront payer à la place de l’État, parce que la situation économique est particulièrement compliquée. C’est profondément injuste.
Mme Sophie Primas. Non, car aujourd’hui ils ne travaillent pas !
Mme Éliane Assassi. Mais le confinement, ce ne sont pas des vacances !
M. Jean-Yves Leconte. La situation actuelle accroît les inégalités entre ceux qui peuvent continuer à travailler dans de bonnes conditions, chez eux, et ceux qui ne le peuvent pas. Et ce sont ces derniers, parce qu’ils ne peuvent pas travailler en ce moment et parce qu’ils travaillent dans des entreprises qui sont en difficulté, qui vont payer à la place de l’État. C’est profondément gênant.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Nous sommes toutes et tous conscients que nous allons subir une déflagration économique terrible, inimaginable, et il est extrêmement important que, dans cet hémicycle, nous nous efforcions de l’anticiper et de prévoir des garde-fous.
Comme l’ensemble des membres de mon groupe, je suis favorable à ce que l’on aide les entreprises qui vont connaître des difficultés très importantes, mais pas au détriment des salariés.
Les salariés ont lutté pour acquérir des droits, notamment le droit au travail. Or, depuis quelque temps, mes chers collègues, ce droit au travail est mis à mal. Cela a commencé sous un précédent gouvernement, quand Mme El Khomri a complètement détricoté les garanties et le droit au travail, et cela continue aujourd’hui, selon la même logique.
J’entends certains collègues évoquer le travail le dimanche ou l’absence de congés en juillet et en août, au motif que, aujourd’hui, un certain nombre de salariés ne travaillent pas. Mais c’est une contrainte. Ce n’est pas un choix !
Mme Sophie Primas. Pour les entreprises non plus, ce n’est pas un choix !
Mme Laurence Cohen. Certes, mais pour les entreprises, on mobilise un certain nombre de moyens.
Mme Sophie Primas. Pour qu’elles puissent payer les salaires ! Ces moyens bénéficient aussi aux salariés.
Mme Laurence Cohen. Que cela vous plaise ou non, il faut que les droits des salariés soient garantis dans la loi. (Mme Sophie Primas s’exclame.)
Madame Primas, je ne vous ai pas interrompue ; je vous remercie de me laisser parler, même si vous êtes en désaccord.
Le temps où les travailleurs étaient corvéables à merci est révolu, même si certains rêvent d’y revenir. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Quelle caricature !
Mme Laurence Cohen. Pour notre part, nous nous battons contre ce genre de conception. L’état du système économique actuel, au niveau mondial, devrait d’ailleurs vous donner à réfléchir, mes chers collègues ! Nous sommes ici aussi pour garantir des droits aux salariés.
C’est pourquoi je souhaiterais que vous puissiez répondre aux questions qui vous ont été posées, madame la ministre : pendant combien de temps ces contraintes seront-elles être imposées aux entreprises ? Quelles garanties les salariés auront-ils de pouvoir retrouver une vie normale, sans être obligés de travailler le dimanche ou selon un rythme hebdomadaire de travail révolu ? En 2020, en effet, 40 heures par semaine, c’est déjà trop. (Protestations sur travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est un festival !
M. Antoine Lefèvre. Quand il n’y aura plus d’entreprises, il n’y aura plus d’emplois !
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. Je souhaite revenir sur les propos de mes collègues qui ont évoqué les difficultés rencontrées par la filière du bâtiment et des travaux publics, pour confirmer à mon tour que la situation actuelle – un pseudo-dialogue, qui fait apparaître une incompréhension totale, entre le Gouvernement et les représentants de cette filière –, n’est absolument pas tenable.
Les échanges que j’ai avec la fédération de mon département font état d’une situation de blocage et d’incompréhension que j’ai quelques difficultés à comprendre. Je souhaite donc, madame la ministre, que vous puissiez clarifier les choses pour cette filière, qui compte beaucoup d’entreprises, petites, moyennes ou plus grosses, et énormément de salariés.
Je ne suis pas loin de penser qu’il faudra absolument que vous preniez des mesures précises et non globales, comme c’est le cas aujourd’hui.
Certaines mesures sont en gros prévues par catégories d’entreprises ou par filière. Or, au sein de chaque filière, il y a une grande disparité d’exercice des métiers et des situations à risques de natures très diverses, qui justifieraient que vos services ministériels prennent des dispositions adaptées, dans le dialogue avec les représentants des filières et des entreprises. Ce serait de nature à nous faire progresser, me semble-t-il.
Par ailleurs, dans les secteurs social et médico-social, de très nombreux salariés sont au contact de personnes à risque – je pense en particulier aux personnes âgées qui sont accompagnées ou aux personnes, parfois malades, qui bénéficient de soins infirmiers à domicile. Avez-vous mené des études de risques ?
Je ne comprends pas qu’aucune disposition n’ait été prise à ce jour pour protéger les salariés de ces filières de l’économie sociale et solidaire et médico-sociale. De graves dangers pèsent sur l’ensemble de ces salariés, qui se comptent par centaines de milliers dans notre pays. Cette question n’a pas été suffisamment appréhendée et prise en compte par vos services et par le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Nous avons beaucoup parlé ce soir des caissières de supermarché. Et j’ai compris que, dans nos applaudissements à vingt heures, ce soir, nous les avions remerciées aussi de ce qu’elles faisaient.
Je fais mes courses comme vous, mes chers collègues, et je les ai entendues. J’ai entendu leur angoisse. Certaines d’entre elles m’ont dit les larmes aux yeux qu’elles se sentaient aujourd’hui dans la situation des liquidateurs de Tchernobyl.
Elles sont soumises à l’épidémie à longueur de journée, avec des protections extrêmement faibles, et elles l’acceptent parce qu’elles ont le sentiment que, si elles ne le font plus, nous mourrons de faim, mes chers collègues. En effet, elles nous apportent notre repas quotidien.
Quand la crise sera finie, je crois qu’elles ne mériteront pas seulement des applaudissements, mais la reconnaissance de la Nation. Cela passe par des augmentations de salaire, qu’elles auront méritées,…
Mme Sophie Primas. Sur ce point, je suis d’accord !
M. Pierre Ouzoulias. … mais aussi par des vacances. En effet, vous ne pourrez pas les empêcher de prendre des vacances après tout ce qu’elles auront subi pour nous permettre de continuer à manger. Prêtez-leur l’attention qu’elles méritent, et souvenez-vous qu’il ne suffira pas d’applaudissements à vingt heures.
M. Rémy Pointereau. Bravo !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Indépendamment de telle ou telle situation qui a été évoquée, il faut que nous comprenions que l’unité nationale ne se décrète pas. Elle suppose que l’on adhère à un élan commun, où chacun se sent engagé dans le même combat pour un intérêt général commun, parce qu’il se sent respecté à égalité.
Cette guerre se mène non pas avec des armes, mais avec des stratégies de mobilisation de l’ensemble des citoyens. Nous traversons un moment douloureux, à la fois pour ceux qui travaillent, comme les caissières, et pour ceux qui sont confinés. En effet, il faut le rappeler tous les jours avec pédagogie pour sensibiliser la population, le confinement, ce ne sont pas des vacances et ce ne sont pas des promenades. C’est une astreinte assez dure. Et plus les jours vont passer, plus il y aura de difficultés à la gérer, y compris sur le plan psychologique.
Comment espérer créer cette unité nationale si l’on dit aux gens que le confinement, c’était leurs vacances, et qu’ils devront subir une double peine, alors qu’ils ne trouvent la force de tenir que grâce à la perspective d’une libération à venir ?
Ce sont les gens qui sont le plus en difficulté dans notre pays, en général, qui subiront la remise en cause d’un certain nombre de droits et qui se trouveront dans une situation plus fragile vis-à-vis d’un patron voulant les faire travailler encore plus et rogner sur leurs vacances. Nous devons au contraire leur donner des forces, pour qu’ils puissent y croire et se mobiliser dans l’unité nationale.
Vous devez entendre cela avant d’envisager des dérogations au code du travail touchant des populations qui donnent beaucoup et que nous avons besoin de mobiliser dans la guerre contre ce virus.
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
Mme Laurence Cohen. Tout à fait !
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.
M. Emmanuel Capus. Je crois que l’on ne se rend pas compte de la chance que nous avons de vivre en France. Dans un pays normal, tout travail mérite salaire, mais en contrepartie, quand on ne travaille pas, on n’a pas de salaire. C’est ainsi dans la plupart des pays du monde.
En Chine, quand vous êtes confiné chez vous, le Parti communiste chinois ne vous paie pas.
Mme Éliane Assassi. Nous ne sommes pas en Chine !
M. Fabien Gay. Heureusement !
M. Emmanuel Capus. Nous avons même entendu ce matin que les Chinois qui rentrent en Chine doivent payer leur hôtel quand ils sont confinés.
Mme Sophie Primas. Absolument !
M. Fabien Gay. Et alors ?
M. Emmanuel Capus. Nous devons nous rappeler que nous vivons dans un pays extrêmement protecteur. En droit français, si vous êtes confiné chez vous et que vous ne pouvez pas travailler, vous ne devriez pas être rémunéré. En effet, le salaire est la contrepartie du travail,…
Mme Éliane Assassi. C’est facile !
M. Emmanuel Capus. … et je pense que nous serons tous d’accord pour dire que, en l’occurrence, ce n’est pas l’employeur qui prive le salarié de travail. Je rappelle simplement le droit français.
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas dans le droit !
M. Emmanuel Capus. Le chômage partiel est une disposition extrêmement protectrice. Je crois que certains d’entre vous, mes chers collègues, sous-estiment l’élan de générosité des Français et leur parfaite conscience que nous sommes dans une situation de crise exceptionnelle.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas ce que vous disiez il y a quelques semaines !
M. le président. Mes chers collègues, seul M. Capus a la parole !
M. Emmanuel Capus. Beaucoup de salariés voient que les indépendants et les artisans, qui ne sont pas salariés, souffrent. Ils ont conscience que de nombreuses catégories de Français qui ne sont pas assujetties au droit du travail souffrent.
De ce point de vue, il ne paraît pas exagéré que des employeurs puissent imposer six jours de congé payé à leurs salariés – je rappelle que les salariés ont cinq semaines de congés payés et qu’ils ne seront donc pas privés de congés payés cet été.
Le risque est plus élevé, à mon sens, que les entreprises disparaissent et que les salariés se retrouvent non pas en congés payés, mais au chômage définitif.
Il faut savoir raison garder : compte tenu du danger qui pèse sur la pérennité des emplois, les mesures qui sont proposées apparaissent raisonnables.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous répondre sur quelques points.
Je crois que nous serons tous d’accord pour dire que notre rôle est d’éviter les défaillances d’entreprises, de protéger l’emploi et de permettre le plus possible la continuité de la vie économique, tout en protégeant les salariés. Nous pouvons nous rejoindre sur ces quatre objectifs. La question est celle du réglage des modalités pour permettre de les atteindre le plus possible.
Je voudrais rappeler que dimanche – cela paraît déjà loin – des secteurs ont été interdits – les bars, les restaurants, les discothèques, etc. –, parce que le degré de regroupement que leurs activités entraînent était trop propice à la propagation du coronavirus. Tous ces secteurs, qui emploient 2 millions de salariés, sont, de fait, depuis dimanche dernier, en chômage partiel.
Tous les autres secteurs sont autorisés, mais pas à n’importe quelle condition : ils doivent adapter l’organisation et les conditions de travail et permettre la protection des salariés au travers des cinq gestes barrière qui doivent pouvoir être pratiqués dans les entreprises. Il est plus dur de le faire dans certains secteurs et dans certaines entreprises, mais il n’y a pas d’interdiction a priori.
L’augmentation de l’indemnisation du chômage partiel, à hauteur de 84 % du salaire net et de 100 % du SMIC, et le remboursement des entreprises jusqu’à quatre fois et demie le SMIC ont eu un véritable effet de réassurance sur l’emploi. Je puis vous le dire avec une certaine fierté : nous n’avons pas de vague de licenciements collectifs depuis quinze jours, alors que nous pourrions déjà faire face à des vagues monstrueuses en la matière.
Ce soir, quelque 26 000 entreprises – des petites entreprises pour la plupart – avaient déjà demandé le bénéfice du chômage partiel. Cela représente quelque 560 000 salariés et 1,7 milliard d’euros, et ces chiffres vont encore grimper. Nous faisons collectivement un effort énorme de solidarité pour sauver l’emploi et les entreprises, tout en évitant au maximum la propagation du virus.
Dans ce contexte, nous appelons chacun à faire des efforts. Tous ceux que je rencontre, qu’ils soient salariés ou dirigeants d’entreprise, le comprennent.
Je tiens à indiquer que nous discutons beaucoup de tout cela. J’ai tous les jours une réunion téléphonique avec les représentants du patronat et des syndicats, à laquelle participent toutes les organisations, mais nous travaillons aussi beaucoup, mes collègues du Gouvernement et moi-même, avec les fédérations professionnelles et leurs organisations syndicales.
Avec Bruno Le Maire, je mène un travail quotidien auprès des représentants de la grande distribution alimentaire. J’ai échangé tout à l’heure avec le ministère de l’agriculture. Je n’entre pas dans le détail, mais je veux vous dire que, au-delà des textes, nous travaillons aussi de façon opérationnelle.
J’en viens au sujet précis qui est en discussion : les congés payés. Il s’agit non pas de les supprimer, mais d’utiliser une disposition qui existe déjà dans le code du travail. L’employeur a déjà le droit de fixer la date des congés payés. Lorsqu’une entreprise ferme au mois d’août, c’est l’employeur qui décide de la date des congés d’été, et les salariés n’ont pas le choix.
Aujourd’hui, le code du travail prévoit quatre semaines de prévenance. Pour faire face à la situation d’urgence que nous traversons, nous souhaitons donc autoriser que, dans certains secteurs, les entreprises en difficulté – de toute façon, elles auront recours au chômage partiel dans un deuxième temps – puissent s’il le faut anticiper et prendre la décision rapidement d’imposer six jours ouvrés de congé payé.
Ce n’est que cela, si j’ose dire. Il n’est pas question de supprimer les congés payés de tous les Français, et je pense que cela fait partie des choses raisonnables à faire.
S’agissant de la durée du travail, comme je l’ai dit, je serais ravie si la plupart des entreprises avaient un problème en la matière. Mais c’est l’inverse qui se produit : elles ont un problème de capacités à œuvrer !
Quant aux quelques secteurs qui ont des besoins, il faut les aider. J’ai déjà évoqué le secteur alimentaire, notamment la grande distribution, ou la production de médicaments. Prenons l’exemple du maraîchage, dont on parle aujourd’hui, en particulier du ramassage des asperges et des fraises.
Les Français veulent des produits frais ; ils n’entendent pas manger seulement des pâtes, même s’ils en ont beaucoup stocké ! Mais, habituellement, ce travail de ramassage est effectué par des travailleurs détachés. Il nous faut trouver 200 000 personnes dans les semaines à venir, sans quoi nous perdons toute la production de printemps !
À cette fin, nous mettons en place des mesures exceptionnelles avec Pôle emploi, avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), et recherchons des solutions. Mais il faut aussi, évidemment avec un paiement des heures supplémentaires, que les personnes volontaires puissent travailler plus longtemps, que l’on puisse déroger durant quelques semaines aux règles en matière de durée du travail, dans le respect – c’est également évident – des directives européennes.
Voilà ce dont nous parlons : non d’une dérégulation de l’ensemble du code du travail, mais d’une dérogation provisoire, pendant quelques semaines ou quelques mois – personne ne connaît la durée de la crise –, dans les secteurs qui en ont besoin.
J’en viens au secteur du bâtiment et des travaux publics, pour lequel la situation n’est pas facile.
De nombreuses entreprises du bâtiment ont déjà pris des dispositions et réfléchi à la manière dont elles pouvaient organiser le travail, tout en préservant la sécurité des travailleurs.
Actuellement, il y a une petite agitation des médias pour savoir si l’ensemble du secteur devrait s’arrêter en France. De toute évidence, il ne sera pas possible, dans la situation que nous connaissons, de maintenir l’activité habituelle. Mais de là à dire que l’on ferme tous les chantiers en France, c’est autre chose !
C’est donc sur ce point précis que porte le débat. Il a progressé dans la journée. Ainsi, je peux vous indiquer, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous organisons, mes collègues du Gouvernement concernés et moi-même, une réunion téléphonique avec les trois fédérations du secteur du bâtiment demain matin, avec les organisations syndicales dans la journée. Nous trouverons des solutions.
Quelles peuvent-elles être ? Nous allons faire ce que nous avons fait, cette semaine, pour la grande distribution et le secteur alimentaire, à savoir définir des protocoles pour que les gestes barrières soient appliqués partout et la protection des salariés assurée.
C’est ce type de solutions que nous déployons dans la grande distribution, avec la mise en place de parois en plexiglas, afin que le caissier ne soit pas en contact direct avec le client, et avec la fourniture de gants et de gels hydroalcooliques.
On peut faire ! Dans le secteur du bâtiment, certaines choses ne seront peut-être pas possibles, mais d’autres le seront. Nous allons mener un travail conjoint, dans les heures à venir, pour élaborer un code de bonne conduite, en adaptant les pratiques et les règles habituelles de sécurité au contexte de l’épidémie de coronavirus.
Ce travail pragmatique, qui nous permettra d’avancer, répondra aussi à la question de la responsabilité de l’employeur.
Dans le code du travail, je le rappelle, l’employeur a une responsabilité de moyens. Si, aujourd’hui, une entreprise organise le travail de sorte que soient respectés les cinq gestes barrières, par exemple en dédoublant les équipes, en prévoyant des horaires décalés ou en travaillant différemment au niveau des transports – les solutions sont nombreuses –, elle a rempli ses obligations. Elle ne peut pas être tenue responsable du fait qu’un de ses salariés soit atteint par le coronavirus.
Sa responsabilité tient dans la mise en place des conditions assurant la protection de ses salariés, telles qu’elles sont définies par le ministère de la santé.
Certains d’entre vous craignent que les entreprises ne recourent massivement aux congés payés, plutôt que d’opter pour le chômage partiel. Ce dernier étant désormais entièrement remboursé aux entreprises, il me semble que le risque est plutôt inverse.
En outre, la période exige tout de même un peu de souplesse. Tout le monde est sur le pont : les entreprises comme les salariés.
Je confirme, à cet égard, ce qui a été dit concernant les « héros du quotidien » : les postiers, les caissières, les salariés du secteur de l’énergie, ceux qui travaillent à la collecte des déchets – il va bien falloir continuer à ramasser les poubelles dans notre pays ! Ces métiers sont très importants, car ils sont notre base arrière. Nous leur devons la solidarité.
Nous devons aussi prévoir les aménagements nécessaires pour préserver l’emploi et pour que l’activité continue, dans les meilleures conditions possible en fonction de l’évolution de l’épidémie. Ce n’est pas fini, mais nous allons évidemment nous adapter au fur et à mesure ! (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. L’amendement n° 69, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 13
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
D’adapter, à titre exceptionnel, les modalités de détermination des durées d’attribution des revenus de remplacement mentionnés à l’article L. 54212 du code du travail ;
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement a pour objet d’adapter les règles relatives à la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi, afin de permettre aux personnes en fin de droit qui, du fait de la situation et de son évolution, ne pourraient pas retrouver un emploi, de voir leurs droits prolongés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis est favorable.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Cette explication de vote tient aussi du rappel au règlement : comme nombre de mes collègues, j’essaie de mettre en perspective l’heure qu’il est et le nombre d’amendements restant à examiner.
Or plus nous progressons dans la discussion du texte et plus il y a d’amendements à examiner… Pourrions-nous avoir un peu de visibilité, sachant que les amendements qui s’ajoutent proviennent forcément du Gouvernement ?
Alors que nous étions à 101 amendements à examiner et que nous en avons examiné 5 depuis lors, le compteur affiche désormais 105 amendements, au lieu de 96 ! Le Gouvernement pourrait-il nous dire combien il a l’intention d’en déposer au cours de la discussion de cette nuit ?
M. le président. Depuis le début de la discussion, le Gouvernement a déposé 10 amendements supplémentaires, ce qui explique que le compteur ne régresse pas autant que vous pouviez l’imaginer, ma chère collègue. Il nous reste désormais 53 amendements à examiner.
Il est minuit trente-cinq et nous siègerons jusqu’à la fin de l’examen de ce texte.
Je mets aux voix l’amendement n° 69.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. L’amendement n° 75, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Compléter cet alinéa par les mots :
et les prestations relevant des séjours de mineurs à caractère éducatif organisés dans le cadre de l’article L. 2274 du code de l’action sociale et des familles
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement a pour objet d’étendre les dispositions d’assouplissement des obligations à l’égard des clients et fournisseurs accordées aux entreprises – je vise en particulier le tourisme – aux structures organisant des séjours de mineurs à caractère éducatif, en clair aux colonies de vacances.
Mme Sophie Primas. Très bien !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il importe de traiter ce secteur comme les autres secteurs du tourisme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis est favorable.
M. le président. L’amendement n° 37 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 23 a été déclaré irrecevable.
L’amendement n° 70, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 18
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Dérogeant aux dispositions de l’article 60 de la loi n° 63156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 relatives à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement a pour objet d’autoriser le Gouvernement à déroger, par voie d’ordonnance, aux règles de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics imposant des modalités de contrôle de la dépense qui peuvent être inadaptées dans le contexte actuel de crise.
Pour le dire clairement, il faut fluidifier la chaîne de la dépense publique ; il faut aller accélérer. Nous effectuerons plus de contrôles a posteriori, mais, pour l’heure, il ne faut pas exiger un nombre trop important de pièces justificatives avant de dire oui.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis est favorable.
M. le président. L’amendement n° 78, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 18
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Permettant à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale de consentir des prêts et avances aux organismes gérant un régime complémentaire obligatoire de sécurité sociale ;
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement vise à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances les dispositions permettant à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’Acoss, de faire des avances de trésorerie aux organismes gérant un régime complémentaire de sécurité sociale, compte tenu de la crise sanitaire actuelle.
Le Gouvernement permet effectivement aux employeurs affectés de suspendre provisoirement le paiement de certaines de leurs échéances sociales et fiscales. Cela affecte très fortement le financement des régimes de base de la sécurité sociale, mais aussi des régimes complémentaires, lesquels percevront beaucoup moins de cotisations sociales dans les semaines à venir.
Les avances que nous autoriserions ainsi l’Acoss à faire, en bonne intelligence avec l’agence France Trésor, permettront de gérer, au mieux, la situation des régimes complémentaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis est favorable.
M. le président. L’amendement n° 71, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Après la première occurrence du mot :
délais
insérer les mots :
et procédures
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il s’agit d’adapter les procédures de dépôt et traitement des déclarations et demandes présentées aux autorités administratives.
De très nombreuses entreprises ne pourront remplir leurs obligations en matière de déclarations administratives. Elles ne seront pas à jour de leurs obligations sociales et fiscales, alors que c’est requis dans différentes procédures. Il faut les libérer de ces obligations, le temps que tout soit régularisé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis est favorable.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Je profite de l’examen de cet amendement pour poser une question n’ayant que peu de rapport avec le sujet – je vous prie de m’en excuser.
On nous parle de report de charges… Le report du paiement de la TVA est-il prévu ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. S’il y a TVA, c’est déjà qu’il y a chiffre d’affaires… Je ne vais pas m’appesantir sur le sujet, mais la réponse est négative : aucun report n’est prévu s’agissant de la TVA.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Ici, nous abordons spécifiquement le cas des entreprises. Mais ce type de règles s’applique dans de nombreuses démarches, notamment des démarches concernant les particuliers. Ces derniers ont aussi des délais à respecter dans le cadre de leurs obligations – je pense, par exemple, aux justifications de présence sur le territoire national.
Au cours de cette période, ils seront dans l’incapacité de le faire. Il me semble important de le préciser, car, si nous allons examiner un certain nombre de domaines, il y aura certainement besoin de compléter les interventions au regard des cas particuliers.
M. le président. L’amendement n° 46, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Alinéa 21, première phrase
Après le mot :
droit
insérer les mots :
, notamment dans le cadre de l’indemnisation chômage,
Cet amendement est déjà défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Le texte prévoit déjà un moratoire général sur les délais. Il n’y a pas besoin d’en créer un particulier, comme le propose notre collègue Stéphane Ravier.
L’amendement est satisfait. La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 101, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 22
Supprimer les mots :
autres que pénales
La parole est à Mme la ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission émet un avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 77, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 23
Remplacer les mots :
des délais d’audiencement
par les mots :
des délais au cours de l’instruction et en matière d’audiencement
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Par cet amendement, nous souhaitons préciser que l’habilitation prévue à l’article 7 du projet de loi concerne, à la fois, les délais d’audiencement et les délais au cours de l’instruction. De telles mesures d’ajustement s’imposent en matière judiciaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis est favorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Avec cet amendement et le précédent, nous quittons la partie consacrée au soutien direct aux entreprises, à la vie économique et sociale du pays, pour aborder des mesures d’organisation administrative dans un temps où, effectivement, on ne peut pas fonctionner comme d’habitude dans un certain nombre de domaines.
Il est vraiment indispensable de prendre conscience que l’on a passé ce cap. Auparavant, nous parlions de mesures de soutien à la vie économique et sociale ; maintenant, nous évoquons des mesures administratives, qui peuvent se comprendre dans un contexte exceptionnel, mais ne doivent pas perdurer au-delà.
M. Jean-Yves Leconte. Si j’évoque ce point à ce stade du débat, madame la ministre, c’est que vous êtes la ministre du travail et de l’emploi et qu’il aurait peut-être fallu que la ministre de la justice vienne elle-même nous éclairer sur l’ensemble des conséquences de ces mesures.
J’y insiste, nous les comprenons dans le contexte actuel, mais il faudra veiller – c’est le sens d’un de nos amendements ultérieurs – à ce que ce type de dispositions, profondément attentatoires aux droits et aux libertés, ne puissent perdurer au-delà d’un temps raisonnable.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement, qui a recueilli un avis favorable de la commission, est extrêmement intéressant. Toutefois, et j’ai posé cet après-midi une question d’actualité au Gouvernement sur le sujet, il faudra prendre l’ordonnance dans des délais extrêmement courts.
En effet, nous allons être confrontés à des failles de procédure, qui entraîneront des libérations ou des nullités ; d’où l’amendement n° 6, que je présenterai un peu plus tard dans la discussion. Pour les extractions judiciaires et pour un certain nombre d’autres mesures liées à la procédure pénale, l’ordonnance ne doit absolument souffrir aucun délai.
Je vais évidemment voter cet amendement, mais je souhaitais, madame la ministre, attirer votre attention sur la question du délai dans lequel certaines ordonnances, notamment quand elles relèvent de la procédure pénale, doivent être prises.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement est très important et, pour tout dire, très préoccupant.
Il était déjà prévu que l’on puisse aménager les délais d’audiencement – une fois l’instruction terminée, il faut prévoir la date à laquelle l’affaire sera portée devant une juridiction de jugement. Dans ce cas, la personne est en détention ou pas, mais on voit bien qu’il s’agit d’une question de calendrier.
Néanmoins, on prévoit un deuxième cas, celui des délais au cours de l’instruction, et là les circonstances sont tout autres. Il peut y avoir détention, et la formulation de l’ordonnance, telle qu’elle est présentée ici, laisse à penser que l’on pourrait revoir les règles encadrant la durée de cette détention.
Or quelle est la situation aujourd’hui ? Personne ne parle de la propagation de l’épidémie en prison, alors qu’il le faudrait.
Les personnes en détention se retrouvent à quatre dans des cellules de 9 mètres carrés ; elles sont désormais interdites de promenade ; elles n’ont pas de masque. Dans quelques semaines ou, peut-être, dans quelques jours, nous allons donc voir l’épidémie exploser dans les prisons. Je pense que, sur cette question, comme, de manière générale, sur celle des prisons, nous devons ouvrir les yeux.
Cet amendement, qui tend à autoriser la mise en place de règles dérogatoires s’agissant de la durée des actes au cours de l’instruction, pose le problème très grave d’une possible prolongation de la durée de détention. Contrairement à ce qui est écrit dans l’exposé des motifs, ce n’est pas un moyen d’éviter la réitération de l’infraction, puisque nous évoquons ici, ni plus ni moins, des personnes qui ne sont pas condamnées !
Si je juge sage que l’on ait pris des mesures en matière de délais d’audiencement, je serais défavorable à l’idée d’inclure les délais au cours de l’instruction.
M. le président. L’amendement n° 76, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 23
Remplacer les mots :
trois mois en première instance et six mois en appel
par les mots :
trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement tend à s’inscrire dans la lignée du précédent, puisqu’il s’agit d’habiliter le Gouvernement à allonger les délais de détention provisoire, au vu des circonstances actuelles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis est favorable.
M. le président. L’amendement n° 85, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I – Alinéa 25
1° Après les mots :
personnes morales de droit privé
insérer les mots :
et autres entités
2° Remplacer les mots :
du droit des sociétés relatif à la tenue des
par les mots :
des règles relatives aux
II – Alinéa 26
Après les mots :
personnes morales de droit privé
insérer les mots :
et autres entités
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement vise à étendre le champ d’application personnel et matériel des mesures relatives aux délibérations des organes dirigeants et des assemblées, ainsi que des mesures relatives à la comptabilité.
Pour prendre un exemple, nombre d’assemblées générales et de conseils d’administration doivent se réunir physiquement, au titre des dispositions prévues dans leurs statuts. Il faut les autoriser à se réunir virtuellement.
Il existe toute une série d’exemples de cette nature. Il s’agit donc, ici, de permettre la continuité dans les gouvernances, sans que les textes actuels aboutissent à une forme d’empêchement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Favorable.
M. le président. L’amendement n° 72, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 31
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Permettant aux autorités compétentes de prendre toutes mesures relevant du code de la santé publique et du code de la recherche afin, dans le respect des meilleures pratiques médicales et de la sécurité des personnes, de simplifier et d’accélérer la recherche fondamentale et clinique visant à lutter contre l’épidémie de Covid-19 ;
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il s’agit d’habiliter le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnances, toutes les mesures permettant de simplifier et d’accélérer les protocoles de recherches fondamentale et clinique sur le Covid-19. Je pense, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous voyez bien l’intérêt et l’enjeu de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il est favorable.
M. le président. L’amendement n° 73, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 31
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Afin de faire face aux conséquences, pour les établissements de santé mentionnés à l’article L. 61111 du code de la santé publique, de la propagation du Covid-19 et des charges découlant de la prise en charge des patients affectés par celui-ci, toute mesure dérogeant aux règles de leur financement ;
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Nous proposons d’ajouter un nouvel alinéa à l’article 7, autorisant à déroger provisoirement aux règles de financement des établissements de santé mentionnés à l’article L. 6111-1 du code de la santé publique, et ce afin de leur permettre de faire face aux conséquences de la propagation du virus Covid-19 et aux charges découlant de la prise en charge des patients affectés.
Les établissements de santé sont évidemment en première ligne dans la gestion de l’épidémie. Leurs règles de financement, avec la tarification en fonction de l’activité réalisée, ne permettront pas de répondre à toutes les situations nouvelles qui se présenteront. Nous souhaitons donc alléger le dispositif ; nous régulariserons ultérieurement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement n’est pas tout à fait négligeable, mais nous émettons un avis favorable.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je me réjouis de cette disposition concernant la tarification à l’activité. Nous n’avons pas cessé de le dire ici, sur toutes les travées ou presque, la tarification à l’activité n’est plus adaptée. Même Agnès Buzyn, lorsqu’elle était ministre, l’avait reconnu ! Il faudrait donc passer à la vitesse supérieure sur cette question, même lorsque l’on ne se trouve pas en crise sanitaire.
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par Mme Rossignol, M. Jomier, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Leconte et Sueur et Mme Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 34
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Le Gouvernement avait déjà essayé d’introduire, dans le PLFSS, un article imposant aux assistantes maternelles, à la fois, une déclaration d’identité et un planning en ligne.
Cette obligation suscite l’hostilité de l’ensemble des assistantes maternelles et de leurs organisations professionnelles. Je rappelle que ces dernières ne sont pas des fonctionnaires. Elles sont, certes, associées au service public de la petite enfance, mais, en tant que salariées de droit privé, elles sont employées par les parents des enfants.
La disposition intégrée dans le PLFSS a été invalidée par le Conseil constitutionnel, et le Gouvernement, d’une manière qui ne me semble pas tout à fait loyale, utilise ce projet de loi d’urgence sanitaire pour la réintroduire. Elle a été, je le répète, censurée par le Conseil constitutionnel, et l’on ne voit pas du tout son rapport avec la situation d’urgence dans laquelle nous nous trouvons actuellement.
J’en profite pour vous dire, madame la ministre, que les assistantes maternelles considèrent ne pas être bien considérées dans la crise actuelle.
Elles n’ont pas de masque. Elles accueillent plusieurs enfants, et l’alinéa 34 de cet article augmente même leurs capacités d’accueil. Certains enfants viennent de familles où se trouvent des malades – nous savons que les enfants sont transmetteurs lorsqu’ils sont à l’école ; ils le sont aussi lorsqu’ils se trouvent chez l’assistante maternelle ! Elles travaillent chez elles et sont susceptibles de partager leur domicile avec des conjoints ou des parents qui sont des personnes fragiles.
La sensibilité des assistantes maternelles est donc déjà exacerbée quant à la place qui leur est accordée, au soin qui leur est prodigué et à la manière dont elles sont traitées dans la crise actuelle. Je ne pense pas qu’il soit utile d’ajouter à cela le retour d’une plateforme dont elles ne veulent pas.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Le président Alain Milon, qui s’exprimera peut-être, a fait adopter un amendement visant à circonscrire l’habilitation aux mesures nécessaires pour lutter contre la crise sanitaire, en permettant aux personnels concernés de faire garder leurs enfants.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Je profite de l’examen de cet amendement pour évoquer la situation des professionnels effectuant des gardes d’enfants ou des prestations auprès des personnes âgées.
Un certain nombre de structures, notamment des entreprises individuelles, disposant de personnes ayant les capacités et les agréments pour s’acquitter de ces missions se retrouvent aujourd’hui sans activité – dans le domaine de la formation, par exemple. Disponibles pour offrir ces services, elles se voient bloquées par certaines règles, comme celles qui concernent les activités uniques.
Autrement dit, même si elles disposent de toutes les capacités et de tous les agréments pour ce faire, le droit les empêche d’exercer ces activités.
D’un côté, il y a des entreprises qui ont perdu leur activité et leur chiffre d’affaires ; de l’autre, il y a des services qui ne sont pas pourvus par manque de professionnels… C’est un point qu’il faut examiner, madame la ministre, car il est possible là de récupérer très rapidement plusieurs milliers de professionnels, qui sont formés et agréés, mais qui, aujourd’hui, ne peuvent pas exercer.
M. le président. L’amendement n° 31, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Carcenac, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 36
Après les mots :
et médicosociaux
insérer les mots :
dans la limite de leur capacité d’accueil
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Il s’agit d’indiquer que les établissements qui vont devoir accueillir des résidents ou des personnes en plus, du fait de la crise, ne le feront que dans la limite de leur capacité d’accueil. Cela me paraît une évidence, mais encore faut-il le préciser, sans quoi on mettrait en danger, à la fois, les personnes accueillies et les personnels.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Cohen. Pourquoi ?
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. J’entends la ministre exprimer, d’un ton définitif et de manière relativement concise (Sourires sur les travées des groupes SOCR et CRCE.), un avis défavorable.
J’en déduis que le Gouvernement a l’intention d’excéder les capacités d’accueil des établissements visés ! Si vous ne voulez pas, madame la ministre, que l’on apporte une telle précision, qui me semble pourtant relever de l’évidence, c’est que vous avez l’intention d’excéder les capacités d’accueil.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation d’urgence.
Certains établissements sont en difficulté ; d’autres sont prêts à accueillir, de façon temporaire, en relais d’un accompagnement au domicile qui est rendu très précaire, quelques personnes se trouvant en difficulté. Il ne faut pas les empêcher de le faire !
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par MM. Kanner et Jomier, Mmes Rossignol et de la Gontrie, MM. Leconte, Sueur, Éblé, Montaugé, Carcenac, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 39
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Le dispositif manquant de précision, le présent amendement a pour objet de supprimer le 6° de l’article 7.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 74, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 47
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Les projets d’ordonnance pris sur le fondement du présent article sont dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il s’agit de supprimer certaines consultations préalables à l’édiction des ordonnances, qui demanderaient plusieurs semaines, alors que nous sommes en situation d’urgence.
Je pense, par exemple, à l’ordonnance permettant d’adapter le droit de la copropriété : elle doit aujourd’hui être soumise à l’avis obligatoire d’un conseil, dans le cadre d’un processus qui prendrait plusieurs semaines. Et il existe de nombreux autres cas similaires.
Évidemment, le Conseil d’État sera toujours consulté et pourra, le cas échéant, revoir la copie du Gouvernement. Mais nous souhaitons procéder à certaines consultations en urgence, afin de pouvoir publier rapidement les ordonnances.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Favorable.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Comme vous le savez, mes chers collègues, nous sommes traditionnellement défavorables aux ordonnances. Mais là, c’est une déferlante !
On est en droit de s’interroger sur les garde-fous qui demeurent. Parce que nous sommes en situation de crise sanitaire, on donne les pleins pouvoirs au Gouvernement… Dans ces conditions, est-ce la peine d’aller au bout de la séance ?
M. le président. Nous irons jusqu’au bout de la séance, ma chère collègue ! (Sourires.)
Je mets aux voix l’amendement n° 74.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Kanner et Sueur, Mme de la Gontrie, M. Leconte, Mme Artigalas, MM. Carcenac et Éblé, Mme Féret, MM. Jomier et Montaugé, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, MM. Temal, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Les dispositions législatives prises en vertu des 2° à 7° du I et du II du présent article sont applicables jusqu’au 1er avril 2021.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Depuis le début de l’examen de l’article 7, on ne compte plus les amendements du Gouvernement tendant à l’autoriser à légiférer par ordonnances : sans même évoquer ceux qui ont été déposés au cours de la séance, je n’en dénombre pas moins de neuf en matière économique et sociale et de vingt-cinq dans le champ administratif et juridique, qu’il s’agisse de sécurité, des droits des individus, du droit des collectivités locales ou des autorités administratives indépendantes.
Nous venons de voter vingt-cinq dispositifs habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances dans des domaines très larges, tout en supprimant les consultations obligatoires prévues par une disposition législative ou réglementaire. Cette situation est particulièrement préoccupante.
Certes, nous comprenons qu’il y a urgence, et c’est pourquoi nous n’avons pas davantage réagi jusqu’à présent, sauf quand nous souhaitions soulever un point précis ou débattre de telle ou telle disposition.
Toutefois, même si le président de la commission des lois nous rappellera qu’il est toujours nécessaire de les ratifier, il est question dans ce texte d’une quarantaine d’ordonnances, qui concernent des domaines extrêmement variés, et qu’il faudra examiner en très peu de temps.
Nous avons tous un peu d’expérience sur ces travées : nous savons d’avance que notre travail de parlementaire sera à peu près aussi précis et sérieux que celui que nous faisons aujourd’hui, c’est-à-dire que nous n’entrerons pas dans le détail.
Dans ces conditions, tout en tenant compte de la nécessité de garantir une certaine stabilité dans le champ économique et social, c’est-à-dire en dehors de dispositifs qui nécessitent d’être appliqués un peu plus longtemps, nous proposons d’indiquer que l’ensemble des dispositions prises en vertu des 2° à 7° du I et du II du présent article ne seront applicables que jusqu’au 1er avril 2021.
Ainsi, nous précisons que l’habilitation à légiférer via ces ordonnances est consentie pour un motif d’urgence et que les mesures prises ne seront pas pérennes dans notre droit.
Pour des raisons de sécurité juridique, dans un esprit de sérieux et de responsabilité, nous excluons du dispositif de l’amendement les autres ordonnances visées par l’article 7. Ce que nous proposons est absolument essentiel, parce que les mesures qui seront décidées toucheront à la vie des collectivités locales, au droit, à la sécurité et au fonctionnement de notre système juridique.
On ne peut pas accepter de travailler ainsi : ce serait vraiment une démission du Parlement que d’aller au-delà de cette réponse dans l’urgence en de tels domaines.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Dans bien des cas, il est possible d’admettre que les mesures cesseront tout à fait à partir du mois d’avril 2021, mais d’autres circonstances nécessiteront qu’elles continuent de s’appliquer.
Pour la commission, le couperet est trop brutal : elle est donc défavorable à l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement est inutile, car les mesures prévues à l’article 7 sont, par leur objet et leur nature mêmes, limitées à la durée de la crise sanitaire. Dans bien des domaines, j’espère que cette crise sera bien plus courte que ce que nous prévoyons, mais on ne peut pas préjuger de sa durée. Il nous paraît difficile aujourd’hui de fixer une date par principe.
En revanche, je le répète, toutes les mesures sont limitées à la durée de la crise sanitaire, et c’est de cela que nous devrons vous rendre compte.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Notre groupe attache une grande importance à l’amendement de notre collègue Jean-Yves Leconte. En effet, nous voyons bien que, d’habilitation en habilitation, nous aboutissons à une situation dans laquelle tout devient possible.
La France est un État de droit. Aussi sommes-nous particulièrement impressionnés par le précédent amendement, sur lequel je souhaite revenir.
Tout d’abord, les projets d’ordonnances qui sont prises sur le fondement du présent article sont dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire, ce qui instaure un flou intégral.
Ensuite, on nous explique qu’il s’agit d’une série de mesures exceptionnelles. Nous considérons que ces dispositions, effectivement liées à une situation tout à fait exceptionnelle, à une catastrophe d’une ampleur immense, que l’on n’a jamais connue auparavant, sont nécessaires.
Toutefois, si ces mesures recueillent notre accord, c’est à la condition qu’il soit bien précisé, et qu’il soit bien clair pour tout le monde que, une fois la situation assainie, celles-ci ne resteront pas en vigueur : des dispositifs ayant un caractère parfaitement exceptionnel ne peuvent devenir pérennes. C’est ce que M. Leconte a démontré et défendu avec une grande clarté.
Évidemment, si l’objectif est de permettre la prorogation de certaines mesures, comme l’ont dit M. Bas et Mme la ministre, on l’autorisera. Nous ne sommes pas stupides, plusieurs dispositions devront certainement être prolongées. Nous savons bien que l’épidémie ne s’arrêtera pas subitement et que les gens ne seront pas tous guéris d’un coup : l’amélioration sera sans doute progressive.
Néanmoins, nous voulons mettre en garde contre l’éventualité – il existe en effet un certain nombre de précédents, et je pourrais les citer – que certaines mesures exceptionnelles prises par ordonnance deviennent peu à peu pérennes.
Nous sommes prêts à admettre de nombreuses dérogations, parce que la situation catastrophique du pays l’exige, mais c’est uniquement si l’on fixe des limites.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. J’irai dans le sens contraire de notre collègue Jean-Yves Leconte. Son amendement vise à priver d’effet, à une date fixée à l’avance, l’intégralité des dispositions qui résulteront d’un ensemble très vaste d’ordonnances.
Nous comprenons tous que la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons, et qui va encore se dégrader, implique d’altérer, de modifier et d’adapter un très large éventail de dispositions légales. La question se pose d’affirmer que nous sommes sûrs de pouvoir mettre fin un jour donné à l’ensemble de ces dispositifs, alors que nous connaîtrons évidemment de nombreuses situations de transition.
Prenons l’exemple de la série d’habilitations que nous venons de compléter pour adapter un certain nombre de délais administratifs et modifier des procédures administratives ou techniques : bien malin qui pourrait affirmer aujourd’hui qu’il connaît le jour exact où celles-ci deviendront inutiles.
En réalité, il n’existe que deux solutions.
Soit l’on ne vote pas cet amendement et, dans ce cas, par mesure de précaution ou par scrupule à l’égard du risque de pérennisation de dispositions spécifiques, le Parlement pourra mettre fin délibérément, après les avoir examinées attentivement, à des mesures qui risqueraient à tort de se perpétuer. Nous, parlementaires, pouvons en effet déposer à cette fin toutes les propositions de loi que nous voulons.
Soit l’on adopte l’amendement de nos collègues socialistes et, dans cette hypothèse, on sera obligé d’engager une revue de tous les dispositifs, probablement dans la précipitation, avant la date que nous aurons fixée, afin de sélectionner ceux d’entre eux qu’il nous semble nécessaire de proroger. Il me semble que cette dernière façon de légiférer n’est pas bonne, notamment dans la situation d’urgence évolutive que nous vivons.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je voudrais tout d’abord préciser que nous avons exclu du dispositif de l’amendement, parce que nous sommes conscients que les acteurs économiques, en particulier, ont besoin de stabilité, une partie des dispositions législatives prévues par l’article, même s’il s’agit également de mesures provisoires.
Ensuite, je rappelle que nous prévoyons une caducité non pas au bout de trois ou de six mois, mais au terme d’une année. Dans l’hypothèse où il faudrait aller plus loin pour certaines dispositions, nous pourrions le faire de manière plus sereine que ce que le texte prévoit : lorsqu’il nous faudra voter en masse des projets de loi de ratification d’ordonnances dans un mois ou dans trois mois, il sera impossible de travailler dans de bonnes conditions.
Enfin, j’ajoute que, dans la période à venir, le contrôle de légalité des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et le contrôle de constitutionnalité des dispositions que nous votons aujourd’hui, ne pourra pas s’exercer ou s’exercera dans de telles conditions que nous sortirons de tout cadre juridique connu, au moins pour les prochains mois.
Cette situation n’est pas acceptable dans une démocratie sur le long terme.
Si nous voulons faire en sorte que les dispositions que nous votons, ou celles qui ont vocation à durer, soient vraiment efficaces, il faut qu’elles respectent notre Constitution. Il faut donc pouvoir les examiner dans de meilleures conditions et prévoir un contrôle de légalité des mesures administratives.
Or ce n’est pas prévu, mes chers collègues ! Il n’est qu’à voir ce qui figure dans le projet de loi organique dont nous débattrons dans quelques instants.
Pour toutes ces raisons, mais aussi parce que nous tenons à préserver l’État de droit et à garantir au Parlement des conditions de travail convenables, de sorte qu’il puisse correctement voter des dispositions qui ne seront pas censurées par le Conseil constitutionnel dans quelques mois, lorsque les conditions seront un peu meilleures, il est absolument indispensable de voter mon amendement. Celui-ci est un gage de sécurité juridique, et ses dispositions témoignent de notre sérieux parlementaire.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, tout à l’heure, j’ai proposé à votre collègue Olivier Véran de créer un comité de suivi de l’état d’urgence sanitaire.
Je suis désolée de réitérer ma proposition, mais elle me semble de plus en plus utile à mesure que j’entends égrener la liste des ordonnances que l’on devra ratifier, les thèmes et les sujets d’interrogation auxquels nous sommes confrontés, face à une situation qui est totalement inédite.
Même si la mesure n’est pas adoptée par voie d’amendement et si la décision est prise de manière spontanée par le Gouvernement, il me semble intéressant d’associer des membres du Parlement issus de toutes les commissions permanentes à ce comité de suivi, à l’image de celui que l’on avait créé en matière de terrorisme.
Dans son discours, le Président de la République a répété quatorze fois que c’était la guerre. Je trouve que la situation est aussi grave que celle que l’on a vécue en 2015 à la suite des attentats.
Madame la ministre, j’aimerais, sinon avoir un engagement, du moins savoir si cette proposition pourrait susciter un quelconque intérêt de la part du Gouvernement.
Selon moi, c’est le seul moyen de savoir si les mesures peuvent être interrompues ou non, d’être informé de l’état du dispositif sanitaire et de l’évolution de l’épidémie et de mettre fin, en conséquence, aux mesures provisoires que nous sommes en train de voter.
Je reviens donc à la charge : quelle est la position du Gouvernement sur le principe d’un comité de suivi de l’état d’urgence sanitaire ?
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Nous sommes évidemment sensibles à l’exposé de notre collègue Leconte.
Madame la ministre, je ne comprends pas pourquoi vous expliquez que l’amendement est caduc, puisque, de toute façon, les dispositions s’arrêteront avec la crise sanitaire.
On entend aussi certains collègues déclarer que la crise pourrait durer beaucoup plus longtemps et qu’il ne faudrait pas fixer de date de caducité, même éloignée dans le temps, puisque, je le rappelle, M. Leconte l’a fixée au 1er avril 2021, ce qui nous permet tout de même de nous retourner.
Cette échéance nous laisserait pourtant le temps d’examiner la situation et de déterminer si ces mesures doivent être prorogées ou non. Elle nous paraît raisonnable s’agissant des dispositions visées à l’article 7. Aussi, pourquoi refuser cet amendement ? Nous ne comprenons pas bien.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je tiens juste à préciser que toutes les ordonnances résultant d’une habilitation législative donnée au Gouvernement sont prévues pour la durée de la crise sanitaire. Nous signalons simplement que nous ne connaissons pas la durée de cette crise. Aucune disposition pérenne ne figure dans les textes qui vous sont soumis aujourd’hui.
M. le président. Je mets aux voix l’article 7, modifié.
(L’article 7 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 7
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par Mmes Rossignol et Meunier, M. Kanner, Mme de la Gontrie, MM. Leconte et Temal et Mme Monier, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Par dérogation aux articles L. 22121 et L. 2212-7 du code de la santé publique, jusqu’au 31 juillet 2020, l’interruption de grossesse peut être pratiquée jusqu’à la fin de la quatorzième semaine de grossesse.-
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Je reviens sur le sujet que j’ai évoqué tout à l’heure avec le ministre des solidarités et de la santé, avant que celui-ci ne quitte le banc du Gouvernement.
Depuis le début de l’examen de ce texte, nous débattons des moyens permettant d’amortir les effets de l’épidémie de coronavirus sur l’ensemble des activités de notre pays, qu’elles soient économiques ou sociales.
Parmi ces activités, l’article 7 consacre beaucoup de place à la question de la sauvegarde et de l’adaptation des entreprises, ainsi qu’à celle du maintien de l’emploi, ce qui est tout à fait normal. On a par exemple abordé tout à l’heure le sujet des assistantes maternelles et celui de l’adaptation du secteur médico-social.
Je voudrais en cet instant attirer votre attention, madame la ministre, sur un sujet qui n’a peut-être pas encore été discuté au sein du Gouvernement, ce que je comprendrais parfaitement, tant vous avez de problèmes à traiter.
Il se trouve que je connais bien cette question, pas simplement parce que l’on m’aurait rapporté des difficultés dans le cadre d’entretiens personnels, mais parce qu’elle a donné lieu à une note du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) : comment la crise du coronavirus influe-t-elle sur l’activité en matière d’IVG ?
Aujourd’hui, les répercussions sont considérables. Elles le seront encore davantage dans les semaines à venir, d’abord parce que certains hôpitaux reportent la pratique des IVG sur d’autres établissements, qui se trouveront dès lors très sollicités.
Je pense aussi à toutes ces patientes atteintes par le coronavirus qui devaient accéder à une IVG, ou à ces soignants eux-mêmes malades, à tel point que le CNGOF envisage de transformer un certain nombre d’IVG en interruptions médicales de grossesse, ou IMG.
Aujourd’hui, les professionnels demandent un allongement des délais d’accès à l’IVG de deux semaines durant la période exceptionnelle dont nous parlons depuis le début de cette discussion. Ils le demandent pour ne pas se retrouver dans l’illégalité ou ne pas devoir en permanence, au cas par cas, trancher entre le nécessaire respect de la loi et le meilleur moyen de traiter les situations auxquelles ils sont confrontés.
Le Gouvernement doit leur offrir cette possibilité. Il ne s’agit pas de débattre de nouveau du délai légal d’accès à l’IVG. Ce n’est pas moi qui ai mis ce sujet sur la table, c’est le collège des obstétriciens. Pour tout dire, je n’avais pas pensé moi-même défendre cet amendement.
Je ne crois pas que l’on puisse régler le problème en dehors de la loi, donc à un autre moment que ce soir. Le ministre de la santé a gentiment répondu tout à l’heure qu’il en parlerait à ses collègues et aux obstétriciens, mais il ne pourra pas trouver de solution hors d’un texte législatif.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de voter cet amendement ce soir, tout en répétant qu’il n’est pas de mon fait.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol. C’est honteux !
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Lorsque l’état d’urgence sanitaire a été déclaré, les débats contradictoires relatifs à la prolongation de la détention provisoire des personnes mises en examen, prévenues ou accusées peuvent, tant que l’état d’urgence sanitaire est en vigueur, se tenir sans que celles-ci comparaissent personnellement lorsque le recours aux dispositions prévues à l’article 706-71 du code de procédure pénale s’avère matériellement impossible.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Je veux évoquer un problème de procédure pénale que j’ai déjà abordé cet après-midi lors des questions d’actualité au Gouvernement. Je reviens à la charge, car on ne m’a pas répondu sur le délai dans lequel seraient prises les ordonnances.
L’épidémie de coronavirus entraînera évidemment de très lourdes perturbations dans les juridictions pénales. Si la loi prévoit le recours à la visioconférence pour les audiences, il reste que les tribunaux sont très mal équipés, qu’ils rencontreront des problèmes et que des lacunes procédurales pourraient survenir.
C’est la raison pour laquelle je propose un amendement visant à faciliter la procédure pénale.
Je sais que la commission y est défavorable, mais j’insiste pour des raisons techniques. À défaut d’ordonnances prises dans des délais extrêmement brefs, des vices de procédure pourraient apparaître, et nous assisterions à la remise en liberté de certains détenus.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je comprends parfaitement votre préoccupation, ma chère collègue. On pourrait effectivement envisager – c’est votre proposition – qu’une personne, au lieu de comparaître physiquement, soit entendue par visioconférence. Seulement, l’article 7 du présent projet de loi, que nous venons d’adopter, comporte déjà une autre disposition, qui prévoit une procédure écrite.
Dès lors que cette procédure écrite, qui est encore plus souple que celle de la visioconférence, va au-delà du moyen que vous voulez utiliser pour atteindre le même but, je vous demande, ma chère collègue, de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi je serais contraint, au nom de la commission, d’émettre un avis défavorable – mais pas négatif quant à l’objectif que vous visez !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement partage votre préoccupation, madame la sénatrice. C’est pourquoi l’ordonnance d’adaptation de la procédure pénale, qui sera prise en application de l’article 7, prévoit que les débats contradictoires de prolongation de détention provisoire pourront se dérouler sans la présentation de la personne.
Le projet d’ordonnance est déjà prêt : le Conseil d’État en sera saisi dans les prochains jours, dès le vote de la loi. Vous avez raison sur le fond, mais votre amendement nous paraît inutile : nous vous proposons de le retirer.
M. le président. Madame Goulet, l’amendement n° 6 est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 6 est retiré.
L’amendement n° 19, présenté par MM. Chaize et Retailleau, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Afin de faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19 et en particulier d’assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux mentionnés à -l’article L. 7321 du code de la sécurité intérieure, toute mesure visant à :-
- déroger aux procédures de délivrance d’autorisations par les autorités administratives,
- déroger aux procédures d’information des autorités administratives,
- prévoir des modalités de réquisitions des personnels des exploitants de ces réseaux et de ces services, ainsi que de leurs sous-traitants,-
est autorisée pendant une durée de six mois à compter de la date de publication de la présente loi.
La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Retailleau, l’amendement n° 19 est-il maintenu ?
M. Bruno Retailleau. Non, je m’en remets à la décision de la commission et le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 19 est retiré.
L’amendement n° 20, présenté par MM. Chaize et Retailleau, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Afin de faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19 et en particulier d’assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux mentionnés à l’article L. 732-1 du code de la sécurité intérieure, toute mesure visant à permettre la collecte et le traitement de données de santé et de localisation, est autorisée pendant une durée de six mois suivant la date de publication de la présente loi.
La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Il est également défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Retailleau, l’amendement n° 20 est-il maintenu ?
M. Bruno Retailleau. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 20 est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 8, présenté par MM. Éblé, Kanner et Sueur, Mme de la Gontrie, M. Leconte, Mme Artigalas, M. Carcenac, Mme Féret, MM. Jomier et Montaugé, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, MM. Temal, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’ensemble des dépenses engagées par les collectivités territoriales et leurs groupements pour faire face à l’urgence sanitaire imposée par l’épidémie de Covid-19 et à ses conséquences en matière sociale, économique et de fonctionnement des services publics sont considérées comme résultant d’éléments exceptionnels affectant significativement leurs résultats au sens des dispositions du troisième alinéa du V de l’article 29 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Le fameux pacte de Cahors est sûrement la première atteinte aux grands principes de décentralisation posés par les lois de 1982 et les suivantes.
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas la seule !
Mme Françoise Gatel. Il y en a eu avant !
M. Patrick Kanner. Il constitue en tout cas un retour du contrôle d’opportunité de l’État sur les dépenses, du moins les principales d’entre elles, des collectivités territoriales. Je pense notamment aux établissements publics de coopération intercommunale.
Vous le savez, ce pacte de Cahors vise à limiter les engagements des collectivités en termes de fonctionnement. Toutes ne l’ont pas signé, d’ailleurs, quitte à voir le représentant de l’État les condamner à des amendes dans le cadre de ce contrôle d’opportunité.
Le présent amendement vise simplement à ce que les dépenses de fonctionnement engagées pour lutter contre la pandémie du Covid-19 ne puissent être imputées sur les dépenses des collectivités concernées.
Les régions vont se mobiliser pour accorder des aides économiques. Hier, M. le président Retailleau a également évoqué ces départements qui achèteront peut-être des millions de masques pour faire face à l’épidémie.
Nous pensons que toute cette énergie, qui se concrétise par les dépenses de fonctionnement dont je viens de parler, ne devrait pas être comptabilisée dans le cadre du pacte de Cahors, et que ce dernier devrait être suspendu.
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 79, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les V et VI de l’article 29 de la loi n° 201832 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 ne sont pas applicables aux dépenses réelles de fonctionnement constatées dans le compte de gestion du budget principal au titre de l’année 2020 des collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre mentionnés aux trois premiers alinéas du I du même article.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement a pour objet de suspendre l’application des contrats de Cahors en 2020. Il va dans le même sens que le précédent, mais pas pour les mêmes raisons.
Pour notre part, nous pensons que les contrats de Cahors ont fait leurs preuves et ont permis une maîtrise des dépenses dans le cadre de la loi de programmation.
Mme Sophie Primas. Non, ce sont les élus qui ont permis cette maîtrise !
M. Patrick Kanner. Exactement !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il a en tout cas permis aux élus de le faire ! (Exclamations.) Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le moment de rouvrir le débat sur les contrats de Cahors…
En revanche, je crois que nous sommes tous d’accord pour dire que la crise sanitaire actuelle exigera des collectivités locales qu’elles puissent assumer des dépenses urgentes pour aider la population ou soutenir les entreprises, ce qui pourrait les conduire à dépasser le plafond maximal de dépenses inscrit dans leur contrat.
Nous proposons de suspendre l’application de ces contrats en 2020. Concrètement, cela signifie que les services de l’État ne regarderont pas en 2021 si les plafonds individuels de dépenses ont été respectés en 2020.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Ces deux amendements sont vraiment très intéressants, mais, s’il faut vraiment choisir l’un des deux, je serais tenté de retenir – je m’en excuse par avance auprès des auteurs de l’amendement du groupe socialiste – celui du Gouvernement.
En effet, à la suite d’un examen technique à la loupe, auquel j’ai procédé dans l’après-midi, puisque j’avais du temps libre (Sourires.), j’ai constaté que les dispositions de l’amendement n° 79 allaient encore plus loin que le vôtre, monsieur Kanner.
Comme je pense que l’objet de cet amendement correspond exactement à ce que vous voulez – si vous aviez eu davantage de temps, ou plus de collaborateurs, vous auriez d’ailleurs certainement rédigé un amendement similaire à celui du Gouvernement –, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement au profit de celui du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Kanner, l’amendement n° 8 est-il maintenu ?
M. Patrick Kanner. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 8 est retiré.
La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote sur l’amendement n° 79.
M. Alain Richard. Naturellement, comme tout le monde doit y mettre de la bonne volonté, je voterai avec enthousiasme cet amendement.
Je fais simplement observer au Gouvernement, puisqu’une majorité d’entre nous l’a voté ici – certains ne s’en souviennent peut-être plus –, que le « pacte de Cahors » a été adopté par le législateur et que les contrats qui l’appliquent sont pluriannuels.
Par conséquent, si l’on neutralise l’année 2020, je me demande comment nous pourrons en vérifier l’application sur une période qui englobe ladite année… Cela justifie sans doute qu’un petit travail de perfectionnement de ce dispositif soit mené d’ici à la fin de l’année.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 7.
Article 8
Les délais dans lesquels le Gouvernement a été autorisé à prendre par ordonnance sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, des mesures relevant du domaine de la loi sont prolongés de quatre mois, lorsqu’ils n’ont pas expiré à la date de publication de la présente loi.
Les délais fixés pour le dépôt de projets de loi de ratification d’ordonnances publiées avant la date de publication de la présente loi sont prolongés de quatre mois, lorsqu’ils n’ont pas expiré à cette date.
M. le président. L’amendement n° 26, présenté par Mme N. Delattre, MM. Requier et Castelli, Mme Costes, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Labbé, Mme Laborde et M. Roux, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. L’article 8 du projet de loi prévoit que les délais dans lesquels le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance des dispositions légales sont « prolongés de quatre mois, lorsqu’ils n’ont pas expiré » à la date de publication de la présente loi. Il en va de même pour les projets de loi de ratification d’ordonnances.
Dans sa réponse à la question d’actualité au Gouvernement de notre collègue Bruno Retailleau tout à l’heure, le Premier ministre a indiqué avoir besoin du Parlement pour continuer à contrôler le Gouvernement, tout en l’appelant à le faire avec le sens de l’État, avec vigilance et avec exigence, mais aussi avec la volonté de lui laisser la faculté de trouver les solutions adaptées à la crise que nous connaissons.
Nous serons toujours des facilitateurs, mais la confiance n’exclut pas le contrôle. Je ne distingue pas les fondements sur lesquels nous pourrions démesurément allonger les délais habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances.
C’est pourquoi je propose de supprimer l’article 8. Madame la ministre, vous pourrez revenir quand vous le souhaitez devant le Parlement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous remercie de soulever cette question, ma chère collègue, puisque, en effet, nous sommes toujours réticents à nous dessaisir de nos prérogatives constitutionnelles en faveur de l’exécutif, ne serait-ce que temporairement.
Toutefois, à vrai dire, il me semble tout de même que, en cette période de mobilisation générale des administrations centrales des ministères dans la lutte contre une épidémie, dont le caractère absolument exceptionnel n’est contesté par personne, il est sage de laisser au Gouvernement un peu plus de temps pour préparer les ordonnances que nous l’avons autorisé à prendre.
Cela ne revient pas à abdiquer nos pouvoirs de contrôle, puisque, de toute façon, il lui faudra bien revenir vers le Parlement lorsque ces ordonnances auront été publiées. On voit bien que l’exécutif a accepté le sacrifice de différer l’examen d’un certain nombre de projets de loi et de réformes qui tenaient à cœur au Président de la République et au Gouvernement. Il en va de même pour les dispositions qu’ils comptent prendre par ordonnance.
On ne peut pas tout faire à la fois. Aujourd’hui, nous sommes en guerre contre le coronavirus, ce qui mobilise toutes les énergies. Je crois qu’il faut en tenir compte, et c’est la raison pour laquelle il me serait agréable que vous acceptiez de retirer votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Delattre, l’amendement n° 26 est-il maintenu ?
Mme Nathalie Delattre. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement est excellent : il suffit de lire son objet pour s’en rendre compte.
Je rappelle que les ordonnances sont un dispositif qui prive le Parlement de son rôle, même si, bien sûr, il lui revient ou non de les ratifier.
Nous avons dans ce texte toute une collection d’ordonnances. Souvenez-vous aussi, mes chers collègues, que notre assemblée a voté tout à l’heure un amendement qui a pour objet de dispenser les projets d’ordonnance de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire.
Quand on prévoit des ordonnances, en général, on décide de fixer des délais de ratification qui, d’ailleurs, peuvent être variables. Or l’article 8 nous incite à prendre une mesure générale consistant à prolonger de quatre mois ces délais, lorsque ceux-ci n’ont pas expiré à la date de publication de la loi. Ainsi, on aboutit à un système totalement flou, qui permet de tout faire.
On va d’ailleurs assister à un engorgement complet du Parlement avec toutes ces ratifications.
Naguère, vous le savez bien, les projets de loi de ratification n’étaient pas examinés par le Parlement : il suffisait que les projets de loi soient déposés sur le bureau des assemblées pour être ratifiés de facto. Désormais, il faut un débat et, comme il s’agit de matières importantes, il faudra un véritable débat. Rendez-vous compte du nombre de débats qu’il faudra organiser ! Sauf à considérer qu’ils sont purement formels, mais, dans ce cas, c’est l’essence même du travail législatif qui se dissout.
Je sais très bien que nous nous trouvons dans une situation d’urgence et qu’il faut prendre des mesures tout à fait exceptionnelles, mais, en même temps, je trouve que le Gouvernement va trop loin avec ce texte. C’est pourquoi je soutiens avec force…
M. Philippe Bas, rapporteur. Et ferveur !
M. Jean-Pierre Sueur. … et vigueur l’amendement de notre collègue Nathalie Delattre.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Nous apprécions tous la rigueur juridique du président Bas, mais, en la circonstance, nous avons un peu de mal à le suivre.
Tout à l’heure, il a défendu une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à un certain nombre d’amendements, en nous expliquant qu’il ne fallait surtout pas nous dessaisir de notre pouvoir parlementaire. Et à l’instant, le même président Bas nous explique qu’il faut délivrer une autorisation de renouvellement automatique des ordonnances et qu’une telle mesure ne pose strictement aucun problème. Il faudra tout de même m’expliquer !
M. le président. Je mets aux voix l’article 8.
(L’article 8 est adopté.)
Article 9
Les mandats, échus depuis le 15 mars 2020 ou qui viendraient à l’être avant le 31 juillet 2020, des présidents, des directeurs et des personnes qui, quel que soit leur titre, exercent la fonction de chef d’établissement dans des établissements relevant du titre Ier du livre VII de la troisième partie du code de l’éducation, ainsi que ceux des membres des conseils de ces établissements sont prolongés jusqu’à une date fixée par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur, et, au plus tard, le 1er janvier 2021.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Le Gouvernement souhaite, par cet article, prolonger les mandats des présidents d’université.
Je ne comprends pas l’utilité de cette mesure, puisque le droit en vigueur, d’une part, permet la mise en place d’une direction provisoire dans une université, et, d’autre part, autorise le recteur à prendre à titre provisoire toutes les mesures conservatoires pour assurer la gestion de l’université. C’est l’article L. 719-8 du code de l’éducation.
Le Gouvernement pourrait donc parfaitement se passer de cet article 9, ainsi que de l’amendement n° 104 qui constitue en fait une exception à l’exception…
Il me semble que, pour éviter une succession de mesures dérogatoires, il faut tout simplement en rester au droit en vigueur, sauf bien sûr si le Gouvernement a d’autres intentions… Si tel est le cas, il serait tout de même préférable de nous en faire part !
M. le président. L’amendement n° 104, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :
Ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque les élections permettant le renouvellement de ces conseils se sont tenues avant la date de promulgation de la présente loi.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Alors que plusieurs jours, voire semaines, peuvent se dérouler entre l’élection des membres des conseils des universités et celle du président,…
Mme Françoise Gatel. Comme dans les conseils municipaux !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. … le présent article ne saurait avoir pour effet d’empêcher des conseils nouvellement élus d’élire un nouveau président, ce qu’ils peuvent faire au demeurant par voie électronique.
Cet amendement a ainsi pour objet de permettre, dans cette seule hypothèse, la réalisation de l’élection du président de l’université avant l’extinction du délai de prolongation des mandats prévue par cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je crois qu’il faut tout d’abord saluer l’extrême efficacité du Gouvernement, qui a réussi à se saisir de ce problème de telle manière qu’il a déposé son amendement à vingt-trois heures vingt-sept… (Sourires.)
Autrement dit, tant que le débat n’est pas terminé, le Gouvernement réussit à nous proposer de régler les problèmes les plus importants de la vie de la Nation à la faveur de ce texte sur la lutte contre la pandémie de coronavirus. Félicitations ! Je vous demande, madame la ministre, de transmettre mes félicitations à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Pour autant, j’ai une petite réticence. Tout à l’heure, nous discuterons du report de l’élection des maires – elle devait avoir lieu demain, samedi ou dimanche –, et je tombe sur cet amendement aux termes duquel il faut absolument, toutes affaires cessantes, prendre les dispositions nécessaires pour procéder à l’élection des présidents d’université. Mais s’il n’est pas possible de réunir les conseils municipaux en ce moment, comment réunir les conseils d’université nouvellement élus pour qu’ils élisent leur président ?
J’ai trouvé la réponse à cette question : le ministère de l’enseignement supérieur ne laisse rien au hasard et il semble avoir un temps d’avance sur les collectivités territoriales, puisque, l’élection se déroulant par voie électronique, il n’y aura pas de réunion du conseil. Le dispositif est maîtrisé, les acteurs en sont familiers, les garanties pour la sécurité du scrutin sont complètes et sa sincérité est assurée. (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)
Dans ces conditions, mon cher collègue Ouzoulias, je me dis que nous pourrions fort bien accepter cet amendement qui ne me paraît pas être inspiré par de mauvaises intentions.
Malheureusement, je ne peux le faire au nom de la commission, car je m’exprime à titre personnel. Je ne peux donc pas, mes chers collègues, chercher le moins du monde à vous convaincre !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je suis un peu perdu. Je crois comprendre du plaidoyer du président Bas que cette expérimentation électorale pourrait ensuite être appliquée aux conseils municipaux.
Personnellement, je suis toujours très favorable aux expérimentations ; je fais donc confiance au président de la commission en ce qui concerne cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 9, modifié.
(L’article 9 est adopté.)
Article 10
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé, dans un délai d’un mois à compter de la publication de la présente loi, à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin de prolonger la durée de validité des visas de long séjour, titres de séjour, autorisations provisoires de séjour, récépissés de demande de titre de séjour ainsi que des attestations de demande d’asile qui ont expiré entre le 16 mars et le 15 mai 2020, dans la limite de cent quatre-vingts jours. Un projet de loi de ratification est déposé devant le parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de chaque ordonnance.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. L’article 10 du projet de loi prévoit de prolonger par ordonnance la durée des visas, titres de séjour, autorisations provisoires de séjour, récépissés et attestations de demande d’asile qui auront expiré entre le 16 mars et le 15 mai 2020. Une fois n’est pas coutume, le Gouvernement semble prendre ses responsabilités en matière migratoire ; nous ne pouvons que saluer une telle décision.
Les procédures d’obtention d’un titre de séjour et celles qui sont nécessaires à leur renouvellement sont source d’un stress constant pour les personnes migrantes. Beaucoup d’entre elles craignent l’expulsion ou l’enfermement en centre de rétention administrative, même si elles sont en situation régulière, intégrées et présentes sur notre sol depuis de nombreuses années.
Si, à cette peur constante de l’éloignement il avait fallu ajouter l’angoisse engendrée par la crise du coronavirus, la situation aurait pu s’avérer insoutenable pour les étrangers résidant en France.
À l’heure où la pandémie nous frappe, nous devons faire preuve de solidarité avec les migrants. Le virus est susceptible de s’attaquer à tout le monde. Protégeons nos concitoyens et de la même manière permettons à ceux qui n’ont pas la nationalité française de vivre cette crise dans une certaine stabilité et de la manière la moins dramatique possible.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. J’ai déposé deux amendements concernant la situation des étrangers en France dans cette situation de pandémie.
L’un d’eux ne pourra pas être discuté, puisqu’il a été déclaré irrecevable. Il visait à suspendre l’application de deux décrets le temps de l’état d’urgence sanitaire, et je souhaite donc interpeller le Gouvernement à ce sujet, car celui-ci peut agir, même si le Parlement n’adopte pas de mesure législative.
Ces dernières années, l’accès aux soins des étrangers n’a cessé de connaître des restrictions. Ainsi, au mois de décembre dernier, le Gouvernement a adopté deux décrets qui ont limité cet accès aux soins.
L’un diminue la période de maintien des droits pour la prise en charge, la faisant passer de douze à six mois, ce qui, en pratique, au vu des délais en usage dans les préfectures, fait basculer de nombreuses personnes de la protection universelle maladie (PUMa) à l’aide médicale de l’État (AME) et complexifie la gestion du dispositif par l’assurance maladie.
L’autre est encore plus inquiétant, puisqu’il introduit un délai de carence de trois mois pour les demandeurs d’asile avant qu’ils puissent bénéficier de la prise en charge de leurs soins.
Dans les circonstances actuelles, encore plus qu’en temps normal, ces restrictions empêchent l’accès aux soins et font de cette population une population à risque. Nous alertons d’ailleurs régulièrement le Gouvernement sur ce point : restreindre l’accès aux soins de ces étrangers, en particulier pour les demandeurs d’asile, est contraire non seulement à notre devoir humanitaire, mais aussi à l’intérêt sanitaire de la population française elle-même.
C’est pourquoi je demande instamment au Gouvernement de suspendre, en cette période exceptionnelle d’urgence sanitaire, les mesures qui restreignent l’accès aux soins d’une partie de la population.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Je formulerai deux remarques à ce stade de nos débats.
Tout d’abord, la dramatique situation épidémiologique sur l’ensemble de notre continent laisse complètement de côté la tragédie qui se déroule à la frontière grecque.
Or ces deux drames vont se rejoindre. Comme, dans le même temps, les États membres de l’Union européenne semblent se replier sur leurs frontières nationales, en oubliant la nécessaire solidarité, la situation ne pourra que s’aggraver pour ces migrants qui fuient la guerre – celle-ci ne s’est pas arrêtée, bien au contraire ! –, ce qui aura bien évidemment des conséquences sur la santé des Européens.
Ensuite, je souhaite interroger le Gouvernement sur la situation des personnes titulaires d’un visa Schengen de court séjour, qui se retrouvent bloquées en Europe du fait de l’interruption des lignes aériennes.
Ce sujet ne fait pas partie de l’habilitation à légiférer par ordonnance que demande le Gouvernement. Or, si une personne dépasse la durée de son visa, ne serait-ce que d’un jour, il ne lui sera plus délivré de visa à l’avenir !
Comment la France et les autres États membres de l’espace Schengen vont-ils traiter cette situation ? Comment faire en sorte que ces personnes qui, je le répète, sont involontairement bloquées sur notre territoire ne soient pas considérées comme étant en situation irrégulière ?
M. le président. L’amendement n° 43 a été déclaré irrecevable.
L’amendement n° 47, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Première phrase
Remplacer les mots :
cent quatre-vingts jours
par les mots :
quatre-vingt-dix jours
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Même en période d’urgence sanitaire et de confinement, ce gouvernement n’a pas pu s’en empêcher – il est incorrigible !
Si vous vous occupez des Français avec les manquements graves que l’on connaît désormais, il y en a toujours, toujours plus, pour les demandeurs d’asile. Les préfectures sont fermées, sauf pour les demandeurs d’asile. Les Français doivent rester chez eux et se terrer ; les demandeurs d’asile peuvent rester chez nous en toute liberté.
Mme Laurence Cohen. N’importe quoi !
M. Stéphane Ravier. Le confinement n’est que de quinze jours, mais vous prolongez leurs droits de six mois. Tant qu’à faire, prolongez-les de deux ans, cinq ans, dix ans !
Comme si cela ne suffisait pas, nous apprenons que certains juges ordonnent la libération des centres de rétention de tous les clandestins en attente d’expulsion, considérant qu’il était devenu impossible dans les conditions actuelles de les expulser du territoire national. Pour les Français, c’est « Restez chez vous ! ». Pour les étrangers, c’est « Restez chez nous ! ».
Manifestement, tous n’ont pas envie de rester : les bateaux à destination de l’Algérie sont pris d’assaut. On saura désormais quelle patrie ils préfèrent en cas de crise sanitaire. Imaginez que nous soyons demain en grave crise diplomatique…
Cette crise est donc le révélateur de vos échecs, de vos obsessions et de votre aveuglement idéologique. Comme d’habitude, vous vous souciez des autres avant de vous soucier des nôtres. Pourtant, les nôtres ne peuvent pas fuir, ils n’ont qu’un seul pays et ils sont en train de s’y terrer pour tenter d’éviter d’y mourir prématurément.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l’article 10.
(L’article 10 est adopté.)
Article additionnel après l’article 10
M. le président. L’amendement n° 59, présenté par MM. Assouline et Leconte, Mme de la Gontrie et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’état d’urgence sanitaire suspend les procédures de placements en centres et locaux de rétention prévue aux articles L. 551-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
La parole est à M. David Assouline.
M. Stéphane Ravier. Prenez donc du Vogalène !
M. David Assouline. … je voudrais faire appel à votre humanité, mes chers collègues.
Tous ceux qui ont visité un centre de rétention connaissent les problèmes de surpopulation et de promiscuité que ces structures affrontent déjà en temps normal. Je rappelle qu’ils sont souvent organisés en dortoirs. Les étrangers qui sont dans ces centres rencontrent de très grandes difficultés pour accéder aux soins, et leur situation sanitaire est déplorable.
Je pense à ces gens qui sont souvent en France depuis longtemps et qui y ont parfois leur famille. Ce ne sont pas des criminels, mais ils sont maintenus en rétention pour être raccompagnés à l’étranger.
Dans la situation actuelle, où de nombreuses liaisons aériennes sont suspendues, nous n’avons aucune raison de les laisser en centre de rétention, puisqu’ils ne peuvent de toute façon pas être renvoyés. Maintenir ces personnes en centre de rétention va créer encore plus d’engorgement et de situations dramatiques.
Une directive a bien été prise pour faire en sorte de ne pas enfermer en centre de rétention les étrangers qui souffrent du coronavirus, mais nous savons que certains malades sont indétectables et ne manifestent pas de symptôme. On prend donc encore le risque de mettre en centre de rétention une personne contagieuse, ce qui créera nécessairement le chaos au sein du centre.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. David Assouline. C’est pourquoi cet amendement, déposé par le groupe socialiste, a pour objet la suspension temporaire, pendant l’état d’urgence sanitaire, des procédures de placement en centres de rétention. De toute façon, nous ne pourrons pas raccompagner ces personnes durant plusieurs semaines.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Cette proposition présente l’inconvénient d’empêcher toute utilisation des centres de rétention durant l’état d’urgence sanitaire, alors que cela peut tout de même être nécessaire dans certaines situations. Qui plus est, je pense qu’il est possible de régler autrement une partie du problème soulevé.
L’objet du présent projet de loi n’est pas de remettre en cause le principe même des centres de rétention et de suspendre leur activité. Cependant, vous avez raison, mon cher collègue, de vous inquiéter, et je partage votre préoccupation. Le sujet est d’ailleurs le même pour les prisons.
En l’état du droit, cette préoccupation liée aux conditions de vie dans les centres de rétention pendant l’épidémie peut être prise en compte, puisqu’il revient au préfet, sous le contrôle rigoureux du juge des libertés et de la détention, de ne pas placer en rétention des étrangers, par exemple lorsqu’ils peuvent être assignés à résidence ou lorsqu’il n’existe pas de perspective raisonnable d’éloignement, ce qui peut être le cas si les liaisons aériennes sont suspendues. On a d’ailleurs constaté ces derniers jours que des décisions de libération ont été prises grâce à cette procédure.
Il me semble que le droit actuel est suffisant et que votre proposition est disproportionnée par rapport à l’objectif. L’avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. J’apprécie les explications du président Bas, mais j’aurais tout de même aimé une réponse de la part du Gouvernement ! Une telle réponse est d’autant plus importante que les choses dépendent en effet de lui. Le recours à la loi n’est pas obligatoire pour régler ce problème.
Je ne cherche pas à rouvrir le débat général sur les centres de rétention – chacun connaît ma position sur ce sujet.
Je propose simplement de suspendre l’enfermement dans ces centres pendant le temps de l’état d’urgence sanitaire. Il existe effectivement d’autres solutions que la voie législative, mais la directive que j’ai citée évoque uniquement le cas des étrangers qui manifestent des symptômes, ce qui est totalement insuffisant dans la situation actuelle. Il faut absolument faire en sorte que plus personne ne soit placé en centre de rétention, car tout le monde peut propager la maladie.
Le problème a un autre aspect : aujourd’hui, l’objectif de la rétention, c’est-à-dire l’éloignement, ne peut plus être atteint. Je le répète, nous ne parlons pas ici de délinquants ou de criminels, comme lorsque l’on parle des prisons. Même quand les liaisons aériennes existent, de nombreux pays n’acceptent pas en ce moment l’entrée sur leur sol de personnes en provenance de France du fait de l’épidémie ; ils ne veulent pas prendre le risque que la maladie ne se développe chez eux.
L’enfermement est hypocrite, puisqu’on sait très bien qu’on ne va pas pouvoir éloigner ces personnes. On préfère pourtant les garder dans la promiscuité, avec un risque de contagion élevé et dans des conditions sanitaires détestables.
En outre, on sait très bien que, au bout d’un certain temps – la durée de rétention est limitée –, il faudra relâcher ces personnes, ce qui créera alors des risques supplémentaires de contagion pour la population générale.
Plutôt que d’inscrire cette mesure dans la loi, le Gouvernement peut tout à fait donner des directives fermes pour cesser, durant la période de l’état d’urgence sanitaire, de placer des étrangers en centre de rétention et pour privilégier les solutions de substitution.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Il est vrai, madame la ministre, que ce sujet n’appartient pas à votre champ de compétences, mais vous représentez ici le Gouvernement dans son ensemble.
Or cette question mérite d’être posée, d’autant que, comme je le disais tout à l’heure, de nombreuses personnes vont se retrouver en situation irrégulière, si le Gouvernement ne prend pas certaines décisions. D’ailleurs, vous n’avez pas non plus répondu sur la situation des personnes titulaires d’un visa Schengen de court séjour.
La promiscuité dans les centres de rétention risque de créer des foyers épidémiques, qui affecteront à la fois les étrangers enfermés, les agents de la police de l’air et des frontières et l’ensemble des Français. C’est donc bien une question d’humanité. Et il n’est pas illégitime, madame la ministre, de vous demander la position du Gouvernement en la matière. Nous attendons votre réponse !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cela a été dit, nous n’avons pas besoin de la loi pour traiter ce type de situations.
Il revient aux préfets d’apprécier concrètement la situation au cas par cas sur le terrain et de prendre, avec discernement et humanité et dans le cadre de l’état des lieux réalisé par les agences régionales de santé, les décisions qui s’imposent. Je leur fais confiance pour cela.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 59.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 11
À titre exceptionnel, le délai d’exploitation prévu à l’article L. 231-1 du code du cinéma et de l’image animée ainsi que les délais fixés par accord professionnel dans les conditions mentionnées aux articles L. 232-1 et L. 233-1 du même code peuvent être réduits par décision du président du Centre national du cinéma et de l’image animée en ce qui concerne les œuvres cinématographiques qui faisaient encore l’objet d’une exploitation en salles de spectacles cinématographiques au 14 mars 2020. – (Adopté.)
TITRE IV
Contrôle parlementaire
(Division et intitulé nouveaux)
Article 12 (nouveau)
Pour les commissions d’enquête constituées avant la publication de la présente loi et dont le rapport n’a pas encore été déposé, le délai mentionné à la deuxième phrase du dernier alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est porté à huit mois, sans que leur mission puisse se poursuivre au-delà du 30 septembre 2020. – (Adopté.)
Article 13 (nouveau)
I. – À la demande de l’Assemblée nationale ou du Sénat, les autorités administratives communiquent toute mesure prise ou mise en œuvre en application de la présente loi.
II. – L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire en ce qui concerne le contrôle et l’évaluation de ces mesures ainsi que les conséquences sanitaires de l’épidémie de Covid-19.
M. le président. L’amendement n° 91, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. En cohérence avec l’amendement du Gouvernement visant à préciser les conditions d’exercice du contrôle parlementaire pendant l’état d’urgence sanitaire, cet amendement a pour objet de supprimer l’article 13 du texte issu des travaux de la commission des lois qui a le même objet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Madame la ministre, je me réjouis de la qualité de notre travail et de notre coopération, mais j’avoue que je ne vous comprends pas.
Ouvrir davantage les modalités de contrôle par le Parlement de l’exécution des mesures décidées dans le cadre de ce projet de loi ne vous fait aucun tort. Au contraire, cela contribue à nous rapprocher. Nous demandons que l’ensemble de ce texte fasse l’objet d’un contrôle renforcé du Parlement, lorsque nous aurons à évaluer ses dispositifs et leur mise en œuvre.
Pourquoi vous y opposez-vous ? Les uns et les autres, nous recherchons les voies de l’union nationale qui impose d’élargir l’assise politique des décisions que vous prenez, en les partageant avec la représentation nationale. Nous y sommes disposés et nous le prouvons.
Je suis donc très déçu de votre démarche, et c’est unanimement que la commission des lois a décidé de s’y opposer. J’espère ne pas vous fâcher, car nous ne le faisons pas contre vous, mais c’est une question de principe, voilà tout !
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Le président Bas dispose d’un talent oratoire dont on ne peut qu’admirer et envier la palette, mais lorsqu’il pose cette question – pourquoi le Gouvernement s’oppose-t-il à cette disposition ? –, il connaît mieux que la plupart d’entre nous la réponse : elle est évidemment contraire à la Constitution.
M. Philippe Bas, rapporteur. Comme vous y allez, mon cher collègue !
M. Alain Richard. La Constitution organise les rapports entre le Parlement et le Gouvernement – un titre entier est consacré à cette question – et nous savons comment les choses fonctionnent : c’est le seul cadre qui crée des obligations du Gouvernement vis-à-vis du Parlement.
L’article 13 est une mesure purement déclamatoire. Il est vrai que, dans certains textes, nous nous laissons aller à ajouter des dispositions qui prétendent modifier ou compléter les rapports entre le Parlement et le Gouvernement, alors que leur organisation relève de la Constitution. Souffrez, monsieur le président, que le Gouvernement s’efforce alors de nous rappeler au respect de la Constitution !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue le vendredi 20 mars 2020 à deux heures, est reprise à deux heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Au sein du texte de la commission, nous en sommes parvenus au titre Ier, précédemment réservé.
TITRE Ier (précédemment réservé)
Dispositions électorales
Article 1er (précédemment réservé)
I. – Le second tour du renouvellement des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon initialement fixé au dimanche 22 mars 2020 par le décret n° 2019-928 du 4 septembre 2019 fixant la date du renouvellement des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, et portant convocation des électeurs est reporté au plus tard au mois de juin 2020, par dérogation aux articles L. 56, L. 224-1 et L. 227 du code électoral. Sa date est fixée par décret en conseil des ministres, pris au moins un mois avant le scrutin.
Par dérogation au 2° de l’article L. 255-4, au troisième alinéa de l’article L. 267 et au second alinéa de l’article L. 224-14 du code électoral, les déclarations de candidature sont déposées au plus tard le mardi 24 mars 2020 à dix-huit heures. Elles peuvent être déposées par voie dématérialisée.
À défaut de demande de modification de la part des candidats, les déclarations de candidature enregistrées avant le mardi 17 mars 2020, dix-huit heures, restent valables.
I bis. – Au plus tard le 10 mai 2020, est remis au Parlement un rapport du Gouvernement fondé sur une analyse du comité national scientifique se prononçant sur l’état de l’épidémie de Covid-19 et sur les risques sanitaires attachés à la tenue du second tour et de la campagne électorale le précédant.
II. – Les conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction immédiatement.
Par dérogation, dans les communes de moins de 1 000 habitants pour lesquelles le conseil municipal n’a pas été élu au complet, les conseillers municipaux élus au premier tour entrent en fonction le lendemain du second tour de l’élection.
Par dérogation, les conseillers d’arrondissement et les conseillers de Paris élus au premier tour entrent en fonction le lendemain du second tour de l’élection.
III. – Par dérogation à l’article L. 227 du code électoral :
1° Dans les communes, autres que celles mentionnées au 2° du présent III, pour lesquelles le conseil municipal n’a pas été élu au complet, les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu’au second tour. Le cas échéant, leur mandat de conseiller communautaire est également prorogé jusqu’au second tour, sous réserve du 2° du V du présent article ;
2° Dans les secteurs des communes mentionnées au chapitre IV du titre IV du livre Ier du code électoral, les conseillers d’arrondissement, les conseillers municipaux et, à Paris, les conseillers de Paris, en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu’au second tour. Le cas échéant, leur mandat de conseiller communautaire est également prorogé jusqu’au second tour, sous réserve du 2° du V du présent article.
Par dérogation à l’article L. 224-1 du même code, le mandat des conseillers métropolitains de Lyon en exercice avant le premier tour est prorogé jusqu’au second tour.
IV. – (Supprimé)
V. – Dans les communes mentionnées aux 1° et 2° du III du présent article :
1° Si le nombre de sièges attribués à la commune en application du VII de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales est supérieur au nombre de conseillers communautaires attribués à la commune par l’arrêté préfectoral en vigueur jusqu’à la date du premier tour, les sièges supplémentaires sont pourvus par les autres conseillers municipaux pris dans l’ordre du tableau du conseil municipal ;
2° Si le nombre de sièges attribués à la commune en application du même VII est inférieur au nombre de conseillers communautaires attribués à la commune par l’arrêté préfectoral en vigueur jusqu’à la date du premier tour, les conseillers communautaires de la commune sont les conseillers municipaux qui exerçaient à la même date le mandat de conseiller communautaire, pris dans l’ordre du tableau du conseil municipal.
En cas de vacance, pour quelque cause que ce soit, d’un siège de conseiller communautaire pourvu en application des 1° et 2° du présent V, ce siège est pourvu par un conseiller municipal n’exerçant pas le mandat de conseiller communautaire pris dans l’ordre du tableau du conseil municipal.
Dans les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre comptant parmi leurs membres au moins une commune mentionnée aux 1° et 2° du III du présent article, le président et les vice-présidents en exercice à la date du premier tour sont maintenus dans leurs fonctions, à la condition qu’ils conservent le mandat de conseiller communautaire, jusqu’à ce qu’il soit procédé à une nouvelle élection du président et des vice-présidents, au plus tard le troisième vendredi qui suit le second tour de scrutin. Les délibérations prises en application de l’article L. 5211-12 du code général des collectivités territoriales, en vigueur à la date du premier tour, le demeurent en ce qui les concerne. Dans le cas où il n’exerce plus le mandat de conseiller communautaire, le président est remplacé dans la plénitude de ses fonctions, jusqu’à cette même élection, par un vice-président conservant le mandat de conseiller communautaire dans l’ordre des nominations ou, à défaut, par le conseiller communautaire le plus âgé. En cas d’absence, de suspension, de révocation ou de tout autre empêchement, le président est provisoirement remplacé dans les mêmes conditions.
V bis (nouveau). – Par dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 5211-6 du code général des collectivités territoriales, l’organe délibérant des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre autres que ceux mentionnés au dernier alinéa du IV du présent article se réunit dès que la situation sanitaire le permet et au plus tard à une date fixée par décret.
VI. – Jusqu’à la tenue du second tour, par dérogation aux articles L. 251, L. 258, L. 270 et L. 272-6 du code électoral et L. 2122-8 du code général des collectivités territoriales, les vacances constatées au sein du conseil municipal ne donnent pas lieu à élection partielle.
VI bis (nouveau). – Nonobstant toute disposition contraire, le mandat des représentants d’une commune, d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat mixte fermé au sein d’organismes de droit public ou de droit privé, en exercice à la date du premier tour, est prorogé jusqu’à la désignation de leurs remplaçants par l’organe délibérant. Cette disposition n’est pas applicable aux conseillers communautaires.
VI ter (nouveau). – La seconde phrase du I de l’article L. 2123-20-1 du code général des collectivités territoriales n’est pas applicable aux conseils municipaux renouvelés au complet à l’issue du premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020.
Le quatrième alinéa de l’article L. 5211-12 du même code n’est pas applicable à l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre renouvelé au complet à l’issue de ce premier tour et de l’élection subséquente du maire et des adjoints de ses communes membres.
VII. – Pour l’application du I :
1° La campagne électorale pour le second tour est ouverte à compter du deuxième lundi qui précède le tour de scrutin ;
1° bis (nouveau) Les interdictions mentionnées à l’article L. 50-1, au dernier alinéa de l’article L. 51 et à l’article L. 52-1 du code électoral courent à compter du 1er septembre 2019 ;
2° La durée de la période prévue à l’article L. 52-4 du code électoral pendant laquelle le mandataire recueille les fonds destinés au financement de la campagne et règle les dépenses en vue de l’élection court à partir du 1er septembre 2019 ;
2° bis (nouveau) Pour les candidats présents au second tour, le délai mentionné à la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 52-12 du code électoral est fixé au neuvième vendredi suivant ce même second tour, dix-huit heures ;
3° Les plafonds de dépenses prévus aux articles L. 52-11 et L. 224-25 du code électoral sont majorés par un coefficient fixé par décret qui ne peut être supérieur à 1,5 ;
4° Dans les communes de 1 000 habitants et plus et dans les circonscriptions métropolitaines de Lyon, les dépenses engagées pour le second tour de scrutin initialement prévu le 22 mars 2020 au titre respectivement du deuxième alinéa de l’article L. 242 et de l’article L. 224-24 du code électoral sont remboursées aux listes ayant obtenu au premier tour un nombre de suffrages au moins égal à 10 % du total des suffrages exprimés.
VII bis (nouveau). – Par dérogation au I du présent article, les électeurs peuvent être convoqués par décret pour le second tour des élections municipales en Polynésie française ou en Nouvelle-Calédonie, après avis, selon le cas, du président de la Polynésie Française ou du président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, et après consultation du comité national scientifique. Ce second tour se tient, au plus tard, au mois de juin 2020.
VIII. – À l’exception de son article 6, les dispositions de la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral ne sont pas applicables au second tour de scrutin régi par la présente loi.
IX. – Les conseillers élus au premier tour ou au second tour sont renouvelés intégralement en mars 2026.
X. – Les dispositions du présent article sont applicables sur tout le territoire de la République.
M. le président. Je suis saisi de neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 80 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 44, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer les mots :
mois de juin 2020
par la date :
17 mai 2020
II. – Alinéa 4
Remplacer la date :
10 mai
par la date :
30 avril
III. – Après l’alinéa 7
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Si le second tour n’a pas pu se tenir avant l’échéance fixée au premier alinéa du présent article, de nouvelles élections des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon sont organisées dès que la situation sanitaire le permet.
Après analyse du comité scientifique placé auprès du Gouvernement, les dates de ces élections sont fixées en conseil des ministres.
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, mes chers collègues, cet amendement a pour objet de rétablir la justice et l’équité dans le scrutin des élections municipales.
Les deux tours d’une élection ne sont pas deux élections, mais une seule. La période de trois mois entre les deux tours, proposée par le Gouvernement, est bien trop longue pour garantir la sincérité du scrutin, une sincérité déjà gravement entachée par les injonctions contradictoires exprimées par le Premier ministre à quelques heures de l’ouverture des bureaux de vote. « Restez chez vous, mais allez voter ! », avait-il osé, si bien que, dans ma ville, Marseille, l’abstention a dépassé les 65 % ! Quelle légitimité pour les élus de si peu de votants ?
Nous savons bien que le confinement va durer, non pas deux semaines, mais probablement quarante-cinq jours.
Je préfère donc vous le dire clairement : nous serons contraints de rejouer ce premier tour pour toutes les communes qui n’ont pas élu de maire dimanche dernier.
Sur ce point, l’avis du Conseil d’État me donne raison. Il nous faut protéger la démocratie la plus importante, sans laquelle le Sénat ne serait pas : la démocratie locale !
L’ancienne ministre de la santé a elle-même qualifié ce scrutin de « mascarade ». Vous ne l’avez pas écoutée en janvier dernier quand elle nous prévenait de la catastrophe… Par pitié, écoutons-la aujourd’hui !
Dans une situation d’unité nationale, la polémique n’a certes pas sa place, mais la vérité, elle, est inévitable. Cette catastrophe sanitaire est la honte de ce gouvernement, car il savait, mais n’a rien anticipé, ni sur la fermeture des frontières ni sur la production de masques ! Il n’a rien fait de sérieux pour nous préparer à la grande bataille dans laquelle nous sommes aujourd’hui plongés.
Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France, dénonce ce soir l’incurie de la haute administration et demande la création d’une enquête parlementaire, pendant qu’un collectif de médecins porte plainte contre le Premier ministre et l’ancienne ministre de la santé pour s’être abstenus d’avoir pris des mesures pour endiguer l’épidémie.
La mascarade de ces élections est une honte et une folie sanitaire pour les électeurs qui se sont rendus aux urnes, pour les assesseurs, les délégués et les présidents de bureaux de vote, à qui le Gouvernement a fait prendre des risques inconsidérés.
Alors que nos soignants, héros des temps modernes, se battent contre la maladie et le manque de moyens, à commencer par les masques, que des patients meurent du Covid-19, des politiciens au rabais sont en train de négocier des accords pour protéger leur petite santé électorale…
M. le président. Vous avez épuisé votre temps de parole ! D’ailleurs, vous pourriez modérer vos propos pour défendre cet amendement, monsieur Ravier.
M. Stéphane Ravier. Vous pourriez quant à vous me laisser m’exprimer, monsieur le président !
M. le président. Non, votre temps est écoulé !
M. Stéphane Ravier. Me refuser quelques secondes en pareille situation, c’est honteux pour la démocratie ! Vous appliquez stricto sensu… (Le micro de l’orateur est coupé.)
M. le président. Vous pourrez intervenir en explication de vote, monsieur Ravier. Pour l’instant, vous n’avez plus la parole.
M. Stéphane Ravier. C’est de la censure !
M. Bruno Retailleau. Marine Le Pen était comme moi à la réunion avec le Premier ministre, monsieur Ravier !
M. le président. Les amendements nos 81 et 82 ne sont pas soutenus.
L’amendement n° 87, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Cet amendement vise simplement à supprimer les alinéas 2 et 3 de l’article 1er.
Nous voulons qu’un rapport du Conseil scientifique éclaire le Parlement sur la décision de réunir les conseillers municipaux pour élire les maires et leurs adjoints dans les communes où le conseil municipal a été intégralement élu au premier tour de scrutin.
Chacun connaît l’incertitude sanitaire dans laquelle nous nous trouvons et l’avis émis aujourd’hui même par le président du Conseil scientifique.
Nous proposons donc de définir, sur la base d’un nouveau rapport, les modalités de déroulement de la suite du scrutin et d’installation des exécutifs élus.
M. le président. L’amendement n° 25 rectifié bis, présenté par Mme N. Delattre, MM. Requier et Castelli, Mme Costes, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Labbé, Mme Laborde et M. Roux, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Par dérogation à l’article L. 267 du code électoral, les déclarations de candidatures pour le second tour doivent être déposées au plus tard à dix-huit heures douze jours avant le jour du scrutin.
La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Cet amendement est relatif à la date de dépôt des listes pour le second tour des municipales.
Au sein de la commission des lois, nous nous étions accordés pour dire que cette date ne pouvait pas être fixée par ordonnance et qu’il nous fallait statuer en la matière.
À partir de ce constat, deux positions se sont exprimées. Certains estimaient qu’il y avait urgence et qu’il fallait déposer les listes entre le 24 mars et le 3 avril, malgré le confinement, avec la réquisition d’un agent préfectoral. D’autres, plus pragmatiques, estimaient que l’on pouvait lier le dépôt à la date des élections, dès que celle-ci sera connue avec certitude.
Nous proposons que les déclarations de candidatures soient déposées douze jours avant la date de l’élection.
M. le président. L’amendement n° 83, présenté par Mmes Assassi et Apourceau-Poly, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cohen, M. Collombat, Mme Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, M. P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
le mardi 24 mars 2020 à dix-huit heures
par les mots :
une semaine après la publication de la présente loi
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Nous souhaitons donner davantage de temps aux élus locaux, qui doivent s’organiser dans des conditions inhabituelles pour déposer les listes de candidats pour le second tour du scrutin.
L’allongement du délai est nécessaire au vu de la situation sanitaire actuelle, qui implique de prendre de grandes précautions pour l’organisation des élections, mais également pour protéger chacune et chacun de nos concitoyens.
Nous sommes tous physiquement limités dans nos déplacements quotidiens, mais également perturbés par la pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement.
Nous espérons par ailleurs que la voie dématérialisée sera effectivement privilégiée pour le dépôt des candidatures. Mais cette mobilisation maximale des moyens numériques, mobilisation inédite pour de telles élections, pourra demander plus de temps que prévu, pour être profitable au plus grand nombre d’élus, en coordination avec les préfectures.
Nous estimons donc que la date du 24 mars, proposée ce matin en commission des lois, est trop proche. Nous proposons d’étendre le délai à une semaine après la promulgation de la présente loi, c’est-à-dire, en principe, au vendredi 27 mars.
Une semaine pour organiser le dépôt des candidatures, cela nous semble plus raisonnable au regard des conditions imposées par la situation actuelle.
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par MM. Kanner et Sueur, Mme de la Gontrie, M. Leconte, Mme Artigalas, MM. Carcenac et Éblé, Mme Féret, MM. Jomier et Montaugé, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, MM. Temal, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer les mots :
le mardi 24 mars 2020
par les mots :
le second vendredi qui suit la promulgation de la présente loi
II. – Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Cet amendement tend à s’inscrire dans le même esprit, avec quelques légères différences toutefois.
Nous proposons que les déclarations de candidatures soient déposées le second vendredi qui suit la promulgation de la présente loi, soit le 3 avril à dix-huit heures.
L’objectif n’est pas de reporter, y compris jusqu’au mois de mai, le dépôt des listes. Cette élection municipale est un tout, en un tour ou en deux tours. Il faut donc savoir figer les résultats du premier tour par un dépôt de listes s’inscrivant dans un temps raisonnable.
Je rappelle que nous devions déposer ces listes mardi dernier, notamment en raison des contraintes des imprimeurs pour les professions de foi. Ce n’est plus le cas depuis ce soir.
Gardons un délai pour permettre à chacun de pouvoir négocier dans de bonnes conditions, mais ne l’allongeons pas de manière inutile et artificielle.
M. Philippe Bas, rapporteur. L’amendement de M. Ravier ne me semble pas réaliste. Le mois de mai, cela me paraît trop tôt, et la commission a par conséquent émis un avis défavorable. (M. Stéphane Ravier manifeste son mécontentement.)
Se pose maintenant la question de la date limite pour le dépôt des candidatures au second tour des élections municipales.
C’est un sujet simple, finalement. Ne nous écartons pas plus qu’il n’est nécessaire du droit commun, qui veut que les listes soient déposées au plus tard le mardi soir suivant le dimanche où a eu lieu le premier tour de scrutin.
Cette disposition était applicable cette semaine, mais, compte tenu des circonstances dans lesquelles nous vivons, monsieur le ministre, vous avez jugé nécessaire d’annoncer aux candidats, avant même que nous ne nous soyons prononcés, qu’il n’était pas nécessaire de respecter le délai légal, puisque vous espériez que le Parlement le repousserait.
En conséquence, une situation assez singulière est née. Certains candidats ont déposé leurs listes en respectant la loi, tandis que d’autres, jugeant que la parole ministérielle primait sur la loi, ont différé leur dépôt. Je dois dire que cette situation ne facilite pas notre travail.
Nous devons chercher ensemble une solution. Il n’est plus possible de s’en tenir à la date de mardi dernier, qui est dépassée, et il faut donc en trouver une autre.
La commission des lois a pensé que le mieux était finalement de respecter le plus possible la règle de droit commun, considérant que rien ne justifiait de différer une démarche qui n’est pas plus difficile, du point de vue de la sécurité sanitaire de celui qui l’effectue, qu’un déplacement à la boulangerie ou au supermarché. En l’occurrence, il s’agit simplement d’aller à la préfecture. Par conséquent, nous avons adopté la date du 24 mars dans le texte de la commission.
Toutefois, le 24 mars, c’est mardi prochain, et, compte tenu de la confusion qui règne, je m’interroge très sincèrement, en mon âme et conscience, sur le point de savoir si cette date est vraiment réaliste. Nous ne sommes pas encore à la veille de cette échéance, mais presque…
Ne faudrait-il pas, ce soir, nous écarter de la position de la commission, que j’ai moi-même défendue ? Nous devrions peut-être nous laisser une petite marge, pour que le droit applicable soit bien connu de tous les candidats, ce qui risque de ne pas être le cas si le dépôt devait avoir lieu avant dix-huit heures mardi soir prochain…
S’agissant des amendements qui viennent d’être proposés, j’en resterai au principe selon lequel il ne faut pas s’écarter de la règle de droit commun si la crise sanitaire ne l’impose pas, ou qu’il faut s’en écarter dans une limite tout à fait raisonnable. Et je proposerai finalement de retenir la date du mardi 31 mars.
Je propose d’inscrire cette date dans notre texte au travers d’un sous-amendement à l’amendement n° 5, présenté par le président Patrick Kanner.
C’est en effet l’amendement qui a retenu la date la plus proche de celle que je propose, et c’est donc pour moi le vecteur le plus favorable… Ce faisant, j’espère pouvoir élargir considérablement le champ de la majorité sénatoriale, en rassemblant également votre groupe, monsieur Kanner. (Sourires.) J’espère sincèrement que tout le monde pourra rejoindre cette position.
Je suis donc défavorable à l’amendement n° 87 du Gouvernement, de même qu’à l’amendement n° 25 rectifié bis de Mme Delattre.
L’adoption de l’amendement n° 83 de Mme Assassi conduirait à un résultat proche de celui que je propose, mais il est rédigé différemment. Je pense qu’il faut indiquer clairement la date, pour ne pas introduire de confusion dans l’esprit de nos concitoyens.
Monsieur le président, je dépose donc un sous-amendement à l’amendement n° 5, afin de mentionner précisément la date du mardi 31 mars 2020.
M. le président. Je suis donc saisi, à l’amendement n° 5, d’un sous-amendement n° 111, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, et ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
le mardi 31 mars 2020
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. J’aimerais tenter de vous convaincre, monsieur le président Bas, non seulement que ce délai nous semble trop court, mais aussi que nous voulons, comme vous, respecter le droit.
Deux lectures de la règle coexistent. La première considère en effet qu’il faut déposer les déclarations de candidatures deux jours après le vote du premier tour, soit le mardi suivant le scrutin, qui a lieu le dimanche.
La seconde considère que le dépôt des listes doit intervenir cinq jours avant le second tour. L’article 267 du code électoral, que plusieurs d’entre vous ont évoqué, précise d’ailleurs bien que les déclarations de candidatures pour le second tour doivent être déposées au plus tard à dix-huit heures, douze jours avant le jour du scrutin. La loi en vigueur fait donc clairement référence au second tour comme point de départ du décompte.
Nous appliquerions donc correctement l’esprit du texte en retenant une date de dépôt cinq jours avant le second tour.
Néanmoins, tel n’est pas l’état esprit du Gouvernement. Nos réflexions de cette après-midi l’ont confirmé, il existe une incertitude sur notre capacité à choisir aujourd’hui la date des élections, en raison de la situation sanitaire actuelle.
C’est pourquoi le Gouvernement a proposé que la décision de maintenir ou non le second tour soit éclairée par un rapport du Conseil scientifique, avec une échéance fixée à la fin du mois de juin prochain.
Le Premier ministre a évoqué la date du 21 juin quand il a rencontré les responsables des partis politiques, des groupes politiques et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Sur le fondement de ce rapport, nous pensions pouvoir déterminer la date des élections, conformément à l’article 2, qui nous en donne les moyens par ordonnance, et fixer ensuite la date de dépôt des candidatures, qui n’interviendrait pas nécessairement cinq jours avant la date du second tour.
Dans le même esprit, au regard des conclusions du rapport des scientifiques, nous avons choisi tout à l’heure une solution pour l’installation des conseils municipaux.
Le Gouvernement propose de conserver cette analogie pour la tenue du second tour et l’installation des exécutifs : nous déciderons ensemble, sur la base du rapport du Conseil scientifique, si le second tour peut se tenir et si nous pouvons laisser s’installer dans de bonnes conditions sanitaires les exécutifs des conseils municipaux élus la semaine dernière.
Le Gouvernement suggère donc de ne pas se précipiter et de prendre le temps d’analyser la situation sanitaire pour décider de la date de dépôt des candidatures.
J’ajoute un autre élément. Certains parmi vous ont vécu ces moments de négociation. D’aucuns, dont je suis, se souviennent sans doute avec un peu de nostalgie de ces nuits entières de discussions.
Dans une salle, on négociait le projet d’accord politique sur lequel serait élaboré le programme ; dans l’autre, on discutait, généralement plus âprement, des places sur les listes et des capacités des uns et des autres à exercer des responsabilités de vice-président ou d’adjoint.
Mme Sophie Primas. Voilà qui est un peu « ancien monde », monsieur le ministre…
M. Christophe Castaner, ministre. Ce sont des moments certes chaleureux, mais qui nécessitent un contact physique. Une liste ne peut pas se négocier dans de mauvaises conditions.
M. Antoine Lefèvre. Et la visioconférence ?
M. Christophe Castaner, ministre. Or les conditions sanitaires de notre pays ne se prêtent pas, me semble-t-il, à une réunion précipitée des candidats pour mener de telles négociations. De même, il ne nous semblait pas que les élus pouvaient se réunir en conseil municipal ce week-end.
Éclairés par le rapport que le Conseil scientifique rendra le 10 mai, nous déciderons ensemble de la date de dépôt des candidatures.
Telle est la position du Gouvernement, et la raison pour laquelle nous ne sommes pas favorables, monsieur le président Bas, au sous-amendement que vous proposez, même si j’ai bien noté votre volonté d’aller au bout de ce qui semble raisonnable, c’est-à-dire jusqu’à la fin du mois de mars.
Ce délai nous semble toutefois trop court et ne nous paraît conforme ni à l’esprit du texte, qui calcule la date du dépôt en fonction de la date du vote, ni à l’esprit de la décision que nous avons prise pour la convocation des conseils municipaux, la désignation des exécutifs et le choix de la date du second tour.
Enfin, je précise que le Gouvernement est défavorable à l’amendement de M. Ravier, en ajoutant que cet avis ne porte que sur l’amendement, et non sur les commentaires de son auteur, qui n’avaient strictement rien à voir avec le sujet.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le ministre, je ne voudrais pas vous faire l’affront de vous rappeler les termes de l’article L. 267 du code électoral, mais celui-ci dispose très clairement que, pour le second tour, les candidatures doivent être déposées le mardi qui suit le premier tour. (M. le ministre le conteste.)
Le sens de cette règle, posée il y a bien longtemps par le législateur et jamais remise en cause, est d’éviter que l’on ne reste trop longtemps dans un état de confusion, la clarté devant s’opérer ensuite devant les électeurs.
Nous sommes vraiment animés par le souci de ne pas déroger à une règle fondamentale de notre code électoral.
À ceux qui craindraient des difficultés de sécurité sanitaire, j’ai omis de dire tout à l’heure que le texte de la commission prévoit, bien entendu, des déclarations dématérialisées de candidatures, pour éviter de déroger trop fortement au confinement.
Je réponds aussi à la présentation de votre propre texte, que je ne partage pas, monsieur le ministre. Le texte que nous sommes en train de discuter prévoit que le second tour des élections municipales aura bien lieu avant le 30 juin.
Il n’aurait pas lieu seulement si nous considérions, vous et nous, que sa tenue est impossible, mais il faudrait alors revenir nous voir. La tenue des élections avant le 30 juin est non pas une hypothèse, mais une décision du législateur, que vous nous avez d’ailleurs demandé de prendre, puisque nous ne nous écartons pas de votre texte sur ce point. Tant que cette loi n’aura pas été modifiée, il y aura donc une obligation légale d’organiser le second tour des élections municipales avant le 30 juin prochain.
Vous ne pouvez donc pas nous dire que vous voulez différer le dépôt des candidatures parce que vous n’êtes pas certain que les élections auront lieu avant le 30 juin, alors que vous nous demandez dans ce texte de voter l’obligation qu’elles se tiennent avant cette date !
Nous devons nous en tenir au dispositif prévu, me semble-t-il : élections municipales avant le 30 juin et, par conséquent, dépôt des candidatures le plus tôt possible après le premier tour.
J’ai proposé la date du 31 mars. En fixant une règle claire et en s’inspirant de principes permanents du code électoral, on n’encourt aucun reproche. La règle étant la même pour tous, chacun pourra s’y référer.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.
Mme Nathalie Delattre. Le RDSE maintiendra son amendement, qui vise à un dépôt douze jours avant la date des élections, dès lors que nous connaîtrons celle-ci.
Monsieur le président, la possibilité de candidatures dématérialisées est une subtilité qui m’avait échappé. Vous avez évoqué un simple enregistrement en préfecture. Je prends l’exemple de Bordeaux, où quatre listes se maintiennent. Ce sont quatre fois soixante-cinq candidats qui devront apporter leurs originaux à la préfecture !
Dès lors, la dématérialisation ne concerne-t-elle que la transmission à la préfecture ou bien aussi l’envoi des documents originaux ? Il serait tout de même peu raisonnable d’envoyer sur les routes, le 31 mars prochain, pour apporter une déclaration de candidature, les candidats de quelque 5 000 communes…
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Il me semble que deux logiques s’affrontent, parce que l’on peut interpréter les choses de manière différente.
Le dépôt des listes le mardi suivant le premier tour ne vaut que si l’élection a lieu le dimanche suivant !
J’espère que personne n’a d’arrière-pensées politiques sur cette question de la date du dépôt des candidatures. Je le dis sans aucun soupçon… (Aucun ! sur plusieurs travées.)
Dans un processus électoral, le dépôt des candidatures doit-il être connecté au premier tour, comme l’estime la commission des lois, ou à l’élection elle-même ?
Le premier tour est marqué par un enchaînement logique : date limite de dépôt des candidatures – en l’occurrence, le 27 février –, date de début de la campagne électorale – 2 mars –, puis date limite de dépôt des documents officiels. Cela forme un tout.
Si nous retenons aujourd’hui une date à la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril, nous savons que la campagne électorale interviendra plus tard, mais nous ignorons quand.
Il y a, selon moi, un lien entre le dépôt des listes, la campagne électorale et l’élection.
J’ajoute que, sur un plan purement matériel, il peut y avoir, de temps en temps, quelques petits errements de notre administration et de l’État. Je vous signale, au passage, monsieur le ministre, que, lors des dernières élections, la date limite de dépôt des candidatures était le 27 février et la date limite de dépôt des documents officiels le 28 à midi. Pour une profession que je connais bien, il est quelque peu compliqué d’assumer la propagande officielle en douze heures…
Dans le même temps, on multiplie les particularités. Il est nécessaire de gérer les événements périphériques. Par exemple, comment tenir compte d’un éventuel décès si l’on ne peut plus modifier la liste pendant trois mois ?
Nous avons tout intérêt à ce que le dépôt des listes intervienne dans des délais normaux, soit de douze à quinze jours avant le second tour, afin que dépôt de liste, campagne électorale et élection soient liés.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Tissot. Que deviennent les listes qui ont été déposées conformément à la loi mardi dernier ?
Devront-elles de nouveau être déposées ou sont-elles considérées comme ayant été déposées correctement ?
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, nous avons tous apprécié vos efforts nocturnes pour justifier votre position.
M. Bruno Retailleau. Il me semble tout de même qu’ils trahissent une certaine arrière-pensée.
D’abord, je confirme que, dans le code électoral, l’opération administrative de dépôt de liste en vue du second tour est rattachée au premier tour, qui forme un bloc. Cette interprétation est la seule possible. C’est celle de M. le rapporteur. Elle est juridiquement exacte.
Vous avez établi une analogie avec le fameux rapport du 10 mai, sorte d’amulette censée tout régler, qui devrait permettre de déterminer la date du second tour, mais aussi celle du dépôt des listes. Cela n’a absolument rien à voir ! Comme vous le savez parfaitement, ce rapport a été institué pour disposer d’un éclairage scientifique sur notre capacité à mener les opérations de second tour.
Nous avons fait le choix du 24 mars – non par attachement aux ides de mars, jour de fête traditionnel chez les Romains, ou pour célébrer l’anniversaire de l’assassinat de Jules César… Nous pouvons, sans problème, accepter la date du 31 mars.
En matière électorale, quand il y va de la démocratie, il faut toujours essayer de créer un consensus. Or j’observe que, centristes, communistes, socialistes ou membres du groupe Les Républicains, nous convergeons tous, à quelques jours près, vers le 31 mars. Il n’y a que La République En Marche, comme par hasard, qui essaie de pousser l’avantage et de rapprocher l’opération de dépôt des listes du second tour, lequel est, pour l’instant, aléatoire, puisqu’il va dépendre du fameux rapport, qui dépendra lui-même de l’état de la crise sanitaire.
Mes chers collègues, si l’on s’en tient à la nécessité d’un consensus, force est de constater que, aujourd’hui, le barycentre de ce consensus, c’est le 31 mars. Chacun fait un pas vers l’autre en ce sens.
Suivre la proposition de M. le rapporteur me paraît sage. (M. Philippe Mouiller applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Le dispositif est bien entendu inspiré par une profonde sincérité, mais entraîne tout de même quelques retombées politiques.
M. le rapporteur affirme que le vote de la loi emportera l’obligation d’organiser les élections avant la fin du mois de juin. M. Retailleau, lui, évoque un dispositif doté d’un butoir au 30 juin, par simple application du principe, rappelé par le Conseil d’État, de l’existence d’un lien entre le premier et le second tours. C’est aussi mon interprétation. Après juin, on ne pourrait plus parler de second tour.
De fait, il me semble que nous restons dans une situation d’incertitude. D’après les conversations informelles que nous pouvons avoir, tout le monde se demande si le second tour aura lieu sur la base du premier. Il convient, à cet égard, de réfléchir à l’opportunité de figer le dépôt des listes. On sait ce qu’il en est pour les listes qui ont le droit de se maintenir. Restent les sujets des fusions de listes et de l’incorporation de membres d’autres listes.
Je veux ajouter un autre élément d’incertitude : je ne crois pas, contrairement à M. le rapporteur, que l’on puisse mener cette opération entièrement par voie numérique.
Si une liste est redéposée telle quelle, il n’y a rien à changer à des documents qui peuvent être dupliqués et télétransmis. En revanche, si les listes changent, et nous avons modifié la loi en ce sens pour assurer une meilleure sincérité des opérations, chaque candidat de la nouvelle liste doit attester par écrit qu’il consent à être candidat dans la liste nouvellement constituée. Il me semble que cette démarche ne peut pas se faire par télétransmission.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je m’exprime en tant que membre rattaché au groupe CRCE.
Nous, les écologistes, estimons que la proposition du Gouvernement de renvoyer la fixation de cette date à une ordonnance qui sera prise un mois après l’entrée en vigueur de la loi est adéquate, d’autant que les réunions des conseils municipaux pour élire les maires, qui devaient se tenir de vendredi à dimanche, sont reportées. Le mandat des équipes sortantes sera prolongé jusqu’à la mi-mai.
Je ne vois pas pourquoi certaines choses vaudraient pour les uns et pas pour les autres, alors que les raisons sont les mêmes, et je ne comprends pas pourquoi l’on insiste pour que soit retenue la date du 31 mars, qui est très proche dans le temps, surtout compte tenu de la situation actuelle.
Nos efforts doivent, pour l’heure, se concentrer sur les moyens d’endiguer la propagation du coronavirus. Les discussions sur les alliances politiques auront lieu, mais pas maintenant, pas dans la précipitation. Le second tour des élections se tiendra en juin. D’ici là, une fois la crise passée, des circonstances plus propices se présenteront à nous, afin d’étudier les listes qui doivent être déposées avant le scrutin.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Le groupe centriste était tout à fait favorable à la proposition de M. le rapporteur et de la commission des lois. Nous considérons que, dans une situation difficile à gérer, moins on ajoute de confusion, plus on privilégie la clarté et les points de repère fixes, plus il sera facile de faire comprendre les choses et de les faire accepter par les élus locaux, qui ne savent pas s’il y aura des élections.
On leur a dit jusqu’à hier, voire tout à l’heure, que certains conseils se réuniraient demain. Ce soir, on va leur dire le contraire… Aujourd’hui, on va adapter les règles concernant les dates de dépôt des candidatures de second tour, faute de pouvoir prendre des dispositions pour gérer, notamment, les contraintes de signature, alors même que, ce midi, nous proposions d’adapter les règles pour que les réunions des conseils municipaux puissent respecter les consignes sanitaires.
Chacun avance ses raisons. Tous les discours paraissent logiques et cohérents. Pour ma part, je pense qu’il peut être dangereux de jouer avec les règles de droit et de les bouleverser soudainement, alors que l’on dispose de solutions.
Je vous avoue que la situation me paraît prêter de plus en plus à confusion. Je sais que cette situation extrêmement difficile tend quelque peu à crisper les élus locaux et qu’elle sera également difficile à expliquer à nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. D’abord, qu’adviendra-t-il des listes qui ont été déposées jusqu’à mardi dix-huit heures ?
Dès lors que ce texte est voté et que la date du scrutin change, ces listes seront écrasées par le fait que le second tour n’aura pas lieu dimanche et disparaîtront. C’est une application du principe suivant lequel l’accessoire suit le principal. Les listes devront donc être redéposées. Je préfère le dire pour éviter que certains ne se retrouvent en difficulté.
Ensuite, je partage l’avis de M. Richard : il n’existe pas aujourd’hui de preuve électronique. Une préfecture ne saurait accepter une nouvelle liste fusionnée par mail, parce que la preuve électronique est insuffisante. Imaginez que le préfet de Vendée s’exécute immédiatement après avoir reçu un courriel signé du nom de Bruno Retailleau…
Comme je l’évoquerai tout à l’heure, dans votre proposition, la preuve juridique du dépôt pose une difficulté. Il nous faudra, de toute façon, une preuve matérielle.
Permettez-moi maintenant une remarque très politique : je crois que, si l’élection n’avait pas lieu compte tenu de la situation sanitaire dans notre pays – nous avons tous en tête cette éventualité –, les petites listes qui auraient fusionné avec une grande liste précédemment à cette décision auraient beaucoup de mal, politiquement, à mener une nouvelle campagne quelques mois plus tard.
Au nom justement de la liberté des plus petites listes, alors qu’il n’y a pas de certitude politique quant à la tenue de l’élection, il ne me paraît pas inopportun que l’on évite un dépôt des listes suivant un calendrier raccourci. Sinon, les fusions annoncées empêcheraient que le débat démocratique puisse avoir lieu dans quelques mois.
Enfin, je veux saluer les vertus juridiques de l’article L. 267 du code électoral. Ce dernier pourrait presque nous mettre d’accord, puisqu’il prévoit, en son deuxième alinéa, un décompte rétroactif par rapport au jour de l’élection et, dans son troisième alinéa, un décompte a posteriori, avec des jours supplémentaires qui conduisent au mardi.
Les deux interprétations pourraient être parfaitement défendues. C’est ce que nous avons tenté de faire.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le président, je ne reprends pas la parole pour plaider : tous les arguments qui ont été échangés et les points de vue qui ont été exposés sont tout à fait respectables, comme ils le sont heureusement la plupart du temps dans les débats qui ont lieu au Sénat.
Je veux simplement dire que le système adopté par la commission des lois règle le problème des listes déposées avant mardi dernier de manière différente : il permet à ces listes de se maintenir telles quelles, mais il leur ouvre la possibilité d’entrer en négociations avec d’autres listes, pour les mettre à égalité avec toutes les listes. Ces listes ne seraient pas pénalisées par le dépôt : elles bénéficieraient des mêmes droits que les autres listes. Il est important de le souligner.
J’ai confiance dans le fait que le problème de la déclaration électronique pourra être résolu sans difficulté en 2020. En cas de doute, il appartiendra aux services de la préfecture de procéder aux vérifications. Au reste, on sait que les fraudes sur les documents papier sont régulières ; elles font parfois l’objet de contentieux. Je ne crois donc pas que la sécurité soit moins grande en cas de déclaration électronique. En ce qui me concerne, je fais toute confiance à votre administration, monsieur le ministre, pour assurer la sécurité du dépôt des listes.
Enfin, je veux dire que, si ce débat est rendu nécessaire par le report du second tour à une date qui devra être choisie avant le 30 juin prochain, il est secondaire par rapport aux préoccupations actuelles des Français, que nous partageons, sur la lutte contre le fléau du Covid-19.
Je crois que, plus vite nous nous serons débarrassés des tractations entre partis politiques, différentes d’une ville à l’autre – elles ne sont pas toujours le fruit de mots d’ordre nationaux ni pilotées par une main invisible et lointaine –, nous aurons alors rendu service au pays, parce que nous serons en ordre de bataille.
Mme Françoise Gatel. Absolument !
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous espérons tous que les conditions seront réunies pour l’organisation du second tour au mois de juin. Si elles devaient ne pas l’être, il serait grand temps que le Parlement se prononce de nouveau, parce que nous serions alors obligés de renoncer aux résultats du premier tour. En effet, il n’est pas question de restreindre la liberté de vote des Français des villes concernées, en considérant que l’option qu’ils ont retenue en mars 2020 serait encore valable en octobre 2020 ou en mars 2021.
La dissociation des deux tours est un exercice délicat, qui suscite des interrogations, que nous devons résoudre. Si nous devions franchir le cap du 30 juin, nous aurions également à traiter le problème des élections sénatoriales de septembre prochain. Tout cela est très compliqué, et ce n’est pas le sujet du jour ! À chaque jour suffit sa peine.
Nous avons une seule question à nous poser : quelle est la solution la plus à même de mettre de côté les controverses politiques et de privilégier l’unité nationale ? À cette question, ma réponse diffère de la vôtre : pour moi, le plus raisonnable est d’en finir le plus vite possible avec le dépôt des listes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. À ce point de la discussion, je penche pour la date du 31 mars, qui semble faire converger la très grande majorité des membres de l’hémicycle.
Je voudrais cependant que M. le ministre nous donne clairement sa position sur une question que M. le rapporteur vient d’évoquer.
Les discussions se sont engagées sur deux principes : la sécurisation du premier tour et le report du second tour en juin. Or les maires ne seront pas élus et, si nous suivons la position du Gouvernement, aucune décision claire n’aura été prise ici sur le dépôt des listes en vue du second tour.
Monsieur le ministre, vous avez, à l’instant, par une remarque que vous avez qualifiée de « politique », estimé que la fusion de listes pourrait être gênante dans la perspective d’une autre campagne à venir. Le doute sur la sécurisation du premier tour n’est-il pas en train de gagner du terrain ?
Estimez-vous, comme M. le rapporteur, que, si le second tour n’a pas lieu en juin, c’est l’intégralité de l’élection qui sera en jeu ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. Je distingue bien le cas des communes où le résultat est définitif de celui des communes où il ne l’est pas, le premier tour n’ayant pas permis de sanctuariser l’élection.
Je rejoins l’avis du Conseil d’État, que nous avons sollicité sur le texte qui vous est soumis. Celui-ci a estimé qu’un encadrement était nécessaire, avec une date butoir fixée au 30 juin, laquelle peut évidemment être avancée au 21 juin ou plus tôt – nous aurons l’occasion d’en reparler. En effet, comme M. le rapporteur l’a rappelé, le Conseil d’État considère qu’un délai trop long entre les deux tours mettrait en cause la sincérité du premier tour de scrutin et ferait tomber les résultats de celui-ci.
Si le Conseil d’État ne s’est pas prononcé sur ce sujet dans son avis, nous pouvons penser, par déduction, que, si nous n’étions pas en mesure d’organiser les élections avant le mois de septembre, il estimerait que le délai serait trop long et que le premier tour, pour les communes où il n’a pas été décisif, serait remis en cause.
Mme Éliane Assassi. Je retire l’amendement n° 83, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 83 est retiré.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 111.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. L’amendement n° 93 rectifié, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
A. – Après l’alinéa 4
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
Ce rapport examine également les risques sanitaires et les précautions à prendre :
1° Pour l’élection du maire et des adjoints dans les communes où le conseil municipal a été élu au complet dès le premier tour ;
2° Pour les réunions des conseils communautaires.
B. – Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
II. – Les conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction à une date fixée par décret, aussitôt que la situation sanitaire le permet au regard de l’analyse du comité national scientifique.
C. – Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Dans les communes pour lesquelles le conseil municipal a été élu au complet, les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu’à l’entrée en fonction des conseillers municipaux élus au premier tour. Le cas échéant, leur mandat de conseiller communautaire est également prorogé jusqu’à cette même date ;
D. – Alinéas 9 et 10, seconde phrase
Remplacer la référence :
V
par la référence :
V bis
E. - Alinéa 27
Après les mots :
Pour les
insérer les mots :
listes de candidats ou les
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement est très important, puisqu’il vise à tirer les conséquences de la décision politique qui a été prise cet après-midi, à l’issue d’une réunion présidée par le président du Sénat et le Premier ministre, en présence du ministre de l’intérieur et du ministre des relations avec le Parlement, à laquelle participaient les présidents de tous les groupes de la Haute Assemblée.
Il aurait évidemment été éminemment souhaitable de pouvoir organiser l’élection des maires et de leurs adjoints vendredi, samedi et dimanche, comme prévu.
Mais nous avons tous pu constater que la décision de confiner la population avait changé les données du problème, puisqu’il fallait, pour organiser cette élection des maires et des adjoints, déroger aux règles de ce confinement, pour une raison infiniment respectable d’ailleurs, qui est la nécessité de faire vivre la démocratie locale, alors que les maires, dans la République, sont les premiers acteurs de la sécurité et que, dans leurs pouvoirs de police, l’hygiène publique est, historiquement, le premier fondement de leurs interventions. Par conséquent, ne pas permettre que se déroule normalement l’élection des maires des communes où tous les conseillers municipaux ont été élus lors du premier tour de scrutin est vraiment une décision très pénible à prendre.
Le ministre de l’intérieur, la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale et moi-même nous sommes entretenus de cette question dès hier soir. Nous avions conclu que, si le Gouvernement souhaitait maintenir les élections de vendredi, samedi et dimanche, il fallait, à tout le moins, apporter des souplesses, que nous avons inscrites dans le texte : nous avons prévu que le quorum soit plus faible – un tiers, contre 50 % normalement –, que deux procurations puissent être données à chaque conseiller municipal présent, contre une en droit commun, que le scrutin puisse se dérouler ailleurs qu’à la mairie, et même, éventuellement, dans une commune voisine, pourvu que ce soit dans une salle permettant d’éviter la promiscuité.
De nombreux élus auraient souhaité que le scrutin soit maintenu. On ne peut pas leur donner tort du point de vue du fonctionnement de notre démocratie ni compte tenu de la nécessité de renforcer l’armature des élus. Il est important de donner aux élus qui entrent en fonctions la légitimité et la capacité d’action dont ils ont besoin.
Mais beaucoup d’autres élus s’apprêtaient à braver la loi, les consignes du ministère et celles des préfets pour ne pas tenir cette élection. Il fallait sortir de cette situation complexe. Tel est le sens de la décision qui a été prise.
Le présent amendement tire les conséquences de cette décision politique très importante, en reportant à une date qui sera fixée ultérieurement et qui doit correspondre à la fin du confinement l’élection des maires et des adjoints.
Cette nouvelle date devra être arrêtée par le Gouvernement en fonction du rapport du comité national scientifique, dont le projet de loi prévoit qu’il sera rendu public le 10 mai. C’est le même rapport qui nous éclairera sur la possibilité d’organiser le second tour des élections municipales et sur la nécessité de légiférer en cas d’impossibilité.
Il faudra expliquer le compromis proposé. Il conviendra notamment de rassurer ceux des maires qui croient déjà que l’on a annulé leur élection. Il s’agit de différer l’élection du maire, et non de remettre en cause l’élection des conseils municipaux qui ont été élus au complet dimanche dernier. Je tiens à le dire, même si cela paraît évident, parce que de nombreux élus s’inquiètent d’ores et déjà. L’information devra être diffusée de manière très rigoureuse dans les jours qui viennent.
Telle est l’économie générale de cette disposition, qui tend à prolonger le mandat des anciens conseils municipaux, des anciens maires, des anciens adjoints et des anciens délégués communautaires jusqu’à l’élection des nouveaux maires et de leurs adjoints.
M. le président. Le sous-amendement n° 108, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 93, alinéa 8
Après le mot :
décret
insérer les mots :
au plus tard au mois de juin
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. J’émets d’abord un avis évidemment favorable sur l’amendement qui vient d’être présenté par le président Bas, en insistant, comme lui, sur le point suivant : cette disposition est le révélateur de la gravité de la situation dans laquelle nous sommes d’un point de vue sanitaire. C’est cette situation qui a conduit le Gouvernement à ouvrir cette discussion, et je veux saluer la qualité de nos travaux compte tenu du déchirement que peut représenter, pour certains de ceux qui ont été élus dimanche dernier, l’obligation d’attendre avant l’installation des nouveaux exécutifs.
Dans la culture américaine, une élection présidentielle peut précéder l’installation du président de plusieurs mois. Nous n’avons pas cette culture : nous pratiquons l’entrée rapide en fonction.
Or, dans le combat que nous devons mener contre le coronavirus, nous avons besoin des collectivités locales. Elles ont un rôle majeur à jouer, et nous savons quelle est la responsabilité du maire là où il s’agit d’organiser un marché, par exemple, ou de mobiliser la police municipale pour faire en sorte que les dispositions de protection de nos concitoyens soient respectées.
Nous avons donc besoin que les collectivités soient opérationnelles. La solution qui permet de maintenir en place les exécutifs sortants et de choisir le meilleur moment pour l’installation des exécutifs élus la semaine dernière va donc dans le bon sens.
Je propose néanmoins un sous-amendement visant à retirer un tout petit peu de pouvoir au Gouvernement, sachant que le texte de l’amendement n° 93 rectifié ne contient pas de référence à la date limite du 30 juin – nous venons d’avoir un échange sur cette question. Je propose, donc, d’encadrer la possibilité pour le Gouvernement de fixer par décret la date d’entrée en fonction des conseils municipaux déjà élus en introduisant une telle référence.
Cette référence est une évidence pour tous, mais, me semble-t-il, la sécurité juridique commande d’adopter l’amendement du président Bas en y intégrant ce sous-amendement, donc de prévoir, sur le modèle de ce qui est prévu pour le second tour de l’élection municipale, que le décret pris par le Gouvernement devra l’être au plus tard à la fin du mois de juin.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement n° 108 ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je découvre à l’instant ce sous-amendement ; je vais donc réfléchir à voix haute et prendre à témoin chacune et chacun d’entre vous de ma réflexion.
Mme Esther Benbassa. En deux minutes et demie ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Comme vous le savez, les présidents de commission peuvent s’exprimer chaque fois qu’ils demandent la parole,…
M. le président. Sans limite de temps !
M. Philippe Bas, rapporteur. … mais je n’abuserai pas de cette prérogative.
On ne peut pas laisser s’éterniser la situation que nous créons ce soir. À cet égard, l’idée de ne pas différer au-delà du mois de juin la prise d’un décret organisant l’élection des maires de 30 000 communes ne me paraît pas malsaine.
Mais il se peut très bien que la crise sanitaire, au mois de juin, ne se soit pas éloignée ; nous serions alors dans la même situation que celle de ce vendredi, de ce samedi et de ce dimanche s’agissant des risques sanitaires, ressentis ou réels, que prendraient les élus pour se réunir.
Monsieur le ministre, si nous acceptons de ne pas différer le choix d’une date au-delà du 30 juin, il faut en même temps que vous acceptiez – l’acceptez-vous ? – l’amendement n° 95 rectifié, que nous examinerons dans peu de temps. Nous recherchons tous les moyens d’organiser le vote en limitant autant qu’il est possible la présence physique des conseillers municipaux, si d’aventure nous étions toujours dans cette situation de crise sanitaire.
M. Bruno Retailleau. C’est fondamental !
M. Philippe Bas, rapporteur. En réalité, c’était impossible à organiser cette semaine, parce qu’une telle solution exige des mesures qui doivent être préparées. Cela veut dire que, même si nous privilégions l’hypothèse dans laquelle les conseils municipaux pourront se réunir – je le souhaite de tout cœur –, il faut que vous soyez prêt, monsieur le ministre, pour le vote par correspondance, pour le vote électronique et pour le vote à l’urne, ce dernier soulevant aussi des questions délicates.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons – c’est l’objet de l’amendement n° 95 rectifié – ouvrir des possibilités nouvelles qu’il faut que vous prépariez, afin qu’elles soient mûres à la fin du mois de juin, si d’aventure nous avions besoin d’y recourir.
M. Philippe Mouiller. Très bien !
M. Philippe Bas, rapporteur. Cela dit, avis favorable de la commission.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Il est tôt, chacun est un peu fatigué et – le président Bas l’a rappelé – le moment est à la fois grave et exceptionnel ; les débats que nous avons depuis tout à l’heure répondent à cette gravité.
Je parle à titre personnel, pas au nom de mon groupe : parce qu’il est nécessaire de prendre en compte la gravité de la situation sanitaire, j’ai souscrit à l’adaptation proposée par Philippe Bas des dispositions relatives à la réunion des conseils municipaux. Jusqu’à treize heures, tout cela paraissait acceptable.
Certes, comme le Premier ministre l’a dit, nous sommes dans un océan d’incertitudes, et la situation sanitaire va sans doute évoluer. En même temps, pour les raisons mêmes que vous avez évoquées, monsieur le ministre, j’arrive à une conclusion contraire à la vôtre. Parce que nous avons besoin de mobiliser les élus locaux et parce que, comme l’a dit le président Bas, nous devons sortir le plus vite possible, en matière de gouvernance des collectivités locales, d’une solution pleine de confusion, je pense que, dès lors qu’un premier tour a eu lieu dimanche dernier, il faut, là où le conseil municipal est déjà au complet, poursuivre la procédure et laisser les choses se faire, d’autant que les conseillers municipaux se sont organisés dans cette perspective – pour certains d’entre eux, ils avaient prévu de se réunir dans quelques heures.
Monsieur le ministre, quand vous dites que les nouveaux élus ne sauraient pas gérer une situation grave,…
Mme Françoise Gatel. … je peux partager cet avis. Je me souviens, à titre personnel, lorsque j’ai été élue pour la première fois, avoir été confrontée à une situation totalement étonnante : ne sachant quoi faire, je fus très embarrassée. Je comprends donc qu’il y ait là une difficulté.
En même temps, monsieur le ministre, nous savons tous combien difficiles sont certaines situations, là où, par exemple, un premier adjoint s’est présenté contre son maire à la tête d’une liste dissidente. Il est désormais dans l’opposition, et nous lui dirions, demain : « mon cher ami, vous avez mené un combat, vous avez été battu, mais vous allez devoir travailler de nouveau avec votre ancien maire » ?
Qu’allons-nous dire à des maires qui, très dévoués à leur commune, avaient néanmoins annoncé que, ne pouvant plus continuer, ils décidaient d’arrêter et de quitter leurs fonctions ? Dans certaines communes, c’est ce qui va se passer ! Je pense donc que la présente disposition crée trop de confusion et de difficultés ; à titre personnel, je ne voterai pas cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Difficile de ne pas voter cet amendement eu égard au contexte sanitaire et à ce qu’a dit le comité national scientifique. Nous étions dans un état d’esprit totalement différent il y a quelques heures – c’est évident, et Mme Gatel l’a rappelé.
Nous ne pouvons pas ne pas faire état du malaise que l’on ressent forcément à se trouver dans cette situation tout à fait exorbitante. Que dit la loi, en effet ? La loi qui s’applique, que doivent suivre tous les maires, tous les élus, dispose qu’il faut élire le maire et les adjoints huit jours après l’élection municipale. C’est ce qui est écrit dans la loi. Or que nous a-t-on dit hier soir ? Qu’il ne fallait pas appliquer la loi ! Nous sommes même en train de réfléchir – M. Bas en a parlé – à un amendement dont l’objet est qu’il ne soit donné aucune suite à l’acte effectué par ceux qui, précisément, appliqueraient la loi.
Le comité national scientifique est une instance consultative ; c’est le pouvoir exécutif qui prend les décisions. On peut trouver malgré tout très dommageable que ce comité ne se soit pas enquis plus rapidement de cette question. Si nous avions su il y a quelques jours qu’il paraissait problématique de procéder aux élections municipales – on n’a pas découvert cette épidémie aujourd’hui ! –, nous n’en serions pas là.
Il faut bien se rendre compte du traumatisme qui va être créé. Certes, aucune solution miracle n’est disponible, mais, alors que les élections ont eu lieu, des personnes qui ont été battues seront susceptibles de rester en place, pour assurer la continuité, dans 30 000 communes de France. La loi, donc, n’est pas respectée. Cas rare : nous nous retrouvons à avaliser, partout sur le territoire national, la non-application de la loi.
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour explication de vote.
M. Philippe Adnot. La position exprimée par le président Bas est le fruit d’une concertation ; je m’y rallierai. Je précise néanmoins que je n’y étais pas favorable, compte tenu des problèmes que nous allons créer dans toutes les communes où une liste sortante a été battue et remplacée par une autre, laquelle sera dans l’impossibilité de prendre ses fonctions alors que le processus électoral est achevé.
C’est l’importance que chacun reconnaît à l’avis du comité national scientifique qui me dicte ce ralliement : en définitive, ce sont désormais les experts qui décident de la politique. Personnellement, je pense que c’est une couverture, et que ce n’est pas un bon principe, quel que soit le sujet.
Monsieur le ministre, il faudrait, dans l’hypothèse où les choses se passent mal dans une commune où la municipalité sortante a perdu mais doit continuer à exercer ses fonctions, que la commission spéciale qui devrait être mise en place par le préfet puisse donner à l’équipe qui a gagné la conduite des affaires.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je vais voter avec beaucoup de malaise cette disposition qui vient de nous être soumise.
Il faut évidemment respecter l’alerte sanitaire très sérieuse qui nous est notifiée, et donc prendre toutes les précautions nécessaires. Reste que l’avis du comité national scientifique sur la tenue de l’installation des conseils municipaux, pour ce que j’en connais du moins – mes collègues ne semblent pas en savoir davantage – n’est pas détaillé du tout.
Dans 20 000 des 30 000 communes dont nous parlons, il s’agit de réunir sept ou onze personnes.
Mme Sophie Primas. Voire moins !
M. Alain Richard. Le risque de mise en contact et de transmission dans des groupes de cette taille est tout de même maîtrisable, si les élus prennent les précautions logiques de distance interpersonnelle. Bien sûr, ce report est prudent. Mais il crée une mise en suspens très problématique à la suite de l’expression du suffrage.
Mes collègues citent – c’est normal – les situations de conflit. Parmi les 30 000 communes qui ont pourvu à l’élection de leur conseil municipal, il y en a sans doute 25 000 où l’équipe qui reprend les rênes est soit la même, pour l’essentiel, que la précédente, avec le même chef de file, soit une liste correspondant à une succession réussie.
M. Philippe Adnot. Dans 50 % des cas seulement !
M. Alain Richard. Mais cela laisse tout de même un certain nombre de communes dans lesquelles, en effet, les relations de travail posent problème et, dirais-je même, la légitimité du maire maintenu à son poste, appelé à prendre des décisions problématiques concernant la vie quotidienne de sa commune, sera franchement mise en question.
En tout cas, il me semble que la décision que nous devons prendre quant à la nouvelle date d’installation des conseils est très différente de la décision d’appeler aux urnes 20 millions de personnes – c’est à peu près le nombre d’électeurs qui auront à se prononcer pour un deuxième tour – qui, elles, devront se déplacer en masse, par cohortes de 1 000 personnes ou plus, pour gagner un bureau de vote. Les deux situations sont très différentes.
Je voudrais donc que nous nous entendions bien avec le Gouvernement sur le fait que, certes, un rapport sera remis le 10 mai, mais que le comité national scientifique s’y prononcera sur la prévention de deux risques différents : d’une part, laisser voter, dans des salles aménagées à cet effet, des groupes de personnes en nombre limité ; d’autre part, organiser, un mois plus tard, avec une part d’incertitude donc,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Richard. … le vote de la masse des citoyens. Il faut qu’au moins nous nous conservions la possibilité de dire oui au vote des conseils municipaux dans des conditions aménagées, peut-être même avant le 10 mai – c’est une date limite – sans dire forcément oui au deuxième tour.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. C’est un sujet important. Il y a quelques heures, j’étais favorable – nous en avions parlé, avec le président Bas, à plusieurs collègues – au maintien de cette élection sous une forme allégée. Il faut aussi, en effet, que les formes anciennes puissent évoluer : on aurait très bien pu baisser le quorum, augmenter les possibilités de procuration, voire organiser le vote à l’urne, afin que les personnes concernées restent très peu de temps dans une même pièce, voire ne soient pratiquement pas en contact.
Ce qui a changé la donne, c’est évidemment l’avis du comité national scientifique, mais pas seulement, mes chers collègues. Pouvez-vous concevoir que, dans la même semaine où sont prise la décision de confinement des Français et rendu l’avis du comité national scientifique, on campe sur cette position ? Vous avez senti, comme moi, dans vos départements respectifs, monter l’angoisse. Des maires se sont déclarés opposés à toute réunion et ont même commencé à pétitionner pour dire qu’il n’était pas question qu’ils appellent les conseillers à se réunir pour élire le bureau municipal. Il était impossible de maintenir cette élection ! Les Français eux-mêmes ne l’auraient pas compris.
Nous nous sommes réunis, avec Gérard Larcher, avec les membres du Gouvernement, le Premier ministre et l’ensemble des présidents de groupe, et nous avons essayé de converger vers la moins mauvaise solution.
Il faudra faire très attention, néanmoins. Je le redis, monsieur le ministre : il faut que vous vous engagiez solennellement, dans les minutes qui viennent, à ce que le report de cette élection des municipalités, maires et adjoints, ne signifie en aucun cas l’annulation du premier tour là où l’élection a été acquise. C’est la première chose. Deuxième chose : il est important de se mettre immédiatement au travail sur les fameuses modalités, plus modernes, plus imaginatives, qui pourraient permettre malgré tout, si jamais la crise perdure, d’élire sans risque et le plus vite possible les maires et les adjoints.
Il faudra, enfin, que les préfets puissent rédiger très rapidement, dans la semaine, une circulaire qui précisera par exemple la conduite à tenir pour les communes qui n’avaient pas eu le temps de voter les budgets ou n’avaient pas voulu le faire – c’est ce qu’on appelle expédier les affaires courantes : c’est extrêmement important.
Merci de me répondre sur ces différents points, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. Je comprends parfaitement les remarques qui ont été formulées, et les oppositions à la proposition du président Bas.
Nous connaissons les difficultés qui peuvent exister dans telle ou telle commune. J’étais ce matin l’invité d’une matinale, sur Europe 1 ; un maire m’a interpellé et m’a posé précisément cette question. J’ai évoqué, comme je l’avais fait la veille avec Philippe Bas, notre volonté de simplifier au maximum les modalités du vote pour faire en sorte qu’il puisse se dérouler dans de bonnes conditions sanitaires.
Je vais même vous confier quelque chose de très personnel : j’ai décidé au dernier moment, en venant cet après-midi au Sénat, de ne pas lire le texte de la réponse qui avait été préparée à une question d’actualité portant sur ce sujet. Dans la voiture qui me conduisait ici, en effet, j’ai reçu l’avis du président du comité national scientifique à qui nous avions soumis la démarche dans laquelle nous pensions inscrire notre travail, sur la base de l’amendement de Philippe Bas. Même sous de telles conditions, nous disait le comité, l’organisation de ces élections vendredi, samedi ou dimanche serait risquée, et ne pourrait aller sans dangers.
J’ai donc très vite évoqué ce risque sanitaire avec certains d’entre vous. Le risque sanitaire doit éclairer la décision politique – cette question a été souvent soulevée : ce n’est pas aux experts de décider pour le politique, mais l’analyse des experts doit nous permettre de prendre des décisions éclairées.
C’est la raison pour laquelle il me semble opportun de ne pas contraindre les élus, dont beaucoup ont, ces dernières vingt-quatre heures, comme les fonctionnaires municipaux qui sont mobilisés dans ce cadre-là, émis de fortes réserves sur l’idée de devoir participer au déroulement d’opérations de vote ce week-end.
À cet égard, le dispositif proposé va dans le bon sens. Mais, évidemment, nous devons impérativement faire en sorte que le processus électoral suive son cours, même si je ne peux pas m’engager. De toute façon – je vous réponds, monsieur Retailleau –, la suppression du premier tour impliquerait une loi, et non pas une décision unilatérale du Gouvernement. Et nous avons tous ici un même objectif : que ces élections puissent se dérouler, et ce le plus vite possible. Nous avons discuté tout à l’heure de la référence au 30 juin ; il faut qu’elles puissent avoir lieu avant cette date. Cela démontrera la victoire de notre pays sur le Covid-19, et permettra aux équipes élues d’entrer le plus vite possible dans la gestion municipale opérationnelle.
Je veux, sur ce sujet, prendre plusieurs engagements. Je serai favorable à tous les allégements de procédure qui permettront de voter dans les conditions les plus simples et les plus sûres. En la matière, et là encore, je rejoindrai ultérieurement les propositions du président Bas, avec quelques réserves dont nous avons pu discuter, sur le vote à main levée par exemple – le principe du secret du vote, en pareille circonstance, est à mon sens constitutionnellement protégé ; peut-être ne faut-il pas y toucher. En tout état de cause, simplifions au maximum !
Et je propose que, sur cette ordonnance, nous travaillions avec vous, vraiment, et pas en cabinet, seuls dans notre coin, afin de simplifier par tous les moyens.
Je voudrais préciser que si, dans certaines situations, l’équipe en place ne souhaite pas assurer ses fonctions et décide de démissionner, le préfet aura la possibilité de désigner une équipe par mandat spécial. Je transmettrai une recommandation, ou un conseil, en ce sens aux préfets – il n’appartient pas au ministre de décider qui doit exercer ce mandat, mais il serait parfaitement légitime que le préfet choisisse celui qui a gagné les élections.
Mme Sophie Primas. Sauf s’il n’est pas dans le conseil, monsieur le ministre !
M. Christophe Castaner, ministre. Le préfet peut malgré tout le désigner dans le cadre que j’ai évoqué, même s’il n’est pas dans le conseil. Il peut même désigner un tiers. Je ne donnerai pas d’instruction, mais je pense que le bon sens s’imposera, et notre échange devrait éclairer les préfets qui auront à prendre de telles décisions.
Je veux vous redire, monsieur Bas, que nous prendrons en considération, sans aucune difficulté, tout ce qui nous permettra d’avancer dans le sens d’une simplification du vote. Vous évoquez le vote électronique ; s’il s’agit des machines à voter, par exemple, j’y suis très favorable ; s’il s’agit de procéder par mail, en revanche, j’ai une inquiétude sur la qualité juridique de la formalisation du vote.
Il nous faut travailler sur ce sujet, au-delà de votre amendement. Je propose que nous continuions à travailler ensemble et à échanger des idées, y compris dans le cadre de la rédaction de l’ordonnance. Nous avons dû travailler dans l’urgence entre notre échange d’hier soir et l’heure très tardive à laquelle, ce soir, nous continuons de siéger. Mais nous devons avoir un seul objectif : simplifier au maximum les modalités d’installation des nouveaux exécutifs, à condition qu’une telle simplification ne vaille que pour ce moment exceptionnel, et ne devienne pas la règle par la suite.
M. le président. L’amendement n° 28 n’est pas soutenu.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 96, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéas 13 à 18
Remplacer ces alinéas par sept alinéas ainsi rédigés :
V. – Dans les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ne comptant parmi leurs membres aucune commune mentionnée aux 1° et 2° du III du présent article, l’organe délibérant se réunit dans sa nouvelle composition au plus tard trois semaines après la date fixée par le décret mentionné au premier alinéa du II.
V bis. – Dans les autres établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, à compter de la date fixée par le décret mentionné au premier alinéa du II du présent article et jusqu’à la première réunion de l’organe délibérant suivant le second tour des élections municipales et communautaires, qui se tient au plus tard le troisième vendredi suivant ce second tour :
1° Si le nombre de sièges attribués à une commune mentionnée aux 1° et 2° du III du présent article, en application du VII de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, est supérieur au nombre de conseillers communautaires attribués à la commune par l’arrêté préfectoral en vigueur jusqu’à la date du premier tour, les sièges supplémentaires sont pourvus par les autres conseillers municipaux pris dans l’ordre du tableau du conseil municipal ;
2° Si le nombre de sièges attribués à une telle commune en application du même VII est inférieur au nombre de conseillers communautaires attribués à la commune par l’arrêté préfectoral en vigueur jusqu’à la date du premier tour, les conseillers communautaires de la commune sont les conseillers municipaux qui exerçaient à la même date le mandat de conseiller communautaire, pris dans l’ordre du tableau du conseil municipal.
3° En cas de vacance, pour quelque cause que ce soit, d’un siège de conseiller communautaire pourvu en application des 1° et 2° du présent V bis, ce siège est pourvu par un conseiller municipal n’exerçant pas le mandat de conseiller communautaire pris dans l’ordre du tableau du conseil municipal.
4° Le président et les vice-présidents en exercice à la date fixée par le décret mentionné au premier alinéa du II sont maintenus dans leurs fonctions, à la condition qu’ils conservent le mandat de conseiller communautaire. Les délégations consenties en application de l’article L. 5211-10 du code général des collectivités territoriales ainsi que les délibérations prises en application de l’article L. 5211-12 du même code, en vigueur à la date fixée par le décret mentionné au premier alinéa du II du présent article, le demeurent en ce qui les concerne. Dans le cas où il n’exerce plus le mandat de conseiller communautaire, le président est remplacé dans la plénitude de ses fonctions, jusqu’à cette même élection, par un vice-président conservant le mandat de conseiller communautaire dans l’ordre des nominations ou, à défaut, par le conseiller communautaire le plus âgé. En cas d’absence, de suspension, de révocation ou de tout autre empêchement, le président est provisoirement remplacé dans les mêmes conditions.
Le présent V bis est applicable aux établissements publics territoriaux créés dans le périmètre de la métropole du Grand Paris.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. La philosophie générale de cet amendement, qui a pour objet les conseils communautaires, est qu’il ne faut pas que, pendant la période qui s’ouvre, des conseils communautaires composés de 200 personnes aient obligatoirement à se réunir pour élire leur nouvel exécutif, d’autant plus qu’une telle élection est souvent beaucoup plus longue que dans les communes, pour une raison très simple : les conseils communautaires représentent un nombre plus ou moins important de communes et réunissent des élus qui n’ont pas fait campagne ensemble. Les choses sont donc plus compliquées qu’ailleurs, à l’évidence : elles supposent de grands débats et de grands préparatifs.
Il faudrait pouvoir faire vivre les conseils communautaires comme nous venons de décider de faire vivre les conseils municipaux, pendant la période de confinement à tout le moins, sans qu’on ait à les réunir. Il faut maintenir les présidents en place et, dès que possible, permettre le renouvellement des instances.
M. le président. L’amendement n° 41, présenté par MM. Kanner et Sueur, Mme de la Gontrie, M. Leconte, Mme Artigalas, MM. Carcenac et Éblé, Mme Féret, MM. Jomier et Montaugé, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, MM. Temal, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 13 à 17
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
V. – Pour les établissements publics de coopération intercommunale comptant parmi ses membres au moins une commune où un second tour est nécessaire, le mandat des conseillers communautaires est prorogé jusqu’au second tour des élections municipales.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement va dans le même sens que celui de la commission.
M. le président. L’amendement n° 21, présenté par M. Lafon, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 17
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
L’avant-dernier alinéa du présent V est applicable, le cas échéant, au président et aux vice-présidents des conseils de territoire des établissements publics territoriaux créés dans le périmètre de la métropole du Grand Paris.
II. – Alinéa 18
Remplacer les mots :
au dernier alinéa du IV
par les mots :
à l’avant-dernier alinéa du V
La parole est à M. Laurent Lafon.
M. Laurent Lafon. Il s’agit de corriger un oubli dans le texte initial du Gouvernement, qui ne prévoyait pas le cas des établissements publics territoriaux. Si j’ai bien lu l’amendement du président Bas, il les intègre. Si cela était confirmé, mon amendement n’aurait plus d’utilité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 41 et 21 ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je préfère le mien, monsieur le président. S’il est adopté, l’amendement n° 41 tombera.
Quant à l’amendement de M. Lafon, j’y suis favorable, mais il sera satisfait par l’adoption de celui de la commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Les solutions apportées par l’amendement de la commission au sujet de la transition dans les conseils communautaires ou métropolitains sont solides. Il me paraît néanmoins, cher président Bas, qu’un petit travail de perfectionnement restera à effectuer. J’aurais dû vous alerter plus tôt sur ce point ; mais il me semble bien que dans le cas, qu’il faut prévoir, où le nouveau barème démographique entraîne soit une réduction soit une augmentation du nombre de conseillers communautaires au regard de ceux effectivement en fonctions, le recours à l’ordre du tableau du conseil municipal n’offre pas la réponse pertinente à la question de savoir qui doit être désigné comme conseiller supplémentaire ou qui, à l’inverse, doit être retranché de la liste des délégués communautaires.
Il faut bien tenir compte en effet de l’équilibre entre les listes élues à l’orgine. Les postes sont attribués à la proportionnelle et il me semble que, pour bien tenir compte du résultat des votes, la référence à l’ordre du tableau n’est pas tout à fait adéquate. Il ne faut pas non plus que les choses se fassent sous la forme d’une élection, car la règle actuelle consiste à réunir le conseil municipal pour modifier le nombre. J’avais préconisé – et j’avais déposé un amendement en ce sens – que ce soit le représentant de l’État qui fasse le calcul et désigne les personnes qui doivent être ajoutées ou soustraites ; mais je pense qu’il faut nécessairement faire référence aux résultats des élections de 2014 pour fixer l’ordre de priorité et choisir les entrants et les sortants. Il me semble, donc, qu’il faudra rectifier légèrement cette partie de l’amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous retirons l’amendement n° 41, l’amendement de la commission étant beaucoup plus précis.
Néanmoins, le dispositif du Gouvernement avait quelque chose de plus juste en prévoyant de nouveaux délégués pour les communes ayant pu former un conseil municipal complet, et les anciens délégués dans les communes où le second tour ne peut pas avoir lieu. Le résultat des urnes était donc pris en compte, au moins pour 30 000 communes.
La commission propose plus simplement de continuer avec le même conseil communautaire. S’ensuivront inévitablement quelques bizarreries, lorsqu’un élu battu présidera une intercommunalité, par exemple.
L’amendement de la commission prend aussi en compte l’évolution du nombre de délégués par commune, en application des lois votées depuis 2014. Dans ce cas, il est prévu d’en augmenter ou d’en diminuer le nombre en tenant compte de l’ordre du tableau ; c’est logique.
Il reste le problème irrésolu des communes nouvelles, dont le nombre de délégués est fixé et qui n’ont pas de liste complémentaire sur le bulletin de vote, puisqu’elles proviennent de la fusion d’anciennes communes. Je ne sais pas comment il pourrait y être remédié.
Quoi qu’il en soit, la logique consistant à prolonger l’existant pendant la période transitoire, en espérant qu’elle ne soit pas trop longue, a l’avantage de la simplicité, même si cela provoque des situations un peu complexes.
M. le président. L’amendement n° 41 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 96.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 21 n’a plus d’objet.
L’amendement n° 94, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
VI. – Par dérogation aux articles L. 251, L. 258, L. 270 et L. 272-6 du code électoral et L. 2122-8 du code général des collectivités territoriales, les vacances constatées au sein du conseil municipal ne donnent pas lieu à élection partielle :
1° Jusqu’à la tenue du second tour dans les communes pour lesquelles le conseil municipal n’a pas été élu au complet au premier tour ;
2° Jusqu’à la date mentionnée au premier alinéa du II du présent article dans les communes pour lesquelles le conseil municipal a été élu au complet au premier tour.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est un amendement de conséquence, pour éviter les élections partielles dans les communes en attente de l’élection du maire et de ses adjoints.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 105, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 29
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Pour l’application du II du présent article, le statut des candidats élus au premier tour dont l’entrée en fonction est différée ne leur confère ni les droits ni les obligations normalement attachées à leur mandat. Le régime des incompatibilités applicable aux conseillers municipaux et communautaires, aux conseillers d’arrondissement et de Paris, ne s’applique à eux qu’à compter de leur entrée en fonction.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement porte sur le régime des incompatibilités. Le texte actuel prévoit qu’une personne en situation de cumul doit choisir dans le mois. Puisque nous avons différé l’entrée en fonction de beaucoup d’élus, il ne faudrait pas leur opposer ce couperet trop rapidement. L’amendement vise à apporter une solution à ce problème.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 110, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 30
1° Après les mots :
par dérogation au I
insérer les mots :
et au II
2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Dans ces territoires, les conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction en même temps que les conseillers municipaux et communautaires élus au second tour.
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. Il s’agit de prendre en compte les spécificités que nous pourrions connaître en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Il convient de permettre d’adapter la date à laquelle sera convoquée la première réunion du conseil municipal.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le ministre, je suis dans l’embarras. Cet amendement est vraiment très tardif, or si l’on peut répondre quand c’est simple, c’est évidemment plus difficile quand c’est compliqué. J’ai des doutes. Cet amendement concerne la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie et nous n’avons procédé à aucune vérification. Il lie le destin des élus au premier et au second tour. S’il n’y a pas de second tour, il posera un problème d’application.
Je vous propose donc de traiter ce problème vraiment très particulier dans le cadre de votre habilitation. C’est la raison pour laquelle j’apprécierais que vous retiriez votre amendement, pour m’éviter de lui donner un avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° 110 est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis (nouveau) (précédemment réservé)
Lorsque le conseil municipal a été élu au complet dès le premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020, sa première réunion peut se tenir en tout lieu permettant de préserver la santé des conseillers municipaux et des agents de la commune, y compris en dehors du territoire de la commune, par dérogation au quatrième alinéa de l’article L. 2121-7 du code général des collectivités territoriales.
Pour cette réunion et par dérogation au premier alinéa de l’article L. 2121-17 et à la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 2121-20 du même code :
1° Le conseil municipal ne délibère valablement que lorsque le tiers de ses membres en exercice est présent ;
2° Un même conseiller municipal peut être porteur de deux pouvoirs.
Le troisième alinéa dudit article L. 2121-7 du code général des collectivités territoriales peut être mis en œuvre lors d’une prochaine réunion.
Le conseil municipal est réputé s’être réuni pour l’élection du maire et de ses adjoints lorsque les conseillers municipaux sont invités à voter à l’urne en respectant les prescriptions des autorités sanitaires.
Il est également réputé comme réuni lorsqu’est mis en place un dispositif de vote électronique préservant la sécurité et l’anonymat du vote.
M. le président. L’amendement n° 98, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Par dérogation à la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 2121-7 du code général des collectivités territoriales, cette réunion se tient à une date fixée par décret, aussitôt que la situation sanitaire le permet au regard de l’analyse du comité national scientifique.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination, qui se justifie par son texte même.
M. le président. Le sous-amendement n° 109, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 98, alinéa 3
Après le mot :
décret
insérer les mots :
au plus tard au mois de juin
La parole est à M. le ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Sans vouloir corriger l’expression du ministre, ce sous-amendement est en réalité de cohérence, et se greffe à mon amendement de coordination. (Sourires.) J’y suis favorable.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Primas, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le vote peut avoir lieu à main levée, sauf opposition de l’un des membres du conseil municipal.
La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Je retire cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 107, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. Comme je l’évoquais, il s’agit de supprimer la possibilité du vote électronique qui, s’il devait s’effectuer par mail, serait à mon avis illégal.
M. le président. L’amendement n° 95 rectifié, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 7
1° Après le mot :
électronique
insérer les mots :
ou par un vote par correspondance papier
2° Compléter cet alinéa par les mots :
, dans des conditions fixées par décret
II. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Le dernier alinéa du I du présent article s’applique à une date fixée par décret et, au plus tard, au 10 mai 2020.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 95 rectifié et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 107.
M. Philippe Bas, rapporteur. L’amendement n° 95 rectifié tend à ouvrir la possibilité d’un vote par correspondance pour la première réunion des conseils municipaux, celle où l’on élit les maires et les adjoints, ce qui pourrait représenter une nouvelle garantie en fonction de la situation sanitaire, dans l’hypothèse où l’on procéderait à cette élection alors que les conseils municipaux ne pourraient pas se réunir dans des conditions de sécurité suffisantes.
Pour sécuriser le dispositif, un décret serait pris au plus tard le 10 mai 2020. Nous demandons au Gouvernement de prendre un décret pour rendre possible ce mode de votation pour l’élection des maires et des adjoints en cas de besoin. Ce n’est pas possible de le faire maintenant, car de nombreux problèmes pratiques doivent être réglés.
Par l’amendement n° 107, le Gouvernement veut supprimer la possibilité du vote électronique pour l’élection des maires. Il est vrai que nous avons connu de graves difficultés à le mettre en place, alors que la loi le prévoyait, pour l’élection des représentants des Français de l’étranger. Depuis tant d’années, nous devrions être en mesure d’appliquer ce vote électronique – bien sûr, pas la semaine prochaine, mais pourquoi pas dans deux mois, si nous en avions besoin. Ne nous privons pas de cette chance.
C’est la raison pour laquelle nous maintenons notre proposition et sommes défavorables à l’amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Je comprends que le vote par mail ne soit pas possible, mais pas celui par un vote électronique sécurisé. Les partis politiques, les mairies organisent déjà de tels votes tout à fait officiels. Des expérimentations ont été concluantes.
Il me paraît donc possible de se donner les moyens de réaliser un vote électronique pour une population de surcroît assez restreinte. Les conseils municipaux regroupent au maximum une trentaine de personnes. Nous devrions être capables d’organiser ce vote dans de très bonnes conditions de sécurité. Je suis donc très opposée à l’amendement n° 107 du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. Le sujet n’est pas le vote électronique, mais l’identité électronique. Aujourd’hui, nous ne disposons pas d’outils nous permettant une validation de l’identité électronique de celui qui participe au vote. Les partis politiques peuvent le pratiquer, parce que ce type d’élection n’est pas soumis au même niveau de contrôle. En l’espèce, ce pourrait être un motif de vice de forme.
C’est la raison pour laquelle, dans les deux mois à venir, pas plus qu’à l’heure actuelle, nous ne serons pas en mesure d’avoir un système national qui valide l’identité électronique. Le sujet dépasse largement les questions dont nous débattons et provoque, on le sait, beaucoup de réactions, de tensions.
Je n’ai aucun problème sur la simplification, ni même sur la forme du vote électronique, mais je ne peux vous garantir l’identité électronique de celui ou de celle qui votera. Dans deux mois, je crains que nous n’ayons pas suffisamment avancé d’un point de vue législatif pour accorder toutes les garanties.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Je viens d’écouter avec attention M. le ministre de l’intérieur, or il me semble que les 1,1 million de Français qui se sont prononcés récemment lors d’un référendum d’initiative partagée concernant Aéroports de Paris ont donné leur identité électronique.
M. Patrick Kanner. Ils se sont identifiés avec un numéro de carte d’électeur, etc. Sinon, il ne fallait pas les enregistrer en tant que tels, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Le ministère de l’intérieur pourrait solliciter des compétences au ministère des finances ou au ministère des affaires étrangères : au ministère des finances, parce que chacun peut consulter son état fiscal grâce aux identifiants donnés par FranceConnect ; au ministère des affaires étrangères, parce qu’il était prévu, jusqu’aux mesures figurant à l’article 3, un vote électronique aux élections consulaires pour plus d’un million de Français établis hors de France, comme cela se fait depuis 2009, dans des conditions qui ont toujours été considérées comme correctes.
Donc la compétence existe au niveau de l’administration française, mais peut-être pas au ministère de l’intérieur.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. À cette heure tardive, peut-être pouvons-nous éviter les petites provocations…
Monsieur Kanner, il se trouve que je n’étais pas ministre au moment de la mise en place de la procédure pour les référendums. Le texte prévoyait que la référence à un numéro de carte d’électeur, qui n’est jusqu’à nouvel ordre pas une carte d’identité dans notre pays, suffisait pour qualifier, au sein du répertoire unique électoral, la possibilité de voter.
Bien sûr, on peut parfaitement créer un compte chez Amazon et se faire reconnaître, mais le site ne vous demande pas votre carte d’identité et n’a pas la capacité de la vérifier. Ma réponse portait sur le niveau de sécurité de l’identité électronique. Vous êtes parfaitement libres de décider de le sous-grader, mais le Gouvernement considère qu’un processus électoral justifie le meilleur niveau de sécurité juridique. Pour les votes au Sénat, même à cette heure tardive, nous devons être sûrs de l’identité électronique des votants.
Le ministère de l’intérieur travaille à l’échelon national pour que la reconnaissance de la signature électronique puisse être sécurisée. Il existe des outils, et même un calendrier ; nous aurons l’occasion d’en reparler, je n’en doute pas, dans cet hémicycle. Mais nous ne parlons pas de la même chose ! Donc si l’on peut parfaitement se faire reconnaître sur toute une série de comptes avec un certain niveau de sécurité, ce n’est pas celui qui me paraît nécessaire pour un cadre électoral aussi sensible que celui dont nous débattons.
M. Jean-Yves Leconte. Pourtant, cela se fait !
M. Christophe Castaner, ministre. On peut choisir de sous-grader le niveau de sécurité pour simplifier, mais je pense que la simplification ne doit pas aller contre les enjeux de sécurité.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. L’on ne peut manquer d’être sensible à la préoccupation du respect de l’anonymat du conseiller municipal qui va élire son maire et de la garantie que c’est bien lui qui aura voté. De telles décisions ne se prennent pas à la légère, monsieur le ministre, c’est la raison pour laquelle je reprends la parole.
Je voudrais formuler deux observations. La première, c’est qu’il vous revient d’élaborer un décret. Le Parlement, s’il vote cette disposition, met la pression sur le Gouvernement pour qu’il trouve des solutions aux problèmes que vous avez vous-même identifiés et qui, je crois, sont réels. Nous espérons que vous pourrez prendre ce décret à la date prévue, mais il vous appartient d’apprécier les conditions et les difficultés à surmonter.
La seconde observation, c’est que malgré tout, sans avoir atteint un niveau de perfection absolument irréprochable, nous avons mis en place au Sénat, sur l’initiative de notre président, un dispositif permettant de rendre opérationnel le droit de pétition et d’en tirer des conséquences sur le travail parlementaire. Nous avons recouru à un organisme. Nous avons même différé l’entrée en vigueur du dispositif pour conforter la sécurité de cette collaboration, nous assurer évidemment que les pétitionnaires existent bien, que ce sont bien eux qui ont signé, afin de vérifier que le nombre requis de pétitionnaires déclenchant l’examen par les instances du Sénat n’a pas été le produit d’une organisation qui manipule le système. Nous considérons que nous avons des garanties suffisantes. L’une des deux chambres du Parlement ne peut pas se permettre de recevoir des pétitions qui ne seraient pas assorties de suffisamment de garanties, puisque cela déclenche une procédure parlementaire.
Il existe donc des dispositifs disponibles. Je ne suis pas en mesure d’apprécier le délai nécessaire à leur mise en place, mais ils sont de nature à me faire espérer que, si nous adoptons cette disposition, vous aurez une chance de faciliter l’élection des maires et des adjoints en période de crise sanitaire comme celle que nous connaissons. Ainsi, nous aurions la possibilité du vote par correspondance, du vote électronique et celle de réunir seulement quelques conseillers municipaux ayant la procuration de leurs collègues. Cela sécuriserait l’élection des maires et des adjoints, que l’on ne saurait différer trop longtemps. C’est la raison de mon insistance, en vous confiant notre espoir que vous puissiez régler le problème par voie réglementaire.
M. le président. L’amendement n° 102, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… .- Les dispositions du présent article sont applicables sur tout le territoire de la République.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement vise à étendre à l’outre-mer les dispositions que nous adoptons.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis, modifié.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 2 (précédemment réservé)
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnances, dans un délai d’un mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi relative :
1° À l’organisation du second tour du scrutin pour le renouvellement des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, notamment aux règles de dépôt des candidatures, sans pouvoir modifier le délai limite de dépôt ;
2° Au financement et au plafonnement des dépenses électorales et à l’organisation de la campagne électorale ;
3° Aux règles en matière de consultation des listes d’émargement ;
4° Aux adaptations permettant de prendre en compte la situation particulière de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai d’un mois à compter de la publication de chaque ordonnance.
M. le président. L’amendement n° 88, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
, sans pouvoir modifier le délai limite de dépôt
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. Cet amendement de coordination avec l’amendement déposé à l’article 1er, alinéa 2, permettra au Gouvernement de déterminer la période complémentaire de dépôt des candidatures par ordonnances.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’amendement mentionné par le ministre n’ayant pas été adopté, nul besoin de coordination.
M. le président. L’amendement n° 88 est retiré.
L’amendement n° 106, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
5° Aux modalités d’organisation de l’élection des maires, des adjoints aux maires, des présidents et vice-présidents des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. Cet amendement vise à donner une souplesse supplémentaire pour l’organisation de l’élection des maires, des adjoints aux maires, des présidents et vice-présidents des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Il s’agit de pouvoir organiser ces élections dans le meilleur contexte possible, tant sanitaire que pour l’expression de la démocratie locale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il peut sembler singulier d’adopter un dispositif dans la loi en habilitant en quelque sorte le Gouvernement à le modifier. Cela me paraît cependant indispensable, le travail que nous menons ensemble aujourd’hui relevant d’une forme de précipitation qui ne nous a pas permis d’aller au bout de l’examen technique et juridique de toutes les questions. Peut-être même avons-nous oublié certaines d’entre elles.
Il faut donc vous faire confiance à cet égard, monsieur le ministre, et, bien que je ne sois pas un farouche partisan des habilitations, j’admets que celle-ci pourrait être utile.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3 (précédemment réservé)
Le mandat des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires est prorogé au plus tard jusqu’au mois de juin 2020.
Les procurations déjà enregistrées pour les élections consulaires initialement prévues les 16 et 17 mai 2020 sont maintenues.
Au plus tard le 10 mai 2020 est remis au Parlement un rapport du Gouvernement relatif à l’état de l’épidémie de Covid-19, aux risques sanitaires dans le monde et aux conséquences à en tirer, avant l’échéance fixée au premier alinéa, sur la tenue des élections consulaires et de la campagne les précédant. Ce rapport présente les conséquences d’un nouveau report, au-delà de juin 2020, de l’élection des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires, y compris en ce qui concerne l’élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France.
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnances, dans un délai d’un mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi liée à la prorogation des mandats des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires et aux modalités d’organisation du scrutin. Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai d’un mois à compter de la publication de chaque ordonnance.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 32, présenté par M. Leconte, Mmes Lepage et Conway-Mouret, MM. Kanner et Sueur, Mmes de la Gontrie et Artigalas, MM. Carcenac et Éblé, Mme Féret, MM. Jomier et Montaugé, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, MM. Temal, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
Le mandat des conseillers consulaires et des délégués consulaires est prorogé au plus tard jusqu’au mois de mai 2021.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Nous abordons la question des élections consulaires, celle des prochains conseillers des Français de l’étranger. La situation diffère de celle des élections municipales : la campagne électorale n’a pas commencé et l’enregistrement des candidatures s’est terminé le 8 mars. Dans certaines circonscriptions, en particulier en Chine, les écoles sont fermées depuis le mois de janvier en raison du Covid-19. Par conséquent, non seulement il n’y a pas eu de campagne, mais il n’y a même pas eu de vie sociale autour de ces prochaines élections.
J’ajoute qu’il faut souvent parcourir des centaines de kilomètres pour aller voter. Le vote électronique, que j’ai évoqué, est en application, mais il est accessoire par rapport à ce que la loi considère comme le mode principal, c’est-à-dire le vote à l’urne.
Ces élections ont lieu sur l’ensemble de la planète. À considérer le déphasage qu’il peut y avoir entre la situation aujourd’hui en Chine, en Europe, et celle que l’on devine malheureusement en Afrique, aux États-Unis et en Amérique du Nord dans les prochains mois, il est très peu probable que nous puissions tenir des élections dans des conditions correctes au mois de juin. Même si nous y arrivons en Europe, les conditions d’une réelle campagne ne seront pas réunies sur l’ensemble de la planète.
Il s’agit non pas simplement d’un second tour, mais de l’ensemble d’une campagne qu’il faut permettre pour ces élections essentielles assurant la représentation des Français vivant hors de France pour l’ensemble des politiques publiques décidées par le Parlement et le Gouvernement. Il est donc difficile d’envisager des élections avant le mois de juin, comme il est proposé dans le texte.
Je ne méconnais pas les difficultés constitutionnelles que cela peut provoquer, nous en avons débattu ce matin en commission des lois. Finalement, cet amendement affirme le principe du droit pour les Français établis hors de France à une réelle campagne pour élire leurs représentants. Nous ne pouvons pas non plus repousser une deuxième fois les élections à une date qui ne serait pas tenue ; cela décrédibiliserait l’ensemble du processus – les élections étaient initialement prévues les 16 et 17 mai. Si elles sont reportées d’un mois, il n’y aura pas de campagne…
M. le président. Concluez, monsieur Leconte !
M. Jean-Yves Leconte. … et il est très peu probable d’y arriver.
Je conclus, monsieur le président. Donc, compte tenu de ce que nous avons fait toute la journée, où nous avons finalement adapté la situation…
M. le président. Monsieur Leconte, vous êtes coutumier du fait !
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, c’est un amendement très important.
M. le président. Monsieur Leconte, vous n’avez plus la parole. Apprenez à synthétiser !
L’amendement n° 99, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéas 1, 3, seconde phrase, et 4, première phrase
Remplacer les mots :
des Français de l’étranger
par les mots :
consulaires
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Les conseillers consulaires deviendront les « conseillers des Français de l’étranger ». Tel est le sens de mon amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. Je commencerai par l’amendement n° 99 du président Philippe Bas : cette proposition méritait d’être présentée, je l’approuve bien volontiers. En plus d’être un amendement de cohérence, c’est un amendement de clarté dans l’intitulé de ces fonctions.
S’agissant de l’amendement n° 32 présenté par Jean-Yves Leconte, je pense que le report d’un an pourrait être interprété comme ouvrant une discussion sur le report des élections municipales d’un an. Par analogie avec nos réflexions, il me paraît plus cohérent de travailler sur un report au plus tard au 30 juin, comme il est proposé pour les élections municipales, et de ne pas repousser d’un an une élection importante, qui est dématérialisée, pour l’essentiel, dans sa traduction opérationnelle.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je remercie le président Bas d’avoir déposé cet amendement, puisque le nouveau titre de conseiller des Français de l’étranger ne sera valide qu’à partir du prochain renouvellement.
Au sujet des élections consulaires, nous connaissons les contraintes et vous alertons sur le fait que celles-ci ne pourront pas se tenir dans des conditions correctes au mois de juin, faute de pouvoir organiser correctement une campagne électorale dans toutes les zones de la planète, même si les choses se passent bien en Europe. Depuis le début de la journée, nous avons constaté des contraintes et essayé d’y répondre, et là, il ne serait pas possible d’y faire face ? Je comprends la difficulté, mais compte tenu du véhicule législatif qui nous est proposé, nous ne pouvons pas faire autrement que de reporter d’un an au plus. Si nous ne pouvions malheureusement pas organiser le second tour des élections municipales au mois de juin, cet amendement, tel qu’il est rédigé, nous permet d’y faire face.
Je vous en prie, ne traitez pas les Français de l’étranger comme des gens qui n’auraient pas le droit de vivre une campagne électorale dans des conditions correctes ! Or l’on sait déjà que tel sera le cas si la date est fixée à la fin du mois de juin. Elle ne pourra pas se tenir partout dans le monde, et il faudra probablement encore reporter les élections, avec les mêmes contraintes que celles que l’on refuse de regarder aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle il faut voter cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Mon cher collègue, je comprends toutes les difficultés que vous avez exposées. Mais, si nous n’organisons pas en juin l’élection des conseillers des Français de l’étranger, nous ne pourrons pas organiser en septembre les élections sénatoriales.
Nous faisons donc face à une très lourde difficulté. Quand bien même suis-je défavorable à votre amendement, je vous remercie de l’avoir déposé parce qu’il m’offre l’occasion d’interroger le Gouvernement. Que pouvez-vous faire, monsieur le ministre, pour régler ce problème et permettre, malgré les difficultés qui peuvent surgir ici ou là, dans le monde, en raison de l’épidémie de coronavirus, que ces élections des délégués des Français de l’étranger puissent avoir lieu dans les meilleures conditions possible ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre. Nous pourrions organiser une rencontre de travail avec les services du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Je comprends parfaitement la problématique : la dématérialisation de la campagne peut ne pas suffire ; par conséquent, il faut encore travailler le sujet.
Je relaierai votre préoccupation auprès du ministre chargé de ce dossier, afin de trouver, avec vous, la meilleure façon de faire campagne.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Mes chers collègues, sur un texte aussi sensible, je tenais à intervenir avant le vote final, même brièvement.
Je commencerai, je pense que vous en serez d’accord, en remerciant l’ensemble des personnels – fonctionnaires du Sénat, collaborateurs des sénateurs et des groupes –, qui ont tenu jusqu’à quatre heures du matin. Je crois qu’ils y seront sensibles, même si nous avons travaillé de manière improbable, dans la précipitation, ainsi que Philippe Bas l’a souligné voilà un instant.
Mes chers collègues, il y a urgence à protéger les Français. Si nous avons pu marquer nos craintes sur différents aspects matériels, comme l’absence de tests suffisants ou de masques, il convient de faire preuve d’« exigence » et de « vigilance », pour reprendre les mots que j’ai utilisés au cours de la discussion générale.
Le texte contient trop d’habilitations, de trop longue durée, qui ressemblent souvent à des chèques en bois, ou plutôt à des chèques en blanc ; quoique, parfois, il arrive que ce soient à la fois des chèques en bois et en blanc ! (Sourires.) Il y a trop de remises en cause du droit du travail, trop d’imprécisions, révélées par le nombre d’amendements que le Gouvernement a déposés en séance, y compris au petit matin.
Nos amendements, défendus au nom du groupe socialiste et républicain, ont souvent été malheureusement rejetés. Nous n’avions pourtant qu’un seul but : encadrer le texte par des protections affirmées des libertés individuelles et collectives.
Mes chers collègues, la dérogation ne signifie pas la confusion. Malgré les enjeux, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur ce texte, en espérant néanmoins que le Gouvernement disposera de toute l’énergie nécessaire pour protéger nos concitoyens. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Je m’associe aux remerciements de M. Kanner à l’encontre de tous nos collègues et collaborateurs.
Comme je l’ai précisé au cours de la discussion générale, nous ne nous opposerons pas à ce texte, parce qu’il contient des mesures de nature à protéger nos concitoyennes et nos concitoyens face au coronavirus, ainsi que des mesures de soutien aux entreprises.
Pour autant, trois points ne nous satisfont pas.
Un, le texte fait peu de place à l’urgence sanitaire en matière de déblocage de moyens financiers, humains et matériels pour nos hôpitaux.
Deux, l’article 7 comporte des mesures, qui, sous couvert de soutien à l’économie, dérogent au droit du travail en matière, notamment, de repos dominical, de congés, d’horaires de travail.
Trois, nous regrettons que ce texte mette, en quelque sorte, le Parlement sur la touche et que notre proposition de création d’un comité national de suivi de l’état sanitaire pluraliste ait été rejetée.
Pour toutes ces raisons, mon groupe s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 95 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 254 |
Pour l’adoption | 252 |
Contre | 2 |
Le Sénat a adopté.
Nous passons à la discussion du projet de loi organique, dans le texte de la commission.
projet de loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19
Article unique
Afin de faire face aux conséquences de l’épidémie du virus Covid-19, les délais mentionnés aux articles 23-4, 23-5 et 23-10 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel sont suspendus jusqu’au 30 juin 2020.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi organique, je donne la parole à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, je l’ai indiqué, je pense que la manière dont notre pays fait face à cette épidémie assurément mondiale dira quel rôle et quelle société nous aurons dans le monde de demain, après un tel choc.
Nous nous devons de défendre l’État de droit. (M. le rapporteur s’exclame.)
Nous avons vu, au cours des dernières années, combien les QPC étaient un outil puissant de défense de l’État de droit.
M. Philippe Bas, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Yves Leconte. Nous voyons, aujourd’hui, que nos votes emportent des mesures totalement dérogatoires. Nous l’avons fait parce que les circonstances l’exigent. Mais nous ne pouvons accepter d’exclure tout contrôle de constitutionnalité, alors que nous savons, en plus, que le contrôle de légalité sur un certain nombre de dispositifs sera particulièrement allégé, compte tenu des conditions dans lesquelles tout cela se déroulera dans les prochains mois.
Par conséquent, voter un dispositif qui empêcherait ou limiterait la capacité des QPC de remonter jusqu’au Conseil constitutionnel au cours de ces prochains mois est particulièrement inquiétant.
Je comprends les contraintes ; mais ce sont finalement celles que tous les Français connaissent. On envoie l’ensemble de la France dans le monde du télétravail, on prévoit des téléconférences. Pourquoi ne pourrait-on pas faire de même pour ce qui concerne la Cour de cassation ou le Conseil d’État ?
Qu’il faille quelques aménagements sur le contrôle de constitutionnalité, on peut le comprendre. Mais pas à ce niveau-là et à ce prix-là : ce n’est pas utile.
C’est la raison pour laquelle je voterai contre le projet de loi organique.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi organique.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 96 :
Nombre de votants | 326 |
Nombre de suffrages exprimés | 240 |
Pour l’adoption | 238 |
Contre | 2 |
Le Sénat a adopté.
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, vendredi 20 mars 2020 :
À quatorze heures trente :
Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances rectificative pour 2020 (texte A.N. n° 2758, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 20 mars 2020, à quatre heures dix.)
nomination de membres d’éventuelles commissions mixtes paritaires
La liste des candidats désignés par la commission des lois pour faire partie de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. Philippe Bas, Alain Milon, Mme Sophie Primas, MM. Hervé Marseille, Jean-Pierre Sueur, Mme Marie-Pierre de la Gontrie et M. Alain Richard ;
Suppléants : Mmes Anne Chain-Larché, Jacqueline Eustache-Brinio, MM. René-Paul Savary, Laurent Lafon, Jean-Yves Leconte, Mmes Nathalie Delattre et Esther Benbassa.
La liste des candidats désignés par la commission des lois pour faire partie de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. Philippe Bas, Alain Milon, Mme Sophie Primas, MM. Hervé Marseille, Jean-Pierre Sueur, Mme Marie-Pierre de la Gontrie et M. Alain Richard ;
Suppléants : Mmes Anne Chain-Larché, Jacqueline Eustache-Brinio, MM. René-Paul Savary, Laurent Lafon, Jean-Yves Leconte, Mmes Nathalie Delattre et Esther Benbassa.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication