M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Ronan Dantec. Hier, à l’Assemblée nationale, le Premier ministre a présenté les grandes règles du déconfinement progressif de notre pays, en insistant sur l’absolue nécessité d’un strict respect du cadre actuellement fixé, et ce jusqu’au 11 mai, et sur l’application, tout aussi stricte, après cette date, d’un ensemble de gestes barrières qui appellent à la responsabilité et au civisme de chacun.
Le groupe du RDSE partage globalement le plan présenté : il correspond à une analyse lucide, nourrie d’avis scientifiques, sur l’extrême gravité de cette crise unique dans notre histoire. Nous saluons la volonté de l’État de s’appuyer sur les collectivités territoriales pour la mise en œuvre de ce plan, en reconnaissant la diversité des situations. Il est bien trop tôt pour tirer des enseignements définitifs de la période que nous vivons, mais probablement arriverons-nous à la conclusion que nous ne sommes efficaces que lorsque les deux puissances publiques que sont l’État et les collectivités se coordonnent parfaitement.
Certains points de ce plan nécessitent encore des précisions, notamment concernant les masques.
Le Premier ministre a déclaré hier que des masques seront disponibles pour les collégiens « qui n’auraient pas réussi à s’en procurer ». Cela nous a surpris et mérite explication. Est-ce à dire que, pour nombre de familles, ces masques seront à leur charge ?
Un collégien prenant les transports publics pourrait avoir besoin de quatre masques pour une journée complète, ce qui se traduirait pour une famille, en prenant en compte les masques des parents, par une dépense de plusieurs dizaines d’euros par mois, et ce pendant potentiellement de nombreux mois.
Si nous avons bien compris que les centres communaux d’action sociale, les CCAS, et les associations pourraient intervenir pour les personnes en situation de précarité, l’État a-t-il prévu une aide pour les ménages salariés modestes pour lesquels cet achat représentera une charge importante et qui risqueraient alors d’utiliser des masques périmés ou ne répondant pas aux normes ? Cette aide pourrait par exemple prendre la forme d’une réévaluation de la prime d’activité et, ainsi, être facilement distribuée par les caisses d’allocations familiales. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, je souhaite apporter la réponse la plus claire possible à la question que vous avez posée, ainsi qu’une réponse à une question que vous n’avez pas posée, mais à laquelle vous avez sûrement tellement pensé qu’il me semble nécessaire de donner des précisions. (Sourires.) Comme disait l’autre, ce n’est pas votre question, mais c’est tout de même ma réponse ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Vous avez un célèbre prédécesseur, monsieur le Premier ministre !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. J’en ai beaucoup, monsieur le président ! (Rires.)
Nous l’avons dit : le port du masque sera obligatoire pour les professeurs, quel que soit le niveau d’enseignement, et pour les collégiens, au moment de la rentrée des classes de sixième et cinquième. Bien entendu, c’est l’éducation nationale, c’est-à-dire l’État, qui fournira les masques.
Il est important de bien comprendre que mon propos d’hier visait à dire que l’État fournirait les masques aux collégiens, mais aussi que nos concitoyens fabriqueraient des masques, disposeraient de masques que certains acteurs – employeurs, associations, collectivités territoriales – mettront à leur disposition et achèteraient des masques dans la grande distribution, dans les pharmacies, dans tous les réseaux où ils pourront les acquérir.
Le port du masque ne sera pas nécessairement obligatoire : il le sera dans certains cas ; dans d’autres, il sera recommandé. Sur cette question, je veux vous rassurer et dire les choses le plus clairement possible.
J’en viens à la question que vous avez failli poser et à laquelle je tiens à apporter une réponse. Celle-ci était déjà dans mon discours d’hier : néanmoins, je n’ai pas forcément été suffisamment précis, ou plutôt je veux aller encore un peu plus loin. S’agissant de l’accompagnement par l’État des collectivités territoriales qui feront l’acquisition de masques pour aider à fournir l’ensemble de notre population à compter du 11 mai prochain, j’ai indiqué hier que, pour encourager cette acquisition générale, dès lors que nous avions la certitude que nous pouvions équiper les soignants dans la durée, l’État s’engageait à accompagner les collectivités à hauteur de 50 % du coût des masques qu’elles achèteraient, dans le cadre d’un prix de référence, à compter du moment où je faisais cette annonce.
Toutefois, après avoir entendu ce matin avec de nombreux membres du Gouvernement les associations d’élus locaux développer un certain nombre d’arguments, je crois plus juste d’étendre à toutes les commandes de masques passées depuis que le Président de la République a évoqué la date du 11 mai, c’est-à-dire depuis le 13 avril dernier, ce dispositif d’accompagnement et d’encouragement que l’État a proposé hier par ma voix à la tribune de l’Assemblée nationale.
Les choses sont donc claires. S’agissant des collégiens, l’État fournira les masques et, s’agissant de l’ensemble des commandes passées à compter du 13 avril par les collectivités territoriales pour équiper la population de masques, l’État proposera un accompagnement. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM – MM. Jean-Marie Bockel et Hervé Marseille applaudissent également.)
démocratie en réponse à la crise sanitaire
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le Premier ministre, une question mérite d’être posée : si personne – ni le Président de la République, ni votre gouvernement, ni le Parlement, ni les élus locaux, ni les Françaises et les Français – ne souhaite vivre une deuxième vague d’épidémie et en porter la responsabilité, pour autant, l’état d’urgence sanitaire peut-il justifier un confinement de la démocratie ?
Dès le 20 mars, nous avons exprimé nos plus vives réserves sur le transfert massif des prérogatives du Parlement à l’exécutif. Notre inquiétude était malheureusement fondée : depuis cette date, le Parlement est réduit au rôle de figurant. De visioconférence en visioconférence, notre pouvoir de contrôle est mis en scène pour tenter de masquer la réalité : le Président a décidé, le Parlement est écarté du débat.
Des ordonnances sont prises, en lieu et place de multiples lois ; elles sont immédiatement adoptées. Quand nous questionnons, quand nous proposons, c’est : « Cause toujours ! » Précisions que, par « nous », je n’entends pas exclusivement mon groupe !
Emmanuel Macron, bien seul – c’est lui qui a fait ce choix –, a décidé d’un processus de sortie du confinement le 11 mai, « quoi qu’il en coûte ». En revanche, il n’a pas décidé, seul, de prendre des mesures d’ampleur pour produire les masques, les tests et les médicaments nécessaires ni d’assurer le suivi de telles mesures.
Mon groupe et moi-même vous demandons, monsieur le Premier ministre, de rendre le pouvoir au Parlement.
L’épisode d’hier à l’Assemblée nationale n’est pas acceptable. La mission de la représentation nationale n’est pas seulement de formuler un accord ou un désaccord avec le Gouvernement, sauf à poser la question de confiance. Alors, confiance ou défiance ? Pour la prise en compte de propositions exprimées ici, sur toutes nos travées, y a-t-il confiance ou défiance ?
Monsieur le Premier ministre, nous vous demandons de considérer la démocratie comme une ordonnance à respecter, face à l’épidémie et jusqu’à la fin de celle-ci : il faut accepter que le débat se tienne avant que les décisions soient prises. Vous ne pouvez pas ainsi proroger vos pleins pouvoirs jusqu’à la fin du mois de juillet.
C’est avec la démocratie et grâce à elle que nous gagnerons, tous ensemble, la bataille contre le Covid-19.
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. (M. le Premier ministre pousse un long soupir.) Monsieur le sénateur, selon vous, nous aurions renoncé à la démocratie. Le Gouvernement ne serait pas présent quand les parlementaires lui posent des questions ; il ne répondrait pas présent lorsque les commissions permanentes de l’Assemblée nationale ou du Sénat lui demandent de venir leur expliquer ceci ou cela, de travailler et d’exposer des hypothèses qui, parfois, ne sont pas retenues. Le Premier ministre et les membres du Gouvernement ne répondraient pas aux demandes des missions d’information constituées dans telle ou telle assemblée.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas ce que nous disons !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. La vérité, monsieur le sénateur, c’est que, depuis le début de cette crise sanitaire, le Gouvernement a répondu à toutes les demandes formulées par le Sénat et l’Assemblée nationale.
M. François Patriat. C’est vrai !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous transmettons toutes les mesures prises dans le cadre de l’application de l’état d’urgence sanitaire, y compris celles qui ne relèvent nullement du domaine législatif, aux deux assemblées, de sorte – c’est bien naturel – que l’information soit complète ; M. le président du Sénat le répète souvent et je tiens à l’en remercier.
