M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. L’avis de la commission ne saurait être que défavorable sur cet amendement. Nous avons eu à cœur d’inscrire en clair dans le texte, au maximum, le contenu des habilitations qui nous étaient demandées par le Gouvernement. Ne pas revenir sur ce que nous nous sommes imposé : c’est presque une question de principe.
En l’espèce, j’entends bien l’aspect hypothétique de ce que nous avons inscrit dans la loi : nous ne savons pas si, à l’issue de la période de transition, l’autorité binationale de contrôle de la sécurité du tunnel sous la Manche pourra être maintenue, comme il serait souhaitable, car nous ne maîtrisons pas certains éléments, la modification d’une directive européenne notamment.
Cet article permet de poser le principe que, si l’autorité binationale ne peut être maintenue, nous aurons une autorité nationale qui régira la sécurité dans la moitié du tunnel sous la Manche, ce qui n’est pas une solution idéale. Faut-il ne pas l’inscrire parce que c’est hypothétique ? Je ne le crois pas. C’est d’ailleurs le Gouvernement lui-même qui nous en a donné l’idée : l’article L. 2221-1 du code des transports vise une solution tout aussi hypothétique en lien avec le Brexit.
Manifestement, inscrire cette solution hypothétique dans la loi ne posait pas de difficulté lorsque le Gouvernement a pris l’ordonnance du 30 avril 2019 ; cela n’en pose pas davantage aujourd’hui. Je propose que nous soyons fidèles à nous-mêmes, c’est-à-dire que nous maintenions inscrit en clair dans le texte le contenu de cette habilitation.
M. le président. L’amendement n° 81, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Rétablir le II dans la rédaction suivante :
II. – Dans les conditions et aux fins prévues au premier alinéa du I, le Gouvernement est également habilité à prendre par ordonnances toute autre mesure relevant du domaine de la loi nécessaire à la préservation de la situation des ressortissants britanniques résidant en France ou y exerçant une activité, des personnes morales établies au Royaume-Uni ou de droit britannique exerçant une activité en France à la date de la fin de la période de transition, ainsi que, sous la même réserve, des personnes morales établies en France, dont tout ou partie du capital social ou des droits de vote est détenu par les personnes établies au Royaume-Uni.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Cet amendement vise à rétablir une disposition qui a été supprimée par la commission.
Le seul objectif qui sous-tend cette disposition est de protéger les ressortissants britanniques en France et de leur donner la possibilité de poursuivre des activités susceptibles d’être mises à mal à la fin de la période de transition.
Je reprends votre argument, monsieur le sénateur Leconte : il peut y avoir des sujets que nous avons du mal, aujourd’hui, à identifier très précisément ; c’est pourquoi la rédaction proposée est large. Le Gouvernement souhaite, dans l’intérêt des entreprises et des citoyens qui seraient concernés, être en mesure de prendre toutes les dispositions nécessaires pour apporter sans délai une réponse à des situations qui ne sauraient être aujourd’hui toutes identifiées, en particulier parce que s’enchevêtrent le droit des personnes et le droit des entreprises, concernant notamment les professions libérales.
Il ne s’agit en aucun cas d’accorder un blanc-seing au Gouvernement ; comme l’a admis le Conseil d’État dans son avis, notre rédaction répond parfaitement aux exigences de l’article 38 de la Constitution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Madame la secrétaire d’État, vous avez la franchise de nous dire que vous ne savez pas exactement à quoi vous servira cette habilitation, puisque, pour l’heure, nous n’avons pas identifié les problèmes qui pourraient surgir et qui nécessiteraient, selon vous, de prendre des ordonnances. Malheureusement, la rédaction que vous nous proposez n’est pas des plus précises.
L’article 38 de la Constitution autorise le Parlement à se dessaisir de son pouvoir législatif au profit de l’exécutif, mais les demandes d’habilitation à légiférer par ordonnances doivent être circonscrites à des pans du droit définis. Or vous nous indiquez que vous ne savez pas exactement sur quoi porte ce que vous nous demandez. Des exemples sont certes donnés dans l’exposé des motifs, mais rien ne figure dans le texte.
La commission des lois persiste donc à dire que, dans la mesure où elle n’est pas précise, cette demande d’habilitation ne peut être acceptée, car nous ne pouvons pas savoir quels sont exactement les domaines dans lesquels nous transférerions au Gouvernement notre pouvoir de légiférer. Si des demandes plus précises étaient formulées, nous les examinerions d’un œil tout à fait bienveillant.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Par correction envers les personnes qui ont écrit ce texte, je veux souligner que sa finalité est très claire : préserver la situation des ressortissants britanniques résidant en France ou y exerçant une activité, des personnes morales établies au Royaume-Uni ou de droit britannique exerçant une activité en France à la date de la fin de la période de transition, ainsi que, sous la même réserve, des personnes morales établies en France, dont tout ou partie du capital social ou des droits de vote est détenu par des personnes établies au Royaume-Uni.
Le Conseil constitutionnel exige seulement, au regard de l’article 38 de la Constitution, que le Gouvernement indique la finalité et le domaine d’intervention des habilitations demandées, mais aucunement qu’il précise la teneur des ordonnances envisagées. Il ne me semble pas qu’il n’y ait de difficulté à ce que nous cherchions à préserver la situation des ressortissants britanniques qui résident en France ou y exercent une activité selon les conditions que nous avons précisées.
M. Ladislas Poniatowski. Cela n’est pas de votre compétence, mais de celle de Michel Barnier !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je dois dire que j’ai été assez surpris de voir évoquer les droits des citoyens britanniques en France. Jusqu’à présent, en effet, nous avions tous posé comme principe que les droits des citoyens européens au Royaume-Uni et, réciproquement, ceux des citoyens britanniques dans les pays de l’Union étaient traités dans l’accord de retrait. D’ailleurs, pour cette raison, cette question ne figure pas dans l’actuel mandat de négociation de Michel Barnier.
J’ai compris que vous aviez commencé à identifier un certain nombre de nouveaux sujets de négociation, madame la secrétaire d’État. C’est un peu inquiétant : il y a quelques mois, on pensait que cela était réglé… Je partage votre objectif de sécuriser la situation des ressortissants britanniques qui résident ou exercent une activité sur notre territoire, mais, en tant que sénateur représentant les Français de l’étranger, je voudrais que l’on sécurise aussi, réciproquement, la situation des ressortissants français qui résident ou exercent une activité sur le territoire britannique.
Je veux bien que l’on fasse preuve de toute la bonne volonté du monde pour assurer la continuité des droits des ressortissants britanniques, mais j’aimerais aussi que, du côté du Royaume-Uni, il en aille de même s’agissant de nos ressortissants. D’ailleurs, compte tenu de la dévolution, en particulier à l’Écosse, je ne suis pas sûr que la question relève exclusivement de la compétence du Gouvernement britannique.
Je m’inquiète vraiment de voir potentiellement ressurgir des sujets que l’on considérait jusqu’à présent comme ayant été traités dans l’accord de retrait et qui n’entrent pas dans le champ du mandat de négociation de Michel Barnier.
M. le président. L’amendement n° 82, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer le mot :
deux
par le mot :
six
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Il s’agit de rétablir un délai de six mois pour la ratification des ordonnances. Nous considérons qu’un délai de deux mois seulement serait insuffisant pour permettre au Gouvernement et au Parlement de tirer tous les enseignements des débuts de la mise en œuvre des mesures et pour permettre au Gouvernement de proposer au Parlement d’ajuster celles-ci aux besoins dans le cadre de la loi de ratification.
Un tel délai donnerait au Parlement la capacité d’amender les mesures adoptées par le Gouvernement à la lumière de leur mise en œuvre pratique ; eu égard aux incertitudes dans lesquelles cette période et ce sujet nous plongent, il me semble qu’il faut prévoir un délai suffisamment long pour avoir le temps de procéder aux éventuels ajustements nécessaires de manière exhaustive. Vous pouvez naturellement compter sur moi pour revenir aussi souvent que vous le jugerez nécessaire vous présenter les mesures qui auront été prises et vous informer de la manière dont elles auront été mises en œuvre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je crois que nous ne nous comprenons pas sur cet amendement, madame la secrétaire d’État. Il me semble que le délai pendant lequel le Gouvernement peut modifier son texte est purement et simplement le délai d’habilitation. Au-delà, le Gouvernement ne peut plus toucher à son texte. Il y a ensuite un délai de dépôt du projet de loi de ratification. Vous souhaitiez qu’il soit fixé à six mois ; nous l’avons ramené à deux mois, comme tous les autres délais de dépôt d’un projet de loi de ratification prévus dans le reste du texte.
Déposer un projet de loi de ratification dans ce délai est une obligation, mais cela ne signifie pas que le texte devra être examiné dans les deux mois. Son examen peut intervenir plus tard, ou même jamais, d’ailleurs : la plupart du temps, les projets de loi de ratification ne sont jamais soumis au Parlement. (M. Ladislas Poniatowski renchérit.) La seule obligation du Gouvernement est de déposer le projet de loi de ratification dans le délai prescrit. En tout état de cause, si ce texte nous était soumis, nous aurions eu le temps d’étudier les modifications éventuelles à y apporter, l’initiative du Parlement étant requise.
Trois délais différents sont à distinguer. Si vous comptez sur un délai long de dépôt du projet de loi de ratification pour modifier le texte, je pense que vous faites erreur : vous ne pourrez plus le modifier à l’issue du délai d’habilitation.
Avis défavorable, donc, sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai et de manière circonstanciée des mesures règlementaires d’application prises par le Gouvernement dans le cadre des ordonnances prises sur le fondement de la présente loi. Ils sont également informés de manière régulière de leur état de préparation et peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures.
M. le président. L’amendement n° 227, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Les présidents des assemblées, des commissions et des groupes parlementaires disposent des droits et prérogatives exposés dans cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
M. Ladislas Poniatowski. Merci !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. L’amendement est satisfait ; j’en demande le retrait.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Éliane Assassi. Je retire l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 227 est retiré.
Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Article 6
(Supprimé)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de ce texte que d’aucuns qualifiaient de gloubi-boulga. (Sourires.)
Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à André Gattolin, pour explication de vote. (Protestations sur de nombreuses travées.)
M. André Gattolin. Compte tenu de la situation et en guise d’encouragement à trouver un compromis positif avec l’Assemblée nationale, le groupe La République En Marche votera ce texte. (Exclamations ironiques.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Je voudrais remercier les rapporteurs, ainsi que le président Bas, pour sa vigilance et son exigence. Je remercie également tous les sénateurs et sénatrices qui ont pris part à ce débat, dont je salue la qualité.
Monsieur le président, vous avez rappelé le nom d’un gâteau resté célèbre pour ses ingrédients nombreux et son goût assez infâme. (Sourires.) En l’espèce, les ingrédients de ce texte étaient nombreux, certes, mais je crois que nous avons fait du bon travail. Le résultat final est intéressant ; il répond à de très nombreuses questions concrètes qui concernent les demandeurs d’emploi, les salariés, les chefs d’entreprise, les étudiants, les travailleurs saisonniers, les demandeurs d’asile, les Français de l’étranger, etc.
Le Gouvernement a tenu sa promesse d’inscrire avec vous dans le texte le contenu d’un maximum des quarante habilitations à légiférer par ordonnance initialement prévues. Il reste ainsi moins de dix demandes d’habilitation.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est encore trop !
M. Marc Fesneau, ministre. Peut-être, mais celles qui restent me paraissent justifiées.
Je vous remercie pour la qualité de nos travaux, ainsi que pour l’exigence et la bienveillance qui ont été les vôtres tout au long de ces débats. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe Les Républicains.)
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 2 juin 2020 :
À quatorze heures trente et le soir :
Proposition de loi tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure, présentée par MM. Jean-François Husson, Vincent Segouin, Mme Catherine Dumas et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 460, 2019-2020) ;
Proposition de loi tendant à sécuriser l’établissement des procurations électorales, présentée par M. Cédric Perrin (texte de la commission n° 468, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 29 mai 2020, à trois heures quarante.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication