Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Le présent article, introduit en commission par notre collègue François-Noël Buffet, reprend les termes de l’article 38 du projet de loi ASAP tel qu’il avait été adopté au Sénat en février 2020. Les dispositions introduites supprimaient toute référence législative au récépissé dans le Ceseda, au profit d’un document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de titre de séjour. Cette suppression est issue d’une volonté de déployer un nouveau service de dépôt en ligne et d’instruction dématérialisée des demandes de titres de séjour. Ce procédé pose trois problèmes majeurs.
Tout d’abord, le déploiement de la dématérialisation pénalise les étrangers. Exposées à une grande précarité, ces personnes ont souvent des difficultés pour accéder à internet. Afin de ne pas rompre l’égalité entre les requérants étrangers, il est impératif de maintenir un caractère facultatif aux procédures en ligne.
Ensuite, la rédaction de l’article proposée par M. Buffet renvoie au domaine réglementaire la délivrance des récépissés. Alors que nous nous battons aujourd’hui pour éviter que l’exécutif n’ait systématiquement recours aux ordonnances, il est paradoxal que le Sénat souhaite se dessaisir d’un domaine législatif qui lui revient de droit.
Enfin, le Ceseda prévoit qu’un récépissé autorise légalement les personnes à séjourner sur notre sol, mais aussi et surtout à voyager, à travailler ou à accéder à des avantages sociaux. Lui substituer un simple document provisoire aux contours flous ne garantit aucunement qu’il n’y aura pas, en l’occurrence, d’atteinte aux droits des étrangers.
En l’état, nous ne pouvons soutenir cet article.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 26 est présenté par M. Leconte, Mmes de la Gontrie et S. Robert, MM. Kerrouche, Marie, Sueur, Kanner et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, MM. Raynal et Roger, Mme Rossignol, M. Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 250 est présenté par M. Ravier.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 26.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la rapporteure, vous faites une entorse à votre propre règle, puisque, avec cet article, il s’agit non plus d’une mesure d’urgence, mais d’une disposition appelée à perdurer. On nous propose en effet d’inscrire dans le présent texte, qui devrait être d’urgence, des dispositions dont nous avons déjà débattu lors de la loi ASAP. La remarque méritait d’être faite !
On modifie les procédures via une disposition que M. Buffet nous propose d’intégrer dans le projet de loi, mais qui a déjà été adoptée dans la loi ASAP. Voilà pourquoi je disais qu’il fallait que les préfectures s’adaptent ! C’est aussi pour cette raison que j’évoquais précédemment la question du 10 juillet…
Doit-on refaire le débat sur la loi ASAP ? Oui et non…
Depuis l’examen de ce texte, nous avons mis en place au sein de notre assemblée une mission d’information sur la lutte contre l’illectronisme. On sait en effet que de nombreuses personnes ne sont tout simplement pas en mesure d’utiliser les services en ligne. Or qu’est-il proposé ici ? Que l’ensemble des procédures liées aux demandes d’obtention et de renouvellement des titres de séjour se fassent de manière dématérialisée ! Sont concernées, en particulier, des personnes étrangères qui peuvent avoir des problèmes de maîtrise de notre langue et qui connaissent souvent une grande précarité… Cette disposition pose donc une difficulté, même si je reconnais qu’elle présente aussi beaucoup d’avantages.
Par ailleurs, les droits qui étaient attachés au récépissé relevaient du domaine législatif, comme l’a rappelé Esther Benbassa. Désormais, ils seront transmis au pouvoir réglementaire. C’est un paradoxe ! Il s’agit donc de faire confiance, d’accepter l’idée que les droits attachés aux documents provisoires remis, lesquels seront des codes-barres, seront de même nature que les récépissés actuels…
Monsieur le ministre, nous vous demandons des garanties, comme nous l’avions fait lors de la discussion de la loi ASAP. Le ministère de l’intérieur n’est pas plus représenté aujourd’hui, dans cet hémicycle, que lors de l’examen de cette loi. Certes, le Gouvernement l’est, me direz-vous… Mais pas la personne à la tête de l’administration qui devra mettre ce dispositif en musique !
Enfin, et je regrette là aussi que le ministre de l’intérieur ne soit pas devant moi,…
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Leconte !
M. Jean-Yves Leconte. … si vous faites confiance à la dématérialisation en matière de droit des étrangers, pourquoi ne pas accorder la même confiance aux documents d’identité des Français ? Dématérialisons complètement les demandes de renouvellement !
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Jean-Yves Leconte. Nous proposons donc de supprimer cet article, qui nous semble déséquilibré.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour présenter l’amendement n° 250.
M. Stéphane Ravier. Cet article permet aux étrangers de séjourner en France sans attestation de demande de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour, et sans récépissé clairement établi, mais simplement avec un document provisoire qui leur permettrait, par ailleurs, d’exercer une activité professionnelle.
Je vous trouve bien timorés finalement, mes chers collègues. Tant qu’on y est, abrogeons tout papier d’identité ! Comme cela, tout le monde pourra venir dans notre beau pays… Vous serez enfin heureux dans le pays du vivre ensemble que vous appelez de vos vœux, mais dont vous ne voulez pas, bien sûr, en bas de chez vous.
Dans ce pays du vivre ensemble, des centaines de quartiers et de villes sont devenues des zones d’ultraviolence. Cette violence, n’en déplaise à une artiste sans talent et sans public,…
Mme Laurence Cohen. Ouh !
M. Stéphane Ravier. … n’est pas le fait de la police, dont je salue le travail, mais de la racaille qui y vit et qui déteste tout ce qui peut incarner la France.
Nos compatriotes continueront, eux, de se pousser pour faire de la place aux autres, et vous vous féliciterez de toute cette diversité que vous ne voyez qu’à la télé ou dans les bureaux de vote, clientèle bien fidèle et pour l’instant docile.
La facilité administrative et les aménagements dérogatoires vis-à-vis des étrangers menacent d’aggraver la situation de crise dans laquelle nous nous trouvons. L’urgence impose la prudence en matière sanitaire et sécuritaire, ce qui implique des règles claires et un cadre strict. De plus, la possibilité d’exercer une activité professionnelle avec un simple document provisoire peut accentuer le phénomène de création de faux documents. De telles mesures risquent d’entraîner une confusion administrative au niveau des entreprises et du suivi par l’État.
On nous avait promis des changements après cette crise sanitaire, les voici : toujours plus de laxisme pour les filières d’immigration et un déséquilibre démographique encouragé !
Le confinement n’est toujours pas terminé pour nos restaurants, bars et cafés, ces lieux de vie qui sont au cœur de nos modes de vie. Encadrés par les contraintes, surveillés et contrôlés de près, tous ces petits patrons devront faire des efforts surhumains pour relancer leur activité. Dans le même temps, M. Castaner continue à accueillir toute la misère du monde et Mme Belloubet ouvre les centres de détention.
À l’image de cette France qui se retrousse les manches, envers et contre tout, je ne me résigne pas : je demande la suppression de cet article ajouté par la commission des lois à majorité, rappelons-le, Les Républicains.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je ne suis pas certaine que notre collègue François-Noël Buffet reconnaisse son amendement après les propos que l’on vient d’entendre…
En réalité, que s’est-il passé ? Nous nous sommes rendu compte, comme vous tous, que, à l’occasion de cette crise sanitaire, il devenait extrêmement difficile d’obtenir des récépissés dans certaines administrations, notamment dans les préfectures. La dématérialisation est une façon d’obtenir, même en cas de fermeture des bureaux au public, un document administratif, celui-là ou d’autres, comme vous le disiez précédemment, monsieur Leconte.
L’amendement de François-Noël Buffet avait pour but de renvoyer au pouvoir réglementaire, dont elles relèvent, les modalités de délivrance par l’administration d’un récépissé lors du dépôt d’une demande de titre de séjour ou lors de son renouvellement. Il s’agit donc de renvoyer au pouvoir réglementaire ce qui est de son domaine, pour que soit mise en place dans le cadre de mesures réglementaires cette dématérialisation, laquelle ne précarisera pas grand monde. En effet, elle ne s’appliquera que dans la mesure où la personne faisant une demande de titre de séjour peut bénéficier de ladite matérialisation. Je persiste à penser qu’il s’agit d’un bénéfice.
Cet amendement assez simple, loin de porter tous les malheurs du monde, me paraît de nature à résoudre un certain nombre de situations, dans la mesure où le pouvoir réglementaire mettra en œuvre la dématérialisation. Celle-ci se fera non pas au détriment des personnes qui déposent une demande mais plutôt à leur avantage, puisqu’elles ne seront pas obligées de se rendre dans une préfecture trop encombrée.
Ce faisant, monsieur Leconte, modifions-nous durablement le Ceseda ? Vous avez raison de dire que tel est le cas. Je fais cependant une différence - peut-être la ferez-vous aussi ? - entre les règles dont nous parlons, et dont je ne cesse de dire qu’elles sont de fond, et une règle procédurale qui vise tout simplement à modifier la matérialité d’un récépissé. Vous reconnaîtrez que celle-ci n’entraîne pas un grand changement du droit des étrangers.
Voilà pourquoi cet amendement de M. Buffet, devenu article du présent projet de loi, m’a paru acceptable, même s’il modifie, à long ou à plus court terme, des éléments relevant d’une règle de procédure.
L’avis est donc défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Si ces deux amendements sont de même nature, j’ai bien compris que leur objet n’était pas tout à fait le même, à moins que quelque chose ne m’ait échappé… (Sourires.)
M. Jérôme Bascher. Non, vous suivez parfaitement, monsieur le ministre ! (Nouveaux sourires.)
M. Ladislas Poniatowski. Ça en fait au moins deux ! (Exclamations amusées sur diverses travées.)
M. Marc Fesneau, ministre. Monsieur Leconte, en soulevant cette question, vous revenez sur le débat d’il y a quelques semaines sur la simplification administrative. Nous voyons tous quels écueils peuvent rencontrer ceux qui n’ont pas accès à cette nouvelle procédure. Dans le même temps, il ne m’a pas échappé que vous avez évoqué précédemment, deux ou trois amendements en amont, la difficulté d’obtenir un titre auprès des préfectures, du fait des longues files d’attente et des moyens insuffisants.
Le changement de terminologie – le récépissé devient une attestation - vient simplement acter le fait que l’on passe d’une procédure papier à une procédure dématérialisée. Comme vous l’avez dit, madame la rapporteure, ce changement est plutôt un bénéfice pour les demandeurs. Par ailleurs, l’attestation produite sera sans doute mieux sécurisée, puisqu’elle comprendra un QR code, qui permettra de mieux identifier d’éventuelles fraudes.
Pour ces raisons, et au-delà du débat sur la loi ASAP auquel je n’ai pas assisté, je ne vois pas ce qu’il faudrait changer dans la mesure proposée, qui nous paraît aller dans le bon sens. Vous avez raison, il faut considérer les écueils qui peuvent compliquer l’accès à la procédure dématérialisée, mais l’accès à une préfecture n’est pas chose facile non plus, notamment à cause du déplacement.
Je voudrais rendre à César ce qui est à César : cet article n’est pas issu d’un amendement gouvernemental et ne figurait pas dans le texte initial. J’assume cependant la position du Gouvernement : nous sommes favorables à cette disposition, parce qu’elle permet d’avancer rapidement sur ce sujet et de résoudre les difficultés perçues par les uns et les autres.
Monsieur Ravier, vous avez répété une fois de plus une partie, maintes fois redite, du programme électoral de votre formation politique, et c’est votre droit.
M. Stéphane Ravier. L’art de la politique, c’est la répétition !
M. Marc Fesneau, ministre. Certes, mais la politique consiste aussi à regarder précisément les choses.
M. Stéphane Ravier. Je vous invite à le faire !
M. Marc Fesneau, ministre. Or ce vous avez dit est inexact. Le remplacement du récépissé par une attestation n’entraîne pas une plus grande libéralité, car le nouveau document sera, au contraire, davantage sécurisé.
Plutôt que de le caricaturer, intéressez-vous au dispositif ! Vous constaterez qu’il est plus sûr, et cela nous évitera une confrontation stérile.
Il existe un dispositif visant à encadrer les procédures de demande d’asile, et il n’est pas question pour nous d’en changer. Alors, ne vous saisissez pas de toute occasion et de tout mot au détour d’un texte pour développer un argumentaire qui tombe à côté du sujet ! Nous parlons de dématérialisation et de sécurisation des procédures, et de rien d’autre.
Pour ces raisons, et tout en distinguant les options qui nous ont été présentées, j’émets un avis défavorable sur les deux amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la rapporteure, si nous avons repris l’amendement que nous avions défendu lors de l’examen de la loi ASAP, ce n’est pas pour recommencer le débat. Simplement, à partir du moment où les attestations de demande de titre séjour relèveront exclusivement du pouvoir réglementaire, nous tenons à ce que les droits attachés aux récépissés soient maintenus. Ces garanties ne nous ont pas été données jusqu’à présent. Il importe d’affirmer que les personnes titulaires de ces documents provisoires bénéficieront des mêmes droits qu’aujourd’hui.
Sur la question de la dématérialisation, on peut évoluer, mais, dans ce cas, l’évolution doit être complète. Ce qu’on fait pour ces documents, il faut le prévoir aussi pour les renouvellements de passeport et de carte d’identité. Dès lors qu’il est possible d’envoyer une photo et que les empreintes sont déjà dans le fichier, à quoi ça sert de continuer à demander aux gens de se déplacer en mairie ?
Si on commence à faire vraiment confiance à la technologie et à la dématérialisation, le ministère de l’intérieur doit aussi bouger sur ces sujets, ce que nous attendons depuis longtemps.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. J’entends bien vos craintes, monsieur Leconte, mais il me semble y avoir répondu lorsque j’ai émis un avis sur l’amendement qui a été adopté en commission : les droits qui découlent de ce document, qu’il soit matérialisé ou dématérialisé, sont bien précisés par loi et non plus par le règlement.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Je ferai trois remarques.
En premier lieu, il s’agit d’une modification de fond du Ceseda. On nous a indiqué à plusieurs reprises que nous n’étions pas là pour ça ; nous en prenons acte et, dans la suite des débats, nous aurons l’occasion d’y revenir.
En deuxième lieu, la dématérialisation des procédures administratives pose un grand nombre de problèmes à beaucoup de publics, et on peut imaginer assez aisément que les personnes concernées par les demandes de titre de séjour ne sont pas parmi celles qui accèdent le plus facilement à l’outil numérique. D’ailleurs, de nombreuses associations, ainsi que le Défenseur des droits, au travers de son rapport intitulé Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, ont alerté le Gouvernement à ce sujet. Il faut le prendre en considération ; il n’est pas nécessaire d’ajouter des difficultés aux personnes concernées.
En troisième lieu, enfin, il me semble que le récépissé de demande de titre de séjour n’est pas seulement cité dans la partie législative du Ceseda, il l’est également dans la partie législative du code de la sécurité sociale et dans la partie législative du code de l’action sociale et des familles, qu’il n’est pas prévu de modifier. En outre, le récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour fait partie de la liste, publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 22 janvier 2019, des documents permettant le franchissement des frontières au sein de l’espace Schengen. Nous nous inquiétons donc de savoir si la dématérialisation n’entraînera pas toute une série de difficultés à ces sujets.
Pour toutes ces raisons, il me semble utile de supprimer cet article.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 26 et 250.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er quater CA.
(L’article 1er quater CA est adopté.)
Article 1er quater C
(Non modifié)
Par dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 744-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le bénéfice de l’allocation pour demandeur d’asile est prolongé pour les personnes qui auraient cessé d’y être éligibles à compter du mois de mars 2020. Le bénéfice de cette prolongation de droits prend fin le 31 mai 2020.
Pour celles des personnes mentionnées au premier alinéa du présent article qui se sont vu reconnaître la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, le bénéfice de l’allocation prend fin le 30 juin 2020.
L’autorité compétente conserve la possibilité de mettre fin à ce versement dans les conditions prévues aux articles L. 744-7 et L 744-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Le présent article prolonge le bénéfice de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) pour les personnes étrangères qui auraient cessé d’y être éligibles à compter du mois de mars 2020. Nous ne pouvons que saluer une telle décision, l’ADA permettant à plusieurs milliers de personnes migrantes de recevoir quotidiennement un revenu. Cette somme est souvent la seule qui leur est attribuée et qui leur permet de survivre.
Cet article nous donne par ailleurs l’occasion d’appeler l’attention du Gouvernement sur un problème qui pourrait bientôt se poser aux étrangers bénéficiaires de cette allocation.
En raison de l’obsolescence programmée des cartes de paiement de l’ADA, l’Office français de l’immigration et de l’intégration devra remplacer 60 000 de ces cartes d’ici à la fin du mois d’août. Afin de pouvoir récupérer leur moyen de paiement, les personnes bénéficiant de l’ADA seront donc convoquées prochainement par les directions territoriales de l’OFII. Or, dans certaines régions particulièrement vastes, comme la Bretagne ou la Nouvelle-Aquitaine, les directions territoriales sont peu nombreuses. Il sera donc difficile pour certaines personnes migrantes de récupérer leur carte sans déroger à la limite autorisée de cent kilomètres de déplacement. Par conséquent, nous espérons que le Gouvernement mettra en place un régime dérogatoire, afin de permettre aux demandeurs d’asile de bénéficier de leurs droits, tout en respectant les préconisations gouvernementales en matière de trajet autorisé.
Mme la présidente. L’amendement n° 251, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Pour le Marseillais que je suis, aujourd’hui est une date historique ; c’est une sorte de fête, sinon nationale, du moins communale. Bien sûr, il y a le 14 juillet 1789, mais, pour les Marseillais, le 26 mai 1993, c’est la prise de la Coupe d’Europe, puisqu’on parlait précédemment de football.
M. Jérôme Bascher. Grâce à un beau but de Basile Boli !
M. Stéphane Ravier. Exactement ! Un but marqué à la suite d’un corner d’Abedi Pelé. Bref, le 26 mai est un jour particulier pour nous ; l’Olympique de Marseille et Marseille seront à jamais les premiers et seront toujours les seuls, n’en déplaise aux supporters parisiens…
Revenons à nos débats.
On ne trouve plus d’argent pour nos armées, pour nos hôpitaux, pour les services publics dans nos territoires, mais prolonger le bénéfice de l’allocation pour demandeur d’asile est une évidence que personne, dans cet hémicycle, ne s’autoriserait à remettre en cause ; personne, sauf votre serviteur, bien entendu.
Cet article prolonge la durée du bénéfice des allocations jusqu’au 31 mai 2020 pour les demandeurs d’asile ayant cessé d’y être éligibles au mois de mars 2020 et jusqu’au 30 juin 2020 pour ceux qui bénéficient de l’allocation en qualité de réfugiés ou au titre de la protection subsidiaire. La maîtrise des dépenses coûteuses, et même ruineuses quand il s’agit de l’immigration, est une nécessité impérieuse.
Les mesures dérogatoires en matière de droit d’asile ne font qu’alourdir le coût de la crise et aggraver ses conséquences économiques et sociales. Le rapport de la Cour des comptes du 5 mai dernier, dressant le bilan de l’année 2019, indique que les seuls procédures et dispositifs prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile nous ont coûté 6 570 000 euros. Une étude du CEPII, service de recherches économiques rattaché au Premier ministre, Édouard Philippe, publiée en 2018, a estimé le coût de l’immigration à 1,65 point du PIB annuel sur trente ans, ce qui représente 40 milliards d’euros par an. Et encore, l’étude en question s’arrête en 2011 ; cela fait donc sûrement beaucoup plus…
Au moment où la Commission annonce une chute de 8,2 % de notre PIB, je crois que nous avons trouvé une belle source d’économie structurelle pour éviter la crise, sur le court et le long terme. Cette solution exige des frontières et de l’ordre, mais, pour cela, il faudrait au moins une crise sanitaire grave et deux mois pleins de confinement pour vous retirer vos œillères idéologiques. Tout cela a bien eu lieu, mais rien n’y a fait ; l’autre, toujours l’autre, avant les nôtres…
Malgré tout, je vous demande, mes chers collègues, de montrer que le bon sens reprend ses droits dans cet hémicycle, en votant cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. De quoi parlons-nous ? De la situation des demandeurs d’asile, de personnes étrangères présentes sur notre territoire, qui ont le droit de percevoir une allocation pour demandeur d’asile. Nous parlons de ceux dont la situation, tranchée pendant cette période de confinement, n’a pu avoir de suites du fait, vous l’aurez compris, de la fermeture d’un certain nombre d’administrations.
Ceux à qui a été reconnue la qualité de bénéficiaire du droit d’asile ont droit à une autre allocation, qui prend le relais de l’ADA. Ce que propose le texte qui nous est soumis, au travers de cet article que le présent amendement vise à supprimer, c’est que, dans la mesure où ces personnes ne peuvent pas engager, pour des raisons purement administratives, les démarches nécessaires pour obtenir cette autre allocation, on continue de leur verser l’ADA, car l’allocation devant se substituer à celle-ci n’est pas versée. On prévoit donc, au travers de ce texte, qu’elles puissent continuer de percevoir l’ADA jusqu’à la fin du mois de juin.
Sur le fondement de cet article, ceux qui ont été déboutés du droit d’asile pourraient également continuer de percevoir l’ADA, à laquelle ils n’ont plus droit et alors qu’ils n’ont droit à aucune autre allocation, étant en situation irrégulière. En réalité, ils devraient être expulsés, mais ils ne le seront pas, parce que les reconduites à la frontière n’ont pas encore totalement repris sur notre territoire, même si elles ne se sont pas arrêtées non plus et qu’un certain nombre ont pu avoir lieu.
Nous sommes donc dans une situation dans laquelle des personnes, totalement dépourvues de ressources, se retrouvent en situation irrégulière sur notre territoire, mais ne peuvent pas nécessairement en partir ni être expulsées. Il est donc proposé de leur laisser le bénéfice de cette allocation, qui se situe, en moyenne, à 395 euros par mois par foyer – je précise que cela concerne à peu près 8 000 personnes en France –, jusqu’à la fin du mois de mai, moment auquel on peut espérer que la situation se régularisera, notamment pour ce qui concerne les expulsions.
Soyons pragmatiques. Effectivement, nous nous retrouvons avec des personnes présentes sur le territoire et qui ne devraient pas y être, mais elles le sont pour des raisons de fait, qui tiennent à l’arrêt des déplacements internationaux. Or, si nous ne leur versons pas une somme minimale, ayant besoin de vivre, elles se débrouilleront peut-être par des moyens moins légaux, puisqu’elles ne peuvent pas non plus travailler ; elles travailleraient donc dans des conditions clandestines ou auraient des activités qui ne sont pas licites.
Par conséquent, mes chers collègues, si vous voulez faire preuve de pragmatisme, vous rejetterez l’amendement qui vient de vous être présenté.
Cela dit, je ne vous demande même pas de faire preuve de pragmatisme ; je vous demande, tout simplement, de faire preuve d’humanité, en ne laissant pas en France, sur notre territoire, des gens qui y sont maintenus de fait et qui seraient complètement dépourvus de ressources. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Très bien ! Ça fait du bien d’entendre ça !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Mme la rapporteure a très bien précisé les choses. Je n’allongerai donc pas les débats en détaillant la position du Gouvernement, qui s’appuie globalement sur les mêmes motifs.
Je veux simplement rappeler que les bénéficiaires de l’allocation pour demandeur d’asile, une allocation de subsistance versée sous conditions de ressources, font manifestement partie des personnes en situation de pauvreté bénéficiaires des prestations sociales durant la période d’état d’urgence pour lutter efficacement contre la propagation du virus sans dégrader les conditions de vie des personnes précaires. Les demandeurs d’asile qui auraient dû quitter le lieu d’hébergement mis à leur disposition ont été exceptionnellement autorisés à s’y maintenir, par cohérence avec ces mesures d’accompagnement. Il est nécessaire d’éviter toute rupture du versement de l’ADA, qui constitue, pour ces personnes, l’unique source de revenus, l’unique moyen de subsistance.
En outre, la mesure est proportionnée et ne saurait en aucun cas être considérée comme participant d’un détournement de la procédure d’asile.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.