L’instauration de l’état d’urgence sanitaire n’est pas le fait du Gouvernement : elle résulte d’une loi, qui a été débattue et approuvée par le Parlement. Vous aviez parfaitement le droit, monsieur le sénateur, de voter contre – c’est très respectable –, mais votre vote particulier ne commande pas celui des deux assemblées, celui de l’ensemble de la représentation nationale.
Or l’Assemblée nationale comme le Sénat ont considéré que cet état d’urgence était nécessaire : ils en ont débattu et ont d’ailleurs ajouté un certain nombre de dispositions au texte du Gouvernement.
Je trouve d’ailleurs que c’est un peu curieux pour un sénateur – je me permets de vous le dire très franchement – d’avoir formulé de la sorte la question que vous venez de me poser : le projet de loi qui instaurait l’état d’urgence sanitaire a été très largement débattu dans cet hémicycle, très largement corrigé, amélioré – je veux bien employer tous les mots que vous voudrez ! Il l’a été, justement, afin de limiter au plus près les compétences du Gouvernement pendant cette période. Vous vous en souvenez parfaitement : il s’agissait non pas de lui offrir une habilitation générale, mais d’énumérer précisément l’ensemble des compétences dont le Parlement acceptait que le Gouvernement fasse usage.
Monsieur le sénateur, de deux choses l’une : soit ce que vous faites ne sert à rien, soit cela sert à quelque chose. Or ce que vous faites sert ! (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Pascal Savoldelli. Franchement, cela est suffisant !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Mais je vous réponds, monsieur le sénateur !
L’état d’urgence sanitaire a été amélioré grâce au travail du Parlement. Ensuite, c’est nous qui appliquons la loi : je trouve cela parfaitement naturel.
Cela dit, nous viendrons devant le Parlement discuter des mesures nécessaires au déconfinement et de la prolongation éventuelle de l’état d’urgence sanitaire ; il s’agira de vérifier sous quelles conditions il devrait l’être et avec quel type de contrôle.
Nous ne vivons pas des temps normaux, monsieur le sénateur. Si l’on pense que l’arsenal juridique préexistant aurait permis de régler la question de l’état d’urgence sanitaire, il faut le dire. Cependant, je constate que le Parlement et le Gouvernement ont fait un choix différent. Pour ma part, en tant que Premier ministre, je respecte la loi, tout ce que dit le Parlement. Vous ne pouvez pas nous demander d’aller au-delà. Nous respectons la loi et nous respectons scrupuleusement la Constitution.
Quand je me suis exprimé hier devant l’Assemblée nationale, j’ai fait usage des dispositions de l’article 50-1 de la Constitution. J’aurais parfaitement pu – je ne dis pas que cela aurait été mieux, je pense au contraire que cela aurait été pire – faire cette déclaration sous la forme d’une conférence de presse à la télévision : j’aurais mis des cartes et des chiffres derrière moi, cela aurait peut-être été plus clair pour les Français.
J’ai choisi de m’exprimer à l’Assemblée nationale, parce que celle-ci, comme le Sénat, bien entendu, est le lieu où l’on débat des sujets d’intérêt national, le lieu où l’on peut prendre une position. Je l’ai déjà indiqué hier, monsieur le sénateur : les parlementaires ne sont pas des commentateurs de l’action publique ; ils prennent une position politique. Ils sont pour – c’est respectable ; ils sont contre – c’est respectable aussi ; ils s’abstiennent – c’est tout aussi respectable. En tout cas, ils ne commentent pas : ils votent ! C’est une mesure de respect à l’égard de l’Assemblée nationale et du Parlement tout entier : je l’assume, je la défends ; pour vous le dire franchement, monsieur le sénateur, je suis même certain que nous pourrions nous retrouver sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
rôle des collectivités
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le Premier ministre, hier, lors de votre déclaration devant l’Assemblée nationale, vous avez esquissé les conditions du déconfinement scolaire, question qui est évidemment au cœur des préoccupations des familles.
Après une communication quelque peu cacophonique de la part de l’exécutif sur ce sujet – il faut bien le reconnaître –, vous avez en quelque sorte relativisé l’importance du 11 mai, date que d’autres avaient fixée comme un objectif.
Jamais, même en temps de guerre, les écoles n’avaient été fermées sur l’ensemble de notre territoire national. Par conséquent, je mesure bien l’ampleur de votre tâche durant la période si délicate que nous connaissons.
Je ne vous ferai donc pas l’affront, ni d’ailleurs le plaisir, de me ranger dans le camp de ceux qui prétendent connaître d’emblée toutes les solutions. Tout au plus me permettrai-je d’attirer votre attention sur certaines questions qui restent en suspens et méritent, à mon sens, des éclaircissements.
D’abord, comment concilier l’urgence pédagogique vis-à-vis des décrocheurs avec un retour en classe basé sur le volontariat ?
Ensuite, alors que nos professeurs sont très largement mobilisés, comment assurer à la fois leur présence en cours et le prolongement d’un enseignement à distance pour ceux qui n’auront pas repris le chemin de l’école sur la base du volontariat ?
Par ailleurs, il demeure des questions qui concernent directement les compétences des collectivités locales ; elles méritent d’être éclaircies, car beaucoup d’élus nous interrogent.
Quelles sont les préconisations du Gouvernement concernant la restauration et les transports scolaires, ainsi que les activités périscolaires ? Qui fournira les masques et qui les paiera ?
Toutes ces questions sont importantes. Il ne faudrait pas faire peser sur les épaules des seuls maires la charge de la gestion de cette crise. Je suis convaincu, comme nombre de mes collègues, que les maires mettront tout en œuvre pour réussir ce déconfinement, mais ils ne peuvent pas être tenus responsables d’éventuelles contaminations qui auraient lieu au sein des établissements scolaires. Sur ce dernier point en particulier, monsieur le Premier ministre, pouvez-vous leur apporter une garantie ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur, il sera compliqué de répondre en deux minutes à autant de questions, mais je vais m’y employer.
Tout d’abord, rappelons que, dès le début de la crise, le Gouvernement a affiché une méthode : poser des hypothèses, recueillir des réactions – notamment celles du Parlement –, en tenir compte pour de nouvelles hypothèses, revenir devant la représentation nationale, et continuer ainsi à préciser les choses. C’est exactement ce qui se passe tout au long de ce mois d’avril.
Un élément clé a été le discours qu’a tenu hier le Premier ministre. Nous avons encore du travail à mener pour apporter certaines précisions : c’est ce que nous avons fait, ce matin, avec les associations d’élus ; c’est ce que nous faisons en écoutant vos propos, les solutions que vous pouvez nous proposer sur certains points.
Néanmoins, à présent, le degré de précision est déjà assez fort dans les trois domaines que j’ai déjà évoqués.
Premièrement, concernant le protocole sanitaire du déconfinement scolaire, nous avons apporté une réponse à chacun des problèmes que vous avez mentionnés : cantine, internat, cour de récréation, abords des établissements. Tous ces points sont réglés et le protocole constituera une référence nationale ; cela me semble très clair.
Deuxièmement, quant à la lutte contre le décrochage, votre parti a rappelé, si je ne m’abuse, le principe de l’obligation scolaire. J’en déduis que vous prônez l’idée d’aller chercher les enfants dans les familles pour les amener à l’école même si les parents ne le veulent pas ! Ce ne serait tout simplement pas applicable. Soyons raisonnables !
J’ai entendu parler à ce propos de cacophonie ; le Président de la République aurait tenu des propos différents des miens. C’est faux : le Président a dit exactement ce que j’avais commencé à annoncer, précédemment, à l’Assemblée nationale. Il a dit la seule chose possible dans de telles circonstances : comme l’instruction est obligatoire, soit l’élève ira physiquement à l’école, ce que nous souhaitons, soit un enseignement à distance lui sera garanti. Oui, notre priorité sera bien d’aller chercher, autant que possible, les élèves qui ont décroché pendant le confinement ; leur proportion est de 4 %, ce qui est d’ailleurs l’un des meilleurs chiffres d’Europe, même s’il est encore trop élevé.
Troisièmement, vous demandez enfin comment la communication avec les familles sera organisée. Nous allons y être très attentifs. Il faut une personnalisation des parcours. Nous voulons qu’il y ait une sorte de feuille de route, niveau par niveau, élève par élève, pour les mois de mai et juin. Oui, ces mois seront très différents de tout ce que nous avons connu ; nous sommes, en ce moment, en train de construire l’organisation avec tous les acteurs, non seulement de l’éducation, mais de la société française dans son ensemble.
soutien aux collectivités territoriales et coordination
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Corinne Féret. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie, au nom du groupe socialiste et républicain, des propos que vous avez tenus à l’égard d’Henri Weber.
Madame la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, la gestion de la crise sanitaire et de ses conséquences, tant sociales qu’économiques, met en lumière le rôle primordial des collectivités territoriales et des élus locaux. Je salue l’engagement de ces femmes et ces hommes et les remercie de l’action menée au quotidien au service de leur population.
Tandis que l’État peine à arrêter des orientations claires et à fournir des tests à la population, des masques et équipements aux personnels mobilisés, ce sont les collectivités territoriales qui pallient les manques et, ainsi, assurent la continuité des services, la continuité de l’État.
Hier, le Premier ministre a reconnu le rôle essentiel joué par les élus locaux dans cette crise ; ce matin, il a rencontré les associations d’élus dans un exercice étrange : une concertation a posteriori sur des décisions prises… En confiant à nos élus les clés d’un déconfinement territorialisé, il a augmenté la pression pesant sur leurs épaules. La reconnaissance est une bonne chose, mais c’est de moyens qu’ils ont besoin pour assurer leur mission !
Or cette crise pèse lourdement sur les finances des collectivités territoriales. De fait, en métropole comme dans les territoires ultramarins, le confinement a provoqué un effondrement des recettes, notamment pour les communes touristiques – mon département, le Calvados, en compte beaucoup –, qui perçoivent des taxes de séjour et parfois de casino, en même temps qu’une explosion des dépenses. Le Sénat a chiffré ces conséquences sur les finances locales à 4,9 milliards d’euros. Sans compter que, au-delà du confinement, les difficultés se prolongeront encore longtemps, sous l’effet de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Dans ce contexte, le groupe socialiste et républicain tire la sonnette d’alarme : il n’est pas raisonnable de transférer des responsabilités aux collectivités territoriales dans un flou général et sans moyens ! Aussi, madame la ministre, quels moyens allez-vous mobiliser pour épauler les collectivités territoriales ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice Corinne Féret, j’ai une conviction profonde, absolue : l’État et les collectivités territoriales doivent travailler ensemble – c’est chez moi une conviction chevillée au corps, pour des raisons que je n’ai pas besoin d’expliquer.
La réunion de ce matin avec les associations d’élus n’avait rien d’étrange : elle était prévue au lendemain du discours du Premier ministre. Nous avons toujours dit qu’un cadre serait fixé, puis les politiques déclinées au plan local. Au demeurant, avant cette réunion, nous avons mené un nombre considérable d’autres réunions avec les élus locaux et leurs associations pour préparer la période qui s’ouvre.
Nous sommes tout à fait conscients des problèmes financiers des collectivités territoriales. C’est si vrai que, dès le début de la crise du Covid-19, nous avons créé des facilités pour leur permettre de faire face aux dépenses imprévues ; nous avons également demandé aux préfets de mobiliser des avances de fiscalité ou de dotations en cas de besoin, afin qu’aucune commune ne soit en difficulté.
Nous savons, bien sûr, que la mise en œuvre du déconfinement entraînera des dépenses supplémentaires. Le Premier ministre vient d’apporter une réponse, sur les masques ; il y en aura d’autres. Le ministre du budget, mon collègue Sébastien Lecornu et moi-même travaillons à bien identifier ces dépenses.
Enfin, des difficultés se poseront à plus long terme, du fait soit d’un surcroît de dépenses, soit d’un défaut de recettes. Nous avons déjà identifié les collectivités territoriales les plus affectées : communes touristiques, communes ultramarines, départements touchés par la baisse des DMTO, notamment.
Le Premier ministre a confié une mission au député Cazeneuve, l’homologue à l’Assemblée nationale de notre ami Jean-Marie Bockel, pour évaluer la situation des collectivités territoriales. C’est tous ensemble que nous apporterons une réponse à leur situation !
europe et crise du covid-19
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour le groupe Union Centriste.
Mme Valérie Létard. Madame la secrétaire d’État chargée des affaires européennes, l’Union européenne, déjà affaiblie par le Brexit avant l’éclatement de la crise sanitaire, peut-elle être aujourd’hui une victime collatérale du Covid-19 ?
Alors que nous avons plus que jamais besoin de l’Union européenne, les problèmes européens semblent devant nous : intransigeance des pays du Nord à l’égard d’une solidarité européenne plus intégrée, choix américain des Allemands pour l’application de tracing qui laisse la France bien seule sur la scène européenne avec son StopCovid, fermeture des frontières, restrictions de circulation pour les biens et les personnes…
Les conséquences de la crise sont très nombreuses et touchent beaucoup d’aspects de notre quotidien : ce sont autant de difficultés que l’Union européenne aura à surmonter pour permettre une véritable relance.
Dans ce contexte, on constate aujourd’hui des replis aux frontières qui n’avaient plus été observés depuis la création de l’espace Schengen. En effet, comme me l’ont indiqué Claude Kern et mes autres collègues frontaliers, de nombreux points de passage vers l’Allemagne ont été fermés. Les Alsaciens travaillant en Allemagne doivent ainsi attendre des heures aux postes frontières pour des contrôles administratifs et policiers tatillons, une situation qui entraîne des tensions de part et d’autre de la frontière.
Derrière ces problématiques se joue l’avenir de l’Europe, dont l’enjeu est bien la coopération décisive et stratégique entre États membres. Si, aujourd’hui, les États gèrent la crise sanitaire chacun de leur côté, ce qui est bien logique, la vie doit maintenant repartir et, avec elle, les échanges transfrontaliers de toute nature, organisés dans les meilleures conditions de sécurité et de bonne volonté.
Dans cette perspective, madame la secrétaire d’État, quels échanges menez-vous avec nos pays voisins, en particulier l’Allemagne, pour faciliter la situation des travailleurs frontaliers ? Plus globalement, quels échanges avez-vous engagés avec l’ensemble de nos voisins pour anticiper la sortie de crise et permettre un retour progressif à la normale ?
Dans cette période où nous avons tant besoin d’une Europe forte et qui parle d’une seule voix pour réussir la relance industrielle et faire face aux enjeux sanitaires, écologiques et numériques, nous comptons sur l’action de la France pour qu’une dynamique partenariale européenne soit véritablement relancée ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Ronan Dantec et Martin Lévrier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Valérie Létard, nos concitoyens des territoires frontaliers ne seront pas les oubliés du déconfinement.
La frontière, qui était pour eux invisible, est subitement réapparue avec cette crise. Je sais le désarroi et la souffrance que cette situation a pu entraîner, en particulier pour les parents séparés qui ne peuvent plus traverser la frontière pour voir leurs enfants, les apprentis français qui ne peuvent plus aller travailler dans les entreprises allemandes et les familles qui ne peuvent plus rendre visite à leurs proches dans les hôpitaux.
Madame la sénatrice, il n’y a pas eu de fermeture complète des frontières et il ne doit pas y en avoir, conformément à l’objectif franco-allemand partagé par le Président de la République et la chancelière ; Jean-Yves Le Drian l’a redit tout récemment à son homologue, Heiko Maas.
Sur le plan local, je salue la mise en œuvre d’une coopération quotidienne entre les trois Länder frontaliers et la région Grand Est, dans le cadre aussi de la grande région qui associe la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne et la France, qui fonctionne très activement à l’échelon local.
Sur le plan national, Muriel Pénicaud, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et moi-même avons travaillé à garantir aux travailleurs frontaliers les mêmes droits qu’aux autres salariés et à neutraliser les effets de la crise sur leur régime social et fiscal.
Français et Allemands, nous partageons maintenant, avec aussi les autres pays voisins, un même objectif : nous donner les moyens d’une reprise de la vie économique et quotidienne, tout en garantissant un haut niveau de sécurité sanitaire.
Au nom de cette dernière exigence, des contrôles proportionnés et réciproques pourront être effectués pendant quelque temps encore. Ces derniers jours, j’ai réuni avec mon homologue allemand tous les acteurs de la coopération transfrontalière pour identifier précisément les difficultés ; sous l’autorité du Premier ministre, Laurent Nunez et moi-même travaillons à les résoudre. Je mène la même consultation avec les élus locaux frontaliers du Luxembourg, de la Suisse et de l’Italie.
Oui, madame la sénatrice, la coopération transfrontalière a valeur d’exemple pour la coordination européenne ; la France et l’Allemagne ont une responsabilité partagée pour la relancer et pour être le moteur du consensus européen au service de la reprise économique et, demain, du renforcement de l’autonomie stratégique européenne, clé pour nous relever de cette crise dont nous devons sortir ensemble et debout. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)