Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel, M. Guy-Dominique Kennel.
2. Stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19. – Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
M. Édouard Philippe, Premier ministre
M. Édouard Philippe, Premier ministre
M. Xavier Iacovelli ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Esther Benbassa ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Esther Benbassa.
M. Emmanuel Capus ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; M. Emmanuel Capus.
Mme Catherine Morin-Desailly ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Philippe Bas ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; M. Philippe Bas.
Mme Laurence Rossignol ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.
Mme Véronique Guillotin ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Henno ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.
M. Alain Milon ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
M. David Assouline ; M. Franck Riester, ministre de la culture ; M. David Assouline.
Mme Sophie Primas ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jérôme Durain ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Jérôme Durain.
M. Jacques Grosperrin ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Patrick Chaize ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Patrick Chaize.
M. René-Paul Savary ; M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé ; M. René-Paul Savary.
Vote sur la déclaration du Gouvernement
Désapprobation, par scrutin public n° 100, de la déclaration du Gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
3. Prorogation de l’état d’urgence sanitaire. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
M. Philippe Bas, président de la commission des lois, rapporteur
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis
Clôture de la discussion générale.
Suspension et reprise de la séance
4. Mise au point au sujet d’un vote
5. Prorogation de l’état d’urgence sanitaire. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Amendement n° 135 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 5 rectifié bis de M. Joël Labbé. – Rejet.
Amendement n° 62 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.
Amendement n° 74 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Amendement n° 3 rectifié ter de M. Jean-Pierre Decool. – Retrait.
Amendement n° 164 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié bis de Mme Véronique Guillotin. – Retrait.
Amendement n° 144 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 194 rectifié du Gouvernement. – Rejet par scrutin public n° 101.
Amendement n° 42 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Amendement n° 154 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 179 rectifié de M. Daniel Gremillet. – Retrait.
Amendement n° 58 rectifié de M. Jacques Bigot. – Rejet.
Amendement n° 180 rectifié de M. Daniel Gremillet. – Retrait.
Amendement n° 137 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.
Amendement n° 134 rectifié de Mme Sylviane Noël. – Retrait.
Amendement n° 54 de M. Alain Duran. – Retrait.
Amendement n° 181 de M. Daniel Gremillet. – Retrait.
Amendement n° 6 rectifié de Mme Véronique Guillotin. – Retrait.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 57 de M. Éric Kerrouche. – Rejet.
Amendement n° 162 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 56 de M. Éric Kerrouche. – Rejet.
Amendement n° 187 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 149 de Mme Laurence Cohen. – Rejet.
Amendement n° 150 de Mme Laurence Cohen. – Rejet.
Amendement n° 8 rectifié de Mme Véronique Guillotin. – Retrait.
Amendement n° 142 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 165 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 141 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 1er bis
Amendement n° 87 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
Amendement n° 156 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 158 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 45 rectifié de M. Roger Karoutchi. – Retrait.
Amendement n° 128 rectifié de M. Dominique de Legge. – Retrait.
Amendement n° 132 de Mme Françoise Laborde. – Retrait.
Amendement n° 79 de M. Bernard Jomier. – Rejet.
Amendement n° 75 de M. Yves Daudigny. – Rejet.
Amendement n° 10 rectifié de Mme Véronique Guillotin. – Retrait.
Amendement n° 145 de Mme Laurence Cohen. – Rejet.
Amendement n° 146 de Mme Laurence Cohen. – Rejet.
Amendement n° 76 de M. Yves Daudigny. – Retrait.
Amendement n° 11 rectifié de Mme Véronique Guillotin. – Retrait.
Amendement n° 133 de Mme Françoise Laborde. – Retrait.
Amendement n° 50 de M. Jérôme Durain. – Retrait.
Amendement n° 93 de Mme Monique Lubin. – Rejet.
Amendement n° 161 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 160 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 183 rectifié de M. Michel Magras. – Retrait.
Amendement n° 13 rectifié bis de Mme Maryse Carrère. – Retrait.
Amendement n° 12 rectifié bis de Mme Maryse Carrère. – Retrait.
Amendement n° 195 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 111 de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 40 de M. Jean-François Rapin. – Retrait.
Amendement n° 129 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Adoption.
Amendement n° 101 de M. Victorin Lurel. – Retrait.
Amendement n° 2 rectifié bis de M. Jean-Pierre Decool. – Retrait.
Amendement n° 123 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Retrait.
Amendement n° 124 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Retrait.
Amendement n° 66 de M. Alain Milon. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel,
M. Guy-Dominique Kennel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 29 avril 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19
Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
En préambule, je rappelle que notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place depuis le mois de mars.
L’hémicycle fait naturellement l’objet d’une attention particulière en termes de propreté, avec une désinfection avant et après chaque séance. Tous les jours, les micros seront désinfectés après chaque intervention. Chacun veillera au respect des distances de sécurité. Les sorties de la salle des séances, pour les sénateurs, devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle. Pour les rapporteurs et les membres du Gouvernement, les sorties se feront par le devant de l’hémicycle.
Je rappelle également que, à l’exception de M. le Premier ministre pour sa déclaration, les orateurs s’exprimeront depuis leur place et que la tribune ne sera donc utilisée qu’une seule fois au cours de cette séance.
Notre séance s’organisera en trois temps : après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe, puis au Premier ministre pour leur répondre ; ensuite se déroulera une séquence de quinze questions-réponses ; enfin, nous procéderons au vote par scrutin public sur cette déclaration, en application de l’article 39 de notre règlement.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes à un moment critique.
Lorsque, pour la première fois dans son histoire, notre pays se trouve confiné depuis plus de sept semaines, lorsque ses cafés, ses restaurants, ses universités, ses lycées et ses écoles, ses églises et ses temples, ses synagogues et ses mosquées, lorsque la très grande majorité de ses entreprises, la totalité de ses théâtres, de ses bibliothèques ou de ses librairies, et bien d’autres encore, sont fermés, vides de tout public, sans aucune activité, le moment est critique.
Lorsque, tous les jours et toutes les nuits depuis plus de huit semaines, des médecins, des infirmiers et des infirmières, des aides-soignantes et des aides-soignants, des personnels administratifs ou techniques luttent d’arrache-pied pour accueillir et sauver des malades, dont le nombre croissant a bien failli saturer les services de réanimation, le moment est critique.
Lorsque des femmes et des hommes, en définitive peu nombreux, souvent peu reconnus par notre société, assurent la continuité de la vie de la Nation par leur travail et leur engagement dans des secteurs de notre économie, comme le transport logistique, la grande distribution, le ramassage et le traitement des ordures ménagères, l’agriculture, et quelques autres que je n’oublie pas, alors oui, nous sommes à un moment critique.
Le moment est critique parce que, avec la France, c’est près de la moitié de l’humanité qui est confinée. Des nations entières sont comme désarçonnées, et même les plus grandes puissances paraissent désorientées. Dans l’histoire, cela n’est jamais très bon signe.
Le moment est critique, parce que nous devons prendre des décisions sur le fondement d’informations souvent incomplètes et contradictoires. Nous ne savons pas tout de ce virus – ce n’est d’ailleurs pas la moindre des leçons à tirer de cette crise sanitaire que de nous rappeler la masse infinie des choses que nous ne savons pas. Cela dit, il y a cinq mois, nous ne savions rien.
La recherche a progressé à une vitesse qui force l’admiration, aussi bien sur la compréhension de la maladie que sur le séquençage du virus ou la mise au point des tests virologiques et sérologiques. La France est à la pointe des essais cliniques européens et mondiaux permettant de tester l’efficacité de traitements déjà utilisés pour d’autres pathologies. Avec la communauté internationale, nos chercheurs travaillent pour découvrir vaccins et traitements.
Le virus nous fait violence, c’est indéniable. Il appelle réactivité et innovation, mais sans faire violence au temps de la science, de l’expérimentation et de la preuve. Ce temps demande de la rigueur, de la patience, de la chance aussi – j’espère que nous en aurons –, mais notre devoir est d’agir sans compter sur cette dernière, car des marges d’incertitudes, que nous n’avons jamais dissimulées ni sous-estimées, demeurent.
Aucun pays au monde, aucun scientifique ne saurait aujourd’hui prédire l’été, l’automne, l’avenir qui nous attendent. Tel savant, affirmatif et catégorique, nous dit qu’il ne peut y avoir de deuxième vague et que l’été verra le virus disparaître ; tel autre, aussi savant et respecté, nous dit l’inverse. L’histoire dira sans doute lequel aura eu raison, mais je crains que nous n’ayons pas le temps d’attendre que l’histoire se fasse juge.
Le moment est critique, parce que nous ne pouvons pas rester confinés. Le confinement a porté ses fruits grâce au civisme et à la discipline de nos concitoyens qui, dans leur immense majorité, ont compris la nécessité de respecter les règles exceptionnelles adoptées pour freiner l’épidémie. La propagation ralentit, le nombre de décès et d’entrées dans les services de réanimation baisse. J’ai déjà eu l’occasion de citer cette étude de l’École des hautes études en santé publique, qui estime que, pour le premier mois, le confinement aura permis d’épargner près de 62 000 vies.
Si nos concitoyens n’avaient pas respecté le confinement, nos services de réanimation auraient de façon certaine été débordés : plus personne n’aurait pu y accéder et nos soignants auraient dû choisir entre les malades. C’est ce qui s’est passé dans certains pays, et nous avons évité cette situation. Toutes les décisions que nous prenons restent guidées par cet impératif : protéger chaque vie humaine, ce qui implique très concrètement de veiller à ce que, à l’avenir, le nombre d’entrées dans les services de réanimation reste toujours inférieur aux capacités d’accueil.
Pour atteindre cet objectif, chaque jour de confinement compte – il en reste six. Je mesure parfaitement l’impatience de nos concitoyens, qui souhaiteraient retrouver un quotidien normal, sans restriction et sans appréhension. Tout le monde aimerait renouer avec la vie d’avant, avec cette liberté inestimable de sortir pour travailler ou flâner, pour amener ses enfants au parc ou chez leurs grands-parents, pour s’offrir une soirée au restaurant, au théâtre ou entre amis, toutes choses qui n’ont rien d’accessoire, mais qui sont véritablement essentielles.
Je mesure plus particulièrement combien le confinement pèse sur celles et ceux qui vivent dans des conditions précaires : ils sont au cœur de nos préoccupations. J’ai une pensée particulière pour ceux qui ont souffert de l’isolement en plus du confinement, notamment les personnes âgées seules chez elles ou coupées de leur famille dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Le confinement se justifiait par l’urgence, mais son coût social, humain et économique est colossal.
Depuis le début du confinement, les passages aux urgences, les visites chez les généralistes ou les spécialistes, les vaccinations obligatoires pour les enfants, les campagnes de dépistage sont en chute libre, et c’est grave ! La lutte contre le Covid-19 ne doit pas nous faire oublier les autres maladies, les autres dangers qui menacent nos concitoyens.
Le Covid-19 est certes toxique, mais certains huis clos le sont aussi quand des violences, des négligences ou des renoncements s’exercent au sein de la famille.
Le Covid-19 est toxique, mais le décrochage scolaire et social l’est tout autant. Nos enfants ont besoin d’être éduqués, cultivés, socialisés. Nos aînés et nos concitoyens les plus fragiles ont besoin d’être visités, accompagnés. Nos commerçants, nos artisans, nos industriels, nos entreprises et leurs salariés ont besoin de produire et de vendre. Leur angoisse n’est pas seulement de tomber malades, c’est aussi parfois de mettre la clé sous la porte, de perdre leurs moyens de subsistance et, pour certains, ce qui donne un sens à leur vie.
Le confinement crée, voire aggrave les difficultés que rencontrent certaines familles, certains secteurs, certains territoires. Depuis quelques jours, des tensions sont perceptibles dans certains quartiers sensibles, notamment la nuit. Nos policiers nationaux et municipaux, nos gendarmes font face à des actions parfois violentes, quelquefois à des guets-apens. Nous imaginons tous la lassitude de nos forces de l’ordre et de nos concitoyens qui habitent dans des quartiers difficiles. Leur sentiment d’être assignés à résidence s’aggrave encore depuis sept semaines.
Au-delà de ces violences sporadiques, le confinement déchire notre tissu social.
Dès le début, les associations de lutte contre la pauvreté nous ont d’ailleurs alertés sur la hausse des dépenses auxquelles certaines familles étaient confrontées. Nous avons déployé aussi vite que possible de nouveaux filets de sécurité : je pense à la prolongation automatique du versement des prestations sociales, à la prolongation de la trêve hivernale ou à l’ouverture de plus de 21 000 places d’hébergement d’urgence pour les sans-abri. Je pense au lancement d’un plan d’aide alimentaire d’urgence, distribuée notamment sous forme de tickets services.
J’ai aussi annoncé qu’une aide exceptionnelle de solidarité serait automatiquement versée, le 15 mai, à 4 millions de familles pauvres et modestes : les ménages bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) recevront 150 euros, ainsi que 100 euros supplémentaires par enfant ; les ménages bénéficiaires de l’aide personnalisée au logement (APL) recevront 100 euros par enfant.
J’annonce aujourd’hui une aide pour les jeunes précaires ou modestes de moins de 25 ans. En raison du confinement, les restaurants universitaires ont fermé. Beaucoup de jeunes ont perdu les emplois dont ils ont besoin pour se nourrir et payer leur loyer. Certains jeunes se sont retrouvés dans une situation que je sais dramatique. Nous avons donc décidé de verser une aide de 200 euros à 800 000 d’entre eux. Cette somme sera versée début juin aux étudiants ayant perdu leur travail ou leur stage et aux étudiants ultramarins isolés qui n’ont pas pu rentrer chez eux. Elle sera versée à la mi-juin aux jeunes de moins de 25 ans précaires ou modestes, qui touchent l’APL.
Nous avons mis en place tout un arsenal de mesures parmi les plus puissantes au monde pour soutenir notre économie. Je pense au chômage partiel, dont bénéficie plus d’un salarié du privé sur deux, aux prêts garantis par l’État pour soutenir la trésorerie des petites entreprises, au fonds de solidarité pour les très petites entreprises et les travailleurs indépendants et, enfin, au report des charges fiscales et sociales. Il s’agit d’efforts considérables pour nos finances publiques, c’est-à-dire pour l’argent des Français, pour l’argent de la Nation et, au fond, nous sommes fiers qu’un grand pays comme la France sache les consentir.
Pour autant, cette situation ne peut durer. Les fleurons de notre industrie sont menacés. L’aéronautique, l’automobile, l’électronique, les PME, les entreprises de taille intermédiaire, les start-up sont au bord de l’asphyxie. Tout ce qui participe au rayonnement de la France, comme le tourisme, les arts, la gastronomie, est à l’arrêt. Maintenir notre pays dans le confinement reviendrait à casser notre moteur économique, à asphyxier nos poumons agricoles, à condamner notre attractivité, bref, à mettre en grand danger notre vie future, ainsi que la vie de nos enfants.
Le moment est critique, parce que nous devons démontrer une forme de discipline collective pour apprendre à vivre avec le virus. Sans vaccin avant un bon moment, sans traitement à l’efficacité démontrée, sans immunité collective, c’est seulement par la prévention, la discipline, la rigueur des comportements individuels et collectifs que nous pourrons maîtriser l’épidémie. Un peu trop d’insouciance et de relâchement, et le risque d’une deuxième vague se préciserait. Un peu trop d’immobilisme et d’angoisse, et l’asphyxie collective serait inévitable.
Tel est notre chemin de crête, d’autant plus délicat à aborder que les deux versants qu’il sépare sont des à-pics vertigineux. Sur ce chemin de crête, il nous faut avancer avec, dirais-je, une forme d’humilité combative. Le déconfinement aura lieu, pas à pas, avec des marches que nous espérons franchir toutes les trois semaines. Et quand je dis « nous espérons », cela signifie que nous pourrons rester parfois plus longtemps que prévu sur une même marche ou redescendre une marche si nécessaire.
Pour y parvenir, notre stratégie est fondée sur trois principes : la progressivité, la territorialité, la réversibilité.
Tous nos territoires ne progresseront pas au même rythme. Certaines régions, nous le savons tous, ont été frappées les premières et de plein fouet, comme le Grand Est, l’Île-de-France, les Hauts-de-France, la Corse, la Bourgogne-Franche-Comté. À l’inverse, grâce au confinement national, de nombreux départements ont été épargnés.
Le bon sens invite à ce que le rythme et les modalités du déconfinement s’adaptent aux spécificités de chaque territoire. Nos exigences en matière de santé publique et de reprise économique ont évidemment vocation à demeurer nationales, mais de nombreuses clés du déconfinement se trouvent sur le terrain entre les mains des acteurs locaux, notamment les maires et les préfets.
C’est pourquoi j’ai engagé, avec les associations d’élus régionaux, départementaux et municipaux une concertation, que je crois étroite et que j’espère fructueuse. Depuis le 28 avril, nous avons progressé. Il n’est pas nécessaire d’expliquer ici l’importance de ce travail collectif, mené au plus près des décideurs locaux.
L’effort de discernement qui nous incombe doit être collectif autant qu’individuel, car il concerne nos institutions dans leur ensemble et chacun à son niveau : chaque famille, chaque personne âgée ou fragile, chaque travailleur, chaque élu, chaque fonctionnaire doit y concourir en conscience et en responsabilité. Ni les décisions de la puissance publique ni l’engagement du corps médical ne suffiront à vaincre l’épidémie s’ils ne sont appuyés par l’engagement civique et responsable de chacun.
Il s’agit d’un moment critique, donc, d’un moment crucial même, au sens littéral du terme : nous sommes à la croisée des chemins. Devant l’Assemblée nationale, j’ai présenté les trois mots d’ordre qui président à notre stratégie de déconfinement : protéger, tester, isoler.
S’agissant de la protection des Français, tout d’abord, il faut le dire et le redire, les gestes barrières que sont la distanciation physique et le lavage des mains restent l’alpha et l’oméga de la sécurité. Avec ou sans masque, ils sont indispensables.
Sur les recommandations des médecins, et dans la perspective du déconfinement, le Gouvernement a également décidé de recommander le port du masque, étant bien entendu que le masque ne vient pas en substitut, mais bien en complément des gestes barrières. Dans certaines situations où l’on est confiné, par exemple dans les transports publics ou dans une salle de classe, nous avons même décidé de le rendre obligatoire, dès que l’on est en âge de le porter.
Nos concitoyens continuent à se demander s’il y aura, le 11 mai, des masques pour ceux qui le souhaitent. Pour beaucoup, l’angoisse d’une dépense supplémentaire est réelle. L’État, les collectivités territoriales, les entreprises travaillent main dans la main pour que les masques soient accessibles à tous sur tout le territoire à partir du 11 mai. Je remercie tous ceux qui ont pris des initiatives et qui se sont retroussé les manches.
J’aimerais répondre au malentendu qui a échauffé ce week-end quelques esprits peut-être en mal de polémiques. Je dois dire que je peine à comprendre quel intérêt aurait eu la grande distribution à cacher des stocks de masques au lieu de les vendre en temps de pénurie. Il n’y a pas, il n’y a jamais eu de stocks cachés. Il y a des commandes massives et il faut un certain temps avant qu’elles ne se concrétisent en millions de masques disponibles pour l’ensemble de nos concitoyens. Pour tous ceux qui pensent qu’il suffit de commander des masques pour les obtenir, j’ai un long historique dont je peux faire état.
Mais ce qui compte pour l’instant, c’est que le 11 mai, chacun puisse se procurer des masques dans les commerces situés près de chez lui. Nous avons écouté les associations d’élus et resterons extrêmement attentifs à toutes les remontées du terrain.
L’État et les collectivités locales assureront la protection de leur personnel. L’État financera 50 % des masques grand public que sont en train de se procurer les collectivités locales. À leur demande, j’ai décidé de prendre en charge, de façon rétroactive, une partie du coût de ces achats pour les commandes passées à compter du 13 avril dernier. J’ai appelé les collectivités qui en ont les moyens à faire preuve de solidarité envers les communes qui les entourent ou les plus petites collectivités.
L’État réservera en outre une enveloppe hebdomadaire de 5 millions de masques grand public pour les plus vulnérables de nos concitoyens : il reviendra aux préfets, avec les maires et les présidents de conseil départemental, d’en organiser la distribution à nos concitoyens les plus précaires via, par exemple, les centres communaux d’action sociale (CCAS) et les acteurs associatifs.
Par ailleurs, les régions et l’État vont accroître leur soutien aux très petites entreprises et aux travailleurs indépendants, au-delà des initiatives déjà prises par certaines branches ou organisations professionnelles. Une plateforme de e-commerce vient d’être mise en place par La Poste, dont je tiens ici à saluer la mobilisation à nos côtés.
Ensuite, le succès du déconfinement repose sur notre capacité à tester et à isoler les personnes atteintes du Covid-19. Depuis la semaine dernière, les élus, les préfets, les directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) disposent des éléments leur permettant de planifier la levée du confinement. C’est à l’échelle de chaque département que se déploiera cette chaîne formée de trois maillons, puisqu’elle commencera avec les tests, se poursuivra avec le traçage des éventuelles contaminations et s’achèvera, le cas échéant, par l’isolement des personnes contaminées.
Les tests virologiques sont le fer de lance de notre stratégie de dépistage. Nous voulons, nous devons tester tous ceux qui présenteront des symptômes similaires à ceux du Covid-19, d’une part, et ceux de leurs contacts présentant un risque élevé de contamination, qu’ils soient symptomatiques ou non, d’autre part.
Quand nous avons établi les modalités du déconfinement, le conseil scientifique nous indiquait que les modèles épidémiologiques prévoyaient entre 1 000 et 3 000 nouveaux cas par jour à partir du 11 mai. À chaque nouveau cas correspondra en moyenne le test d’au moins 20 à 25 personnes ayant croisé, dans les jours précédents, l’individu testé positif.
Si l’on prend le haut de l’échelle que nous ont donné les scientifiques, à savoir 3 000 nouveaux cas et 25 cas contacts, et si l’on se situe bien dans les hypothèses sur lesquelles nous avons travaillé, cela correspondrait à 525 000 tests par semaine. Or nous nous sommes fixé l’objectif de réaliser, non pas 525 000, mais 700 000 tests virologiques par semaine à partir du 11 mai. Nous voulons disposer d’une marge dans l’hypothèse où il y aurait un peu plus de nouveaux cas que ce que nous prévoyons. Nous voulons également pouvoir mettre en œuvre, en plus des tests des chaînes de contamination, des campagnes de dépistage, comme nous l’avons déjà fait pour les Ehpad, notamment.
Les laboratoires publics et privés, les laboratoires de recherche, les laboratoires vétérinaires sont mobilisés pour que ces tests soient accessibles à compter du 11 mai sur tous nos territoires. L’assurance maladie les prendra en charge à 100 %.
J’aimerais toutefois insister sur un point : les prévisions épidémiologiques du conseil scientifique ont été formulées sous la condition d’un strict respect du confinement jusqu’au 11 mai. Quand on modélise, on doit partir d’un certain nombre d’hypothèses. L’hypothèse que nous avons retenue, c’est que le confinement resterait strictement observé jusqu’au 11 mai. En cas de relâchement – je ne le souhaite pas, mais il peut avoir lieu –, le nombre de nouveaux malades pourrait être bien supérieur aux prévisions qui ont fondé nos modèles, ce qui compromettrait la réussite de toute la stratégie que je viens d’exposer. Il est donc essentiel, je le dis avec gravité, de respecter scrupuleusement le confinement jusqu’au 11 mai.
J’ai bien entendu ceux qui nous reprochent, ceux qui reprochent au Gouvernement de dire que, si les conditions n’étaient pas réunies, nous en tirerions les conséquences. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ose à peine imaginer ce qu’ils diraient si nous déconfinions, alors que les conditions initialement fixées ne se trouvaient pas réunies !
Pour réussir cette grande manœuvre nationale de dépistage, de traçage et d’isolement, nous mobilisons plusieurs tours de contrôle.
Les professionnels de santé libéraux, à commencer par les médecins généralistes, seront en première ligne pour identifier les malades et leur entourage familial immédiat. Les équipes de l’assurance maladie prendront ensuite le relais pour tracer les cas contacts. Enfin, si des clusters apparaissaient, il reviendrait aux ARS et aux préfets de gérer ces cas, qui sont plus complexes encore.
L’isolement des malades ou la mise en quatorzaine des cas contacts aura ensuite lieu à domicile, impliquant l’isolement de l’ensemble des membres du foyer. Le cas échéant, cet isolement pourra aussi intervenir dans des lieux dédiés, notamment si la personne à isoler préfère, par exemple pour des raisons liées à l’état de santé de l’un de ses proches, rester seule. Les préfets sont chargés d’identifier ces lieux – hôtels, centres de vacances ou autres types de lieux d’hébergement collectif – et de « conventionner » avec les bailleurs ou les propriétaires. Les ARS veilleront aussi au suivi sanitaire de ceux qui seront isolés dans ces structures particulières.
La solidité de cette chaîne de dépistage, de test et d’isolement dépendra du civisme de nos concitoyens. Nous ne vivons pas – fort heureusement, mesdames, messieurs les sénateurs ! – dans un régime policier. Pour cette nouvelle phase qui commence le 11 mai, l’assouplissement du confinement s’accompagne nécessairement d’un assouplissement des contrôles. Il s’agit donc d’un défi logistique, bien entendu, mais aussi d’un défi civique qu’il nous faut relever.
Ce défi logistique nécessite une organisation qui impose de recourir à des instruments nouveaux. Dans le texte que le Sénat examinera dans quelques heures, une disposition permet aux équipes constituées pour remonter les chaînes de contamination de faire le travail, d’appeler les cas contacts, de leur indiquer les lieux où se faire tester ou être isolé, de vérifier que les procédures ont bien été respectées. Sans le fichier permettant à ces brigades de fonctionner, nous n’avons aucune chance de remonter de façon systématique les chaînes de contamination et, donc, de maîtriser la propagation de l’épidémie.
Le défi de l’organisation et du civisme concerne également la réouverture des écoles et des crèches.
Là encore, nous sommes attentifs à toutes les complexités de mise en œuvre, ouverts à toutes les propositions, conscients des innombrables spécificités d’un territoire à l’autre ou d’une classe à l’autre.
Mais, avant de poser ces difficultés, nous devons rappeler que la fermeture des écoles est, à l’évidence, une catastrophe pour les plus vulnérables des enfants et des adolescents. Celles et ceux qui n’ont pas accès à des livres ou à internet, celles et ceux qui n’ont pas toujours accès à une alimentation correcte, celles et ceux qui n’ont pas un espace à eux pour respirer et qui se sentent livrés à eux-mêmes doivent pouvoir retourner à l’école. Cinq mois de décrochage scolaire pour des dizaines de milliers de jeunes, c’est probablement une bombe à retardement. Le confinement pose beaucoup de bombes à retardement de toutes natures, aussi bien sociale qu’économique ou géopolitique. Il me semble que celle-ci n’est pas la moins dangereuse.
La réouverture des écoles nous semble donc une priorité pédagogique, sociale, républicaine, qu’il faut évidemment concilier avec nos impératifs sanitaires. Les préfets, les recteurs, les directeurs des services départementaux de l’éducation nationale y travaillent sans relâche. Les effectifs ne devront pas dépasser quinze élèves par classe pour favoriser le respect des gestes barrières. Du gel hydroalcoolique sera distribué et la vie scolaire devra être aménagée pour assurer le contrôle des flux d’entrée, ou encore la restauration scolaire quand elle reprendra.
En ce qui concerne le calendrier, comme je l’ai indiqué, nous proposons une réouverture très progressive des maternelles et des écoles élémentaires à compter du 11 mai, partout sur le territoire et sur la base du volontariat. Nous proposons en outre la réouverture des collèges, à commencer par la sixième et la cinquième, à partir du 18 mai, dans les départements où la circulation du virus est faible, c’est-à-dire les départements « verts ». Nous déciderons à la fin du mois de mai si nous pouvons rouvrir les lycées, en commençant par les lycées professionnels début juin.
Comme je l’ai également déjà dit, nous fournirons des masques aux personnels de l’éducation nationale et aux collégiens. Pour ces derniers, le masque sera obligatoire quand les règles de distanciation sociale risquent de ne pas être respectées. Pour les élèves des classes élémentaires, le port du masque n’est pas recommandé ; il est même proscrit pour les enfants de maternelle.
Le 11 mai, tous les enfants et tous les adolescents ne retourneront pas physiquement à l’école. La situation ne sera pas identique dans toutes les écoles de toutes les communes, dans toutes les classes d’un même niveau. À la vérité, l’était-elle avant le confinement ? On pourrait en débattre…
Mais je suis intimement convaincu que, là où la réouverture peut avoir lieu, elle doit avoir lieu, si possible pour les enfants qui en ont le plus besoin. Je sais bien, mesdames, messieurs les sénateurs, nous savons bien que tous les enfants en ont besoin, mais il est un fait que certains en ont probablement encore plus besoin. Il est certain que les directeurs d’école, les professeurs, les services de l’éducation nationale, les maires peuvent faire en sorte que ceux-ci, et d’autres, puissent reprendre le chemin de l’école. Ne disons pas d’emblée que, parce que la reprise ne serait pas possible partout, elle ne devrait avoir lieu nulle part. Chaque retour à l’école sera une bonne nouvelle.
J’en appelle donc, là encore, au discernement de chacun – familles, équipes pédagogiques, rectorats – pour que les groupes de quinze élèves soient formés de jeunes issus des familles qui en ont le plus besoin. Les autres continueront à travailler et n’interrompront pas leur scolarité : ils pourront le faire chez eux ou dans les locaux scolaires ou périscolaires mis à la disposition des collectivités, lorsque la disposition des locaux s’y prête et lorsque cela est possible.
Les mêmes contraintes et, donc, le même civisme s’imposent aux crèches. Les enfants seront accueillis par groupes de dix. Je sais que les professionnels de la petite enfance mènent un travail remarquable et qu’ils décideront, au cas par cas, quelles sont les familles prioritaires. Je remercie très sincèrement celles et ceux qui s’occupent des enfants dans ces circonstances éprouvantes.
S’agissant des entreprises, le télétravail doit se poursuivre après le 11 mai pour limiter le recours aux transports en commun et favoriser la distanciation physique. Quand le télétravail est impossible, il faut encourager la pratique des horaires décalés et limiter la proximité des salariés dans un même espace de travail. C’est facile à dire, mais c’est évidemment difficile à mettre en œuvre, surtout dans les grandes agglomérations où l’organisation de rythmes différents peut s’avérer délicate.
Il n’empêche que les collectivités territoriales, les autorités organisatrices de transport, les responsables et les représentants des entreprises peuvent, me semble-t-il, tenter de s’entendre pour améliorer la donne et la situation.
Sur la question des transports, les inquiétudes sont grandes. Pour les transports interrégionaux et interdépartementaux, c’est-à-dire pour effectuer des trajets de plus de 100 kilomètres, les déplacements devront être réduits au motif impératif qu’ils soient familiaux et professionnels.
Lorsque ces déplacements auront lieu en train, il sera assez facile, par un système de réservation obligatoire, de limiter l’accès aux voitures à la moitié de la capacité normale et de diminuer, ce faisant, la densité et la proximité des voyageurs.
L’exercice sera, bien entendu, beaucoup plus compliqué dans les transports en commun, singulièrement dans les zones les plus denses comme dans les grandes agglomérations régionales. Je pense, notamment, à celles qui sont dotées d’un métro. J’ai évoqué l’éthique de responsabilité et la nécessité pour chacun de se montrer à la hauteur du moment que nous vivons, à l’instar des personnels hospitaliers, qui se sont littéralement surpassés ces dernières semaines pour trouver de la place pour tous les malades et nous permettre de surmonter la première vague de l’épidémie.
Dimanche, c’est d’abord par la presse que j’ai pris connaissance d’une lettre adressée au Premier ministre par des responsables d’entreprises de transport – publics, pour beaucoup d’ailleurs – exprimant leur crainte de ne pas savoir organiser les services publics dont ils ont la charge, dans les conditions que le Gouvernement et le Parlement jugent nécessaires à la réussite du déconfinement.
Ne voulant voir dans ce procédé que le souhait de surmonter au mieux les difficultés qu’ils anticipent, j’ai demandé au secrétaire d’État chargé des transports d’intensifier encore ses échanges avec eux afin qu’ils trouvent les bonnes réponses aux questions complexes que soulève l’impératif d’une ouverture maîtrisée des transports publics à compter du 11 mai. Je ne doute pas qu’ils sachent y parvenir, animés par cet esprit de dévouement au bien public qui permet à tant de nos concitoyens de se surpasser dans leur tâche depuis l’arrivée du virus sur notre sol.
La vie économique, mesdames, messieurs, doit reprendre impérativement et rapidement, avec des aménagements et de la bonne volonté. Les fédérations professionnelles et le ministère du travail ont réalisé des guides et des fiches métiers pour accompagner les réorganisations nécessaires au sein des entreprises. Il semblerait que cinquante-deux fiches soient aujourd’hui disponibles. Tous les secteurs en auront à disposition le 11 mai.
Les partenaires sociaux jouent un rôle précieux pour que ces plans de réorganisation du travail respectent au mieux les gestes barrières. Je me suis entretenu jeudi dernier avec les syndicats de salariés et les représentants des employeurs pour que le dialogue social contribue à remettre la France au travail sans mettre en danger la santé des Français, ce qui implique aussi de continuer à accompagner les entreprises en difficulté.
Le dispositif d’activité partielle, que nous avons mis en place, et qui est l’un des plus généreux d’Europe, restera en vigueur jusqu’au 1er juin. Nous l’adapterons ensuite progressivement selon l’évolution de l’épidémie. Le fonds de solidarité sera prolongé jusqu’à la fin du mois de mai, il sera même renforcé pour les très petites entreprises (TPE) qui ont fait l’objet de mesures de fermeture administrative. Le deuxième étage de ce fonds, qui donne droit à une subvention pouvant aller jusqu’à 5 000 euros, sera désormais accessible à tous les commerces qui ont été fermés, y compris s’ils n’ont pas de salariés, ce qui est souvent le cas pour les coiffeurs, les fleuristes ou les libraires.
Les reports de charges fiscales et sociales resteront autorisés jusqu’à la fin du mois de mai. Nous sommes prêts à convertir ces reports en exonérations définitives de charges, non seulement pour les entreprises du secteur de la restauration et du tourisme, mais aussi pour toutes les TPE ayant fait l’objet de mesures de fermeture. Ces mesures exceptionnelles témoignent de notre détermination à soutenir toutes nos entreprises pour qu’elles puissent repartir le plus vite et le mieux possible.
C’est aussi pour relancer notre moteur économique que nous avons décidé de rouvrir les commerces, les marchés de plein air, les halles couvertes. L’ensemble des associations d’élus le demandaient, nos concitoyens y sont favorables : là encore, ils devront respecter strictement les règles de distanciation physique qui prévalent. Les préfets pourront refuser leur ouverture si ces règles ne sont pas respectées. Ils pourront également décider de ne pas laisser ouvrir au-delà des sections alimentaires les centres commerciaux de plus de 40 000 mètres carrés, qui attirent et brassent des populations bien au-delà des bassins de vie.
Ce n’est pas de gaieté de cœur, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons choisi par précaution sanitaire de prolonger la fermeture des restaurants, des cafés, des cinémas, des théâtres, des manifestations sportives et culturelles, des plages, des lacs, des salles de fêtes. La situation sera réévaluée fin mai pour une décision effective au 2 juin.
Le retour à la vie normale sera donc progressif et adapté à chaque territoire. Jeudi dernier, le ministre des solidarités et de la santé a présenté à nos concitoyens une carte de France tricolore. Chacun a pu ainsi savoir si son département était classé en zone rouge, verte ou orange au vu des critères définis avec les autorités sanitaires. Cette carte de France sera actualisée chaque jour, en toute transparence. Elle deviendra rapidement bicolore : nous avons classé pour l’instant en orange les zones qui étaient encore en évolution incertaine.
Notre stratégie de lutte contre l’épidémie a été déclinée avec la plus grande vigilance dans nos outre-mer. Il en va de même pour notre stratégie nationale de déconfinement. Je suis très attentif à ce que ces territoires disposent, comme l’Hexagone, des tests et des masques grand public, notamment dans les crèches, les écoles, les transports. La chaîne de vigilance, de suivi, de responsabilité, doit être partout aussi résistante grâce aux élus locaux et aux préfets.
J’ai parlé de différenciation : outre-mer, la principale adaptation de la stratégie nationale porte sur le maintien des interdictions d’arriver dans ces territoires au-delà du 11 mai. Seules les personnes ayant des motifs familiaux ou professionnels impérieux, ou une obligation de santé, pourront se rendre outre-mer. Elles demeureront soumises à l’obligation de quatorzaine.
Nous effectuerons un point début juin afin de voir s’il faut maintenir ces mesures très contraignantes, qui pèsent évidemment sur les capacités de fret. Je tiens néanmoins à indiquer que nous profiterons du déconfinement pour organiser le retour chez eux des étudiants ultramarins qui en ont exprimé le souhait dans le cadre du recensement qui vient de s’achever.
Je dirai enfin un mot sur Mayotte où nous avons choisi de reporter le déconfinement. Mayotte vient de passer en phase 3. Le virus y circule activement. La prolongation du confinement est l’unique manière d’éviter la saturation d’un système hospitalier déjà très sollicité et fragile. Nous ferons un point le 14 mai pour envisager l’assouplissement du confinement, en particulier le retour à l’école primaire à partir du 18 mai. D’ici là, nous continuerons à renforcer les capacités sanitaires du territoire, ainsi que les actions pédagogiques et sociales que nous y menons, notamment en matière d’aide alimentaire.
Je finirai, mesdames, messieurs les sénateurs, en évoquant trois emblèmes de ce que signifie, pour notre pays, « vivre » dans le sens le plus plein du terme : la vie culturelle, la vie cultuelle et les élections municipales.
La liberté de créer, de se laisser bouleverser et habiter par des œuvres d’art, le droit de voter et de se présenter à des élections, la liberté de culte sont parmi les libertés les plus sacrées que nos concitoyens exercent et revendiquent.
Mais alors que l’appétit culturel des Français est comme décuplé par le confinement, le secteur culturel est l’un des plus frappés par la crise sanitaire. Cette dernière met au jour et accroît la vulnérabilité de milliers de professionnels et d’innombrables institutions. Il y a urgence pour la culture, le Gouvernement le sait et travaille à trouver des solutions.
Dès le début du confinement, nous avons garanti l’accès des acteurs de la culture aux mesures d’urgence mises en place par le Gouvernement. Le secteur des arts et de la culture a pour l’instant bénéficié de 52 millions d’euros du fonds de solidarité. Par ailleurs, comme l’a annoncé le Président de la République la semaine dernière, les acteurs de la culture sont éligibles au plan de 8 milliards d’euros d’accompagnement des secteurs particulièrement impactés, comme le tourisme et les cafés ou restaurants.
Les difficultés mises au jour, comme la question du chômage partiel pour les intermittents, l’accès des artistes auteurs au fonds de solidarité ou l’accès des entreprises aux prêts garantis par l’État, seront réglées dans les prochains jours. Les ministères de la culture, du travail et de l’économie s’y emploient.
Le Gouvernement a également mis en place des mesures d’urgence spécifiques pour les acteurs culturels. Certaines situations sont dramatiques, et il faut continuer à soutenir et à protéger la création. Le Président de la République annoncera de nouvelles décisions mercredi.
Nous avons d’ores et déjà décidé de rouvrir de premiers lieux culturels à partir du 11 mai, dans le respect des exigences sanitaires. Ce sera notamment le cas des lieux culturels de proximité, qui participent à la vie éducative de nos enfants – les bibliothèques, les médiathèques, les musées, les monuments –, dont la fréquentation n’entraîne pas de longs déplacements ou de brassage de populations au-delà du bassin de vie, conformément à une logique que chacun aura bien comprise. Il en va de même pour les librairies, les disquaires et les galeries.
Nous devrons attendre début juin, si la situation sanitaire le permet, pour rouvrir tous les lieux de spectacle, les salles de cinéma et les grands musées et monuments. Il conviendra alors d’examiner dans quelles conditions tous ces lieux pourront rouvrir. Les manifestations et événements culturels réunissant plus de 5 000 personnes resteront interdits jusqu’à la fin du mois d’août, ainsi que nous l’avions annoncé très tôt pour donner de la visibilité aux acteurs du secteur, qu’il s’agisse des organisateurs, des participants ou de tous ceux qui contribuent au succès de ces manifestations d’importance.
Nous aurions tous aimé que le festival d’Avignon, les Francofolies, les Eurockéennes, les Nuits de Fourvière aient lieu. Mais il n’est pas possible de concilier ces grands rendez-vous culturels avec les précautions sanitaires nécessaires à la gestion de l’épidémie. Notre priorité, c’est d’éviter l’irruption d’une deuxième vague.
Le même état d’esprit nous anime en ce qui concerne la liberté de culte. J’entends le désarroi des croyants, privés de rassemblements et de célébrations, qui ne sont pas seulement une expression de leur appartenance religieuse, mais sont aussi l’une des sources vivantes de leur foi. Ils ont dû renoncer à beaucoup de ces rites qui marquent les grands moments de la vie. Je pense aux moments de fête autant qu’aux moments de deuil. Je comprends l’impatience des ministres du culte de toutes les confessions. Je leur demande instamment d’attendre, en conscience, pour que nous n’ayons pas à regretter une décision précipitée.
Tout le monde reconnaîtra que les cérémonies et offices dans les églises, dans les synagogues, dans les temples ou dans les mosquées, et à plus forte raison les mariages, les baptêmes, les bar-mitsva, réunissent des proches et des moins proches, dans des lieux souvent confinés, avec une forme de brassage qui est profondément réjouissante en temps normal, mais infiniment périlleuse en temps de crise sanitaire.
J’avais indiqué qu’il faudrait attendre le 2 juin pour que les offices et les prières ouvertes aux fidèles puissent de nouveau se tenir dans les lieux de culte. Beaucoup de responsables de culte ont fait des propositions, après s’être entendus, pour concilier le déroulement de leurs réunions avec les exigences de distanciation physique. Je sais, notamment, que la période du 29 mai au 1er juin correspond pour plusieurs cultes à des fêtes ou à des étapes importantes du calendrier religieux. C’est pourquoi, si la situation sanitaire ne se dégrade pas au cours des premières semaines de levée du confinement, le Gouvernement est prêt à étudier la possibilité que les offices religieux puissent reprendre à partir du 29 mai.
Je mesure, comme vous tous ici, l’impatience de beaucoup d’élus quant à la suite des élections municipales. Dans les 30 000 communes qui ont élu un conseil municipal complet, beaucoup plaident pour une installation rapide des équipes qui disposent depuis le 15 mars de la légitimité du suffrage. C’est un enjeu démocratique puisque le scrutin est terminé dans ces communes. C’est aussi un enjeu économique, car leurs administrés comptent, bien entendu, sur eux pour prendre des décisions en matière d’investissement.
La loi du 23 mars 2020 a fixé le cadre dans lequel nous devons nous placer pour prendre les décisions essentielles que sont l’installation des conseils municipaux élus au premier tour et la possibilité de tenir le deuxième tour des élections. L’article 19 de cette loi dispose que : « Au plus tard le 23 mai 2020, est remis au Parlement un rapport du Gouvernement fondé sur une analyse du comité de scientifiques se prononçant sur l’état de l’épidémie de Covid-19 et sur les risques sanitaires attachés à la tenue du second tour et de la campagne électorale le précédant.
« Le comité de scientifiques examine également les risques sanitaires et les précautions à prendre :
« 1° Pour l’élection du maire et des adjoints dans les communes où le conseil municipal a été élu au complet dès le premier tour ;
« 2° Pour les réunions des conseils communautaires. »
Rien n’impose, dans cet article, que le comité de scientifiques statue en une seule fois ou que le Gouvernement fasse un rapport unique sur ces questions. Autrement dit, le Gouvernement peut demander un avis au conseil scientifique sur la question de l’installation des conseils élus et des conseils communautaires sans attendre le 23 mai. C’est la raison pour laquelle j’ai saisi ce matin le conseil scientifique sur ces deux questions – et sur ces deux questions-là uniquement. Sur la base de son avis, je remettrai au Parlement un rapport dans les plus brefs délais. Il s’agit de déterminer si cette installation est possible et surtout quand elle le sera. Je rappelle que ces conseils municipaux, dans l’immense majorité des 30 000 communes concernées, ne comptent en général pas plus de quinze membres.
Les dispositions de l’article 10 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, qui prévoient que chaque élu peut détenir deux procurations, au lieu d’une actuellement, et qui assouplissent les conditions de quorum, puisque seule la présence d’un tiers des membres est requise, permettront de concilier plus simplement le respect des conditions de sécurité sanitaire et le bon fonctionnement de la démocratie locale.
S’agissant du deuxième tour, je crois qu’il importe d’attendre encore un peu. Je remettrai au Parlement, au plus tard le 23 mai, comme la loi me l’impose, le rapport qui déterminera si ce deuxième tour peut avoir lieu en juin. Dans le cas contraire, nous devrions décider collectivement, d’une part, de sa date et, d’autre part, des modalités de son report, report qui emporterait avec lui un certain nombre de conséquences que personne ici n’ignore. (Sourires.)
Le Gouvernement et moi-même consultons très régulièrement les associations d’élus et les groupes parlementaires, et nous continuerons à le faire, pour préparer cette échéance.
Enfin, j’entends les réticences de certains maires et de certains chefs d’entreprise, qui craignent que leur responsabilité ne soit engagée. Le sujet de la responsabilité face aux Covid-19 n’est pas une petite question. J’aimerais donc m’y attarder un peu.
Le régime de responsabilité pénale des décideurs vous est bien connu. Il est issu, en plus des dispositions anciennes du code pénal, de la loi dite « Fauchon » du 10 juillet 2000.
Si ce régime n’a pas été modifié depuis près de vingt ans, c’est qu’il est juste, c’est-à-dire qu’il est à la fois précis dans son contenu et équilibré dans sa portée. Il n’a pas empêché depuis vingt ans de prendre des décisions. J’en témoigne : ni comme maire ni comme Premier ministre je n’ai été empêché d’agir de la façon dont j’estimais devoir le faire au regard des pouvoirs et des moyens qui étaient les miens, notamment eu égard aux informations dont je disposais pour appuyer mes décisions. Chacun sait, en outre, que ces dispositions n’ont pas empêché des responsables publics de répondre – car être responsable, étymologiquement, c’est bien d’avoir à répondre – de leurs décisions.
Il n’en reste pas moins que la question se pose et que les inquiétudes sont là. Il nous faut donc y répondre. Nous devons le faire avec deux convictions, chacune étant importante.
Premièrement, notre Constitution nous invite à ne pas aborder ce sujet de manière segmentée, en pensant à telle ou telle catégorie de responsables. Bien entendu, le Sénat est parfaitement dans son rôle quand il accorde une attention particulière à la situation des élus locaux. Pour autant, un maire qui rouvre une crèche, un président d’intercommunalité qui organise les transports en commun, un préfet qui autorise la reprise d’un marché ou un chef d’entreprise qui redémarre un chantier ne sont pas dans des situations fondamentalement différentes. Il s’agit chaque fois de femmes et d’hommes qui ont la responsabilité d’autres femmes et d’autres hommes, et à qui il incombe de prendre des décisions durant cette crise. Traitons-les de façon équitable.
Deuxièmement, cette question mérite d’être traitée avec prudence, car nos concitoyens veulent que les maires agissent sans blocage. Mais ils ne veulent pas non plus que les décideurs – publics ou privés – s’exonèrent de leurs responsabilités. Je le redis, ce n’est en rien un hasard si les termes de la loi Fauchon n’ont pas bougé depuis vingt ans. Je les cite : « Les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. » Il me semble, mais il appartiendra au Parlement d’en décider, que nous devons préserver cet équilibre.
Oui, il faut préciser la loi, rappeler la jurisprudence qui oblige le juge à tenir compte des moyens disponibles et de l’état des connaissances au moment où l’on a agi ou pas. Mais je suis nettement plus réservé s’il s’agit d’atténuer la responsabilité de chacun.
Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, c’est ensemble que nous devons résoudre les problèmes, pas à pas. J’y suis disposé. Il appartiendra au Parlement de trancher la délicate question de savoir si ce sujet sérieux, ce sujet qui suscitera beaucoup d’attention, pas simplement de la part des décideurs, bien entendu, mais aussi de la part de l’ensemble de nos concitoyens, doit être traité à l’occasion d’un amendement ou d’un texte spécifique. J’ai la certitude que le Parlement dans son immense sagesse saura répondre à cette question délicate.
Le 11 mai, mesdames, messieurs les sénateurs, ne sera pas le début de l’insouciance : ce sera le début de la reprise. Il faut nous y engager avec prudence et responsabilité.
Pendant des siècles, quand survenait une épidémie, on se répétait le fameux cito, longe, tarde que l’on peut traduire par « pars vite, loin et longtemps », que la tradition attribuait à Galien, le médecin de Marc Aurèle pendant la grande peste antonine. Je signale, à toutes fins utiles, que Galien était fils d’un sénateur… (Sourires.)
Mme Sophie Primas. Ce n’étaient pas les mêmes !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … de Pergame, en l’occurrence.
Aujourd’hui, il n’est question pour personne, et pour nous moins que pour quiconque, de fuir, de nous dérober face à cette épidémie. Il est question de prendre de bonnes décisions qui engagent toute la collectivité, sans fuir le débat, en mettant le Parlement au cœur des enjeux. Voilà pourquoi j’ai tenu à vous présenter notre stratégie nationale de déconfinement et à la soumettre à votre vote.
Nous présenterons aussi cette semaine au Parlement une loi qui vise à proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet prochain et qui tend à autoriser la mise en œuvre des mesures nécessaires à l’accompagnement du déconfinement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous voulons, comme nos partenaires européens, traverser l’épreuve de cette épidémie dans le respect de nos valeurs. Nous voulons démontrer que la démocratie libérale et sociale est capable de faire face. Quand une démocratie comme la France est à la croisée des chemins et qu’il faut définir, puis emprunter, les voies les moins mauvaises, les moins périlleuses pour nos concitoyens, elle ne peut y parvenir qu’avec le soutien et l’apport d’élus représentant les Français, dans toute leur diversité et au plus près de nos territoires. Cette conviction sous-tend mon engagement politique, elle est un fil directeur de notre action.
La réussite de ce déconfinement reposera sur l’adhésion de nos concitoyens, qui est un moteur infiniment plus puissant que la contrainte. Ce qui se joue avec ce déconfinement, c’est un acte de confiance collective – pas seulement un acte de confiance entre citoyens ou entre nous, dans cet hémicycle, mais un acte de confiance partout dans le pays –, c’est la capacité de notre démocratie libérale et sociale à surmonter une crise majeure, sans renoncer ni aux libertés ni aux solidarités.
Les épidémies de l’ampleur de celle que nous traversons ne sont jamais anecdotiques dans l’histoire d’une civilisation. Elles peuvent conduire à l’affaiblissement, peut-être même à l’écroulement. Elles peuvent aussi amener à une forme de rénovation. Comme vous, je crois en mon pays. J’ai la conviction la plus inébranlable que nos institutions, nos talents, notre jeunesse sauront nous relever de cette crise avec un surcroît de force et de solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. Nous en venons aux orateurs des groupes politiques.
Dans le débat, la parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous vivons le temps du deuil, de l’angoisse, des incertitudes, des impatiences. Mes premières pensées vont vers tous ceux qui ont connu la peine, les décès, les drames, et vers les personnels qui ont participé à l’effort de la Nation en matière sanitaire, mais aussi en matière économique.
Cette situation dramatique et inédite, le Gouvernement – avec l’ensemble des Français – l’a affrontée, et continuera de l’affronter, avec responsabilité et pragmatisme.
La décision de mettre en place des mesures de confinement a été prise avec sang-froid et lucidité.
Monsieur le Premier ministre, je souhaiterais un instant revenir sur les jugements hâtifs ou autres critiques contradictoires, qui ne me semblent pas être à la hauteur de la situation à laquelle nous sommes collectivement confrontés.
Dans un réflexe pavlovien, certains critiquent avec autant de ferveur les mesures du déconfinement que celles du confinement, qu’ils avaient pourtant décriées à l’occasion de leur mise en œuvre.
Ils critiquent par avance toutes les mesures proposées, ils énoncent leurs certitudes sur l’avenir, alors qu’ils ont été bien incapables d’anticiper par le passé !
Le déconfinement, qui n’est pas la sortie du tunnel, doit être préparé avec toutes les inconnues propres à ce fléau sanitaire. La tâche est immense, et c’est la raison pour laquelle est organisé ce débat au sein de la Haute Assemblée. Loin de « bouder » la représentation nationale, comme je peux l’entendre dire ici et là, monsieur le Premier ministre, vous l’écoutez et vous l’intégrez pleinement dans la conception du déconfinement, comme vous venez de le prouver à l’instant. Ce débat honore le Parlement, il honore aussi le Gouvernement.
Vous avez qualifié ce déconfinement de nécessaire et de risqué. Nécessaire, il l’est assurément, risqué il l’est aussi indubitablement.
Il est nécessaire à bien des égards puisque, depuis le 17 mars, les Français sont confinés pour préserver leur santé, notre santé. Au cours des deux derniers mois, nous avons mesuré combien la liberté d’aller et de venir, celle d’interagir avec nos proches, notre famille, celle de tisser des liens avec nos semblables, est consubstantielle à notre condition. Afin de renouer avec cette part de nous-mêmes, le déconfinement est nécessaire.
Il est également nécessaire, voire plus encore, car la crise économique et sociale, qui impacte notre pays comme tous les autres, aura des conséquences lourdes que chaque Français doit intégrer.
Le redémarrage de notre économie est un préalable indispensable à la reconstruction de notre nation.
Cette récession qui s’annonce menace en premier lieu les plus fragiles sur le plan économique. Elle pourrait être rapidement synonyme de régression sociale si rien n’avait été prévu. Je sais que le Gouvernement est conscient de ce risque et je tiens à le féliciter, entre autres, d’avoir décidé un recours massif au chômage partiel. Par ce biais, il a protégé le maximum d’emplois et bon nombre de nos concitoyens touchés de plein fouet par cette crise.
Monsieur le Premier ministre, vous l’avez souligné, ce déconfinement est risqué.
Il est risqué, parce qu’il dépend de facteurs inhérents à l’épidémie et parce que les décisions à prendre sont complexes, et délicates.
Si votre gestion pragmatique de la situation sanitaire est à saluer, tâchons de reconnaître la part d’incertitude qui existe quant au devenir de cette maladie virale.
Bien malins ceux qui, sur les réseaux sociaux ou autres plateaux de télévision, prétendent connaître l’évolution du Covid-19, sa date d’expiration et l’heure de sa disparition ! Toutes ces suppositions et supputations alimentent le registre du commentaire alors que nous devons collectivement nous retrouver dans celui de l’action.
Monsieur le Premier ministre, ce déconfinement ne peut aboutir que s’il est entendu de façon claire et précise. Il ne peut aboutir que s’il est appliqué de manière progressive, et exercé avec civisme et rigueur par les Français.
Dans le même temps, les craintes et inquiétudes légitimes de nos concitoyens doivent être entendues. C’est ce que vous faites quotidiennement avec l’ensemble des membres du Gouvernement.
Il importe d’appliquer à la lettre la règle des quatre C : clarté, cohérence, cohésion et concertation.
La clarté est l’axiome principal de la politique qui doit être menée : la clarté en matière sanitaire, par exemple. J’ai entendu la polémique sur les masques. Je ne voudrais pas qu’elle fasse oublier les milliards d’euros qui ont été investis ainsi que toutes les mesures mises en œuvre aussi bien dans le domaine économique et social que dans le domaine sanitaire.
À ce titre, je tiens à saluer l’objectif de 700 000 tests par semaine, ainsi que la remontée d’informations permise par les brigades que vous avez récemment évoquées.
La clarté, nous la devons également à nos élus, bien évidemment aux maires, qui font remonter leurs inquiétudes. Vous le savez, monsieur le Premier ministre, ceux-ci évoquent notamment leur crainte de voir leur responsabilité pénale engagée à l’occasion de la réouverture des écoles. Vous venez d’y répondre par avance.
Je sais bien que, aujourd’hui, le droit les protège – la loi Fauchon, en l’occurrence, comme vous l’avez rappelé. Encore faut-il qu’elle soit bien précisée pour que chacun soit rassuré. Nous devons leur apporter des assurances, et je sais pouvoir compter sur vous pour accompagner cette démarche.
La cohérence, ensuite. L’organisation du déconfinement autour du couple maire-préfet entre en cohérence avec les réalités du terrain. La présentation des cartes d’évolution du virus dans nos départements contribue à cette prise en compte des spécificités locales, loin de toute approche uniforme et peu pertinente.
La cohésion : j’y faisais référence précédemment. Sachez, mes chers collègues, que, quelles que soient nos sensibilités, nous serons jugés sur notre capacité à entendre le message délivré par les Français, celui de l’unité nationale. Les réflexes politiciens ne feront qu’ajouter de la crise à la crise, soyons-en conscients.
La concertation, enfin. C’est le point central du succès du déconfinement : je tiens à vous remercier d’avoir pris en considération les remontées des territoires et associé l’ensemble des élus locaux à ce processus amené à se mettre en place progressivement à partir du 11 mai.
Dans la méthode comme dans le fond, monsieur le Premier ministre, je remercie le Gouvernement d’agir avec lucidité et avec humilité. L’expérience de cette crise aura ébranlé nombre de nos préjugés. Le déconfinement est la première étape d’un long chemin qui nécessitera écoute, pédagogie, détermination et courage. Notre groupe sait pouvoir compter sur vous pour mener notre pays sur la voie du redressement sanitaire, économique et social. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe politique.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, excusez-moi, mon temps de parole étant très court, je serai laconique et n’aborderai pas l’ensemble des sujets.
Ayant écouté attentivement votre intervention d’aujourd’hui et celle que vous avez faite l’autre jour devant l’Assemblée nationale, et bien qu’en désaccord sur de nombreux points quant à la gestion de cette pandémie par votre gouvernement, j’avais pris la résolution de voter favorablement, comme je l’ai fait d’ailleurs lorsqu’il s’est agi de vous donner les moyens financiers de gérer cette crise.
J’avais l’intention de le faire, car je pense que celui qui dirige la manœuvre par temps difficile doit avoir les moyens d’agir, de s’adapter, bref de bien gouverner.
J’avais l’intention de le faire, car vous avez enfin pris la décision de pratiquer une politique intensive de tests que, à mon grand regret, vous n’aviez pas pu ou voulu mettre en place, à l’instar de l’Allemagne, de la Corée ou de Taïwan.
J’avais apprécié également votre volonté de remettre à plus tard l’application StopCovid, après la tenue d’un débat.
Las ! Les paroles sont une chose, la réalité des actes en est une autre. J’ai été choqué par la volonté délibérée que nous vous donnions les moyens de passer outre à ce débat, le V de l’article 6 du projet de loi prévoyant en la matière un recours aux ordonnances. On me dit que cela ne concerne pas le suivi par l’application, mais j’ai quelques doutes.
Le retour à la vie scolaire me paraissait une bonne chose s’il avait donné lieu à des règles simples, par exemple une demi-journée à tour de rôle, ce qui aurait permis de maîtriser la gestion des transports scolaires, des espaces nécessaires et celle des cantines. Au lieu de cela, nous avons une instruction de 63 pages – excusez du peu – pour les maires, ce qui fait peser sur eux un risque juridique maximal.
S’agissant des parents, vous leur laissez une responsabilité morale importante et ils n’auront pas nécessairement les moyens de faire des arbitrages. Comment feront les maires si 80 % des parents envoient leurs enfants à l’école ?
Cerise sur le gâteau, la carte des départements rouges ou verts relève de la plus grande fantaisie quant aux chiffres qui ont été pris en compte pour définir les différents paramètres. Ainsi dans mon département de l’Aube, qui dispose de quarante lits de réanimation, l’agence régionale de santé indique qu’ils sont tous occupés alors que seuls dix le sont.
La force de frappe que représentent nos laboratoires vétérinaires est prise en compte au niveau non pas départemental, mais régional. Or tous les départements ne disposent pas d’un tel laboratoire.
J’en profite pour souligner la qualité du travail de ceux qui ont gardé de tels laboratoires vétérinaires à leur charge, car ceux-ci, aujourd’hui, nous sont bien utiles,…
M. Bruno Retailleau. Comme en Vendée !
M. Philippe Adnot. … en Vendée comme dans l’Aube.
Pour toutes ces raisons, je me vois dans l’impossibilité de voter favorablement, monsieur le Premier ministre, et je le regrette : il y a trop loin de la parole aux actes.
J’espère que le Sénat pourra amender votre texte pour assurer une meilleure sécurité juridique aux maires et leur faciliter la tâche ; j’espère que le débat sur le suivi des maladies pourra se faire sereinement, dans la confiance ; j’espère que les cartographies départementales seront établies sur la base de vrais chiffres, car, au-delà de la santé, il pourrait y avoir des conséquences économiques importantes ; j’espère surtout que nos scientifiques nous aideront rapidement à sortir de cette crise majeure.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous nous présentez, monsieur le Premier ministre, votre stratégie nationale de déconfinement, après l’avoir fait à l’Assemblée nationale devant nos collègues députés le 28 avril dernier.
Mais, aujourd’hui encore, il ne s’agit pas d’enrichir votre plan : vous nous demandez de le voter tel quel, comme vous l’avez élaboré. Et même si vous avez organisé, entre-temps, des visioconférences avec les associations d’élus et les partenaires sociaux, vous nous demandez en réalité un vote de confiance.
Ce n’est pas notre conception de la démocratie ! La confiance ne se décrète pas, elle se mérite. Or, monsieur le Premier ministre, vous avez largement entamé votre capital confiance auprès de l’opinion publique.
Depuis le début de cette crise, les Françaises et les Français sont assaillis d’injonctions contradictoires sur le port du masque ou encore sur la nécessité de pratiquer ou non des tests. Et l’impression dominante est que vous adaptez votre stratégie non pas à la sécurité sanitaire de chacune et de chacun, mais aux pénuries de matériel de protection !
Il en est de même pour la reprise de l’école, qui paraît plus dictée par la nécessité de reprise économique que par la volonté de faire reculer les inégalités scolaires. Pourquoi, sinon, maintenir les cartes scolaires qui programment des fermetures de classes, un peu partout sur le territoire, dès la rentrée de septembre ?
Bien sûr, il existe de nombreuses inconnues concernant le Covid-19 qui ne peuvent vous être reprochées. Chaque jour, nous apprenons de cette épidémie et les chercheuses et chercheurs du monde entier sont sur la brèche. Un traitement sera trouvé, à n’en pas douter, puis un vaccin pour protéger les populations. Ce qui devrait vous faire réfléchir, d’ailleurs, à l’importance vitale du financement de la recherche publique, qui manque cruellement de moyens financiers et humains.
Mais, en attendant, il faut faire face et vous avez de lourdes responsabilités dans la gestion de la pandémie, monsieur le Premier ministre.
Comme vous l’avez justement souligné, la stratégie de déconfinement passe par le triptyque « protéger, tester et isoler ». Et protéger nécessite notamment le port du masque. Sans revenir sur la gestion des stocks de masques par votre gouvernement et ceux qui l’ont précédé, comment ne pas dénoncer le fait que notre pays soit passé de 1 milliard de masques chirurgicaux et 700 millions de masques FFP2 en 2009 à 145 millions de masques chirurgicaux en 2020 ?
L’État n’étant pas en mesure de fournir le nombre de masques nécessaires, ce sont les collectivités qui ont pris le relais. Et aujourd’hui, celles qui ont été les plus réactives sont pénalisées, car elles ne bénéficieront même pas de la prise en charge de 50 % de leur coût par l’État si l’on suit à la lettre vos propos !
Nous demandons a minima que toutes les commandes des collectivités soient prises en charge à égalité, indépendamment de la date de commande.
Par ses défaillances, le Gouvernement a mis les collectivités en concurrence. C’est insupportable ! Et, comme l’ensemble des membres de mon groupe, je suis scandalisée de voir que la grande distribution réussit ce que la puissance publique ne parvient pas à faire. Ainsi, dans ma ville de Gentilly, comme dans beaucoup d’autres sur l’ensemble du territoire, des pharmacies n’étaient toujours pas en mesure, samedi, d’avoir des masques pour les populations !
Il n’y a aucune raison que les acteurs privés fassent des profits sur la santé et la sécurité de nos concitoyens et concitoyennes, des personnels médicaux, paramédicaux et ceux du secteur médicosocial ! Pour nous, les masques doivent être pris en charge comme un matériel médical et remboursé à 100 % par la sécurité sociale au même titre que le sont les tests.
Quand le port du masque est obligatoire dans les transports en commun, ce que nous soutenons totalement, il est de la responsabilité de l’État de garantir le droit au masque gratuit pour toute la population. Et si les masques sont en nombre insuffisant, je ne vois pas comment on peut verbaliser celles et ceux qui n’en portent pas !
Et il y a le même flou concernant la reprise de l’école. Le retour des enfants sur le chemin des écoles est un impératif pédagogique et de justice sociale, mais si les conditions de sécurité ne sont pas réunies, je partage totalement le refus de l’Association des maires d’Île-de-France de rouvrir le 11 mai prochain les écoles.
Quant aux parents d’élèves, ont-ils réellement le choix avec la menace qui pèse sur le chômage partiel le 1er juin ?
Mais nous y reviendrons lors de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, tout comme sur la protection juridique des maires.
Parler de déconfinement, monsieur le Premier ministre, c’est aussi parler offre de soins, donc capacité d’accueil des patients, nombre de lits et embauches de personnels soignants et non soignants.
Vous ne cessez de répéter que l’hôpital a tenu, mais, comme nous l’ont rappelé les docteurs Christophe Prudhomme et Gérald Kierzek, deux éminents urgentistes auditionnés par la commission des affaires sociales, en réalité, il n’a pas tenu ! Il a fallu le confinement général et l’arrêt des activités médicales hors Covid-19 pour passer le pic !
Et pour cause, puisque cette situation de notre système de santé est le fruit de choix politiques assumés : 4,2 milliards d’euros de moins pour le budget 2020 de la sécurité sociale, dont 1 milliard pour l’hôpital public. Le tout dans un climat de réduction de personnels et de fermetures de lits : en vingt ans, 100 000 lits ont été fermés, dont 17 500 depuis six ans.
Il ne suffit pas de féliciter, dans les discours du Gouvernement, les héros et héroïnes en blouse blanche ; il faut leur donner les moyens humains et financiers d’exercer leur métier. À quand une augmentation de leurs salaires, une revalorisation de leurs métiers, la fin de la précarisation à l’hôpital et dans les Ehpad ?
Avec votre gestion calamiteuse du nombre de masques, comment vous faire confiance pour repérer, tester et isoler en dix jours ?
Cette crise est terrible : elle est sanitaire, économique, sociale et l’on commence à en ressentir les déflagrations, avec une progression de la pauvreté. Les associations caritatives, les collectivités nous alertent sur l’explosion de l’aide alimentaire.
C’est maintenant qu’il faut penser au jour d’après. Il faut plus de justice sociale, revoir totalement la fiscalité pour que chacun contribue à l’effort de solidarité nationale et arrêter d’assécher les caisses de notre système de protection sociale en exonérant de cotisations patronales à tour de bras !
Les aides de l’État doivent être conditionnées à des critères sociaux et environnementaux. Vous ne pouvez continuer à donner des chèques en blanc aux grands groupes, à ceux qui polluent notre planète !
Il faut reprendre la proposition que notre groupe avait faite avec nos collègues députés communistes : refuser les aides et les prêts aux sociétés qui ont des actifs dans les paradis fiscaux, taxer les dividendes et rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune.
Il faut arrêter de détruire le code du travail, de réduire toujours plus les pouvoirs des salariés, en refusant notamment au patronat de déroger à la durée du travail, aux congés payés ou encore au repos dominical !
Il est temps, monsieur le Premier ministre, de déconfiner la démocratie alors que vous transformez le Parlement en chambre d’enregistrement qui doit vous laisser les pleins pouvoirs pour deux mois supplémentaires. (MM. François Patriat et Xavier Iacovelli protestent.)
Les parlementaires, pas plus que les élus locaux, ne sauraient être tenus responsables d’une politique décidée sans eux.
Crise ou pas, la démocratie exige d’élaborer des solutions avec les élus de la Nation, les syndicats et les forces vives du pays. Ce n’est, hélas, pas le cas et votre plan en est un nouvel exemple. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, déconfiner ou ne pas déconfiner, telle est la question !
Je suis fasciné de découvrir que nous avons autant d’experts pour y répondre sur toutes nos chaînes de télévision : les grands experts, très assurés ; les petits experts, qui manquent d’expérience sur Zoom et dont on ne voit que le nez, le menton et les lunettes en gros plan ; les soi-disant experts, qui répètent ce qu’ils ont entendu une heure avant sur une autre chaîne ou à la radio ; et, enfin, les faux experts qui lancent des craques en espérant faire le buzz.
À force de tous les regarder, j’ai découvert un théorème, que je vous propose : plus il y a d’experts, moins on comprend.
Heureusement, il reste les politiques ! J’ai suivi le débat à l’Assemblée nationale, mercredi dernier, monsieur le Premier ministre. Il y a là-bas des virtuoses du coronavirus. Ils vous ont expliqué ce qu’il fallait faire hier et ce qu’il n’aurait pas fallu faire, ce qu’il faut faire aujourd’hui et ce qu’il faudra faire demain.
Je revois encore le professeur Mélenchon, de la faculté de médecine de La Havane, pointer sur vous un doigt vengeur et vous lancer d’une voix de stentor : « Il y aura un deuxième pic de l’épidémie, et vous le savez ! » Impressionnant ! J’étais au bord du retweet !
Devant tant de recommandations de spécialistes, je n’ose pas vous proposer les miennes, moi qui ne suis qu’un simple médecin épidémiologiste.
Je voudrais juste me borner à quelques réflexions sur certaines idées qui me paraissent fausses.
La plus absurde, c’est que le libéralisme est la cause de la pandémie. Dans ce pays, où beaucoup préfèrent Robespierre à Tocqueville, où l’on préférera toujours se tromper avec Sartre qu’avoir raison avec Aron, c’est toujours le libéralisme qui porte le chapeau.
M. Vincent Segouin. Très bien !
M. Claude Malhuret. Même les plus ignares des antimondialistes, des populistes et des complotistes devraient pourtant savoir, puisque même Google le dit, que Périclès, mort de la peste en 429 avant Jésus-Christ, ou Saint Louis, mort du même mal en 1270, n’avaient jamais ne serait-ce qu’entendu les mots de capitalisme ou de libéralisme. Le Covid-19 n’est pas une maladie de la mondialisation ; c’est une maladie tout court.
Napoléon disait : « L’Histoire est une suite de mensonges sur lesquels on s’est mis d’accord. » Aujourd’hui, il dirait : « L’Histoire est une suite de mensonges qui ont le plus de likes. »
Il fallait trouver le responsable du complot. Au Moyen Âge, c’étaient la colère divine, les sorcières ou les juifs. Aujourd’hui, c’est la mondialisation.
La vérité est l’exact contraire. La grande nouveauté, c’est que c’est la science qui est aujourd’hui mondialisée. Jamais dans l’histoire on n’a donné une réponse aussi rapide à une nouvelle maladie : le génome du virus séquencé en une semaine, les premiers tests produits un mois plus tard, les essais cliniques de traitements et de vaccins déjà par centaines.
À ceux qui s’impatientent, il faut rappeler que les épidémies d’avant faisaient cent fois plus de morts, qu’il a fallu des milliers d’années avant que Pasteur, en 1885, ne découvre le vaccin contre la rage et que Yersin n’isole le bacille de la peste, et que c’est grâce à la démocratie libérale et à ses progrès scientifiques qu’elles ont été vaincues comme celle-ci le sera demain.
Deuxième idée qui traîne, celle des prophètes, qui nous expliquent que, demain, rien ne sera comme avant. Mais dès qu’on les écoute, on s’aperçoit que leur monde futur est celui qu’ils prêchaient avant : l’avenir radieux avec les lunettes du passé. Ils annoncent des révolutions, mais on s’aperçoit qu’ils profitent de la crise pour recycler des idéologies archidécédées : mort du capitalisme, haine de la technique, décroissance, éloge du populisme, retour des frontières, nationalisme. Ils courent les télévisions pour annoncer l’avènement d’un monde nouveau, mais leur besace ne contient que la poussière du prêt-à-penser qu’ils ressassent depuis des décennies.
La réalité, c’est que personne n’a jamais vu demain. C’est à nous de préparer l’avenir, et il sera sans doute différent. Mais, ce qui est certain, c’est qu’il ne ressemblera sûrement pas à un remake des thèses de Karl Marx, de Maurras ou de Malthus.
Troisième ineptie : les régimes autoritaires seraient les grands gagnants de cette pandémie, car les plus efficaces. C’est le contraire qui est vrai. La cause de la maladie est le virus. La cause du drame est le régime chinois, qui a caché la vérité pendant un mois. C’est pour cela qu’il y a aujourd’hui 25 000 morts en France et des centaines de milliers dans le monde.
Les seuls pays qui s’en sont bien sortis sont les quatre démocraties asiatiques : Taïwan, Hong Kong, Singapour et la Corée du Sud, qui bénéficiaient d’expériences antérieures. J’espère que personne ne va me dire : « Et la Chine ? » La Chine qui annonce 4 500 morts sans avoir jamais expliqué à quoi servaient les 50 000 urnes funéraires livrées en urgence, de nuit, dans la seule ville de Wuhan. La Chine dont on ne connaîtra le nombre de morts qu’un jour lointain, comme on n’a connu les 40 millions de morts du Grand Bond en avant que trente ans plus tard, à la mort de Mao.
Quant aux populistes en Occident ? Trump, qui restera comme le président du Make the virus great again, Bolsonaro, qui laisse s’infecter sans protection les habitants de ses bidonvilles, et Johnson, sauvé de peu de ses propres théories sur l’immunité et dont le pays détient désormais la palme européenne des victimes.
Je préfère l’exemple de l’Allemagne démocratique. C’est bien sûr un peu irritant, ces Allemands qui savent toujours où sont rangées les affaires. Mais attention : d’abord, l’Allemagne nous suit de dix jours dans l’épidémie et ses chiffres montent ; ensuite, les résultats allemands sont, hélas, beaucoup plus proches de ceux du reste de l’Europe que de ceux de l’Asie.
C’est bien dans les démocraties d’Asie du Sud qu’il nous faudra chercher les exemples si nous voulons réussir le déconfinement, et non pas chez les dictateurs.
Vous vous apprêtez, monsieur le Premier ministre, à prendre la plus grande décision de cette crise, parce que le déconfinement sera beaucoup plus difficile que le confinement. Vous serez tenté de le faire très prudemment. D’abord parce que, dans nos régimes libéraux, qui s’attachent à rendre impossibles leurs propres décisions, les épées de Damoclès politiques, juridiques et médiatiques vous menaceront à la moindre erreur – les sycophantes ont déjà ouvert leurs dossiers.
Mais votre Rubicon est là et vous n’avez d’autre choix que de le franchir sans trembler. Jusqu’à ce jour, entre laisser mourir des hommes et suspendre l’économie, nous n’avons pas hésité et nous avons choisi le confinement.
Le 11 mai, en ouvrant les rues, les maisons, les entreprises et les administrations, ne laissons personne dire que nous ferions le choix inverse, celui de l’économie contre les hommes. Au contraire, poursuivre le confinement ou déconfiner trop timidement ferait aujourd’hui beaucoup plus de victimes.
D’abord, les victimes, bien plus nombreuses qu’on ne le croit, d’autres pathologies, qui, depuis deux mois, ne se soignent plus. Ensuite, parce qu’une crise économique – et celle qui vient sera l’une des pires – fait bien plus de victimes que le virus, même si le fait de ne pas pouvoir les chiffrer permettra à tous ceux qui n’ont rien compris à l’économie et qui ne l’aiment pas – ils sont nombreux en France – de vous accuser de préférer les profits à la santé de nos concitoyens.
Il faut ouvrir les portes et le faire sans hésiter. Et cela veut dire faire confiance aux Français. Ils ont montré – personne ne l’aurait parié – qu’ils étaient capables, aussi bien que des Coréens ou des Allemands, de respecter un confinement drastique. Ils ont compris les gestes, la prudence et la distanciation. Ils ont aussi compris les risques, et c’est d’ailleurs pour cela que, s’ils souhaitent le déconfinement, ils le redoutent en même temps.
Il y aura des bosses sur la route, monsieur le Premier ministre, mais il faut prendre la route. Richelieu disait : « Il ne faut pas tout craindre, mais il faut tout préparer. » C’est la tâche qui vous attend aujourd’hui, c’est la tâche qui nous attend tous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste.
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, je voudrais commencer mon propos en remerciant l’ensemble de celles et ceux qui font vivre notre pays au quotidien, que ce soient, bien sûr, les soignants et ceux qui concourent aux soins et qui sont en première ligne, ou ceux qui travaillent pour veiller à notre approvisionnement, à l’évacuation de nos déchets, à notre vie quotidienne. Ils méritent notre reconnaissance et je veux les saluer.
Vous, monsieur le Premier ministre, vous concourez aussi quotidiennement à l’action, à faire tourner notre pays.
Dans mon groupe et sur bien des travées de cette assemblée, nombreux sont celles et ceux qui considèrent que, pour le dire un peu trivialement, vous faites le job avec les ministres qui vous entourent, que ce soient ceux qui sont chargés de l’économie à Bercy, celui de l’éducation nationale, ceux qui sont chargés des relations avec les territoires ou avec le Parlement. Je le redis : vous êtes aux avant-postes et vous faites le job.
Bien entendu, cette sympathie et cette compréhension n’emportent pas systématiquement adhésion à toute l’action qui est menée et c’est le rôle du Parlement, justement, que de se montrer critique, de contrôler l’action du Gouvernement et d’examiner les textes qui lui sont soumis. Au demeurant, il travaille lui aussi dans des conditions extrêmement difficiles et contraintes.
Pour autant, vous entendez ici celles et ceux qui expriment les préoccupations des élus qu’ils représentent ou tout simplement de nos concitoyens.
L’un des faits majeurs de cette crise – et cela a été répété à l’envi – restera le problème des masques et des tests. On peut tourner la question dans tous les sens, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, quoi qu’on pense, une très large majorité de Français ne comprend pas pourquoi nous disposions de si peu de masques et pourquoi il est toujours difficile d’en trouver.
S’agissant des tests, la problématique est la même.
Cette semaine, les annonces faites par les grandes chaînes de distribution n’ont rien arrangé à l’affaire. Là encore, vous avez apporté des explications, mais l’opinion publique, au moment où il est encore difficile – y compris pour certains soignants – de trouver des masques dans certains endroits, ne comprend pas que la grande distribution, qui, contrairement à certains élus, n’a pas été réquisitionnée, puisse faire de la publicité pour indiquer qu’elle pourra en vendre prochainement en nombre dans ses magasins.
Le second sujet de préoccupation demeure bien sûr, pour de nombreux élus, celui de l’école. C’est un problème majeur pour beaucoup de collectivités, qui, pour la plupart d’entre elles, sont de taille modeste. Ainsi, 98 % d’entre elles comptent moins de 9 000 habitants et 52 % moins de 500 habitants. C’est dire la complexité de l’action qu’elles doivent mener.
Beaucoup vont essayer de répondre à l’attente des familles, parce qu’il faut bien rouvrir ces écoles. Mais à partir du moment où il a été annoncé qu’elles rouvriraient le 11 mai sur la base du volontariat, on a implicitement reconnu un droit de retrait aux familles et, partant, l’existence d’un risque. Dès lors, beaucoup de familles s’interrogent, surtout au moment où toutes les chaînes de radio et de télévision évoquent la possible émergence d’autres maladies, même si l’on ignore, à ce jour, s’il existe véritablement une corrélation entre celles-ci et le coronavirus. L’inquiétude est donc grande.
Je pourrais également évoquer, monsieur le Premier ministre, les coûts pour les collectivités, source de difficultés très fortes.
Enfin, vous avez abordé la question de la responsabilité, sujet de préoccupation que nous avions été nombreux à faire remonter. Les chefs d’entreprise, les élus, comme beaucoup de responsables associatifs, s’engagent pleinement comme vous le faites vous-même. Pour autant, ils sont inquiets, parce qu’ils savent que leur responsabilité est susceptible d’être engagée.
Mme la garde des sceaux a répondu en expliquant que, en l’état actuel du droit, ils pouvaient être tranquilles. Nous en doutons. Au-delà du droit, il y a la confiance, et préciser les choses, poser des affirmations, accompagner tous ceux qui s’engagent est de nature à redonner de la confiance. C’est tout simplement ce que nous souhaitons faire au travers des amendements qui ne manqueront pas d’être adoptés tout à l’heure.
Monsieur le Premier ministre, vous avez abordé beaucoup de sujets, vous avez apporté beaucoup de précisions et répondu à des demandes déjà anciennes. Je vous en remercie. Pour autant, ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est peut-être davantage de territorialisation. C’est le mot que vous avez employé, mais je n’ai pas entendu dans votre explication comment elle serait déclinée.
Les Français sont confrontés à de nombreux paradoxes : à la télévision, ils voient, d’un côté, des Airbus bondés à bord desquels les gens ne portent pas de masque et, d’un autre côté, des promeneurs se faire verbaliser pour avoir fréquenté une plage. Cette communication est désastreuse pour beaucoup d’entre eux.
Davantage – et vous leur avez en partie répondu – s’inquiètent en disant : « On fait confiance aux commerçants pour rouvrir, mais on ne fait pas confiance aux officiants des cultes pour ouvrir de petites églises, de petits temples, de petites mosquées ou de petites synagogues, ici ou là dans nos provinces. » Vous avez répondu en partie à cette question, mais nombre de nos concitoyens s’interrogent durablement.
Mon groupe souhaiterait que l’on s’oriente davantage vers cette déclinaison territoriale. En faisant confiance à ce que l’on appelle le couple maire-préfet, que vous avez déjà mis en avant, on peut aller beaucoup plus loin et nos concitoyens sont nombreux à demander de la visibilité.
On leur dit qu’il faut attendre le 7 mai pour obtenir certaines précisions, qu’il faudra peut-être attendre le 2 juin pour en obtenir d’autres. Les vacances se profilent sans qu’ils sachent très bien ce qu’ils pourront faire et où ils pourront aller. Pourront-ils aller au-delà des 100 kilomètres dont il est question aujourd’hui ? Je le répète, ils ont besoin d’une plus grande visibilité.
De même, sans une plus grande déclinaison territoriale, à quoi bon avoir des départements en vert et en rouge ?
Beaucoup de nos territoires littoraux ou centraux demandent que les plages ou les forêts soient de nouveau accessibles. De même, on ne comprend pas bien pourquoi des villages qui disposent d’un petit commerce, d’un bar-tabac, ne peuvent pas le rouvrir rapidement alors que les commerces parisiens ou des grandes villes mériteraient d’attendre et d’être mieux organisés.
C’est là une demande très forte et, là encore, nous avons besoin de visibilité.
Nous avons également besoin de visibilité sur différents sujets que vous avez abordés, notamment la culture. Le secteur culturel représente 3 % de notre PIB et il est important, pour tous ceux qui se reconnaissent dans le théâtre, dans le cinéma, dans les musées, qu’ils puissent de nouveau rapidement avoir accès à ces éléments de culture.
Il n’y a pas que les grands musées des grandes villes ; il y a de petits musées, de petites salles, de petits festivals et toutes sortes d’événements qui mériteraient de pouvoir de nouveau fonctionner, sur décision des préfets en lien avec les élus.
Au demeurant, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, que préside Jean-Marie Bockel, a formulé des propositions en faveur d’une territorialisation de ces décisions.
Pareillement, beaucoup de collectivités dépendantes du tourisme attendent avec impatience de connaître les conditions dans lesquelles ces activités vont pouvoir reprendre.
Évidemment, vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre, demain ne sera plus comme avant. Nous connaîtrons des difficultés sociales très fortes à la rentrée, le chômage partiel, ainsi que le ministre de l’économie l’a annoncé, ne pourra pas se poursuivre et, malheureusement, le nombre de chômeurs va continuer de croître. C’est la raison pour laquelle la politique sociale devra être prééminente et tenir compte de ce qui s’est passé, car les Français n’accepteront plus, dans leur grande majorité, qu’on donne beaucoup d’argent aux grandes entreprises sans qu’ils puissent bénéficier d’un retour.
S’agissant de la gouvernance mondiale, puisque vous avez évoqué ce point au début de votre propos, cette pandémie est mondiale et l’on a vu la faillite des grandes institutions de l’après-guerre : l’ONU, l’Europe, le G7, le G20. Nous n’avons pas été en mesure d’apporter des réponses collectives. À l’évidence, il faudra repenser rapidement notre participation aux instances mondiales.
Monsieur le Premier ministre, je conclurai en vous remerciant et en vous indiquant que mon groupe se partagera sur le vote puisqu’une partie de mes collègues votera favorablement alors que l’autre s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Claude Malhuret applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, depuis le début de cette crise, mon groupe s’est donné une ligne et s’y est toujours tenu : exigence et bienveillance. L’exigence, d’abord, c’est celle que nous devons aux Français ; c’est l’exigence démocratique. En ces temps de crise, la démocratie n’est pas une gêne ou un obstacle : c’est une ressource. La bienveillance, ensuite : nous avons voté, ici, au Sénat, tous les textes que vous avez présentés. Même quand nous avions un certain nombre de réserves, nous les avons adoptés. Notre bienveillance, donc, vous l’avez. Mais la confiance que vous nous demandez cet après-midi, nous ne pouvons pas vous l’accorder aussi facilement, pour plusieurs raisons.
La première est que nous ne pouvons plus vous croire sur parole, parce que cette parole a donné lieu à trop de contradictions, à trop de contre-vérités, parfois, aussi, sur ce qui constitue d’ailleurs la clé même, le cœur même, de la lutte contre cette pandémie : la prévention, avec les masques, et le dépistage, avec les tests.
Sur les masques, il y aurait tant à dire ! Vous avez commencé par les proclamer inutiles ; un ministre a pu dire, ensuite, que les Français ne savaient pas les mettre. Et, désormais, les Français seront susceptibles de payer des amendes, parce que les masques, évidemment, seront obligatoires, dans les transports publics notamment.
Vous auriez dû dire dès le départ qu’il y avait un problème de pénurie. Les Français ne sont pas des sots : ils s’en sont rendu compte. Et c’est ce qui a écorné la confiance que vous estimiez, il y a quelques instants, absolument nécessaire en vue du déconfinement. Vous vous êtes abrité derrière les palinodies des scientifiques. Franchement, faut-il être membre de l’Académie de médecine pour constater qu’un masque, cela protège ?
M. Bruno Retailleau. Les scientifiques qui prétendaient l’inverse étaient des Diafoirus. Et personne ne peut dire, au moment où je vous parle, si vous aurez suffisamment de masques, la semaine prochaine, pour protéger tous les Français. Ce doute, nous l’avons.
Autre objet de doute : les tests. En la matière, vous n’avez pas pu vous abriter derrière les changements de pied des scientifiques, puisque, dès le 16 mars dernier, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) alertait très solennellement tous les pays du monde : « Testez, testez, testez ! » Pendant des semaines, la France a été à la traîne, au soixantième ou soixante-dixième rang mondial pour le nombre de tests effectués par million d’habitants. Nous avons, au mois d’avril, testé trois fois moins, mes chers collègues, que la moyenne des grands pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) ! Et vous nous dites que vous seriez en mesure d’atteindre, dès la semaine prochaine, le chiffre de 700 000 tests par semaine ? Que de doutes, là encore : il y a dix jours, nous en étions à 270 000. Il va vous falloir très vite plus que doubler ce chiffre pour arriver aux 700 000 tests.
J’observe d’ailleurs que vous avez dit, à l’Assemblée nationale, que vous alliez massifier les tests, fixant l’objectif à 700 000, mais qu’en même temps le troisième critère auquel devront répondre les départements, déterminant s’ils virent ou non au rouge, est justement la capacité de dépistage. N’y a-t-il pas là une contradiction ?
M. Bruno Retailleau. Devant 36 millions de Français, le Président de la République avait reconnu des ratés, des lenteurs, des lourdeurs. À l’Assemblée nationale, vous avez plaidé l’humilité ;…
M. Bruno Retailleau. … c’est un mot que vous n’avez pas prononcé aujourd’hui…
M. Bruno Retailleau. … et un sentiment auquel, en tout cas, ni le Président de la République ni votre majorité ne nous avaient habitués.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Oh !
M. Bruno Retailleau. Bien sûr, la situation dans laquelle nous nous trouvons est radicalement nouvelle. Mais, justement, cette humilité ne peut être le paravent d’une forme de retard à l’allumage. Tous les pays du monde, en effet, connaissent le même virus ; ils n’obtiennent pourtant pas les mêmes résultats.
Comment expliquer qu’en France il y ait eu des blocages ? Ces blocages ont été idéologiques et bureaucratiques. Idéologiques : comment comprendre autrement le blocage sur la fermeture des frontières ? Le Président de la République, le 10 mars, morigénait le Chancelier autrichien qui venait de fermer sa frontière avec l’Italie ; comment le comprendre ? Comment comprendre, d’ailleurs, que dans le texte que nous nous apprêtons à étudier, les ressortissants de l’espace Schengen fassent l’objet d’un traitement à part, alors que c’est dans l’espace Schengen que le virus circule beaucoup et très vite ?
Comment comprendre, par ailleurs, les difficultés que vous avez eues à mettre dans le coup le secteur privé – cliniques, médecins généralistes, laboratoires –, sinon par le jeu de l’idéologie et de la bureaucratie ?
Pendant que les Français étaient confinés, une petite France semblait, elle, résister encore et toujours au confinement : celle de la bureaucratie, à laquelle se heurtent les laboratoires départementaux. Tant de blocages ! Je citerai aussi les 54 pages du protocole sanitaire prévu pour les écoles, qui sont autant de défausses de l’administration parisienne vis-à-vis des élus.
M. Bruno Retailleau. Sans doute faut-il un certain nombre de précautions, mais, franchement, n’y a-t-il pas là la marque d’une véritable bureaucratie ?
Si nous ne pouvons pas voter le plan que vous nous présentez aujourd’hui, c’est donc parce que nous ne pouvons plus vous croire sur parole : nous attendons les faits.
Mais il y a une autre raison, qui me semble encore beaucoup plus importante, et sur laquelle je vous ai alerté depuis des semaines, ici même, au Sénat. Oui, il faut déconfiner. Oui, nous sommes favorables au déconfinement, parce que les inconvénients du confinement sont désormais, y compris en termes sanitaires, supérieurs à ses bénéfices. Mais ce plan de déconfinement ne saurait être un pari à quitte ou double !
Je vous ai entendu, à l’Assemblée nationale, prononcer une phrase clé qui résume peut-être votre climat intérieur, en tout cas la tonalité de l’ensemble de votre discours – je vous cite, mot à mot : « Si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, nous ne déconfinerons pas. » Mais les indicateurs, monsieur le Premier ministre, ne sont pas affaire de météorologie ! La question est, en d’autres termes : avons-nous ou non créé les conditions pour que les indicateurs soient au vert ?
J’ai dit à plusieurs reprises, au Sénat, que le confinement était une juste décision. Cette stratégie défensive, qui consiste à mettre la France sous cloche, aurait nécessairement dû – ce fut le cas dans certaines grandes démocraties asiatiques et européennes – être assortie d’une stratégie parallèle beaucoup plus offensive de protection, de dépistage, de traçage et d’isolement des personnes susceptibles d’être contaminées.
Tout cela, vous auriez pu le faire avant ! Partout en France, des milliers d’hôtels totalement vides étaient disponibles : nous aurions pu isoler des personnes qui avaient été en contact avec des malades. Même chose pour l’application numérique que nous n’aurons pas : nous aurions pu y travailler avant. Elle n’est pas prête, et si nous devons y avoir recours, sans doute devrons-nous passer sous les fourches caudines des Gafam. Quant aux brigades, derechef, nous aurions pu les former avant ! Il n’y avait pas besoin pour cela d’un fondement législatif ; il n’y avait pas besoin d’attendre le dernier moment.
Oui, il y a eu un temps de retard ! Oui, les doutes sont trop nombreux, monsieur le Premier ministre. J’ai conscience, comme mes collègues ici présents, qu’il s’agit sans doute, de toutes les décisions que vous avez prises, de la plus difficile et de la plus grave. Je ne dis pas qu’elle est simple ; je dis seulement que nous aurions pu, à l’instar d’autres pays, avoir une autre stratégie, qui aurait complété celle du confinement.
La France a été mise sous cloche ; nous nous apprêtons à soulever cette cloche, sans savoir ce que nous allons trouver.
Vous pouvez compter sur notre bienveillance. Mais nous avons des doutes. C’est la raison pour laquelle nous allons très majoritairement, massivement même, nous abstenir. Vous pouvez compter sur nous pour améliorer le texte que vous allez nous soumettre dans quelques heures. Il y a énormément de choses à faire en matière de responsabilité, ce qui ne veut pas dire – vous avez raison, monsieur le Premier ministre – exonérer les responsables de leurs responsabilités. Il nous faut être clairs envers celles et ceux qui doivent concourir à l’application des décisions de l’État.
En tout cas, comme je l’ai dit, nous restons disponibles pour améliorer ce texte. Sans méconnaître la difficulté de votre situation – vous n’avez pas choisi la date du 11 mai –, je pense qu’il faut impérativement, désormais, faire en sorte que la France puisse retrouver le peloton de tête des pays qui, dans le monde entier, ont su combattre efficacement cette pandémie, en essayant de casser les chaînes de contamination, ce que jusqu’à présent nous n’avons pas fait. Nous avons freiné l’épidémie, mais nous ne lui avons pas cassé les reins. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains. – Mme Sophie Joissains et M. Hervé Maurey applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, mes premiers mots, comme ceux de beaucoup de mes collègues, iront, bien sûr, à nos concitoyens, soignants, travailleurs, qui, depuis plusieurs semaines, tiennent, risquant leur santé, perdant leur vie pour certains – je veux leur rendre hommage –, ainsi qu’aux millions de Français qui sont chez eux, confinés. Le pays tout entier est mobilisé pour faire face, et chacun doit assumer sa responsabilité.
La vôtre, monsieur le Premier ministre, est de veiller à ce que les Français soient protégés face à un virus mortel, une « vacherie », disait le professeur Delfraissy ; à ce qu’ils soient protégés des conséquences d’une maladie qui mine nos habitudes, nos manières de vivre et de travailler, mais qui ne doit pas provoquer un effondrement économique. La grande faucheuse sanitaire ne doit pas se muer en une grande faucheuse sociale.
Certes, les incertitudes sont encore nombreuses. Bien qu’elle ait envahi nos vies, cette maladie est encore très mal connue : pas de vaccin, ni de traitement, ni non plus, peut-être, d’immunité. Les horizons sont bien tristes ; ils sont en tout cas, concernant le vaccin, très lointains. Cela nous incite à l’humilité et à la remise en question.
La seule certitude que nous avons aujourd’hui est que nous allons devoir vivre de longs mois avec ce virus. Ce constat étant fait, le défi du déconfinement est une étape cruciale. Nous savons qu’un déconfinement raté serait le prélude à un reconfinement assuré. Une deuxième vague réduirait à néant les efforts fournis jusqu’à présent et viendrait heurter de plein fouet un système de santé déjà très affaibli par la première vague.
Le déconfinement est un pari à haut risque, monsieur le Premier ministre. La date du 11 mai a été fixée, mais cette annonce avait-elle été vraiment préparée par un travail de fond de votre gouvernement, dans une logique de rétroplanning ? Permettez-moi, sur ce point, de m’interroger. Il faut évidemment déconfiner dès que possible ; mais « dès que possible » veut dire : dès que nous avons les garanties nécessaires. On ne doit pas faire de pari sur la santé ou les libertés des Français. Pour ne pas faire du 11 mai une chimère, il faut de la clarté et des moyens.
Répondre au besoin de clarté de la population doit être la première préoccupation de votre gouvernement : il faut en finir avec les injonctions contradictoires que nous connaissons depuis plusieurs mois. J’ai en mémoire vos propos rassurants, le 27 février, quand vous aviez réuni à Matignon les présidents de groupes et les patrons de partis. Nous étions sortis de cette réunion, sinon rassurés, en tout cas rassérénés.
Les injonctions contradictoires, les ordres et les contre-ordres ajoutent de l’anxiété à une période qui n’en manque pas. Mais, par-dessus tout, cela fait courir un risque sanitaire. Il faut que les règles édictées soient comprises et partagées, afin d’éviter une deuxième vague.
J’en donne une illustration, cela a déjà été dit : le manque de garanties concernant l’accessibilité des masques aux Français, et l’absence de prise de position du Gouvernement sur la gratuité. Avec le temps qui passe, les Français se sont rendu compte que, contrairement à ce qui était avancé, les masques ne sont pas inutiles s’ils deviennent une protection collective et massive. Nous avons donc du mal à comprendre pourquoi les masques seraient obligatoires à l’école et dans les transports alors qu’il n’existe aucune obligation de les porter au travail ou dans les lieux publics. Nous souhaitons avoir des éclaircissements sur ce point.
Si la limite à cette mesure est le manque de masques disponibles, il est incompréhensible de voir les grands distributeurs faire les annonces qu’ils font aujourd’hui, à coups d’arrivages par millions. Le commerce, dans le contexte actuel, n’a pas de sens. L’État doit prendre ses responsabilités et ne pas craindre de poursuivre ses réquisitions pour permettre à l’ensemble des Français d’être correctement protégés dès qu’ils entrent dans l’espace public.
Quant aux tests, nous demandons des points d’étape réguliers sur leur nombre et les garanties entourant leur disponibilité. Je ne vous rappellerai pas, monsieur le Premier ministre, qu’il y a encore à peine un mois nous étions à 5 000 tests par jour ! Vous nous annoncez 100 000 tests par jour le 11 mai ? Tant mieux ! Mais nous serons là pour vérifier que cet engagement sera bien respecté.
La prise en charge de l’isolement des personnes malades doit également être assumée par l’État lorsque celles-ci ne disposent pas d’un lieu où s’isoler.
La question de la restriction des libertés publiques proportionnée à l’urgence doit elle aussi être traitée avec le plus de clairvoyance possible. S’il faut donner les moyens aux brigades sanitaires de faire leur travail, il convient de repousser les dispositifs inefficaces et dangereux pour la liberté des Français, comme l’application StopCovid. La ligne de crête est étroite, mais la République doit veiller à ne pas céder à la panique et continuer à garantir les libertés fondamentales. Vous sembliez douter, à l’Assemblée nationale, de la pertinence de ce dispositif. Mais, à en croire les propos tenus il y a quarante-huit heures par votre porte-parole, il semblerait que ce chantier, loin d’être abandonné, puisse être opérationnel dès le début du mois de juin. Monsieur le Premier ministre, cette idée de traçage anonyme est un dangereux oxymore.
S’il n’est pas possible, le 11 mai, de déconfiner tout en respectant la sécurité des Français, il faut remettre en question cette date. Vous répétez que vous y êtes prêt – nous l’avons entendu –, mais nous espérons que cette échéance ne sera pas un totem au motif qu’elle aurait été annoncée par le Président de la République. En toute hypothèse, nous ne vous donnerons pas – cette chambre, en tout cas, ne vous la donnera pas, manifestement – d’habilitation à prendre une nouvelle ordonnance sur un sujet, celui des libertés individuelles, qui relève expressément de l’autorité du Parlement.
M. Philippe Bas. Très bien ! (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Kanner. Le conseil scientifique a fixé des prérequis sanitaires pour le déconfinement. Si ce conseil est consultatif, il ne doit pas devenir décoratif. (Sourires.) Pour ne pas avoir suivi ses recommandations concernant les écoles, vous finissez par créer un doute dans l’esprit des Français. L’école ne doit pas devenir le symbole de l’échec du déconfinement. Or la reprise progressive de l’école sur une base volontaire traduit l’incertitude relative aux conditions de sécurité sanitaire. Le risque que fait courir une reprise anticipée aux enseignants et aux élèves est trop grand ; il est urgent d’attendre pour que l’école ne devienne pas le creuset d’une nouvelle catastrophe sanitaire.
De nombreux maires s’inquiètent de la faisabilité de cette reprise. Plusieurs centaines d’entre eux vous ont écrit et ont demandé au Président de la République, hier, de repousser la réouverture des écoles. Quelle réponse leur apporterez-vous ? L’État ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en faisant peser la décision de la rescolarisation sur les parents et la décision de la réouverture sur les maires seuls. L’école à la carte, à pile ou face ou sur un coup de dé n’est pas conforme au principe républicain d’égalité. Vous n’avez pas anticipé le désarroi des parents, des enseignants, des élus.
Dans ce contexte très particulier, il conviendra de clarifier les conditions dans lesquelles la responsabilité des maires peut être engagée. Vous avez commencé, monsieur le Premier ministre, à répondre à cette question de la protection des élus locaux, ces hussards de la République qui, au plus près de leurs concitoyens, ne disposent pas toujours des moyens de protection nécessaires à l’ouverture des lieux recevant du public – nous y reviendrons au cours du débat sur le projet de loi que nous nous apprêtons à examiner.
Vous avez pris par ailleurs, monsieur le Premier ministre, des mesures d’assistance en faveur des plus démunis. Nous les saluons – je pense notamment à celles que vous avez annoncées pour les jeunes les plus en difficulté. Mais le projet de loi d’urgence que nous sommes sur le point de discuter n’anticipe pas une menace qui va certainement se concrétiser. L’augmentation du chômage est certes amortie par le chômage partiel, qui touche aujourd’hui un salarié du privé sur deux dans notre pays. J’en profite pour rappeler que le chômage partiel n’est pas une faveur. (Mme Sophie Primas s’exclame.) Vous évoquez souvent la notion de générosité, mais ces salariés n’ont rien demandé : ils subissent la crise de plein fouet. Cette augmentation du chômage définitif, donc, méritera sûrement un ensemble complet de réponses de la part votre gouvernement.
Des mesures doivent être prises ! Il faut empêcher que de nombreux Français ne tombent dans la précarité. Vous semblez redécouvrir ce choix de société qu’est l’État-providence et les « jours heureux » afférents, ceux du Conseil national de la résistance. Allons-y ! Prolongeons le chômage partiel ; arrêtons de précariser les chômeurs et abrogeons définitivement votre réforme injuste de l’assurance chômage ; engageons des négociations salariales ; créons le revenu de base ; abandonnons votre projet mortifère de réforme des retraites ! (M. François Patriat s’exclame.) Ces mesures prioritaires avaient selon nous leur place dans le projet de loi examiné ce soir. Ce texte aurait dû être un projet de loi d’urgence sanitaire et sociale. Malheureusement, il n’en est rien.
Vous le voyez, nos craintes sont nombreuses. Le temps qui m’est imparti ne me permet pas de développer bien d’autres sujets que nous évoquerons à l’occasion de questions complémentaires. En particulier, l’équilibre fragile entre la sécurité sanitaire des Français et la protection de leurs libertés individuelles sera au cœur de notre débat.
Monsieur le Premier ministre, vous nous trouverez toujours à vos côtés pour accompagner les Français. Nous avons d’ailleurs adopté les deux projets de loi de finances rectificative. Mais l’exercice, aujourd’hui, est différent, face à la crise. Aujourd’hui, vous nous demandez de vous accorder notre soutien. Mais le soutien se construit dans la confiance : confiance dans la gestion passée, confiance dans les choix à venir, confiance dans les moyens développés et déployés.
J’ai le regret de vous annoncer qu’aux yeux du groupe socialiste et républicain, le compte n’y est pas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, au nom du groupe du RDSE, je voudrais tout d’abord avoir une pensée compatissante pour tous nos compatriotes emportés par le Covid-19, pour leurs familles, pour leurs amis, pour leurs proches, qui, bien souvent, n’ont pu se recueillir comme ils l’auraient souhaité.
À l’évidence, nous avons plus que jamais besoin d’humanité, alors que nos sociétés modernes sont devenues des monstres de complexité et de technologie, innervés de connexions innombrables et mondiales. Pour autant, le progrès technique n’empêchera jamais le drame intime dans toute sa crudité, car nous demeurons ontologiquement fragiles. Trop sûrs de notre maîtrise de la nature, nous en oublions notre finitude. Le rappel actuel est violent, mais c’est aussi dans la science que nous plaçons aujourd’hui nos espoirs, saluant à juste titre – mon groupe s’est une nouvelle fois joint à cet hommage – le travail exceptionnel de l’ensemble du personnel médical et des chercheurs.
Monsieur le Premier ministre, vous l’avez dit la semaine dernière et rappelé il y a quelques instants : face à la situation exceptionnelle que connaît notre pays, le confinement reste le meilleur outil pour contenir l’épidémie, au prix d’efforts intenses de chacun, d’un sens civique aigu, mais aussi de conséquences vertigineuses – la crise économique et sociale frappe déjà. Oui, les contaminations reculent, les admissions en réanimation diminuent. Néanmoins, le combat sera encore long. Aucun relâchement n’est possible si nous voulons éviter une seconde vague. Comme le dit notre collègue le docteur Véronique Guillotin, nous devons apprendre à apprivoiser ce virus que seul le vaccin pourra tuer.
Pour autant, le prix du confinement est élevé pour nos compatriotes : isolement social, pertes de revenus, faillites d’entreprises, aggravation des fractures sociales et territoriales, la liste est longue, car notre pays, comme les autres, s’est quasiment arrêté du jour au lendemain.
Déconfiner est donc une nécessité absolue, pour relancer notre économie, bien sûr, donner les moyens aux services publics de fonctionner et, surtout, répondre aux angoisses de notre inconscient collectif. Plus que jamais, la solidarité doit être au cœur de notre action collective. Le déconfinement suppose donc humilité et responsabilité. De ce point de vue, monsieur le Premier ministre, mon groupe partage votre approche à la fois pragmatique, progressive et territorialisée. Les détails peuvent, eux, toujours être débattus, mais la préservation de nos libertés ne se discute pas.
Nous sommes sur un fil – c’est votre expression – dans la perspective du 11 mai. Les conditions sont drastiques – vous les avez rappelées : capacité à tester massivement, moindre circulation du virus, état des hôpitaux, baisse du taux de contamination par malade, le fameux R0. Nous mesurons pleinement la difficulté et la gravité des décisions à prendre en vue de préserver la continuité de notre pacte républicain.
À ce titre, je voudrais insister sur un point : aucune instance, si éminente soit-elle, ne saurait substituer son appréciation à celle de l’autorité politique légalement formée. Les avis du conseil scientifique sont certes indispensables, mais ils ne sont pas contraignants. Leur publication en temps réel doit absolument être mise en perspective avec le temps de la décision politique.
Monsieur le Premier ministre, si nous souscrivons à votre objectif et à votre approche, de nombreuses incertitudes persistent. J’ai d’ailleurs une modeste suggestion à vous faire quant à la carte publiée chaque jour : n’oubliez pas d’y inclure tous les territoires ultramarins de la République, comme Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, et pas seulement les départements d’outre-mer ; je sais que nos concitoyens des collectivités d’outre-mer y seront sensibles.
Mme Françoise Laborde. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Plus largement, les élus locaux, les maires en première ligne, ont admirablement rempli leur rôle, y compris ceux qui vont passer la main d’ici peu. De nombreuses initiatives locales ont permis de conserver un lien social de qualité au plus près de nos concitoyens, et en particulier des plus fragiles, malgré la complexité normative. Tous attendent maintenant que soit fixée la suite du calendrier électoral, sans oublier qu’il faudra aussi rapidement stabiliser les exécutifs intercommunaux pour solidifier leur action.
Je voudrais également saluer toutes les collectivités qui se sont engagées pour soutenir financièrement les PME en difficulté, en dépit d’un cadre juridique inextricable, sur lequel nos collègues Raymond Vall et Josiane Costes ont donné l’alerte.
À l’approche du 11 mai, la réouverture des écoles est une autre source d’inquiétude, pour les élus comme pour les enseignants, parents et enfants. La diffusion des protocoles sanitaires ne devrait y remédier qu’en partie, car, vous le savez, la question des responsabilités administrative et pénale des élus cristallise l’attention. Nous aurons tout à l’heure ce débat, lors de la discussion du projet de loi. Mais je tiens d’ores et déjà à dire qu’il n’est pas question pour mon groupe de laisser les élus locaux supporter seuls le poids de responsabilités qui ne sont pas les leurs.
Quelques mots encore sur un sujet que vous avez brièvement évoqué, celui de la culture, cher notamment à Françoise Laborde. Ce secteur, qui contribue tant à notre rayonnement et à notre vie sociale, est évidemment très inquiet, sachant que le risque de déstabilisation durable est réel. Les professionnels attendent de la visibilité, mais espèrent aussi un protocole sanitaire précis pour préparer la reprise de leurs activités.
Monsieur le Premier ministre, il est toujours plus facile d’être dans la posture du commentateur que dans celle du décideur. Il sera toujours temps, dans les prochains mois, d’analyser les dysfonctionnements de l’action publique ; mais, si nous le faisons, c’est toujours, pour notre part, avec le souci de conforter et de faire prospérer l’intérêt général. Tel est le sens de l’initiative, soutenue par mon groupe, de notre collègue Nathalie Delattre visant à ce que toute la lumière soit faite, dans la sérénité et sans polémique, sur la possible constitution en amont de stocks de masques par la grande distribution.
La discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire permettra d’aborder en profondeur de nombreuses questions qui interpellent nos compatriotes. Mon groupe, par la voix de Maryse Carrère, rappellera son attachement viscéral aux libertés publiques, que même une grave épidémie ne saurait mettre en suspens.
Pour l’heure, après vous avoir attentivement écouté et vu les enjeux pour notre pays et nos concitoyens, une large majorité du groupe du RDSE approuvera votre déclaration. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. François Patriat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’organisation des débats est ainsi conçue que ma réponse sera suivie d’une séquence de questions plus précises, permettant des réponses probablement elles aussi plus précises de la part de l’ensemble des membres du Gouvernement. Je ne crois donc pas possible d’aborder, à l’occasion de cette réponse, l’ensemble des sujets que vous avez évoqués.
Je voudrais d’abord remercier l’ensemble des orateurs pour leurs propos. Permettez-moi de saluer, au premier rang d’entre eux, ceux qui ont relevé la difficulté du moment et exprimé leur soutien au Gouvernement.
Sans répondre sur tous les sujets, je voudrais, avec le président Requier, faire le constat que la critique est facile et l’art difficile – c’était le sens de votre propos, monsieur le sénateur. Je ne dénigre pas ceux qui critiquent ; il se trouve qu’il est souvent plus facile d’avoir un avis sur une décision que quelqu’un d’autre prend. C’est un fait ! Il ne faut pas s’en excuser pour autant, de même qu’il ne faut pas, lorsque vous prenez les décisions, s’irriter des critiques, mais écouter ceux qui critiquent, lesquels, justement, vous éclairent et peuvent même parfois vous permettre de corriger des décisions qui auraient été prises trop rapidement ou de façon erronée.
Beaucoup d’entre vous – c’est vrai dans cet hémicycle comme à l’extérieur – ont évoqué la difficulté de la communication en période de crise et se sont fait l’écho des critiques formulées à l’égard du Gouvernement, visant sa façon de prendre des décisions et de les présenter.
Pour illustrer néanmoins la difficulté de cette tâche, je voudrais utiliser la question qui a été posée par le président Kanner à propos de l’application StopCovid. J’ai indiqué, à l’Assemblée nationale, à quoi pouvait servir cette application, en prenant soin de dire – je pense que vous vous en souvenez, monsieur Kanner, puisque vous avez manifestement écouté ce débat – que cet instrument ne pouvait avoir de sens, s’il en avait, qu’à titre modestement complémentaire de l’ensemble des autres mesures nécessaires pour remonter les chaînes de contamination. J’ai précisé qu’il pouvait être utile dans les circonstances où il est très difficile d’employer les autres instruments disponibles, à savoir ces moments où l’on se trouve dans un lieu de grande densité et d’anonymat.
Vous êtes dans une rame de métro, avec quarante personnes ; vous ne les connaissez pas, elles ne vous connaissent pas, elles peuvent être près de vous, même si la distanciation physique s’impose en toutes circonstances. Si vous êtes testé positif, vous aurez beau tout dire au médecin ou, par exemple, au salarié de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) qui vous demandera de lui raconter votre journée afin de pouvoir appeler les personnes avec qui vous êtes entré en contact, vous aurez du mal, monsieur Kanner, à donner l’identité de celui qui se trouvait dans le métro en face de vous à 7 heures 46… Et lui aura du mal à savoir que vous-même avez été testé positif le lendemain ! Vous pourrez toujours vous retourner vers la RATP ; elle sera incapable de vous dire qui était dans le métro à cette heure-là.
Dans ce cas-là, qui n’est pas totalement improbable, l’application StopCovid peut être un outil de plus. En effet, dans l’hypothèse, parmi toutes celles qu’il faut envisager, où vous seriez équipé d’un téléphone, ainsi que la personne en face de vous – c’est une hypothèse raisonnable dans le métro (Sourires.) –, où vous auriez tous les deux choisi – car il faut une démarche volontaire – d’utiliser cette application – hypothèse, là aussi, raisonnable, mais pas absolument certaine –, alors vous pourriez être informé, et vous pourriez informer de façon anonyme, sans savoir qui était en face de vous, quelqu’un qui serait resté à moins d’un mètre de vous pendant trois minutes, et ce grâce à cette connexion Bluetooth sur laquelle les scientifiques et les techniciens travaillent.
Vous le voyez, dans ce cas-là, et sans doute dans ce cas-là seulement, cet instrument, s’il peut comporter des risques, peut aussi présenter un intérêt. C’est ce que j’ai indiqué à l’Assemblée nationale en disant que cette application n’était pour l’instant pas prête, car techniquement, elle n’avait pas obtenu toutes les validations requises, et que nous n’allions pas nous poser la question de savoir s’il fallait l’utiliser dès lors qu’elle n’était pas prête, car les questions théoriques, c’est bien, mais pour l’instant, je préfère me poser des questions pratiques ! Quand elle sera prête, si tel est le cas, nous organiserons un débat suivi d’un vote, avant qu’elle puisse être utilisée. Tout cela, je l’ai indiqué clairement, et je crois que vous l’avez clairement entendu.
Pourtant, monsieur le président Kanner, dans votre intervention, vous nous dites que tout cela n’est pas clair, parce que la porte-parole du Gouvernement a déclaré que l’on continuait à travailler sur cette application. C’est pourtant parfaitement conforme à ce que j’ai indiqué : en effet, on continue à travailler sur cette application. Est-ce qu’elle fonctionnera ? Je ne le sais toujours pas. Et lorsque ce sera le cas, pourrons-nous l’utiliser ? Cela dépendra d’un débat, avec un vote, exactement comme je m’y suis engagé.
M. Patrick Kanner. Et une loi, monsieur le Premier ministre ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Qu’est-ce qui vous dit qu’une loi serait nécessaire en la matière ? Rien. Si le système est totalement volontaire et anonyme, nous n’aurons pas besoin de loi. Ce serait ainsi, je n’y peux rien, parce que nous respecterions un certain nombre de conditions qui sont déjà prévues dans la loi. En tout état de cause, un débat aura lieu.
Il est un point que je tiens à souligner, monsieur le président Kanner, et je ne crois pas une seconde que vous ayez posé cette question de mauvaise foi : expliquer quelque chose, avec parfois des nuances, parfois des hypothèses – je ne dis pas que nous le faisons toujours bien –, c’est toujours s’exposer à la critique de quelqu’un qui, quelques jours plus tard, vient dénoncer ce qui serait une incohérence, alors qu’il s’agit en réalité d’une branche de l’alternative. C’est exactement ce que vous avez fait – je le redis, sans aucune mauvaise foi, j’en suis intimement persuadé –, en soulevant un éventuel décalage entre les propos de la porte-parole du Gouvernement et mes déclarations à l’Assemblée nationale. Il n’y en a aucun, et tout ce que j’ai dit devant les députés reste valide.
Monsieur le président Retailleau, je vous remercie de votre bienveillance (Sourires ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.),…
M. François Patriat. Elle est toute relative !
M. Bruno Retailleau. C’est la démocratie !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … même si cette perle est parfois entourée d’une gangue de prudence, voire de timidité… (Mêmes mouvements.)
M. Bruno Retailleau. Merci de me comprendre !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela étant, il est un certain nombre de sujets sur lesquels je suis en désaccord avec vous.
Vous avez évoqué comme une question problématique sur laquelle une clarification s’imposerait, parmi les trois batteries d’indicateurs que nous avons choisi de mettre en place pour savoir si un département était vert ou rouge, c’est-à-dire si le virus circulait rapidement ou lentement, la batterie de tests…
M. Bruno Retailleau. Et la capacité !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … et la capacité à remonter les chaînes de contamination.
Or c’est exactement ce que nous avons voulu faire, à savoir créer un instrument qui ne serve pas simplement à mesurer le nombre de cas ou la pression sur un département, pas plus qu’à mesurer la disponibilité des lits de réanimation, instrument, je le dis à l’attention de M. le sénateur Adnot, qui est par nature régional – nous l’avons d’ailleurs vu à l’occasion de la première vague –, et bien que des services hospitaliers de réanimation soient présents dans chaque département.
Il fallait une troisième batterie d’indicateurs, celle qui détermine chaque jour – je dis bien chaque jour, monsieur le président Retailleau – la capacité à remonter l’ensemble des chaînes de contamination qui sont susceptibles d’apparaître dans un département.
Prenons un exemple simple. J’espère qu’il n’arrivera jamais, mais comme je suis aussi obligé de prévoir des événements défavorables qui pourraient arriver, je m’y emploie.
Imaginez que, dans un département, les brigades soient constituées, comme cela se passera à partir du 11 mai, et les tests disponibles – tout va bien. Le premier jour, 25 cas nouveaux sont enregistrés, pour lesquels on est capable d’effectuer les tests, puis de remonter les chaînes – ça se passe bien. Le lendemain, 30 cas nouveaux sont diagnostiqués – les choses continuent à bien se passer grâce à l’action des préfets et de l’ensemble des acteurs locaux. Les autres indicateurs sont au vert, tels que les tests et la remontée des contacts.
Imaginez que, pour une raison ou une autre, qu’elle soit pratique, organisationnelle ou matérielle, l’instrument qui permet de remonter les chaînes de contamination fonctionne moins bien ou ne soit plus opérationnel, par exemple parce qu’il est débordé. Ce jour-là nous ne sommes plus en mesure, dans un tel département, de garantir la remontée de l’ensemble des chaînes de contamination. Ce jour-là, on a un vrai problème dans le département ! Je suis obligé d’y penser. J’espère évidemment que cela n’arrivera pas, mais si, à un moment donné, nous n’étions plus capables de remonter les chaînes de contamination et, par conséquent, de contenir l’épidémie dans un département, celui-ci passerait probablement du vert au rouge.
M. Bruno Retailleau. C’est parce qu’il n’y aura pas assez de tests !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le problème aujourd’hui, ce n’est pas tant les tests que les bras, autrement dit la capacité à les réaliser, ou plutôt, à les exploiter. En effet, matériellement, nous aurons les moyens de tester. Toutefois, les tests n’ont pas seulement pour objectif de savoir si telle personne est positive ou négative. Leur réel intérêt, une fois que le résultat est positif, est ensuite de pouvoir remonter systématiquement, et de manière efficace, jusqu’aux vingt-cinq ou trente personnes – peut-être douze – que le patient a croisées la veille et le jour même, et ce afin d’être en mesure de tester celles-ci.
Si cet instrument de remontée des chaînes de contamination n’était plus opérationnel quelque part, il faudrait en tirer les conséquences. J’en suis convaincu, monsieur le président Retailleau, vous savez parfaitement que, si nous ne regardions pas ces données au jour le jour en période de déconfinement, nous commettrions une erreur.
Vous nous avez invités à l’humilité, non pas comme une excuse – je n’en cherche aucune –, mais comme une forme de reconnaissance de ce qu’on ne sait pas. J’ai eu l’occasion de dire plusieurs fois que je ne savais pas tout. Lorsque des controverses médicales entre scientifiques sont intervenues sur les différents traitements visés, je me suis bien gardé de dire qui avait raison et qui avait tort. Je n’ai aucune compétence en la matière, et j’ai eu l’humilité de le dire. J’ai aussi déclaré que j’attendrais les procédures habituelles, expérimentales, ainsi que les revues par les pairs, qui permettraient de déterminer si, oui ou non, il existait des preuves de l’efficacité de tel traitement.
Monsieur le président Malhuret, vous nous avez indiqué que la recherche allait vite. Certes, mais elle prend aussi du temps, et en l’admettant, je crois faire preuve d’une humilité que n’ont pas toujours ceux qui, pour des raisons qui leur appartiennent, ont décidé qu’un traitement donné devait par nature être efficace, et donc distribué, alors même que tous les éléments de démonstration n’étaient pas réunis.
Sur les obstacles bureaucratiques et idéologiques à la levée d’un certain nombre de verrous – je pense notamment à l’utilisation des laboratoires sanitaires –, il est vrai que notre pays impose de nombreuses règles, notamment en matière sanitaire, qui ont été accumulées dans le temps, « sédimentées », mais elles ont été prises chaque fois pour une bonne raison : si des laboratoires ne sont pas autorisés à réaliser certaines activités, c’est parce que les protocoles qui ont été progressivement mis en place sont de plus en plus protecteurs. On trouve toujours derrière la réglementation sanitaire des considérations qui ont été jugées par les pouvoirs en place excellentes, et je ne les conteste pas. J’observe que vouloir lever, et rapidement, les dispositifs un par un est un exercice qui, lui aussi, renvoie à une certaine forme d’humilité – croyez-moi ! Heureusement, nous y sommes parvenus collectivement, même si j’aurais préféré que nous soyons plus rapides. Nous allons pouvoir en bénéficier avec la multiplication du nombre de tests.
Monsieur le président Marseille, je vous remercie de vos propos, eux aussi bienveillants et exigeants, notamment de vos questions concernant les inquiétudes et les difficultés liées à l’ouverture des écoles. Ces questions ne m’ont bien sûr pas échappé, et nous essayons d’y répondre. Là encore, l’exercice se révèle difficile.
En effet, donner quelques directions vagues, ou claires, mais formulées en termes de principes, c’est à coup sûr, vous le savez, s’exposer à la critique de ceux qui diront : « Vous avez formulé quelques principes clairs, mais sur le terrain, vous laissez les gens se débrouiller. » Dans le même temps, énoncer quasiment au cas par cas, si j’ose dire, les bonnes pratiques correspondant à la doctrine sanitaire, c’est s’exposer à la critique de ceux qui diront : « C’est trop, vous voulez tout régenter, laissez-nous adapter les règles. »
Autrement dit, en la matière, mais j’en ai pris mon parti, monsieur le président Marseille, quoi qu’on fasse, on est critiqué ! Ce n’est pas illégitime, car, je le redis, tout peut être utile, et je ne le prends pas du tout à la légère. Mais nous avons fixé des règles, donné une doctrine et indiqué – combien de fois, monsieur le président Marseille ! – qu’il était possible de s’adapter localement, c’est-à-dire d’utiliser l’esprit de la règle afin de trouver la meilleure solution. Ces consignes, je les ai transmises à tous les préfets, à tous les recteurs ; je les ai répétées, et je les redirai systématiquement.
Mes retours, monsieur le président Marseille, je suis certain qu’ils correspondent aux vôtres : dans un très grand nombre de communes, les élus locaux, les adjoints au maire chargés de l’éducation ont commencé à intégrer ces doctrines, en disant parfois qu’il y en avait trop, ou pas assez, et en étudiant la situation, école par école, afin de trouver la meilleure organisation possible.
À la vérité, dans certains endroits, la situation va être très difficile, mais dans beaucoup d’autres, tout va bien se passer – j’en ai la conviction. J’observe d’ailleurs avec intérêt qu’un certain nombre de ceux qui critiquent ces éléments d’indication mettent en place, dans leur commune, des modalités d’organisation de la réouverture des écoles en les respectant. Je ne dis pas qu’ils le font de gaieté de cœur, mais comme ils ont la responsabilité chevillée au corps, ils essaient de trouver des solutions locales conformes à la doctrine. C’est la meilleure façon d’avancer !
Vous avez indiqué à juste titre, monsieur le président Marseille, la difficulté qui résulte de l’incertitude. Je la comprends parfaitement, car, au-delà des seuls acteurs économiques, l’incertitude qui pèse sur l’avenir de tous est exaspérante, inquiétante : elle mine, elle fatigue à bien des égards ceux qui ne savent pas comment organiser leur vie familiale ou professionnelle et qui ont parfois des décisions importantes à prendre.
Comment répondre à une telle situation, monsieur le président Marseille ? On pourrait dire des choses définitives, très brutales. Je ne veux pas me comparer à des chefs d’État qui dirigent de grandes puissances outre-Atlantique – je n’en ai ni le physique ni le caractère (Sourires.) –, mais je note que ceux qui font les réponses les plus définitives en la matière ont rarement raison et se voient régulièrement obligés de changer de pied, ce qui n’est jamais simple !
Je me garde d’agir ainsi, en essayant d’expliquer au mieux – c’est cela qui est intéressant, même si c’est compliqué – les critères que je mets sur la table et qui, s’ils sont réunis, permettent de passer à l’étape suivante. La méthode qui a été retenue par le Gouvernement, c’est de donner le maximum de lisibilité, voire de prévisibilité, aux décisions que nous prenons.
Quant aux certitudes, il est bien difficile d’en donner. Nous avons néanmoins déclaré que certaines choses seraient interdites jusqu’au 2 juin – c’est difficile à supporter, mais c’est une certitude –, que les grands festivals culturels n’auraient pas lieu avant le 31 août, alors même que nous ne savons pas quelle sera la situation fin juillet. Peut-être certains auraient-ils préféré que l’on attende cette échéance pour l’annoncer, mais le risque, l’incertitude était énorme. Nous avons choisi de donner une certitude.
Nous allons essayer, au fur et à mesure, d’expliquer les critères de nos choix, les étapes que nous voulons passer, et, pour chacune d’entre elles, en fonction de quels indicateurs. Je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement, mais je suis évidemment ouvert à toutes les propositions.
J’entends votre théorème, monsieur le président Malhuret, de même que votre invitation à faire attention aux bosses sur la route ! Je ne doute pas que nous en trouverons sur notre chemin, car la route ressemble plus souvent à une piste – pour employer une image – qu’à une autoroute. (Nouveaux sourires.)
Enfin, monsieur Adnot, je regrette votre changement concernant le vote, d’autant que je crois avoir répondu à vos questions sur le critère des cartes départementales et sur la doctrine sanitaire à l’école. Je reviendrai sur un point qui me paraît intéressant, car il illustre la difficulté de trouver des critères nationaux.
Selon vos propos, monsieur le sénateur, nous aurions dû envisager la possibilité des classes alternées par demi-journées. Nous y avons pensé, mais les élus locaux nous ont dit que ce n’était vraiment pas une bonne idée, à cause des transports scolaires. (M. Philippe Adnot s’exclame.) Vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais je vous rapporte juste les réactions d’un très grand nombre d’élus, présidents de département ou de région, face à l’obligation, pour les conducteurs de transport scolaire, d’effectuer deux tournées dans la journée. (Protestations sur diverses travées.) C’est la réalité, et la difficulté réside bien dans le fait de prendre en compte des avis très différents. Je suis certain que, dans cet hémicycle, beaucoup de sénateurs ont entendu la même chose que moi. Nous avons agi au mieux, peut-être pas exactement de la façon que vous souhaitiez, mais en écoutant les élus locaux, ce que vous devriez mettre à notre crédit.
Je tiens à remercier tous ceux qui ont formulé des encouragements au Gouvernement : il en a bien besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE et UC.)
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif sous la forme d’une série de quinze questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le Premier ministre, depuis le début de la crise sanitaire qui frappe notre pays, les maires et les élus locaux sont en première ligne pour protéger nos concitoyens et mettre en œuvre les mesures d’urgence permettant de faire face à cette situation inédite.
En tout état de cause, celle-ci laissera des traces, tant elle a bouleversé notre quotidien, frappé celles et ceux qui nous entourent, fortement touché nos commerçants, artisans, indépendants et les familles les plus précaires.
Dans ce contexte, les maires sont au plus près des réalités du terrain et en contact permanent avec nos concitoyens pour répondre à leurs attentes et à leurs inquiétudes. Ils sont, et je reprends vos mots, monsieur le président, « à portée d’engueulade » de leurs administrés.
Ces mêmes élus locaux auront pour mission d’assurer la réouverture des écoles à compter du 11 mai prochain, telle qu’elle a été prévue par le Gouvernement.
Dans ce cadre, et vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, la protection de nos enfants est la priorité. Les conditions de sécurité sanitaire doivent être scrupuleusement respectées, et nous pouvons compter sur le dévouement et le travail acharné des maires pour les mettre en œuvre.
Cette priorité, selon nous, va de pair avec le renforcement de la protection juridique des maires et des élus locaux dans le cadre des opérations de déconfinement et, en particulier, dans le cadre de la réouverture des écoles.
Oui, vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, la loi Fauchon protège déjà les élus. Mais ils ont aussi besoin d’être rassurés par l’État. Il y va de la confiance et de la réussite de ce déconfinement.
C’est pourquoi la majorité du groupe La République En Marche a déposé un amendement allant dans ce sens et se félicite de l’adoption d’un amendement similaire du rapporteur.
Étant toutes et tous en lien avec les élus de nos départements, nous entendons leurs inquiétudes légitimes et sommes particulièrement déterminés à y apporter une réponse concrète.
Ma question est donc la suivante, monsieur le Premier ministre : quelles seront les réponses du Gouvernement face aux attentes des maires et des élus locaux, partenaires essentiels de l’État dans la crise que nous traversons ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Comme l’a rappelé M. le Premier ministre, votre préoccupation telle que vous l’avez exprimée, monsieur le sénateur, rejoint celle du Gouvernement : les maires doivent pouvoir prendre pour leur commune les décisions qui sont nécessaires au déconfinement, sans crainte de voir leur responsabilité pénale engagée.
Ainsi que je l’ai rappelé la semaine dernière à M. le sénateur Bockel, les règles du code pénal qui sont prévues pour retenir la responsabilité pénale en cas d’infraction involontaire sont très restrictives. Elles reposent sur la recherche d’un comportement sciemment dangereux, d’une prise délibérée de risque, au mépris de la sécurité d’autrui.
Ces dispositions font en outre l’objet d’une approche très encadrée par la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui retient la nécessité de prendre en compte les compétences propres à chacun des élus concernés, d’une part, et l’état des connaissances générales sur tel ou tel domaine, d’autre part, le tout pour apprécier in concreto l’existence d’une éventuelle faute.
Ce cadre juridique étant général, je ne vois pas comment un décideur, un élu qui donnerait des instructions afin d’assurer notamment le respect des dispositifs barrières pourrait voir sa responsabilité engagée.
Il nous appartiendra toutefois de vérifier si la codification de la jurisprudence est nécessaire. Il s’agirait, en opérant ainsi une clarification et une réaffirmation du droit, de prévenir une incertitude qui pourrait être préjudiciable à la prise des décisions qu’imposent les circonstances.
Dans ce cadre-là, nous sommes évidemment tout à fait décidés à conduire ce travail avec le Parlement.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la crise que nous traversons est sans précédent. Elle est sanitaire, mais aussi économique et sociale, et même simplement alimentaire.
La pandémie et le confinement ont rendu plus visibles que jamais les inégalités rongeant notre société. Pour les plus fragiles, l’épreuve traversée a été plus redoutable encore : enfants privés d’un repas à faible coût à la cantine, foyers confrontés à une quasi-famine, étudiants, migrants, mineurs non accompagnés, chômeurs, sans-abri, travailleurs précaires, familles monoparentales, pour qui il s’agit moins de vivre que de survivre !
Le déconfinement en soi n’effacera pas magiquement ces inégalités criantes ni ne corrigera leurs effets aggravés par cette crise. Il ne s’agit pas seulement de panser les blessures immédiates, de répondre à l’urgence, mais il convient, pour une fois, d’appréhender la question sociale et celle des inégalités dans leur globalité et sur le long terme.
Le déconfinement doit être accompagné d’un plan d’urgence sociale redonnant à l’État-providence tout son rôle.
Monsieur le Premier ministre, quelles mesures sociales concrètes et immédiates d’envergure comptez-vous mettre en œuvre ?
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous avez posé le diagnostic : la période de la crise et du confinement a été encore plus difficile pour les Français, surtout pour ceux qui connaissent des conditions de vie plus difficiles au quotidien. Nous partageons le même constat, dont vous avez cité quelques éléments : l’absence de cantine, la difficulté à joindre les deux bouts, avec l’absence d’activité complémentaire destinée à s’ajouter à des revenus déjà faibles ou, parfois, l’obligation d’aller faire les courses à la supérette du quartier dans laquelle les prix pratiqués sont plus élevés que ceux des grands distributeurs alimentaires discount.
Tout cela, madame la sénatrice, a été pris en compte, et le Premier ministre en a parlé dans son intervention. Au 15 mai, 4 millions de ménages en France, parmi les plus pauvres et les plus précaires, percevront une aide exceptionnelle. Les bénéficiaires du RSA et de l’ASS recevront chacun 150 euros, et 100 euros supplémentaires par enfant. Tous les bénéficiaires de l’APL toucheront 100 euros par enfant. Cette aide sera versée directement par les caisses d’allocations familiales (CAF) sans qu’il soit besoin d’effectuer la moindre démarche, car nous ne voulions pas introduire le risque de non-recours.
J’en viens au maintien de l’aide alimentaire.
Je suis allé en Seine-Saint-Denis, voilà une dizaine de jours, à la rencontre d’associations qui interviennent auprès des familles dans un département où la précarité est plus importante qu’ailleurs. L’aide alimentaire va faire l’objet d’un soutien de l’État à hauteur de 39 millions d’euros, et sera assortie de mesures territorialisées au travers de chèques alimentaires qui sont désormais versés aux familles, puisque le dispositif est opérationnel.
La continuité du travail social a été renforcée grâce au soutien de la plateforme en ligne mise en place par Gabriel Attal à destination des jeunes du service civique. Par ailleurs, le versement des aides sociales se poursuivra pendant toute la période, avec une prolongation de l’accès aux droits sans aucune démarche administrative. Enfin, nous avons organisé, avec Julien Denormandie, la mise à l’abri des personnes sans abri, avec le développement de nouveaux foyers et logements.
Je saisis cette occasion pour tirer un grand coup de chapeau à tous les travailleurs sociaux, qui n’ont pas chômé depuis le début de cette crise ; nous leur devons beaucoup !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre, vous avez l’air de connaître très bien la situation, mais vous comprendrez également que ce n’est pas avec des mesurettes comme les 150 euros versés aux allocataires du RSA ou les 200 euros en faveur des étudiants, alors que le loyer dans les cités universitaires est beaucoup plus élevé, que vous allez régler le problème de la famine et de la pauvreté. Honnêtement, ce n’est pas sérieux, et vous le savez bien ! Il faut repenser entièrement la question en vue d’élaborer un plan global d’urgence.
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Dans cette crise, on remarque des acteurs clés, des organisateurs qui sont indispensables. Je parle des maires, dont je veux saluer ici l’action. Ils sont aux avant-postes, au contact direct de la population, et, comme l’a dit le Premier ministre, avec les préfets, c’est sur eux que repose le succès du déconfinement.
C’est grâce à eux que les déchets sont collectés, que l’eau est distribuée, que les repas sont servis aux plus fragiles. C’est aussi grâce à eux que, demain, les enfants retourneront à l’école avec le plus de sécurité possible. Le Gouvernement a raison de leur faire confiance pour organiser la réouverture des classes, qui est si indispensable à la reprise de notre pays comme à nos enfants.
Toutefois, la confiance n’exclut pas l’assurance ni la légitimité. Les maires, en première ligne, ont besoin d’être rassurés, vis-à-vis de leur responsabilité civile et pénale, bien sûr – ce sera l’un de nos sujets de discussion ce soir. Ils ont aussi besoin que leur légitimité soit renforcée.
À cet égard, dès lors que le déconfinement commence, pouvez-vous rassurer les maires sur la date prévisible d’installation des conseils municipaux qui ont été élus au premier tour ? Monsieur le Premier ministre, puisque vous avez anticipé fort justement l’avis du conseil scientifique qui devait être rendu le 23 mai, ma question est encore plus précise : quand peut-on espérer que cet avis sera rendu ? Et après quel délai l’installation des conseils interviendra-t-elle ? Concrètement, ceux-ci pourront-ils être installés dans les quinze jours, en tout état de cause avant la fin du mois de mai ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Excellent !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, le plus tôt sera le mieux, je ne peux pas vous le dire autrement, car l’installation des conseils municipaux qui ont été définitivement élus au premier tour est non pas un impératif, mais présente une utilité évidente, je l’ai dit, du point de vue démocratique et économique.
Il a été jugé collectivement que, pendant la période de confinement, ce n’était pas possible, car non approprié, nonobstant le souhait de certains. Si nous avons fixé cette date du 23 mai, ce n’est pas par fétichisme, c’est parce que nous étions le 23 mars et que nous voulions attendre deux mois. Heureusement, le Parlement a écrit : « au plus tard ». Par conséquent, dès lors que nous avons pris la décision de procéder au déconfinement à partir du 11 mai, si nous saisissons le conseil scientifique et qu’il peut rendre un avis rapide, le rapport que j’aurai à remettre au Parlement sera relativement simple à écrire, et nous serons en mesure, je l’espère, d’installer le plus vite possible ces conseils municipaux.
Tout le monde en est parfaitement conscient ici, ce n’est pas tant l’installation des conseils municipaux élus au premier tour qui est problématique, que les conséquences de celle-ci sur les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et la coexistence, au sein des EPCI, de conseils municipaux, donc de représentants des communes élus au premier tour, et de conseillers communautaires qui n’ont pas été définitivement élus au premier tour et dont la légitimité, bien que n’étant pas contestable, puisque la loi a prévu la prorogation de leur mandat, les place dans une situation différente, de surcroît lorsque la liste sur laquelle ils figuraient a été battue au premier tour.
Nous allons trouver les moyens de surmonter cette difficulté, mais je le redis, mon objectif, comme celui du Gouvernement, est de faire en sorte que les conseils municipaux élus au premier tour soient installés d’ici… disons, le plus rapidement possible ! (Sourires.) J’ai bon espoir que nous y parvenions avant la fin du mois de mai.
M. le président. Nous sommes le 4 mai, donc il vous reste quelques jours, monsieur le Premier ministre !
La parole est à Emmanuel Capus, pour la réplique.
M. Emmanuel Capus. Je souhaite juste vous remercier, monsieur le Premier ministre, de cette réponse si précise ! (Rires.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le Premier ministre, à la suite de l’annonce par le Président de la République du retour à l’école, le Sénat, constructif, a pris ses responsabilités. La commission de la culture a créé en son sein un groupe de travail pour évaluer les enjeux de cette reprise. Animé par notre collègue Jacques Grosperrin, ce groupe, dont je salue l’excellent travail, a émis onze préconisations, lesquelles ont été rendues publiques, sur le fondement de deux prérequis : l’avis de la communauté scientifique sur la situation sanitaire et ses recommandations, l’urgence d’une concertation avec les acteurs de terrain, notamment les collectivités territoriales.
Interpellé par le refus de plusieurs maires, et pas uniquement dans les départements rouges, et après avoir écouté les familles et des enseignants, le groupe Union Centriste veut des réponses précises, d’abord sur les risques épidémiologiques, les services pédiatriques dans toute la France se faisant l’écho d’un nombre anormalement élevé de pathologies cardiaques affectant des enfants, lesquelles pourraient être liées au Covid-19. Avez-vous des études sur ce sujet, mais aussi sur la contagiosité des enfants ?
Quel suivi sanitaire et médical, y compris du personnel, sera mis en place localement, compte tenu de l’état de notre médecine scolaire ?
Les maires ne se cachent pas derrière leur petit doigt. Un certain nombre d’entre eux acceptent souvent de s’organiser, avec les moyens du bord, mais la question de leur responsabilité pénale et juridique est en effet posée. Sur l’initiative d’Hervé Maurey, notre groupe a d’ailleurs le premier soulevé ce sujet. J’ajoute que certains maires se sentent fragilisés par une élection municipale non achevée.
Le bon sens veut en effet que le déconfinement se fasse de manière progressive et qu’il soit totalement adapté aux contextes locaux. Il faut donc bien clarifier les obligations et les responsabilités du scolaire et du périscolaire, la question des surcoûts. Il vous reste à nous dire comment traiter le mieux possible les ruptures d’égalité entre les enfants qui iront à l’école et ceux qui resteront à la maison. Quid également des enfants en situation de handicap ?
Le flottement du début a laissé place à un peu plus de méthode, mais nous avons tous le sentiment d’avancer à marche forcée, avec le 11 mai en ligne de mire. Il reste à peine quatre jours ouvrés pour mettre en œuvre le protocole sanitaire discuté vendredi. Avec quels moyens humains et financiers ?
De quelle souplesse disposons-nous pour adapter le calendrier ? Les maires d’Île-de-France, mais pas uniquement eux, ont demandé un sursis, certains, trop prudents ou réalistes – à vous de nous répondre, monsieur le ministre – allant même jusqu’à réclamer une réouverture des écoles en septembre. N’était-ce pas d’ailleurs l’avis du conseil scientifique ? Nous aimerions le savoir. (Mme Sophie Joissains et M. Hervé Maurey applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Votre question en comprend en fait plusieurs, madame Morin-Desailly.
Votre première question s’adressait plutôt au ministre des solidarités et de la santé. Nous évoquons ensemble très régulièrement ce sujet afin de suivre en détail la situation sanitaire.
Le Premier ministre a répondu à votre deuxième question dans son discours. Le régime de responsabilité ne doit pas susciter d’inquiétude de la part des maires. Nous nous emploierons bien entendu à les rassurer sur ce point, si c’est nécessaire.
Tout ce que nous faisons, nous le faisons ensemble. J’observe que la reprise de l’école suscite certes de nombreuses polémiques – elles sont sans doute inévitables –, mais aussi que beaucoup de maires sont passés à l’action, y compris d’ailleurs certains de ceux qui ont signé la pétition, ce que je trouve un peu étonnant. Je préfère de toutes les façons qu’ils agissent, et c’est ce qu’ils font.
Sur ce sujet, comme sur d’autres, je me demande pourquoi ce qui est faisable dans un endroit ne l’est pas dans un autre. Aujourd’hui, ceux qui se sont mis en route démontrent que la reprise de l’école est faisable.
Comme l’a dit le Premier ministre, le protocole sanitaire est très exigeant, mais si tel n’était pas le cas, on nous le reprocherait. Donc oui, le protocole est exigeant. Il nous appartient, tous ensemble, de le faire respecter.
J’ai participé ce matin à une visioconférence avec les représentants des médecins scolaires : ils travailleront évidemment avec les communes sur ces sujets, comme d’ailleurs d’autres corps de métier de l’éducation nationale. Il faut faire preuve d’un esprit d’équipe dans ce genre de circonstances, c’est d’ailleurs ce qui se passe dans la majorité des cas.
Vous dites qu’il y a un problème de méthode. En réalité, nous faisons face, comme tous les pays, à un problème considérable. Les autres pays sont attentifs à notre protocole sanitaire et, de façon générale, regardent plutôt favorablement ce qui s’est passé en France en matière d’éducation pendant la période de confinement. Nous comptons par exemple moins de décrocheurs que l’Allemagne. Il y a toujours des comparaisons avec l’Allemagne dans les situations dans lesquelles nous pensons être moins bons qu’elle, mais personne ne s’y intéresse quand nous sommes meilleurs.
Mon propos n’est pas de nous adresser des compliments. Ce qu’il faut, c’est faire preuve d’un esprit d’équipe, ce qui n’exclut pas la critique.
Sur le protocole sanitaire, comme sur les sujets pédagogiques, nous avançons en faisant preuve d’un esprit d’équipe, avec les élus locaux en particulier.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Monsieur le Premier ministre, vous avez rappelé que, le 11 mai, c’est dans un peu plus de six jours – personne ne le contestera. Pour ma part, je m’interroge : les Français seront-ils suffisamment préparés le 11 mai pour le déconfinement ? Leurs écoles, leurs entreprises, leurs administrations seront-elles prêtes ? Vous-même, serez-vous prêt ?
Vous avez dévoilé votre stratégie de déconfinement. Elle s’inspire d’une philosophie que je ne conteste pas. Vous avez annoncé un certain nombre de décisions, mais pas toutes les décisions. Il reste de mon point de vue trop de flou pour que le compte à rebours qui va nous conduire dans quelques jours au 11 mai soit suffisant pour que tout soit prêt ce jour-là. Cela m’inquiète.
Je poserai trois questions.
Singulièrement, personne en France ne sait quelles conséquences juridiques s’attacheront au fait qu’un département sera classé rouge. Le confinement sera-t-il maintenu dans les départements de cette catégorie ?
Le système d’information que vous nous demandez de vous permettre de mettre en œuvre sera-t-il prêt le 11 mai ? J’en doute !
Ma troisième question porte sur les transports en commun, notamment en Île-de-France. Allez-vous demander à nos concitoyens de se munir d’une attestation justifiant leur présence dans les transports en commun afin d’éviter leur saturation et la propagation de l’épidémie du fait de la promiscuité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous posez trois questions, monsieur le président Bas.
Quel est l’effet juridique d’un classement en vert ou en rouge ? J’ai indiqué que, de façon certaine, la réouverture des collèges, des classes de sixième et de cinquième, ne serait pas engagée dans les départements rouges, qu’elle ne serait possible que dans les départements verts. De même, les parcs et jardins resteront fermés dans les départements rouges, mais pourront être ouverts dans les départements verts. Pour l’instant, ce sont les seules différences qui ont été décidées.
À l’évidence, un certain nombre des décisions que prendront les préfets et les maires, les adaptations de certaines règles qu’ils prévoiront dépendront du fait qu’ils sont ou non dans un département rouge, où le virus circule plus vite et où il faudra être encore plus prudent, sachant qu’il faut être prudent partout.
Prenons un exemple. De mon point de vue, dans les départements verts, le travail effectué entre les mairies et l’éducation nationale doit permettre de rouvrir partout les écoles primaires, dans des conditions parfois un peu différentes de celles qu’on aimerait avoir, soit des conditions dégradées, c’est vrai, mais partout.
Dans les départements rouges, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer en réponse à des questions qui m’ont été posées au Sénat la semaine dernière, lorsqu’un maire, comme Mme le maire de Mulhouse par exemple – j’en parle, car c’est la ville qui a malheureusement connu un embrasement, la première vague –, nous dira : « Compte tenu de ce que nous avons connu, compte tenu du fait que nous sommes toujours en rouge, je vous garantis qu’il ne va pas être possible de rouvrir les écoles », nous examinerons la situation. Le classement teintera forcément la capacité d’appréciation du maire et du préfet.
Je suis en train de dire non pas que les écoles ne doivent pas rouvrir dans les départements rouges, mais que la qualification rouge ou verte donne à ceux qui doivent prendre des décisions une indication du sens dans lequel ils doivent aller s’ils ont des hésitations. C’est, me semble-t-il, utile.
Par ailleurs, à partir du 2 juin, lorsque nous gravirons la deuxième marche, lorsque, je l’espère, nous aurons relancé notre économie, rouvert notre pays, et que nous aurons montré notre capacité à maîtriser l’épidémie, la distinction entre vert et rouge pourra donner lieu à d’autres différenciations. Au fond, cet indicateur, qui nous permet de savoir si les choses sont parfaitement sous contrôle ou si la menace reste très présente, nous permettra de différencier au fil du temps les mesures qui peuvent être prises dans les départements verts et celles qui ne peuvent pas l’être dans les départements rouges.
Vous avez ensuite évoqué le système d’information. Notre objectif est évidemment qu’il soit prêt. La vérité, et vous le savez très bien, c’est que nous faisons face moins à une difficulté technique pour créer le fichier qu’à un problème juridique, lié aux droits d’accès. Alors que ce fichier contiendra des données à caractère médical, la question est moins de savoir si nous saurons le faire fonctionner, mais qui pourra y avoir accès. La vérité, c’est que l’on a prévu l’article 6 non pas parce que nous voulons créer un fichier, mais parce que nous avons besoin de permettre à des gens qui ne sont pas médecins d’avoir accès à des données médicales. Tel est l’objet de cet article.
Techniquement, je n’ai pas de doute sur le fait que le système fonctionnera. La question est de savoir si, juridiquement, il pourra fonctionner. Le Parlement autorisera-t-il ce mécanisme qui permet efficacement de remonter les chaînes de contamination ? C’est pour cela que le vote de l’article 6 sera de mon point de vue important.
Enfin, l’attestation pour les transports en commun n’est pas un sujet. Nous avons simplement dit, là encore afin de faire preuve du plus grand pragmatisme, que si les autorités organisatrices de transport avaient besoin d’un certain nombre de mesures pour mieux réguler la demande, là où elles doivent augmenter l’offre, nous étions prêts à en discuter avec elles. Peut-être nous demanderont-elles dans certaines agglomérations de les aider, par exemple, à mieux réguler les arrivées dans les transports ou les horaires de travail ? Nous essaierons de le faire, dans la limite des instruments juridiques à notre disposition. Il n’est en revanche pas prévu à ce stade – je n’en ai parlé ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat – une quelconque attestation pour avoir accès aux transports publics.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour la réplique.
M. Philippe Bas. Je m’attendais, monsieur le Premier ministre, à ce que vous me répondiez aussi sur le maintien éventuel du confinement dans les départements rouges. J’interprète votre réponse ainsi : le confinement ne sera pas maintenu dans les départements rouges.
M. Philippe Bas. Par ailleurs, je trouve qu’il y a beaucoup trop d’incertitudes concernant l’organisation des transports. Je vous mets en garde sur les risques de contamination, notamment dans les transports parisiens, si des mesures plus sévères ne sont pas prises.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, un peu à M. le ministre de l’éducation nationale et peut-être aussi à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Elle porte sur les effets des annonces de Mme Pénicaud sur la dégressivité du chômage partiel à partir du 2 juin.
La ministre a annoncé que, à partir du 2 juin, le dispositif de chômage partiel serait moins « généreux ». Je ne sais pas si j’aurais employé ce mot si j’avais été à sa place et je ne sais pas si les Français ont eu l’impression de bénéficier d’une générosité quelconque quand ils ont été mis au chômage partiel, mais bref… Cette remarque est incidente.
La ministre a également dit que les parents devront fournir une attestation lorsqu’ils seront contraints de continuer à garder leurs enfants.
Ces déclarations soulèvent plusieurs questions.
Mes premières questions portent sur l’attestation : qui devra la fournir ? l’école ? le maire ? à qui devra-t-elle être remise ? à l’employeur ?
Ma deuxième question porte sur la dégressivité du chômage partiel. Vous considérez qu’en baissant les indemnités de chômage, les gens sortiront de chez eux pour reprendre le travail et fournir les efforts nécessaires. Je vois que la logique et la philosophie qui sont bien ancrées depuis le début au sein de ce gouvernement – ce sont elles qui ont prévalu lors de la réforme de l’assurance chômage – sont également à l’œuvre dans le traitement de la crise sanitaire !
Dans l’hypothèse où le nombre d’enfants qui se présenteraient à l’école serait supérieur aux capacités d’accueil des établissements, sachant en outre que certains maires envisagent que les enfants ne puissent être accueillis qu’une ou deux demi-journées par semaine afin de permettre une rotation des élèves, qui fera le tri entre ceux qui pourront aller à l’école et les autres, et selon quels critères ?
J’ai posé la question récemment lors d’une conférence téléphonique que le représentant de l’État organise chaque semaine et j’ai obtenu deux réponses spontanées différentes. On m’a d’abord dit que seraient accueillis les enfants dont les parents travaillent, puis que seraient d’abord pris les élèves décrocheurs. Il se trouve malheureusement que les enfants décrocheurs ont plus souvent des parents au chômage de longue durée qu’au chômage partiel.
Quel message adressez-vous aux maires, aux enseignants et aux parents salariés concernant le système de chômage partiel que vous comptez mettre en place dès le 2 juin ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Laurence Rossignol, vous posez plusieurs questions.
Premièrement, le dispositif de chômage partiel doit-il continuer indéfiniment tel qu’il existe actuellement ? Le Premier ministre et moi-même l’avons déjà dit, il nous semble normal, dès lors que l’activité économique reprendra de l’ampleur, que le dispositif décroisse afin d’accompagner la reprise. Nous envisageons, mais rien n’est décidé – la discussion est en cours avec les partenaires sociaux –, que le remboursement à l’employeur de la totalité du chômage partiel, comme c’est le cas actuellement – 100 % du coût lui est remboursé par l’État, jusqu’à 4,5 fois le SMIC – soit moindre. J’indique qu’on autorisera la poursuite du chômage partiel pour les salariés dont le contrat de travail ne sera pas tout de suite réactivé.
Deuxièmement, vous m’interrogez sur les parents. Jusqu’au 1er mai, lorsqu’ils ne pouvaient pas faire garder leurs enfants, faute d’école ou de crèche, les parents bénéficiaient d’un arrêt de travail et d’indemnités journalières. Nous avons remplacé ce système par le dispositif de chômage partiel afin de leur éviter de voir leurs revenus passer de 90 % à 66 % de leur salaire, ce qui aurait impliqué une grosse perte de pouvoir d’achat.
Pour maintenir les revenus à hauteur de 100 % pour les salaires au niveau du SMIC et de 84 % au-dessus, le meilleur système est le chômage partiel. Les parents ont donc basculé au chômage partiel depuis le 1er mai.
Troisièmement, vous posez également la question de la transition. Évidemment, nous ne changerons rien au mois de mai, car la reprise des écoles sera progressive. Elle est, on le voit, un élément de construction de la confiance générale afin de permettre le retour au travail de tous. Dans ce contexte, il n’y aura pas de changement en mai. Un parent qui ne souhaite pas ou qui ne peut pas mettre son enfant à l’école, quel que soit le motif, continuera à bénéficier du chômage partiel.
Ensuite, en fonction de la situation générale, que nous évaluerons à la fin du mois, il est possible que l’on demande aux parents de fournir une attestation de l’école. Mais nous verrons cela fin mai.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, notre pays fait face à une crise inédite, inédite par sa soudaineté, sa gravité, et du fait de notre méconnaissance du virus.
La prolongation pour deux mois de l’état d’urgence est une mesure de prudence nécessaire, car le déconfinement – il faut le rappeler ici – n’est pas synonyme de fin de l’épidémie, une deuxième vague n’étant pas à exclure.
Ces derniers jours, un débat s’est engagé au sein de la société et de notre assemblée sur la ligne de crête qui existe entre la protection des libertés individuelles et la protection de la santé publique. L’efficacité du traçage des cas contacts dépendra en effet de multiples facteurs, dont l’adhésion de la population et des professionnels de santé de première ligne. Or des questions restent encore aujourd’hui en suspens concernant le respect de la vie privée, la protection des données individuelles et du secret médical pour les médecins.
Pour ma part, je m’interroge sur la cohérence du discours des pouvoirs publics : d’un côté, la restriction de certaines libertés publiques est présentée comme indispensable pour lutter contre le Covid-19, de l’autre, l’extension du port obligatoire du masque, justifiée médicalement, est laissée dans le flou.
D’autres pays ont diffusé des messages clairs à ce sujet. Je pense par exemple au Luxembourg, où le masque est depuis aujourd’hui obligatoire dans toutes les situations – transports en commun, magasins –, partout où une distance de 2 mètres ne pourra être respectée.
En France, ce message me semble brouillé. Le masque est recommandé, mais pas obligatoire, sauf dans les transports publics et dans les commerces qui le demandent. Or on sait qu’une information précise conditionnerait le respect des consignes et apaiserait les tensions dans l’espace public. On sait aussi que l’efficacité d’un masque porté, retiré, puis reporté, potentiellement avec des mains n’ayant pu être lavées, décroît considérablement.
Aussi, ma question est la suivante : pourquoi ne pas rendre obligatoire le port du masque dans tous les lieux publics, au besoin exclusivement dans les zones rouges si vous préférez une mesure plus restreinte, conformément aux recommandations du conseil scientifique et de l’Académie de médecine, et comme le demandent de nombreux élus ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Merci pour votre question, madame la sénatrice Guillotin.
Les recommandations sont claires : le port du masque est recommandé en population générale dès lors que les gestes barrières et la distanciation physique ne sont pas applicables. Le pays que vous avez cité le recommande dès lors que la distanciation physique n’est pas possible.
Le port du masque est recommandé dans les magasins, parfois sur le lieu de travail. Il sera rendu obligatoire dans les transports en commun, où il sera plus difficile qu’ailleurs de faire respecter la distanciation physique. On sait également qu’il sera difficile pour les enseignants de faire respecter les règles de distanciation à l’école, car on ne peut pas garantir que les enfants, qui courent partout, les appliqueront en toutes circonstances. En outre, un enseignant pourra être amené à intervenir auprès d’un enfant et à se rapprocher de lui. Pour ces raisons, le port du masque sera donc obligatoire. Dans les autres situations, il sera recommandé, conformément aux préconisations, qui ont beaucoup évolué, je le rappelle, depuis le 1er avril, et que nous avons suivies tout à fait naturellement. Le port du masque fait partie de l’arsenal que nous mettons en œuvre pour lutter contre une reprise épidémique.
Permettez-moi de vous poser une question. Imaginons que l’on rende le port du masque obligatoire dans la rue pour tous les Français : cela signifie qu’un mécanisme de sanction devra être prévu pour ceux qui ne le porteront pas. Or la distanciation physique, le lavage des mains, le fait de tousser dans son coude, de ne pas mettre dans sa poche un mouchoir usagé afin de pouvoir le réutiliser plus tard si on venait à en avoir besoin, sont des gestes barrières absolument essentiels, dont on sait, depuis le début, qu’ils fonctionnent. Pour autant, nous n’avons pas rendu leur application obligatoire dans la sphère publique. Personne ne se verra infliger une amende parce qu’il aura toussé dans sa main sans faire attention ou parce qu’il se sera touché le visage.
Nous sommes aujourd’hui dans la même logique d’accompagnement des Français. Nous leur faisons confiance et nous comptons sur leur sens des responsabilités. Cela étant, vous avez raison, les consignes doivent être claires, y compris concernant l’usage du masque. Nous aurons l’occasion d’y revenir auprès du grand public dans les jours qui viennent, en prévision du 11 mai.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en un seul semestre, notre pays aura connu trois périodes totalement distinctes, et ô combien singulières : celle d’avant le confinement, où on ignorait à peu près tout du Covid-19 ; celle du confinement, à partir du 17 mars, où, à juste titre, l’impératif sanitaire l’a emporté sur toute autre considération ; puis, à partir du 11 mai, la période que nous appelons, un peu vite sans doute, celle du déconfinement, période inédite durant laquelle notre pays devra conjuguer cette fois l’impératif sanitaire et l’impératif économique et social.
Il faut le dire avec gravité, nous abordons des terres inconnues. Les amortisseurs et les dispositifs d’aide publique ont permis d’éviter l’effondrement de notre appareil productif. À présent, il faut impérativement favoriser la meilleure transition pour qu’une majorité de salariés passe du chômage partiel au travail, sans passer par la case Pôle emploi.
C’est un enjeu considérable, qui exige la confiance de tous, celle des Françaises et des Français, celle des entrepreneurs et celle des partenaires sociaux. Il s’agit d’éviter à tout prix une augmentation massive du chômage et une crise sociale sans précédent, un véritable drame. Hervé Marseille l’a dit avant moi, rien n’est plus fragile que la confiance.
Madame la ministre, quelle méthode de dialogue social envisagez-vous avec les partenaires sociaux ? Les sujets à aborder sont nombreux : l’Unédic, les secteurs à l’arrêt – je pense au tourisme, à la culture, aux intermittents du spectacle, aux cafés et aux restaurants – et la participation – pourquoi pas ? –, car il faudra aussi donner des perspectives aux futurs salariés, lorsque la croissance reviendra. Enfin, ne pensez-vous pas que l’ampleur des sujets à aborder mérite l’organisation d’une conférence sociale de sortie de crise ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Olivier Henno, oui, nous vivons des moments que nous n’avons jamais connus auparavant et que nous ne pouvions pas imaginer il y a quelques mois.
Je pense que nous pouvons nous réjouir pour la France et pour les Français que nous ayons collectivement décidé de mettre en place un dispositif de chômage partiel profondément rénové, élargi, amplifié et massif. Ce matin, 11,7 millions de Français et 911 000 entreprises étaient protégés par le chômage partiel. Sans cette mesure, on peut dire que des centaines de milliers de personnes, probablement des millions, auraient déjà perdu leur emploi, comme c’est le cas aux États-Unis pour 30 millions de personnes.
Le dispositif de chômage partiel massif, que nous avons étendu à toutes les catégories et rendu universel jusqu’à 4,5 fois le SMIC, ce qui n’était pas le cas dans le système précédent, nous permet certainement d’éviter dans cette première phase ce que nous avons connu en 2008-2009, c’est-à-dire des licenciements assez massifs et immédiats.
Maintenant, il faut réussir la deuxième phase, comme vous l’avez dit. Il faut une reprise de l’activité plus importante – elle est aujourd’hui en baisse de 36 % – et progressive en fonction des secteurs. Évidemment, l’hôtellerie, les bars, les restaurants redémarreront plus tard, une partie du secteur du tourisme et de la culture aussi, mais il faut repartir.
Pour cela, le dialogue social est la clé, à tous les niveaux. Il est essentiel dans les entreprises, où l’on discute partout aujourd’hui des conditions de la reprise et de l’organisation du travail lors du déconfinement. Hier, nous avons publié un protocole national de déconfinement pour les entreprises, qui complète les cinquante et un guides métiers déjà produits – d’autres seront réalisés. C’est très important, car il faut se mettre d’accord au sein des entreprises sur les modalités de reprise.
J’ai, deux ou trois fois par semaine, une conférence téléphonique d’une heure et demie avec les partenaires sociaux à l’échelon national. Tous les sujets que vous avez évoqués, notamment le partage de la valeur, mais d’autres également – je pense à la formation – sont à l’ordre du jour. Étape par étape, nous construirons ensemble, après le confinement, le déconfinement, puis la relance.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Monsieur le ministre, vous connaissez sûrement Mary Mallon, cette Américaine porteuse saine de la fièvre typhoïde au début du XXe siècle, qui, pour avoir dénié de manière persistante la maladie dont elle était atteinte, a contaminé plus de cinquante personnes et provoqué la mort de trois d’entre elles.
Vous savez aussi, vous en avez entendu parler, que la maladie de Kawasaki touche actuellement pas mal d’enfants sur le territoire national. La semaine dernière, 23 enfants atteints de cette maladie avaient été hospitalisés en Île-de-France. Cette semaine, ils étaient 60 sur l’ensemble du territoire national, selon les spécialistes de l’hôpital Necker, qui se sont réunis ce midi et m’ont transmis leur rapport tout à l’heure. On ne sait pas exactement si la maladie de Kawasaki qu’ils présentent est liée directement au Covid-19, mais les risques que tel soit le cas sont élevés.
Le texte du Gouvernement prévoyait le confinement et l’isolement obligatoire, ces mesures ont été supprimées à la suite de la réunion du Gouvernement samedi. Pourquoi ?
Par ailleurs, est-il nécessaire de prévoir l’ouverture des écoles, sachant que la maladie de Kawasaki est en train de s’installer sur l’ensemble du territoire national ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Merci, monsieur le président Alain Milon, pour votre question.
Vous l’avez dit vous-même, Mary Mallon, cette Américaine, était porteuse de la maladie et l’a transmise sans le savoir et sans le vouloir.
Pour notre part, nous prônons une quatorzaine ou un isolement systématique des personnes malades. Cela signifie que nous allons informer ces personnes qu’elles sont malades, qu’elles sont potentiellement contagieuses, et leur dire qu’elles prendraient le risque, si elles sortaient, de contaminer des êtres chers de leur entourage ou des inconnus qu’elles pourraient croiser.
Le Gouvernement ne fait pas le choix de la méfiance a priori. Les personnes à qui l’on annoncera qu’elles ont le Covid-19 savent pertinemment aujourd’hui ce qu’est l’épidémie. Elles seront prises en charge, protégées, appelées à rester chez elles. Dès lors, il ne nous semble pas indispensable de mettre en place des mesures contraignantes pour sanctionner tout manquement à ce que je considère être à la fois du civisme et du bon sens sanitaire. (M. Alain Milon s’exclame.) Monsieur le président Milon, c’est le choix qui a été fait, et nous l’assumons.
Les Français ont fait preuve à notre égard de la même confiance que celle que nous leur portons. Ils respectent de façon remarquable le confinement depuis bientôt huit semaines.
Vous m’interrogez par ailleurs sur la situation de plusieurs dizaines d’enfants en France, atteints de la maladie de Kawasaki. Ce nombre augmente parce que, à ma demande, les autorités de santé ont lancé un appel à toutes les unités de réanimation pédiatrique de France afin qu’elles fassent remonter tous les cas qui pourraient être apparentés à cette maladie et impliquer le coronavirus.
Une enquête est en cours au jour le jour. Je me tiens informé, directement ou par mon cabinet, notamment auprès des réanimateurs pédiatriques de l’hôpital Necker ou d’autres afin de tenter de comprendre les tenants et les aboutissants. Le problème n’est pas franco-français, il touche aussi l’Italie, l’Espagne, la Grande-Bretagne.
Les pédiatres nous disent que cette maladie apparaît de temps en temps après des épidémies virales, qu’il s’agit d’un mécanisme réactionnel. J’attends de disposer d’éléments plus étayés, des résultats des recherches phénotypiques sur l’ARN du virus. Je n’entrerai pas dans les détails, au risque que M. le président me coupe le micro – et il aurait raison, car j’ai été bien trop long –, mais nous aurons peut-être l’occasion de revenir dans quelques heures sur votre question.
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le Premier ministre, lors de votre conférence de presse du 19 avril, vous avez énuméré tous les secteurs d’activité, sauf la culture, que vous avez oubliée.
Pourtant, je sais que si je vous disais que la culture n’est pas un supplément d’âme, mais qu’elle est notre âme, vous seriez d’accord.
Si je vous disais que la culture dans sa diversité est ce qui nous permet de rêver, d’imaginer, de connaître, de nous rencontrer, de nous projeter, de chercher du sens et d’en donner, vous seriez d’accord aussi.
Si je vous disais que tout cela s’est particulièrement démontré pendant cette crise, où les artistes, professionnels et amateurs, celles et ceux qui nous informent, nous apprennent ou nous divertissent ont été indispensables à notre vie confinée pour tenir ensemble et individuellement, vous seriez encore d’accord.
Permettez-moi d’être direct. Vous consacrez 45 milliards d’euros au sauvetage de l’économie. Si vous êtes d’accord avec tout cela, combien allouez-vous à la culture, qui est au bord du chaos ? Si l’on ramenait cette aide globale à la part de la culture dans le PIB, qui est de 3,2 %, il faudrait lui destiner plus d’un milliard d’euros tout de suite. La culture est aussi un secteur économique vital, qui représente sept fois la valeur ajoutée de l’automobile et 1,5 million d’emplois directs.
C’est pourquoi je vous demande, a minima, d’accorder en urgence, pour faire face à cette année noire, une année blanche aux intermittents du spectacle, qui, pour certains, n’arrivent déjà plus à se nourrir. Prolongez les droits des intermittents d’une année au-delà des mois où toute activité aura été impossible.
Je vous demande également des mesures d’urgence pour tous les travailleurs en contrat court, qui ne se verront proposer aucun des emplois que les secteurs d’activités culturels offrent en temps normal, afin de maintenir leurs droits d’indemnisation et leurs moyens d’existence.
M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Assouline, vous avez raison, les acteurs de la culture, notamment les artistes, jouent un rôle considérable dans notre pays et pour nos compatriotes. Ils ont joué un rôle considérable pendant le confinement et ils vont jouer un rôle considérable pour la sortie de crise.
Je ne peux pas vous laisser dire que le Gouvernement a oublié le monde de la culture. Le Premier ministre a rappelé les dispositions qui ont été prises en urgence pour que les mesures transversales qui bénéficient à toute l’économie bénéficient aussi au secteur culturel : les prêts garantis par l’État, l’accès au chômage partiel, le report des charges sociales et fiscales, sans compter tous les dispositifs spécifiques que le ministère de la culture, notamment au travers de ses opérateurs – le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), le Centre national du livre (CNL), le Centre national de la musique (CNM), le Centre national des arts plastiques (CNAP) – a mis en place en urgence pour accompagner les acteurs de la culture dans la crise.
Toutefois, vous avez totalement raison sur un point : tout cela ne suffit pas pour l’avenir. Cela ne suffit pas pour assurer que les techniciens, les artistes, les artistes-auteurs, les producteurs et l’ensemble des membres du réseau de la culture, ô combien importants dans notre pays, puissent continuer de proposer ce qu’ils proposent et qui est si utile à nos compatriotes.
C’est la raison pour laquelle, depuis plusieurs jours, ma collègue Muriel Pénicaud et moi-même, en lien avec nos collègues du ministère de l’économie et des finances et sous l’autorité du Premier ministre, bâtissons des solutions d’avenir pour nous assurer que cet écosystème si important puisse être sauvé et que nous puissions continuer de nous appuyer sur ces acteurs de la culture.
Les solutions sont complexes. Elles devront être à la hauteur et elles devront être pérennes. Mais vous pouvez compter sur l’engagement du ministère de la culture dans sa diversité et du Gouvernement tout entier pour faire en sorte que les intermittents du spectacle, les artistes-auteurs et l’ensemble des PME, PMI et TPE qui constituent le réseau culturel de notre pays puissent continuer de proposer leurs œuvres à nos compatriotes.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour la réplique.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, je vous ai posé une question précise. Je sais que vous êtes suspendu à la parole du Président de la République, mais nous sommes au Parlement, et je ne doute pas que vous savez aujourd’hui si vous allez accorder cette année blanche aux intermittents qui la réclament à juste titre.
Permettez-moi de vous interpeller sur une autre question : il faut absolument transposer très vite la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) pour les droits d’auteur. J’estime qu’il faut aussi assurer une sanctuarisation de nos actifs, notamment dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel, car des acteurs étrangers sont déjà à l’affût de nos entreprises.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dès la fin du mois de mars, la commission des affaires économiques attirait déjà l’attention du ministre de l’économie sur un point qui est vite apparu comme essentiel pour réussir la reprise économique, à savoir la responsabilité des chefs d’entreprise.
Au regard du peu de certitudes que nous avons sur le Covid-19 et sa propagation, force est de constater que le risque de contamination sur le lieu de travail pourrait encore exister malgré le respect des consignes sanitaires. Les chefs d’entreprise et les salariés devront « vivre avec », selon votre expression, monsieur le Premier ministre.
Nous appelons bien sûr à la reprise de l’activité économique, et nous affirmons ici que la protection des salariés est prioritaire, mais la confiance des employeurs pourrait aussi être entamée si, en dépit des efforts fournis, de la bonne application des consignes et de la concertation avec les partenaires sociaux, leur responsabilité pouvait encore être engagée.
Je vous ai bien entendus, madame la garde des sceaux, monsieur le Premier ministre, mais, avec la loi Fauchon, il existera toujours une possibilité qu’un juge considère que toutes les mesures nécessaires n’ont pas été mises en œuvre, puisque cette loi précise que ces personnes seront pénalement responsables si elles ont commis une faute caractérisée. Il faut donc bien que le juge caractérise cette faute ; or vous savez que, en la matière, la jurisprudence a fait des allers et retours.
À la demande des syndicats, le ministère du travail a publié hier un manuel général de déconfinement. Ce manuel est bienvenu, mais il n’est qu’indicatif, car, à moins que vous nous disiez le contraire, il n’a pas de caractère juridique avéré de nature à protéger les chefs d’entreprise. Sa stricte application s’avérera d’ailleurs parfois impossible dans certaines entreprises, ouvrant le champ de l’interprétation sur le terrain.
Enfin, les patrons de PME, de TPE et de commerce sont souvent seuls pour mettre en place ces prescriptions et n’ont donc aucune autre sécurité juridique que celle de leur bon sens. Seuls, ils sont juridiquement plus vulnérables.
Madame la garde des sceaux, quelle est la valeur juridique de ces guides ? S’ils sont pris devant la représentation nationale, vos engagements pourront nourrir la future jurisprudence.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Sophie Primas. Quelles réassurances allez-vous mettre en place pour l’ensemble des acteurs économiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Primas, la reprise d’activité liée au déconfinement suscite effectivement des inquiétudes. Les employeurs craignent de voir leur responsabilité civile engagée par manquement aux règles de protection si par hasard l’un de leurs salariés était atteint par le Covid-19.
Comme M. le Premier ministre l’a rappelé, le Gouvernement est très attentif à la sécurisation juridique de la reprise d’activité. Il considère que cette inquiétude des chefs d’entreprise peut être légitime et qu’il convient d’y répondre.
Vous avez justement rappelé que la nature de l’obligation de sécurité de l’employeur a pu susciter des hésitations jurisprudentielles et doctrinales. Toutefois, depuis l’arrêt rendu par la Cour de cassation en 2015 dans une affaire impliquant Air France, la jurisprudence est stabilisée. Elle a d’ailleurs été confirmée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2019.
Il est désormais jugé de manière constante que l’employeur qui a pris les mesures de prévention obligatoires respecte ses obligations légales et peut s’exonérer de sa responsabilité civile. Le droit actuel pose donc déjà le principe, non pas d’une obligation de résultat, mais d’une obligation de sécurité ou de moyens renforcée.
L’employeur qui respecte ses obligations de sécurité vis-à-vis des salariés ne peut voir sa responsabilité civile engagée. En revanche, l’employeur qui ne prendrait pas les mesures imposées par la législation commettrait une faute susceptible d’engager sa responsabilité.
Ce cadre juridique est désormais bien établi. Il permet d’assurer, d’une part, la protection des salariés et, d’autre part, la sécurité juridique des employeurs.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Toutefois, comme M. Le Premier ministre l’a indiqué précédemment, nous sommes prêts à accompagner le débat sur ce point et s’il faut clarifier cette question dans la loi, nous sommes en mesure de le faire.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, ma question porte sur la responsabilité des élus locaux.
Dans le cadre de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, les sénatrices et sénateurs du groupe socialiste et républicain ont déposé plusieurs amendements visant à répondre aux inquiétudes des maires à la suite des décisions et déclarations parfois chaotiques du Gouvernement.
Qu’il s’agisse de la réouverture des écoles ou des transports publics, les élus locaux n’ont pas été associés à la définition des grandes orientations prises par l’État, dont la faisabilité n’a fait l’objet d’aucune concertation.
Dans mon département, la Saône-et-Loire, les élus, pris en étau entre des injonctions gouvernementales multiples et complexes et une absence criante de moyens et d’accompagnement pour les mettre en œuvre, s’interrogent sur l’opportunité de rouvrir les écoles. Ils en décident en lien avec la population, mais parce qu’ils sont en première ligne, le risque est réel que pèse sur eux une responsabilité qui ne correspond ni à la part qu’ils ont prise dans la décision ni aux moyens dont ils disposent.
Nous considérons que des clarifications et un cadre juridique protecteur sont indispensables. Il est de votre responsabilité de soutenir et d’aider celles et ceux qui ont décidé de vous faire confiance et de vous accompagner dans le déconfinement.
C’est pourquoi notre groupe propose que, à compter de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire et jusqu’à trois mois après sa cessation, tout acte accompli par un élu local ou un agent public ayant reçu délégation visant à mettre en œuvre une décision prise par l’État dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire engage exclusivement la responsabilité de l’État.
À l’inverse de ce que le Premier ministre a suggéré dans sa déclaration, il ne s’agit pas d’exonérer les acteurs publics de leur responsabilité, mais de situer la responsabilité à son juste niveau. Or en l’espèce, puisque c’est l’État qui décide de tout et tout seul, il ne peut reporter sa responsabilité sur les élus locaux.
Ma question est donc simple : le Gouvernement apportera-t-il son soutien à ces amendements ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Ainsi que je viens de l’indiquer, monsieur le sénateur Durain, le Gouvernement est très attentif à ce que les employeurs privés, les élus locaux, mais aussi les décideurs publics, qui vont devoir prendre des décisions souvent « engageantes » dans le cadre du déconfinement ne le fassent pas dans la crainte de voir leur responsabilité pénale engagée.
Toutefois, nous le savons aussi, toute décision politique emporte une part de responsabilité qu’il n’est pas question de nier. Il nous appartient donc de trouver un point d’équilibre.
Comme j’ai pu le rappeler devant votre chambre, le code pénal, depuis la loi Fauchon, pose un cadre très strict qui limite la possibilité d’engager la responsabilité des employeurs publics pour mise en danger de la vie d’autrui ou bien pour des infractions involontaires. Ces mises en cause, je le redis, reposent sur la recherche d’un comportement sciemment dangereux, d’une mise en danger délibérée de la vie d’autrui.
La responsabilité pénale ne peut alors être recherchée que dans deux hypothèses : soit sur la base d’une faute délibérée, c’est-à-dire de la violation délibérée d’une norme existante qui impose une obligation particulière, soit, en l’absence de norme, sur la base d’une faute caractérisée. Sur ce point, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, la Cour de cassation exige une appréciation in concreto de cette éventuelle faute.
Au regard de ce cadre juridique, il me semble donc difficile que les élus locaux ou les employeurs qui donneraient les instructions nécessaires en matière de dispositifs liés à la sécurité sanitaire puissent voir leur responsabilité engagée. Nous apprécierons toutefois ensemble si une codification ou une clarification de ces dispositions peut apporter un élément de réassurance supplémentaire. Nous serons prêts à accompagner les travaux du Parlement en ce sens.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour la réplique.
M. Jérôme Durain. Madame la garde des sceaux, le Premier ministre a demandé de l’adhésion au processus de déconfinement. En contrepartie de cette adhésion, il vous faut lever les doutes sur la responsabilité.
Ces doutes remontent de partout sur le terrain, au sujet des écoles de campagne dont les locaux sont exigus et qui n’ont pas de salle supplémentaire pour faire manger les enfants, mais aussi sur la question des transports scolaires. Ces doutes s’expriment aussi au Parlement, puisque plus de cent cinquante parlementaires ont signé une tribune pour protéger les maires juridiquement.
Vous voulez de l’adhésion ? Nous, élus sur le terrain et parlementaires, voulons de la responsabilité. Il faut nous écouter.
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Je souhaite associer à ma question mon collègue Max Brisson ainsi que tous les sénateurs qui ont travaillé sur le confinement à l’école, mission qui nous a été confiée par la présidente de la commission de la culture, Catherine Morin-Desailly.
Monsieur le Premier ministre, je n’ai pas pu écouter le Président de la République qui s’exprimait au même moment que vous le faisiez ici, au Sénat. Vous avez annoncé aux Français que les écoles ouvriraient le 11 mai.
L’argument tiré de la nécessité de remettre les décrocheurs sur le chemin de l’apprentissage est louable. Cependant, il perd beaucoup de force lorsque le retour à l’école est fondé sur le volontariat, ce qui revient à rendre ce service public facultatif. Ce ne sont pas les décrocheurs qui seront les plus volontaires, mais ceux des classes à examen – terminale, première, troisième. Je le regrette.
Les conditions dans lesquelles se fera la réouverture des écoles sont un enjeu de taille pour la santé des élèves et de leurs familles, d’autant que le conseil scientifique et le conseil de l’ordre des médecins ne sont pas favorables à leur réouverture. Vous avez pris vos responsabilités ou, plus exactement, vous demandez aux maires d’assurer cette responsabilité en leur laissant ce grand pouvoir de décision : ouvrir leurs écoles ou les maintenir fermées.
Vous accompagnez votre décision d’un guide de 54 pages de prescriptions claires qui pèsent désormais sur leurs épaules. On comprend le désarroi de nombreux maires auxquels échoit cette responsabilité, tant le protocole est difficile à mettre en place. Comme l’indiquait le président Retailleau, il s’agit sans doute d’une usine à gaz.
Permettez-moi de donner un exemple parmi tant d’autres : comment les maires pourront-ils garantir qu’une distanciation d’un mètre est assurée dans la cour de récréation, dans les couloirs, dans les sanitaires ? C’est pourtant une indication qui les engage et que vous avez inscrite dans le protocole. Plus il y a de normes, puis il y a de risques de voir un parent d’élève dont l’enfant sera infecté par le Covid-19 saisir les tribunaux et faire inculper ainsi nos élus.
Monsieur le Premier ministre, il n’est pas possible de laisser les maires seuls face à ce risque. Ils ont montré leur totale implication pour être à vos côtés dans cette crise sanitaire sans précédent. Ne décidez pas avant la concertation. Nous devons les rassurer, les protéger. Dans le futur projet de loi, aucune disposition ne permet de clarifier les responsabilités des élus dans cette période si singulière.
Je vous ai entendu, monsieur le Premier ministre. Nous vous avons senti ouvert à la discussion. J’espère que vous ferez un accueil favorable aux propositions du président de la commission des lois, Philippe Bas, pour protéger nos élus locaux corvéables à merci, car le déconfinement, c’est demain, et nous ne pouvons pas attendre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Grosperrin, j’entends les mots qui surgissent sur toutes les travées de cette assemblée. Ils expriment des interrogations, des doutes, du désarroi, des questionnements. Associé à ces mots, celui de responsabilité est également très présent.
J’ai indiqué à l’instant que le régime juridique en matière de responsabilité me semble assez stabilisé. Il repose à la fois sur la jurisprudence de la Cour de cassation et sur l’ensemble des dispositions existantes.
Par ailleurs, pour répondre à une observation de M. le sénateur du Haut-Rhin ou de Mme la sénatrice Primas, je ne suis pas certaine qu’un régime juridique, quel qu’il soit, permette d’empêcher des procédures pénales. Quelle que soit la précision de la loi, il se trouvera toujours un administré ou quelqu’un d’autre pour engager une procédure qui entraînera des jugements. Il faut avoir cela en tête.
En toute hypothèse, nous ne cherchons pas ici à atténuer la responsabilité des élus – M. le Premier ministre l’a dit –, mais au contraire à clarifier les choses. S’il vous apparaît nécessaire de clarifier la jurisprudence et de la repréciser, nous pourrons y travailler ensemble. Nous pouvons adopter un dispositif de soutien, de réassurance, de confiance politique, mais j’estime qu’il ne faut pas envisager quelque chose de plus vaste.
Enfin, monsieur le sénateur, je ne crois pas que nous devions prendre des dispositions propres aux élus locaux. Il me semble que la problématique qui a ici été soulevée concerne non seulement les élus, mais également les employeurs privés et les décideurs publics. Cette problématique étant générale, elle appelle une réflexion globale. C’est toute la complexité de cette situation.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Chaize. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à bien des égards, le lundi 11 mai nous semble une échéance lointaine. Elle nous semble lointaine parce que le confinement a peut-être altéré notre rapport au temps.
Mais si cette échéance nous semble si lointaine, c’est aussi parce que les interrogations sur la levée du confinement, notamment s’agissant des transports, sont encore trop nombreuses. Sommes-nous prêts, monsieur le secrétaire d’État ?
Mon intervention pourrait se limiter à cette simple question tant elle synthétise toutes les préoccupations des Français. Par bienveillance, et surtout par souci d’intelligibilité, je vais tout de même reformuler cette question et vous demander des précisions.
Dans un courrier du 30 avril, nous apprenions que les principaux opérateurs de mobilité – SNCF, RATP, Keolis, Transdev, pour ne citer que ces derniers – vous informaient que le respect des règles de distanciation physique d’un mètre entre passagers n’était pas réalisable.
Pour faire simple, le respect des règles de distanciation veut que le nombre d’usagers dans les transports en commun soit compris entre 10 % et 20 % de la normale. Lundi prochain, il sera de 30 %. Comment allez-vous procéder pour assurer le respect des règles de distanciation ?
Vous prévoyez aussi que les masques seront obligatoires dans les transports en commun, et vous avez raison. Néanmoins, comment allez-vous contrôler l’effectivité de cette mesure ?
Vous avez précisé qu’il serait possible de réaliser des contrôles grâce aux forces de l’ordre et aux opérateurs de sûreté. Concrètement, quelle sera votre méthode ou stratégie pour que la mesure soit pleinement appliquée ? Mais surtout, en l’absence d’agents pour réaliser les contrôles, un chauffeur de bus, par exemple, pourra-t-il refuser l’accès de son véhicule à une personne sans masque ? Vous avez semblé hésitant à ce sujet dans une précédente intervention.
Enfin, quel est votre plan pour distribuer les masques promis il y a encore quelques jours ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur Chaize, je vous remercie pour cette question importante, qui porte sur le déconfinement progressif dans le secteur des transports à compter du 11 mai.
Nous abordons ce déconfinement avec un objectif et une stratégie. Notre objectif est évidemment que les transports se déroulent dans de bonnes conditions sanitaires le 11 mai et les jours suivants. Pour ce faire, notre stratégie repose sur trois piliers.
Le premier consiste à mettre à la disposition des usagers le maximum d’offre de transport possible. Les chiffres ont déjà été indiqués : 70 % de l’offre à la RATP – davantage sur certaines lignes –, et entre 50 % et 60 % de l’offre sur les trains du quotidien à la SNCF. Tel est le premier élément : le plus d’offre possible.
Le deuxième pilier consiste à faire en sorte qu’il y ait le moins de voyageurs possible au même moment, notamment aux heures de pointe où l’engorgement est le plus important. Pour cela, nous préconisons et nous organisons le recours au télétravail, ainsi que l’étalement des heures d’embauche et de débauche dans les entreprises.
Enfin – c’est le troisième pilier –, nous organisons les flux de manière à ce que la sécurité sanitaire soit au rendez-vous. Tel est l’objectif de l’obligation de port du masque.
Nous travaillons actuellement en lien très étroit avec les élus et les opérateurs sur le sujet de la distribution. Nous travaillons également à la mise en œuvre des procédures de contrôle, et le cas échéant, de sanction – je le confirme ici. Enfin, nous travaillons à l’organisation des transports. Chacun comprendra, singulièrement dans cet hémicycle, que la régulation des flux dans un bus à Limoges ou sur la ligne 7 du métro parisien ne relève ni des mêmes pratiques ni des mêmes procédures.
En tout état de cause, monsieur le sénateur, si nous rencontrons des difficultés opérationnelles d’ordre public ou d’ordre sanitaire, nous n’hésiterons pas à fermer telle ou telle ligne de bus, de tramway ou de métro. C’est bien la sécurité sanitaire des voyageurs qui prévaut.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. Monsieur le secrétaire d’État, je peine à comprendre que les principaux opérateurs de notre pays, dont l’actionnariat est plutôt public, soient obligés de vous envoyer un courrier le 30 avril pour vous demander les modalités de déconfinement au 11 mai.
Ces opérateurs publics indiquent qu’il faut 100 % du trafic habituel pour transporter 20 % à 30 % de la population, ce qui, vous l’avez reconnu, n’est pas compatible avec les chiffres que vous nous annoncez. Nous sommes dans l’incertitude,…
M. le président. Il faut conclure.
M. Patrick Chaize. … or il faut de la clarté pour chacun puisse prendre les transports en confiance.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. René-Paul Savary. Dans ce moment critique où vous avez dit qu’il fallait jouer la transparence pour gagner la confiance, monsieur le Premier ministre, je souhaite revenir sur le nuancier départemental. En effet, les critères retenus ne vont pas sans poser un certain nombre de questions, d’autant qu’ils évoluent.
Le code couleur devait dépendre de la circulation du virus ; or certains départements sont classés rouges, alors qu’ils ont une circulation virale particulièrement diminuée.
Il devait ensuite être déterminé en fonction de la capacité initiale en lits de réanimation, c’est-à-dire sans tenir compte des lits créés depuis le début de la crise. Or des départements où le taux d’occupation des lits de réanimation est nettement inférieur à 50 % de cette capacité antérieure sont en rouge.
Il devait enfin prendre en compte la capacité des départements à effectuer des tests à partir du 7 mai, mais vous nous dites maintenant qu’il s’agira non pas de la capacité de tester, mais de celle d’interpréter les tests.
Par ailleurs, ces critères sont-ils départementaux – pardon de vous froisser, monsieur le Premier ministre – ou sont-ils régionaux ? Il est important de le savoir, car cela risque de discriminer certains départements. De plus, la responsabilité des présidents de département, qui auront à décider de l’ouverture des collèges, pourra être mise en cause.
Je ne suis pas rassuré non plus par vos derniers propos, monsieur le Premier ministre. Cette couleur va servir d’aide à la décision, notamment peut-être pour l’ouverture des écoles. Va-t-on fermer les écoles d’un département qui passerait au rouge ? Les entreprises ne pourraient-elles voir leur responsabilité mise en cause si elles sont ouvertes alors que leur département est en rouge ?
Nous avons besoin de clarté, monsieur le Premier ministre. Quel est le rôle exact de ce nuancier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je comprends votre question : pourquoi le Gouvernement parle-t-il de logique départementale, alors qu’il existe des indicateurs départementaux et régionaux, mais que tous auront un impact départemental ?
Certains indicateurs sont à proprement parler départementaux, par exemple des indicateurs de circulation active du virus, c’est-à-dire la vitesse à laquelle il circule. Ceux-ci sont fondés sur plusieurs indices ou sous-indicateurs : l’indicateur principal – le pourcentage de patients admis aux urgences dans un département donné en lien avec une suspicion de coronavirus – et ce que l’on appelle des signaux faibles – le recours aux médecins généralistes, les remontées des réseaux sentinelles, le nombre d’admissions en réanimation, le nombre de tests positifs réalisés par département. À cela s’ajoute l’indicateur de saturation, le taux d’occupation des services de réanimation des hôpitaux et des cliniques en lien avec des malades du coronavirus. Cet indicateur est fondamental. En effet, quand bien même le virus circulerait peu, il faut tenir compte du fait que les services de réanimation sont extrêmement saturés et que les équipes ne seraient pas en mesure d’accepter du jour au lendemain plus de malades.
Qu’avons-nous constaté pendant la phase d’ascension de l’épidémie ? Dans la région Grand Est par exemple, on a parlé des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, parce que c’était là que le virus circulait le plus, mais on a parlé de la région Grand Est dès lors que l’on parlait de la saturation et du taux d’occupation des hôpitaux. Ce sont en effet toutes les capacités hospitalières de la région qui ont été mobilisées et même au-delà, puisque plus de 600 évacuations sanitaires ont été organisées d’abord vers les territoires, départements et régions voisins, ensuite parfois à l’étranger.
Ce bloc régional de saturation des services de réanimation est celui dont nous devons tenir compte pour déterminer si, oui ou non, un territoire est prêt à être déconfiné dans les mêmes conditions qu’un territoire avec peu de malades à l’hôpital et peu de circulation virale.
Enfin se pose la question de l’adaptation et de la capacité de réaction de notre système en tests, en traçages et en isolement. Nous aurons l’occasion d’en débattre dans quelques minutes à l’occasion de l’examen du projet de loi.
Comprenez bien que, si la logique est départementale, l’indicateur ne peut être que régional, car il n’aurait pas de sens à l’échelle du département. Les réanimateurs des régions Grand Est, Île-de-France, Bourgogne-Franche-Comté ou Hauts-de-France vous répondront la même chose que moi.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.
M. René-Paul Savary. Les règles du jeu évoluent au fil du temps. Attention aux répercussions ! Il faut que les choses soient claires, parce que les présidents de conseil départemental, au même titre que les maires, auront à prendre des responsabilités, notamment en ce qui concerne l’ouverture des collèges.
La discrimination d’un département par ce code couleur est somme toute péjorative et peut entraîner des mises en cause de responsabilité qui risquent d’être préjudiciables au développement de ce département. Je souhaitais vous alerter sur ce point, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat interactif.
Vote sur la déclaration du Gouvernement
M. le président. À la demande du Gouvernement, le Sénat est appelé à se prononcer par un vote sur la déclaration du Gouvernement relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
Conformément à l’article 39, alinéa 6, du règlement, il va être procédé à un scrutin public ordinaire dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement ; aucune explication de vote n’est admise.
Mmes les secrétaires Catherine Deroche et Agnès Canayer superviseront depuis leur place le déroulement du scrutin.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 100 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 81 |
Contre | 89 |
Le Sénat n’a pas approuvé la déclaration du Gouvernement relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux, afin de permettre à la commission des lois d’examiner la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
Monsieur le président de la commission des lois, pendant combien de temps la commission a-t-elle besoin de se réunir ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Dans la mesure où il s’agit d’un point important, une suspension de séance d’une dizaine de minutes serait bienvenue. La commission se réunira salle Médicis.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Prorogation de l’état d’urgence sanitaire
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions (projet n° 414, texte de la commission n° 417, rapport n° 416, avis n° 415).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Je rappelle à chacun la nécessité de respecter les règles sanitaires.
Je rappelle également que les sorties de la salle des séances devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.
Tous les orateurs, y compris les membres du Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.
Enfin, mes chers collègues, afin de limiter la circulation de documents, vous êtes invités à utiliser vos tablettes et la fonctionnalité « En séance » sur notre site internet, pour prendre connaissance du dérouleur et des amendements, même si ces documents demeurent à votre disposition.
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Rappels au règlement
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous engagerons dans quelques instants un débat important sur la prolongation de l’état d’urgence sanitaire. Je souhaite dire quelques mots sur la forme.
Monsieur le ministre, la forme, c’est la façon dont l’exécutif considère la démocratie parlementaire. Chacun a bien compris la situation : le Président de la République malmène peut-être son gouvernement, lequel malmène peut-être à son tour le Parlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Patrick Kanner. D’ailleurs, voilà quelques dizaines de minutes, au moment où nous étions en train de débattre, le Président de la République, de manière spontanée, faisait une conférence de presse sur le déconfinement. J’espère que ses propos étaient conformes à ceux du Premier ministre – et réciproquement.
Le Gouvernement nous impose aujourd’hui un calendrier d’examen à marche forcée. M. le Premier ministre ou vous-même, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, me répondrez que l’urgence l’impose. Dont acte. L’urgence, nous la partageons. En revanche, nous condamnons le fait que le Gouvernement fasse porter à d’autres ses propres difficultés. Vous connaissez l’adage latin : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. »
La façon dont le Parlement est conduit à délibérer est totalement inacceptable, alors que nous avons jusqu’à présent été à la hauteur des enjeux. Monsieur le ministre, je vous rappelle la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 du 23 mars dernier, le PLFR 2, précédé du PLFR 1. Aujourd’hui, nous sommes en ordre de marche ; vous pouvez donc peut-être continuer à pousser ainsi le fer.
Pour notre part, nous voulons retrouver la plénitude des attributions que la Constitution nous accorde. Nous sommes aujourd’hui dans une démarche d’habilitation qui a permis au Gouvernement de prendre près de cinquante ordonnances différentes en quelques semaines ; nous l’avons fait en conscience et en responsabilité, mais la démocratie parlementaire nous incite à reprendre maintenant nos droits – permettez-moi cette expression – et le Gouvernement doit rapidement inscrire à l’ordre du jour des assemblées l’examen des projets de loi de ratification. En effet, si le Parlement a autorisé le Gouvernement à intervenir dans des domaines qui relèvent de la loi, c’est à lui qu’il appartient d’avoir le dernier mot.
Monsieur le ministre, je vous remercie de prendre en considération ces remarques, qui ont pour but non pas de bloquer votre travail, mais de faire respecter le Parlement, en particulier la Haute Assemblée, qui a toujours été constructive dans ses remarques, ses approches et ses préconisations, pour que la crise soit la moins longue possible dans notre pays.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage bien évidemment les propos de Patrick Kanner sur les conditions de travail des parlementaires à l’occasion de l’examen d’un texte important. Elles sont un frein à l’utilisation de notre droit d’amendement, qui est un droit constitutionnel. La démocratie parlementaire est bafouée, pour ne pas dire méprisée.
Cependant, comme nous sommes des hommes et des femmes politiques très responsables, nous avons travaillé et essayé d’examiner ce texte de façon très précise. Nous aurons donc des amendements à défendre, qui ne sont pas seulement des critiques, mais qui visent aussi à formuler des propositions.
Monsieur le ministre, il serait temps que le Parlement, en particulier la Haute Assemblée, soit respecté.
M. le président. Acte vous est donné de vos rappels au règlement, mes chers collègues.
Discussion générale
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis un mois et demi, notre pays fait face à l’impensable. L’impensable, c’est la mise en suspens de la vie sociale et de la vie économique, c’est-à-dire finalement la mise en suspens de toutes les évidences du quotidien. Affronter une crise sanitaire de l’envergure de celle provoquée par le Covid-19 était devenu un impensé, l’impensé d’un monde où le progrès technique et technologique nous protégeait de bien des périls, d’un monde où le sens collectif du tragique avait presque entièrement disparu.
Pourtant, en seulement quelques semaines, ce monde a trébuché, faisant trébucher avec lui bien des dogmes et des certitudes. Aujourd’hui, la moitié de l’humanité vit confinée. Partout dans le monde, c’est l’appel à rester chez soi qui a été lancé. Rester chez soi, limiter ses déplacements, renoncer à voir des parents ou des amis : autant de sacrifices consentis pour freiner la propagation du virus et protéger les plus fragiles.
Avant toute chose, je veux évidemment saluer les soignants, dont chacun mesure l’engagement et qui, chaque jour, se démènent au péril, parfois même au prix de leur vie. La Nation tout entière les regarde avec fierté, parce que rien n’est plus beau que de consacrer sa vie à sauver celle des autres.
Je salue de la même manière toutes celles et tous ceux qui permettent à la France de tenir bon et de surmonter cette épreuve. Grâce à eux, notre pays n’a pas sombré dans le chaos, et l’angoisse légitime n’a jamais pris la forme d’une panique collective.
Je veux aussi saluer les parlementaires, c’est-à-dire vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Dans des conditions souvent difficiles, chacun, sur ces travées ou depuis chez soi, a poursuivi son activité, parce que, même quand la vie du pays semble s’arrêter, la démocratie, elle, ne s’arrête jamais.
J’entends vos critiques sur les délais extrêmement contraints dans lesquels vous avez été amenés à examiner le projet de loi que je vous présente aujourd’hui. Bien sûr, nous aurions souhaité que vous disposiez de davantage de temps. Bien sûr, nous respectons la vie démocratique et la vie parlementaire de ce pays. C’est pourquoi, semaine après semaine, le Premier ministre et les membres du Gouvernement sont présents dans cet hémicycle, comme à l’Assemblée nationale : la continuité du fonctionnement de nos institutions n’a jamais fait défaut.
Quand on se compare, on se console, dit-on. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à me dire quel autre pays que la France a soumis au vote de son Parlement un plan de déconfinement et des mesures similaires à celles que nous vous présentons aujourd’hui. La démocratie importe énormément à la France. Encore une fois, je suis désolé pour les délais d’examen, mais constatez comment les choses se déroulent en France et comment elles se passent ailleurs.
Je salue aussi, à travers vous, l’engagement remarquable des élus locaux, qui, dans tous les territoires, ont pris des initiatives, ont inventé et ont joué un rôle décisif dans la protection des populations.
Le quotidien de notre pays a été bouleversé. Il le fallait pour éviter le pire. Nul ne peut s’en réjouir et tout le monde s’en serait volontiers passé. Les décisions prises jusqu’à présent dans ce contexte n’ont rien d’anodin et le Gouvernement en a parfaitement conscience.
Le Gouvernement sait que le texte qui vous est proposé et qui est destiné à proroger l’état d’urgence sanitaire n’est pas un blanc-seing. Bien au contraire, le Gouvernement mesure la responsabilité immense, la responsabilité historique qui est la sienne aujourd’hui.
L’état d’urgence sanitaire n’a qu’une seule vocation : permettre la lutte la plus rapide et la plus efficace possible contre l’épidémie qui frappe. Ce projet de loi visant à proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 24 juillet prochain est, conformément à l’avis unanime du comité de scientifiques, une nécessité. En effet, à l’unanimité, le conseil scientifique a considéré que l’ensemble des dispositifs de lutte contre l’épidémie de Covid-19 incluant ceux qui ont été prévus par la loi sur l’état d’urgence sanitaire restent nécessaires dans la situation sanitaire actuelle et pour les semaines, voire les mois à venir.
Je profite de mon intervention pour vous donner l’état des lieux aujourd’hui dans notre pays vis-à-vis de l’épidémie ; chacun pourra ainsi se rendre compte de la situation à laquelle nous faisons face. Ce soir, 131 863 patients ont été diagnostiqués et confirmés par test PCR pour le coronavirus ; ce sont 576 patients de plus au cours des vingt-quatre dernières heures. On dénombre 51 371 patients guéris parmi tous les patients hospitalisés, mais 25 548 patients restent hospitalisés ce soir. Certes, c’est une réduction de 267 patients par rapport à hier, mais cela représente précisément 699 admissions supplémentaires de patients à l’hôpital au cours des vingt-quatre dernières heures. La France déplore 25 201 décès, soit 306 décès de plus sur les vingt-quatre dernières heures.
Enfin, notre pays compte encore ce soir 6 455 patients dans les services de réanimation, dont 3 696 patients atteints du coronavirus. Ce sont, certes, 123 lits occupés de moins par des patients atteints du Covid-19, mais 84 admissions supplémentaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces chiffres, vous y êtes habitués ; je vous en donne la primeur ce soir à l’occasion de mon intervention. Derrière ces chiffres, il y a une situation hospitalière qui reste tendue, difficile ; il y a une épidémie que nous avons combattue avec succès grâce au confinement et grâce à l’action des Français depuis de nombreuses semaines, mais que nous n’avons pas totalement vaincue, tant s’en faut.
C’est pourquoi le Gouvernement sollicite la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Il a aussi semblé que, après six semaines au cours desquelles le pays tout entier a appris à vivre autrement, il convenait de proposer quelques modifications ciblées du régime de l’état d’urgence sanitaire afin d’en conforter le cadre juridique.
Je l’ai dit à Philippe Bas, président de la commission des lois : je me réjouis des débats à venir. Je sais l’action qui a été menée par la commission des lois, mais également par la commission des affaires sociales, sous l’égide de son président, Alain Milon. Je sais votre action déterminante, mesdames, messieurs les sénateurs. C’est pourquoi je me réjouis de pouvoir débattre avec vous afin que nous puissions avancer ensemble pour enrichir ce texte, le consolider et le conforter partout où cela sera nécessaire.
C’est surtout la perspective du déconfinement qui a amené à accélérer l’examen de ce projet de loi, compte tenu des adaptations législatives qu’il implique, et à prévoir un examen parlementaire compatible avec une entrée en vigueur du déconfinement le 11 mai prochain. Le déconfinement qui s’opérera peu à peu à partir de cette date ne sera pas un retour pur, simple et immédiat à la vie d’avant ; le Premier ministre l’a dit : il va falloir vivre avec le virus.
Penser que le déconfinement puisse être un arrêt brutal de toutes les mesures ayant permis jusqu’à maintenant d’éviter le pire et marquer un retour à la normale serait une grave erreur, que les Français ne commettront pas. J’ai souvent comparé ce que nous vivions à une course de fond : le 11 mai correspondra au premier ravitaillement de cette course de fond, mais le chemin sera encore long avant de franchir la ligne d’arrivée. Des vies sont en jeu ; la bataille n’est pas encore gagnée, loin de là.
Comme je viens de le dire, il est indispensable de sécuriser et d’élargir le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire afin d’y intégrer les enjeux du déconfinement. Je pense en particulier à la réglementation dans les transports ou les établissements recevant du public. Il s’agit non plus d’interdire ou de restreindre, mais de réglementer les déplacements, par exemple en imposant dans certains cas le port d’un masque.
Au fond, je me rends compte que nous parlons le plus souvent du déconfinement sous l’angle des interdictions qui vont rester. C’est peut-être une façon de signifier que le retour à la vie d’avant n’est pas pour tout de suite. Cependant, je veux le dire aux Français, le déconfinement marquera aussi le retour de libertés qu’ils ont perdues pendant un temps. Ce sera la possibilité d’emmener ses enfants à l’école, de prendre les transports en commun pour aller sur son lieu de travail et rentrer le soir chez soi, voire de se réunir avec quelques amis ou membres de sa famille, mais pas à plus de dix au total. Ce sont quand même des activités que les Français ont perdu de vue depuis plusieurs semaines et qui seront de nouveau possibles à partir du 11 mai.
Le projet de loi permet de mieux encadrer les possibilités de placement en quarantaine ou à l’isolement. Il renforce les garanties, notamment juridictionnelles, qui s’y rapportent. Les conditions générales seront définies par décret, après avis du comité de scientifiques. Je pense en particulier à la durée de ces mesures, aux lieux dans lesquelles elles pourront s’appliquer, au suivi médical qui les accompagnera, ainsi qu’aux déplacements que les personnes concernées pourront, le cas échéant, effectuer ou, à défaut, les moyens par lesquels un accès aux biens et services de première nécessité leur sera garanti.
J’y insiste, les mesures individuelles prises sur ce fondement ne pourront viser que ceux qui entrent sur le territoire national ou qui arrivent dans un territoire ultramarin ou en Corse, ou en provenance de l’un de ces territoires. Le Gouvernement n’a pas retenu la possibilité d’appliquer ces mesures aux personnes affectées par le Covid-19 qui auraient refusé de manière réitérée des prescriptions médicales prophylactiques et créeraient par leur comportement un risque de contamination pour d’autres personnes. Notre volonté, comme j’ai eu l’occasion de le dire au président Milon, est avant tout de faire confiance et de responsabiliser.
Les mesures individuelles seront prononcées sur décision motivée du représentant de l’État, sur proposition du directeur général de l’Agence régionale de santé et sur constatation médicale de l’infection en cas de placement à l’isolement. Bien évidemment, et c’est heureux, les mesures individuelles interdisant toute sortie pourront faire l’objet d’un recours, à tout moment, devant le juge des libertés et de la détention et ne pourront dépasser quatorze jours sans décision de ce même juge, sauf consentement de la personne concernée. J’ai noté avec satisfaction que la commission des lois a souhaité apporter un certain nombre de garanties, de précisions, dont nous pourrons débattre dans quelques minutes. Enfin, les mesures en cause ne pourront en aucun cas se prolonger au-delà de trente jours.
J’en viens à la création d’un système d’information.
Le système de tracing représente un outil essentiel pour maîtriser les chaînes de contamination. Tout ce qui peut aider à lutter contre ce virus doit être exploité, pas n’importe comment, bien sûr, mais en veillant scrupuleusement au respect des principes auxquels nous sommes toutes et tous attachés. J’y reviendrai.
Avec ce système d’information, il s’agit de collecter un grand nombre de données d’ordre médical et non médical pour les porter à la connaissance de différents intervenants, avec cinq étapes distinctes.
Première étape : le recueil des résultats positifs des tests par les laboratoires.
Deuxième étape : le tracing de niveau 1, qui est exercé par les professionnels de santé de premier recours, c’est-à-dire les infirmiers, les médecins, en ville ou à l’hôpital, pour définir le cercle des cas contacts.
Troisième étape : le tracing de niveau 2, qui est réalisé par les plateformes de l’assurance maladie pour enrichir la liste des cas contacts au-delà de ce premier cercle et vérifier qu’aucun cas positif n’a échappé au tracing de niveau 1 avant de donner toutes les consignes aux intéressés.
Quatrième étape : le tracing de niveau 3, qui est exercé par les agences régionales de santé. Ce niveau, que vous connaissez, puisque nous l’avons déjà expérimenté, vise à diligenter les enquêtes de terrain là où il y a une circulation encore plus active et concentrée du virus sur un territoire donné, de manière à casser, à briser les chaînes de contamination et à éviter des flambées épidémiques.
Enfin, cinquième étape : la surveillance épidémiologique locale et nationale effectuée par Santé publique France et la direction générale de la santé.
Je veux être très clair : ce système d’information est destiné à identifier des personnes infectées ou susceptibles de l’être, à collecter des informations nécessaires pour déterminer les personnes ayant été en contact avec ces dernières, à organiser des examens de biologie médicale de dépistage et à réaliser toutes choses utiles dans la lutte contre la propagation du virus.
Si nous avons besoin de la loi, c’est pour lever des obstacles. Certains s’inquiètent du respect du secret médical ou de l’intervention de nouveaux acteurs. En dehors de toute épidémie, il faut savoir que l’assurance maladie dispose de plusieurs sites sur lesquels elle centralise un certain nombre de données de santé, telles que les déclarations d’arrêt de travail ou les déclarations d’affection de longue durée. Ces systèmes d’information existent depuis des années et même des décennies. Y ont accès aussi bien des médecins, des pharmaciens que des salariés de l’assurance maladie, qui ne sont pas forcément médecins.
Ce qui est nouveau, avec ce dispositif, c’est que l’accès aux données va concerner, par définition, non pas seulement des personnes malades, mais également, potentiellement, des personnes non malades, qui sont ce qu’on appelle des cas contacts, plus ou moins proches, des personnes malades. Comme il n’a jamais été envisagé de donner accès aux mêmes acteurs de l’assurance maladie, aux mêmes médecins, aux mêmes soignants à des fichiers de personnes qui ne sont pas forcément malades, nous avons besoin de recourir à la loi. C’est tout l’intérêt de cette disposition législative.
Je veux aussi couper court à toute suspicion et à toute polémique. Les données concernées ne seront pas récoltées pour nourrir une application. Les systèmes d’information dont nous parlons sont juridiquement et techniquement totalement indépendants de tout système numérisé de tracing du type StopCovid. Le Premier ministre a bien rappelé qu’une telle mise en place nécessiterait l’organisation d’un débat ad hoc au Parlement.
Je fais vraiment la distinction entre les deux systèmes. Avec notre texte, il s’agit de créer un système d’information nouveau pour acheminer des résultats de tests positifs du laboratoire vers les intervenants du tracing, selon le rôle de chacun dans le dispositif. Par exemple, si vous avez des symptômes, vous allez vous rendre sur le parking d’un laboratoire qui a installé un drive. Un technicien va procéder à un prélèvement par écouvillonnage. À partir de ce moment-là, un numéro potentiellement identifiant va vous être affecté et il sera placé dans une base de données qu’on appelle Sidep. Ensuite, le prélèvement va être envoyé au laboratoire, où vont être réalisés les examens du type PCR.
Vous imaginez bien que le numéro est très utile pour que l’échantillon ne soit pas perdu. Si, manque de bol, le test est positif, et que vous êtes malade, il faut bien que votre médecin soit au courant, pour qu’il puisse vous appeler afin de vous prescrire des soins, de vous demander de vous isoler, de vous mettre à l’abri en quarantaine. Il doit aussi s’enquérir de l’identité des personnes de votre premier cercle que vous avez pu contaminer malgré vous. Il est donc indispensable que le numéro soit identifiant.
Dans le cadre du tracing de niveau 2, c’est l’assurance maladie qui prend le relais pour vous appeler et faire le tour de toutes les personnes que vous avez croisées dans les quarante-huit heures avant les premiers symptômes pour vérifier que personne n’a été exposé sans qu’on puisse le prévenir. Là encore, il y a un besoin de traçabilité, que remplit ce numéro.
Cette non-anonymisation est un moyen de ne pas passer à côté de personnes à risque. Vous comprenez bien que les agences régionales de santé et Santé publique France ont aussi besoin d’avoir accès à ces informations. En fait, tout ce que l’on vous demande, c’est de nous permettre, du début à la fin, c’est-à-dire du prélèvement jusqu’au moment où l’on va identifier toutes les personnes potentiellement malades pour les protéger, d’avoir accès à un seul système d’information où vont pouvoir interagir des médecins, des infirmiers, des biologistes et des salariés de l’assurance maladie.
La mise en œuvre de ces mesures supposera un décret en Conseil d’État, pris après un avis de la CNIL, qui sera rendu public, et qui est d’ores et déjà en préparation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ai pas manqué de saluer voilà quelques instants, à travers vous, tous les élus locaux de notre pays. Si l’on peut trouver une seule vertu à la crise sans précédent que nous traversons, c’est bien de révéler l’engagement et le sens des responsabilités des uns et des autres ; c’est de mettre à l’épreuve un système de décision en le confrontant à ses atouts, certains, comme à ses limites, tout aussi certaines.
Personne n’oubliera que, face au péril, les élus locaux, qu’ils soient maires, élus régionaux ou départementaux, ont été pleinement mobilisés pour organiser le combat contre le virus. Je pourrais en dresser la liste, mais cela prendrait beaucoup trop de temps et elle serait sans doute non exhaustive. Je voudrais remercier tous ces élus de différentes collectivités et de tous bords politiques, avec qui j’ai été amené à discuter, à échanger, à travailler, toujours dans la concorde, dans un seul et même objectif d’intérêt général. La période de déconfinement qui s’annonce verra les territoires jouer encore, forcément, un rôle très actif.
Le texte que le Gouvernement présente aujourd’hui est équilibré, gage d’efficacité dans le combat contre le virus, respectueux de principes avec lesquels nous ne transigerons jamais. Il permettra à chacun de servir l’intérêt de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Monsieur le ministre, je n’ai pas besoin de vous le dire, car vous le savez déjà, le Sénat tout entier est mobilisé pour participer à la lutte contre ce fléau épouvantable qu’est ce nouveau coronavirus, qui donne la maladie dite du Covid-19. Nous le sommes avec le souci de ne prendre des mesures contraignantes pour nos concitoyens que lorsqu’elles sont strictement nécessaires, en préservant toujours, autant qu’il est possible dans cette période exceptionnelle, nos libertés, nos droits fondamentaux et la vie privée. Il est d’ailleurs très difficile de trouver le bon point d’équilibre, et je ne suis pas sûr que nous y parviendrons. D’une certaine façon, je pense que la vigilance du Conseil constitutionnel permettrait de prendre le relais de la nôtre. Il me paraît tout à fait important que nos concitoyens sachent que, si nous menons avec résolution ce combat, nous avons l’exigence de lutter avec les armes qui sont celles d’une grande démocratie et d’un État de droit.
À cet égard, je ne sais pas si nous devons remercier le Gouvernement d’avoir accepté d’organiser le débat qui vient de se clore et qui a eu lieu à l’Assemblée nationale la semaine dernière. Nos traditions de courtoisie nous y incitent – donc, je l’en remercie –, mais nous sommes quand même obligés de vous dire qu’il ne s’agit pas d’une libéralité ou d’une faveur qui nous serait faite : c’est le jeu de la démocratie !
M. Philippe Bas, rapporteur. La Constitution prévoit ces débats et ces votes. Ils sont nécessaires !
Si le Gouvernement l’a organisé, c’est parce que nous le lui avons demandé. Je crois que nous avons bien fait. Il a d’ailleurs oublié de nous en remercier. En effet, le Gouvernement a pu trouver au Parlement le moyen de s’exprimer davantage devant les Français, même s’il reste, de notre point de vue, un certain nombre de zones d’ombre entourant la journée du lundi 11 mai.
Monsieur le ministre, vous nous présentez aujourd’hui ce texte. Je veux d’emblée dissiper toute ambiguïté pour nos collègues qui ne siègent ni à la commission des lois ni à la commission des affaires sociales, lesquelles ont déjà examiné ce projet de loi. Ils doivent savoir que ce texte n’est pas la traduction en forme de loi du plan de déconfinement du Gouvernement. Il comporte des mesures certes importantes, mais elles sont ponctuelles. J’ai proposé à la commission des lois de les adopter, moyennant un grand nombre de modifications, dont certaines, très importantes, nous ont été inspirées par la commission des affaires sociales. Le président Milon s’exprimera dans un instant sur ces propositions.
Ce texte comporte – dans la mesure où nous sommes dans la discussion générale, je vais me cantonner aux généralités – des mesures d’aménagement du régime de la quarantaine. Un tel régime existe depuis la nuit des temps : il est déjà dans le code de la santé publique. Vous en faites un usage particulier. Nous avons inscrit des garanties supplémentaires. Je rappelle que c’est surtout pour les outre-mer que vous avez besoin de ces mesures de quarantaine, même si elles peuvent s’appliquer à d’autres circonstances lors de l’entrée sur le territoire national. Nos îles ont besoin d’être protégées, car, si le virus venait à se répandre sur leur territoire, le danger serait grand que l’on ne puisse pas bien soigner les gens comme on peut le faire sur le continent.
À côté des mesures de quarantaine, il y a des mesures qui relèvent du système d’information que vous voulez mettre en place. Ne nous arrêtons pas trop sur le système d’information, car, ce qui est important, c’est ce que vous voulez en faire.
Nous sommes majoritairement d’accord avec la finalité que vous avez retenue. Quelle est-elle ? Il s’agit de remonter les filières de contamination. À un malade ou à quelqu’un qui s’est révélé porteur du virus, il importe de demander qui il a rencontré, dans le but de protéger ces personnes. Ensuite, celles-ci vont devoir être contactées pour faire un test dans les vingt-quatre heures ; le cas échéant, on leur demandera d’accepter de se mettre en quatorzaine pour ne pas courir le risque de contaminer autrui.
Nos compatriotes, qui sont de bons citoyens – ils l’ont prouvé pendant le confinement –, devront respecter ces prescriptions, bien sûr, mais vous ne pouvez pas mettre en place une telle organisation sans un système d’information. L’idéal eût été que ce système d’information soit exclusivement alimenté par des médecins sur la base d’un accord avec le patient, mais c’est inconcevable : il n’y aura jamais assez de médecins pour contacter chaque semaine – je reprends le chiffre du Premier ministre, qui est une évaluation dont je ne connais pas l’exactitude, mais qui donne quand même un ordre de grandeur – plus de 500 000 personnes. Le Premier ministre se dit même prêt à mettre en œuvre 700 000 tests hebdomadaires. Vous ne pouvez pas matériellement organiser cela uniquement avec des médecins qui signalent ce qu’on appelle, dans le jargon de la santé publique, des cas contacts. Il faut obligatoirement passer à une échelle supérieure.
Nous n’aimons pas ce système ; je n’ai rencontré personne au Sénat qui aimait ce système. Pourtant, bien que nous ne l’aimions pas, nous avons accepté en commission des lois de le mettre en place, mais à une condition majeure : le Gouvernement doit accepter un certain nombre de garanties supplémentaires, sur le détail desquelles je ne m’attarde pas maintenant, car nous aurons largement le temps de le faire tout à l’heure.
Enfin, je dois vous dire que nous avons buté sur un petit abcès de fixation dans nos travaux. Je ne veux pas l’exagérer, mais vous voyez bien que, finalement, le confinement est plus facile que le déconfinement.
Le confinement, c’est une règle applicable à tous, sur tout le territoire national : vous n’avez pas le droit de sortir de chez vous, sauf dérogations pour lesquelles vous devez remplir vous-même une attestation, qui pourra être contrôlée. Les contrôles ont d’ailleurs été massifs, comme la commission des lois a pu le vérifier.
Le déconfinement, c’est une multitude de situations qu’il va falloir régir : dans les transports, dans les écoles, dans les entreprises, dans les administrations et même dans les rues. Cela crée naturellement des difficultés.
Le Gouvernement a raison de souligner l’importance des gestes barrières, mais il est également important que les masques soient accessibles aussi massivement que possible. D’ailleurs, spontanément, les Français veulent en porter. Vous pouvez le vérifier tous les jours.
Par ailleurs, nous avons besoin qu’il y ait le moins possible de gens libérés du confinement sur les lieux de travail, dans les transports en commun ou dans la rue, car il y aura toujours, malgré les gestes barrières et les masques, des risques de contamination.
Ainsi, au moment du déconfinement, ce n’est plus l’État qui va dire : « À mes ordres, adoptez le comportement de confinement ! » Ce sont des dizaines de milliers de personnes, qui, chaque jour, vont prendre des décisions. Parmi elles, il y aura des maires, des présidents de grandes collectivités et leurs collaborateurs ; il y aura aussi des chefs d’entreprise. Ces personnes vont prendre des risques dans l’organisation du travail ; elles vont prendre des risques pour le bon accueil des enfants à l’école. Nous voulons permettre à ces décideurs de prendre ces risques sans s’exposer au danger d’une incrimination trop aisée.
Nous avons modifié l’article 1er, non seulement pour vous demander de revenir nous voir plus tôt que vous ne l’aviez prévu si vous voulez prolonger l’état d’urgence, mais aussi pour exiger un aménagement temporaire de la mise en œuvre de la responsabilité pénale de tous ceux qui vont avoir à prendre des risques raisonnés pour permettre au déconfinement progressif de réussir. Nous sommes mobilisés pour réussir le déconfinement, mais pas sans garanties. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’issue de bientôt deux mois de confinement, et alors que nous nous réunissons aujourd’hui pour la première fois depuis l’adoption de la première loi d’urgence, je ne peux entamer mon propos sans vous faire part d’une grande satisfaction, dont la période qui s’achève s’est pourtant montrée particulièrement avare : pendant que le pays, dépourvu à ce jour de toute certitude sur son avenir, est engagé dans un moment de son histoire dont il gardera pour longtemps la mémoire et les marques, le Parlement, en particulier le Sénat, n’a pas un instant cessé d’exercer, dans la tempête sanitaire qui nous secoue violemment, la vigilance essentielle et indispensable à tout état d’exception.
Sur le texte soumis aujourd’hui à notre examen, par lequel le Gouvernement nous demande de proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet, la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis de trois articles et a adopté six amendements, dont cinq ont été retenus par la commission des lois. Un point divise donc nos deux commissions. À mon sens, il résume à lui seul les conditions de la réussite que l’on est en droit, non pas seulement d’espérer, mais d’exiger de la levée du confinement.
Lors de sa déclaration devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre a érigé le point saillant de sa stratégie en un triptyque, dont la célébrité a presque immédiatement concurrencé celle de notre devise républicaine : protéger, tester isoler ; des mots vibrant et généreux, dont le succès ne pourra cependant dépendre d’une simple incantation.
Après la levée progressive du confinement, dont on ne peut qu’accueillir la nouvelle avec soulagement, vous entendez désormais, monsieur le ministre, faire supporter la lutte contre l’épidémie, fort loin d’être remportée, sur la seule responsabilisation citoyenne des personnes, y compris celles qui continueront d’être atteintes par le virus et celles qui, par leurs contacts, seront susceptibles de l’être. J’entends bien l’obligation politique d’emprunter désormais des voies décisionnelles, qui, après deux mois d’enfermement imposé à nos concitoyens, privilégient l’incitation à la contrainte.
Les professionnels de santé auditionnés par la commission des affaires sociales et engagés dans les premières formes de suivi sanitaire à domicile des patients atteints nous ont rappelé cette condition première et fondamentale, que vous connaissez en tant que praticien, et à laquelle tout soignant se doit de toujours soumettre son action : le consentement et l’adhésion de son patient. Je ne souhaite pas, bien évidemment, remettre en cause ce principe, mais que sait-on vraiment, mes chers collègues, de l’horizon maintenant tout proche que la levée du confinement dessine ? Victimes de l’enthousiasme bien légitime qui nous prend au moment où nous annonçons à nos concitoyens que leur liberté d’aller et venir sera bientôt recouvrée, n’oublierions-nous pas un peu vite que le matin du 11 mai ne rangera pas magiquement les ravages de cette épidémie dans les épisodes malheureux, mais clos, de notre histoire ?
Le risque d’un sursaut de la maladie, avec la cohorte tragique d’hospitalisations qui l’a accompagnée, est aussi réel et présent qu’à ses premiers jours. La seule différence entre hier et aujourd’hui tient dans la capacité de notre système hospitalier, qui, exemplaire dans la prise en charge de la première vague, ne manquerait pas d’être irrémédiablement submergé par la seconde. Inciter à un changement réel des comportements individuels est nécessaire, mais quel poids accorder au premier mot lancé par le Premier ministre – « protéger » – si on lui refuse l’appui du troisième, à savoir « isoler » ?
Le texte du Gouvernement réserve les quarantaines et isolements aux seuls mouvements de population transfrontaliers ou interinsulaires. Ce n’est pas seulement insuffisant, c’est dangereux. Par cette qualification des seuls cas d’isolement prophylactique contraint, monsieur le ministre, vous faites courir à nos concitoyens le risque d’une insouciance périlleuse, qui considérerait le danger écarté tant que l’on reste à l’intérieur de nos frontières.
L’histoire nous prouve que ces craintes ne sont pas infondées et que les appels les plus renouvelés à la responsabilité citoyenne peuvent se montrer cruellement insuffisants. Les épidémiologistes ont tous en mémoire le triste exemple de Mary Mallon, porteuse saine de la fièvre typhoïde au début du XXe siècle, qui avait accepté une première période volontaire de quarantaine, mais refusa une seconde période et essaima sa maladie. L’État de New York l’obligea ensuite à deux quarantaines d’affilée, afin d’éviter qu’elle ne contamine d’autres personnes.
À ceux qui me rappelleront justement que l’on ne pourra pas reconstruire notre société et notre économie durement éprouvées en substituant la diffusion du soupçon à celle du virus, je répondrai que la confiance ne se conçoit pas sans précaution. J’aurai l’occasion de vous l’exposer tout à l’heure, mes chers collègues, par la présentation d’un amendement, qui vise à étendre la possibilité de quarantaine et d’isolement au cas du refus réitéré d’un confinement prophylactique. C’est en conscience que je vous demanderai alors de me rejoindre dans l’adoption de cette mesure, à mes yeux indispensable au succès des prochains jours. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions (n° 417, 2019-2020).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion, l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. L’examen du texte qui a déclenché l’état d’urgence sanitaire, devenu la loi du 23 mars 2020, s’est effectué dans le cadre d’une forme de sidération démocratique face à la violence de l’épidémie, qui peut expliquer la légèreté du contrôle de constitutionnalité sur des dispositions particulièrement lourdes en matière de libertés publiques et démocratiques. La précipitation exigée par cette agression virale, mais aussi par un état d’impréparation et de dénuement de notre pays face à une telle situation, que nos concitoyennes et nos concitoyens ne comprennent toujours pas, a provoqué le transfert d’une forme de pleins pouvoirs au Gouvernement pour une durée indéterminée. Il est grand temps de vérifier si l’état d’urgence que nous vivons et sa prolongation sont conformes à la Constitution et aux valeurs fondamentales de notre République.
Cela ne fait pas de doute, ce projet de loi sera soumis à l’appréciation du Conseil constitutionnel, et nous nous associons à cette démarche. Il nous paraît cependant nécessaire que le Parlement, notamment le Sénat, débatte dès maintenant de cette constitutionnalité, exerçant ainsi son pouvoir souverain, sans attendre l’examen par le Conseil constitutionnel, lequel, dois-je le rappeler, n’est pas pourvu de la même légitimité démocratique et a pris une décision contestable et contestée sur la loi organique du 25 mars dernier accompagnant le premier état d’urgence sanitaire.
Depuis le 16 mars, notre pays est confiné. Les libertés publiques et la démocratie le sont aussi. Le Gouvernement et son administration ont pris seuls les rênes du pouvoir : ont été pris 31 ordonnances, 70 décrets, autant d’arrêtés ministériels et au moins 1 200 arrêtés préfectoraux.
Action et efficacité ont été les maîtres mots du Président de la République, de son Premier ministre et des ministres. Bien sûr, il fallait agir vite ; bien sûr, il fallait que la mobilisation soit générale et exemplaire. Toutefois, monsieur le ministre, nous constatons que cette prise en main de la quasi-totalité des pouvoirs s’est traduite par une forme d’infantilisation de notre peuple et de ses représentants.
« Ayez confiance », clamez-vous à tout-va. Mais, en démocratie, la confiance se partage et fait l’objet d’un débat, puis d’un contrôle. Notre peuple n’a pas besoin de tuteur ; il a besoin d’un pouvoir exécutif et d’un pouvoir législatif à l’écoute de ses difficultés, de ses souffrances, de ses inquiétudes, de ses colères et de ses exigences.
Le Président de la République a admis des failles, des lenteurs, des insuffisances. C’est plutôt, selon nous, la faillite d’un système libéral fondé sur la réduction d’une dépense publique entraînant la casse des services publics, en premier lieu de l’hôpital, qu’il faut admettre une fois pour toutes.
Le triste feuilleton des masques et la longue incapacité de production de tests le soulignent : les pleins pouvoirs ne résolvent pas tout. Le temps perdu par des choix politiques et non pas par la fatalité ne se rattrape pas par une débauche de communication souvent désordonnée et contradictoire, mais par une mobilisation de tous les acteurs de notre démocratie : les citoyennes et citoyens, les forces associatives et syndicales, les parlementaires, les élus locaux et l’exécutif.
Comment ne pas constater que la captation de tous les pouvoirs par ce dernier est d’autant plus insupportable démocratiquement que notre pays est confronté depuis des années à une centralisation des décisions aux mains d’un seul homme, le Président de la République ? Le choix solitaire de la date du 11 mai par Emmanuel Macron pour enclencher le déconfinement est une démonstration de l’impasse démocratique dans laquelle se trouve notre pays. Cette décision aurait dû être préalablement débattue, partagée, sous-pesée par les acteurs démocratiques, économiques et sociaux. Tel n’a pas été le cas, puisque de nombreux membres du Gouvernement ont eux-mêmes découvert cette décision au dernier moment.
Même chose pour le plan de déconfinement que M. le Premier ministre nous a exposé : un ensemble de mesures de cette importance pour l’avenir de notre pays et de notre peuple aurait exigé un projet de loi visant à véritablement partager le pouvoir avec le Parlement, lequel aurait disposé d’un droit de proposition, d’amendement et de vote.
Faute de masques, faute de tests, faute de préparation dans les transports, faute de moyens, la date du 11 mai devient incertaine, et ce qui aurait dû être source d’espoir est devenu source de profonde inquiétude. La situation de défiance qui monte dans notre pays indique qu’il faut maintenant restaurer le fonctionnement démocratique de nos institutions. La question de la levée de l’état d’urgence est donc posée.
Cet état d’urgence est l’exception de l’exception : une telle pratique est-elle conforme à la Constitution ? Nous nous questionnons fortement. En effet, rappelons-le, l’article 2 de la loi promulguée le 23 mars introduit dans le code de la santé publique un nouvel état de crise : l’état d’urgence sanitaire. Il y est précisé que la prorogation de l’état d’urgence au-delà d’un mois doit être autorisée par la loi. Il y est aussi précisé que la loi, confirmant cette prorogation d’un mois, doit en fixer la date butoir. En effet, le nouvel article L. 3131-14 du code de la santé publique dispose : « La loi autorisant la prorogation au-delà d’un mois de l’état d’urgence sanitaire fixe sa durée. »
Il a été finalement créé, par l’article 4 de cette même loi du 23 mars, un autre cadre temporel, un état d’urgence sanitaire d’exception, dont la durée est de deux mois. Nous constatons aujourd’hui qu’il peut être renouvelé sans date butoir. Le troisième alinéa de l’article 4 indique en effet que la prorogation de l’état d’urgence, le second état d’urgence, à savoir l’exception de l’exception, au-delà de la durée de deux mois ne peut être autorisée que par la loi. Plus d’obligation, donc, dans cette situation, de prévoir une date butoir. Nous contestons la constitutionnalité de cet article 4, lequel, rappelons-le, n’a pas été soumis au Conseil constitutionnel après le 23 mars.
Monsieur le président de la commission des lois, je sais que la question de la maîtrise par le Parlement de la durée de l’état d’urgence était pour vous une priorité. En 2015, lors de l’examen du projet de révision de la Constitution relatif à la protection de la Nation, qui n’a finalement pas abouti, vous aviez déposé deux amendements significatifs pour préserver le pouvoir des assemblées en matière de fixation de la durée de l’état d’urgence. L’un de ces amendements visait même à garantir le pouvoir des assemblées, y compris dans le cas des articles 16 et 36, relatifs à l’état de siège et aux pleins pouvoirs.
Quelle que soit la gravité de la crise, le transfert massif du pouvoir législatif au pouvoir exécutif pour une durée indéterminée n’apparaît pas conforme aux valeurs de la République ni à l’esprit même de la Constitution.
Avant tout examen du texte, nous devons demander au Gouvernement de rétablir l’équilibre institutionnel, en fixant une date butoir à l’état d’urgence. En effet, ne l’oublions pas, la lutte contre l’épidémie pouvait se faire dans le cadre de dispositions préexistantes à la loi du 23 mars 2020. Rappelons-le, l’étude d’impact jointe au projet de loi visant à instaurer l’état d’urgence indiquait – cela est passé inaperçu – que l’état normal pouvait répondre à la crise sanitaire. Trois options étaient ainsi retenues.
Option 1 : ne pas modifier le cadre législatif en continuant de s’appuyer sur les dispositions sanitaires existantes des articles L. 3131-1 du code de la santé publique et d’autres dispositions plus spécifiques du même code en matière de réquisition ou encore de lutte contre la propagation internationale des maladies, ainsi que sur le pouvoir de police appartenant respectivement au Premier ministre, aux maires et aux préfets.
Option 2 : compléter les dispositions existantes pour les adapter aux situations extrêmes.
Option 3 : l’état d’urgence sanitaire. Il s’agit d’une option pleinement politique, dont la pertinence sanitaire reste à prouver.
Limiter la durée de l’état d’urgence est une exigence constitutionnelle. Le Défenseur des droits a d’ailleurs rappelé « l’impératif de limiter dans le temps les dispositions spéciales qui restreignent l’exercice des libertés publiques ». Or il nous est demandé aujourd’hui de proroger l’état d’urgence et non pas de le limiter. Nous refusons clairement cette disposition. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons déposé cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je me retrouve avec Mme Assassi sur beaucoup de valeurs, parce que ce sont celles de la République. Pourtant, je ne les interprète pas au point d’approuver sa motion, ce dont elle ne sera pas surprise.
Ma chère collègue, je refuse moi aussi toute évolution qui aurait pour effet de réduire notre démocratie au dialogue singulier entre un homme – le Président de la République – et le peuple français. Cette vision n’est pas la nôtre ! Nous sommes les représentants de la Nation au Parlement, au Sénat de la République, et jamais nous ne pourrons l’accepter.
Nous ne sommes pas non plus les apôtres d’un système dans lequel il n’y aurait plus les garanties de l’État de droit pour s’opposer aux excès de pouvoir. Quand nous nous prononçons en faveur de l’état d’urgence sanitaire, cela ne signifie pas que nous renoncions à l’État de droit, car nous prévoyons des garanties.
Dans notre démocratie, le Parlement est là – il vote la loi – et les restrictions à l’exercice de libertés fondamentales doivent être justifiées, sous le contrôle, possible et souhaitable, du Conseil constitutionnel et, pour ce qui concerne leur mise en œuvre, des juridictions.
Ne cédons pas à la tentation d’une vision trop réductrice de l’état de notre démocratie, même s’il existe de véritables sources de préoccupation, que vous avez exprimées et que je partage s’agissant de l’équilibre des pouvoirs dans la République et d’un certain nombre d’évolutions qui ne me paraissent pas favorables à la vie d’une démocratie équilibrée dans laquelle tous les points de vue peuvent être entendus avant la décision.
Reste que nous sommes là et que nous ne pouvons pas, sans nier notre propre mission, considérer que le Parlement n’aurait pas d’importance. Nous voterons – ou pas – le projet de loi qui nous est proposé pour proroger l’état d’urgence, mais nous y inscrirons des garanties essentielles qui n’y figurent pas. C’est la différence entre votre position, qui consiste à refuser la discussion, et notre position, qui est favorable à la discussion, afin d’inscrire des garanties dans le texte, conformément au rôle du Sénat dans le cadre du processus législatif.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, la commission, après avoir longuement délibéré – près de dix minutes –, a décidé d’émettre un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Le Gouvernement est forcément défavorable à cette motion.
L’idée de faire durer l’état d’urgence sanitaire ne plaît à personne…
M. Jacques Grosperrin. C’est clair !
M. Olivier Véran, ministre. … parmi tous ceux qui siègent sur les travées du Sénat, sur les bancs de l’Assemblée nationale ou à la table du conseil des ministres. La restriction des libertés inhérente à l’état d’urgence sanitaire est un déchirement pour chacun d’entre nous. Priver les familles de fêtes, de deuils, les gens de travail, les enfants d’école, un certain nombre de nos concitoyens de déplacements ne fait pas partie de notre ADN politique, ni du vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs. Si nous agissons ainsi, c’est pour protéger les Français.
Je vous demande très sobrement de ne pas adopter cette motion, qui nous empêcherait de poursuivre la mission de protection qui nous a été confiée et que nous avons, je crois, conduite avec parcimonie, raison et efficacité, si j’en juge par l’évolution de la courbe épidémique. Au reste, cette courbe évolue de la même manière dans tous les pays ayant eu recours au confinement. L’épidémie est en recul dans tous les pays d’Europe, sauf en Suède. Je ne sais pas si l’on peut faire une corrélation. Quoi qu’il en soit, je ne me permettrai pas de le faire et encore moins de juger un autre État. Simplement, j’observe que tous les pays ayant mis en place le confinement ont vu l’épidémie régresser.
Nous avons encore besoin de faire un effort collectif pour arriver à terrasser définitivement ce virus. Toutes les protections nécessaires seront apportées dans le cadre du débat parlementaire, ce dont je me réjouis.
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. Jean-Pierre Sueur. Le groupe socialiste s’abstiendra.
M. le président. Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je rappelle, en outre, que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme Christine Herzog. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début de la crise sanitaire, les élus locaux, les maires et les parlementaires se sont engagés pour appliquer localement la stratégie décidée par le Gouvernement. Nous avons fait preuve de bonne volonté et de bienveillance, car cette crise exige de notre part une implication totale et constructive.
Le projet de loi qui nous est présenté devrait constituer une étape décisive dans le processus de déconfinement, mais il pose plus de questions qu’il n’en résout. Nous en avons tous conscience, le déconfinement est une étape complexe. Les acteurs de terrain, notamment les maires et les chefs d’entreprise, qui seront confrontés à de nombreux défis, sont en première ligne. Pourtant, ce texte ne dit rien sur leurs missions précises et les moyens qui leur seront donnés pour agir. La question de leur responsabilité juridique, qui aurait dû être abordée rapidement, ne trouve toujours pas de réponse. C’est pourtant la base avant leur implication dans une stratégie qui reste floue à bien des égards.
Aujourd’hui, la date du déconfinement est encore suspendue à des indicateurs qui sont biaisés, car le confinement seul ne suffit pas. Pour être efficace, il fallait avoir une stratégie globale reposant sur des protections en nombre, des tests de dépistage et une phase d’isolement des personnes contaminées. C’est ce qui a été fait dans plusieurs pays, et ce depuis plusieurs semaines.
Dans ce projet de loi, de nombreux sujets sont renvoyés à des ordonnances et à des décrets ultérieurs. Ainsi, l’article 3 évoque les plans d’accompagnement, mais ne précise pas le rôle des maires dans l’action des brigades chargées de tracer les contacts des personnes infectées. Rien n’est dit non plus sur l’étape cruciale consistant à isoler ou à héberger les malades dans leur commune.
Quant à l’article 6, relatif à l’organisation des systèmes d’information et à la surveillance locale des cas détectés, il ne donne pas non plus les garanties nécessaires ni le cadre légal indispensable sur un sujet aussi sensible.
Enfin, la reprise économique constitue un pilier majeur dans le dispositif du déconfinement. Les chefs d’entreprise sont eux aussi en première ligne. Ils ne doivent pas être tenus responsables des risques sanitaires dus au Covid-19. Comme pour les maires, leur faire porter une responsabilité juridique, éventuellement pénale, sans l’avoir définie au préalable est inacceptable.
Ces lacunes constitueraient un frein au redémarrage économique du pays, sur lequel repose notre avenir.
En conclusion, je tiens à dire que, si je ne m’oppose pas à l’adoption de cette loi, de nombreuses questions restent en suspens. Elles appellent des réponses claires de l’État, afin que chacun puisse remplir son rôle et prendre ses responsabilités. (M. Philippe Adnot applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a six semaines, nous débattions de la mise en œuvre d’un état d’urgence sanitaire spécifiquement créé pour lutter contre le Covid-19. Notre groupe avait alors émis de nombreux doutes sur ce régime d’exception. Nous avions mis en garde sur l’effacement du contrôle parlementaire et, plus généralement, sur les garanties démocratiques données aux Français et à leurs élus.
Aujourd’hui, le déconfinement progressif du pays est envisagé pour le 11 mai dans une grande confusion. D’ailleurs, le Sénat vient d’émettre un avis défavorable sur le plan de déconfinement du Gouvernement. Le même jour, monsieur le ministre, vous nous demandez de prolonger l’état d’urgence de deux mois et d’en étendre les dispositions, comme si la méthode actuelle ne devait pas être réévaluée et modifiée.
Cette loi d’urgence a habilité le Premier ministre, mais aussi les préfets, à prendre des mesures qui touchent en de nombreux domaines à la restriction des droits et libertés individuelles et collectives. Si personne ne réfute l’urgence sanitaire, une telle situation nécessite une grande concertation, laquelle a largement fait défaut, comme on peut le constater pour l’école.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme, après avoir mis en place son propre observatoire de l’état d’urgence, s’interroge dans son avis du 28 avril sur la pertinence de la création d’un état d’urgence sanitaire au regard des textes existants, ainsi que sur son impact sur le fonctionnement des institutions et de la vie démocratique.
L’expérience de l’état d’urgence prévu par la loi du 3 avril 1955, maintes fois prorogé à la suite des attentats de 2015, a montré que le risque de contamination du droit commun par des dispositifs d’exception est réel. La prolongation de deux mois qui nous est demandée, sans qu’une durée finale soit prévue, renforce incontestablement ce danger.
À cet égard, permettez-moi de rappeler l’avis du Syndicat de la magistrature, qui attire l’attention sur le « risque de voir ce régime d’exception devenir un laboratoire de dispositifs acceptés en raison de la peur engendrée par le risque sanitaire dont la normalisation par l’effet du temps et de l’accoutumance va masquer leur caractère intrinsèquement attentatoire aux droits fondamentaux ». Malheureusement, les articles de ce projet de loi en témoignent. Ainsi, les articles 2 et 5 ne sont pas présentés comme des dérogations : ils semblent amender, sans durée limitée, les dispositions du code de la santé publique.
D’autres mesures coercitives nouvelles posent problème. Dans les transports, alors que vous ne répondez ni aux alertes des opérateurs de transport public sur le déconfinement ni à l’appel à un soutien public massif à la SNCF, vous proposez l’extension des pouvoirs de police visant à verbaliser les usagers des transports à tous les agents des transports publics, ce que ne demandent ni les entreprises concernées ni leurs salariés. Les pouvoirs de police doivent rester du domaine des forces de police, la confusion ne pouvant que nuire à la réussite du déconfinement.
De la même manière, les modalités de mise en quarantaine et d’isolement des personnes posent problème. Sur le dispositif restant en discussion, la Cour européenne des droits de l’homme considère que la mise en quarantaine doit constituer le moyen de dernier recours pour empêcher la prolongation d’une maladie. Par conséquent, d’autres mesures moins sévères doivent, selon la Cour européenne, avoir déjà été envisagées et jugées insuffisantes. Or, sur ce point, le projet de loi est flou.
Il y a donc un risque à envisager de nouvelles mesures coercitives de cette nature, dans le cadre d’un contrôle parlementaire et juridictionnel aussi réduit et mis en œuvre dans des temps trop limités.
J’ajoute que, en matière d’accompagnement économique et social, la prolongation demandée n’envisage aucune correction du dispositif voté en mars. C’est la raison pour laquelle nous avons redéposé des amendements visant à mieux protéger les salariés : gratuité des masques dans les transports et prolongation de l’interdiction des expulsions locatives.
Enfin, dernière mesure phare proposée par le Gouvernement, la mise en place d’un large système d’information doit contribuer à identifier les chaînes de contamination. Si le texte législatif évoque ce point, c’est parce que le dispositif proposé oblige notamment – malgré vos explications, monsieur le ministre – à lever le secret médical, en autorisant l’accès à des données médicales par des personnes non médecins.
Les commissions des lois et des affaires sociales ont souhaité apporter plusieurs garanties, ce qui est une bonne chose. Néanmoins, selon nous, cela reste insuffisant. La notion de recueil volontaire des données ne figure pas dans le projet de loi et l’anonymat n’est pas garanti. Plus globalement, sur cet article 6, il ne nous paraît pas acceptable de proposer au législateur d’adopter un dispositif aussi important et aussi flou, en laissant aux décrets d’application toute latitude quant au champ précis du système et à sa mise en œuvre.
Je veux ajouter un mot sur la responsabilité juridique. Les apports de la commission des lois s’agissant de la responsabilité des maires vont dans le bon sens, nous y reviendrons sans doute abondamment au cours de l’examen des articles. En revanche, la déresponsabilisation des chefs d’entreprise, que certains veulent mettre en parallèle, n’est pas acceptable. Toute entreprise se doit de mettre en œuvre les conditions suffisantes pour assurer la sécurité de ses employés. Après les entorses et les dérogations déjà apportées au droit du travail par l’état d’urgence, de telles mesures ouvriraient la porte à tous les abus, pour pousser au retour au travail dans n’importe quelles conditions.
Voilà pourquoi c’est en toute responsabilité que nous voterons contre ce projet de loi. La nécessité d’agir ne doit en aucun cas affaiblir notre regard exigeant de législateur, surtout pas en ces temps d’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la pandémie du coronavirus a bouleversé le monde. Elle a atteint nombre de nos concitoyens et mis notre pays à l’arrêt. Cette situation sanitaire inédite constitue un défi majeur, en nous imposant de modifier nos comportements au nom de l’intérêt général. Le civisme est une arme primordiale dans le combat qui est engagé.
Pour endiguer le virus, des mesures de confinement ont été prises : il a fallu réduire les contacts et les déplacements au minimum. Je tiens tout particulièrement à saluer policiers et gendarmes, qui ont veillé et continuent de veiller au bon respect des mesures de confinement. À cet égard, il est incompréhensible qu’ils ne disposent pas toujours de protection. Je veux saluer aussi les maires, les élus locaux et l’ensemble des collectivités locales, qui se sont montrés à la hauteur de la situation.
Le projet de loi que nous allons examiner doit proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au mois de juillet. Ce texte traite de la mise en quarantaine, de l’isolement des personnes infectées et de la collecte des données médicales pour remonter et casser les chaînes de transmission du virus.
À titre personnel, je serai vigilant s’agissant de la configuration du dispositif de traçage numérique envisagé par le Gouvernement et visant à informer l’utilisateur de son exposition à un risque particulier de contamination, du fait des personnes rencontrées. Je serai également attentif aux moyens humains déployés qui composeront les brigades d’enquêteurs au niveau territorial.
Avant de conclure, je souhaite exprimer ma reconnaissance à celles et ceux qui donnent toute leur énergie pour assurer les soins médicaux et la continuité des activités essentielles. Je veux aussi faire part de ma compassion à tous ceux qui ont perdu un être cher et n’ont pas pu l’accompagner dans leurs derniers instants.
Monsieur le ministre, nous devons réussir ensemble le déconfinement. La confiance est l’une des conditions essentielles et majeures pour réussir cette sortie de crise. Il faut arrêter la prorogation des délais de procédure, qui bloque la remise en marche de notre pays. Pour l’heure, l’administration n’est pas au rendez-vous, ne serait-ce que pour ce qui concerne les DIA, les déclarations d’intention d’aliéner. Ces ressources des départements sont déjà dans le rouge. Il faut aussi redonner au maire le pouvoir de signer des permis de construire. L’administration devra retrouver son plein niveau afin de combler les nombreux retards qui se sont accumulés. Elle devra être aux côtés de nos concitoyens dans la reprise qui s’amorcera lundi prochain.
Le groupe Les Indépendants soutient les orientations de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les élus du groupe centriste abordent ce texte dans une logique d’efficacité au regard de la santé publique, tout en restant fidèles à leur tradition de préservation des libertés publiques et individuelles.
À nos yeux, ce projet de loi contient trois points particulièrement importants.
Le premier point, c’est la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, qui figure à l’article 1er et qui a donné son titre au présent texte. Il est normal que le Parlement donne à l’exécutif les moyens de faire face à une situation de crise extrêmement lourde. C’est la raison pour laquelle cette autorisation a été accordée par la loi du 23 mars dernier ; nous comprenons qu’elle soit prorogée, même si nous apprécions la limitation proposée par la commission des lois.
En approuvant cet article, nous souhaitons mettre en exergue l’idée que, dans la lutte contre le virus, l’engagement du monde soignant est essentiel. Toutefois, n’oublions pas le soubassement institutionnel. Dans cette crise, comme dans la crise des « gilets jaunes », la Constitution reste l’arme la plus solide dont dispose notre pays : elle nous permet d’apporter les réponses institutionnelles adéquates.
Le deuxième point, c’est la question de la responsabilité. Nous sommes favorables à l’évolution du régime de responsabilité proposée par la commission des lois. Nous connaissons les difficultés de l’exercice et les subtilités de la loi Fauchon – l’équilibre défini à l’époque n’a pas été atteint sans mal.
Cela étant, une attente s’exprime. Nous n’entendons pas revenir à l’obligation, pour tous les décideurs, de respecter les lois, règlements et autres directives. Néanmoins, la définition de la faute dite « caractérisée », que connaissent bien ceux qui s’intéressent au droit pénal, pose un problème spécifique. Le plan de déconfinement va exiger un certain nombre de mesures de la part des décideurs ; or nous savons qu’une partie d’entre elles n’ont pas recueilli l’accord du comité de scientifiques. Dans quelques mois, cette situation contradictoire pourrait entraîner des difficultés.
Un assouplissement de la définition de la faute caractérisée, limité dans le temps et dans son spectre, nous semble donc bienvenu, en respectant les principes constitutionnels d’obligation de poursuites et d’égalité.
Le troisième et dernier point, c’est l’article 6.
Monsieur le ministre, nous ne vous le cachons pas : au sein du groupe centriste, cet article nous inspire beaucoup d’interrogations. Autant, je le répète, nous admettons les exigences de l’exécutif vis-à-vis du législatif pour répondre à la crise, autant nous entendons que le Parlement exerce un contrôle exigeant sur l’exécutif. Or cette exigence porte tout particulièrement sur l’article 6.
Le Premier ministre nous a dit précédemment qu’il comptait sur l’adhésion plus que sur la contrainte. Dans l’article 6, je ne vois pas très bien quelles sont les parcelles d’adhésion… En revanche, je vois assez bien où sont les éléments de contrainte. En d’autres termes, il nous faut revenir aux logiques d’équilibre, aux checks and balances.
Une interrogation demeure – notre collègue présidente de la commission de la culture travaille depuis longtemps sur ces sujets – quant aux risques de dérapage. La collecte de données massive – c’est bien le cas en l’occurrence – et centralisée ne laisse pas de nous inquiéter. Nous ne contestons pas votre bonne volonté, mais, si ces outils technologiques nous préoccupent, c’est précisément parce qu’ils peuvent tomber dans de mauvaises mains. Avec de tels dispositifs, nous risquons d’entrer dans un engrenage.
Nous éprouvons également une incompréhension quant au niveau du recueil de données qui existe d’ores et déjà. Vous venez nous demander une habilitation pour la mise en place d’un système dit « d’information ». Or, au Journal officiel du 22 avril dernier, figurait un arrêté autorisant le Health Data Hub et la CNAM à collecter un large éventail de données. Je vous l’avoue, nous avons un peu de mal à comprendre comment se combinent les différents systèmes d’information. Bien sûr, si ces derniers se révèlent trop nombreux, la difficulté ne fait qu’augmenter.
Pour conclure au sujet de cet article 6, je dirai que l’identification des données pose, selon nous, problème. Nous aurions préféré, et de loin, une anonymisation. À tout le moins, lorsque les personnes ont été prévenues, qu’elles ont été soignées et que leurs contacts ont été identifiés, elles doivent redevenir anonymes.
En résumé, oui au partage d’information au stade de l’enquête épidémiologique de terrain, mais non à cette identification dans des serveurs centraux (Mme Marie-Pierre de la Gontrie applaudit.), qui – je le dis sans aucune discourtoisie à votre égard : c’est le principe qui est en cause – sont à la main du ministère de la santé et, plus largement, de l’exécutif.
L’absence de consentement de l’individu nous inquiète, ainsi que tout ce qui pourrait conduire à développer, en complément de ce système d’information, une application apparentée au dispositif StopCovid, même si ce projet semble mal né.
Vous nous présentez quatre finalités. Mais, pour ce qui concerne la première, qui va saisir les résultats dans le système ? Au sujet de la deuxième, comment allez-vous garantir l’anonymat des personnes atteintes par le virus lorsque la chaîne des contacts sera remontée et que les gens seront interrogés ? Au titre de la troisième finalité, on nous parle de suivi médical : s’agira-t-il d’un contrôle ? Que signifie « vers des prescriptions médicales d’isolement prophylactique » ? Enfin, la quatrième finalité, à savoir la surveillance épidémiologique et la recherche menée en la matière, ne peut être envisagée que dans un cadre garantissant l’anonymat.
Nous écouterons vos explications avec beaucoup d’attention au cours des débats. Nous ne contestons pas la pertinence du travail accompli par la commission des lois ; mais, même avec ces garanties, nous restons extrêmement dubitatifs quant aux conséquences du système que vous nous proposez de mettre en place à travers l’article 6. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Maryse Carrère et Marie-Pierre de la Gontrie applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en premier lieu, il nous paraît essentiel de bien clarifier les choses quant à la responsabilité des élus locaux. Sans cette clarification, qui nous est demandée dans tous les départements, on ne peut que douter de la mise en œuvre des mesures relatives à l’école comme à d’autres domaines.
À cet égard, nous avons bien noté l’amendement de M. Bas, dont les dispositions présentent un caractère extrêmement général. Nous ne méconnaissons pas les questions de responsabilité qui se posent pour d’autres personnes, mais nous considérons – c’est pourquoi nous allons déposer un nouvel amendement ce soir – que les élus locaux méritent des mesures spécifiques.
En deuxième lieu, nous pensons qu’il faut toujours veiller aux droits du Parlement : tel est le sens de notre amendement tendant à limiter à un mois la prolongation de l’état d’urgence. Nous devons disposer de toute l’information quant aux décisions prises par le Gouvernement et les préfets. De plus – Patrick Kanner l’a déjà dit –, nous voulons savoir quand le Parlement procédera à la ratification des dizaines d’ordonnances adoptées.
En troisième lieu, la crédibilité de ce texte dépend des capacités de fourniture, dans un contexte cohérent, à différents niveaux.
Mes chers collègues, qu’il s’agisse des masques ou d’autres dispositifs, nous avons vu régner une véritable loi de la jungle. Face à de telles réalités, l’État doit jouer tout son rôle. Le pouvoir régalien est, finalement, un pouvoir très républicain.
En quatrième lieu, ce qui nous préoccupe, c’est en partie ce qui se trouve dans ce texte et, surtout, ce qui n’y est pas. Ce projet de loi traduit une conception de l’article 45 de la Constitution que nous avons toujours jugée restrictive. Dès lors que nous prolongeons les dispositions d’une loi – celle du 23 mars dernier –, nous devons pouvoir l’amender dans son ensemble. Or nous ne pourrons pas discuter de toutes les questions sociales, qu’abordera ma collègue Laurence Rossignol, ainsi que de nombreux sujets comme le logement, les centres de rétention, les établissements pénitentiaires, la justice, etc. Nous le regrettons : à nos yeux, ces débats seront trop restrictifs au regard des problèmes que nous connaissons.
Au sujet de l’article 6, il est tout à fait clair qu’une tension se fait jour. Nous ne voulons pas de simplification abusive. La santé publique impose des choix ; la protection des libertés et de la vie privée en impose d’autres. M. Bonnecarrère vient de décrire exactement la tension au cœur de laquelle nous sommes.
À ce titre, nous avons décidé de suivre des propositions de Philippe Bas, lesquelles reprennent d’ailleurs certains de nos amendements. Toute nouvelle ordonnance traitant de cette question doit être retirée de ce texte. En outre, il est hors de question que, par ce nouveau fichier, on fasse réapparaître subrepticement, sans nouveau vote du Parlement, l’application StopCovid. De surcroît, il faut veiller particulièrement au droit d’information, d’opposition et de rectification dont doivent disposer les personnes concernées.
Il faut également disposer d’une instance de contrôle comprenant des parlementaires. De même – cette disposition devrait donner lieu à un accord –, nous proposons que l’avis de la CNIL s’impose lors de la rédaction du futur décret.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Ces garanties sont nécessaires, mais elles ne sont sans doute pas suffisantes.
Au sein de nos groupes respectifs, des points de vue différents se font clairement jour. Cette tension est naturelle. Il faut veiller à la santé publique : c’est une nécessité absolue, et M. le ministre le répète assez souvent. Cela étant, les élus de notre groupe défendront également – je dirai presque coûte que coûte –, avec toute la force de leur conviction, les libertés publiques et le respect de la vie privée, qui sont des impératifs de notre Constitution et de notre République.
Mme Catherine Morin-Desailly. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’ai pas besoin de rappeler les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous réunissons aujourd’hui, ni de mentionner le nombre de victimes du Covid-19 en France et dans le monde. Mes toutes premières pensées s’adressent à elles et à leurs familles. Elles vont ensuite à toutes les personnes qui, au sein du corps médical et au-delà, dans ce qu’on appelle désormais les services essentiels, ou encore par un mouvement de solidarité spontanée, ont fait et font tenir notre pays aujourd’hui. J’y reviendrai.
L’épidémie de Covid-19 est toujours active. Pourtant, nous sommes réunis aujourd’hui, selon des modalités adaptées, pour remplir notre mission constitutionnelle, à savoir légiférer. À cet égard, je tiens à saluer la mobilisation qui s’est manifestée sur toutes les travées, pour faire vivre le débat parlementaire malgré les délais particulièrement courts qui nous sont imposés et, en amont, permettre le suivi des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Le président de notre groupe, Jean-Claude Requier, l’a déjà indiqué, les membres du RDSE soutiennent la volonté du Gouvernement d’engager la phase de déconfinement. Cependant, nous aurions souhaité que la prorogation de l’état d’urgence comporte des prémices législatives d’adaptation structurelle de notre pays à ces risques pandémiques, dont les chercheurs disent qu’ils vont probablement se multiplier dans les années à venir. Ces engagements sont essentiels pour que nos concitoyens acceptent la prolongation des restrictions de libertés qui leur est demandée, laquelle affecte leur vie familiale, sociale et professionnelle. Je pense bien sûr à l’adaptation de notre système de santé.
De façon plus prospective, se posera également la question de l’indépendance alimentaire, que nous avions d’ailleurs soulevée avec la proposition de résolution de Françoise Laborde, de l’indépendance pharmaceutique, au moins au niveau européen, ou encore de l’adaptation de l’aménagement du territoire : cette crise a montré à la fois les limites d’une économie dominée par des métropoles extrêmement denses et les vertus de la proximité.
Il me semble que nous sommes tous d’accord pour considérer qu’à long terme la paralysie saisonnière du pays ne peut plus être une option.
Beaucoup d’entre nous considèrent que la prorogation de l’état d’urgence sanitaire aurait mérité des échanges plus longs, éclairés par les travaux de nos différentes commissions, d’autant que la première phase de l’état d’urgence court jusqu’au 23 mai – il s’agissait déjà d’un délai dérogatoire par rapport au régime de droit commun. Où était l’urgence ? Comment évaluer l’impact des mesures proposées sur les personnes chargées de les appliquer sans disposer du temps nécessaire pour les auditionner ?
À l’instar de M. le rapporteur, la majorité des membres du groupe du RDSE n’est pas favorable au fait d’étendre le délai de prorogation au-delà de deux mois, compte tenu des mesures liberticides prévues par ce régime exceptionnel destiné à affronter l’urgence. Mon collègue Joël Labbé a déposé un amendement tendant à ce que ce délai soit réduit à deux mois à compter du vote du présent texte. Il courrait ainsi jusqu’au 8 juillet prochain. Cela étant, sur ce sujet, nous nous rallierons à la proposition de la commission.
Ce matin encore, après une analyse de quelques jours, ou plutôt de quelques heures, ce texte faisait naître plus de questions qu’il n’apportait de réponses, même si nos échanges en commission des lois ont permis de lever quelques incompréhensions.
En premier lieu, ce projet de loi ne prévoit pas de mesures contraignantes, qu’il s’agisse des gestes barrières ou du matériel de protection. Il ne contient donc que de simples recommandations, de nature à semer la zizanie après le 11 mai. On l’a constaté, notamment dans le département dont je suis l’élue : lorsque des maires prennent l’initiative de rendre ces règles obligatoires, ils se heurtent à l’opposition de l’État, à la demande du ministère de l’intérieur.
En deuxième lieu, comme l’a indiqué notre collègue Véronique Guillotin, la question des brigades médicales est au centre de nos préoccupations. Or, sur ce sujet, le texte reste flou : quelles seront les personnes habilitées à recueillir les données médicales dont il s’agit ? à quelle fin ? au moyen de quel support électronique ? au moyen d’un énième système d’information, comme le prévoit l’article 6 ? N’oublions pas que ces personnes manipuleront, principalement, des données personnelles et médicales.
En troisième et dernier lieu, les dispositions des articles 2 et 3 soulèvent également de grandes inquiétudes. Leur mise en œuvre pourrait conduire à des placements en quarantaine ou à l’isolement par simple présomption, par exemple pour les personnes arrivant de l’étranger. Nous craignons que nos ressortissants des outre-mer passant par des zones de transit y soient soumis ; en résulterait une rupture de la continuité territoriale. Dans certains cas, ces zones de transit sont un passage obligé – je ne citerai que l’exemple de Saint-Pierre-et-Miquelon, que nous a rappelé notre collègue Stéphane Artano.
Pour le moment, le virus n’a pas disparu, mais nous apprenons à vivre avec lui. Cela implique de retisser le lien de confiance entre nos concitoyens, que les distanciations sociales fragilisent immanquablement. À cette fin, nous disposons de deux ressorts efficaces.
Le premier, c’est l’exemple des gestes de solidarité que nous avons observés dans les moments les plus durs du confinement : une grande solidarité s’est manifestée en faveur des travailleurs essentiels, par des actions individuelles ou collectives, notamment associatives, par des actions symboliques ou concrètes.
Le second, c’est l’espoir de développer des solutions médicales pour lutter contre le Covid-19 à tous les stades de la maladie : les tests, les vaccins ou encore les traitements destinés à limiter les symptômes.
Appuyons-nous sur ces deux forces pour sortir de l’état d’urgence sanitaire.
Telles sont, en quelques mots, les réserves que les élus du RDSE souhaiteraient voir lever au cours de l’examen de ce texte. C’est en ce sens que nous défendrons nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous infliger une voix pénible à entendre, mais je n’en serai que plus bref. (Sourires.)
Avec cette discussion, nous sommes face à un ensemble d’enjeux vitaux. D’un côté, le temps de la vie doit reprendre, qu’il s’agisse de la vie éducative, familiale et amicale, du redéploiement de l’activité, de la création de richesses ou de la consolidation des emplois. De l’autre, les décisions que le Gouvernement va prendre avec notre accord mettent en jeu des milliers de vies.
On a avancé, avec de vrais arguments, que le confinement avait épargné des dizaines de milliers de vies. Si nous nous trompons, si nous choisissons mal les cibles et les méthodes d’encadrement pour les prochains mois, nous risquons de nouveau de créer des drames. Nous voulons bien sûr les éviter. Il faut donc continuer à agir pour faire barrage à la contagion.
Nous engageons un programme regroupant de multiples actions publiques soutenues par un dialogue permanent et par un grand nombre de partenariats indispensables. Depuis des semaines, le Gouvernement mène, à cette fin, un travail intensif, auquel le Parlement est fortement associé. Nos deux débats d’aujourd’hui en témoignent ; viendront ensuite nos missions de suivi, grâce auxquelles nous pourrons nous assurer que le bon cadre a été choisi.
La reprise de l’activité scolaire va s’engager dans une semaine. Il s’agit, là aussi, d’un moment de réunion de volontés. La rapidité de cette remise en route scolaire, décidée il y a trois semaines par le Président de la République, provoque des débats souvent intenses, traduisant parfois un certain malaise. C’est difficile – nous en convenons tous –, mais il fallait commencer. Nous le savons bien, huit ou quinze jours de plus n’auraient rien changé aux problèmes.
Un esprit constructif se manifeste dans la plupart de nos communes, dans la plupart de nos équipes enseignantes. Il faut l’encourager, afin qu’il l’emporte, même si la progressivité de la reprise scolaire est indispensable au succès futur de nos enfants et à l’équilibre des familles.
Bien sûr, ce travail pose la question de l’élargissement de la protection de nos collègues élus locaux et des autres responsables publics, étant donné la responsabilité légale qu’ils engagent par leurs actes.
Le cadre légal de base est clairement satisfaisant. En cas de simple négligence ou de simple ignorance, la loi Fauchon et la jurisprudence permettent déjà d’éviter que la responsabilité ne soit mise en jeu. Néanmoins, nous souhaitons très majoritairement compléter le code pénal et la jurisprudence à cet égard, et je crois que nous trouverons la bonne solution.
En parallèle, ce projet de loi comporte deux dispositions particulières : la précision des mesures d’encadrement individuel et le système d’information.
M. Bas l’a déjà indiqué, les mesures d’encadrement individuel, de tradition très ancienne, sont nécessaires pour éviter la diffusion du virus. Elles se limitent pour l’instant à la quarantaine extérieure, qui semble faire l’objet d’un consensus.
Comme l’a rappelé M. Milon, s’y ajoute le contrôle, même incomplet, des citoyens réfractaires, contrevenant aux mesures de précaution. Ce choix est en débat. Notre groupe, comme d’autres, sera probablement partagé. À titre personnel, j’ai vraiment la conviction qu’il faut une méthode, au moins partielle, de contrôle des individus défiant les obligations de protection d’autrui : c’est une question de cohésion sociale.
Au sujet du système d’information, Philippe Bas a également été d’une grande clarté. Il a d’ailleurs mobilisé son expérience d’ancien ministre de la santé. La nécessité d’un tel dispositif est évidente ; il reprend des usages prévus de longue date par le code de la santé publique. Habituellement, ces derniers s’appliquent à des contagions de moindre ampleur ; nous sommes face à un changement d’échelle, mais, précisément, l’ampleur et la vigueur de la contagion justifient de légiférer.
Mes chers collègues, nous le savons tous, légiférer n’est pas facile, compte tenu de la confrontation inévitable entre les intérêts publics et des intérêts privés légitimes. Toutefois, j’en suis convaincu, et, à cet égard, notre groupe sera unanime, il faut soutenir ce système d’information, étape clé de la réussite du déconfinement.
La prolongation de l’état d’urgence sanitaire, de deux mois ou d’un mois et demi, qui va de pair avec l’élargissement de la liberté de mouvement, va supposer de réviser une série de mesures prises au titre de la loi du 23 mars dernier ou des ordonnances successives. Ces mesures découlaient du confinement complet. Ainsi, comme l’a relevé M. le rapporteur, un certain nombre de reports de délais de procédure ou de décision ne se justifient plus dans cette seconde période. Il faudra donc procéder à un toilettage, en particulier dans la réorganisation décidée en mars des procédures et des processus administratifs. Les services publics doivent reprendre, et il faut tout faire en ce sens.
Monsieur Retailleau – je suis heureux que vous soyez revenu en séance –, vous nous avez annoncé votre intention de saisir le Conseil constitutionnel de ces dispositions. Permettez-moi de m’en réjouir ! Bien entendu, ce débat s’inscrit également dans un contexte de combat politique. Durant toute ma vie législative, j’ai entendu des annonces – j’en ai même parfois prononcé – de saisine du Conseil constitutionnel par volonté d’opposition. Mais, une fois que le Conseil constitutionnel a tranché, la vérité juridique est dite et, en conséquence, la sécurité de nos lois est assurée.
Cette saisine rendra donc service à tout le monde. Nous n’avons pas pu y recourir pour la première loi, car nous voulions qu’elle entre en vigueur tout de suite ; mais cette fois nous disposons d’un petit délai, et nous pourrons apporter cette sécurité, qui conforte notre volonté commune de soutenir le rétablissement de la vie de la Nation.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, au nom du groupe Les Républicains, je salue l’engagement et le courage des professionnels de santé et je rends hommage à l’ensemble des salariés et des fonctionnaires qui assurent le maintien des services essentiels à la population depuis le début de la crise.
Les circonstances exceptionnelles qui nous réunissent appellent, certes, des mesures exceptionnelles, mais les conditions d’examen qui nous sont imposées pour ce texte ne sont pas propices au travail du Parlement. Depuis le vote de la première loi d’urgence sanitaire, plus de six semaines se sont écoulées. Or nous travaillons aujourd’hui sur un texte dont le contenu est connu depuis seulement quarante-huit heures et dont l’examen en commission a eu lieu ce matin même. Le Gouvernement aurait très bien pu organiser la présentation de ce texte dans des délais moins contraints.
J’en viens au texte.
L’ensemble des mesures de ce projet de loi ainsi que leurs enjeux ont été parfaitement présentés par les présidents-rapporteurs Philippe Bas et Alain Milon, que je tiens à saluer. Ce texte est une étape vers la sortie progressive du confinement. Néanmoins, une question nous paraît essentielle : notre pays est-il préparé au déconfinement ? Dans son discours, le Premier ministre a clairement énoncé un triptyque offensif maintenant très bien connu – protéger, tester, isoler –, qui, selon nous, aurait dû être mis en place bien avant.
Derrière ces trois mots, quelle est la réalité ?
La première nécessité est de protéger. Le port obligatoire du masque dans les transports en commun constitue certes une avancée, mais il reste une exception dans la sphère publique, où la recommandation continue de l’emporter sur l’obligation. Si nous voulons que les Français soient protégés, ne faudrait-il pas rendre obligatoire le port du masque dans l’ensemble de l’espace public ?
Les incohérences successives dans la communication gouvernementale et le changement de doctrine quant au port du masque ont profondément abîmé la confiance des Français en la parole publique. Monsieur le ministre, vous qui faites appel au sens des responsabilités des Français, vous nous expliquiez, voilà quelques semaines, que personne n’avait besoin de porter un masque.
M. Philippe Mouiller. Aujourd’hui, nous observons un changement de discours du Gouvernement : il devient préférable, dans de nombreuses circonstances, de porter un masque plutôt que de ne pas en porter.
Pour expliquer ce revirement, le Gouvernement a mis en avant un changement de doctrine. Or, depuis le 22 janvier dernier, alors que le virus circulait en Chine, des infectiologues ont signalé la nécessité de mettre un masque pour éviter toute contagion. Au moment où les Français vivent une épreuve inédite, difficile et parfois cruelle, il est important de dénoncer les fausses informations ; néanmoins, avant de prétendre labelliser comme « véridique » telle ou telle information, n’aurait-il pas fallu dire la vérité aux Français concernant la pénurie de masques ?
Par ailleurs, une polémique est apparue au cours des derniers jours sur la capacité de la grande distribution à mettre à disposition du public une quantité importante de masques, mais le problème n’est pas là ; il réside plutôt dans l’approvisionnement des pharmacies, qui doivent, par ailleurs, avoir suffisamment de masques pour les professionnels de santé et pour les Français les plus fragiles. Que comptez-vous faire pour remédier à cette situation ?
La deuxième nécessité est de tester. En matière de dépistage, les temps ont changé, selon les propos que le Premier ministre a tenus lors de la présentation du plan de déconfinement. Or, depuis le 16 mars dernier, le directeur général de l’OMS indique qu’il faut tester le maximum de personnes pour stopper la chaîne de contamination du Covid-19.
Les chiffres sont là : l’OCDE signale que, en date du 15 avril, le nombre de personnes dépistées en France était de 5,1 pour 1 000 habitants, plaçant notre pays derrière la Turquie, dont le ratio est de 5,3 personnes pour 1 000 habitants ; c’est près de trois fois moins que la moyenne des pays de l’OCDE, et nous sommes loin derrière l’Allemagne.
Devant la mission parlementaire de l’Assemblée nationale, le directeur général de la santé assurait, le 23 avril dernier, que, désormais, 165 000 personnes étaient dépistées chaque semaine. Le lendemain, on annonçait devant les micros plutôt le chiffre de 300 000. Finalement, quels sont les bons chiffres ? Là encore, la confusion ne suscite pas la confiance…
Il semblerait que, malgré l’augmentation de la capacité à réaliser des tests RT-PCR, grâce à l’autorisation accordée aux laboratoires départementaux de le faire – je rappelle l’action en ce sens de notre président de groupe, Bruno Retailleau –, des difficultés logistiques persistent. Quid de l’approvisionnement en réactifs biochimiques et en différents équipements, comme les écouvillons, sans oublier les équipements de protection pour le personnel habilité à prélever ? Nous avons bien noté l’objectif des 700 000 tests hebdomadaires, mais comment ferez-vous pour l’atteindre, compte tenu des difficultés qui existent dans le déploiement d’une stratégie massive de dépistage ?
La troisième nécessité est l’isolement. Sauf à ce qu’elles aient la possibilité de s’isoler dans une pièce à part, les personnes dépistées positives au Covid-19 ne devraient pas retourner dans leur famille, contrairement à ce que nous avons malheureusement laissé faire jusqu’à présent, au risque qu’elles infectent leur entourage. Une large palette d’hébergements doit être mise à la disposition des Français qui ne pourront pas s’isoler chez eux, avec toute la logistique qui va avec. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Pour ce qui concerne le texte, le principe, inscrit à l’article 2 du projet de loi, du consentement et de la responsabilité individuels pour les mesures de mise en quarantaine et d’isolement a finalement été retenu par le Gouvernement, sauf pour les personnes entrant sur le territoire. Là encore, ce qui a été annoncé samedi dernier n’était déjà plus d’actualité ce matin. La mesure ne concerne donc que les personnes provenant de l’extérieur de l’Union européenne, de l’espace Schengen et du Royaume-Uni.
Nous soutenons la proposition du président Milon consistant à sécuriser, au sein de l’article 6, le périmètre des données de santé. Il est en effet essentiel que les données collectées soient strictement circonscrites et limitées au seul statut virologique du patient.
Enfin, dans les circonstances actuelles, nous sommes favorables à la prolongation, prévue à l’article 1er, de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet prochain. Cette date, retenue par la commission des lois, nous paraît plus pertinente au regard des incertitudes qui pèsent encore sur les conditions dans lesquelles sera mené le déconfinement.
Bien entendu, d’autres points importants seront traités par notre collègue François-Noël Buffet, notamment pour ce qui concerne la question, essentielle dans ce débat, de la responsabilité des élus locaux et des chefs d’entreprise.
Pour conclure, je dirai que ce texte est loin de répondre à toutes les questions que pose le déconfinement. Le vote du groupe Les Républicains dépendra donc de l’évolution de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Emmanuel Capus. La sortie de crise repose sur une procédure en quatre étapes : détecter, avec l’appui des médecins traitants et du traçage numérique ; tester, en mobilisant toutes nos capacités ; isoler et surveiller, dans la limite des libertés individuelles et de la confidentialité des données médicales utilisées. Le Gouvernement a fait le choix de restreindre l’obligation de mise à l’isolement et de quarantaine aux nouveaux arrivants provenant d’un pays extracommunautaire.
Dans l’ensemble, le texte qui nous est soumis propose un juste équilibre entre santé publique et libertés individuelles.
Nous le savons, l’immunité collective nécessaire pour endiguer la propagation du virus pourra uniquement être atteinte par voie artificielle, c’est-à-dire par vaccination. Pourtant, nous ne pouvons maintenir plus longtemps la France à l’arrêt sans prendre la responsabilité de faire des victimes indirectes, bien plus nombreuses. Il s’agit non pas d’un calcul entre économie et santé, mais d’une équation à multiples inconnues, qui nous oblige à la prudence. En effet, nous ne connaissons pas le nombre réel de personnes asymptomatiques ou paucisymptomatiques ni le degré de contagiosité de ces personnes ; nous ne connaissons pas non plus la durée d’efficacité de l’immunité des personnes guéries ; enfin, nous ne connaissons pas l’ampleur des dommages que le virus cause à long terme.
La distanciation sociale, les gestes barrières, le port du masque : toutes ces mesures élémentaires relèvent de la prévention. Le maillon faible de notre système de santé, trop longtemps absorbé par les politiques de l’immédiateté, se révèle être, en l’absence de traitement, le meilleur rempart contre cette épidémie. Pour cela, encore devons-nous mettre à disposition de la population des masques, à un prix raisonnable et non dix fois plus élevé qu’il y a deux mois.
Restons pragmatiques et poursuivons nos efforts pour surmonter cette crise. Les prochaines semaines seront décisives pour les mois à venir ; pour préserver les libertés et la santé du plus grand nombre de Français, le civisme et la responsabilité individuelle de tous seront plus que jamais nécessaires. Plus que jamais, l’unité nationale doit être le geste barrière de nos institutions. C’est pourquoi, mon collègue Dany Wattebled l’a indiqué précédemment, le groupe Les Indépendants apporte son soutien au Gouvernement sur ce texte, comme sur celui qui l’a précédé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – M. Alain Richard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons ce soir pour examiner un texte important, qui, rappelons-le, a été déposé seulement samedi dernier par le Gouvernement sur le bureau du Sénat, soit, pour ainsi dire, il y a quelques heures. Il s’agit d’un texte qui vise à préparer le déconfinement, d’où la nécessité d’être précis dès ce soir sur ce que nous allons faire. Je salue, comme Philippe Mouiller, le personnel soignant, mais aussi ceux qui assurent, depuis le début, les missions des services essentiels.
Quel tableau du déconfinement ce texte dessine-t-il ? Une peinture un peu incomplète, parfois même problématique. Commençons par les absences.
D’abord, nombre de mesures de déconfinement relèvent du domaine réglementaire. Nous n’aurons donc pas à les examiner, mais, soyons-en certains, la mission de suivi de la commission des lois restera vigilante pour que se poursuive le bon exercice de la fonction de contrôle du Parlement, même en cette période difficile.
Ensuite, il y avait quelques silences dans le projet de loi initial. D’une part, le système d’information mentionné à l’article 6 n’est pas la fameuse application StopCovid. Cette application avait pourtant été présentée, au cours des dernières semaines, comme l’outil privilégié du déconfinement. D’autre part – le Gouvernement comprendra notre attention particulière sur ce sujet –, se pose la question de la responsabilité des maires et, au-delà, des élus, face à ce déconfinement. Chacun le sait ici, de nombreuses inquiétudes remontent du terrain. Les élus locaux ont souvent participé, en première ligne, comme beaucoup d’autres, à la réponse publique face à l’épidémie, alors même que, parfois, ils n’avaient pas été réélus lors des dernières élections, voire qu’ils souhaitaient se retirer de la vie publique.
Maintenant, au moment de rouvrir certains services essentiels, dont les écoles, les élus craignent de voir leur responsabilité engagée si des infections venaient à se produire, pour une décision qui, fondamentalement, n’est pas la leur. Cette responsabilité résulte de la coexistence, en la personne du maire, d’un élu local et d’un représentant de l’État dans sa commune.
Pourtant, le texte initial était muet sur cette question cruciale ; il ne présentait guère de proposition pour remédier à ce défaut. Nous espérons que, pendant les débats qui s’ouvrent, le Gouvernement entendra la voix des territoires et du Sénat sur ce sujet et ne prendra pas le risque d’abandonner en rase campagne les élus les plus dévoués de notre République. Ce matin, la commission des lois a fait, sur l’initiative de son président-rapporteur, des propositions à ce sujet.
Venons-en à ce qui figure dans le texte. Plusieurs des dispositions ne soulèvent guère de discussion ; nous n’avons pas de remarque particulière à formuler sur le prolongement de l’état d’urgence sanitaire, sur l’élargissement, à certains agents, des pouvoirs de verbalisation ou encore sur les éléments relatifs à nos collectivités d’outre-mer.
Les dispositions du texte relatives à la mise en quarantaine et à l’isolement des personnes entrant sur le territoire national présentent des améliorations significatives par rapport à ce qui était envisagé avant l’avis du Conseil d’État. Le dispositif précédent contenait en effet un risque réel d’atteinte aux libertés constitutionnelles et conventionnellement garanties. Il est heureux que le Gouvernement ait doté le texte de garanties plus solides avant la discussion parlementaire. Parmi celles-ci, nous tenons à relever tout particulièrement le rôle renforcé du juge des libertés et de la détention.
Évidemment, pour rendre effectives ces garanties, encore faut-il permettre au juge de remplir son rôle dans des conditions convenables. Petite digression : la commission des lois, en particulier Patrick Kanner et votre serviteur, qui travaille sur la situation de la justice, constate que celle-ci est en grande difficulté dans la période actuelle ; si nous voulons renforcer de nouveau le rôle du juge des libertés dans les circonstances prochaines, il faudra vraiment donner à ce dernier les moyens d’agir dans de bonnes conditions.
J’en reviens au projet de loi, car un sujet doit encore être évoqué, celui du système d’information prévu à l’article 6.
Nous avons lu les préconisations du comité de scientifiques et l’avis du Conseil d’État ; nous comprenons l’intérêt de procéder à des rassemblements de données pour permettre une lutte plus efficace contre l’épidémie. Néanmoins, la création de bases de données centralisées et interconnectées – étrangement, on parle, au sein de cet article, de « système » et de « systèmes », tant au singulier qu’au pluriel – suscite des interrogations, y compris pour les bases créées avec les meilleures intentions. Une fois ces données agrégées, même si des précautions sont prises à l’égard des personnes pouvant les consulter, des accidents ou des piratages demeurent possibles. Nous n’écartons pas le principe de la mise en place de ce système, surtout si c’est pour sauver des vies, mais le recours à l’ordonnance ou au décret pour son calibrage nous inquiète ; comme souvent, le diable se cache dans les détails…
Enfin, nous ne pouvons nous empêcher de relever que, une fois de plus, nous travaillons dans l’urgence. C’était parfaitement compréhensible, compte tenu des circonstances, pour la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Le Sénat était conscient de la situation ; nous nous étions donc astreints à organiser le travail pour permettre une adoption aussi rapide que possible des mesures dont le pays avait besoin immédiatement, en ajustant ce qui pouvait l’être et en faisant usage de certains raccourcis procéduraux exceptionnels. Toutefois, mon collègue Philippe Mouiller l’a demandé, était-il vraiment impératif de travailler de cette manière cette fois-ci ? N’aurait-il pas été possible, pour le Gouvernement, de mieux anticiper ces travaux dès la semaine dernière, afin d’assurer une bonne information et une préparation correcte des chambres ?
Ce texte est naturellement loin de régler toutes les difficultés et toutes les questions qui se posent ; des problèmes entiers demeurent : l’application StopCovid, la responsabilité des élus locaux, en cours de discussion, celle des chefs d’entreprise ou encore les suites des élections municipales ou la tenue des élections consulaires. Nous espérons que les débats porteront sur ces sujets et apporteront une partie des solutions. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains – cela a déjà été dit – réserve son vote à l’issue de la discussion parlementaire. (M. le rapporteur et M. Bruno Retailleau applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Laurence Rossignol. Je veux vous parler, monsieur le ministre, de quelques amendements que vous ne verrez pas lors de l’examen des articles, car ils ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution. Cela me permet également de mettre l’accent sur quelques troubles que provoque la méthode du Gouvernement quant aux questions sociales. En effet, tantôt nous discutons d’un projet de loi de finances rectificative, et l’on nous dit que l’on parle des entreprises mais non des questions sociales, tantôt nous discutons d’un projet de loi d’état d’urgence, et l’on nous dit que l’on parle d’état d’urgence mais non d’urgence sociale. Bref, le Parlement ne discute jamais d’un plan d’urgence sociale et de suivi des salariés et des personnes en grande difficulté.
Je veux donc appeler votre attention sur ces amendements, parce que ceux-ci vous parleront peut-être et peut-être pourrez-vous les reprendre à votre propre compte, au titre de votre capacité d’initiative.
Premièrement, nous avions déposé un amendement tendant à prendre en compte le chômage partiel dans le calcul de la retraite. Je suis désolée de prononcer le mot « retraite », qui est un peu incandescent, mais c’est le moment, je crois, de rassurer les salariés en leur disant que le chômage partiel n’affectera pas négativement le calcul de leur pension.
Deuxièmement, nous avions proposé de prolonger la trêve hivernale en matière d’expulsion durant l’état d’urgence. C’est également une mesure que vous pourriez, fort opportunément, reprendre.
Enfin, troisièmement, je veux vous parler – je le fais chaque fois – des droits sexuels et reproductifs et de l’accès des femmes à l’IVG.
Vous avez pris un certain nombre de mesures pour faciliter l’IVG médicamenteuse, en particulier pour en faciliter la prescription, mais, quand je vous ai interrogé, voilà presque deux mois, sur la question des IVG hors délai, j’anticipais malheureusement sur les chiffres, qui sont, aujourd’hui, parlants. Ainsi, selon le planning familial, nous assistons à une augmentation de 30 % des appels et de 330 % des appels concernant les difficultés liées à l’IVG, à l’accès à l’IVG, au non-respect du droit, à des violences ou au dépassement des délais ; et il y a une augmentation de 184 % des appels à propos des IVG hors délai.
Il est incontestable que le confinement a un effet délétère sur l’accès à l’IVG. Je vous ai donc écrit, monsieur le ministre, et vous m’avez répondu qu’il fallait recourir à l’IMG. Soit ! Mais les médecins se sont trouvés dans une situation un peu difficile : d’un côté, il y a le code de la santé publique et, de l’autre, il y a la lettre du ministre. Or, pour l’heure, le code de la santé publique pèse un peu plus lourd qu’une lettre de ministre…
C’est pourquoi nous vous demandons, les médecins vous demandent – ils sont 150 à le faire et Ghada Hatem doit vous écrire à peu près tous les jours –, d’accepter un amendement visant à lever l’obligation de présence d’un médecin de médecine fœtale ou d’un centre de diagnostic prénatal dans le collège décidant d’une interruption médicale de grossesse. La décision collégiale est normale, réunir quatre médecins l’est aussi, mais à quoi sert un médecin de diagnostic prénatal quand il s’agit d’une IMG pour détresse psychosociale ? Ce n’est pas la question du fœtus qui est en cause ; c’est, bien au contraire, la question de l’évaluation de la détresse psychosociale.
Par conséquent, les médecins proposent que ce médecin de diagnostic prénatal soit remplacé par un médecin d’un centre d’IVG ou de planification ou par un gynécologue obstétricien. Je défendrai cet amendement ultérieurement, monsieur le ministre. J’espère qu’il aura votre soutien et que, au cas où il ne serait pas adopté au Sénat, vous le déposerez, vous-même, à l’Assemblée nationale.
Je vous assure, il est urgent d’agir ; on évoque l’effet qu’aura le confinement sur la prise en charge des maladies chroniques, sur les cancers tardivement dépistés, sur les maladies cardiovasculaires, mais, en matière d’accès aux droits sexuels et reproductifs, nous aurons le même problème. Or nous pouvons l’anticiper et lever aujourd’hui une partie des difficultés. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. Monsieur le ministre, souhaitez-vous dire quelques mots ?
M. Olivier Véran, ministre. Nous allons avoir, monsieur le président, une longue soirée et même, probablement, une bonne partie de nuit pour aborder un à un tous les points qui ont été soulevés par les sénateurs ; tous sont légitimes, et j’aurai à cœur de répondre systématiquement à chaque interrogation qui m’a été faite. Aussi, tout en respectant les débats soulevés, je vous propose, si vous en êtes d’accord, de ne pas être plus long pour l’instant.
M. le président. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt-deux heures.)
M. le président. La séance est reprise.
Mes chers collègues, j’invite chacun à veiller au respect des règles sanitaires, comme lors de chaque séance.
4
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 100, M. Robert del Picchia souhaitait voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
5
Prorogation de l’état d’urgence sanitaire
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions
Chapitre Ier
Dispositions prorogeant l’état d’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions relatives à son régime
Article 1er
I. – L’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 est prorogé jusqu’au 10 juillet 2020 inclus.
II (nouveau). – Nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire déclaré à l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination, à moins que les faits n’aient été commis :
1° Intentionnellement ;
2° Par imprudence ou négligence dans l’exercice des pouvoirs de police administrative prévus au chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique ;
3° Ou en violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative prise en application du même chapitre ou d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
Dans le cas prévu au 2° du présent II, les troisième et quatrième alinéas de l’article 121-3 du code pénal sont applicables.
III (nouveau). – Au d du 2° du I de l’article 11 de la loi du n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, les mots : « et à la durée » et les mots : « l’allongement des délais au cours de l’instruction et en matière d’audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle, et » sont abrogés à compter du 24 mai 2020.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, sur l’article.
Mme Jocelyne Guidez. Les familles sont inquiètes pour les mariages prévus cet été. Elles ne savent comment procéder pour leur organisation et veulent obtenir des informations précises sur ces questions.
Si l’état d’urgence sanitaire est prorogé jusqu’au 23 juillet 2020 inclus, elles rencontreront des difficultés, notamment financières. Des craintes s’expriment, car certains prestataires souhaitent tout de même organiser les événements prévus cet été et n’envisagent pas de rembourser les acomptes déjà versés aux familles qui souhaiteraient un report du mariage en 2021. Je pense notamment à une famille de ma commune qui m’a contactée ce week-end : elle souhaiterait reporter un mariage, initialement prévu le 18 juillet prochain, mais le prestataire leur a indiqué qu’une demande de report serait considérée comme une annulation et qu’il n’y aurait pas de remboursement d’acompte.
Il semble toutefois compliqué d’envisager un mariage dans un tel cadre sanitaire avec gestes barrières et mesures de distanciation sociale. Pouvez-vous apporter des précisions à ces familles, en particulier sur la question du remboursement par le prestataire ?
D’autres questions se posent : les réunions de personnes qui peuvent être limitées ou interdites par décret seront-elles autorisées ? Les citoyens venant d’autres départements ou d’autres pays pourront-ils se déplacer pour assister à un mariage ? Autant d’interrogations qui angoissent de nombreux futurs mariés, qui ne peuvent être informés à la dernière minute.
M. le président. La parole est à M. François Patriat, sur l’article.
M. François Patriat. Je voudrais revenir quelques instants sur le problème de la responsabilité.
La grande majorité de notre groupe a exprimé hier, dans une tribune que nous avons cosignée, son souhait que le cadre juridique de la responsabilité des personnes ayant un rôle à jouer durant l’état d’urgence sanitaire, aussi bien les maires, les élus que les chefs d’entreprise, par exemple, soit posé le plus clairement possible. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé, ce matin, un amendement visant à introduire une telle disposition.
La commission a finalement retenu l’amendement du rapporteur, dont les dispositions figurent désormais dans le texte. Cette rédaction est perfectible. Elle sera sans doute améliorée et aménagée à l’Assemblée nationale, puis en commission mixte paritaire. C’est tout le rôle de la navette parlementaire et de l’exercice de notre office en pleine responsabilité. Notre objectif à tous doit être d’aboutir à une solution claire qui rassure les maires, dont l’action est déterminante.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. Cet article a également trait à la responsabilité des chefs d’entreprise. Il nous semble difficile de voter une telle disposition dans la précipitation. C’est une question complexe.
Il ne s’agit pas de la principale préoccupation des chefs d’entreprise. Sur le terrain, ils sont confrontés à d’autres problèmes, à commencer par celui de la main-d’œuvre. Beaucoup de leurs employés doivent garder leurs enfants, certains sont malades… Il manque beaucoup d’hommes et de femmes pour travailler.
Autre problème : l’interconnexion des entreprises. Aujourd’hui, si l’une d’entre elles ne reprend pas le travail, il est difficile pour les autres d’avancer.
Enfin, se pose la question de l’approvisionnement en matériaux.
Il nous paraît inopportun de légiférer sur la question de la responsabilité des entreprises au détour d’un amendement. Il faut un vrai débat.
L’article L. 41-21 du code du travail prévoit une obligation de moyens, mais la jurisprudence a tranché, par deux fois, pour une obligation de résultat. Allons-nous passer au-dessus de cette jurisprudence par un simple amendement ?
En ce moment précis, l’inspection du travail étudie l’obligation de moyens renforcée, notamment à travers les guides. Il faut un large débat et une concertation entre les organisations patronales et syndicales et le Gouvernement pour élaborer des guides applicables sur le terrain. De la trentaine de guides dont il est question aujourd’hui, celui du bâtiment, par exemple, est inapplicable dans les faits.
Faute d’une vraie concertation, on est en train de bâcler ces guides pour reprendre le travail dès le 11 mai. Beaucoup de questions restent en suspens avec cette obligation de moyens renforcée. Rien n’est prévu pour le trajet entre le domicile et le lieu de travail. En Île-de-France, par exemple, l’usage du RER B pose question.
Tout cela ne peut se mettre en place dans la précipitation ni à l’encontre des droits des salariés. L’inspection du travail doit pouvoir remplir son rôle. Il faut élargir le débat et reconnaître le Covid-19 comme maladie professionnelle.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. La loi d’urgence du 23 mars dernier a conféré à l’exécutif le pouvoir de limiter les libertés individuelles et publiques. On peut comprendre que cette pandémie, en raison de son ampleur, de son caractère anxiogène et du nombre de contaminations et de décès ait justifié des mesures exceptionnelles. Encore faut-il que ces mesures soient effectivement exceptionnelles et, bien sûr, temporaires. Encore faut-il être sûr qu’elles disparaissent avec l’état d’urgence lui-même. Nul n’a oublié ces dispositions de l’état d’urgence de 2015 entrées finalement dans le droit commun.
L’état d’urgence est un outil, ne nous y installons pas. Il ne pallie pas les manquements que la pandémie a rendus plus criants encore, à commencer par ces choix austéritaires et libéraux successifs en matière de santé publique qui ont mis nos hôpitaux dans l’état où ils sont aujourd’hui. Le confinement a été mis en place d’abord pour éviter leur possible engorgement.
Ce sont aussi les choix économiques de nos dirigeants qui ont fragilisé notre industrie. Nous sommes dépendants notamment de la Chine pour ces masques, qui n’arrivent pas, pour ces tests, qui ne sont pas prêts, pour ces respirateurs, qui ne sont pas aux normes ; sans compter le manque de médicaments et de blouses pour nos soignants.
Cette pandémie a été affrontée dans la confusion, avec des contradictions multiples et pas mal d’amateurisme. Le déconfinement semble prendre le même chemin. Nous voulons plus de masques, plus de tests, plus de lits. L’état d’urgence n’est pas la priorité, il sert juste de bouclier à l’exécutif.
M. le président. Je suis saisi de seize amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 135, présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 6
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Comme nous l’avons souligné en défendant notre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, nous refusons la prolongation de l’état d’urgence sanitaire. Cela ne revient pas à nier la crise sanitaire qui sévit dans notre pays. Le Défenseur des droits a lui-même indiqué que « garantir la sécurité sanitaire du plus grand nombre ne doit pas conduire à insérer de façon durable des mesures exceptionnelles dans le droit commun à l’issue du déconfinement ».
Parfois, l’expérience fait foi. L’état d’urgence prévu par la loi du 3 avril 1955, maintes fois prorogé, a montré que le risque de « contamination » de notre droit commun par des dispositifs d’exception était avéré. Le choix du Gouvernement de proroger de deux mois cet état d’exception sans durée finale ouvre incontestablement la voie au même écueil.
Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, permettez-moi de vous alerter, car nous allons avoir ce débat récurrent sur un certain nombre d’articles. Oui, la France a peur ! Peur de ce que va être ce 11 mai ; peur des conditions dans lesquelles ce déconfinement tant attendu par nos concitoyens va se dérouler et peur de la façon dont la sécurité sanitaire des familles, notamment des aînés, sera garantie.
Le 13 avril dernier, le Président de la République a fixé l’objectif du 11 mai pour le déconfinement. À J-7, nous avons le sentiment – élus locaux, chefs d’entreprise, salariés… – que rien ne s’est passé en quatre semaines, que cette date a été choisie au doigt mouillé et qu’elle n’offre aucune garantie de sécurité sanitaire.
Nous doutons que la prorogation de l’état d’urgence sanitaire constitue une garantie pour assurer la sécurité des Françaises et des Français.
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par M. Labbé, Mmes M. Carrère, Costes, N. Delattre et Laborde, M. Vall, Mme Jouve et MM. Dantec et Cabanel, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
L’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 est prorogé jusqu’au 23 juin 2020 inclus. Au-delà du 23 juin 2020 inclus, les mesures mentionnées aux 3°, 4°, 7°, 8° et 9° de l’article L. 3131-15 du code de santé publique peuvent être prorogées hors de l’état d’urgence sanitaire, de manière strictement proportionnée aux risques sanitaires.
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Cet amendement de notre collègue Joël Labbé constitue une innovation législative intéressante. Il vise à préparer dès aujourd’hui une sortie dégressive de l’état d’urgence sanitaire sans repousser le débat au 10 juillet, ce que nous saluons.
Depuis l’expérience de l’état d’urgence déclenché après les attentats de 2015, nous savons à quel point il est difficile de sortir de ces régimes dérogatoires du droit commun. Il se produit une sorte d’effet cliquet d’accoutumance aux latitudes permises par ces régimes.
Afin de ne pas reproduire cette expérience et de faire émerger plus rapidement la question de l’adaptation structurelle du droit existant, notre collègue propose un dispositif en deux temps : dans un premier temps, l’état d’urgence sanitaire serait maintenu de façon intégrale ; dans un second temps, le Gouvernement pourrait seulement avoir recours aux mesures prévues aux 3°, 4°, 7°, 8° et 9° de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, les plus opérationnels du point de vue de la gestion de crise.
De façon générale, cet amendement invite à repenser les régimes d’urgence pour l’avenir, dès lors que des sas de sortie pourraient être aménagés dès leur conception législative. C’est la raison pour laquelle je le défends aujourd’hui. Il vise ainsi à retrouver plus rapidement un exercice normal des libertés auxquelles le groupe du RDSE est par tradition très attaché. En outre, il tient compte de la facilité avec laquelle l’état d’urgence sanitaire pourrait être établi en cas de seconde vague, tel que le prévoit le régime adopté le 23 mars dernier.
M. le président. L’amendement n° 62, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer la date :
10 juillet
par la date :
10 juin
II. – Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le Parlement est convoqué avant cette date pour décider de mettre un terme à l’état d’urgence sanitaire ou de le proroger à nouveau. »
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Un état d’urgence doit rester une mesure d’exception, à utiliser dans un cadre précis. C’est le seul moyen d’en faire une arme efficace de notre droit et donc d’en consacrer le caractère exceptionnel.
Rappelons que, si nous sommes confinés depuis bientôt deux mois, c’est en raison de l’impréparation du Gouvernement et de son incapacité à gérer dans l’urgence notre approvisionnement en masques de protection et la mise en place d’un dispositif de dépistage qui aurait permis de ne pas ajouter au chaos sanitaire un chaos économique et social.
C’est l’anticipation qui a manqué hier pour sauver des vies. C’est le temps qui manque aujourd’hui pour faire parvenir à chacun le nécessaire pour reprendre une activité professionnelle normale. On gagne du temps quand on prévoit. On gagne du temps quand on gouverne. Mais quand le temps est perdu, il ne se rattrape jamais. Le temps, c’est des vies sauvées ou des vies perdues. Les hésitations, les mauvaises décisions et, trop souvent, les mensonges nous ont fait perdre beaucoup de temps et donc beaucoup de vies.
Aujourd’hui, il nous semble disproportionné de proroger pour deux mois, sans visibilité. Je propose de proroger d’un mois et de revenir, le cas échéant, sur le terme prévu. L’urgence est de rendre à la société et à nos compatriotes leurs libertés publiques et aux entreprises leur travail dès le mois de juin, à condition, bien évidemment, de s’en donner les moyens.
Les dispositions de cet amendement prévoient également un contrôle du Parlement d’ici à un mois pour juger des suites à donner à cet état d’urgence. En effet, si le Gouvernement profite de l’actualité pour amnistier ses proches ou enterrer la commission d’enquête du Sénat sur l’affaire Benalla, il ne doit pas oublier que l’union nationale ne peut se faire sans le peuple ni sans les territoires.
M. le président. L’amendement n° 74, présenté par MM. Sueur, Daudigny et Kanner, Mme Rossignol, MM. Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mme Guillemot, MM. Houllegatte, Jacquin et P. Joly, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mme Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville et MM. Todeschini, Vallini et Vaugrenard, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer la date :
10 juillet
par la date :
23 juin
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes profondément attachés aux droits du Parlement. C’est la raison pour laquelle nous proposons de proroger d’un mois la loi du 23 mars dernier et le régime d’urgence sanitaire.
Pourquoi ? Parce que nous travaillons dans des conditions exorbitantes jamais vues. Parce que, depuis un mois, voire davantage, les injonctions du Gouvernement sont tellement contradictoires, tellement changeantes, la situation tellement variable qu’il nous paraît nécessaire d’instaurer un véritable suivi du Parlement. Nous ne pensons pas qu’il soit bon de donner carte blanche pour deux mois.
C’est dans cet esprit que nous avons déposé cet amendement, qui vise simplement à restaurer les droits du Parlement.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié ter, présenté par MM. Decool, Wattebled, Menonville et Longeot, Mme Mélot, MM. Lagourgue et Bonne, Mmes Garriaud-Maylam et Goy-Chavent et MM. Malhuret et Kern, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer la date :
10 juillet
par la date :
15 juillet
La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Je prends la parole au nom de notre collègue Jean-Pierre Decool.
Dans le projet de loi initial, le Gouvernement souhaitait proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet. La commission, en adoptant un amendement du rapporteur, a avancé cette date au 10 juillet, souhaitant ainsi pouvoir se prononcer, si besoin était, dans un délai plus court que celui proposé par le Gouvernement.
Cette demande tout à fait légitime semble satisfaite par les dispositions de notre amendement, qui tend à inclure dans la période d’état d’urgence sanitaire le week-end précédent et le jour de la fête nationale, ce qui permet de faire correspondre l’état d’urgence sanitaire avec l’échéance de la mi-juillet évoquée par le Président de la République.
La levée de l’état d’urgence sanitaire juste avant le 14 juillet pourrait laisser penser que les restrictions imposées d’ici là seraient abandonnées, ce qui entraîne une incertitude prolongée et une imprévisibilité pour les Français, notamment pour les élus locaux organisateurs des festivités durant ce week-end.
M. le président. L’amendement n° 164, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par les mots :
, date à laquelle il prend fin
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Comme je l’ai souligné à l’instant, il existe un risque de contamination du droit commun par les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Alors que le texte initial prévoyait une reconduction de l’état d’urgence de mois en mois, après examen par le Parlement, le Gouvernement a proposé une prorogation de deux mois que la commission des lois du Sénat a largement raccourcie.
Permettez-moi de relever l’incohérence du projet de loi instaurant cet état d’urgence sanitaire : l’article 2 prévoit que le texte prorogeant l’état d’urgence de plus d’un mois fixe sa durée, alors que l’article 4 prévoit un régime de deux mois pouvant être prorogé indéfiniment, peut-être jusqu’en avril 2021.
Suivant la logique de cet article 2, nous proposons que la présente prorogation fixe la durée finale de l’état d’urgence.
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par Mmes Guillotin, M. Carrère, Costes, N. Delattre et Laborde, MM. Requier, Cabanel, Collin, Dantec et Gold, Mme Jouve, MM. Roux et Vall, Mme Pantel et M. Guérini, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Pour toute la durée de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, à des strictes fins de préservation de la santé publique, les usagers des espaces publics et des lieux recevant du public observent les règles de protection des voies bucco-nasales et de distanciation sociale prévues par décret, appropriées aux circonstances de temps et de lieu.
La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Cet amendement vise à établir des règles claires et opposables en termes de précautions individuelles pour chacun de nos concitoyens en période d’épidémie. Il s’agit de sortir d’un droit mou de simples recommandations particulièrement inadaptées en matière de santé publique.
Cet après-midi, j’ai posé une question sur l’extension du port du masque dans l’espace public. Face à une simple recommandation, un individu confiant aura tendance à respecter les règles de manière minimale quand un individu plus précautionneux s’appliquera des exigences plus sévères. Or la vie en société fait que les individus plus précautionneux croiseront les individus confiants, les uns avec des masques et les autres sans, et que la distanciation sociale ne sera pas toujours respectée.
Samedi dernier, les grandes surfaces étant ouvertes, j’ai pu voir de très longues files d’attente, de plusieurs dizaines de mètres, les personnes se suivant à cinquante centimètres de distance les unes des autres, et de petits attroupements de gens ne portant pas toujours de masque. Selon moi, ce sont autant de mini-clusters.
Je ne comprends pas votre obstination à ne pas vouloir rendre obligatoire le port du masque dans l’espace public. Il s’agit d’un amendement précautionneux, d’un amendement de prudence dont l’adoption permettrait peut-être d’éviter de nouvelles hospitalisations et nous aiderait à sortir plus rapidement de ce confinement.
M. le président. L’amendement n° 144 rectifié, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
À compter de la promulgation de la loi n° … du … prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, il est instauré un comité national de suivi de l’état d’urgence sanitaire, composé du Premier ministre, des ministres compétents, du directeur général de la santé, de deux représentants du comité de scientifiques, d’un représentant par formation politique représentée au Parlement et d’un représentant par association nationale d’élus locaux.
Le comité se réunit deux fois par semaine pour prendre connaissance des propositions de décision du gouvernement. Le compte rendu de ces réunions est rendu public.
Les membres de ce comité ne sont pas rémunérés et aucun frais lié au fonctionnement de ce comité ne peut être pris en charge par une personne publique.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous reprenons ici un amendement que nous avions déposé lors de l’examen du projet de loi instaurant l’état d’urgence sanitaire, le 19 mars dernier, également défendu par nos collègues députés. Peut-être gênait-il, mais force est de constater qu’il avait été balayé d’un revers de main par le Gouvernement et par les majorités parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale.
Pourtant, comme nous l’avons tous constaté, la gestion de l’état d’urgence ne peut reposer entre les mains d’un seul homme, fût-il Président de la République. Nous proposions donc de mettre en place un conseil pluraliste, à l’écoute de toutes les remontées du terrain. Nous sommes en effet convaincus qu’il nous faudra, dans les prochaines semaines et les prochains mois, être à l’écoute de toutes les opinions et de toutes les propositions.
Dire cela n’est pas nier la démocratie ni le respect dû aux différents rapports de force. Certains ont parlé d’unité nationale, je ne sais pas si nous en sommes là. Depuis plusieurs semaines, vous avez géré une crise sans précédent et à laquelle personne ne détient l’ensemble des réponses. Toutefois, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, les groupes et partis politiques qui font vivre la démocratie ne sont pas seulement là pour écouter. Si nous voulons réellement parvenir à une sortie de crise réussie, nous devons construire les réponses ensemble.
Cet après-midi, le Sénat, à quelques voix près, ne vous a pas accordé la confiance. C’est que la confiance se construit, elle ne s’impose pas. La confiance suppose d’apporter des réponses avec l’ensemble des partis. Au regard de ces dernières semaines, il ne s’agit manifestement pas de la méthode choisie par le Gouvernement, raison pour laquelle nous proposons une nouvelle fois la mise en place d’un groupe de suivi.
M. le président. L’amendement n° 194 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 6
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Cet amendement vise à supprimer les dispositions introduites en commission sur la responsabilité pénale des personnes physiques pour des faits commis pendant l’état d’urgence sanitaire.
M. Bruno Retailleau. Nous y voilà !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. J’ai eu l’occasion de souligner à quel point le Gouvernement est tout à fait sensible aux inquiétudes des acteurs publics, des élus locaux et des acteurs privés sur le risque pénal encouru durant le déconfinement. M. le Premier ministre et moi-même avons également indiqué que nous ne voulions pas atténuer la responsabilité des décideurs publics, mais prendre en compte la spécificité du moment que nous vivons. Je suis certaine que vous partagez tous cette préoccupation.
Notre droit prévoit déjà des règles permettant de limiter la responsabilité pénale des acteurs publics et privés en cas d’infraction non intentionnelle. Vous connaissez bien ce dispositif, puisqu’il s’agit de la loi Fauchon : lorsque le lien de causalité avec le dommage est indirect, la responsabilité pénale ne peut être engagée que si le décideur public a délibérément violé une obligation prévue par la loi ou commis une faute caractérisée en l’absence de normes. Ce dispositif, adopté voilà vingt ans, fonctionne bien, et je crois qu’il est protecteur.
Je relève bien évidemment la volonté de la commission des lois et de son président de clarifier le cadre juridique de cette responsabilité dans le contexte de crise du Covid-19, mais l’amendement adopté en commission me semble soulever trois questions.
En premier lieu, la lecture des dispositions de cet amendement laisse penser qu’il tend à supprimer la faute caractérisée de l’article 121-3 du code pénal. Il faut bien évidemment permettre aux acteurs publics ou privés d’agir sans blocage en cette période particulière, mais il ne faut pas non plus donner l’impression que les décideurs publics seraient irresponsables.
En deuxième lieu, la commission entend modifier le régime de la responsabilité pénale pour les seuls faits liés à l’état d’urgence sanitaire. J’ai peur que cette mesure ne crée un risque constitutionnel au regard du principe d’égalité devant la loi pénale, une différence de traitement pouvant en résulter entre des faits commis avant ou après l’instauration de l’état d’urgence sanitaire, alors qu’ils sont tous liés aux effets du Covid-19. Par exemple, un directeur d’hôpital pourrait se voir condamné pour faute caractérisée du fait d’une décision prise avant le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire, alors qu’un de ses collègues, ayant pris une décision similaire mais après ce déclenchement, ne le serait pas.
En troisième lieu, je ne suis pas certaine qu’on puisse opérer une distinction entre les responsables de la police administrative – pour l’essentiel, les préfets – et les autres acteurs publics agissant dans le cadre de cette police. D’ailleurs, le Premier ministre a mis l’accent devant vous sur l’importance du couple maire-préfet dans la sortie du confinement. Or le dispositif de la commission, tel qu’il est formulé, donne l’impression que le premier pourra être poursuivi pour imprudence ou négligence, alors que le second ne pourra l’être qu’en cas de violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative.
Telles sont, brièvement exposées, les raisons pour lesquelles je considère que la rédaction du dispositif adopté par la commission n’est pas appropriée.
Le Gouvernement, je le répète, est disposé à ce que la loi soit précisée ; mais il me semble qu’il faut encore travailler la réponse à apporter. Le temps de la navette doit nous permettre de trouver le dispositif le plus adéquat.
M. le président. L’amendement n° 42, présenté par MM. Sueur, Marie, Jacques Bigot, Montaugé, Kerrouche, Durain et Kanner, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Leconte, Sutour et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier, Monier, Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 6
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
II. – À compter de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire et jusqu’à trois mois après sa cessation, tout acte accompli par un élu local ou un agent public ayant reçu délégation, visant à mettre en œuvre une décision prise par l’État dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, ne peut engager sa responsabilité pénale et civile que s’il est établi qu’il a violé de façon manifestement délibérée et en connaissance des risques, compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie, une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Le Sénat représente les collectivités territoriales de la République, et tous ses membres sont en contact quotidien avec de très nombreux maires.
J’entends bien, madame la garde des sceaux, que vous souhaitez voir retiré le dispositif que le président-rapporteur, Philippe Bas, a proposé en matière de responsabilité pénale des maires et de tous les élus locaux. La position de notre groupe est différente : nous souhaitons, au contraire, préciser les choses.
Tous les acteurs, bien sûr, doivent être responsables. Mais comment ne pas entendre ce que nous disent les élus locaux tous les jours ? Ils n’ont pas été associés à la définition des règles relatives à l’ouverture des écoles, non plus que de celles relatives au fonctionnement des transports en commun dans quelques jours et à l’organisation des élections, entre autres sujets. Pourtant, ils doivent agir, en quelque sorte, au nom de l’État, en tout cas en vertu de décisions de l’État.
Je vais être très pragmatique : si vous voulez que les dispositions prévues s’appliquent dans quelques jours, s’agissant en particulier des écoles, il est très important d’apporter des garanties aux élus locaux, qui seront en première ligne – avec, bien sûr, les enseignants.
Notre proposition, tout à fait cohérente avec ce que souhaitent l’Association des maires de France et toutes les associations d’élus, avec lesquelles nous avons travaillé, consiste à prévoir qu’un élu local, dès lors qu’il mettra en œuvre ce qui lui est demandé par l’État, ne pourra pas voir sa responsabilité, pénale ou civile, engagée à ce titre. Ce qui n’exclut pas que, s’il commet intentionnellement des actes contestables, s’il ne respecte pas les lois et règlements, sa responsabilité puisse, bien sûr, être engagée.
Prévoir une telle garantie dans ce cas précis est une exigence très forte de notre groupe, parce que c’est une exigence très forte par rapport aux élus locaux de notre République.
M. le président. L’amendement n° 154, présenté par Mmes Assassi et Gréaume, M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 6
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
II. – Un maire, ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation, ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, par la mise en œuvre des décisions prises par le Gouvernement pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire déclaré à l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à une telle contamination, à moins que les faits n’aient été commis intentionnellement.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Ayant entendu le Premier ministre et vous-même, madame la garde des sceaux, il me semble que vous voulez bien préciser la loi – en l’occurrence, la loi Fauchon –, dès lors que cela va dans votre sens…
Or notre réalité, aujourd’hui, est différente. S’il faut préciser la loi, ce n’est pas pour la rendre bavarde, formule souvent reprise dans cet hémicycle, ni simplement pour faire bon effet auprès des élus locaux : c’est parce qu’il y a urgence ! Urgence, oui, si nous voulons réunir les conditions de la réussite du déconfinement, non pas seulement pour rassurer les élus, mais pour sécuriser réellement les décisions que prendront les maires et ceux qui auront reçu délégation de ceux-ci.
Ne mélangeons pas tout : personne ici ne soutiendrait qu’un élu devrait être irresponsable et absous par avance de toute faute. En revanche, comme il vient d’être expliqué, on ne peut pas rendre les élus responsables de décisions qu’ils n’ont ni le pouvoir ni les moyens financiers et administratifs d’appliquer et à la définition desquelles, de surcroît, ils n’ont été que très, très partiellement associés.
Cet amendement, comme d’autres de la même série, vise donc à sécuriser réellement les élus locaux au regard de la responsabilité qui pèsera sur eux demain, quand ils auront des comptes à rendre à leur population sur la garantie de la sécurité sanitaire.
M. le président. L’amendement n° 179 rectifié, présenté par MM. Gremillet et de Legge, Mme Deromedi, MM. Perrin et Raison, Mmes Deroche, Berthet, Chauvin et Noël, M. Priou, Mme Malet, MM. Cuypers, Pellevat et Pierre, Mmes Thomas et Chain-Larché, MM. Kennel, Bascher, Lefèvre, Charon, B. Fournier, Houpert, Piednoir et Bonne, Mme Micouleau, MM. Bouchet, Vogel et Vaspart, Mme Ramond, M. Danesi, Mme Canayer, MM. Joyandet, de Montgolfier, Grosdidier, Sido, Leleux et Regnard, Mmes Garriaud-Maylam et Lassarade, M. Bonhomme, Mme Morhet-Richaud, M. Brisson et Mme Dumas, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le maire ne peut être tenu responsable pénalement et administrativement pour les arrêtés pris, dans le cadre de l’application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, au titre de son pouvoir de police générale que si les mesures prises dans lesdits arrêtés répondent à trois critères cumulatifs : limitation dans la durée ; limitation dans leur amplitude géographique, limitation dans leur contenu en adoptant des mesures proportionnées à un danger identifié.
La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Notre collègue Gremillet propose de restreindre la responsabilité des maires à des mesures prises par voie d’arrêté triplement limitées : dans la durée, dans leur amplitude géographique et à un contenu proportionné à un danger identifié. Il s’agit de limiter l’exposition des maires à une responsabilité pénale ou administrative accrue.
M. le président. L’amendement n° 58 rectifié, présenté par MM. Jacques Bigot, Sueur, Marie, Montaugé, Kerrouche, Durain et Kanner, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Leconte, Sutour et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier, Monier, Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – La réouverture des établissements scolaires en période de crise sanitaire ne peut engager la responsabilité des collectivités territoriales.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Cet amendement, dont notre collègue Jacques Bigot est à l’origine, vise, dans le droit fil des amendements précédemment présentés, à limiter la responsabilité des élus locaux lors de la réouverture des établissements scolaires.
Le Premier ministre a expliqué cet après-midi qu’il souhaitait l’adhésion au déconfinement la plus large possible. Mais l’adhésion ne va pas sans un juste partage de la responsabilité. Or, actuellement, ce partage est en défaveur des élus locaux, qui se voient imposer la réouverture des établissements scolaires avec des moyens souvent défaillants et dans des conditions particulièrement complexes.
Ainsi, le protocole sanitaire de cinquante-quatre pages – on a gagné neuf pages par rapport à la première version… – ne rend pas justice aux difficultés concrètes rencontrées au quotidien par les élus, qui ne disposent pas tous de groupes scolaires modernes et récemment rénovés : les locaux sont parfois vétustes, les corridors étriqués, les classes trop petites, ce qui rend impossible l’application du protocole proposé.
Les doutes qui remontent du terrain sont ceux d’élus qui veulent bien faire ; ils veulent tellement bien faire que, parfois, ils ne feront pas, s’ils considèrent qu’ils ne sont pas en mesure de mettre en œuvre dans de bonnes conditions le protocole qu’on leur demande d’appliquer. Ce matin même, un maire me disait : on érige le couple maire-préfet en garant de la bonne mise en œuvre du déconfinement, mais, si l’un d’entre nous doit aller en prison, ce sera le maire – le préfet, lui, enverra les oranges…
M. le président. L’amendement n° 180 rectifié, présenté par MM. Gremillet et de Legge, Mmes Deromedi et Deroche, MM. Perrin et Raison, Mmes Chauvin et Noël, M. Priou, Mme Malet, MM. Cuypers, Pellevat et Pierre, Mmes Thomas et Chain-Larché, MM. Kennel, Bascher, Lefèvre, Charon, B. Fournier, Houpert, Piednoir et Bonne, Mme Micouleau, MM. Bouchet, Vogel et Vaspart, Mme Ramond, M. Danesi, Mme Canayer, MM. Joyandet, de Montgolfier, Grosdidier, Sido, Leleux et Regnard, Mmes Garriaud-Maylam et Lassarade, M. Bonhomme, Mme Morhet-Richaud, M. Brisson et Mme Dumas, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
La responsabilité pénale du maire et des directeurs d’école ne peut être engagée lorsqu’ils sont amenés, dans un temps très court, à évaluer la capacité d’accueil des élèves dans l’établissement scolaire.
La responsabilité pénale du maire ne peut être engagée dès lors que face à l’incapacité à respecter le protocole sanitaire des écoles élaboré conjointement par le ministre de l’éducation nationale et de la santé, le maire se retrouve dans l’incapacité de rouvrir son ou ses établissements scolaires.
La responsabilité pénale du maire ne peut être engagée en matière de restauration scolaire lorsqu’il ne peut pas réunir les conditions adéquates pour assurer la restauration des élèves dans le respect des mesures sanitaires.
La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Le protocole sanitaire des établissements scolaires a connu des modifications assez importantes depuis la version du 30 avril. C’est pourquoi nous proposons, sur l’initiative de M. Gremillet, que la responsabilité pénale du maire et des directeurs d’école ne puisse pas être engagée dans trois situations : lorsqu’ils sont amenés à évaluer dans un temps très court la capacité d’accueil des élèves dans un établissement scolaire ; dès lors que, face à l’impossibilité de respecter le protocole sanitaire, le maire se retrouve dans l’incapacité de rouvrir un établissement scolaire ou plusieurs ; enfin, lorsqu’il ne peut réunir les conditions adéquates pour assurer la restauration des élèves.
M. le président. L’amendement n° 137 rectifié, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Le dernier alinéa de l’article 121-3 du code pénal est complété par les mots : « ou en cas de décision prise par des maires ou des élus municipaux délégués dans le cadre de la mise en œuvre de directives prises par le Gouvernement en lien avec un état d’urgence sanitaire tel que défini à l’article L. 3131-12 du code de la santé publique ».
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Puisqu’on parle beaucoup d’école et que la pédagogie est l’art de la répétition, vous me permettrez d’insister… D’ailleurs, si redondance il y a dans cette série d’amendements, elle témoigne du véritable malaise qui s’exprime dans notre pays autour des difficultés auxquelles sont confrontés de nombreux élus du fait de la date prévue pour la réouverture des écoles.
Oui, il est essentiel de traiter spécifiquement la question de la responsabilité des élus, tout spécialement des maires, par rapport aux autres intervenants dans la lutte contre la pandémie ! Car les élus ne sont pas des acteurs comme les autres : ces derniers mois, ils ont montré que, en cas de catastrophe, c’est à eux qu’incombent le plus de responsabilités, et dans des domaines très divers.
Nous pourrions considérer que le problème a été en partie réglé par le dispositif adopté en commission des lois. Toutefois, nous souhaitons insister pour que l’exonération de responsabilité pénale pour les actes pris ou non pris par les maires dans le cadre de l’urgence sanitaire soit inscrite dans le code pénal, car c’est du code pénal que les juges tiennent prioritairement compte, d’ailleurs de plus en plus largement.
La situation a fortement évolué depuis le 15 mars. À l’époque, tout le monde dénonçait une immense pénurie de masques dans notre pays. Si, aujourd’hui, dans un certain nombre de territoires, les Français peuvent compter avoir au moins un masque ou deux le 11 mai, c’est parce que leur commune, leur intercommunalité ou leur région en a passé commande. (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François Patriat. Mais non !
Mme Cécile Cukierman. C’est la réalité, mon cher collègue : ce sont les élus locaux qui ont suppléé à la défaillance de l’État ! Situation d’ailleurs inacceptable : il faudra, demain, réfléchir à une réorganisation de l’État. En attendant, traitons comme il convient la question de la responsabilité des élus locaux, car, ces dernières semaines, ils ont démontré qu’ils sont avant tout, justement, des élus responsables. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 134 rectifié, présenté par Mmes Noël et Duranton, MM. Bascher, Lefèvre, Pellevat et Houpert, Mmes Bruguière et Raimond-Pavero, MM. Paccaud, Charon, Perrin, Raison, de Legge et Pemezec, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Karoutchi, Duplomb, J.M. Boyer, Cuypers, Gilles, Pierre et Regnard, Mme Micouleau, M. Frassa, Mmes Dumas, Troendlé, Chain-Larché et Thomas, M. Reichardt, Mme Deroche et MM. D. Laurent, Panunzi, Morisset, Bouchet, Bonne, Genest, Savary et B. Fournier, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. - Après le premier alinéa de l’article L. 2123-24 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Une décision prise et mise en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi 2020-290 du 23 mars 2020, en lien avec l’État ou toute autre collectivité territoriale, ne peut engager la responsabilité civile ou pénale d’un maire ou d’un élu municipal suppléant ou ayant reçu une délégation, que si une faute est totalement caractérisée avec une intention délibérée de la réaliser et que s’il est clairement établi qu’il disposait des moyens de la mettre en œuvre entièrement. »
La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. Cet amendement, dont ma collègue Sylviane Noël est l’initiatrice, concerne la responsabilité pénale des maires.
M. le Premier ministre, cet après-midi, puis Mme la garde des sceaux, voilà quelques instants, se sont appuyés sur la solidité de la loi du 10 juillet 2000. La loi Fauchon a certainement fait ses preuves, mais dans des circonstances ordinaires. Or, depuis la loi du 23 mars dernier, nous sommes dans des circonstances extraordinaires : un état d’urgence sanitaire.
Comme M. Sueur l’a bien expliqué, quasiment tous les maires de France veulent bien faire, mais sont inquiets quant à leur propre responsabilité, s’agissant notamment de la réouverture des écoles.
On parle sans arrêt des maires comme des fantassins de la République. À la vérité, ils sont même davantage : ils sont la République, ils incarnent la République. Seulement cette République, bien incarnée, doit aussi protéger ceux qui la servent au quotidien. Tel est le sens des précisions que la commission des lois a déjà introduites et que nous sommes nombreux à réclamer à travers ces amendements : ces précisions, nous en avons tout simplement besoin !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Habituellement, quand un grand nombre d’amendements sont en discussion commune, j’en trouve toujours certains tellement intéressants que je parviens, au nom de la commission, à leur donner un avis favorable. Ce n’est pas le cas cette fois-ci.
Je pourrais me dispenser de toute autre explication en vous renvoyant simplement au texte que la commission a adopté ce matin et en tentant devant vous de le justifier. C’est d’ailleurs ce que je vais faire dans un premier temps.
Ce matin, nous avons fait deux choses.
D’abord, nous avons considéré que, si le Gouvernement voulait reconduire une nouvelle fois l’état d’urgence, il faudrait qu’il revienne devant le Parlement avant le 23 juillet prochain. Nous avons pensé que ce serait la bonne mesure de lui laisser deux mois après le commencement du déconfinement, lundi prochain, avant de procéder avec lui à l’évaluation de l’efficacité des mesures prises, si aucun événement ne survient d’ici là qui justifie que ce bilan doive être fait plus tôt.
Nous avons donc adopté la limite du 10 juillet prochain, avant laquelle le Gouvernement devra s’être, en quelque sorte, réassuré devant la représentation nationale, dans toute sa diversité, sur la prolongation de l’état d’urgence. Je n’exclus pas qu’il soit amené à le faire avant. Au reste, nous préférons, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, que vous le fassiez tôt plutôt que tard – tout en vous laissant suffisamment de temps pour que l’évaluation puisse être pertinente.
Ensuite, nous avons constaté que nous entrerions, lundi prochain, dans une période très particulière. Jusqu’ici, une règle simple s’impose à tous les Français : le confinement, avec possibilité de sortir de chez soi pour des raisons dûment justifiées, au moyen d’une attestation remplie par chacun ; ce n’est pas facile, mais c’est simple. À partir de la semaine prochaine, il faudra prendre de multiples décisions d’organisation sur le fonctionnement des écoles, des entreprises, des administrations. Le Gouvernement demandera à chacun de prendre ses responsabilités, comme il est juste.
Reste que, dans des circonstances aussi exceptionnelles, les personnes qui seront amenées à prendre leurs responsabilités doivent être protégées. Elles prendront, bien sûr, un risque : nous ne pouvons jamais écarter la mise en cause de la responsabilité pénale d’une personne qui aurait intentionnellement provoqué une contamination, ni admettre qu’on exonère de sa responsabilité pénale une personne qui aurait commis, par violation délibérée d’une obligation particulière de prudence imposée par les lois et les règlements, un acte ayant entraîné une contamination.
La règle que nous avons fixée est, somme toute, assez simple : ce n’est pas une exonération totale de responsabilité pénale, mais le moyen d’éviter que le juge pénal puisse trouver dans la loi du 10 juillet 2000, d’initiative sénatoriale, un fondement pour attraire la responsabilité pénale d’une personne – par exemple, un maire –, pour le motif qu’elle aurait commis une faute caractérisée parfaitement indéfinie dans le code pénal, mais que le juge invoquerait pour rechercher la responsabilité pénale de cette personne qui, du fait de la politique du Gouvernement, aurait pris un risque.
Nous estimons qu’il suffit largement, pour préserver la possibilité de l’action pénale, de considérer que l’intention délibérée de provoquer une contamination ou la violation de règles de prudence particulières prévues par la loi et les règlements permettrait évidemment de condamner une personne ayant commis ce type de délits. C’est un dispositif équilibré !
Par égard pour nos collègues, j’aimerais à présent entrer dans le détail des amendements.
Notre travail de ce matin s’est inspiré des réflexions menées par les uns et les autres, les unes et les autres. Je rends hommage particulièrement à notre collègue Hervé Maurey : inspiré par de nombreuses remarques des maires du département de l’Eure, qu’il a à cœur de défendre, il a pris très tôt des initiatives pour faire avancer la réflexion. C’est en tenant compte de ses réflexions, mais aussi d’autres, que nous sommes arrivés à un équilibre qui me paraît bon.
C’est pourquoi, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés que je ne sois pas favorable aux amendements nos 135 et 143 rectifié, déposés par Mme Assassi au nom du groupe qu’elle préside. Le premier s’oppose à la prolongation de l’état d’urgence et à un régime définissant de manière plus précise l’engagement de la responsabilité pénale pendant l’état d’urgence, à rebours de la position de la commission. Quant au second, très bien présenté par Mme Cukierman, il est trop restrictif, car il se limite au régime de responsabilité des maires, qui ne sont pas les seuls à rencontrer des difficultés.
Les amendements nos 5 rectifié bis, 62, 74, 3 rectifié ter et 164 portent tous sur les délais. Sur cette question, cent fleurs se sont épanouies… Chacun, bien sûr, peut avoir son idée. Pour ma part, j’ai trouvé que le 10 mai comme point de départ d’un délai de deux mois était une bonne formule ; je ne vais pas vous dire ce soir que j’ai changé d’avis parce que certains proposent le 30 juin plutôt que le 10 juillet, ou autre chose encore. Mes chers collègues, vous aurez à trancher ce grave débat, mais la position de la commission, si elle n’est peut-être pas idéale, est assez pratique et repose sur des arguments.
Mme Guillotin, à travers son amendement n° 7 rectifié bis, souhaite inscrire dans la loi les règles de distanciation sociale. Si nous devions le faire, combien d’autres dispositions ne devrions-nous pas aussi introduire dans la loi ? Il y a un moment où c’est trop… D’autant qu’on nous reproche, à juste titre, de faire des lois trop bavardes. Laissons à chaque échelon de responsabilité ses propres attributions.
Le plus important, c’est nous qui l’écrivons. Les règles dont il s’agit sont très importantes, mais nous ne sommes pas médecins, et le Gouvernement peut fort bien, dans le cadre des pouvoirs que nous lui attribuons, régler ces problèmes d’organisation de la vie pendant le déconfinement, en particulier de respect des règles, très importantes, de distanciation.
Je découvre un amendement n° 194 rectifié du Gouvernement… Madame la garde des sceaux, je vous dirai – mais vous y verrez peut-être de l’ironie – que cet amendement m’a peiné. Oui, peiné, parce que voilà plusieurs semaines que nous travaillons sur cette question, très importante, car nous ne pouvons pas déconfiner sans protéger l’exercice des responsabilités qui seront prises par de nombreux Français, alors qu’elles les dépassent. Le Gouvernement le sait très bien, et depuis longtemps – en vérité, depuis plus longtemps que nous ne connaissons ses intentions de créer un système d’information, qui fait l’objet de l’article 6 du présent projet de loi.
Vous écrivez dans l’objet de cet amendement qu’il serait difficile de mesurer dans l’urgence les conséquences d’une telle restriction de la responsabilité pénale. Mettez-vous donc un peu à notre place… Nous avons découvert samedi après-midi un projet de loi dont je ne veux pas exagérer l’importance, mais qui, tout de même, comporte des dispositions mettant en cause le respect de la vie privée, le secret médical et un certain nombre d’autres garanties et libertés. Or vous ne nous avez pas entendus dire qu’il nous était difficile de nous prononcer, parce que nous faisons notre devoir. Nous préférons, bien sûr, avoir du temps, comme vous préférez en avoir. Ne disqualifiez donc pas notre travail au motif que vous n’auriez pas eu le temps de réfléchir, alors que l’exécutif, jusqu’au plus haut niveau de l’État, est prévenu de notre intention depuis plusieurs semaines.
Vous dites aussi que vous avez de l’inquiétude. Remarquez, je comprends : moi aussi, en ce moment, j’ai beaucoup d’inquiétudes… (Sourires.) Nous limitons, dites-vous, cette disposition pénale aux faits commis pendant l’état d’urgence sanitaire. Mais, madame la garde des sceaux, nous l’avons fait exprès ! C’est justement parce qu’il y a l’état d’urgence sanitaire, une situation exceptionnelle, qu’il nous faut, pour la traiter, prendre des mesures exceptionnelles – et d’ailleurs temporaires.
Vous nous expliquez ensuite qu’il y aurait un risque de rupture d’égalité, parce que la responsabilité pénale de quelqu’un ne serait pas engagée en application des dispositions que nous prenons dans les mêmes conditions qu’en application des dispositions de droit commun. Madame la garde des sceaux, il n’y a pas d’inégalité à traiter différemment des situations différentes ! Et si l’état d’urgence sanitaire n’est pas une situation différente justifiant l’application d’un droit différent – à condition qu’il ne porte atteinte à aucun principe fondamental… En réalité, nous appliquons le principe d’égalité en mettant en œuvre des règles différentes dans des situations différentes.
Voilà pourquoi j’ai eu de la peine en lisant non seulement le dispositif de votre amendement, mais aussi son objet. Je n’émettrai pas un avis défavorable ; cet amendement, je vous demanderai, tout simplement, de le retirer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.) Nous pourrons ainsi poursuivre le travail que nous avons commencé sur les bases que nous avons définies, des bases dont j’ai la faiblesse de croire qu’elles ont été précédées d’une réflexion approfondie et qu’elles ont abouti à un résultat équilibré. (Marques d’approbation sur les mêmes travées.)
Il me reste à éclairer nos collègues sur les amendements nos 42, 154, 179 rectifié, 58 rectifié, 180 rectifié, 137 rectifié et 134 rectifié. J’émets un avis défavorable sur tous ces amendements, relatifs à la responsabilité.
Certains visent à traiter le cas particulier de la responsabilité des décisions prises à l’égard des écoles. À ce propos, au-delà de la disposition que nous prenons sur la responsabilité pénale, notamment des maires, il faut dire à nos élus, pour les rassurer, qu’ils n’ont, d’après la loi, aucune décision à prendre pour l’ouverture des écoles, car l’article L. 411-1 du code de l’éducation nationale prévoit que cette responsabilité incombe aux directeurs et directrices d’école, sous l’autorité des inspectrices et inspecteurs d’académie.
Le maire, bien sûr, fait partie du conseil d’école et fournit des moyens. Si ces moyens n’étaient pas suffisants pour assurer la sécurité sanitaire de la communauté éducative au moment de la réouverture de l’école, ce serait au directeur d’école, pas au maire, de décider de ne pas rouvrir dans ces conditions. Mesdames, messieurs les maires de France, vous qui nous écoutez ce soir, sachez-le bien : votre responsabilité ne peut pas être engagée à raison des décisions prises pour les ouvertures d’école !
Du coup, tous les amendements visant à protéger les maires au regard des décisions d’ouverture d’école sont inutiles, les maires n’étant pas exposés par ces décisions, ce qu’il est très important de leur rappeler.
De même, il est important de leur dire que nous avons confiance en eux et que nous savons qu’ils prendront toutes les dispositions utiles pour mettre à la disposition des écoles de la République les moyens nécessaires à la reprise du travail scolaire.
Telles sont les raisons pour lesquelles je suis contraint, à mon corps défendant, d’émettre un avis défavorable sur ces amendements, un avis qui, comme vous l’aurez constaté, n’est pas systématique, mais repose sur un examen particulier de chacune des mesures proposées.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Il y a deux catégories d’amendements : ceux qui visent la durée de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et ceux qui ont trait à la question de la responsabilité. Ma collègue ministre de la justice s’exprimera sur la seconde catégorie. Pour ma part, je rejoins Philippe Bas, en émettant un avis défavorable sur l’ensemble des autres amendements.
Dans le texte initial, le Gouvernement avait proposé de proroger de deux mois l’état d’urgence sanitaire à compter de sa date d’expiration et de revenir devant le Parlement le 23 juillet au plus tard en cas de nécessité de le proroger une nouvelle fois. J’entends que les commissaires aux lois, dans leur grande sagesse, ont fait une autre proposition, qui consiste à limiter cette prorogation à la date du 11 juillet prochain, soit deux mois après la levée du confinement. Cet argumentaire peut s’entendre.
Le débat suivra son cours à l’Assemblée nationale. Nous verrons ce que proposeront les députés sur cette question. À titre personnel, je dois dire que ma religion n’est pas faite et que je peux parfaitement entendre les arguments avancés par M. le rapporteur, que je remercie pour la qualité de son travail. Cependant, par cohérence, j’émettrai un avis défavorable sur l’ensemble des amendements qui visent à changer cette date.
Je veux juste rappeler que l’état d’urgence sanitaire reste temporaire et que nous n’avons pas vocation à le prolonger ad vitam aeternam. Il doit être prorogé le temps nécessaire pour continuer à lutter contre l’épidémie et à repousser le virus. Il est vrai qu’il nous faudra rester encore un moment dans un nouveau cadre de vie, tout en demeurant dans le cadre de la loi, raison pour laquelle nous débattons ce soir, comme nous nous étions engagés à le faire, les membres du comité de scientifiques estimant, à l’unanimité, que l’état d’urgence devra être prolongé. De fait, il n’aura échappé à personne que nous n’avons gagné la bataille contre le virus ni en France ni dans aucun pays au monde.
Un certain nombre de pays ont pris des dispositions de long terme sans que leur Parlement ait pu se prononcer. En France, nous avons fait le choix, que je revendique, de venir devant la représentation nationale chaque fois que ce sera nécessaire, pour vous expliquer les raisons pour lesquelles nous sollicitons la prolongation de cet état d’urgence assez extraordinaire, caractérisé par une restriction des libertés liée à la volonté de protéger la santé des Français.
J’y insiste, nous appuyons nos décisions sur l’avis des scientifiques. Indépendamment de cet avis, je crois que nous avons tous conscience ici que le combat n’est pas terminé et qu’il nous faudra vivre avec le virus encore quelque temps et donc consentir de nouveaux efforts collectifs, à l’instar de ceux, extraordinaires, que les Français ont déjà réalisés depuis bientôt huit semaines et qui auront déjà permis de sauver plusieurs dizaines de milliers de vies.
Le confinement a fonctionné. Les courbes en témoignent : nous sommes aujourd’hui au même niveau qu’aux alentours du 10 mars. Cependant, il s’est passé depuis des choses extrêmement éprouvantes, avec plus de 20 000 morts dans notre pays, des hôpitaux encore très chargés, qui ont frôlé la sursaturation, mais qui ont tenu et qui ont besoin d’un peu plus de temps. Il faut que le pays reprenne doucement, avec beaucoup de précautions et de prudence, pour vérifier que la levée du confinement ne conduit pas à déconfiner le virus lui-même. Ce sera là tout l’objectif des prochaines semaines.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, je regrette de vous avoir peiné. Cependant, il me semble que, compte tenu des circonstances, le législateur et l’exécutif ne doivent pas être dans l’affect. Ils doivent être dans la réflexion sur la décision juste.
M. Bruno Retailleau. Il plaisantait !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous reconnais cette qualité, que vous partagez avec vos collègues ici présents. À cet égard, je reconnais que l’amendement que vous avez porté est le fruit d’une réflexion menée de longue date dans cette enceinte.
Concevez que la réflexion du Gouvernement soit d’une nature quelque peu différente. J’ai tenté d’expliquer les trois raisons pour lesquelles votre rédaction ne me semblait pas correspondre à ce qui était attendu, ainsi que les raisons pour lesquelles nous pourrions, dans la navette parlementaire, réfléchir à une écriture un peu différente.
Je ne nie pas l’intérêt de la question que vous avez soulevée sur l’égalité. Je sais bien qu’il n’y a pas de rupture d’égalité quand on traite différemment des situations différentes, mais je veux dire ici que nous ne sommes pas nécessairement dans une situation différente au regard du Covid-19, en lien avec l’état d’urgence sanitaire. Les situations de Covid-19 qui ont précédé l’état d’urgence sanitaire ont pu donner lieu à des actions identiques à celles qui ont été prises pendant cet état d’urgence. Il ne me semble pas que les unes et les autres doivent nécessairement être traitées différemment en termes de responsabilités.
L’ensemble des autres amendements visent essentiellement le cas des seuls élus locaux, dans leurs fonctions de décideurs publics. Or les décideurs publics sont, en l’occurrence, très nombreux : outre les élus locaux, les responsables des hôpitaux et d’autres acteurs publics ont été conduits à prendre des décisions et se trouvent confrontés à des difficultés comparables. Une telle différence de traitement dans l’application de la loi pénale entre les élus locaux, qui sont expressément visés par l’ensemble de ces amendements, et des personnes confrontées aux mêmes difficultés – ce n’est pas le cas du dispositif dont j’ai demandé la suppression préalablement – ne me paraît pas envisageable.
Par ailleurs, j’entends parfaitement ce qui est demandé en termes de « réassurance » – l’un d’entre vous a, je crois, utilisé ce terme. J’estime qu’il est très important de prendre en compte la nécessité des circonstances spécifiques liées à la crise sanitaire. Il est possible de le faire, mais dans un dispositif global, valable pour l’ensemble des décideurs publics et rédigé de manière quelque peu différente de ce que M. le rapporteur a proposé.
C’est la raison pour laquelle je ne retirerai pas mon amendement de suppression. Je répète que je comprends parfaitement et que le Gouvernement partage l’intérêt que vous portez aux questions de responsabilité des décideurs publics et privés.
M. le président. Je me tourne vers les auteurs des amendements en discussion commune pour savoir si ces amendements sont maintenus…
M. Dany Wattebled. Je retire mon amendement, monsieur le président !
Mme Véronique Guillotin. Je retire également le mien !
Mme Catherine Deroche. Je retire moi aussi les deux amendements que j’ai présentés !
M. Olivier Paccaud. Convaincu par la mécanique implacable et, comme toujours, talentueuse de Philippe Bas, je retire mon amendement !
M. le président. Les amendements nos 3 rectifié ter, 7 rectifié bis, 179 rectifié, 180 rectifié et 134 rectifié sont retirés.
M. Olivier Paccaud. Permettez-moi de poser une question, monsieur le président : M. le rapporteur a évoqué le fameux article L. 411-1 du code de l’éducation, qui donne aux directeurs d’école, et non aux maires, le droit d’ouvrir ou de fermer les écoles. Les innombrables arrêtés relatifs à la non-ouverture des écoles pris ces derniers jours par de très nombreux maires de France sont-ils illégaux ?
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote sur l’amendement n° 135.
Mme Cécile Cukierman. Mon explication de vote vaudra pour l’ensemble des amendements.
Nous maintenons nos amendements, parce que, contrairement à ce que j’ai entendu, il n’y a aucun amendement inintéressant, monsieur le président de la commission des lois. Je crois que tout amendement a son intérêt, en ce qu’il permet de contribuer au débat et de le faire avancer.
Madame la garde des sceaux, je veux bien entendre vos considérations juridiques. Certes, un maire est très certainement un agent local au même titre qu’un directeur d’hôpital dans la prise de décisions et du point de vue de la responsabilité pénale, mais vous ne pouvez pas les comparer. Aujourd’hui, des maires de notre pays sont issus du suffrage universel. Ce n’est pas le cas des directeurs d’hôpital, avec tout le respect que j’ai pour eux.
Dans un certain nombre de départements, des maires qui ont, de fait, perdu leur légitimité démocratique, l’installation des conseils municipaux n’ayant pas encore eu lieu, décident, par arrêté, que les écoles seront ou non ouvertes le 11 mai. Aujourd’hui, des milliers d’élus locaux sont confrontés à la nécessité de prendre une décision, alors même que leur légitimité démocratique est fragilisée par la non-installation, au nom de la crise sanitaire, des conseils municipaux et que l’on trouve, dans un certain nombre de communes – il ne faut pas le nier –, des situations quelque peu ubuesques. Et je ne fais même pas état de la situation des communes pour lesquelles le scrutin du 15 mars n’a tranché l’avenir démocratique ni dans un sens ni dans un autre…
Vraiment, je veux bien entendre vos arguments, même si je ne les partage pas. En revanche, je ne peux accepter que vous compariez les élus locaux, qui détiennent leur pouvoir du processus démocratique, avec d’autres acteurs locaux, qui sont en place pour d’autres raisons.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote sur l’amendement n° 74.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Pour nous faire gagner du temps, je veux expliquer la position de mon groupe sur l’ensemble des amendements déposés à l’article 1er. J’ai travaillé à la rédaction qui a été proposée par la commission des lois.
Je veux revenir sur les propos de la garde des sceaux, que j’ai écoutés avec attention.
Au fond, cette situation est le résultat d’un flou extraordinaire dans les propos du Gouvernement. Madame la garde des sceaux, je me souviens de ce que vous avez déclaré dans cet hémicycle à l’occasion des questions d’actualité au Gouvernement. Mme Gourault a elle-même reconnu qu’il fallait un traitement spécifique pour les maires. Depuis des jours, nous entendons le Président de la République, le Premier ministre et chacun des membres du Gouvernement parler du couple que forment le préfet et le maire, du rôle premier des maires… Les maires, qui, par nature et par vocation, s’investissent dans ce rôle de défense du collectif, ont donc pris ce sujet à bras-le-corps. Notre collègue Cécile Cukierman a extrêmement bien illustré cette situation précédemment. J’ai noté avec plaisir qu’elle avait été applaudie sur l’ensemble des travées de cet hémicycle.
Lorsque nous parlons de réassurance, peut-être de manière un peu maladroite, c’est de cela que nous parlons.
M. le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, ma chère collègue.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Comme je l’ai dit, monsieur le président, nous ne nous exprimerons pas sur les autres amendements déposés à cet article.
Madame la garde des sceaux, je veux revenir sur ce qui est prévu concernant les responsables publics. Le même procès d’intention avait été fait au moment de l’examen de la loi Fauchon, dont le dispositif a pu s’appliquer à d’autres responsables – directeurs d’hôpital, responsables de centre sportif, etc. –, voire à de simples particuliers. C’est tout l’intérêt de « l’amendement Bas » qui a été adopté par la commission.
Le groupe socialiste votera, naturellement, ses propres amendements, s’abstiendra sur les autres, à l’exception de l’amendement du Gouvernement, auquel il s’opposera, en notant cependant avec une satisfaction certaine que le Gouvernement, dont j’ai noté qu’il avait parfois besoin d’un peu plus de temps, renonce au régime totalement exorbitant du droit commun des délais de procédure en matière pénale, notamment concernant la détention provisoire. Je me réjouis qu’il ne souhaite pas revenir sur cette disposition.
Nous soutiendrons la rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Vous ne m’entendrez plus avant l’article 2, monsieur le président !
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote sur l’amendement n° 194 rectifié.
M. Max Brisson. Depuis plusieurs jours, les maires de ce pays ont mal à la tête. Jeudi, déjà, ils ont dû digérer un protocole sanitaire apocryphe arrivé par des voies assez surprenantes et dont on leur a dit, quelques jours plus tard, qu’il n’avait aucune valeur.
Ce week-end, ils ont dû digérer un autre protocole, mesurer la différence et s’apercevoir qu’il était très souvent à peu près aussi irréalisable que le premier. Bruno Retailleau a déclaré tout à l’heure qu’il s’agissait d’une usine à gaz, dont la dimension surprenante, irréalisable, s’accroît à mesure que la taille des communes diminue.
Par conséquent, aujourd’hui, les maires s’inquiètent. Ils éprouvent de l’angoisse, parce que les moyens humains et matériels qui leur sont demandés ne peuvent tout simplement pas être déployés. Je dirais même qu’ils n’imaginent même pas que ces moyens puissent exister dans les écoles maternelles et élémentaires. Ils n’ont jamais existé. Nettoyer, tous les jours, les stylos utilisés par les enfants répond à un protocole totalement hors sol, qui ne représente en rien la vie réelle des petites écoles de la plupart des communes de France.
Il est vrai que, ce soir, M. le rapporteur a rassuré les maires de ce pays. En ce qui me concerne, j’inviterai les maires de la vallée d’Aspe aux bords de l’Adour à regarder les débats du Sénat pour qu’ils puissent l’entendre dire que c’est le directeur qui est responsable.
Chère collègue Françoise Laborde, c’est ce directeur, qui n’a même pas de statut, qui est tout seul, qui aura la responsabilité de décider, alors qu’il occupe un emploi fonctionnel, avec, parfois, une demi-décharge toutes les quatre ou cinq semaines. Avec quels moyens, quelle capacité de discernement pourra-t-il prendre cette décision ? C’est totalement irréaliste.
Monsieur le rapporteur, vous avez affirmé que les maires ne seraient pas responsables. Quid de la restauration scolaire ? N’est-elle pas de la responsabilité des maires ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Si, en effet !
M. Max Brisson. Entre le protocole apocryphe où le repas devait être distribué dans les classes et le protocole authentifié, on a changé dix fois de mode d’organisation. Or la responsabilité des maires est engagée,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Max Brisson. … comme elle l’est pour le nettoyage des classes.
Je vous demande donc, monsieur le rapporteur, de reprendre la parole, pour que je puisse rassurer encore davantage les maires des bords de l’Adour et de la vallée d’Aspe.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Ainsi donc, mes chers collègues, le Gouvernement n’a déposé qu’un seul amendement, tendant à supprimer un dispositif qui a été mûrement réfléchi par la commission des lois et voté dans un assez large consensus, pour éclaircir notamment le régime de responsabilité des maires.
Madame la garde des sceaux, je voudrais vous expliquer les raisons pour lesquelles nous allons nous battre pour nous y opposer – ce n’est pas seulement parce que vous avez causé de la peine à notre très estimé président de la commission des lois… (Sourires.)
Premièrement, il n’est absolument pas question de placer les élus au-dessus de la loi. Il n’est absolument pas question de préparer une sorte d’amnistie pour des responsables publics, parce que le texte de la commission des lois prévoit bien – vous l’avez rappelé – la faute intentionnelle ainsi que la faute manifestement délibérée, pour le cas où un élu ou un chef d’entreprise violerait une disposition législative qui lui donne une obligation de prudence ou de sécurité. En outre, dans le texte judicieusement préparé par la commission des lois, nous n’exonérons pas ceux qui sont investis des prérogatives prévues par le code de la santé publique, notamment dans le cadre de l’état d’urgence. Les choses sont donc parfaitement claires.
Deuxièmement, nous soutenons l’amendement de la commission, qui est désormais intégré dans le texte, tout simplement parce que nous sommes sur une matière qui est évolutive. Vous savez, parce que vous êtes juriste, qu’aucune matière n’a sans doute été autant construite par le juge que la responsabilité civile ou pénale. Aujourd’hui, nous voulons dire que c’est au législateur de faire la loi et que celle-ci ne doit pas résulter d’une construction prétorienne.
D’ailleurs, vous nous avez vous-même rappelé, cet après-midi, les revirements de la jurisprudence. Si la jurisprudence a changé en 2015, pourquoi ne changerait-elle pas demain, dans des circonstances exceptionnelles ? Nous ne voulons tout simplement pas d’une jurisprudence exceptionnelle. C’est là notre objectif.
Troisièmement,…
M. le président. Il va falloir penser à conclure !
M. Bruno Retailleau. … vous ne créerez pas de confiance si vous ne réassurez pas les maires, si vous n’éclaircissez pas le régime de leur responsabilité.
Pour conclure, je veux citer le Premier ministre, Édouard Philippe, qui, voilà quelques heures, déclarait que c’est au Parlement de décider si le sujet doit être traité à l’occasion d’un amendement ou d’un texte spécifique.
C’est une faute caractérisée ! Quelle valeur accorder à la parole publique quand le Gouvernement dépose un amendement visant à supprimer un dispositif quelques heures après que le Premier ministre a dit…
M. le président. Il faut conclure !
M. Bruno Retailleau. … qu’il ne posait pas de problème et qu’il y était ouvert ? Nous ne céderons pas sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. Une fois n’est pas coutume peut-être, la position du groupe La République En Marche ne sera pas systématiquement favorable au Gouvernement.
D’abord, personne ici, pas plus à droite qu’à gauche, n’a le monopole du cœur à l’égard des élus. Nous sommes tous conscients de l’inquiétude de ces derniers. Elle remonte de chacun de nos départements, de la Loire-Atlantique comme du Bas-Rhin, du Var comme du Nord, de la Côte-d’Or, département durement touché par le Covid,…
M. Philippe Bas, rapporteur. De la Manche !
M. François Patriat. … comme, bien entendu, de la Manche.
J’ai bien entendu Philippe Bas, qui, dans une brillante allocution – il en est coutumier –, a fait la démonstration de ce que pouvait être la responsabilité selon lui. Par deux fois, il nous a rappelé qu’il était plus difficile de déconfiner que de confiner. Nous l’avions déjà un peu compris…
Madame la garde des sceaux, nous avions déposé un amendement qui a été déclaré irrecevable pour des raisons de procédure. Au reste, nous pensions que nous pouvions nous rallier au présent dispositif, dont il était proche et qui est de nature à évoluer dans le cadre de la navette parlementaire. De fait, nous ne pouvons pas rester insensibles à la demande des élus locaux, mais aussi de l’ensemble des personnes chargées d’une responsabilité aujourd’hui. Nous n’avons pas redéposé notre amendement ce soir, parce que nous pensons que le dispositif de l’amendement de Philippe Bas, qui a été intégré dans le texte de la commission, est un premier pas qui servira de discussion dans le débat à l’Assemblée nationale et dans la navette, avant la réunion de la commission mixte paritaire.
C’est la raison pour laquelle, à mon grand regret, mais aussi en cohérence avec la tribune que nous avons signée hier et la position que nous avons défendue dans les questions qui vous ont été posées aussi bien aujourd’hui que les jours précédents, le groupe La République En Marche ne votera pas l’amendement du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. En écoutant M. Patriat, je buvais du petit-lait. J’ai du mal à me remettre de ce qu’il vient de dire, lui qui, habituellement, nous gronde lorsque nous ne suivons pas son gouvernement. Je vais tâcher de reprendre mes esprits ! (Rires et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Les élus locaux, pierre angulaire de notre République, ont toujours su s’adapter et, surtout, adapter leurs services municipaux pour appliquer les décisions de l’État dont ils sont les délégataires.
Aujourd’hui, il convient non seulement de reconnaître l’importance de leur investissement d’élus dans l’application de la directive du ministère, mais aussi, et surtout, de reconnaître leur responsabilité morale. Qu’adviendra-t-il de l’esprit d’un maire si un cas de contagion était reconnu dans l’école communale dont il a la charge ? Avant de penser à sa responsabilité pénale et civile, j’ai envie d’évoquer sa responsabilité morale. Un maire pense avant tout à la dette morale qu’il contracte à l’égard des familles qui confient leur enfant à l’école.
Bien sûr, nous pouvons aujourd’hui, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, parler de pénal, de civil et de la loi Fauchon, qui, paraît-il, réglerait tous les problèmes. Vous connaissez mon goût pour le droit, mais je pense aussi, de temps en temps, avec mon cœur et avec mes tripes. En cette situation exceptionnelle, dans cet état d’urgence exceptionnel, il faut un soutien clair et affiché à nos élus. On ne peut pas leur en demander autant et leur en donner si peu.
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.
M. Hervé Maurey. Je suis absolument stupéfait par cet amendement du Gouvernement.
Comme chacune et chacun d’entre nous, j’ai entendu le Premier ministre indiquer qu’il n’était pas du tout hostile à un amendement de clarification dès lors qu’il ne s’agirait pas d’une mesure catégorielle ou tendant à instituer un régime d’irresponsabilité des élus. Or la rédaction proposée par la commission des lois et désormais intégrée dans le texte répond parfaitement à ces exigences.
La volonté de supprimer un tel dispositif témoigne d’une totale méconnaissance de la réalité du terrain. Sans reprendre certains termes habituellement utilisés, force est de constater que la démarche renforce le sentiment d’avoir des décideurs « hors sol ». Il faut vraiment n’avoir jamais rencontré d’élus au cours des dernières semaines pour ne pas se rendre compte de la nécessité de leur apporter une sécurisation.
Si le mécanisme conçu par la commission des lois vous paraît perfectible, déposez donc des amendements pour l’améliorer ! Mais supprimer des mesures introduites dans le texte tout en arguant que la discussion pourra se poursuivre dans le cadre de la navette parlementaire relève tout de même d’une bien curieuse conception de celle-ci !
Pour ma part, je me reconnais tout à fait dans le texte élaboré par la commission des lois. Il est parfaitement dans l’esprit de la proposition de loi que j’avais déposée le 26 avril et que le groupe Union Centriste reprend aujourd’hui sous forme d’amendements au présent projet de loi. La rédaction retenue répond totalement aux attentes des élus et, plus généralement, de l’ensemble des acteurs, puisqu’elle étend le dispositif. Chacun est protégé, mais l’approche est équilibrée. Il ne s’agit pas de créer un régime d’exonération de la faute. D’une part, c’est limité dans le temps. D’autre part, la responsabilité des acteurs et des élus peut tout de même être engagée dans un certain nombre de cas.
Pour toutes ces raisons, je ne comprends pas cet amendement de suppression, et je ne le voterai évidemment pas. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.
M. Emmanuel Capus. Comme je l’ai indiqué cet après-midi, le maire est l’acteur indispensable de la sortie de crise. Lui et le préfet constituent le binôme crucial pour réussir le déconfinement.
Madame la garde des sceaux, j’entends vos arguments sur l’utilité de la loi Fauchon depuis 2000 et le caractère en grande partie injustifié des inquiétudes des maires. D’ailleurs, M. le rapporteur de la commission des lois ne dit pas autre chose lorsqu’il souligne que leur responsabilité ne peut pas être engagée pour la réouverture des écoles.
Le problème est que cela est vrai en temps normal ; depuis vingt ans, il n’y a effectivement jamais eu de difficulté. Mais, là, nous sommes confrontés à une situation totalement exceptionnelle. Or qui dit situation exceptionnelle dit aussi inquiétudes exceptionnelles, notamment, mais pas seulement, de la part des maires.
Certes, nous sommes tous ici, je le crois, des personnes de bonne volonté et de bonne intelligence. Nul parmi nous ne pense que la responsabilité d’un maire ou d’un élu devrait être engagée pour la réouverture d’une école, d’une cantine ou d’un centre de loisirs. Mais tout le monde n’est visiblement pas de cet avis. Des plaintes au pénal ont déjà été déposées contre le Premier ministre ; d’autres sont déjà annoncées contre tel ou tel décideur. Il y a donc des raisons objectives de s’inquiéter.
À une circonstance exceptionnelle, il faut des réponses exceptionnelles ! Nous sommes, cela a été rappelé, des élus locaux. Nous avons un baromètre : en ce moment, nos téléphones vibrent beaucoup ! Comme me l’expliquait un maire ce matin, le problème ne concerne pas seulement les maires : les associations qui gèrent les centres de loisirs ou les accueils périscolaires ne reprendront pas leurs activités sans garantie pour leurs dirigeants de ne pas faire l’objet de poursuites pénales pour des décisions dont ils ne sont pas responsables.
Pour toutes ces raisons, je pense, comme l’a d’ailleurs indiqué M. le Premier ministre, que c’est au Parlement de fixer la doctrine.
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. Je voudrais d’abord évoquer la mémoire de Pierre Fauchon, qui était un sénateur du groupe UC. Je l’ai connu, même si nous n’avons pas siégé au sein de la Haute Assemblée en même temps. Il était attaché à mon département.
J’ai eu l’occasion de discuter avec lui des conditions dans lesquelles la loi qui porte son nom a été élaborée. Comme l’a souligné notre collègue Bruno Retailleau, c’est la jurisprudence qui a dicté à Pierre Fauchon la décision de rédiger un tel texte et de le défendre devant le Parlement. La loi Fauchon donne un cadre à la responsabilité des élus locaux pour les infractions non intentionnelles. Pour les vingt ans du texte, quel drôle d’anniversaire !
L’inquiétude est immense chez nos collègues élus locaux : c’est un euphémisme. En ce moment, beaucoup de maires suivent nos débats. Nous avons un certain nombre d’échanges avec eux. À mon sens, c’est vraiment le rôle constitutionnel du Sénat de faire ce travail.
Ainsi que notre collègue Emmanuel Capus vient de le rappeler, les maires ne sont pas les seuls à nous interpeller. Des présidents d’association, des directeurs d’école et de nombreux autres acteurs s’inquiètent des décisions qu’ils seront amenés à prendre dans les jours à venir et des conditions dans lesquelles celles-ci seront mises en œuvre. Je ne comprends donc pas un tel amendement. Sous couvert de contribuer au débat, on l’anéantit, en nous expliquant qu’il y a bien un problème mais que ce n’est pas le moment de l’aborder. Pourtant, il y a eu des tribunes d’élus dans la presse. Les associations nationales d’élus ont pris la parole. Des parlementaires de toutes tendances ont déposé des amendements. Au nom de notre groupe, Hervé Maurey avait pris la plume pour proposer une solution. Puis, la commission des lois s’est saisie du problème ; nous avons eu un débat passionnant ce matin.
À l’instar de notre collègue, je m’étonne de la conception de la navette législative consistant à anéantir d’emblée le travail du Sénat en considérant que l’amélioration viendra nécessairement de la majorité à l’Assemblée nationale et que le dispositif voté là-bas sera forcément meilleur. Cela ne correspond pas du tout à la raison d’être du Sénat, voire, tout simplement, à la présence d’un certain nombre d’entre nous ce soir.
En adoptant votre amendement, nous supprimerions la seule amarre législative qui permettrait aux députés de continuer le débat. (MM. Patrick Kanner et Hervé Maurey applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je souhaite également exprimer ma grande surprise et ma grande déception quant à la démarche gouvernementale. J’avais cru comprendre qu’un dialogue fructueux s’était instauré entre le Gouvernement et le Sénat et que, la même question se posant à l’Assemblée nationale, nous allions pouvoir aboutir à une solution partagée.
Je tiens vraiment à remercier Hervé Maurey d’avoir mis le sujet sur la table. Au sein de la commission de la culture et de l’éducation, nous savons combien la question est prégnante ; cela a été rappelé par Max Brisson et Françoise Laborde. Nous le voyons d’autant plus dans le cadre des travaux du groupe spécifique que j’ai mentionné en interrogeant le ministre de l’éducation nationale.
Les maires ne se cachent pas derrière leur petit doigt. Ils veulent prendre leurs responsabilités. Certains ouvriront, malgré tout, les écoles. Mais il y a cette zone d’ombre qui a été évoquée.
En guise de témoignage, permettez-moi de vous lire le message que m’a adressé voilà deux ou trois jours la présidente d’une communauté de communes : « Juste une remarque sur la responsabilité des maires. Pour ma part, je prépare la réouverture de mon école. J’ai les masques. Nous travaillons avec l’école sur l’organisation à mettre en place. Quelques maires se préparaient aussi à cette réouverture. Mais la lecture ce week-end du protocole sanitaire les interroge davantage quant à leur responsabilité. Certains sont prêts à faire machine arrière s’ils n’ont pas de réponse quant à leur responsabilité. » Je crois que, dans la simplicité de ce message, tout est dit, madame la garde des sceaux.
Le dispositif auquel la commission des lois avait abouti sur proposition de Philippe Bas nous satisfaisait tous. En tout cas, il y avait là matière à dialoguer et à poursuivre la réflexion avec l’Assemblée nationale. Nous ne comprenons ni ce revirement ni cette volonté brutale de suppression. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour explication de vote.
Mme Catherine Dumas. Ici, nous sommes dans l’assemblée des territoires. Nous n’avons pas le « monopole du cœur des territoires », mais presque…
L’appréhension gagne de nombreux maires, des femmes et des hommes chargés de mettre en musique la sortie du confinement. Cela concerne notamment le protocole sanitaire pour la réouverture des écoles. Tous les préfets sont interrogés. Aujourd’hui, le Premier ministre nous a indiqué que cela pouvait être un frein à la décision et que ce n’était pas un petit sujet.
Les maires ne veulent pas être des kamikazes s’agissant d’une responsabilité qui ne leur appartient pas au départ. Comme l’a rappelé Philippe Bas, dans une période difficile, où il y a tant de décisions à prendre, tous ceux qui veulent en prendre doivent être préservés. Il ne s’agit nullement d’exonérer de sa responsabilité pénale quelqu’un qui aurait causé une contamination ou n’aurait pas respecté le droit. Il s’agit simplement de tenir compte du fait que le déconfinement est une opération de très grand risque pour la France.
Dites oui à l’équilibre prôné par la commission des lois !
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour explication de vote.
M. Hervé Marseille. Nous avons beaucoup évoqué les maires et les élus locaux, ce qui est logique au Sénat, puisque nous sommes leurs représentants. Mais le texte que nous avons soutenu en commission des lois va beaucoup plus loin : « Nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée. » Nous avons pensé non seulement aux élus locaux, mais également à tous les décideurs, publics et privés.
Il est naturel ici de penser aux maires et aux élus locaux. Pour beaucoup d’entre nous, nous en sommes et nous avons exercé de telles responsabilités. Nous comprenons combien les concernés sont inquiets aujourd’hui.
Le Premier ministre l’a reconnu cet après-midi en soulignant que la question se posait. Il a souhaité que l’on ne se préoccupe pas que d’une seule catégorie. Le texte proposé par la commission des lois répond à cet objectif. Nous avons pris en compte l’ensemble des décideurs : les élus, mais aussi les chefs d’entreprise, les dirigeants associatifs, les responsables administratifs, c’est-à-dire toutes celles et tous ceux qui mettent en œuvre sur le terrain les décisions prises au plus haut niveau. Nous disons depuis des semaines au Gouvernement, en vain – c’est la raison pour laquelle nous avons été obligés d’agir ; il n’y avait rien dans le texte –, qu’il faut leur adresser un signal, leur redonner confiance et accompagner leur action.
Le texte que nous avons adopté en commission des lois me semble couvrir l’ensemble des responsabilités des décideurs publics et privés. C’est pourquoi mon groupe le soutient. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Je souhaite apporter quelques précisions.
Cher Max Brisson, le directeur d’école, s’il lui appartient de prendre la décision, sera protégé par la disposition que notre commission a adoptée. Vous avez souligné combien il allait être seul, certes avec l’aide de sa hiérarchie, pour prendre des décisions aussi lourdes de conséquences.
Si le maire n’est pas responsable de la décision d’ouvrir l’école, ce qui signifie qu’il ne doit pas prendre d’arrêté pour en interdire l’ouverture, il est néanmoins exposé par d’autres décisions. D’une part, c’est lui qui va décider d’organiser, par exemple, des activités périscolaires. D’autre part, comme le rappelait Max Brisson, il faut prévoir la restauration scolaire ; à défaut de fournir, comme cela se faisait habituellement, les repas dans la cantine, il va falloir alimenter les enfants qui viendront à l’école. Ce n’est pas le directeur de l’école qui s’en occupe.
Il me faut, me semble-t-il, être très précis dans la définition de ce qui peut faire l’objet de la mise en jeu de la responsabilité des uns et des autres.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 194 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 101 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Pour l’adoption | 0 |
Contre | 327 |
M. Bruno Retailleau. Ouh là là !
M. le président. Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Je mets aux voix l’amendement n° 42.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 54, présenté par M. Duran, Mme Bonnefoy, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mme Blondin, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny et Daunis, Mme de la Gontrie, MM. Devinaz, Durain et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, MM. Kanner, Kerrouche, Lalande et Leconte, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable, Marie et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, MM. Sueur et Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Avant toute réouverture d’école communale, le maire demande aux services de l’État de valider formellement la conformité au protocole sanitaire relatif à la réouverture des écoles maternelles et primaires prescrit par le ministère de l’éducation nationale. De la même manière, les conditions d’accueil et les mesures sanitaires appliquées dans chaque établissement font l’objet d’une discussion et d’un accord formel entre les services de l’éducation nationale et les maires.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. le président. L’amendement n° 54 est retiré.
L’amendement n° 181, présenté par MM. Gremillet et de Legge, Mme Deromedi, MM. Perrin et Raison, Mmes Deroche, Chauvin et Noël, M. Priou, Mme Malet, MM. Cuypers, Pellevat et Pierre, Mmes Thomas et Chain-Larché, MM. Kennel, Bascher, Lefèvre, Charon et B. Fournier, Mme Lamure, MM. Houpert, Piednoir et Bonne, Mme Micouleau, MM. Bouchet, Vogel et Vaspart, Mme Ramond, M. Danesi, Mme Canayer, MM. Joyandet, de Montgolfier, Grosdidier, Sido, Leleux et Regnard, Mmes Garriaud-Maylam et Lassarade, M. Bonhomme, Mme Morhet-Richaud, M. Brisson et Mme Dumas, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
En complément du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, il convient de définir la portée normative que peuvent avoir l’ensemble des obligations incombant à la fois à l’employeur et au salarié afin de limiter la propagation du virus.
Il s’agit de pouvoir identifier les responsabilités respectives, dans le respect du code du travail tout en sachant qu’à l’heure actuelle aucune disposition relative à une quelconque obligation liée à l’épidémie covid-19 n’y est retranscrite. En droit pénal, s’agissant de la situation de risque de mise en danger d’autrui, la reconnaissance d’une quelconque méconnaissance présente un caractère trop général. En conséquence, il convient de pouvoir identifier les responsabilités de chacun étant donné que la période d’incubation du covid-19 demeure, à ce stade, de quatorze jours et qu’il reste difficile de pouvoir isoler le lieu où la maladie a pu être contractée.
La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. D’une manière générale, les entreprises ont une obligation de sécurité, aux termes du code du travail. Dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, elles doivent signaler et interdire les zones à risques, écarter les salariés, recourir au télétravail si c’est possible et fournir des masques et des gels. Face à ces obligations, l’employeur court des risques d’être assigné devant le conseil des prud’hommes pour manquement à la sécurité.
Actuellement, le code du travail ne prévoit pas d’obligation particulière liée à l’épidémie de Covid-19. En revanche, les dispositions du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire prévoient qu’afin de ralentir la propagation du virus « les mesures d’hygiène et de distanciation sociale, dites “barrières”, définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance ».
Indiscutablement, ce décret est un règlement au sens précité et impose à tout un chacun, salariés comme employeurs, une obligation qui consiste à respecter des gestes barrières. Toutefois, il ne définit pas les mesures d’hygiène, ni le principe de distanciation sociale. Ainsi, la formulation des dispositions relatives à la mise en danger d’autrui, les prévisions du décret ne sont à l’évidence pas suffisamment précises pour permettre à l’employeur de connaître les mesures qu’il doit mettre en œuvre pour protéger les salariés et, partant, de savoir à quel moment il s’écarte de façon « manifestement délibérée » de ses obligations et met volontairement ses salariés dans une situation de danger.
Cela étant, les salariés aussi ont une obligation quasi juridique : protéger leur santé et celle d’autrui. La non-pratique des gestes barrières, se laver les mains, prendre du gel hydroalcoolique et porter un masque quand c’est obligatoire, peut entraîner des plaintes à leur encontre venant de l’employeur ou d’autrui qui peut en être victime.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est un problème que nous avons déjà réglé, soit par des dispositions renvoyant à un décret prises dans la loi du 23 mars d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, soit par le régime de responsabilité que nous venons d’adopter.
Je voudrais donc dire à mon excellent collègue qu’il me serait désagréable d’émettre un avis défavorable et que je préférerais, à la différence de ce que la garde des sceaux a fait tout à l’heure, qu’il retire son amendement.
M. Antoine Lefèvre. Je le retire, puisque c’est demandé si gentiment. (Sourires.)
M. le président. L’amendement n° 181 est retiré.
L’amendement n° 6 rectifié, présenté par Mmes Guillotin, M. Carrère, Costes et N. Delattre, M. Labbé, Mme Laborde, MM. Requier, Cabanel, Collin, Dantec, Gabouty et Gold, Mme Jouve, MM. Roux et Vall, Mme Pantel et M. Guérini, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
.… - Le Gouvernement remet un rapport au Parlement faisant état des mesures prises pour renforcer les capacités d’accueil en service de réanimation, des moyens affectés à la recherche médicale, des moyens affectés à l’équipement des Français nécessaires à la prévention de la propagation du virus covid-19, mais également du nombre de décisions individuelles prises au titre de l’état d’urgence, et le nombre de recours portant contre ces décisions individuelles et les interdictions de manifestations.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Initié par Véronique Guillotin, cet amendement vise à rappeler de manière symbolique que l’état d’urgence sanitaire a vocation à demeurer temporaire et qu’il doit permettre de prendre des mesures structurelles pour favoriser le retour à la normale dans la vie en société.
L’épidémie de Covid-19 a révélé la fragilité de notre système hospitalier, mettant en lumière des carences dans les capacités d’accueil en services de réanimation. L’amendement est donc destiné à encourager le Gouvernement à prendre des engagements forts en faveur des hôpitaux, mais également de la recherche. Il lui est ainsi demandé de présenter un rapport au Parlement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Dans chacune de nos commissions, nous effectuons un très gros travail de suivi de la mise en œuvre de l’urgence sanitaire. Nous considérons que, dans ce cadre, nous obtenons beaucoup d’explications du Gouvernement, soit oralement lors des auditions, soit en écrivant aux ministres, qui répondent en général très rapidement ; d’ailleurs, nous ne manquons pas de les relancer quand ce n’est pas le cas. Ainsi, le Premier ministre a répondu à la commission des lois sur son premier rapport d’étape. Je lui ai de nouveau écrit la semaine dernière, et il ne manquera pas, j’en suis certain, de me répondre.
Renvoyer le contrôle parlementaire à la présentation d’un rapport alors même que ce type de disposition dans la loi n’a pas de valeur obligatoire ne me semble pas le meilleur moyen de l’assurer.
Au demeurant, il y a aussi la perspective d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale comme au Sénat, quand il s’agira d’avoir une vue d’ensemble des mesures qui auront été prises pour préparer le pays à l’épidémie et pour combattre le virus.
Par conséquent, je pense que ce serait mieux si vous acceptiez de retirer cet amendement, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Requier. Je le retire !
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 57, présenté par M. Kerrouche, Mme Lubin, MM. Durain, Marie et Duran, Mme Bonnefoy, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mme Blondin, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny et Daunis, Mme de la Gontrie, MM. Devinaz et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, MM. Kanner, Lalande et Leconte, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, MM. Sueur et Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 2121-41, il est inséré un article L. 2121-… ainsi rédigé :
« Art. L. 2121-…. – Lorsque l’état d’urgence sanitaire prévu à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique est déclaré, un protocole établit les modalités de coopération de gestion de la crise sanitaire, entre le maire et le représentant de l’État territorialement compétent.
« Le maire et le représentant de l’État peuvent décider conjointement d’y associer le président de l’établissement public de coopération intercommunale dont est membre la commune.
« Un protocole-type est défini par décret. » ;
2° Après l’article L. 3121-26, il est inséré un article L. 3121-… ainsi rédigé :
« Art. L. 3121-…. – Lorsque l’état d’urgence sanitaire prévu à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique est déclaré, un protocole établit les modalités de coopération de gestion de la crise sanitaire entre le président du conseil départemental et le représentant de l’État territorialement compétent.
« Un protocole-type est défini par décret. »
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. La gestion de la crise sanitaire dans les territoires est une affaire de couple. On nous a beaucoup présenté le couple maire-préfet comme le garant des bonnes conditions du déconfinement. Mais il est un autre couple qui compte : le couple président du conseil départemental-préfet.
Nous sommes tous conviés à des réunions, souvent informelles, qui se tiennent selon des configurations variées, avec les parlementaires, le préfet, les maires, les représentants des associations d’élus. Pourtant, rien ne vient formaliser cette coopération. Cela fait peser sur les maires une responsabilité qui peut dépasser leurs compétences et qui ne correspond pas à la part qu’ils ont prise dans les décisions venant de l’État.
Par conséquent, cet amendement vise à mettre en place un protocole particulier entre le maire et le préfet, ce qui est une demande de l’Association des maires de France. Pour clarifier, encadrer et rendre plus efficace la coopération que j’évoquais, nous ajoutons un protocole particulier entre le préfet et le président du conseil départemental. Enfin, nous souhaitons que les groupements de communes, dont le rôle est essentiel dans la gestion de la crise sanitaire, soient associés à ces deux protocoles particuliers.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Dans la gestion de crise, on ne doit pas consacrer trop de temps à remplir des documents pour déterminer comment collaborer : il faut agir vite. Il aurait été intéressant d’envisager une telle mesure à froid, avant la crise sanitaire, plutôt qu’à chaud. Étant donné le grand nombre de communes, les préfets auraient à négocier beaucoup de conventions, si celles-ci doivent être adaptées à la situation spécifique de chaque commune.
Par conséquent, la commission a estimé qu’il valait mieux réserver cette proposition à l’organisation de la Nation en temps de crise sanitaire ; j’ai d’ailleurs suggéré que nous préparions, le moment venu, une grande loi sur ce sujet. Nous verrons alors s’il est utile de répartir les responsabilités de manière très définie entre les différents acteurs, en tirant les leçons de la crise actuelle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Je partage l’avis du président Bas, il ne faut pas consacrer trop de temps à la rédaction de textes et de protocoles. Si le binôme maire-préfet joue un rôle absolument indispensable dans la gestion de crise, il ne faudrait pas oublier pour autant les agences régionales de santé (ARS), qui exercent leur mission depuis le premier jour.
On pourra sans doute écrire beaucoup de choses sur la gestion d’une crise sanitaire et sur la façon dont la France peut s’y préparer, mais des règles très claires sont d’ores et déjà prévues, en matière de répartition des rôles, dans la loi HPST portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires : en période de crise sanitaire, le préfet prend la main et travaille en coopération étroite avec l’ARS.
Le Gouvernement a fait le choix très fort et parfaitement compréhensible, qui l’honore, de mettre en place, avant même le lancement du plan de déconfinement, une concertation dans les territoires au travers du binôme maire-préfet. En effet, comme vous l’avez largement souligné au cours de l’examen de l’article 1er, les maires ont un rôle absolument essentiel à jouer dans l’application, la mise en forme et l’adaptation des divers processus relatifs à la levée du confinement.
Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Monsieur Durain, l’amendement est-il maintenu ?
M. Jérôme Durain. Oui, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 162, présenté par Mmes Assassi, Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La décision d’accueillir des usagers dans un établissement scolaire est conditionnée à l’accord express des conseils d’école pour le premier degré et des conseils d’administration des établissements pour le second degré.
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Cet amendement vise à ce que les conseils d’école, pour l’enseignement du premier degré, et les conseils d’administration des établissements scolaires, pour le secondaire, soient consultés et associés à la prise de décision de reprise des cours.
Nous avons eu un débat très intéressant et parfaitement légitime sur la responsabilité des élus locaux, en particulier des maires, et sur la nécessité de les sécuriser dans le contexte de la gestion de la crise actuelle. Cet amendement va dans ce sens.
Les conseils d’école et les conseils d’administration des établissements scolaires réunissent des élus, qui représentent les collectivités compétentes – les communes pour l’école primaire et la maternelle, les départements pour les collèges, les régions pour les lycées –, les chefs d’établissement, dont le niveau de responsabilité est différent, des représentants du corps enseignant et des parents d’élèves. Nous souhaitons qu’ils décident ensemble, au regard de la situation sanitaire et de la possibilité ou non de mettre en œuvre les protocoles définis, dont le caractère souvent « hors-sol » a été évoqué. Un certain nombre de décisions relèvent en effet de ce que l’on appelle la « communauté éducative ».
Une telle disposition permettrait de mettre en œuvre la concertation, laquelle a par trop fait défaut sur le terrain jusqu’à présent, et serait aussi de nature à sécuriser les élus locaux. La reprise de l’école, y compris à plus long terme, nécessite un travail qui est trop peu mené aujourd’hui. Il convient de mobiliser l’ensemble de la communauté éducative.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il est défavorable. Le fait de demander l’accord du conseil d’école constituerait un transfert de la décision à une instance collective comprenant des parents d’élèves, des représentants des élèves et le maire. Dès lors, on ne saurait plus qui prend la décision et, en cas de problème, toutes ces personnes pourraient voir leur responsabilité engagée. Je trouverais légitime que l’on prenne la précaution de réunir le conseil d’école pour solliciter son avis, mais ce n’est pas à lui de décider.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 56, présenté par M. Kerrouche, Mme Lubin, MM. Durain, Marie et Duran, Mme Bonnefoy, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mme Blondin, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny et Daunis, Mme de la Gontrie, MM. Devinaz et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, MM. Kanner, Lalande et Leconte, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, MM. Sueur et Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 212-15, il est inséré un article L. 212-… ainsi rédigé :
« Art. L. 212-… – Lorsque l’état d’urgence prévu à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique est déclaré, les mesures spécifiques et exceptionnelles d’hygiène et de sécurité prévues sont inscrites au règlement intérieur de l’école.
« Aux heures ou périodes au cours desquelles les locaux scolaires ne sont pas utilisés pour les besoins de la formation initiale et continue, une convention entre le maire et le directeur de l’école définissant les conditions d’accueil et les mesures sanitaires est établie, après avis du conseil d’école.
« La conformité du règlement et de la convention précités au protocole sanitaire prescrit par le ministère en charge de l’éducation nationale est validée par le directeur académique des services de l’éducation nationale ou son représentant. » ;
2° Après l’article L. 213-10, il est inséré un article L. 213-… ainsi rédigé :
« Art. L. 213-… – Lorsque l’état d’urgence prévu à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique est déclaré, les mesures spécifiques et exceptionnelles d’hygiène et de sécurité prévues sont inscrites au règlement intérieur du collège.
« Aux heures ou périodes au cours desquelles les locaux scolaires ne sont pas utilisés pour les besoins de la formation initiale et continue, une convention entre le président du conseil départemental et le directeur de l’établissement définissant les conditions d’accueil et les mesures sanitaires est établie, après avis du conseil d’administration.
« La conformité du règlement et de la convention précités au protocole sanitaire prescrit par le ministère en charge de l’éducation nationale est validée par le directeur académique des services de l’éducation nationale ou son représentant. » ;
3° Après l’article L. 214-11, il est inséré un article L. 214-… ainsi rédigé :
« Art. L. 214-… – Lorsque l’état d’urgence prévu à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique est déclaré, les mesures spécifiques et exceptionnelles d’hygiène et de sécurité prévues sont inscrites au règlement intérieur du lycée.
« Aux heures ou périodes au cours desquelles les locaux scolaires ne sont pas utilisés pour les besoins de la formation initiale et continue, une convention entre le président du conseil régional et le directeur de l’établissement définissant les conditions d’accueil et les mesures sanitaires est établie, après avis du conseil d’administration.
« La conformité du règlement et de la convention précités au protocole sanitaire prescrit par le ministère en charge de l’éducation nationale est validée par le directeur académique des services de l’éducation nationale ou son représentant. »
II. – Après l’article L. 3111-25 du code des transports, est insérée une section ainsi rédigée :
« Section …
« Organisation du transport scolaire pendant l’état d’urgence sanitaire
« Art. L. 3111-… – Lorsque l’état d’urgence prévu à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique est déclaré, les mesures exceptionnelles d’hygiène et de sécurité prévues pour le transport scolaire sont inscrites au règlement du transport scolaire par l’autorité organisatrice compétente et après validation conjointe par le représentant territorialement compétent du ministre en charge de la santé et du ministre en charge des transports. »
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Nous l’avons longuement souligné au cours du débat, une responsabilité disproportionnée pèse sur les élus locaux au titre de la mise en œuvre du déconfinement, notamment sur la base du protocole extrêmement lourd qui a été prévu, alors même qu’ils ont été assez peu associés aux décisions prises par l’État.
Cet amendement vise, en réponse à une demande de l’Association des maires de France, à ce que les services de l’État valident formellement la conformité au protocole prescrit par le ministère de l’éducation nationale des conditions d’accueil et des mesures sanitaires mises en place dans chaque école. La responsabilité qui incombe au maire s’en trouverait ainsi allégée.
Sont prévues l’inscription dans le règlement de l’établissement des modalités d’organisation de la reprise, qui seraient validées par le représentant du ministère concerné, et la consultation a minima du conseil d’école, de façon, par exemple, que la question de la fourniture de masques aux enfants par les parents puisse être évoquée avec l’ensemble de la communauté éducative. Enfin, le transport scolaire, indispensable à la réouverture des classes, devant être sécurisé, il est également proposé qu’un règlement y afférent soit validé par les représentants du ministère de la santé et de celui des transports.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est trop ! L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 187, présenté par Mmes Assassi, Brulin, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire prévu par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, les salariés au sens de l’article L. 1111-1 du code du travail ayant fait le choix de garder leurs enfants scolarisés à leur domicile pour en assurer la garde et la surveillance ne peuvent faire l’objet à raison de leur absence de l’entreprise pour ce motif, d’un retrait sur salaire, d’une sanction, quelle qu’en soit la nature, d’un licenciement ou de toute autre mesure discriminatoire en matière de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat.
Il en de même pour les fonctionnaires et agents contractuels de droit public de la fonction publique de l’État, de la fonction publique territoriale, des établissements publics, de l’éducation nationale et fonctionnaires à statut spécial ainsi que les personnels ouvriers de l’État.
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Cet amendement vise à permettre aux familles de choisir, sur la base de ce que le Gouvernement appelle du « volontariat », de remettre ou non leur enfant à l’école.
Chacun le sait, les parents qui ont été contraints de garder leurs enfants à domicile ont d’abord relevé du régime du congé maladie pour garde d’enfants, avec une rémunération maintenue à hauteur de 90 % du salaire, puis, à partir du 1ermai, de celui du chômage partiel, rémunéré à hauteur de 84 %. On ne sait trop ce qu’il en sera après le 1er juin : le Premier ministre a simplement parlé d’« aménagements », sans autres précisions.
Remettre ou non leurs enfants à l’école est évidemment une question essentielle pour les parents. Il nous paraît nécessaire de garantir leurs revenus s’ils font le choix de garder leurs enfants à domicile, sauf à créer des inégalités profondes entre ceux qui pourront assumer financièrement ce choix et les autres, dont certains seront par exemple obligés de prendre sur leurs congés annuels.
Il faut apporter dès aujourd’hui un éclairage sur l’ensemble de ces éléments, car c’est en ce moment que les parents sont interrogés sur leurs intentions. Pour pouvoir faire un choix, il faut en connaître tous les tenants et les aboutissants. Or, pour l’heure, les familles méconnaissent, et l’on ne peut pas leur en faire reproche, les dispositifs sur lesquels elles pourront s’appuyer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 149, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly, Gréaume, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les quatrième et cinquième alinéas du b du 1° du I de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 sont supprimés.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. La loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, instaurant un état d’urgence sanitaire, attribue des pouvoirs exceptionnels aux employeurs pour déroger au droit du travail et déconstruire le code du travail.
Dans la continuité des lois et ordonnances précédentes qui ont rogné le droit du travail, l’état d’urgence sanitaire a servi d’excuse au Gouvernement pour affaiblir encore davantage les protections collectives, en remettant en cause les durées maximales de travail ainsi que les durées minimales de repos.
Ces règles protectrices sont des acquis importants, essentiels pour la santé et la sécurité des salariés. L’inspection du travail, dont les moyens sont de plus en plus réduits, se heurte à une forte augmentation des cas de non-respect, par les employeurs, des règles de sécurité, mais surtout de celles qui sont relatives aux temps de repos et au temps de travail. Les choses vont encore s’aggraver.
L’objectif sanitaire, que nous sommes censés partager, est la protection de l’ensemble de la population, en particulier des salariés qui ont repris ou vont reprendre leur activité professionnelle. Dérégler les temps de travail et faire exploser le seuil des 40 heures expose la santé des salariés à des conséquences extrêmement négatives, comme en attestent toutes les études.
Quand les conditions de travail sont bonnes, tout le monde y gagne, le salarié comme l’employeur. Les détériorer gravement aura des effets néfastes pour les salariés et pour l’entreprise, et nuira à la reprise de l’activité et de l’économie. Cette mesure contre-productive risque d’entraîner des cas d’épuisement professionnel, et donc une recrudescence des arrêts de travail.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Madame la sénatrice, il est tout à fait normal d’émettre des critiques à l’encontre du Gouvernement, mais je supporte mal d’entendre dire que l’état d’urgence sanitaire nous aurait « servi d’excuse »…
L’état d’urgence sanitaire n’a servi d’excuse à rien ! Il a en revanche permis de protéger la vie des Français, de mettre en place des mesures qui s’appliquent à la moitié des habitants de la planète, avec cette spécificité, concernant la France, que le nombre de chômeurs n’y a pas augmenté de 4 millions en deux jours, comme cela a été le cas dans d’autres pays. L’état d’urgence sanitaire s’est en effet accompagné de la mise au chômage partiel de plus de 11 millions de Français, ce qui leur a garanti de percevoir 84 % de leur salaire net, et même 100 % lorsqu’ils touchent le SMIC.
Les salaires de 11 millions de Français sont ainsi aujourd’hui réglés par l’État, ce qui a entraîné une perte de cotisations très importante. J’imagine que, lors des prochaines discussions budgétaires, vous ne serez pas la dernière, madame la sénatrice, à nous faire remarquer qu’il y a un trou dans les finances de la sécurité sociale. Ce trou, nous l’assumerons, car les mesures prises ont permis d’éviter l’explosion de la pauvreté dans notre pays à l’occasion de cette crise.
Je le répète, l’état d’urgence sanitaire n’a servi d’excuse ni à la casse du code du travail ni à quoi que ce soit d’autre : il a permis de protéger la santé des Français ! Faisons attention à ce que nous disons ! La période a été éprouvante pour nos concitoyens, qui subissent le confinement depuis près de deux mois et sont sensibles à ce qui se dit dans cette assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre, il faut faire attention à ce que l’on dit. Je pense notamment à ceux qui déclarent que, lors de la reprise de l’activité professionnelle, les Françaises et les Français devront faire des efforts, travailler plus longtemps, renoncer à leurs congés payés ainsi qu’au repos dominical… Qui en aurait envie parmi ceux qui siègent sur ces travées ? Il faut raison garder !
Par ailleurs, monsieur le ministre, le chômage partiel n’est pas un cadeau que vous faites aux salariés ; c’est un droit, pour lequel les salariés cotisent ! Nous parlons ici d’acquis, de conquis qu’il faut préserver et qui font la spécificité de notre pays. Je vous en prie, pas de leçons ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. L’amendement n° 150, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly, Gréaume, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le sixième alinéa du b du 1° du I de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 est supprimé.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Selon Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT des cadres et techniciens (UGICT-CGT), des salariés témoignent chaque semaine que leur employeur leur demande de prendre des congés payés pendant la durée du confinement. D’autres salariés, qui sont censés être au chômage partiel, apprennent au bout de quatre jours que leur employeur considère, sans le leur dire, qu’ils utilisent leurs congés payés. À d’autres encore, qui pensaient être en télétravail, leur employeur a signalé après coup qu’ils étaient en fait en période de congés payés. De nombreux patrons font pression pour reporter ce temps de confinement sur les congés payés ou les jours de RTT.
Nous avions alerté sur les dangers des dispositions adoptées lors de l’instauration de l’état d’urgence sanitaire, et nous ne nous étions malheureusement pas trompés. Telle est la réalité des conditions de travail et des relations dans les entreprises ! Nous ne pouvons que nous inquiéter lorsque le patronat, relayé par une partie de la droite, demande le maintien des dérogations aux règles relatives au temps de travail et des congés imposés au-delà de la crise sanitaire, prétendument pour relancer l’économie.
Alors qu’il faudrait rassurer et rassembler les salariés, leur donner confiance dans leur hiérarchie, vous avez fait tout l’inverse. Ce n’est pas en diminuant le nombre de leurs jours de congés que les entreprises réussiront à motiver les salariés en vue de relancer l’économie, bien au contraire ! Il convient de supprimer cette mesure contre-productive.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par Mmes Guillotin, M. Carrère, Costes et N. Delattre, M. Labbé, Mme Laborde, MM. Requier, Cabanel, Collin, Corbisez, Dantec, Gabouty et Gold, Mme Jouve, MM. Roux et Vall, Mme Pantel et M. Guérini, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 3131-12 du code de la santé publique est complété par une phrase ainsi rédigée : « La maladie à l’origine de la déclaration d’état d’urgence sanitaire est inscrite sans délai à la liste des maladies mentionnées au 1° de l’article L. 3113-1 du présent code. »
Cet amendement a été retiré.
L’amendement n° 142, présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le mot : « ministres », la fin du dernier alinéa de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 est ainsi rédigée : « ou par le vote du Parlement avant l’expiration du délai fixé par la loi le prorogeant. »
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Au travers de cet amendement, nous tentons une nouvelle fois de rétablir les prérogatives du Parlement dans cette période d’état d’urgence sanitaire.
Actuellement, la possibilité pour le Parlement d’interrompre par un vote l’état d’urgence sanitaire n’est pas prévue. Inscrire cette possibilité dans la loi est d’autant plus nécessaire que l’état d’exception en vigueur ne prévoit pas d’obligation pour le Gouvernement de fixer une date butoir. Rappelons que les catégories d’état d’urgence déjà appliquées de 1955 à 2015 prévoyaient que toute prorogation devait s’accompagner de la détermination d’une date de fin de l’état de crise.
L’article 4 de la loi du 23 mars 2020, tel qu’issu de la navette parlementaire, permet au Gouvernement de reconduire autant de fois qu’il le veut, avec l’assentiment de sa majorité, l’état d’urgence. Cela pose un problème démocratique assez évident. Si les lois précédentes instaurant l’état d’urgence sanitaire prévoyaient l’obligation, lors de la première prorogation, de fixer une date butoir, c’était justement pour éviter tout abus de pouvoir d’un exécutif s’appuyant sur une majorité qui ne prendrait pas en compte cet élément essentiel pour la démocratie, du fait même, d’ailleurs, de la nature des institutions de la Ve République !
Notre amendement vise, modestement, à restaurer la possibilité, pour le Parlement, de mettre fin à l’état d’urgence. Son adoption constituerait, me semble-t-il, un signal important.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 165, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, une proposition de loi ou de résolution ou un débat relatifs à l’état d’urgence sont inscrits par priorité à l’ordre du jour à l’initiative de la conférence des présidents de chaque assemblée pendant la session ordinaire ou une session extraordinaire ou, le cas échéant, pendant une réunion de plein droit du Parlement.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Cet amendement prévoit que, pendant la durée de l’état d’urgence, une proposition de loi ou de résolution ou un débat relatif à l’état d’urgence soit inscrit par priorité à l’ordre du jour, sur l’initiative de la conférence des présidents de chaque assemblée, pendant la session ordinaire ou une session extraordinaire ou bien encore, le cas échéant, pendant une réunion de plein droit du Parlement.
Je viens de donner lecture, monsieur le président de la commission des lois, d’un extrait de l’objet de notre amendement n° 9 examiné le 9 mars 2016, lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation. À l’époque, votre préoccupation était claire : il s’agissait de permettre au Parlement de mettre un terme à l’état d’urgence. Vous complétiez même cette proposition par une autre relative à tous les états de crise relevant des articles 16 et 36 de la Constitution. Je ne comprends donc ni votre réticence aujourd’hui à permettre une telle intervention du Parlement ni votre acceptation de la mise en œuvre de cet état d’urgence d’exception dépourvu de date butoir.
Nous insistons, une fois encore, sur l’impérieuse nécessité de limiter clairement la durée de l’état d’urgence, sanitaire ou pas. Nous vous proposons d’armer le Parlement pour imposer la cessation d’une forme de pleins pouvoirs, dangereuse pour la démocratie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Justement, ma chère collègue, nous avons voté ce régime d’exception pour une durée d’un an, pendant laquelle le Gouvernement pourra décider d’interrompre la mise en œuvre des mesures de l’état d’urgence ou de les reprendre par décret, ce qui devra alors donner lieu, au bout d’un mois, à un vote du Parlement.
Le régime d’état d’urgence que nous avons mis en place est donc bien assorti d’une date butoir. Le Gouvernement n’a d’ailleurs aucune obligation d’utiliser les moyens que nous lui avons donnés : la mise en œuvre de cette mesure peut être intermittente et, en tout cas, elle ne dépassera pas un an.
L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 165.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
Le deuxième alinéa de l’article L. 3131-14 du code de la santé publique est complété par les mots : « après un avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 ».
M. le président. L’amendement n° 141, présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par les mots :
ou par le vote du Parlement avant l’expiration de ce délai
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Cet amendement a déjà été défendu à l’occasion de la présentation de l’amendement n° 142.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er bis
M. le président. L’amendement n° 87, présenté par MM. Sueur, Daudigny et Kanner, Mme Rossignol, MM. Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mme Guillemot, MM. Houllegatte, Jacquin et P. Joly, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mme Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 3131-13 du code de la santé publique, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Le Gouvernement ainsi que les autorités administratives concernées leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu’ils prennent en application de ces dispositions. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement prévoit que le Gouvernement ainsi que les autorités administratives concernées transmettent au Parlement, dans cette période très sensible, copie de tous les actes qu’ils prennent en application du présent texte.
Il s’agit de reprendre des dispositions qui figurent déjà dans la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme et à l’article L. 22-10-1 du code de la sécurité intérieure, en les adaptant à l’objet du présent texte.
M. le président Bas me dira peut-être que cela va de soi. Je lui réponds par avance que c’est une raison de plus pour adopter cet amendement !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Tout est dit, sauf notre avis, qui est défavorable !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 87.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
L’article L. 3131-15 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° A (nouveau) Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
1° Le 1° est ainsi rédigé :
« 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; »
2° Le 5° est ainsi rédigé :
« 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ; »
3° La première phrase du 7° est ainsi rédigée : « Ordonner la réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire. » ;
3° bis (nouveau) Le 8° est complété par les mots : « et les montants des prix contrôlés sont rendus publics et notifiés aux professionnels concernés » ;
4° Après le 10°, il est inséré un II ainsi rédigé :
« II. – Les mesures prévues aux 3° et 4° du présent article ayant pour objet la mise en quarantaine, le placement et le maintien en isolement ne peuvent viser que les personnes qui, ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l’infection, entrent sur le territoire national, arrivent en Corse ou dans l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution ou arrivent sur le territoire hexagonal en provenance de l’une de ces mêmes collectivités. La liste des zones de circulation de l’infection est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé. Elle fait l’objet d’une information publique régulière pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire.
« Aux seules fins d’assurer la mise en œuvre des mesures mentionnées au premier alinéa du présent II, les entreprises de transport ferroviaire, maritime ou aérien communiquent au représentant de l’État dans le département qui en fait la demande les données de réservation concernant les déplacements visés au même premier alinéa.
« Les mesures de quarantaine, le placement et le maintien en isolement peuvent se dérouler, au choix des personnes qui en font l’objet, à leur domicile ou dans les lieux d’hébergement dont la liste est fixée par décret.
« Leur durée initiale ne peut excéder quatorze jours. Elles peuvent être renouvelées, dans les conditions prévues au III de l’article L. 3131-17, dans la limite d’une durée maximale d’un mois. Il y est mis fin avant leur terme lorsque l’état de santé de l’intéressé le permet.
« Dans le cadre des mesures de quarantaine, de placement et de maintien en isolement, il peut être fait obligation à la personne qui en fait l’objet de :
« 1° Ne pas sortir de son domicile ou du lieu d’hébergement où elle exécute la mesure, sous réserve des déplacements qui lui sont spécifiquement autorisés par l’autorité administrative. Dans le cas où un isolement complet de la personne est prononcé, il lui est garanti un accès aux biens et services de première nécessité ainsi qu’à des moyens de communication téléphonique ou électronique lui permettant de communiquer librement avec l’extérieur ;
« 2° Ne pas fréquenter certains lieux ou catégories de lieux.
« Les conditions d’application du présent II sont fixées par le décret prévu au premier alinéa du I, en fonction de la nature et des modes de propagation du virus, après avis du conseil de scientifiques mentionné à l’article L. 3131-19. Ce décret précise également les conditions dans lesquelles sont assurés la poursuite de la vie familiale, la prise en compte de la situation des mineurs ainsi que le suivi médical qui accompagne ces mesures.
5° Le dernier alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, est ajoutée la mention : « III. – » ;
b) Les mots : « des 1° à 10° » sont supprimés.
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, sur l’article.
M. Dany Wattebled. À la demande de notre collègue Robert Laufoaulu, je souhaite appeler attention du Gouvernement sur la situation spécifique de Wallis-et-Futuna, où la sortie du confinement suscite de grandes inquiétudes.
Ce territoire était, grâce à la fermeture des liaisons extérieures, épargné par la pandémie, fort heureusement car le système sanitaire et hospitalier y est peu développé et de nombreux habitants souffrent déjà de lourds problèmes de santé, comme le diabète. Le Covid-19 y ferait des ravages, avec un taux de mortalité sans doute bien supérieur à celui que connaissent les autres collectivités ou départements français.
Le retour sur le territoire des habitants actuellement bloqués en Nouvelle-Calédonie, qui doit se faire à bord d’un navire de croisière, ainsi que l’application éventuelle de la quatorzaine après la fin du mois de mai suscitent des interrogations. La question est tout autant politique que juridique, eu égard à la crainte de recours administratifs.
Nous avons bien entendu ce qu’a dit le Premier ministre concernant l’outre-mer en général. Pourriez-vous cependant, monsieur le ministre, rassurer les populations de Wallis-et-Futuna et nous donner des précisions sur la volonté de l’exécutif d’apporter toutes garanties pour protéger les habitants et faire en sorte que ce territoire demeure épargné par la pandémie ?
M. Emmanuel Capus. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.
M. Bruno Retailleau. Dimanche, le Gouvernement a indiqué qu’il n’entendait pas soumettre les ressortissants de l’espace Schengen aux dispositions de l’article 2 du présent projet de loi.
Cette déclaration est surprenante à deux titres. D’une part, le virus circule énormément dans un certain nombre de pays de l’espace Schengen. À quel titre les ressortissants de ces pays se verraient-ils attribuer un statut particulier ? D’autre part, et surtout, nous avons été contactés par de très nombreux Français résidant à l’étranger qui considèrent qu’il s’agit là d’une rupture d’égalité insupportable.
Monsieur le ministre, si cette déclaration est erronée, pouvez-vous la rectifier ? Si tel n’est pas le cas, pouvez-vous nous expliquer ce qui peut justifier le traitement différencié réservé à des ressortissants étrangers par rapport à des nationaux ? Quel raisonnement sanitaire peut conduire à exonérer du dispositif de l’article 2 des ressortissants de pays de l’espace Schengen où le virus circule fortement ?
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l’article.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je remercie Bruno Retailleau de ses propos. Je souhaite également intervenir sur ce sujet.
Les Français établis hors de France ont été d’abord extrêmement émus, même catastrophés, d’apprendre qu’ils allaient devoir subir une quarantaine à leur retour en France, puis très surpris en prenant connaissance des dispositions annoncées par le Gouvernement. N’oublions pas en effet que le pays du monde qui compte, en proportion de sa population, le plus grand nombre de victimes du Covid-19, c’est la Belgique. En revanche, au Vietnam, il n’y a eu aucun mort alors que la population est très importante. Où est la logique ?
Je veux appeler l’attention sur la situation des 3,5 millions de Français de l’étranger, nos compatriotes, qui se sentent totalement oubliés par les pouvoirs publics et en voie de devenir des citoyens de troisième zone. Il n’y avait ainsi pas un mot les concernant dans le discours du Premier ministre, alors qu’ils subissent, eux aussi, la pandémie de Covid-19. Aucune mesure n’est prévue pour aider les petits entrepreneurs, qui ne bénéficient pas des dispositifs mis en place en France. Il n’y a pas de chômage partiel à l’étranger ! On exige d’eux qu’ils paient l’intégralité des salaires de leurs employés alors qu’aucun argent ne rentre dans leurs caisses.
Ces Français de l’étranger ne bénéficient généralement pas de vacances aussi longues que les nôtres ; elles durent souvent quinze jours par an au maximum, comme aux États-Unis. Et on leur demanderait de passer leurs quinze jours de congés en quarantaine en France, sans pouvoir voir leur famille, alors même qu’ils viennent parfois de pays qui ne sont pas très contaminés ?
Encore une fois, c’est une question de cohérence. On peut vivre dans une zone fortement contaminée et ne pas être forcément porteur du Covid-19 ! À l’inverse, on peut être infecté bien que résidant dans une zone où le risque de contamination est faible.
Les résidents français à l’étranger ne comprennent pas cette décision. Ils ont l’impression d’un véritable cafouillage et sont désespérés. Cette situation est vraiment anxiogène. J’aimerais, monsieur le ministre, que vous puissiez les rassurer. Il s’agit non pas de prévoir pour eux un traitement particulier, mais de tenir compte de leur situation et de les considérer comme des Français comme les autres !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Je souhaite d’abord répondre à M. Wattebled au sujet de Wallis-et-Futuna.
Je mesure pleinement l’inquiétude de nos compatriotes de ce territoire. Aucun cas de Covid-19 n’y a été détecté, fort heureusement, depuis le début de la pandémie. Il est incontestable que le contrôle sanitaire le plus strict doit être assuré à ses frontières afin de conserver cette situation. Comme le Premier ministre l’a indiqué, le principe d’interdiction d’entrée dans les territoires ultramarins sera maintenu après le 11 mai : seules les personnes pouvant justifier de motifs familiaux ou professionnels impérieux pourront s’y rendre ; elles devront alors se soumettre à une quatorzaine stricte. Je salue à ce propos l’initiative de mettre en œuvre cette quatorzaine, dans les prochains jours, dans l’un des bateaux de la compagnie du Ponant, immatriculé à Wallis-et-Futuna. Nous devons, pour l’avenir, réfléchir à des mesures qui apporteront des garanties équivalentes en matière de santé publique tout en étant moins contraignantes pour les déplacements de personnes comme de fret. Cela devra évidemment se faire en lien avec les parties prenantes. Soyez assuré en tout cas, monsieur le sénateur, de l’attention que porte le Gouvernement à la situation de Wallis-et-Futuna.
Je ne saurais ne pas répondre aux interpellations de M. Retailleau et Mme Garriaud-Maylam sur les Français de l’étranger et les ressortissants de l’espace Schengen.
Comme vous le savez, à la sortie du dernier conseil des ministres, j’ai été amené à indiquer que les dispositions du présent texte prévoyaient que toute personne entrant sur le territoire national, y compris les territoires ultramarins et la Corse, devrait observer une quatorzaine. Plusieurs cas de figure doivent être envisagés.
Madame Garriaud-Maylam, puisque vous évoquez les Français de l’étranger, rappelons d’abord que la France a assuré ou accompagné le rapatriement d’un très grand nombre de nos ressortissants qui souhaitaient revenir en France : si ma mémoire est bonne, plus de 130 000 personnes ont ainsi été rapatriées, dans des conditions qui ont été reconnues optimales. Pour avoir suivi certaines situations de près, je peux vous assurer que tout le monde a fait le maximum pour permettre à toute personne qui le souhaitait de rentrer en France.
La situation des Français de l’étranger peut être très complexe. Un certain nombre d’entre eux, qui vivent depuis longtemps hors de notre pays et n’y disposent plus d’un logement, expriment le souhait de revenir sur le territoire national à partir du 11 mai. Observer une quatorzaine s’impose dans un tel cas.
Par ailleurs, monsieur Retailleau, je considère qu’il faudra savoir agir avec intelligence et s’adapter aux situations. L’objectif n’est pas de contraindre telle ou telle personne de se plier à une quatorzaine au prétexte qu’elle entrerait en France ; ce n’est pas l’esprit de la France, ce ne l’était pas hier, ce ne le sera pas demain. Chacun comprend que l’objectif de la quatorzaine, ou de la mise à l’isolement pour le temps nécessaire en cas de symptômes et de maladie avérée, est d’empêcher l’entrée du virus tout en offrant une protection à la personne concernée. Les choses pourront évoluer en fonction de la situation épidémique dans les pays de provenance des personnes souhaitant entrer sur le territoire national.
Cette problématique concernera nettement moins les frontaliers. Pour eux, les choses sont très claires : on peut parcourir jusqu’à une centaine de kilomètres de part et d’autre de la frontière, y compris entre la France et l’Allemagne, sans présenter plus de risques d’un côté comme de l’autre.
Quant aux ressortissants de pays étrangers appartenant à l’espace Schengen, je veux rester prudent sur cette question, mais si des personnes en provenance d’un pays où la situation épidémique s’avérerait absolument hors de contrôle – à l’heure actuelle, elle est plutôt en voie d’être contrôlée dans la totalité des pays qui nous entourent, grâce aux mesures de confinement – souhaitaient entrer en France, alors le bon sens scientifique, le bon sens médical, le bon sens français imposerait probablement certaines adaptations.
C’est pourquoi nous vous présentons aujourd’hui un dispositif législatif assez générique : il prévoit que, dans un cadre exceptionnel, des mesures exceptionnelles puissent être prises à tout moment pour protéger les Français et prévenir une reprise de l’épidémie. Il ne s’agit pas de privilégier un tel par rapport à un tel. J’entends certains se plaindre que l’on interdise les déplacements de plus de 100 kilomètres au sein du territoire national et que l’on permette, en même temps, de passer les frontières. Clairement, ce n’est pas l’enjeu ! Encore une fois, l’enjeu est que toute situation à risque épidémique puisse faire l’objet des mesures de prévention et de précaution nécessaires pour éviter l’entrée du virus ou sa propagation sur notre territoire. C’est un objectif de sécurité.
M. le président. L’amendement n° 156, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
afin de garantir la sécurité des usagers et des personnels
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Au travers de cet amendement de précision, nous souhaitons rappeler que toute mesure de réglementation des transports prévue au titre de cet article doit tendre à assurer la sécurité des usagers et des personnels. On l’aura compris, il s’agit surtout d’un amendement d’appel visant à exprimer notre étonnement – c’est un euphémisme ! – devant le manque d’ambition des dispositions du plan de déconfinement relatives aux transports. Cela reste, selon nous, l’un des défis majeurs à relever.
Ainsi, comment se satisfaire d’une obligation de port de masque qui ne serait pas adossée à un réel droit au masque gratuit, pour les usagers comme pour le personnel ? Comment se contenter d’un appel à la bonne volonté des entreprises pour limiter l’engorgement des transports collectifs, a fortiori dans les régions les plus denses, notamment l’Île-de-France ?
Certes, un projet de charte entre les autorités organisatrices, les entreprises et les organisations syndicales est en discussion, mais cette charte n’aurait rien d’obligatoire. Les entreprises resteront donc seul maître à bord ; aucune disposition concrète n’est prévue pour limiter effectivement la demande de mobilité. Il s’agit pourtant d’une condition incontournable pour permettre le respect des gestes barrières.
Comment garantir la sécurité du personnel dans ces conditions ? Quels droits pouvons-nous donner aux salariés quand les wagons, à n’en pas douter, vont rester trop fréquentés pour limiter la propagation du virus ? Ce flou entretenu témoigne d’une difficulté à faire réellement primer les enjeux de santé sur les enjeux économiques de reprise de l’activité « quoi qu’il en coûte », comme dirait le Président de la République…
À défaut de réglementation concrète, les transports vont devenir, demain, le principal foyer de propagation de l’épidémie, mettant en danger les usagers comme le personnel.
Nous estimons également que cette crise devrait nous conduire à remettre en cause le dogme de la concurrence libre dans les transports urbains. On voit bien que la multiplication des acteurs rend plus difficile et complexe la réaction en temps de crise. Autant de pistes de travail, mes chers collègues, que nous avons devant nous !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 158, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
, ordonner l’adaptation du plan de mobilité des entreprises pour cette période d’urgence sanitaire afin d’éviter la saturation des transports collectifs
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Au travers de cet amendement, nous souhaitons une nouvelle fois en appeler à l’esprit de responsabilité.
Aujourd’hui, le Gouvernement demande aux entreprises de poursuivre le télétravail et d’adapter les horaires des salariés devant se déplacer, afin de limiter l’encombrement des réseaux. Pour autant, ce n’est rien de plus et rien de moins qu’un simple appel à la bonne volonté et à l’esprit civique, sans incitation ni sanction.
De l’autre côté, les usagers des transports sont soumis à de réelles obligations, notamment celle de porter un masque durant leurs trajets. Par ailleurs, les entreprises et les autorités organisatrices devront faire respecter aux usagers des règles permettant de garantir la distanciation sociale et les gestes barrières, en limitant les possibilités d’occupation des véhicules, en particulier par des marquages au sol. En tant qu’usagère quotidienne du RER B, je leur souhaite bien du courage ! (Sourires.)
Sachant que l’offre de transport ne reprendra pas à 100 %, mais plutôt à 70 % dans un premier temps, on voit bien se dessiner les termes d’une équation insoluble : comment croire que la demande de mobilité sera compatible avec le taux d’occupation proposé, alors que celui-ci devra être inférieur à 25 % dans les bus, RER et autres métros ?
Pour cette raison, de manière que les entreprises prennent toutes leurs responsabilités, nous proposons que le plan de mobilité pour les salariés soit adapté, afin de garantir un développement maximal du télétravail et un aménagement des plages horaires, dispositifs qui devront être discutés avec les organisations syndicales pour établir des obligations clairement détaillées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 45 rectifié, présenté par MM. Karoutchi, Daubresse, Bascher et Marseille, Mme Micouleau, M. Cuypers, Mmes Bonfanti-Dossat et Lavarde, M. de Nicolaÿ, Mme Eustache-Brinio, MM. Menonville, Bizet, Regnard, Canevet, Husson et Frassa, Mme Chauvin, M. Pierre, Mme M. Mercier, M. Lefèvre, Mmes Chain-Larché et Raimond-Pavero, M. Babary, Mme Imbert, M. Hugonet, Mme L. Darcos, M. Kennel, Mmes Procaccia, Duranton, Gruny et Lassarade, M. Bonhomme, Mmes Deroche et Deromedi, MM. Vogel et Dallier et Mme Dumas, est ainsi libellé :
Alinéa 4, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Les particularités de la situation en région Île-de-France, compte tenu de la très forte proportion de déplacements en transports en commun, nécessitent des mesures spécifiques et notamment l’obligation pour les usagers de présenter une attestation de déplacement dans les transports collectifs dans des conditions fixées par décret.
La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. En Île-de-France, les transports en commun, empruntés avant la crise sanitaire par 5 millions de voyageurs chaque jour, sont susceptibles de constituer un goulet d’étranglement lors du déconfinement. Afin de ne pas saturer le système de transport, ce qui contribuerait à relancer une nouvelle vague épidémique, il est nécessaire de limiter les déplacements au moyen de la mise en place d’une attestation de déplacement dont le principe serait calqué sur l’attestation de déplacement dérogatoire aujourd’hui en vigueur en période de confinement.
Le décret d’application de la disposition que nous proposons ici d’insérer dans le texte pourra notamment préciser que les attestations délivrées par les employeurs viseront à lisser les déplacements sur plusieurs plages horaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. J’ai posé cette question, cet après-midi, au Premier ministre. En effet, les transports en commun, notamment dans la région parisienne, risquent d’être saturés. Je comprends donc fort bien l’inspiration de cet amendement.
Néanmoins, la commission des lois n’a pas souhaité le retenir. Elle considère en effet qu’il faut soumettre les transports collectifs à une règle homogène sur l’ensemble du territoire national. Par ailleurs, la gestion du dispositif proposé serait sans doute très difficile.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Il est lui aussi défavorable.
Certes, la question sous-jacente et la réflexion des auteurs de cet amendement sont évidemment pertinentes. Pour autant, inscrire dans la loi une disposition spécifique aux transports en commun d’Île-de-France ne me semblerait pas très cohérent. En revanche, des accords spécifiques seront conclus avec les organisateurs des réseaux de transport en commun afin de déterminer, si attestation il doit y avoir, quelle règle générale pourra s’appliquer, à une échelle beaucoup plus large que celle de la seule Île-de-France.
M. le président. Monsieur Lefèvre, l’amendement n° 45 rectifié est-il maintenu ?
M. Antoine Lefèvre. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 45 rectifié est retiré.
L’amendement n° 128 rectifié, présenté par MM. de Legge, Cuypers, Meurant, Vaspart et Paccaud, Mme Ramond, M. Reichardt, Mme Lavarde, MM. Bonne et Retailleau, Mmes L. Darcos et Gruny, MM. Charon, Courtial et Chevrollier, Mme Deseyne, MM. Mandelli, Piednoir, Mouiller, de Nicolaÿ, de Montgolfier, Bonhomme, Bouchet, Sol, Lefèvre et B. Fournier, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Bizet, Bascher et Allizard, Mmes Estrosi Sassone, Chain-Larché et Thomas, M. Pellevat, Mme Imbert, MM. Savary et Sido, Mme Deroche, M. Danesi, Mmes Chauvin et Lamure, MM. del Picchia, Leleux, Vogel et Longuet, Mmes Gatel et Garriaud-Maylam, M. Duplomb et Mmes Micouleau et Lopez, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par les mots :
et aux lieux de culte, sauf si la situation particulière d’un département venait à justifier le maintien de la fermeture de ces derniers
La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Je présente cet amendement au nom de M. de Legge. Il s’inscrit dans l’esprit de la loi de 1905, dont l’article 1er dispose : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. »
Le plan de déconfinement, tel qu’il nous est présenté, semble reposer sur des priorités qui méconnaissent, en l’état, l’importance de ce principe et du droit fondamental de la personne qu’est la liberté religieuse. Pour tous les pratiquants, quelle que soit leur religion, cette pratique n’est pas accessoire, mais essentielle, au sens étymologique du terme. La liberté religieuse ne peut être assimilée à un loisir superflu.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement, qui vise à rétablir l’accès aux lieux de culte là où c’est possible. Ce serait d’autant plus pertinent que ces lieux présentent moins de risques que les salles de classe, les transports en commun ou les magasins.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Voilà une question importante pour nos concitoyens croyants, quelle que soit leur religion.
Rappelons d’abord que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fait de la liberté religieuse un droit fondamental pour chacun de nos concitoyens. Il est vrai que la période actuelle a entraîné, pour beaucoup de croyants, une très grande difficulté, qu’ils ont acceptée parce que l’impératif de sécurité sanitaire l’emportait à l’évidence sur toute autre considération. Toutefois, cela devient plus difficile alors que le déconfinement va commencer.
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, vous avez posé cet après-midi des questions au Premier ministre à ce sujet. Il a accepté de faire évoluer sa position, qui renvoyait à l’origine la réouverture des lieux de culte au mois de juin : il nous a indiqué que la date du 28 mai était désormais à l’étude. On se rapproche donc de l’échéance.
Je voudrais, avant que nous prenions nous-mêmes position sur cette question en tant que législateur, que nous puissions procéder à un dialogue approfondi avec les représentants des cultes. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative de leur demander d’être auditionnés par la commission des lois.
Je sais que les positions des représentants des différents cultes peuvent varier, du fait déjà de la nature spécifique de chaque culte. Ainsi, la participation à la messe a, dans la religion catholique, une valeur sacrée qui ne se retrouve pas forcément au même degré dans d’autres cultes.
Il apparaît, au travers des déclarations faites tout à l’heure par le Premier ministre devant le Sénat, que la position du Gouvernement a commencé à évoluer. Après les auditions que nous mènerons la semaine prochaine, j’espère que nous serons en mesure de transmettre à celui-ci une demande plus précise quant à la date et aux modalités de la reprise de l’exercice des cultes. Il faut notamment déterminer les précautions qui devront être prises pour garantir que la réouverture des lieux de culte ne constituera pas un risque de relance de la contamination.
C’est pourquoi, en dépit de toute la compréhension que j’ai pour les motivations de cet amendement, je préférerais qu’il fût retiré pour nous permettre d’aller au terme de ce dialogue et de cette réflexion ; ainsi, les cultes pourraient rouvrir le plus vite possible, par une décision non pas d’autorité, mais venant en quelque sorte consolider les propositions d’organisation que chaque culte serait amené à faire de manière que le déroulement des cérémonies soit tout à fait compatible avec les exigences de sécurité sanitaire.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je souhaite vous relater, monsieur le ministre, une anecdote qui m’a beaucoup touché.
Il y a quelques semaines, dans ma petite commune rurale, j’ai croisé un monsieur âgé ayant perdu son épouse quelques mois auparavant. Je lui ai demandé comment il allait ; il m’a regardé dans les yeux et, d’un air très agressif que je ne lui connaissais pas du tout, il m’a répondu : « Très mal ! » En effet, comme il me l’a appris, le cimetière de cette petite commune avait été fermé. Or ce cimetière était pour lui un lieu symbolique : il y allait chaque jour mener un dialogue très singulier, au-delà de la mort, en se recueillant sur la tombe de son épouse.
J’ai trouvé cette fermeture absolument idiote. J’imagine qu’elle a été dictée par une mesure nationale. Évidemment, je comprends bien qu’il faille fermer le cimetière du Père-Lachaise, qui est mentionné dans tous les documents diffusés par l’office de tourisme de Paris et accueille des touristes souhaitant voir les tombes de Chopin, d’Apollinaire, de Balzac, de Jim Morrison ou d’Édith Piaf, mais le petit cimetière d’une commune rurale qui reçoit peut-être deux ou trois personnes par jour ?
En matière de déconfinement, pour l’exercice des cultes comme dans bien d’autres domaines, la bonne mesure serait de différencier, de territorialiser la décision. Il faudrait, par exemple, charger le préfet de déterminer avec le maire, l’évêque, l’imam ou le rabbin les conditions de reprise de l’exercice des cultes.
J’estime que la liberté de culte n’est pas moins importante que la liberté de consommer ou de produire. Les pratiquants, quelle que soit leur religion, ne sont pas des citoyens de seconde zone ; entrer dans une église, une synagogue ou une mosquée n’est pas plus dangereux que d’entrer dans une salle de classe, dans une voiture du métro ou dans une grande surface.
Pour autant, je juge excellente la proposition du président Bas et je suis sûr que d’autres signataires de l’amendement y seront aussi sensibles que moi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Je comprends parfaitement la logique de cet amendement. Cela étant, à entendre l’intervention de M. Retailleau, j’ai eu le sentiment qu’il pensait que les lieux de culte étaient fermés. Or ils sont ouverts !
M. Bruno Retailleau. Et les cérémonies ?
M. Olivier Véran, ministre. En revanche, les cérémonies sont interdites, parce qu’elles regroupent un certain nombre de personnes et constituent donc une situation à risque pour la transmission de la maladie.
Si certains cimetières ont été fermés, cela résulte peut-être d’une décision préfectorale ou municipale. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Peut-être me trompé-je, à cette heure tardive et deux mois riches en événements après les décisions relatives au confinement, mais il ne me semble pas qu’il y ait eu une décision générale de fermeture des cimetières sur l’ensemble du territoire national. Une petite marge était accordée, me semble-t-il ; nous vérifions ce qu’il en est.
Quoi qu’il en soit, ce que vous dites à propos de la fermeture d’un petit cimetière communal a du sens. On aurait aimé pouvoir établir une liste de dérogations permettant de répondre à chaque situation, mais l’accumulation de dérogations à la fois territorialisées et spécifiques à tel ou tel type de lieux peut vite conduire à des situations complexes du point de vue de la gestion du profil épidémique. Vous vous souvenez de la polémique au sujet des marchés : nous avions d’abord souhaité permettre à certains d’entre eux de rester ouverts, mais, dès le premier week-end, les images de foules déambulant parmi les étals avaient donné lieu à commentaires.
Quoi qu’il en soit, à partir du 11 mai, les cimetières seront de nouveau accessibles. Quant aux cérémonies religieuses, le Premier ministre s’est exprimé, comme l’a très bien rappelé le président Bas. L’idée est de travailler avec les représentants des cultes. De toute façon, de telles dispositions relèvent du domaine réglementaire ; il ne convient certainement pas de les inscrire dans la loi. Si l’on devait légiférer sur la réouverture de chaque catégorie d’établissements, on n’en aurait pas fini le 11 mai ! Cela dit, le message est passé ; le Premier ministre vous a même déjà répondu.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je suis extrêmement étonnée que l’on parle avec tant de légèreté de la réouverture des lieux de culte.
M. Olivier Véran, ministre. Ils sont ouverts, je le répète : on parle plutôt de la reprise des cérémonies.
Mme Esther Benbassa. Rappelons tout de même ce qui s’est passé à Mulhouse : une réunion évangélique y a créé un foyer épidémique qui a entraîné une grande vague de contaminations. En Israël, on a dû fermer les synagogues dans les hauts lieux de l’orthodoxie juive, que ce soit à Bnei Brak, à Tel-Aviv ou à Jérusalem. À New York, la proportion de morts est plus élevée au sein d’une communauté juive orthodoxe qui a continué à prier collectivement ou à étudier les Écritures au sein des académies religieuses pendant l’épidémie.
Enfin, mes chers collègues, on est en pleine pandémie !
M. Bruno Retailleau. On va rouvrir les écoles !
Mme Esther Benbassa. Les enfants sont asymptomatiques. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Les lieux de culte rassemblent plutôt des adultes et même, dans certaines communautés, plutôt des personnes âgées. (Protestations sur les mêmes travées.) Peut-être faudrait-il réfléchir davantage à cette question.
M. le président. Monsieur Vaspart, l’amendement n° 128 rectifié est-il maintenu ?
M. Michel Vaspart. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 128 rectifié est retiré.
L’amendement n° 132, présenté par Mmes Laborde et M. Carrère, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Au-delà du délai prévu au troisième alinéa de l’article L. 3131-13 du présent code, des dérogations à ces fermetures et réglementations peuvent être admises par le représentant de l’État dans le département à la demande du maire en tenant compte des solutions sanitaires particulières pouvant être mises en œuvre.
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Le présent amendement vise à répondre à la crise qui frappe aujourd’hui le secteur culturel en France. M. le Premier ministre a eu une très belle expression en évoquant l’urgence, pour nombre de nos concitoyens, de retrouver « la liberté d’être bouleversés par une œuvre d’art ». Pendant le confinement, beaucoup d’artistes ont joué et jouent encore un rôle précieux auprès de nos concitoyens, en leur permettant de s’évader par la pensée.
Toutefois, nombre de ces artistes – comédiens, musiciens, danseurs… – connaissent aujourd’hui de grandes difficultés financières, alors même que la diversité de leurs régimes sociaux rend plus compliquée encore la mise en place des aides qui leur sont destinées. L’intermittence ne couvre en effet qu’une partie des contrats de toutes les professions du secteur culturel.
Ainsi, pour l’ensemble du secteur, la réouverture paraît être l’aide la plus efficace. Dans tous les territoires où nos concitoyens passeront leurs vacances, la fermeture prolongée de nombreux lieux culturels est une préoccupation majeure. Non seulement ces lieux procurent une expérience esthétique, mais ils accueillent aussi une vie sociale.
Pour toutes ces raisons, nous proposons d’intégrer à l’état d’urgence sanitaire cette disposition équilibrée ; une fois passée la phase initiale, on pourrait ainsi permettre aux maires et aux préfets d’envisager ensemble les modalités sanitaires nécessaires pour la réouverture de certains lieux culturels.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il est défavorable, malheureusement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je comprends ce qu’a voulu exprimer Mme Laborde. Aujourd’hui, au lieu d’offrir à ce secteur de la visibilité et de lui permettre d’anticiper, de s’organiser pour proposer au public de nouvelles formes de participation culturelle ou de passer des commandes, on le laisse au milieu du gué.
Pourtant, il s’agit d’un secteur où l’anticipation est primordiale. Rappelons que c’est normalement à cette époque de l’année que les abonnements se prennent et que les programmations se finalisent. Or les acteurs de la culture ne savent pas ce qui se passera en septembre.
Cet amendement fournit l’occasion d’appeler le Gouvernement à donner des réponses précises et de la visibilité à ce secteur, qui en a autant besoin que les autres. Il est prêt, en responsabilité, à se soumettre à certaines conditions en vue d’assurer la sécurité sanitaire. En Allemagne, par exemple, on a explicitement annoncé que ce serait peut-être une année blanche et que les salles de concert ou de spectacle n’ouvriraient pas pendant une année entière. Au moins, les acteurs peuvent s’organiser, ce qui pour l’heure n’est pas le cas chez nous. Ce chantier doit être très rapidement ouvert : je l’ai dit à M. le ministre de la culture, qui a conscience de l’urgence.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Madame Laborde, je n’ai exprimé, en réponse à votre amendement, qu’un machinal avis défavorable ; j’aurais dû préciser que cet amendement me semble satisfait. En effet, à partir du 11 mai, les lieux culturels recevant du public pourront être rouverts, du moins ceux de petite taille, qui reçoivent un public réduit, pour les raisons que vous imaginez. Il appartiendra aux préfets de déterminer la liste des lieux culturels qui pourront rouvrir, mais elle sera assez longue ! Cela permettra d’ailleurs de redécouvrir certains petits musées, peut-être moins visités que d’autres d’ordinaire. Cela aussi participera de la relance de l’activité culturelle : vous avez raison de souligner, mesdames les sénatrices, que ce milieu souffre beaucoup en cette période de confinement.
M. le président. Madame Laborde, l’amendement n° 132 est-il maintenu ?
Mme Françoise Laborde. Il s’agissait bien sûr d’un amendement d’appel ; je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 132 est retiré.
Je suis saisi de huit amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 79, présenté par MM. Jomier, Sueur, Daudigny et Kanner, Mme Rossignol, MM. Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mmes Féret, Grelet-Certenais, Jasmin, Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mme Guillemot, MM. Houllegatte, Jacquin et P. Joly, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mme Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. La rédaction actuelle du code de la santé publique autorise la réquisition, par décret réglementaire, de toute personne nécessaire au fonctionnement des services et à l’usage des biens nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire. Le projet de loi tend à supprimer cette exigence de l’utilité à la lutte contre la catastrophe sanitaire. Il pourrait donc désormais être procédé à la réquisition de toute personne.
On ne comprend pas très bien ce que recherche le Gouvernement en élargissant ainsi le champ de la réquisition. Nous proposons donc de revenir à la rédaction actuelle du code de la santé publique et de ne pas ouvrir la possibilité de réquisition de « toute personne » par les préfets. Nous aimerions savoir pourquoi le Gouvernement souhaite supprimer la restriction aujourd’hui inscrite dans le code de la santé publique.
M. le président. L’amendement n° 75, présenté par MM. Daudigny, Sueur et Kanner, Mme Rossignol, MM. Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mme Guillemot, MM. Houllegatte, Jacquin et P. Joly, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mme Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
1° Remplacer les mots :
La première phrase du 7° est
par les mots :
Après la première phrase du 7° est insérée une phrase
2° Remplacer les mots :
à la lutte contre la catastrophe sanitaire
par les mots :
à l’identification, l’orientation et l’accompagnement des personnes infectées et des personnes susceptibles de l’être, à la surveillance épidémiologique aux niveaux national et local
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise à adapter le régime des réquisitions à la constitution de brigades départementales, dans la perspective du déconfinement. Il s’agit de préciser que les personnes concernées sont nécessaires à l’identification, à l’orientation et à l’accompagnement des personnes infectées ou des personnes susceptibles de l’être, ainsi qu’à la surveillance épidémiologique aux niveaux national et local. Les opérations d’enquête et de suivi des individus ne doivent pas se faire uniquement par téléphone. Il convient que ce travail soit effectué également par prises de contact sur le terrain.
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par Mmes Guillotin, M. Carrère, Costes et N. Delattre, M. Labbé, Mme Laborde, MM. Requier, Cabanel, Collin, Dantec, Gabouty et Gold, Mme Jouve, MM. Roux et Vall et Mme Pantel, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Après le mot :
personne
insérer le mot :
qualifiée
La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Le présent amendement vise à préciser davantage le cadre des réquisitions de personnes destinées à former les brigades médicales. Il paraît en effet nécessaire de prévoir dans la loi que ces personnes qui auront à collecter des données médicales sensibles soient bien qualifiées pour le faire.
M. le président. L’amendement n° 145, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly, Gréaume, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Après le mot :
services
insérer les mots :
et entreprises privées
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Cet amendement nous donne l’occasion d’engager un débat sur les nationalisations.
Je constate un certain mépris du Gouvernement à l’égard du Parlement. Ainsi, s’agissant des 20 milliards d’euros alloués aux entreprises stratégiques, les ministres de Bercy qui se sont succédé ici ont affirmé qu’il n’était pas possible de débattre de ce sujet et de nous communiquer la liste des entreprises concernées. Vingt-quatre heures après les conclusions de la CMP, le ministre de l’économie et des finances annonçait sur TF1 qu’il mettait sur la table 7 milliards d’euros pour Air France et 5 milliards d’euros pour Renault. Aujourd’hui, nous apprenons que l’on refuse 2 milliards d’euros à la SNCF. Nous devons débattre collectivement de cette question des entreprises stratégiques.
Le sujet des nationalisations fait débat, y compris au sein du Gouvernement. Bruno Le Maire a indiqué envisager soit une montée au capital, soit une nationalisation partielle ou totale, et précisé que l’État n’avait de toute façon pas vocation à administrer l’économie. En revanche, le Président de la République a affirmé, lors de son intervention télévisée du 12 mars dernier, que cette pandémie révélait qu’il est des biens et des services devant être placés en dehors des lois du marché.
Sur cette question des nationalisations, monsieur le ministre, partagez-vous plutôt la conception de Bruno Le Maire ou celle du Président de la République ? Quels critères sociaux et environnementaux faut-il retenir ?
La question de notre souveraineté en matière de production de matériels médicaux vous intéresse au premier chef, monsieur le ministre. Par exemple, on a beaucoup parlé de Luxfer ces dernières semaines. On nous a dit qu’il serait trop long de remettre en route cette entreprise, à l’arrêt depuis huit mois. Eh bien prenons le temps nécessaire, investissons, nationalisons Luxfer, car le problème de notre approvisionnement en bouteilles d’oxygène continuera de se poser après l’épidémie. Nous avons besoin d’avoir un débat politique au Parlement, et non sur TF1 !
M. le président. L’amendement n° 146, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly, Gréaume, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Après le mot :
services
insérer les mots :
et la préemption de tous les masques disponibles par les sociétés commerciales
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Je n’entrerai pas dans la polémique de ces derniers jours sur la vente de masques par la grande distribution. Je ne sais pas s’il existe des stocks cachés et, à vrai dire, ce n’est pas mon problème. En revanche, je constate que des hôpitaux de proximité, notamment en Seine-Saint-Denis, manquent encore de matériel, en particulier de masques.
Dans quelques jours, avec le déconfinement, on va demander aux Françaises et aux Français de reprendre le chemin du travail et d’emprunter les transports en commun. Or nos compatriotes ne sont toujours pas pourvus de masques. Dans ces conditions, la réquisition des 400 millions de masques dont dispose la grande distribution ne doit pas être un tabou. La réquisition n’est pas une spoliation. Dans un second temps, il faudra se demander comment la grande distribution a pu se procurer en quelques jours autant de masques, quand l’État n’est toujours pas en mesure de répondre aux besoins dans de nombreux territoires.
Se pose également la question du prix. Avant la crise, les masques coûtaient moins de 7 centimes pièce. Voilà quinze jours, Mme Pannier-Runacher nous disait ne pas envisager de fixer un prix, pour ne pas freiner l’innovation. Aujourd’hui, on établit un plafond à 95 centimes ! Si nous sommes en temps de guerre, alors il y a des profiteurs ! Pour une famille française de quatre personnes, le coût des masques n’est pas négligeable, surtout dans le contexte actuel de chômage partiel et d’aggravation de la précarité : à 29,50 euros la boîte de cinquante masques dans la grande distribution, sachant qu’il faut deux masques par jour, cela fait 118 euros par mois. Si les masques sont absolument nécessaires, ils doivent être remboursés par la sécurité sociale, en premier lieu pour les familles les plus précaires ! Si des stocks existent, ils doivent être réquisitionnés.
M. le président. L’amendement n° 76, présenté par MM. Daudigny, Sueur et Kanner, Mme Rossignol, MM. Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mme Guillemot, MM. Houllegatte, Jacquin et P. Joly, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mme Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ces décisions de réquisition sont rendues publiques.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. L’amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié, présenté par Mmes Guillotin, M. Carrère, Costes et N. Delattre, M. Labbé, Mme Laborde, MM. Requier, Cabanel, Collin, Dantec, Gabouty et Gold, Mme Jouve, MM. Roux et Vall, Mme Pantel et M. Guérini, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Un décret fixe les qualifications et les conditions de rémunération des personnes réquisitionnées et fonction de la mission justifiant la réquisition.
La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Le présent amendement vise à clarifier par décret les conditions de réquisition du personnel des brigades médicales. L’article L. 3131-15 du code de la santé publique prévoyant un régime des tarifs de réquisition pour les biens et services, il est ici proposé de préciser par décret les règles de rémunération des personnes réquisitionnées.
M. le président. L’amendement n° 133, présenté par Mme Laborde, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Au-delà du délai prévu au troisième alinéa de l’article L. 3131-13 du présent code, le représentant de l’État dans le département peut procéder sur sollicitation du maire à des réquisitions destinées à garantir la continuité des services publics locaux.
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Cet amendement vise à renforcer la concertation entre maires et préfets, dans les phases de prorogation d’un état d’urgence, en matière de réquisitions.
Lors de son audition devant la commission des lois du Sénat, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a exprimé sa préoccupation quant à la situation des enfants de familles très modestes, pour qui la privation de cantine signifie aussi parfois, malheureusement, la fin de la possibilité de faire un vrai repas par jour. Il recommande la réquisition de services de restauration pour trouver des solutions d’aide alimentaire à destination de ces enfants. Cet amendement vise donc à permettre aux maires de solliciter le préfet pour envisager de telles réquisitions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Le Gouvernement a souhaité modifier le texte que nous avions adopté le 23 mars dernier sur le point de la réquisition des personnes ; je souhaiterais que le ministre nous en explique plus précisément les raisons. Notre texte conditionnait la réquisition de personnes à celle de biens et de services leur étant liés. Le Gouvernement veut pouvoir réquisitionner des personnes sans avoir à réquisitionner l’organisme dont ces personnes dépendent. Il s’est en effet heurté à des difficultés pour réquisitionner des médecins d’agences régionales de santé, se trouvant obligé de réquisitionner les ARS elles-mêmes, ce qui est évidemment un peu curieux…
Le point de départ me paraît donc assez mince et anecdotique. Pour tout le reste, nous avons déjà adopté la mesure que ces amendements tendent à modifier. Notre position peut bien sûr évoluer par rapport à notre vote d’il y a six semaines, mais je tenais tout de même à rappeler ces éléments afin de fixer le cadre de notre débat sur ce sujet important des réquisitions.
L’amendement n° 79 vise à rétablir le texte que nous avions adopté le 23 mars. Je n’ai pas de raison majeure de m’y opposer. Toutefois, ce matin, pour être agréable au Gouvernement et parce qu’elle a jugé son texte acceptable, la commission des lois a adopté la rédaction proposée. Je n’émettrai donc pas un avis favorable sur cet amendement.
L’amendement n° 75 vise à ce que la réquisition de personnes ne soit possible que pour la constitution des fameuses « brigades sanitaires », expression inspirée d’une formule du professeur Delfraissy, reprise par le Gouvernement pour expliquer qu’on allait mobiliser un certain nombre d’agents afin de remonter la filière des contaminations, depuis les porteurs du virus jusqu’aux personnes qu’elles ont rencontrées dans les jours précédant le test de dépistage. Je ne vois pas vraiment de raisons de restreindre à ces brigades sanitaires, qui n’ont pas de statut particulier, la réquisition de personnes. La commission a donc émis un avis défavorable.
L’amendement n° 10 rectifié tend à ce que l’on ne puisse réquisitionner que des personnes « qualifiées ». Nous pourrions certes retenir cet adjectif, mais cela n’est pas nécessaire. De fait, on ne va pas utiliser ce dispositif si particulier pour réquisitionner des gens qui n’ont pas de qualification. On a plutôt besoin de gens qualifiés pour lutter contre le Covid-19 ! L’avis est donc défavorable.
L’amendement n° 145 vise à permettre la réquisition des entreprises privées dont les productions seraient utiles à la lutte contre le fléau sanitaire du Covid-19. Or c’est déjà possible, la formule « biens et services » couvrant évidemment toutes les entreprises. Votre amendement me semble donc satisfait, monsieur Gay, et j’espère que vous accepterez de le retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
L’amendement n° 146 a trait à un sujet d’une particulière actualité. Beaucoup de nos concitoyens considèrent en effet que des stocks de masques ont probablement été constitués dans des entreprises de la grande distribution et se demandent pourquoi ils n’ont pas été réquisitionnés. Le Gouvernement s’est expliqué sur le sujet, mais cette question est parfaitement légitime. Ne sachant rien de la réalité de ce soupçon, tout ce que je peux dire, c’est que nous avons déjà conféré au Gouvernement le pouvoir de réquisitionner des stocks de masques par la loi du 23 mars dernier. Cet amendement me semble donc satisfait, c’est pourquoi je suggère son retrait.
L’amendement n° 76 prévoit que les décisions de réquisition doivent être rendues publiques. Or c’est déjà le cas, car elles sont prises par voie d’arrêtés, lesquels sont publiés. Là encore, je suggère le retrait de l’amendement, qui n’est pas nécessaire.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous retirons l’amendement, monsieur le président.
M. Philippe Bas, rapporteur. L’amendement n° 11 rectifié part d’une intention très louable : ses auteurs souhaiteraient que le régime d’indemnisation des personnes réquisitionnées soit précisé par décret. Cependant, la loi, qui renvoie au code de la défense, permet au Gouvernement de prendre par décret des mesures d’indemnisation des personnes réquisitionnées – s’il n’en était pas ainsi, ce serait grave, et même inconstitutionnel de mon point de vue –, et je n’ai pas entendu dire que celles-ci ont exprimé un quelconque mécontentement à l’égard des rémunérations qui leur ont été accordées. Par conséquent, là encore, je demanderai le retrait de cet amendement : la question est en principe réglée, j’espère que le ministre nous le confirmera.
Enfin, l’amendement n° 133 vise à autoriser le préfet à procéder à des réquisitions pour assurer la continuité des services publics locaux. Vous avez prévu, madame Laborde, que cela serait possible au bénéfice des communes, mais pas des départements et des régions. Cela suscite une première réserve de la part de la commission des lois. Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi cette possibilité ne vaudrait pas pour le premier mois de l’état d’urgence sanitaire. L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Le président Bas m’a soufflé toutes mes réponses, ce qui est plutôt bon signe…
Le texte initial était effectivement sans doute mal rédigé. En effet, comme vous l’avez très bien expliqué, monsieur le président Bas, pour pouvoir réquisitionner un médecin, il fallait aussi réquisitionner son hôpital ou son ARS de rattachement…
Comme M. Bas, je relève que la moitié des amendements au moins sont déjà satisfaits, s’agissant notamment de la publication des réquisitions ou de leurs modalités.
Je ne relancerai pas le débat sur les masques à cette heure, mais nous appliquons le droit de réquisition à l’échelle nationale, depuis le 3 mars, et parfois au niveau territorial, ce qui a pu nous être reproché, quelquefois pour de bonnes raisons.
On peut critiquer la logistique, qui pourrait être plus fluide, mais je crois profondément en l’État, comme les sénateurs communistes, me semble-t-il. (« Nous aussi ! » sur diverses travées.) Aussi cela m’attriste-t-il quelque peu d’entendre dire que la grande distribution aurait réussi là où l’État a échoué. On peut toujours récrire l’histoire, j’ai bien compris que l’unité nationale avait vécu et que la politique reprenait ses droits, mais cela ne doit pas empêcher d’avoir, avec un ou deux mois de recul, une appréciation sinon rigoureuse, du moins juste des choses. Quand le Premier ministre et moi-même indiquions que nous ne disposions que d’un stock de 114 millions de masques, que la situation était tendue et que nous étions obligés de rationner les professionnels de santé en ville au bénéfice de l’hôpital, croyez-vous une seconde que, dans le même temps, des groupes privés pouvaient importer massivement des masques sans que l’on s’en rende compte ? Croyez-vous vraiment que des usines annonçant ne pouvoir fournir les États américain, allemand ou français continuaient de travailler pour des groupes privés ? Nous avons lancé des appels massifs à la solidarité en direction du privé et des collectivités. Je ne vous ferai pas l’affront de donner la liste des présidents de collectivités territoriales qui affirmaient pouvoir faire mieux que l’État, mais qui m’appelaient à l’aide parce que les masques qu’ils avaient payés n’arrivaient pas !
On peut certainement considérer que les choses ne sont pas allées assez vite, mais ce n’est pas la faute de l’État : les usines chinoises étaient fermées ! Rendez-vous compte de la situation en février et au début du mois de mars : aucun pays en Europe n’arrivait à faire face aux besoins, et je ne vous parle même pas de la situation outre-Atlantique ! L’État français a passé des commandes massives, jusqu’à 2 milliards de masques. Une fois les usines chinoises rouvertes, elles ont commencé à tourner à plein régime pour produire massivement des masques. Nous avons mis en place un pont aérien : jusqu’à dix Antonov par semaine ramènent chacun de Chine des millions de masques, qui sont ensuite répartis entre les pharmacies ou les hôpitaux et distribués gratuitement aux soignants. Croyez-vous vraiment qu’au même moment des groupes privés constituent des stocks de 300 millions ou 400 millions de masques en vue de les vendre au public avec profit ? On ne peut pas décemment penser une chose pareille !
Je ne sais pas depuis combien de temps la grande distribution fait venir des masques ni de quels stocks elle dispose. Elle me dit que de nombreuses commandes restent à livrer. Comme l’a dit le Premier ministre, nous faisons la différence entre commandes et stocks ! La situation a changé depuis deux ou trois semaines. L’État a fait rentrer plus de 400 millions de masques et en distribuera 100 millions la semaine prochaine. Tant mieux si la Chine produit plus de masques, tant mieux si le secteur public, le secteur privé, les collectivités et les hôpitaux parviennent maintenant à faire rentrer des masques de protection pour les soignants et, demain, pour la population ! C’est une bonne nouvelle, mais si nous ne pouvions pas nous procurer de masques hier, ce n’est pas parce que nous étions mauvais, c’est parce que la situation était plus grave.
Mme Laurence Rossignol. Non, c’est parce que les masques ne servaient à rien…
M. Olivier Véran, ministre. Nous avons mis à disposition des Français, jour après jour, semaine après semaine, la liste des carnets de commandes. Je l’ai dit au secteur de la grande distribution, le décret de réquisition m’autorise à réquisitionner tous les masques au-delà de 5 millions par trimestre et par société. D’ailleurs, la grande distribution elle-même et de nombreux groupes privés et collectivités ont mis à la disposition des hôpitaux et des soignants des masques qu’ils avaient en stock.
J’ai bien compris que l’on cherchait des responsables face à une situation qui nous dépasse et qui est invivable pour les Français. C’est le réflexe habituel, dont acte. Nous avons débattu pendant plus d’une heure de la responsabilité des élus. Le contrôle et l’évaluation font partie des règles de la vie publique. Personne ne cherche à se dédouaner au niveau de l’État, mais rendons grâce à toutes les équipes qui se sont démenées au sein de mon ministère, des agences régionales de santé ou des compagnies aériennes pour éviter une pénurie de masques dans nos hôpitaux. Dans certains pays, il est arrivé que l’on manque de masques. En France, nous avons connu des tensions, les soignants de ville ont été confrontés à de grandes difficultés, mais reconnaissons ce qui a été fait pendant cette période.
Mme Véronique Guillotin. Je retire les amendements nos 10 rectifié et 11 rectifié, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos 10 rectifié et 11 rectifié sont retirés.
Je mets aux voix l’amendement n° 145.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 133 est-il maintenu ?
Mme Françoise Laborde. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 133 est retiré.
L’amendement n° 50, présenté par MM. Durain, Sueur, Jacques Bigot, Marie, Montaugé, Kerrouche et Kanner, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Leconte, Sutour et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier, Monier, Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le 7° est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est interdit d’utiliser les biens nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire à des fins de communication institutionnelle ou électorale. » ;
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Le ministre l’a rappelé à plusieurs reprises, le Covid-19 a causé la mort de 25 000 personnes dans notre pays. À propos des masques, on a pu parler de défaut de coordination ou d’organisation. Le masque est devenu, dans l’espace public, un objet symbolisant tant nos succès que nos insuffisances. À la faveur de cette guerre des masques, certains présidents d’exécutif de diverses sensibilités ont voulu signifier bruyamment l’efficacité de leur action pour se procurer ce bien qui revêt une importance toute particulière dans cette crise sanitaire. Les membres du groupe socialiste et républicain considèrent qu’il est assez déplacé et mal venu, voire indécent, de distribuer des masques d’une façon tapageuse, à la limite de la communication électorale. Certains exécutifs locaux n’ont pas hésité à communiquer par lettres sur ce sujet. Par égard pour les personnes qui ont été malades ou qui ont perdu des proches, il conviendrait que les distributions de masques soient plus discrètes et ne donnent pas lieu à une récupération politique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission des lois a donné un avis défavorable à cet amendement pour deux raisons.
Tout d’abord, il est d’ores et déjà interdit de faire de la communication électorale aux frais d’une collectivité. Procéder ainsi donnerait lieu à une réintégration des dépenses correspondantes dans le compte de campagne du candidat concerné et aurait des conséquences graves en cas d’élection de celui-ci.
Ensuite, je vous invite à la prudence, mon cher collègue, quant au recours à la notion de communication institutionnelle. Une institution, une entreprise, une collectivité peut très bien être mue par un objectif qui n’est pas complètement altruiste, mais vouloir montrer qu’elle sert l’intérêt général, en assumant son geste et en le rendant public au lieu d’agir avec discrétion. Ce n’est sans doute pas idéal dans une perspective morale, mais devons-nous pour autant prendre le risque de la dissuader de faire ce geste, parce qu’il nous déplaît qu’elle le fasse de manière intéressée ? Si nous avons réellement besoin de masques, il n’y a pas de raison de pénaliser, en leur reprochant de mauvaises intentions, les institutions qui souhaitent en distribuer. Je préfère de beaucoup, à titre personnel, que l’on fasse montre d’une parfaite discrétion lorsque l’on veut faire acte de générosité aux frais du contribuable ou de l’entreprise, mais, si ce n’est pas le cas, cela ne justifie pas à mes yeux que l’on prive nos concitoyens de masques, alors que l’on en a tant manqué.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Monsieur le sénateur Durain, personnellement, il ne me viendrait pas à l’idée de floquer des masques ou du matériel de protection du logo d’un ministère, d’une collectivité ou même d’un pays. Je rejoins donc tout à fait le président Bas : décidément, nous sommes souvent d’accord ce soir ; tant mieux ! Apposer sa marque personnelle sur du matériel destiné à protéger les autres est, à mon sens, déplacé. Pour autant, comme vient de l’indiquer le président Bas, une telle précision n’a rien à faire dans la loi sur l’état d’urgence sanitaire. Vous vouliez sans doute faire passer un message, monsieur le sénateur ; vous voyez qu’il est partagé au-delà de votre groupe ! Avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Jérôme Durain a très bien fait de soulever ce problème de méthode politique et de comportement, mais instaurer une interdiction législative me paraît disproportionné.
Pour autant, avec un zeste de malignité, je ferai remarquer au président Bas que, si une personne en campagne électorale aujourd’hui sera effectivement rattrapée par la patrouille si elle a l’imprudence de faire figurer son nom sur des masques, en revanche un président d’exécutif départemental ou régional est plus à l’aise de ce point de vue, l’élection le concernant ne devant avoir lieu que dans dix mois et demi ; cela n’a pas échappé à certains…
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je salue les propos de M. Bas –c’est beau comme l’antique ! –, ainsi que la pureté de M. le ministre, mais je partage pleinement la préoccupation de M. Durain. Regardons la réalité des choses ! De nombreux exemples nous montrent qu’il n’a pas échappé à certains candidats aux élections municipales que distribuer des masques ou du gel hydroalcoolique pouvait permettre de se faire valoir. Je vous assure que je n’invente rien ! En particulier, des maires en situation difficile ne manquent pas de promouvoir ainsi tous les jours leur action, cependant que leurs concurrents sont très démunis, n’ayant pas le même poids institutionnel.
Il me semble tout à fait positif que le signal d’alarme ait été tiré au Sénat et qu’un débat ait pu se tenir sur ce sujet, parce qu’il est particulièrement odieux d’utiliser la catastrophe en cours à des fins électorales. Pour certains, malheureusement, la tentation existe !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Pour être tout à fait honnête, je me suis abstenu de procéder sur ce sujet à des investigations trop poussées, de peur de découvrir que certains de mes amis ou moi-même aurions procédé ainsi à l’occasion de campagnes assez récentes… Cet amendement ne vise donc personne en particulier ; tout le monde peut être concerné. Les propos tenus par les uns et les autres répondent au souhait qui était le mien d’appeler l’attention sur la nécessité de faire profil bas en la matière.
Dans ces conditions, je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 50 est retiré.
L’amendement n° 93, présenté par Mme Lubin, MM. Kerrouche, Sueur, Daudigny et Kanner, Mme Rossignol, MM. Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Leconte, Marie et Sutour, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mme Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mme Guillemot, MM. Houllegatte, Jacquin et P. Joly, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mme Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le 7°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Prendre toute mesure pour assurer la sécurité alimentaire des personnes en situation de fragilité sociale ; »
La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Cet amendement, dont la première signataire est notre collègue Monique Lubin, vise à compléter le champ d’application du texte, en permettant au Gouvernement de prendre toute mesure pour assurer la sécurité alimentaire des personnes en situation de fragilité sociale.
L’état d’urgence sanitaire ne peut avoir pour conséquence d’affamer les plus vulnérables de notre société. Assurer que nos concitoyens qu’ils ne souffriront pas de la faim durant l’épidémie doit faire partie de l’arsenal des mesures visant à garantir la santé publique pendant l’état d’urgence sanitaire.
Nous le savons, le nombre des demandeurs d’une aide d’urgence augmente très fortement et les associations caritatives nous alertent sur l’apparition de nouveaux profils, notamment des familles et des personnes plus jeunes. Le secrétaire national du Secours populaire parle d’un véritable tsunami de précarité s’abattant sur la France confinée. Cette recrudescence des besoins en matière d’aide alimentaire démontre que l’état d’urgence sanitaire est aussi un état d’urgence sociale ; le Gouvernement se doit d’y répondre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission est tout à fait sensible à la nécessité de garantir l’aide alimentaire pendant l’état d’urgence, mais cela ne relève pas de ce texte. L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 161, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
…° Le même 8° est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le prix des masques de type chirurgical à usage unique répondant à la définition de dispositifs médicaux, quelle que soit leur dénomination commerciale, des gels et des solutions hydroalcooliques ne pourront être supérieurs à ceux constatés au 1er décembre 2019, et ce quel que soit le mode de distribution, y compris en cas de vente en ligne.
« Les prix des masques réutilisables en tissu sont encadrés ; »
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Cet amendement qui vise à plafonner le prix des masques et du gel hydroalcoolique a déjà été excellemment défendu par mon collègue Fabien Gay.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Cet amendement est satisfait par le droit existant. Le Gouvernement en demande donc le retrait ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. L’amendement n° 160, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le même 8°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Mettre en œuvre, en tant que de besoin, les mesures définies par le code de commerce aux fins d’assurer la régularité et la sécurité des opérations commerciales relatives aux produits alimentaires ainsi qu’aux produits de première nécessité ; »
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Cet amendement vise à renforcer le contrôle de certains prix, à défaut de pouvoir les bloquer. Il n’a échappé à personne que, depuis le début du confinement, les prix se sont envolés, singulièrement ceux des produits alimentaires. L’UFC-Que choisir a publié un tableau extrêmement éloquent qui fait état d’augmentations allant de 4 % à 25 % sur un mois, alors que des millions de familles connaissent des difficultés croissantes, notamment pour se nourrir correctement. Il est donc nécessaire de prendre des mesures supplémentaires et plus vigoureuses en matière de contrôle des prix.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 183 rectifié, présenté par MM. Magras et Darnaud, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le 10°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Subordonner à des examens de dépistage l’entrée sur le territoire des collectivités énumérées à l’article 72-3 de la Constitution. Ces examens sont à la charge des personnes entrantes. »
La parole est à M. Mathieu Darnaud.
M. Mathieu Darnaud. Nous avons évoqué la situation de Wallis-et-Futuna et touché ainsi du doigt les différences qui existent entre territoires ultramarins au regard de la crise sanitaire. Certains de nos compatriotes, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, ont déjà été déconfinés. À Saint-Barthélemy, le virus ne circule plus depuis le 21 avril.
Cet amendement, dont notre collègue Michel Magras est à l’initiative, vise à proposer une base légale pour la mise en place de dépistages systématiques à l’entrée sur certains territoires ultramarins qui souhaitent s’engager dans cette stratégie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement, comme d’autres présentés par des collègues représentant les Français de l’étranger, soulève un problème très intéressant : peut-on faire l’économie de la mise en quarantaine si un test de dépistage est réalisé à l’arrivée sur le territoire ?
Il serait évidemment satisfaisant de pouvoir répondre par l’affirmative, mais nous devons toujours garder à l’esprit qu’un test négatif n’est pas une garantie absolue que la personne n’est pas porteuse du virus et qu’elle ne va pas contaminer d’autres individus.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous allons demander à tous nos concitoyens qui auront été des « cas contacts », comme l’on dit dans le jargon des épidémiologistes, de rester chez eux pendant quatorze jours sur prescription médicale, même si le test de dépistage a donné un résultat négatif. En effet, la personne testée peut tout à fait être en période d’incubation – période dont nous ne connaissons pas la durée – ou le test peut être défaillant et ne pas avoir donné un résultat correct.
Comme le disent régulièrement aux Français le ministre, les médecins et les responsables de la santé publique, il faut agir très rapidement si nous voulons juguler le fléau. Or, si nous laissons une personne dans la nature pendant quelques jours au motif que son test est négatif, elle peut très bien contaminer beaucoup d’autres gens jusqu’à ce que la maladie se révèle ou qu’un nouveau test montre qu’elle est porteuse du virus.
C’est pourquoi la commission des lois comme la commission des affaires sociales ont donné un avis défavorable à l’ensemble des amendements qui prévoient d’exonérer de toute contrainte une personne dont le test de dépistage serait négatif. Il serait beaucoup plus simple de régler le problème de cette manière à l’aéroport, lors de l’arrivée des passagers, mais on ne peut malheureusement pas procéder ainsi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Comme l’a très bien expliqué le président Bas à l’instant, un test négatif réduit la probabilité que la personne soit malade, mais ne l’annule pas complètement. Si vous avez été contaminé la veille de prendre l’avion, il n’y a aucune chance que le test soit positif, mais vous pourrez transmettre le virus les jours suivants, que vous ayez des symptômes ou non. De ce fait, lorsque vous arrivez sur un territoire comme Wallis-et-Futuna qui n’a jamais connu aucun cas, vous pouvez déclencher une épidémie si vous n’avez pas observé une quatorzaine. La quatorzaine n’est pas un moment agréable, mais elle est absolument indispensable pour protéger les populations.
Le test n’est qu’un moyen diagnostique parmi d’autres, il n’est pas l’alpha et l’oméga d’une politique de santé publique et ne peut remplacer le confinement, la quarantaine ou l’isolement. Nous réaliserons dans les semaines à venir davantage de tests, comme nous y invite l’OMS, afin notamment de confirmer biologiquement des diagnostics qui ne le sont jusqu’à présent que cliniquement, mais cela ne changera pas fondamentalement la politique à suivre en matière de quatorzaine, de quarantaine ou d’isolement.
M. le président. Monsieur Darnaud, l’amendement n° 183 rectifié est-il maintenu ?
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je ne suis pas complètement d’accord avec ce que vous venez de dire. Pourquoi ne pas autoriser les autorités locales d’un territoire comme Saint-Barthélemy, où le virus ne circule plus, à mettre en place un dépistage systématique ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Mais ce n’est pas complètement inutile…
M. Mathieu Darnaud. Je ne suis pas totalement convaincu par les réponses que vous venez d’apporter, mais je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 183 rectifié est retiré.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous propose de poursuivre la séance durant environ trois quarts d’heure. Nous serons amenés à siéger mardi après-midi, et éventuellement le soir, afin de pouvoir débattre de manière approfondie de ces sujets importants.
Je suis saisi de dix amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 13 rectifié bis, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, M. Labbé, Mme Laborde, MM. Requier, Cabanel, Collin, Dantec, Gabouty et Gold, Mme Jouve et MM. Roux, Vall et Guérini, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II. – Les mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, le placement et le maintien en isolement, ne peuvent intervenir que lors de l’entrée sur le territoire national ou lors de l’arrivée dans l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution ou dans la collectivité de Corse, ou en provenance de l’une de ces collectivités, après la constatation médicale de l’infection de la personne concernée. En l’absence de disponibilité de moyens médicaux destinés à établir cette contestation dûment notifiée, les personnes ayant séjourné dans une zone de circulation de l’infection listée par décret peuvent être soumises à cette mesure à titre préventif.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, si vous le permettez, je présenterai en même temps l’amendement n° 12 rectifié bis.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 12 rectifié bis, qui fait l’objet d’une discussion commune avec huit autres amendements.
L’amendement n° 12 rectifié bis, présenté par Mmes M. Carrère, Costes, N. Delattre et Guillotin, M. Labbé, Mme Laborde, MM. Requier, Cabanel, Collin, Dantec, Gabouty et Gold, Mme Jouve et MM. Roux, Vall et Guérini, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II. – Les mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, le placement et le maintien en isolement, ne peuvent intervenir que lors de l’entrée sur le territoire national ou lors de l’arrivée dans l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution ou dans la collectivité de Corse, ou en provenance de l’une de ces collectivités, après la constatation médicale de l’infection de la personne concernée.
Veuillez poursuivre, monsieur Requier.
M. Jean-Claude Requier. Nous considérons que les tests devraient toujours être préférés à une mesure privative de liberté. Nous sommes donc opposés à ce que des personnes en provenance de l’étranger, a fortiori nos concitoyens des outre-mer, soient soumises à des mesures de mise en quarantaine ou à l’isolement, alors même qu’elles pourraient être testées à leur arrivée sur le territoire national. La préservation de la liberté justifie d’engager des dépenses pour disposer de tests en nombre suffisant.
L’amendement n° 12 rectifié bis prévoit donc que les décisions en la matière ne peuvent intervenir sans constatation médicale, tandis que l’amendement de repli n° 13 rectifié bis prévoit une solution intermédiaire : la possibilité de quarantaine ou d’isolement en l’absence de test, donc uniquement en dernier recours.
M. le président. L’amendement n° 195, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Après la référence :
4°
insérer la référence :
du I
La parole est à M. le rapporteur.
M. le président. L’amendement n° 111, présenté par MM. Sueur, Daudigny et Kanner, Mme Rossignol, MM. Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mme Guillemot, MM. Houllegatte, Jacquin et P. Joly, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, MM. Lozach, Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mme Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Après les mots :
en isolement
insérer les mots :
dont la durée totale ne peut excéder un mois
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement se justifie par son texte même, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 40, présenté par M. Rapin, Mmes Di Folco et C. Fournier, M. Bascher, Mme Gruny, MM. Paccaud et Lefèvre, Mme Lherbier, MM. Vanlerenberghe et Daubresse, Mme Duranton, MM. de Nicolaÿ et Regnard, Mmes Deroche et Lamure, MM. Husson, Mandelli, Bouchet, Savary, Gremillet, Courtial, Brisson et J.M. Boyer, Mme Deromedi, MM. Bonhomme, Duplomb, H. Leroy, Cuypers et Piednoir, Mme Imbert, MM. Meurant, Pierre, Danesi et Charon et Mme Lassarade, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Après les mots :
viser que
insérer les mots :
les personnes en situation irrégulière, d’ores et déjà présentes sur le territoire national, ou
La parole est à Mme Catherine Di Folco.
Mme Catherine Di Folco. Cet amendement, dont le premier signataire est Jean-François Rapin et qui reprend une préoccupation exprimée par Mme Bouchart, maire de Calais, vise à étendre aux personnes en situation irrégulière, mais d’ores et déjà présentes sur le territoire national, la mesure de placement en quarantaine prévue à l’article 2 du projet de loi.
Depuis un mois, une opération de mise à l’abri de la population migrante a été déployée dans le Pas-de-Calais, mais cette mesure repose sur le volontariat, ce qui ne permet pas d’atteindre les objectifs sanitaires visés. Seulement 400 logements d’accueil ont été proposés, et uniquement dans le département du Pas-de-Calais, pour quelque 800 migrants. Un grand nombre de personnes en situation irrégulière continuent de se déplacer sur le territoire du Calaisis sans respecter les gestes barrières et les mesures de distanciation physique imposés à l’ensemble de la population.
Il semble donc urgent d’imposer un placement en quarantaine de cette population migrante afin de réduire au maximum la circulation du virus. De plus, la solidarité nationale doit jouer pour que l’accueil de ces personnes ne soit pas concentré sur le territoire d’un unique département.
M. le président. L’amendement n° 129 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et Laborde, MM. Requier, Collin, Roux et Gabouty, Mme Jouve, M. Vall et Mme Pantel, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Supprimer les mots :
ou arrivent sur le territoire hexagonal en provenance de l’une de ces mêmes collectivités
La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Cet amendement vise, d’une part, à supprimer la notion de territoire hexagonal, qui ne renvoie à aucune notion juridique précise, et, d’autre part, à permettre à nos concitoyens d’outre-mer de bénéficier des mêmes possibilités d’accès à l’ensemble du territoire que les résidents de Corse. Nous pensons notamment aux habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui sont contraints de transiter par le Canada pour rejoindre la métropole faute d’offre de transport aérien direct. Introduire une différence entre les territoires d’outre-mer, souvent insulaires, nous paraît totalement injustifié.
M. le président. L’amendement n° 101, présenté par M. Lurel, Mme Jasmin, MM. Daudigny, Sueur et Kanner, Mme Rossignol, MM. Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mmes Féret et Grelet-Certenais, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mme Guillemot, MM. Houllegatte, Jacquin et P. Joly, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, MM. Lozach, Magner, Manable et Mazuir, Mme Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
qu’à la suite de l’organisation des examens de biologie médicale de dépistage et la collecte de leurs résultats sur les personnes concernées
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement va dans le même sens que celui de M. Magras : il s’agit de subordonner la mise en quarantaine à la réalisation de tests.
Dans un monde idéal, on pourrait imaginer que l’on teste la personne à son arrivée sur le territoire national, avant de lui imposer une période d’isolement de cinq jours, soit la durée moyenne d’incubation, puis de réaliser un second test à la fin de cette période. Si les deux tests sont négatifs, on pourra considérer la période d’incubation comme passée et réduire la quarantaine à cinq jours. Pour autant, nous avons conscience qu’une telle procédure serait lourde, et j’imagine que la réponse du rapporteur et du ministre sera la même que tout à l’heure…
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par MM. Decool, Wattebled, Menonville, Longeot et Chasseing, Mme Mélot, M. Lagourgue, Mme Loisier, MM. Bonne et Kern et Mmes Garriaud-Maylam et Goy-Chavent, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, le placement et le maintien en isolement peuvent également intervenir pour les personnes en situation irrégulière déjà présentes sur le territoire national.
La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Cet amendement vise à étendre les mesures de confinement aux personnes en situation irrégulière déjà présentes sur le territoire national. Cette disposition trouverait une application toute particulière dans les territoires touchés par la crise sanitaire et connaissant un afflux important de personnes en situation irrégulière, dont la mise à l’abri sur la base du volontariat n’a pas été efficace.
Ainsi, dans les Hauts-de-France, le Calaisis connaît un regain de tensions dû à la pression migratoire dans un contexte de crise sanitaire. Les déplacements de personnes en situation irrégulière qui ne peuvent pas respecter les consignes sanitaires – mesures de distanciation sociale et gestes barrières – laissent craindre une propagation plus rapide de l’épidémie, malgré le respect des mesures par l’ensemble de la population. Il semble indispensable que l’État prenne ses responsabilités afin de faire respecter les consignes sanitaires à des populations démunies et de rassurer les habitants du Calaisis.
M. le président. L’amendement n° 123, présenté par Mmes Garriaud-Maylam et Deromedi et MM. Regnard et Frassa, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La durée de la mise en quarantaine des Français établis à l’étranger qui se rendent sur le territoire national est limitée au temps strictement nécessaire à la réalisation d’un examen de biologie médicale de dépistage du covid-19 et à l’obtention de son résultat ; la mise en quarantaine de la personne concernée ne peut excéder cette durée que si elle a expressément renoncé à l’examen de dépistage.
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cet amendement porte également sur les conditions de la quarantaine. J’ai parlé des Français expatriés ; je pense aussi aux étrangers qui viennent en France. Nous devons absolument réussir le déconfinement pour préserver notre économie, et j’avoue être très inquiète pour le secteur du tourisme, qui représente, je le rappelle, 7,5 % de notre PIB.
Dans cette perspective, nous devons vraiment essayer de trouver les moyens de réduire la période de quarantaine en recourant à des tests, sinon l’effet dissuasif sera trop important pour les étrangers qui souhaitent visiter notre pays et les Français de l’étranger qui veulent revenir.
M. le président. L’amendement n° 124, présenté par Mmes Garriaud-Maylam et Deromedi et MM. Regnard et Frassa, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le fait, pour une personne résidant à l’étranger de se rendre sur son lieu habituel de travail situé en France ou, pour une personne résidant en France, de revenir de son lieu habituel de travail situé à l’étranger n’est pas considéré comme une entrée sur le territoire national au sens du présent alinéa.
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cet amendement concerne les frontaliers, mais le problème semble résolu : le président Bas m’a indiqué qu’ils n’auront pas à subir de quarantaine. Je retire donc l’amendement.
M. Philippe Bas, rapporteur. L’amendement n° 13 rectifié bis pose le même problème que celui que Mathieu Darnaud a bien voulu retirer : il repose sur une foi excessive dans la valeur des tests de dépistage pour protéger la population contre les risques de contamination. C’est la raison pour laquelle je demande aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer.
L’amendement n° 12 rectifié bis tend à limiter les mesures de quarantaine aux personnes chez lesquelles l’infection a été constatée. Or la quarantaine est une mesure de prudence qui vise surtout les personnes n’étant pas dans ce cas. Quand l’infection a été constatée, on recourt plutôt au placement à l’isolement, qui n’obéit pas aux mêmes règles que la quarantaine. C’est pourquoi je demande aussi le retrait de cet amendement.
L’amendement n° 111 est satisfait par le texte de la commission, qui prévoit déjà une durée maximale d’un mois. Il me semble par conséquent que vous pourriez retirer votre amendement, monsieur Sueur.
L’amendement n° 40 soulève le problème des migrants en situation irrégulière circulant dans le Calaisis. Ces migrants vivant dans des conditions de grande précarité, les risques de contamination s’en trouvent accrus, pour eux-mêmes et pour leur entourage. Pour autant, le Gouvernement dispose d’autres moyens que la mise en quarantaine.
J’ajoute que si nous adoptions cette disposition, le Gouvernement ne serait nullement contraint de la mettre en œuvre, pas plus qu’il ne met en œuvre les mesures d’assignation à résidence qui sont à sa disposition. C’est une question de volonté politique : le Gouvernement est-il prêt, monsieur le ministre, à traiter, en recourant aux dispositifs déjà existants, le cas des étrangers en situation irrégulière ? Si vous me répondez par la négative, il est clair que le vote par le Parlement d’une disposition prévoyant la mise en quarantaine des migrants en situation irrégulière resterait de toute façon sans effet.
En conclusion, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement. Pour autant, le Gouvernement ne doit pas s’en tirer à si bon compte ! Nos collègues ont parfaitement identifié un véritable problème, même si la solution qu’ils proposent ne me paraît pas adaptée à la situation spécifique de personnes qui sont souvent présentes depuis un certain temps sur le territoire national.
Sur l’amendement n° 129 rectifié, je demande à connaître l’avis du Gouvernement.
S’agissant de l’amendement n° 101, qui tend à limiter la mise en quarantaine aux personnes infectées, j’ai déjà eu l’occasion d’expliquer pourquoi je suis défavorable à une telle mesure : la quarantaine est moins destinée aux personnes dont on est sûr qu’elles sont infectées qu’à celles dont on craint qu’elles le soient, sans en être certain. Je souhaiterais que le groupe socialiste et républicain accepte de retirer cet amendement.
L’amendement n° 2 rectifié bis, qui prévoit la mise en quarantaine des personnes en situation irrégulière, soulève le même problème que l’amendement n° 40. Je demande là encore au Gouvernement de nous dire ce qu’il entend faire pour ces populations et pour celles du territoire où elles s’agglutinent.
L’amendement n° 123 a pour objet de réduire la période de quarantaine à la seule durée nécessaire à la réalisation d’un test pour les Français établis hors de France revenant sur le territoire national. Nous y sommes défavorables, madame Garriaud-Maylam. Comme j’ai tenté de l’expliquer à plusieurs reprises, les tests présentent trop d’incertitudes pour que l’on puisse se reposer sur eux seuls. En revanche, les autorités administratives doivent faire preuve de discernement et tenir compte du pays de provenance des personnes entrant en France. C’est pourquoi nous avons exigé, alors que cela n’était pas initialement prévu, qu’un arrêté en fixe la liste. Je veux également rappeler que la quarantaine ne saurait être systématique ; il existe des alternatives. Enfin, nous avons voulu que l’on laisse aux Français revenant de l’étranger qui seraient placés en quarantaine la liberté de passer cette période dans leur résidence en France s’ils en ont une. Dans une telle hypothèse, en effet, il n’y a absolument aucune raison de leur imposer d’accomplir leur quarantaine ailleurs.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 195 et demande le retrait des autres.
Monsieur le président Bas, je ne suis pas sûr d’avoir bien compris le sens de votre interpellation : vous n’entendez pas demander au Gouvernement de placer en quarantaine des personnes en situation irrégulière pour ce seul motif, n’est-ce pas ? En situation d’épidémie, il n’y a pas de mesures différenciées selon que l’on est en situation régulière ou pas : tout le monde doit être protégé dans les mêmes conditions et les mêmes règles – quarantaine ou isolement selon les cas – s’appliquent à tous.
La réponse du Gouvernement s’agissant de populations particulièrement précarisées comme les personnes migrantes, qu’elles soient en situation régulière ou pas, a plutôt consisté à multiplier les places d’hébergement d’urgence – de mémoire, près de 17 000 ont été ouvertes, sous l’autorité de Julien Denormandie – et à faire intervenir des travailleurs sociaux, en interaction très étroite avec des ONG et des associations telles que la Croix-Rouge, Médecins du monde ou Médecins sans frontières, de manière à écarter le risque d’une diffusion à bas bruit de l’épidémie au sein d’une population déjà précarisée sur le plan sanitaire. Tout est mis en œuvre pour protéger ces personnes et vérifier qu’aucun foyer épidémique ne se développera à partir de leurs campements ou de leurs abris de fortune, mais en aucun cas des dispositions spécifiques de placement en quarantaine ne sauraient leur être appliquées.
M. le président. Monsieur Requier, les amendements nos 13 rectifié bis et 12 rectifié bis sont-ils maintenus ?
M. Jean-Claude Requier. Non, je les retire, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos 13 rectifié bis et 12 rectifié bis sont retirés.
Je mets aux voix l’amendement n° 195.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. Monsieur Sueur, l’amendement n° 111 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Sueur. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 111 est retiré.
Madame Di Folco, l’amendement n° 40 est-il maintenu ?
Mme Catherine Di Folco. J’ai bien entendu l’interpellation de M. Bas et la réponse de M. le ministre.
Mme Bouchart, maire de Calais, a dû vous sensibiliser à plusieurs reprises, monsieur le ministre, au fait que la mise à l’abri des migrants est fondée sur le volontariat. Là est précisément le problème : on ne peut pas obtenir de résultats satisfaisants s’il n’y a pas d’obligation en termes de mise à l’abri de ces personnes, car elles sont probablement souvent atteintes par la maladie et peuvent contribuer à la répandre.
D’après Mme Bouchart, il faudrait donc que cette mise à l’abri soit imposée, avec mise à disposition, évidemment, de logements d’accueil. Elle insiste aussi sur le fait que le Pas-de-Calais ne doit pas être le seul territoire mobilisé pour accueillir ces personnes.
L’alerte étant lancée, je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 40 est retiré.
Madame Carrère, l’amendement n° 129 rectifié est-il maintenu ?
Mme Maryse Carrère. Oui, je le maintiens, monsieur le président, n’ayant pas obtenu de réponse à la problématique de l’application de la quarantaine pour nos compatriotes d’outre-mer – j’ai cité l’exemple de Saint-Pierre-et-Miquelon –entrant sur le territoire métropolitain. J’aimerais avoir l’assurance qu’ils seront traités comme les autres Français.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Le projet de loi tel que le Gouvernement l’a élaboré et le texte que nous avons adopté ce matin en commission des lois prévoient les mêmes règles pour tous, ma chère collègue, mais les situations ne sont pas les mêmes.
En effet, certaines collectivités d’outre-mer sont exemptes de contamination ou très faiblement touchées. Elles doivent être protégées. La situation n’est pas la même quand il s’agit d’accueillir sur le territoire métropolitain des Français revenant de l’étranger ou des étrangers. En fait, le texte prévoit le placement en quarantaine pour l’arrivée sur le territoire métropolitain et pour l’arrivée sur un territoire ultramarin, y compris quand il s’agit d’une personne en provenance de la métropole.
M. le président. Madame Rossignol, l’amendement n° 101 est-il maintenu ?
Mme Laurence Rossignol. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 101 est retiré.
Monsieur Wattebled, l’amendement n° 2 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Dany Wattebled. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis est retiré.
Madame Garriaud-Maylam, l’amendement n° 123 est-il maintenu ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Non, il est également retiré, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 123 est retiré.
L’amendement n° 66, présenté par M. Milon, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les mesures prévues aux 3° et 4° du présent article peuvent, en outre, intervenir, dans le cas d’une maladie transmissible hautement contagieuse, lorsqu’une personne infectée ou présentant un risque d’infection crée, par son refus de respecter une prescription médicale et individuelle d’isolement prophylactique, un risque grave pour la santé de la population.
La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. La réussite de la levée du confinement est conditionnée, entre autres choses, au respect scrupuleux et potentiellement contraignant, par les personnes atteintes et les personnes contacts, d’un isolement prophylactique à domicile ou à l’hôtel, selon le risque de reconstitution de foyer. Limiter l’isolement prophylactique à une simple recommandation médicale dénuée de tout effet contraignant ne prémunit absolument pas le pays contre le surgissement d’une seconde vague épidémique, à laquelle notre système hospitalier ne manquerait pas de succomber.
Mon amendement a pour objet d’étendre les cas dans lesquels le préfet se verra habilité, par décret du Premier ministre instrumentant l’état d’urgence sanitaire, à arrêter des mesures individuelles de mise en quarantaine et d’isolement, en ajoutant celui d’un refus réitéré d’une mesure médicale et individuelle d’isolement prophylactique.
Je rappelle que je ne fais ici que rétablir dans le projet de loi un paragraphe concernant l’isolement qui figurait dans le texte soumis par le Gouvernement à l’examen du Conseil d’État et sur lequel ce dernier n’avait pas émis de réserves particulières. Samedi, en conseil des ministres, ledit paragraphe a disparu, probablement pour des raisons d’équilibre majoritaire à l’Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous avons eu sur ce sujet avec la commission des affaires sociales et son président un débat très intéressant, qui a même partagé la commission des lois et qui mérite à coup sûr d’être porté devant notre assemblée.
À l’origine, le Gouvernement avait prévu d’autoriser la mise en œuvre de mesures de quarantaine ou d’isolement non pas pour des personnes arrivant en France, mais pour des personnes qui ne respecteraient pas les prescriptions qui leur auraient été faites de rester chez elles pendant une quatorzaine pour éviter de faire courir à autrui le risque d’une contamination, sans que leur statut de porteurs du virus soit établi. Le Gouvernement a renoncé à cette mesure.
La commission des affaires sociales, sur la proposition de son président Alain Milon, a souhaité rétablir cette faculté, pour le Gouvernement, d’imposer une mesure de quarantaine ou d’isolement à des personnes récalcitrantes. Le régime de base serait celui d’une recommandation, dont le respect est attendu en raison du civisme de nos compatriotes, de leur esprit de responsabilité, de leur sens du devoir à l’égard d’autrui.
Qu’est-ce qui sera le plus efficace ? Poser une contrainte ultime pour les récalcitrants, ce qui, en réalité, revient à rendre le régime obligatoire, ou faire reposer celui-ci sur la confiance ? Le débat mérite d’avoir lieu.
La proposition de nos collègues de la commission des affaires sociales a pour inconvénient, du point de vue de la commission des lois, qu’un régime de contrainte suscitera de nombreuses stratégies d’évitement et de contournement de la part de personnes qui voudront dissimuler le fait qu’ils sont porteurs du virus. Nous voulons tenir en échec ces stratégies, car elles sont probablement plus dangereuses que le risque marginal qui serait pris en faisant confiance à tous ceux que l’on invite à rester chez eux pour ne pas contaminer d’autres personnes.
À cet argument important, j’en ajouterai un deuxième qui ne l’est pas moins. On pense souvent qu’il suffit d’édicter une obligation pour avoir les moyens de la faire respecter, mais il n’en est pas ainsi dans la réalité : pour faire respecter une obligation, encore faut-il qu’il existe une organisation le permettant. Pendant la période de confinement, il y a eu plusieurs millions de contrôles et près d’un million de procès-verbaux. Dans toute la France, la police et la gendarmerie étaient présentes sur les lieux de circulation pour vérifier que les Français confinés qui sortaient de chez eux avaient une raison légitime de le faire. Mais, avec le déconfinement, ces contrôles généralisés cesseront. Si un préfet de département prend, par arrêté, des mesures de quarantaine s’adressant, par hypothèse, à des individus récalcitrants, aucun contrôle ne permettra de vérifier que ceux-ci ne sortent pas de chez eux : on ne postera pas un gendarme devant la porte de leur domicile ! C’est seulement si ces personnes commettent un excès de vitesse, par exemple, que l’on pourra s’apercevoir qu’elles ne respectent pas la quarantaine, à la condition toutefois qu’elles aient été préalablement inscrites au fichier des personnes recherchées…
C’est donc une fiction que de penser qu’un tel régime de contrainte sera appliqué : il ne le sera pas, faute de moyens de contrôle. Le meilleur choix à faire, pour que les mesures de quatorzaine soient respectées, c’est celui de la confiance. Chacun a pu remarquer que les mesures de protection actuelles sont spontanément respectées par la plupart des gens, qui sont soucieux de préserver leur famille, leurs proches et leurs collègues de travail, comme nous le sommes ici. Pardon de me répéter, mais si le régime repose sur la contrainte, nous verrons se multiplier les stratégies d’évitement. Cela étant, le débat est parfaitement justifié. À vrai dire, si j’avais la conviction que la contrainte ultime peut réellement s’appliquer et n’est pas une simple vue de l’esprit, ma réponse serait peut-être moins ferme…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Monsieur le sénateur Milon, nous nous sommes posé la même question que vous : de quels moyens se doter pour empêcher une personne potentiellement contagieuse qui refuserait la mise en quarantaine de sortir et, le cas échéant, contaminer d’autres personnes ?
Outre les raisons pratiques évoquées par le président Bas, des considérations plus idéologiques, qui tiennent aux libertés individuelles, nous ont amenés à écarter la mesure que vous proposez. Soumettre une personne potentiellement atteinte d’une maladie infectieuse à un régime d’internement pose un certain nombre de questions.
Par conséquent, contrairement à ce qu’a pu avancer la presse, nous n’avons introduit cette mesure dans aucune version du texte, ce qui ne veut pas dire que la réflexion n’a pas été engagée.
M. Bruno Retailleau. Dans la première mouture du texte !
M. Olivier Véran, ministre. Je ne crois pas que l’on ait soumis au Conseil d’État une version « bêta » contenant une telle disposition. Quoi qu’il en soit, ces questions méritent d’être soulevées. Comme vous l’avez très bien dit, monsieur le président Bas, la confiance et l’explication réitérée des consignes sont indispensables. Vous le savez, monsieur le sénateur Milon, il faut parfois s’y reprendre à plusieurs fois pour faire comprendre les risques et l’intérêt de rester chez soi pour protéger les autres quand on est malade.
D’autres maladies infectieuses hautement contagieuses comme la tuberculose, par exemple, conduisent les personnes atteintes, souvent issues de pays dans lesquels il existe de très fortes inégalités sociales, à rester confinées trois mois. Or même pour ce type de pathologies, il n’existe pas de dispositif juridique précis contraignant au confinement ou à l’isolement.
Je vous suggère, monsieur Milon, de retirer votre amendement, le Gouvernement ayant fait un autre choix pour traiter cette question complexe.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. Je voudrais rappeler le contexte dans lequel la commission des affaires sociales a voté l’amendement présenté par le président Milon.
Les chiffres relatifs à l’épidémie sont communiqués tous les soirs. Personnellement, je ne les trouve pas excellents. Vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre, l’épidémie est toujours là. Actuellement, les services de réanimation ne sont plus en tension comme ils ont pu l’être, mais il suffirait de peu de choses pour qu’ils le redeviennent, avec bien sûr des disparités géographiques.
On sait très bien que la contagion peut se poursuivre et que la période du déconfinement est à risque. Au travers de cet amendement, nous ne cherchons pas à rendre la mise en quarantaine ou à l’isolement obligatoire pour tout le monde, mais pourquoi l’imposer aux personnes en provenance de l’étranger et pas aux personnes à risque récalcitrantes ? A-t-on davantage les moyens de contrôler les unes que les autres ? J’avoue que la cohérence de la position de la commission des lois et du Gouvernement m’échappe. En définitive, nous sommes toujours confrontés au problème de l’insuffisance des moyens d’application des dispositions adoptées.
Si les médecins constatent que certaines personnes ne respectent aucune des règles prescrites et peuvent en contaminer d’autres, ce qui ferait courir le risque d’un rebond important de l’épidémie et d’une nouvelle saturation des services hospitaliers, je ne vois pas pourquoi nous ne prendrions pas de telles dispositions.
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote.
Mme Véronique Guillotin. Je voterai l’amendement présenté par Alain Milon.
Je ne suis pas une grande liberticide, mais, comme Catherine Deroche vient de le dire, il faut prendre en compte la saturation de nos services de réanimation et la gravité de la crise. Si les chiffres n’ont pas suffisamment baissé d’ici là, le déconfinement n’aura peut-être pas lieu le 11 mai. On craint une probable deuxième vague de l’épidémie, alors que le quart nord-est de la France apparaît encore en rouge sur la carte.
Pour ma part, je n’oppose pas la confiance à la contrainte. Il faudra bien sûr avant tout faire œuvre de pédagogie, mais, comme cela a été expliqué, pourquoi ne pas appliquer aux individus récalcitrants les mesures de quarantaine qui s’imposeront aux personnes entrant sur le territoire français ? Cela a du sens dans le contexte de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire – il n’est bien sûr pas question d’imposer une telle contrainte dans un autre cadre. J’ajoute que des dispositions similaires figuraient dans la loi sur la sécurité sanitaire qui a été votée dans cet hémicycle en décembre dernier.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Pour la bonne compréhension des débats, je voudrais rappeler à M. le ministre… Monsieur le ministre, j’essaie en vain de capter votre attention : peut-être pourriez-vous de temps en temps écouter les parlementaires, au lieu de discuter avec les membres de votre cabinet ou le président Bas ! (M. le ministre se récrie.)
M. Bruno Retailleau. Il n’y a pas que le président Bas au monde ! (Sourires.)
Mme Laurence Rossignol. Si je vous fais la remarque chaque fois, monsieur le ministre, c’est peut-être parce que vous ne m’écoutez jamais ! C’est dommage, parce que je voudrais vous apprendre ce qu’apparemment vous ignorez, à savoir le contenu de l’avant-projet de loi que vous avez transmis au Conseil d’État. Je vous donne lecture d’un passage qui montre que le président Milon n’a pas totalement inventé l’amendement qu’il a défendu « Afin de lutter contre la propagation de l’infection, la mise en quarantaine peut intervenir lorsqu’une personne est infectée… » (M. le ministre proteste.)
M. le président. Veuillez laisser parler Mme Rossignol, monsieur le ministre. Vous pourrez ensuite lui répondre.
Mme Laurence Rossignol. Vous nous avez expliqué il y a quelques instants, monsieur le ministre, que jamais, au grand jamais, la disposition proposée par Alain Milon n’avait figuré dans quelque version du texte que ce soit. Or l’avant-projet de loi transmis au Conseil d’État contient une telle mesure. Je le tiens à votre disposition, monsieur le ministre ! Il y est écrit que « la mise en quarantaine et le placement à l’isolement sont prononcés sur proposition du directeur général de l’Agence régionale de santé (DGARS), du représentant de l’État dans le département, par décision individuelle motivée ».
Cela dit, je ne me rallie pas pour autant à la position du président Milon, car il me semble que le dispositif de l’amendement ne peut fonctionner. Il n’y a pas de fichier des récalcitrants. Aucun médecin ne pourra constater qu’un individu ne suit pas ses prescriptions, car celui-ci ne reviendra pas le voir pour lui dire qu’il ne respecte pas la quarantaine ! En outre, en cas de contrôle de police, comment savoir si la personne circulant dans l’espace public devrait être en quarantaine ?
Je crains en fait surtout que cet amendement ne crée le trouble dans la perspective de notre débat de demain sur l’article 6. Pour pouvoir identifier les récalcitrants, il faut qu’ils figurent dans un fichier auquel les forces de police peuvent avoir accès, celui des personnes conduisant sans permis, par exemple, et qu’il soit possible de croiser des fichiers, ce qui serait inacceptable. C’est pourquoi, en ce qui nous concerne, nous ne pouvons soutenir l’amendement du président Milon.
M. le président. Monsieur Milon, l’amendement n° 66 est-il maintenu ?
M. Alain Milon. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
Le ministre a évoqué l’exemple de la tuberculose, mais il s’agit d’une maladie à déclaration obligatoire, contre laquelle il existe des traitements efficaces et que l’on peut prévenir par la vaccination.
Je répète ce que j’ai déjà dit : les mesures proposées au travers de cet amendement figuraient dans l’avant-projet de loi qui nous a été soumis et dans le texte qui a ensuite été transmis au Conseil d’État, lequel n’a émis aucune réserve sur ce point.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je soutiens cet amendement.
En général, les malades font confiance à leur médecin. De plus, les médecins généralistes connaissent bien leurs patients et savent à qui ils ont affaire. Le contournement n’est généralement pas l’intention première. Très majoritairement, au contraire, les gens ont envie d’être protégés, de se mettre à l’abri et ils écoutent leur médecin. Cependant, tous ceux qui ont exercé la médecine savent bien qu’il existe des fortes têtes. Sans mesures permettant de contraindre ceux qui ne veulent rien entendre, la vie des autres peut se trouver mise en jeu ! Que proposez-vous d’autre, monsieur le ministre, pour ces récalcitrants ? J’ai l’impression qu’il n’y a pas d’autre moyen que d’en passer par une mesure coercitive pour ramener les récalcitrants à la raison. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles !
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Malgré des motifs réels d’hésitation, je défends la proposition du président Milon et je n’adhère pas à une partie du raisonnement présenté par Philippe Bas.
Il n’y a pas d’opposition entre la confiance que nous éprouvons à l’égard de la très grande majorité de nos concitoyens et l’utilité de rappeler à l’ordre nécessaire les personnes qui choisissent délibérément de s’opposer aux mesures d’isolement.
L’argument du président Bas est de dire qu’il y aura des difficultés d’application. C’est indéniable, comme pour tous les systèmes de contrôle. Mais la démonstration qu’il a avancée est trop systématique.
Le réflexe de tout individu normal, lorsqu’il sent arriver les symptômes, est d’aller consulter son médecin. Il sera alors averti des contraintes. S’il décide de ne pas s’y soumettre, le médecin sera alerté : il existe en effet dans la vie locale, comme l’a souligné René-Paul Savary, de multiples façons pour un médecin d’être informé ! Les moyens dont dispose la police suffiront alors à jouer un rôle dissuasif !
Comme je l’ai souligné ce matin en commission, nous avons passé une grande partie du débat – bien entendu avec la meilleure foi du monde – à nous critiquer les uns les autres en fonction de ce que nous avions dit il y a un mois ou deux. Je ne voudrais pas qu’en constatant les difficultés d’application de certaines mesures du déconfinement nous soyons obligés de nous poser de nouveau cette question dans un mois et demi.
De telles dispositions existent déjà dans le code de la santé publique, ainsi que l’a rappelé un de mes collègues. Nous n’inventons rien !
M. le président. Il faut conclure !
M. Alain Richard. Mieux vaut donc avancer maintenant sur ce dispositif, quitte à l’améliorer ensuite, plutôt que de regretter dans un mois et demi de ne pas l’avoir fait !
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour explication de vote.
M. Dany Wattebled. L’amendement de notre collègue Milon est intéressant. Il s’agit tout de même d’actes de délinquance ! Quand quelqu’un se sait porteur d’un virus et ne fait rien pour prévenir la contagion, il met en péril la vie des autres. Pourquoi laisserions-nous faire ? On nous dit depuis le début de cette crise que nous sommes en guerre ; cette guerre, il faut se donner les moyens de la gagner. On a le droit de mettre sa vie en jeu, mais il n’est pas admissible que l’on joue avec celle des autres.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Quand quelqu’un se voit recommander, par un médecin ou par la plateforme de l’assurance maladie, de rester chez lui, ni la police ni la gendarmerie n’en sont évidemment informées. Personne donc ne le sait, à part l’intéressé et la personne qui a prescrit l’isolement.
De surcroît, dans la plupart des cas, la personne concernée ne sera pas un malade : elle aura simplement approché un individu porteur du virus. Si elle ne respecte pas la consigne de quatorzaine, qui le saura, puisque seuls un correspondant téléphonique de l’assurance maladie ou, éventuellement, le médecin de famille sont informés de l’existence de cette consigne ? Pour identifier un récalcitrant, encore faut-il que quelqu’un puisse le dénoncer. Mme Deroche nous dit que ce sera le médecin, mais comment saurait-il que son patient ne respecte pas la consigne, sauf à le croiser chez le boulanger ? Les médecins sont très occupés !
Cela peut procurer une satisfaction morale de se dire que l’on a créé une obligation, mais cette obligation restera lettre morte s’il n’existe pas la moindre procédure permettant d’identifier ceux qui ne respecteraient pas une consigne de quatorzaine dont personne n’est informé ! Vous aurez voté un système de contrainte, mais il sera impossible de le mettre en œuvre. Les prescriptions de quatorzaine seront généralement données par une plateforme de l’assurance maladie qui aura mené à distance des investigations sur les vingt-cinq personnes ayant été en contact avec un individu testé positif : force est de reconnaître qu’il n’existe pas de moyen de contraindre à les respecter. J’ajoute qu’il n’est nullement prévu que l’assurance maladie ouvre ses fichiers à la gendarmerie ou à la police. Si vous faisiez une telle proposition pour assurer le bouclage de votre dispositif, la majeure partie de nos collègues sénateurs et des députés la rejetterait.
Le dispositif de cet amendement est juste sur le plan moral, mais inefficace sur le plan de l’organisation pratique. Eu égard à l’impossibilité de le mettre en œuvre, mieux vaut s’en tenir à ce que le Gouvernement et la commission des lois proposent. À défaut, nous n’irons nulle part. Je tenais à le dire.
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour explication de vote.
M. Vincent Segouin. Le même problème se pose pour le contrôle des arrêts de travail. La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) effectue des contrôles aléatoires via des appels téléphoniques au domicile des personnes en arrêt de travail. Il existe plusieurs moyens de vérifier que ces personnes sont chez elles sans qu’il soit besoin, pour cela, de recourir aux forces de l’ordre.
Il me semble primordial de prévoir des mesures coercitives. À défaut, ce sera trop facile pour les contrevenants et les mesures de quarantaine ne fonctionneront pas.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Il n’est pas fréquent que le président de la commission saisie au fond s’oppose à une mesure proposée par le président de la commission saisie pour avis…
Monsieur le ministre, quelles mesures coercitives envisagez-vous de prendre pour que la quatorzaine puisse être appliquée aux ressortissants étrangers qui entrent sur le territoire national ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Souvenez-vous : lorsqu’un certain nombre de Français ont été rapatriés de Wuhan, ils se sont vu imposer une quatorzaine collective dans un village de vacances, à Carry-le-Rouet. Il n’y avait pas de mesure coercitive destinée à les empêcher, le cas échéant, de quitter cet endroit.
Le président Bas a tout à fait raison de dire qu’il est impossible, ou à tout le moins très difficile, de mettre en place un système de contrôle et de sanction opérationnel pour les personnes faisant l’objet d’une prescription de quatorzaine déjà présentes sur le territoire national. Il faudrait d’abord pouvoir repérer les contrevenants, puis vérifier qu’ils ne quittent plus leur domicile. On ne peut tout de même pas poster un policier devant leur porte !
Il existe des systèmes de contrôle et de sanctions pour les personnes entrant sur le territoire national qui ne respectent pas les mesures de confinement ou d’isolement prises par le préfet sur demande du directeur général de l’ARS, mais il n’est pas prévu de placement dans un centre fermé.
L’expérience des épidémies en France montre qu’il peut arriver que quelques personnes ne respectent pas les mesures de confinement ou d’isolement. Ainsi, un certain nombre de contraventions ont été établies par les forces de l’ordre pour sanctionner des gens qui ne respectaient pas les règles en matière de limitation des sorties. Il n’empêche que l’immense majorité de la population française a respecté scrupuleusement le confinement, jusqu’à faire baisser le taux de transmission du virus à 0,5, soit le plus bas taux d’Europe.
Encore une fois, toute notre stratégie repose sur la confiance, l’explication, la pédagogie, le soin, l’attention portée à l’autre. Je crois sincèrement que cela suffit. Ce n’est pas un individu qui sort de chez lui alors qu’il ne devrait pas qui fait flamber une épidémie. De toute façon, même avec le meilleur traçage du monde et un dépistage massif, nous ne pourrions pas être certains que 100 % des personnes contaminées font l’objet d’une prescription de confinement ou d’isolement, car il existe des faux négatifs et des cas totalement asymptomatiques.
En conclusion, je ne suis pas favorable à cet amendement, tout simplement parce qu’il ne me paraît pas utile. En outre, je rejoins Mme Rossignol : il ne faudrait pas que l’adoption de la mesure proposée amène à nous faire un mauvais procès lors de l’examen de l’article 6, relatif au traçage des personnes contacts, en nous soupçonnant de vouloir croiser des fichiers. Sans traçage, de nombreuses personnes contaminées risquent de nous échapper. Je tiens aux articles 2 et 6 !
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons examiné 58 amendements au cours de la journée ; il en reste 97.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 5 mai 2020 :
À quatorze heures trente :
Suite et fin du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions (procédure accélérée ; texte de la commission n° 417, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mardi 5 mai 2020, à deux heures quarante-cinq.)
nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des lois pour faire partie de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. Philippe Bas, François-Noël Buffet, Alain Milon, Philippe Bonnecarrère, Mme Laurence Rossignol, MM. Jean-Pierre Sueur et Alain Richard ;
Suppléants : M. Mathieu Darnaud, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Vincent Segouin, Hervé Marseille, Jean-Luc Fichet, Mmes Maryse Carrère et Esther Benbassa.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication