Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je veux d’abord rendre hommage, en quelques mots, aux militantes féministes, à ces activistes, à ces femmes souvent raillées, moquées, caricaturées dans l’histoire de notre société, mais sans qui l’on ne parlerait probablement toujours pas des violences conjugales, sans qui l’on considérerait toujours qu’il s’agit là d’une affaire privée et en aucun cas d’un sujet politique. Il faut leur rendre hommage, parce que nous n’en avons pas encore fini avec la compréhension collective du phénomène et avec l’action publique contre les violences intrafamiliales, contre les violences faites aux femmes et aux enfants.
Il n’y a aucun suspens, le groupe socialiste votera ces quelques articles, car ce ne sont que des articles, non réellement une loi. Certes, cette manière de construire la loi est ancienne. La première loi sur les violences faites aux femmes doit dater de 1992 – il s’agit du texte reconnaissant le meurtre sur conjoint comme une circonstance aggravante – et l’on peut considérer ce texte comme la première loi prenant en compte des violences intrafamiliales et conjugales. Mais quand on retrace l’histoire des lois sanctionnant et prévenant les violences faites aux femmes, on n’observe pas de grande loi, ce n’est qu’une addition répétée de nouveaux articles, glissés dans un texte ou dans un autre, car, chaque fois, le Parlement ou une ministre veut insérer une disposition supplémentaire. Cela produit ainsi un édifice juridique qui est loin d’être parfait.
Malheureusement, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne rompt pas avec ce mode de construction et, surtout, elle n’achève pas le processus. Il y aura encore d’autres lois visant à prévenir et à réprimer les violences faites aux femmes.
Je regrette pour ma part deux choses.
En premier lieu, ce mode de construction législative sépare, segmente les différentes dimensions de la condition des femmes.
Puisque le sujet avait été déclaré grande cause du quinquennat, puisque la société s’est mobilisée comme jamais, grâce à #MeToo et, surtout, aux médias, qui, reconnaissons-le, ont réalisé un travail inédit pour porter la question sur la scène publique, nous aurions aimé une grande loi contre les violences faites aux femmes.
Cette grande loi aurait englobé la question des violences économiques. Je ne parle pas des progrès que vous avez permis concernant l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa), dont je déplore par ailleurs que vous ayez accepté le report de six mois de la mise en œuvre, ce qui prouve que les femmes sont les premières victimes non seulement du confinement en général, mais aussi du confinement des administrations.
Cette grande loi aurait également inclus le sujet des violences sexuelles, des droits sexuels et reproductifs. Quand on oppose un refus systématique à l’allongement de deux semaines des délais d’IVG, comme vous l’avez fait pendant ces deux mois, on accroît les violences faites aux femmes. Ne pas permettre aux femmes d’avorter est une violence qui leur est faite et que le Gouvernement, sûr de lui, a assumée, tout en venant régulièrement devant le Parlement défendre des textes…
Nous aurions également bien besoin d’une loi antisexiste.
Bref, nous aurions aimé une vraie loi permettant de transformer la condition des femmes, en comptant non pas uniquement sur la société et sa mobilisation, mais aussi sur l’appui des politiques et des pouvoirs publics.
Que la dimension extrêmement mortifère, pour les femmes, des violences consécutives aux séparations ne soit toujours pas suffisamment prise en compte me fait dire que nous y reviendrons probablement.
En fait, en second lieu, ce texte ne rompt pas avec une coutume de la chancellerie, qui consiste à penser qu’il ne faut pas se mêler de l’office du juge. Or, plus on laisse le juge libre, en particulier en matière de justice civile et de justice familiale, plus on multiplie les occasions que la séparation soit une occasion de violence pour les femmes.
Nous présenterons des amendements tout à l’heure, qui viseront non pas à tenir la main du juge, mais simplement à indiquer les matières que le juge doit traiter à chaque fois et les questions qu’il doit se poser avant de rendre une ordonnance – de protection ou de divorce.
Vous nous répondrez probablement qu’il faut laisser le juge libre. Or « le juge » n’existe pas dans la vraie vie : c’est un concept d’étudiants en droit. Dans la vraie vie, il y a des quantités de juges et des femmes maltraitées par la justice civile ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est le deuxième vecteur législatif issu du Grenelle contre les violences conjugales, dont les conclusions ont été rendues publiques le 25 novembre dernier.
La méthode et le calendrier sont contestables, puisque nous voilà réunis pour examiner un nouveau texte quelques mois seulement après l’adoption de la proposition de loi de notre collègue de l’Assemblée nationale, Aurélien Pradié, et que nous avons eu peu de temps pour l’étudier.
Cependant, il faut en souligner les avancées, malgré un arsenal juridique déjà très complet. En particulier, on peut évoquer le chapitre III, relatif aux exceptions d’indignité en cas de violences intrafamiliales, qui prévoit d’élargir le champ d’application des exceptions d’indignité en matière d’obligation alimentaire et de succession en cas de condamnation pénale. Très concrètement, l’objectif est d’éviter que des enfants dont le père aurait tué la mère ne soient légalement tenus de subvenir aux besoins de leur père au titre de l’obligation alimentaire, ce qui, sur le plan moral, nous semble, bien entendu, difficile à admettre. Cette disposition est fondamentale, puisqu’elle permet, je le crois, de renouer avec la tradition du code civil, dont l’esprit est de moraliser les comportements à travers la règle.
Les précisions apportées en la matière par la commission des lois du Sénat sont bienvenues. J’y souscris. Ainsi, plutôt que de faire de la décharge de l’obligation alimentaire un automatisme, il semble plus judicieux de faire confiance à l’appréciation du juge.
Il en va de même pour la possibilité désormais accordée au tribunal judiciaire de déclarer indigne de succéder une personne condamnée pour avoir commis des violences graves sur le défunt. Je salue, à cet égard, la proposition de la commission des lois d’aller plus loin sur la question, en permettant le prononcé de l’indignité successorale, quand bien même le conjoint aurait seulement été condamné à une peine correctionnelle ou serait décédé avant que l’action publique ait pu être engagée.
Néanmoins, les dispositions relatives à la protection de l’enfance sont pour le moins limitées.
Si la possibilité de suspendre le droit de visite et d’hébergement dans le cadre d’un contrôle judiciaire apparaît comme une mesure purement technique, elle vient, en réalité, combler une lacune et se révélera essentielle en pratique.
En revanche, le chapitre VIII, qui porte expressément sur la protection des mineurs, contient seulement trois articles, hétérogènes et de portée limitée. À titre d’exemple, l’article 11, qui vise à protéger les mineurs contre les messages pornographiques, aura, en l’état, peu d’influence sur le droit en vigueur. Quant à l’article 11 bis, qui incrimine le fait, pour des Français établis sur le territoire national, d’obtenir des vidéos de crimes, notamment d’abus sexuels, commis à l’étranger, il semble assez éloigné de l’objet de cette proposition de loi et met une nouvelle fois en évidence un manque de cohésion globale de la politique de protection des victimes de violences sexuelles.
Notre objectif commun demeure la protection des femmes et des mineurs face aux violences perpétrées au sein de la famille.
À ce stade, il semble opportun de s’interroger sur la pertinence future de l’outil législatif pour endiguer ce mal, dans la mesure où la législation française apparaît désormais comme relativement complète. Une véritable prise de conscience sociétale était nécessaire. Je veux croire qu’elle est en train de s’opérer. Personne ne doit plus jamais fermer les yeux face à une situation de violence, même si cette dernière prend place dans l’intimité du cercle familial.
Le confinement que nous venons tous de subir nous permet de comprendre encore mieux le vécu des victimes qui vivent à longueur de journée avec un agresseur et « la camisole de force de l’emprise psychologique », selon les mots du magistrat Luc Frémiot. Cette notion d’emprise entre dans la loi.
Je tiens à saluer le travail considérable des associations, des professionnels du droit, du personnel médical, des partenaires privés et de tous ceux qui sont en première ligne pour concourir à la lutte contre les violences intrafamiliales et permettre ce changement profond. Je veux également saluer la délégation aux droits des femmes, qui nous permet d’auditionner régulièrement ces acteurs décisifs et de faire avancer notre réflexion et notre travail de législateur.
Pour conclure, je remercie notre rapporteur, Marie Mercier, de la qualité de son travail, de son engagement et de l’humanisme dont elle a fait preuve, à chaque reprise, sur ce sujet particulièrement sensible, comme sur d’autres d’ailleurs.
Lorsque l’on traite de ces questions douloureuses, nous considérons que tout texte qui concourt à une amélioration de la situation est un progrès. Je ne doute donc pas qu’un nombre significatif des membres du groupe Les Républicains, auquel j’appartiens, votera cette proposition de loi, telle qu’amendée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, puisque la discussion générale touche à sa fin, je ne reviendrai pas sur les brutalités glaçantes et effroyables que subissent les victimes de violences conjugales. Pour les réduire, améliorer la loi a son importance.
Je veux à mon tour rappeler le travail qu’a déjà entrepris notre collègue Aurélien Pradié. Il a permis des avancées significatives, notamment en réduisant le délai de délivrance des ordonnances de protection et en élargissant le recours au téléphone grave danger.
Je salue, bien sûr, la volonté des députés de la majorité de s’inscrire dans cette démarche, via la proposition de loi que nous examinons cet après-midi.
Pour autant, comme beaucoup, je partage la remarque de notre rapporteur, Marie Mercier, lorsqu’elle regrette que, en l’espace de quelques mois, nous ayons eu à délibérer sur deux textes portant sur le même sujet, comme je fais mienne, après d’autres, son interrogation sur la pertinence de l’outil législatif pour endiguer un tel fléau.
Appelée de longue date, la levée du secret médical pour les médecins est une avancée significative du texte. Celui-ci apportera également des progrès en matière de prévention, d’accueil, de suivi, de protection, où beaucoup reste à construire.
Après la loi Pradié, il fallait que la majorité laisse sa marque législative. C’est fait – elle sera faible.
Mais la loi ne réglera pas tout. Faciliter le travail des associations en l’inscrivant dans le temps, mieux former la police et la gendarmerie au repérage et à l’accueil, améliorer la réactivité de la justice, mieux coordonner l’action de tous quand il s’agit de prendre en charge la victime, de la protéger, de la loger et de l’éloigner : les enjeux sont multiples.
Je veux, sur toutes ces problématiques, saluer les travaux de notre délégation aux droits des femmes, sous la houlette de sa présidente, Annick Billon. Depuis plusieurs mois, nous avons décidé d’aller dans nos départements, à la rencontre des associations engagées auprès des victimes.
Je l’ai fait dans les Pyrénées-Atlantiques. Je dois dire que j’ai découvert des hommes et des femmes solidement engagés pour apporter aux victimes soutien psychologique, juridique et matériel. J’ai découvert un dynamisme réconfortant, mais également une fragilité des structures inquiétante.
Premièrement, celles-ci doivent chaque année courir le même marathon pour négocier les subventions, mobilisant de l’énergie et du temps à des fins moins évidentes que l’assistance aux victimes.
Deuxièmement, leur financement relève non pas d’un seul ministère, d’une seule direction départementale ou régionale, mais de plusieurs – justice, solidarité, intérieur, logement –, chacun avec son mode de fonctionnement, ses contraintes, son calendrier, voire ses remises en question, qui peuvent interrompre brutalement, ici, une permanence territoriale éloignée, ou, là, un accompagnement pourtant apprécié et salué. Que de temps passé en démarches ! Que d’instabilité, là où il faudrait davantage de moyens, certes, mais surtout de stabilité et de lisibilité dans la durée pour faire grandir les actions de protection en nombre et en qualité…
Troisièmement, ces structures sont souvent contraintes de fonctionner en silo, chacune dans leur domaine, sur leur secteur, alors que le développement de synergies serait une véritable chance pour apporter aux victimes tout le soutien nécessaire.
En effet, ce type de violences est spécifique. Il exige des pouvoirs publics une protection et une prise en charge permanentes et toujours personnalisées. Le nombre de décès pour cause de violences conjugales qui surviennent alors que la victime s’était signalée nous oblige à rechercher une perpétuelle amélioration. Celle-ci passe non pas uniquement par la loi, mais par des moyens mieux coordonnés et des procédures simplifiées.
À ce titre, les collectivités territoriales, par leur proximité, devraient, à mon sens, jouer un rôle plus important. J’en forme le vœu.
Pour autant, malgré sa faiblesse et parce qu’elle est dans le prolongement de la proposition de loi, issue de notre famille politique, entrée en vigueur à l’hiver dernier, le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je remercie les orateurs de leurs observations et de leurs propositions. J’ai notamment entendu ce qui a été dit sur la formation des policiers et des magistrats, qui est déjà à l’œuvre avec beaucoup de volontarisme.
Je veux simplement évoquer un point qu’a soulevé Mme de la Gontrie, à propos du décret publié le 28 mai dernier, dont l’objet était d’assurer la mise en œuvre des ordonnances de protection dans le cadre de la loi Pradié.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous rappelle que, depuis la loi du 28 décembre dernier, vous avez décidé que ces ordonnances de protection devaient être délivrées dans un délai de six jours. Le Gouvernement, évidemment, applique la loi.
Notre objectif premier – vous le savez, madame de la Gontrie – est bien entendu de multiplier la délivrance des ordonnances de protection, parce que nous considérons que cet outil juridique peut être extrêmement protecteur pour les femmes. Nous avons donc pris un texte pour assurer que ces ordonnances de protection puissent effectivement être délivrées dans les six jours à compter de la fixation de la date de l’audience. Dans ce délai de six jours, nous devons également assurer le respect du principe du contradictoire et donner au défendeur la possibilité de faire valoir ses droits. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place un délai de vingt-quatre heures pour informer le défendeur.
Je veux être très claire avec vous : dès demain, la haute fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes de mon ministère réunira des professionnels. Elle réunira également les associations concernées. En outre, comme je l’ai dit, je mets en place un comité de pilotage, de suivi des ordonnances de protection.
Je n’aurai aucune difficulté à prendre en compte les suggestions qui pourraient m’être formulées et les rectifications qui apparaîtraient nécessaires. Bien évidemment, si celles-ci semblent judicieuses et respectent le principe du contradictoire, je rectifierai le texte rapidement et sans hésitation. Mon seul souci est l’effectivité de la délivrance des ordonnances de protection.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales
Chapitre Ier
Dispositions relatives à l’exercice de l’autorité parentale en cas de violences conjugales
Articles additionnels avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 31, présenté par Mme de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Meunier, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport portant sur les moyens des politiques publiques de lutte contre les violences conjugales.
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Madame la ministre, vous l’avez entendu, il a à plusieurs reprises été question des moyens, sur les différentes travées de cet hémicycle, lors de la discussion générale. La lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales nécessite des moyens à la hauteur des ambitions affichées.
Les dispositions de la présente proposition de loi ne seront efficaces que si le Gouvernement renforce de manière importante les moyens de la justice et des associations intervenant dans le domaine des violences conjugales.
Les moyens et les modalités d’intervention de la police et de la formation de l’ensemble des professionnels de la justice, de la police, des services sociaux, médicaux et de l’hébergement devront être évalués.
Par ailleurs, cette lutte ne sera efficace qu’avec une information massive sur les outils mis à la disposition des victimes.
L’objet du présent amendement est donc d’assurer une bonne information des parlementaires sur les moyens consacrés par le Gouvernement aux politiques de lutte contre les violences conjugales.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à demander au Gouvernement la remise d’un rapport sur les moyens des politiques publiques de lutte contre les violences conjugales. Vous savez combien la commission est, par principe, réservée sur les demandes de rapport.
En l’espèce, il semble que beaucoup d’informations sont déjà disponibles, le sujet des violences conjugales ayant été largement débattu ces derniers mois.
Par ailleurs, il s’agit d’un sujet dont le Parlement pourrait se saisir, par exemple, par le biais de la délégation aux droits des femmes, ce qui serait plus profitable que de demander au Gouvernement d’évaluer sa propre politique.
Au-delà de cette demande de rapport, je sais que notre collègue souhaite, par ce biais, évoquer la question des moyens, qui n’est pas facile à aborder directement compte tenu de l’application de l’article 40 de la Constitution. Il s’agit bien sûr d’une question majeure : l’accueil des victimes, la prise en charge des auteurs, le soutien au milieu associatif, les solutions d’hébergement sont des priorités qui nécessitent des moyens à la hauteur.
Par conséquent, la commission est défavorable à l’amendement lui-même, mais reconnaît une convergence de vues sur le message que nos collègues souhaitent faire passer à l’occasion de ce débat.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis que Mme la rapporteure : défavorable.
Ma collègue Marlène Schiappa dresse chaque année des bilans de la politique qui est conduite. Comme il s’agit d’un travail interministériel, on y trouve l’ensemble des éléments d’information nécessaires.
Mme la présidente. L’amendement n° 32, présenté par Mme de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Meunier, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa de l’article 15-3 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les cas de violences conjugales, l’inscription au registre de main courante ne peut se substituer au dépôt de plainte. »
La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Cet amendement vise à défendre le principe de la plainte, par opposition à celui de l’inscription dans le registre des mains courantes.
En effet, nous savons tous combien il peut être difficile pour une femme de se résoudre à se rendre au commissariat ou dans une gendarmerie pour prendre à témoin les policiers ou gendarmes de la situation familiale qui est la sienne. Or, bien souvent, cette démarche se traduit par une inscription dans le registre des mains courantes, qui, en fait, n’a aucun effet.
Nous demandons donc, par cet amendement, que l’inscription à ce registre ne puisse se substituer au dépôt de plainte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Nous avons déjà examiné cet amendement lors de l’examen de la loi Pradié et nous l’avions rejeté, pour la raison très simple que l’article 15-3 du code de procédure pénale prévoit déjà que « les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions à la loi pénale ».
L’adoption de cet amendement n’est donc pas utile et pourrait même créer un risque d’interprétation a contrario, en donnant l’impression que, pour d’autres infractions, une main courante pourrait se substituer au dépôt de plainte, ce qui serait contre-productif.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il faut tout de même être lucide : s’il n’y a qu’une main courante et pas de plainte, les parquets n’ont aucune chance d’être informés et il n’y a absolument aucune poursuite. Les choses sont extrêmement claires.
Nous sommes tous en train d’affirmer que nous voulons lutter contre les violences conjugales – j’imagine que nous le répéterons tout au long du débat. Mais, si nous ne disons pas avec force que la femme qui fait la démarche, qui est déjà considérable, d’aller dans un commissariat ou une gendarmerie pour signaler la difficulté qu’elle vit doit déposer une plainte, et non une simple main courante, qui ne produit rien d’un point de vue juridique, nous aurons, je pense, raté l’entrée dans la procédure pour ces femmes.
Certes, comme Mme la rapporteure l’a rappelé, nous avons déjà eu cet échange voilà quelques mois, mais je ne le regrette pas, car le décret montre, rétrospectivement, que cet échange était fondé. C’est la raison pour laquelle je me permets d’y insister : il est important de consacrer le dépôt de plainte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. J’entends bien les arguments de Mme la rapporteure, que partage probablement le Gouvernement : ils consistent à dire qu’il n’est pas utile de prévoir ce qui est déjà inscrit dans la loi… Sauf que, si la loi était appliquée, nous ne serions pas en train d’en parler ! Nous ne cherchons pas à inventer des amendements à tout prix, juste pour le plaisir d’être ensemble…
Comme vous en avez probablement été témoin, madame la rapporteure – et même vous, madame la garde des sceaux –, de nombreuses femmes sont venues nous expliquer que, lorsqu’elles ont voulu déposer plainte, on leur a proposé de faire une main courante. Ignorant le code de procédure pénale, les malheureuses ont cru, en faisant une main courante, déposer une plainte et se sont étonnées, ensuite, qu’il ne se passe rien, du moins sur le plan judiciaire – il s’est souvent passé encore beaucoup de choses dans leur vie…
Si nous éprouvons le besoin de le répéter, c’est parce que nous sommes désarmés devant la résistance d’un certain nombre de services de police ou de gendarmerie, qui continuent de penser que la main courante est suffisante en cas de violences conjugales. Nous tenons à ce que cela soit répété.
Que l’on ne vienne pas nous expliquer que l’on va former les policiers et les gendarmes… Voilà des années qu’on le fait. Visiblement, tous ne sont pas assidus aux formations !
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Oui, il est clair que la plainte doit être la règle.
Je peux témoigner que, dans le département de l’Yonne, après que le colonel de gendarmerie a instauré que la plainte serait la règle, le nombre de plaintes a augmenté. Nous nous retrouvons d’ailleurs désormais malheureusement très bien placés en nombre de délits et de violences conjugales, ce qui prouve bien que le dépôt de plainte était moins fréquent lorsque le colonel de gendarmerie n’avait pas décidé qu’il serait systématique.
Le dépôt de plainte ne doit pas dépendre de la décision d’un colonel. C’est pourquoi je voterai cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Au fond, nous avons, avec la plainte et la main courante, une diversité de solutions offertes à la victime. Au reste, si un acte grave était signalé, la main courante n’interdit évidemment pas le déclenchement d’une enquête et le signalement auprès du parquet.
Il me semble que, psychologiquement, il peut être utile que les victimes aient à leur disposition plusieurs degrés d’actions.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Je voterai bien entendu cet amendement. La différence de degré entre dépôt de plainte et main courante me pose problème : toutes les violences sont graves, et toutes méritent un dépôt de plainte.
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Je comprends vraiment ce que vous ressentez. Nous vivons ces situations dans nos territoires. L’exemple que Dominique Vérien a donné est très probant. Ce problème est réel, mais je ne crois pas que la solution réside dans une nouvelle mesure législative, car l’obligation de recevoir les plaintes est déjà inscrite dans la loi.
Comme l’a souligné Mme Rossignol, la clé pour faire évoluer les pratiques se trouve dans la formation des policiers et des gendarmes, à l’instar de ce qui s’est passé avec le colonel de gendarmerie auquel Dominique Vérien faisait allusion. Faisons en sorte que tous les colonels de gendarmerie de tous nos départements prennent en main cette disposition. Il ne servira à rien d’empêcher le dépôt de mains courantes puisque, je le répète, l’obligation de recevoir les plaintes existe déjà. Mieux vaut en rester là et faire en sorte que la loi soit appliquée.