M. Bruno Retailleau. Cet amendement vise notamment les secteurs du tourisme et de la culture, en particulier les festivals. Le tourisme représente 8 % de notre richesse nationale et plus de 2 millions d’emplois directs et indirects. Ces secteurs ont évidemment dû fermer, contrairement à d’autres, qui auront pu continuer leur activité ou rouvrir avant la fin du confinement, le 11 mai. Surtout, ces secteurs ne retrouveront pas d’activité dans la période qui suivra le 11 mai, ni même peut-être au-delà de la mi-juillet. Or leur chiffre d’affaires est concentré sur quelques mois de l’année.
Le principe est donc très simple : il faut sacrifier l’impôt d’aujourd’hui au profit de l’impôt de demain. En effet, si l’on ne transforme pas le report des dettes fiscales et sociales en annulation, les entreprises feront faillite et on obérera leur capacité à payer demain leurs impôts et cotisations.
Nous avons posé des contraintes dans le dispositif de cet amendement, notamment une limitation dans le temps : tant qu’il n’y aura pas de réouverture, la dette sera annulée. Une autre limitation est posée concernant le chiffre d’affaires : c’est à partir d’une perte de 70 % d’activité que le dispositif s’applique. Enfin, nous incluons aussi les entreprises qui, par civisme, n’auraient pas reporté leurs dettes, mais auraient choisi de les payer. C’est fondamental : il faut sauver ces secteurs d’activité essentiels à l’économie française.
M. le président. L’amendement n° 251 rectifié bis, présenté par MM. Iacovelli, de Belenet, Buis, Dennemont, Gattolin, Hassani, Karam, Lévrier, Marchand, Patient, Rambaud et Richard, Mme Schillinger et M. Théophile, est ainsi libellé :
Après l’article 1er quinquies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les charges fiscales et sociales dans le cadre d’une activité de conducteur de voiture de transport et de conducteur de véhicule motorisé à deux ou trois roues sont annulées à compter de l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19.
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
III. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
IV. – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du I est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
V. – La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Je saisis la perche que nous a tendue hier M. le ministre de l’action et des comptes publics : il nous invitait à lui indiquer les « trous dans la raquette » qui subsisteraient dans l’aide aux entreprises. C’est dans cet esprit que j’ai déposé cet amendement d’appel portant, notamment, sur les VTC et les motos-taxis.
Ce secteur est constitué d’entreprises individuelles, ou d’autoentrepreneurs, qui ont souvent contracté des prêts en nom propre, parce qu’ils ne pouvaient pas le faire au nom de leur entreprise. Ils ont eu accès à la première aide de 1 500 euros versée par l’État aux indépendants, mais n’ont pas accès aux aides régionales, qui sont conditionnées à l’emploi d’au moins un salarié.
Ces autoentrepreneurs se voient dans l’obligation de rembourser les traites de leur véhicule. Les banques refusent de différer ces échéances, dont ils sont redevables, je le répète, en nom propre et non au nom de leur entreprise. Or ils ne disposent pas pour ce faire de l’aide supplémentaire accordée par les régions, puisqu’ils n’entrent pas dans les critères requis.
Cet amendement d’appel vise à lancer l’alerte sur cette situation. Ces entrepreneurs sont souvent jeunes et sans diplôme ; ils ont eu la possibilité de créer des entreprises qu’il faut, à mon sens, soutenir ; à défaut, on risque de voir ces entreprises faire faillite en nombre, laissant des gens endettés en nom propre. C’est pourquoi je tiens à appeler votre attention, mes chers collègues, ainsi que celle du Gouvernement, sur cette question.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Tous ces amendements ont un objet commun : plutôt que de reporter les charges fiscales et sociales, procédons à leur annulation ! Nous sommes tous convaincus – cette série d’amendements en témoigne – que les entreprises qui n’ont actuellement aucun chiffre d’affaires et, en particulier, celles qui ne pourront pas reprendre leur activité après la levée partielle du confinement ne pourront pas payer leurs charges.
L’amendement n° 220 rectifié ter ne porte que sur les charges sociales, mais il me semble que la question de la fiscalité se pose tout autant.
L’amendement n° 206, que j’ai présenté, tend pour sa part à couvrir l’ensemble des charges sociales et fiscales. Il vise à instaurer un crédit d’impôt qui s’imputerait sur les impôts d’État. Ce dispositif nous paraît plus intéressant, car il ne provoquerait pas de baisse des recettes des collectivités, alors que certaines subissent déjà une double peine : d’une part, une perte de recettes de CVAE, à laquelle s’ajoutera sans doute un impact négatif sur le produit de la Tascom, et de CFE et, d’autre part, une augmentation importante des dépenses. Les départements connaissent une explosion des prix de la journée de séjour en Ehpad, pour des raisons évidentes, et enregistreront bientôt une hausse des dépenses de RSA. Les régions font face à des pertes de recettes de TVA ; pour toutes les collectivités, les augmentations de charges risquent d’être importantes du fait de la crise.
M. Bruno Retailleau. Comment fonctionnerait ce crédit d’impôt ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il s’imputerait tout simplement sur les impôts d’État, notamment sur l’impôt sur les sociétés.
M. Bruno Retailleau. Vous voulez dire qu’il faudrait faire des bénéfices pour en profiter ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Non, concrètement, c’est une sorte de dégrèvement.
Voilà ce que la commission vous propose d’adopter au travers de cet amendement, qui tend à couvrir l’ensemble du champ social et fiscal. Je vous invite à vous y rallier et à retirer les autres amendements, faute de quoi l’avis de la commission sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Ce débat a été ouvert hier ; nous l’avons en outre abordé à plusieurs reprises ce matin.
Vous n’ignorez pas que la volonté du Gouvernement, à la demande du Président de la République, est de travailler à un certain nombre d’annulations de charges qui, aujourd’hui, font l’objet de reports. Nous devons le faire secteur par secteur. J’entends d’ailleurs, dans chacun des amendements qui ont été défendus, l’attention qu’il faut porter à tel ou tel secteur : M. Iacovelli évoquait ainsi la question des VTC et des motos-taxis, toutes petites entreprises qui connaissent des difficultés particulières et dont nous devons nous préoccuper.
Concernant les annulations de charges, vous savez que nous subissons deux contraintes. La première est d’ordre juridique : nous devons veiller à ce que l’ensemble des dispositifs mis en place soit compatible avec le droit communautaire. La seconde a été évoquée à l’occasion de l’examen de l’amendement n° 232 rectifié, défendu par Mme Primas : elle porte sur le niveau de recettes de l’État.
Nous travaillons sur ces questions. Le Président de la République, comme vous le savez, a demandé au Gouvernement de présenter des plans d’action et de soutien sectoriels dans les prochains jours. Au cours de cette journée et des prochaines, les réunions de travail vont s’enchaîner à cette fin. C’est pourquoi tous les amendements qui viennent d’être présentés, y compris celui de M. le rapporteur général, nous paraissent prématurés à ce stade, outre les difficultés techniques et juridiques que posent certains dispositifs. Ils sont prématurés par rapport aux dispositifs sectoriels que nous allons mettre en place dans les tout prochains jours et qui font l’objet du travail des différents ministères concernés.
C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements. Je le fais en rappelant les engagements que nous avons pris quant au travail à accomplir pour ces annulations et exonérations. Cet avis défavorable ne signifie nullement que nous ne voulons pas entendre parler d’annulations de charges fiscales ou sociales ; simplement, nous nous y employons dans le cadre de notre calendrier.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Dans la période où nous sommes, il faut une parole publique claire sur la question des cotisations et de l’imposition, pour que les entreprises sachent où elles vont aller. Il faut un report massif des cotisations des entreprises et un étalement de leur paiement – nous proposons pour notre part de les étaler sur trois exercices budgétaires, pour qu’elles puissent absorber cette charge.
Ensuite, on peut envisager des annulations, dans des cas très précis. Cela peut se faire, par exemple, pour celles et ceux dont les commerces ont été fermés par décision administrative. Le débat doit quand même se tenir.
La question se pose aussi pour le secteur événementiel et les festivals. M. Retailleau a rappelé que leur chiffre d’affaires est souvent réalisé sur quelques mois ou semaines. Je dirais même que cela se fait parfois sur trois jours ! Je connais bien la Fête de l’Humanité : si elle ne dure pas trois jours, elle ne se tiendra pas en 2020. Beaucoup de petits festivals vont être très vite confrontés à ce problème. Beaucoup d’associations peuvent s’effondrer au cours d’une année, et notre tissu culturel avec elles. Il faut donc examiner précisément cette situation.
Pour autant, on ne peut pas, à mes yeux, annuler tout pour tout le monde. Ce serait l’occasion d’une fraude fiscale d’une ampleur inégalée ; vous le savez, monsieur le secrétaire d’État ! En revanche, il convient d’examiner précisément la possibilité d’annulations, secteur par secteur ; je viens d’en citer deux, il peut y en avoir d’autres : M. Iacovelli a ainsi évoqué la situation des autoentrepreneurs.
Nous estimons toutefois que de telles annulations doivent être soumises, au moins, à deux conditions. D’abord, il faut exiger qu’il n’y ait pas de licenciements pendant la période : licencier, puis venir demander l’annulation des cotisations sociales, ce serait un peu gros ! Ensuite, il ne doit pas y avoir de versements de dividendes. On ne peut pas demander l’annulation tout en continuant à verser des dividendes !
En somme, on peut envisager des annulations sur des cas précis, pour certains secteurs, mais en les conditionnant.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. J’ai de la sympathie pour les amendements déposés par M. Delahaye, car il ne faudrait pas que toutes les entreprises puissent profiter de ces annulations de charges. Je rejoins donc quelque peu les propos que vient de tenir Fabien Gay : oui aux annulations – nous savons tous qu’il y en aura, monsieur le secrétaire d’État, mais votre façon d’agir n’est pas la bonne –, mais pas pour tout le monde !
Il y a eu la première loi de finances rectificative : c’était une réaction rapide, on savait bien que les chiffres n’étaient pas les bons ; nous y sommes allés. On nous présente maintenant un nouveau projet de loi de finances rectificative, mais on nous dit que ce n’est pas encore le moment de procéder à ces annulations : on sait qu’on va devoir annuler des charges, mais on ne sait pas lesquelles ! Vous voyez bien, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’offrez pas de signaux clairs.
Certes, les secteurs pour lesquels M. le rapporteur général propose des annulations ne sont pas définitivement arrêtés, mais il faut tout de même envoyer un signal ! J’ai bien compris que vous meniez des négociations, mais elles ne seront finies ni vendredi ni même dans une semaine. De nouveaux secteurs seront encore concernés ! Alors, arrêtez de nous faire croire qu’il faut avoir adopté ce projet de loi de finances rectificative ce jeudi et que, vendredi, par miracle, les négociations seront finies : ce n’est pas vrai !
Cependant – c’est pourquoi j’ai beaucoup de sympathie pour l’amendement de Vincent Delahaye –, il faut tout de même poser des limites aux annulations de charges. Il est hors de question, par exemple, que des banques qui auraient fermé leurs agences puissent par trop profiter d’un tel dispositif. Il faut bien regarder à qui l’on s’adresse et envoyer les signaux nécessaires.
Vous seriez mieux inspiré, monsieur le secrétaire d’État, d’offrir une petite avancée que de nous affirmer que ce n’est pas le moment et qu’il ne faut pas s’inquiéter parce que les négociations sont simplement encore inachevées. Déjà, hier, en adoptant un amendement défendu par Mme Vermeillet, nous avons traduit en acte une promesse faite par le Gouvernement. Vous nous faites toujours des promesses en nous disant que le temps viendra. Eh bien, pour notre part, nous inscrivons vos promesses dans la loi, nous vous aidons à les réaliser. Saisissez donc la main qu’on vous tend !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour explication de vote.
Mme Catherine Dumas. Je voudrais pour ma part revenir sur le secteur touristique, qui est particulièrement sinistré. C’est pourquoi il est ciblé dans l’amendement n° 320 rectifié.
Nous sommes tous d’accord pour reconnaître l’ampleur de ce sinistre. Évidemment, il faut une annulation, sous une forme ou sous une autre, des dettes sociales et fiscales des entreprises de ce secteur. Cela peut se faire par des dégrèvements ou des annulations directes de charges.
Précisons également – monsieur le secrétaire d’État, je compte sur vous pour le répercuter – que, dans le secteur culturel, la situation des théâtres et des cinémas à Paris constitue une véritable bombe à retardement. Certaines salles de spectacle ne peuvent plus payer leurs loyers ; les cinémas ont fermé leurs portes, mais leurs frais continuent de courir. La situation est vraiment grave.
Je voudrais aussi insister auprès de vous sur la situation de l’hôtellerie, de la restauration et des cafés, dont j’ai déjà parlé : il faut de la visibilité quant à la date de réouverture de ces établissements. Ils travaillent à l’heure actuelle avec Sébastien Bazin, qui a été nommé médiateur en la matière, sur tous les aspects sanitaires de la question. Ils seront prêts : il faut juste qu’on leur donne une date précise pour qu’ils aient une vraie visibilité.
Enfin, vous affirmez que beaucoup de discussions continuent ; nous le comprenons, et c’est d’ailleurs tant mieux. Mais, puisque tel est le cas, je voudrais vous transmettre le message suivant : il serait peut-être opportun que le Premier ministre réunisse le conseil interministériel du tourisme.
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour explication de vote.
M. Hervé Marseille. Il faut beaucoup travailler sur ce sujet, je l’entends bien. Ce n’est pas chose facile ; il faut donc un peu de temps. Malheureusement, toutes les entreprises, qu’elles soient petites ou moyennes, ont besoin de visibilité. Beaucoup parmi elles sont aujourd’hui dans un grand désarroi. Il leur faut au moins entrevoir le bout du tunnel. Quand le Président de la République a annoncé la date du 11 mai comme début du déconfinement, il avait bien compris cette nécessité.
Toutes les entreprises qui sont fermées et ne savent pas quand elles rouvriront, ni même, parfois, si elles pourront rouvrir, ont besoin qu’on leur donne des perspectives, qu’on leur offre un peu d’espoir pour les aider à survivre, en particulier dans certains secteurs comme l’hôtellerie et la restauration. C’est pourquoi il est important de le faire rapidement.
Une chose me gêne dans la proposition de la commission : elle est beaucoup plus limitative que la nôtre. Certes, on ne peut pas, comme l’a rappelé notre collègue Gay, ouvrir très largement le portefeuille et offrir tout à tout le monde ; pour autant, je suis préoccupé par l’approche très sectorisée qui est retenue dans la proposition de M. le rapporteur général. Je m’inquiète également – peut-être pourra-t-il me rassurer – sur la validité constitutionnelle du dispositif.
Par ailleurs, il s’agit seulement d’impôts d’État. C’est beaucoup plus limitatif, là encore : on ne touche pas aux charges sociales et on ne libère donc ces entreprises que d’une partie de leur dette.
Enfin, pour répondre à Fabien Gay, en la circonstance, nous avons choisi de concentrer le dispositif de notre amendement sur les trois mois critiques de la crise, entre mars et mai. Je crains que, pour beaucoup de ces petites et moyennes entreprises, la crise dure plus longtemps. Néanmoins, quitte à remettre l’ouvrage sur le métier, il faut tout de même commencer par donner une perspective aux entreprises et leur dire que, au moins pour cette période-ci, elles peuvent compter sur une telle mesure. Aujourd’hui, des petites entreprises, comme des restaurateurs, se disent qu’après seulement huit ou quinze jours de plus ils ne seront déjà plus en mesure de rouvrir : ils ont trop de soucis financiers, leurs fonds propres sont trop bas, la banque leur demande ceci ou cela, ils ne s’en sortent pas administrativement.
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Hervé Marseille. La lassitude est telle qu’il faut offrir une perspective et le faire rapidement.
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.
M. Xavier Iacovelli. Je reviens sur l’amendement que j’ai défendu et que je retire à la demande du Gouvernement.
Les VTC et les motos-taxis travaillent principalement avec les aéroports. Or ceux-ci sont aujourd’hui fermés. Le chiffre d’affaires de ces autoentrepreneurs est donc nul. On peut parler d’annulations d’impôts, mais la réalité est qu’ils n’auront pas de chiffre d’affaires ces mois-ci ; ils n’auraient donc presque rien à payer de toute façon. Ce qui est important, c’est de débloquer le frein qui les empêche d’accéder aux autres formes d’aides, notamment à l’aide régionale.
L’amendement n° 210 de la commission des finances, à l’article 7, tend à permettre aux entreprises auxquelles leur banque a refusé un prêt garanti par l’État d’avoir accès aux prêts octroyés par la BPI. Cela pourra partiellement répondre aux problèmes de ces autoentrepreneurs, mais j’invite le Gouvernement à se pencher sur cette question.
M. le président. L’amendement n° 251 rectifié bis est retiré.
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. C’est un moment unique dans notre histoire : sur toutes les travées de cette assemblée, nous sommes d’accord pour envisager une annulation d’impôts et de cotisations sociales. J’y suis favorable si un certain nombre de précautions sont prises, notamment en matière de ciblage et de durée du dispositif. Je n’y reviendrai pas, parce que tout cela a été dit.
Une disposition me plaît beaucoup, que l’on trouve dans l’amendement déposé par Fabien Gay : il faut s’assurer que ce sera bien, au final, le budget de l’État qui prendra en charge l’annulation des cotisations sociales. Il faut éviter de se retrouver dans une situation où les assurés sociaux de demain auraient à payer le soutien à l’économie d’aujourd’hui. Nous aurons l’occasion d’en reparler, mais cela me semble absolument essentiel : l’ampleur de la dette de la sécurité sociale est trop souvent convoquée pour justifier des baisses du budget alloué aux hôpitaux ou de certaines prestations sociales.
En ce moment unique où nous tous ici consentons à des annulations de cotisations sociales et d’impôts, il importe de refuser que ce soient les assurés sociaux et la baisse des prestations sociales qui paient demain le soutien important que nous entendons apporter à notre économie.
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, pour explication de vote.
M. Patrice Joly. Je souhaiterais obtenir une précision concernant l’amendement défendu par M. le rapporteur général au nom de la commission des finances.
On a compris quelle base serait prise en compte, à quelles charges sociales et fiscales ce dispositif s’appliquerait, mais une question demeure quant à son champ d’application. Visiblement, il s’adresse aux entreprises dont l’activité ne pourrait pas reprendre le 11 mai. Dès lors, comment traite-t-on les entreprises qui ont vu leur chiffre d’affaires diminuer, voire devenir nul, pendant la période comprise entre le 15 mars et le 11 mai ? Je ne vois pas de réponse précise à cette question en dehors des dispositifs d’accompagnement que l’on connaît déjà.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Un petit point problématique subsiste, qui pourrait être levé par une rectification de cet amendement : la date de levée de l’interdiction.
On sent que des précisions vont être apportées sur ces dates différenciées pour différents secteurs ; je pense à la restauration. Cela dit, certains petits lieux culturels qui peuvent être concernés par ce dispositif ne rouvriront pas au mois de juillet. Ce que disait M. Marseille est juste : certains secteurs d’activité ne connaîtront pas de réouverture avant une époque plus tardive encore. Ne pourrait-on pas préciser que le dispositif dépendra des modalités précises qui seront retenues ? Il faut donner des perspectives aux entreprises, singulièrement dans le secteur culturel. Ne pourrait-on pas plutôt écrire « à la levée de l’interdiction », ce qui permettrait une plus grande souplesse, bienvenue pour ces petits lieux ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Toutes vos remarques, mes chers collègues, en premier lieu celles d’Hervé Marseille, reviennent à une seule question : les critères.
Si nous avons fait figurer dans le texte de l’amendement une date précise, c’est pour des raisons constitutionnelles. Pour annuler une imposition, il faut un critère objectif ; on ne peut pas simplement écrire : « certains secteurs ». Le Conseil constitutionnel, attentif au principe d’égalité devant l’impôt, exige que de tels critères soient définis de manière précise. Ce principe ne signifie pas que tout le monde est traité pareil, mais que les mêmes règles sont applicables à une catégorie bien définie.
C’est la raison pour laquelle nous avons ciblé le dispositif vers toutes les entreprises qui ne pourraient pas rouvrir le 11 mai. Cela ne signifie pas qu’il ne faudra pas traiter le cas des autres. Beaucoup d’entreprises auront été si impactées avant même le 11 mai qu’un simple report de charges n’aurait pas de sens ; au final, ce report se transformera en annulation par le biais d’un dégrèvement. Il appartiendra au Gouvernement, si le dégrèvement est la solution retenue, de trouver des critères objectifs de perte de chiffre d’affaires.
Nous faisons aujourd’hui un premier pas, avant le texte qui devrait nous être soumis dans quelques semaines. Ce premier pas doit être particulièrement marqué pour les entreprises dont on sait d’ores et déjà qu’elles ne pourront pas rouvrir le 11 mai : pour elles, c’est la douche froide ! Un espoir est apparu, qui a été douché par l’annonce que tout le monde ne pourra pas rouvrir à cette date.
On sait que l’interdiction de l’activité sera prolongée dans certains secteurs : aucun chiffre d’affaires ne sera possible pour les traiteurs, les restaurants, le tourisme dans son ensemble, et ce pendant les mois de mai et juin, l’une des meilleures périodes de l’année, d’ordinaire, pour les affaires. N’ayant aucun chiffre d’affaires, ces entreprises ne pourront pas payer leurs charges sociales. C’est la situation à laquelle l’amendement que j’ai présenté vise à répondre : diverses impositions – CVAE, CFE – sont également concernées. En tout cas, c’est pour éviter l’écueil constitutionnel que nous avons choisi un tel critère objectif.
Cela explique ma demande de ralliement à mon amendement. L’amendement n° 220 rectifié ter est trop restrictif – il ne porte que sur les charges, omettant les impositions – et l’amendement n° 72 rectifié bis d’Hervé Marseille ne concerne que les autoentrepreneurs ou les entreprises dont 75 % du capital est détenu par une personne physique, ce qui me paraît également trop restrictif.
Le dispositif proposé par la commission des finances n’est pas parfait ; certaines entreprises ne seront pas concernées et ne pourront pas payer leurs impôts. Nous serons donc amenés à y revenir pour transformer, sans doute, des reports de charges et d’imposition en dégrèvements. Néanmoins, je le répète, c’est un premier pas.
Prenons l’exemple très concret d’un restaurateur ; celui-ci ne pourra pas, on le sait, rouvrir son établissement le 11 mai prochain, donc comment voulez-vous qu’il continue de jouir de la confiance de ses fournisseurs et de sa banque ? S’il se tourne vers son banquier, celui-ci lui dira que son restaurant ne rouvrira pas en juin ni même, peut-être, en juillet ; par conséquent, il lui indiquera ne plus pouvoir lui accorder sa confiance. Aussi, l’annulation de son imposition, via le crédit d’impôt, constituera un premier signal d’encouragement.
Ce dispositif est, je le répète, perfectible, il devra être renforcé et on devra malheureusement constater des annulations d’impôt.
Monsieur Retailleau, l’avantage du crédit d’impôt est qu’il ne provoque pas de perte de recettes pour les collectivités : cela s’imputera, par priorité, sur les impôts d’État. C’est pour cette raison que l’on a instauré non un dégrèvement mais un crédit d’impôt : l’entreprise n’a pas à payer son impôt et, le jour où elle devient bénéficiaire, le crédit d’impôt s’impute sur l’impôt dû et l’annule.
J’espère avoir été clair.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Ce point est absolument fondamental dans notre discussion.
Monsieur le rapporteur général, je veux être sûr de bien comprendre : la seule différence entre l’amendement que vous proposez – le crédit d’impôt – et celui que je propose – la transformation des reports de charges en annulations – repose-t-elle sur une question de périmètre fiscal ? Votre amendement viserait les impôts de l’État et les charges sociales, alors que le mien inclurait, en plus, les impôts des collectivités, c’est cela ?
Si c’est le cas, je préfère tout de même que l’ensemble des impôts, y compris ceux qui sont dus aux collectivités territoriales, soient annulés. Les entreprises ne pourront pas plus payer la CVAE que leur dette fiscale vis-à-vis de l’État.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. L’amendement de la commission est très large, puisqu’il vise non seulement les charges sociales, mais également les impositions des collectivités : la CFE, la taxe sur les salaires ou autres. La différence entre nos amendements est que, aux termes du vôtre, la perte de recettes s’impute sur chacune des collectivités – actuellement, si une imposition locale est annulée, c’est la collectivité locale qui supporte la perte de recettes, sans compensation –, tandis que, avec le mécanisme de crédit d’impôt, cela s’impute sur les impôts d’État. Le coût serait donc supporté par l’État.