Mme la présidente. L’amendement n° 27 rectifié, présenté par Mmes Rossignol et Préville, M. Daudigny, Mmes Meunier, Conconne, Féret et Blondin, M. Devinaz, Mmes Tocqueville et Jasmin et MM. Tourenne, P. Joly et Tissot, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 227-5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La poursuite du délit mentionné au présent article comprend obligatoirement l’audition du ou des enfants capables de discernement, le cas échéant assistés d’un avocat. »
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement tend à prévoir, dans le cas où vous n’accepteriez pas d’abroger le délit de non-représentation d’enfant, comme vous avez refusé tout à l’heure de supprimer la citation directe, l’audition obligatoire du ou des enfants capables de discernement, le cas échéant assistés d’un avocat, dans les cas de délit de non-représentation d’enfant.
Et que l’on ne me dise pas que cette disposition est déjà prévue par la loi, que mon amendement est redondant ou qu’il est déjà satisfait, car ce n’est pas le cas ! Le juge n’entend pas systématiquement l’enfant lorsqu’il condamne la mère pour non-représentation d’enfant.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Certes, il peut y avoir des abus, mais, si l’on abroge le délit de non-représentation d’enfant, il ne sera plus possible de sanctionner les parents qui refusent d’appliquer les décisions du juge aux affaires familiales. Cela poserait de gros problèmes pratiques !
Ainsi, un père qui déciderait de soustraire l’enfant ne pourrait plus être sanctionné, et le parent lésé n’aurait plus de voie de recours. Ce ne serait pas acceptable. J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 26 rectifié.
L’amendement n° 27 rectifié tend à rendre obligatoire l’audition du mineur dans les affaires de non-représentation d’enfant. Il faut savoir qu’une audition peut être une épreuve pour un mineur et qu’il n’est pas forcément dans son intérêt de la rendre obligatoire.
Mme Laurence Rossignol. Et lors de la séparation ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. J’émets donc également un avis défavorable sur l’amendement n° 27 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je suis sensible à votre amendement, madame la sénatrice, les droits de visite et d’hébergement étant très souvent des sources de tensions ou de violences physiques ou psychologiques. Vous l’avez très bien expliqué, je n’y reviens pas.
En revanche, supprimer le délit de non-représentation d’enfant me semble excessif. Dans un certain nombre de cas, nous l’avons bien vu, la non-représentation d’enfant est extrêmement douloureuse pour le parent qui a légitimement le droit de voir son enfant. Le ministère de la justice traite de nombreux cas d’enlèvements internationaux d’enfants ; nous savons à quel point de telles situations sont douloureuses. Il me semble donc indispensable de conserver ce délit, autrement dit cette pénalisation d’un comportement inacceptable.
Je vous rappelle par ailleurs que, juridiquement, on ne peut pas poursuivre du chef de non-représentation d’enfant la personne qui agirait en état de nécessité. La jurisprudence admet que, lorsqu’il existe un danger actuel ou imminent pour l’enfant, la personne qui ne le remet pas ne sera pas pénalement responsable du délit de non-représentation d’enfant.
En outre, si l’intérêt de l’enfant est de ne pas voir l’un ou l’autre de ses parents, il appartient au juge aux affaires familiales, dans le cadre des compétences dont il dispose, de rendre une décision modifiant les modalités du droit de visite et d’hébergement.
Telles sont les raisons pour lesquelles je ne suis pas favorable à la suppression de ce délit.
Enfin, je pense, comme Mme la rapporteure, qu’en systématisant l’audition de l’enfant, au lieu de la laisser à l’appréciation du juge chargé de se prononcer, on peut placer l’enfant face à un conflit de loyauté, lequel, en fonction de son âge, pourra être difficile à dépasser.
J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.
Mme Muriel Jourda. Je ne puis que m’associer aux propos qui ont été tenus par Mme le rapporteur et par Mme la garde des sceaux. Le sujet que soulève notre collègue Laurence Rossignol est extrêmement sensible, c’est vrai, mais, une fois encore, il est un peu plus complexe et protéiforme que ce qui est indiqué dans l’objet de l’amendement.
Bien sûr, il arrive que des hommes se servent de ce délit pour se venger de leur ex-épouse ou ex-compagne et qu’ils essaient de la faire condamner par cette voie-là. C’est une réalité qui est effectivement décrite, mais toutes les affaires de non-représentation n’entrent pas dans cette catégorie.
Si ce sont majoritairement des femmes qui sont condamnées, c’est parce que ce sont le plus souvent elles qui se voient confier la résidence des enfants. Il est donc numériquement et mathématiquement assez normal qu’elles soient plus condamnées pour ce délit. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles soient discriminées à cet égard.
Vous avez ensuite évoqué le cas des adolescents qui ne veulent plus se rendre chez un parent, parfois parce que ce dernier a refait sa vie, cette situation étant souvent compliquée pour les adolescents. La plupart du temps, les adolescents ont la possibilité de rencontrer leur père par libre accord, ce qui signifie qu’ils n’y sont pas obligés. Si quelqu’un sait comment obliger un adolescent à faire ce qu’il n’a pas envie de faire, qu’il écrive un livre, il fera fortune ! (Sourires.) Dans la plupart des cas, le juge ne contraint pas les adolescents.
Par ailleurs, il n’y a pas que les hommes qui se vengent de cette façon. C’est aussi le cas de femmes, qui font en sorte que leurs enfants n’aillent plus chez leur père. Dans ces situations complexes, les hommes doivent trouver une réponse adaptée. Le délit de non-représentation d’enfant en est parfois une.
De manière générale, la complexité de ces situations est appréhendée par le juge. Faut-il ou non entendre un enfant ? Lorsqu’un enfant a déjà été entendu par le juge aux affaires familiales, par un psychologue, voire par un juge des enfants, il peut lui être insupportable de l’être de nouveau, car il est épuisé par l’ensemble de ces auditions. En outre, un enfant n’a tout simplement parfois pas envie de donner son avis, car il lui est pénible de devoir faire un choix. De nombreux enfants sont ainsi soulagés qu’un juge puisse trancher.
Il appartient à un magistrat d’apprécier l’ensemble des éléments d’un dossier, d’évaluer la bonne volonté de chacun et le bien-fondé des comportements et d’estimer s’il est fait un usage inapproprié et détourné d’une procédure.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. Mon explication de vote portera sur l’amendement n° 27 rectifié, qui tend à prévoir l’audition de l’enfant dans les affaires de non-représentation d’enfant.
Je ne vois pas en quoi cette audition poserait problème. Vous savez comme moi que les adolescents n’ont pas peur de dire les choses à l’un ou l’autre de leurs parents. Je pense qu’un enfant est tout à fait capable de dire s’il veut ou non continuer à rendre visite à son parent de façon régulière. Une audition serait plutôt positive, comme cela se pratique lors des séparations ou des divorces.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Ce sujet est extrêmement sensible, et je comprends les motivations de notre collègue Laurence Rossignol. Cela étant, il faut être très prudent dans les affaires de non-représentation, du fait précisément de leur caractère sensible.
Je rappelle ici, comme Mme la rapporteure, que, pour qu’un délit de non-représentation d’enfant soit constitué, une décision du juge aux affaires familiales est nécessaire au préalable. Tout parent peut saisir le juge aux affaires familiales pour modifier la décision initialement prise s’agissant du droit de visite ou d’hébergement ou de l’autorité parentale. Il faut éviter d’encourager un parent à se faire justice lui-même en commettant un délit de non-représentation d’enfant.
Ensuite, cela a été rappelé, qui dit délit dit procès pénal et enquête préalable. Même en cas de citation directe, une audience contradictoire est organisée, avec intervention du ministère public, qui représente la société. Cette procédure contradictoire garantit le respect des droits des uns et des autres, sachant en outre qu’un recours est possible si la décision de première instance n’est pas satisfaisante.
Ces garanties me paraissant suffisantes, il ne me semble pas nécessaire de toucher au délit de non-représentation d’enfant. À titre personnel, je m’oppose donc à ces amendements, non pas parce qu’ils ne sont pas dignes d’intérêt, mais parce qu’il faudrait au moins réaliser une étude d’impact au préalable.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il faudrait même un projet de loi !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Madame la rapporteure, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j’entends que la suppression du délit de non-représentation d’enfant pourrait avoir des effets pervers, car les véritables délits de cette nature ne pourraient effectivement plus être sanctionnés, mais ces cas sont désormais minoritaires.
Il faut toujours tenir compte, quand on se réfère à un article du code pénal, de l’époque à laquelle il a été écrit, surtout dans le domaine du droit de la famille, compte tenu de l’évolution des familles, des couples et des parents. Aujourd’hui, on pourrait utiliser l’article 227-7 du code pénal, qui prévoit le délit de soustraction d’enfant mineur.
Je comprends qu’il soit difficile de supprimer un article du code pénal au détour de cette discussion. Toutefois, les amendements que nous proposons, qu’il s’agisse de celui qui vise à exclure la citation directe ou de celui qui tend à prévoir l’audition de l’enfant, me paraissent être de nature à régler en partie, au moment où je vous parle, le problème que vous admettez tous avoir appréhendé aujourd’hui.
Je suis étonnée de ce qui se dit sur l’audition des enfants. Heureusement qu’Adrien Taquet est parti, car il aurait passé un moment difficile s’il avait entendu les discours terriblement régressifs qui ont été tenus sur la parole de l’enfant !
Épargner aux enfants l’audition par un juge n’est pas la bonne façon d’appréhender leur intérêt dans les conflits familiaux. Je pense au contraire qu’il est important qu’un juge aux affaires familiales, qui sait y faire, puisse auditionner l’enfant et prendre en compte sa parole, en la présence systématique d’un avocat. C’est ainsi que pourra être pris en compte son intérêt de l’enfant dans un conflit.
Je vous en prie, n’usons pas de l’argument selon lequel l’audition serait traumatisante pour l’enfant. Je vais vous dire une chose : selon moi, la condamnation d’une mère pour non-représentation d’enfant, alors que c’est l’enfant qui refuse de se rendre chez son père, est bien plus déstabilisante, culpabilisante et source de difficultés pour l’enfant que l’audition par un juge !
Mme Laurence Cohen. C’est vrai !
Mme la présidente. L’amendement n° 37, présenté par Mmes de la Gontrie et Rossignol, M. Jacques Bigot, Mmes Meunier, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La victime présumée de violences est informée de chaque étape de la procédure en suite de son signalement aux autorités compétentes.
Elle est informée le cas échéant des modifications du régime de détention ou du contrôle judiciaire de l’auteur présumé.
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Le premier alinéa de cet amendement vise à prévoir l’information de la victime à toutes les étapes de la procédure à la suite du signalement qu’elle a effectué.
Aujourd’hui, on le sait, après le dépôt de plainte dans un commissariat, c’est le trou noir. La victime peut chercher des informations, mais de là à les obtenir, c’est une autre affaire ! Lorsqu’une information judiciaire est ouverte, le juge d’instruction a l’obligation de la tenir informée tous les six mois, mais on est loin d’une bonne information de la victime.
Le second alinéa de l’amendement tend à prévoir que les modifications du régime de détention ou du contrôle judiciaire de l’auteur présumé seront portées à la connaissance de la victime.
Chacun en comprend évidemment l’intérêt. Dès lors que l’auteur des faits est placé sous contrôle judiciaire, voire en détention, c’est que la situation est grave. Il importe donc que la victime soit informée de toute modification du contrôle judiciaire ou de la détention, notamment si l’auteur des violences est libéré par exemple. C’est très important pour les victimes, qui peuvent ainsi retrouver un peu de sérénité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement tend à prévoir une obligation générale d’information de la victime à toutes les étapes de la procédure pénale.
Or de multiples articles du code de procédure pénale prévoient déjà une information de la victime : je pense à l’article 10-2 au début de la procédure, mais aussi aux articles 712-16 et suivants, qui portent sur l’étape cruciale de la libération, ou encore à l’article 745 sur le sursis avec mise à l’épreuve.
D’une manière générale, il découle du caractère contradictoire de la procédure une information de la victime à différentes étapes.
Il me semble donc que les règles en vigueur répondent largement aux préoccupations des auteurs de cet amendement, dont je demande donc le retrait. À défaut, j’émettrais un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame de la Gontrie, l’amendement n° 37 est-il maintenu ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Oui, je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 37.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Chapitre II
Dispositions relatives à la médiation en cas de violences conjugales
Section 1
Dispositions relatives à la médiation familiale
Article 4
(Non modifié)
Le livre Ier du code civil est ainsi modifié :
1° L’article 255 est ainsi modifié :
a) Au 1°, après le mot : « médiation », sont insérés les mots : « , sauf si des violences sont alléguées par l’un des époux sur l’autre époux ou sur l’enfant, ou sauf emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint » ;
b) Au 2°, après le mot : « époux », sont insérés les mots : « , sauf si des violences sont alléguées par l’un des époux sur l’autre époux ou sur l’enfant, ou sauf emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint » ;
2° L’article 373-2-10 est ainsi modifié :
a) Au deuxième alinéa, après le mot : « médiation », il est inséré le signe : « , » et, après le mot : « enfant », sont insérés les mots : « ou sauf emprise manifeste de l’un des parents sur l’autre parent, » ;
b) Au dernier alinéa, après le mot : « enfant », sont insérés les mots : « ou sauf emprise manifeste de l’un des parents sur l’autre parent ».
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la délégation.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. La proposition de loi fait entrer l’emprise dans le code civil, ce qui ne peut que contribuer à une meilleure approche des violences conjugales.
Le comportement parfois déroutant de la victime ne peut en effet se comprendre que par cette notion, qui nécessite un vrai « décodage ». Comme l’a expliqué la psychiatre Marie-France Hirigoyen à la délégation aux droits des femmes du Sénat : l’emprise est « une manipulation qui s’installe dans la durée, qui va conduire une femme à perdre son esprit critique ».
Après l’étape de séduction, qui vise à ôter à la femme toute résistance, surviennent les propos méprisants et dévalorisants, destinés à casser la confiance en soi de la victime. Parallèlement, celle-ci subit un isolement croissant. Elle quitte son travail, ne voit plus ses amis ni sa famille, et sa vie sociale disparaît. Elle n’a plus personne vers qui se tourner. Le contrôle est également très important dans l’emprise. Il est d’ailleurs rendu plus facile par les nouvelles technologies.
Ces étapes successives de l’emprise conduisent la femme à considérer que ce qu’elle vit est normal. Et, comme le soulignait le docteur Hirigoyen, la femme régulièrement battue en vient à relativiser, à nier. La médiation est, par le fait, tronquée sous l’emprise d’un conjoint violent.
Cet article, qui prévoit d’exclure toute mesure de médiation en cas d’emprise, marque donc une nouvelle étape par rapport à la loi de décembre 2019, qui avait interdit la médiation dans le contexte de violences alléguées, y compris dans l’hypothèse d’une acceptation de la médiation par les conjoints, conformément à une demande ancienne de la délégation. Nous nous réjouissons donc de cet article.
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Brisson, Dallier, Pointereau, Milon et D. Laurent, Mmes Noël, Canayer et Deromedi, M. Grand, Mme Deroche, MM. Magras, Cuypers et Laménie, Mmes Berthet, Duranton et Puissat, M. Frassa, Mmes Richer et Lassarade, M. Bascher, Mmes Morhet-Richaud, Boulay-Espéronnier et Lopez, MM. Lefèvre, Bouchet, Vogel, Sido, Dufaut et Le Gleut, Mmes L. Darcos, Bonfanti-Dossat et Delmont-Koropoulis, M. Bonne, Mme Raimond-Pavero, M. Saury, Mme Lamure, M. Pierre, Mmes Deseyne et Lherbier, MM. Savin et Rapin et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Alinéas 3, 4, 6 et 7
Supprimer le mot :
manifeste
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Dans la plupart des cas, l’emprise, dont vient de parler Annick Billon, est un phénomène insidieux et latent. N’interdire la médiation que dans les cas où elle serait manifeste apparaît trop restrictif au regard de la réalité du phénomène vécue par les victimes.
De plus, laisser un champ plus large à sa définition permettra de mieux protéger les victimes dans le cadre d’une procédure civile. Ainsi – je suis sûr que les membres de la commission des lois apprécieront –, le juge pourra librement apprécier l’existence de l’emprise, sans être tenu par son caractère manifeste.
Enfin, la notion d’emprise apparaissant pour la première fois dans une loi, il ne semble pas nécessaire de lui adjoindre d’ores et déjà un qualificatif restreignant son champ d’application.
Pour l’ensemble de ces raisons, et par cohérence avec nos précédents débats, nous proposons donc de supprimer le mot « manifeste », afin d’interdire toute médiation dans les situations d’emprise.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. L’avis de la commission est défavorable, car elle voudrait que l’emprise soit bien visible pour qu’elle puisse être prise en compte.
Cela étant, si vous voulez mon avis personnel, l’emprise, qu’elle se voie ou non, qu’elle soit qualifiée de manifeste ou non, ne sera pas prise en compte. Cette question me laisse donc personnellement indifférent.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ne partage pas tout à fait votre approche, monsieur le sénateur Brisson.
Je comprends ce qui vous conduit à proposer cet amendement : c’est l’utilisation classique du terme « manifeste ». Il est vrai que, généralement, l’utilisation de cet adjectif vise à restreindre la qualification, mais tel n’est pas le cas ici ; c’est même plutôt le contraire.
L’emprise est un phénomène très sournois, très insidieux, qui se produit dans le huis clos familial, ce qui la rend sans doute difficile à détecter. L’emprise manifeste est donc celle que le juge va pouvoir appréhender, traiter. C’est pour cette raison que ce qualificatif lui a été adjoint. Il ne faut donc pas se méprendre sur le sens du mot « manifeste » ici.
Enfin, comme vient de le dire le président Bas, si l’emprise n’est pas manifeste, on ne voit pas comment le juge pourra la percevoir.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Section 2
Dispositions relatives à la médiation pénale
Article 5
(Non modifié)
Les troisième à dernière phrases du 5° de l’article 41-1 du code de procédure pénale sont remplacées par une phrase ainsi rédigée : « En cas de violences au sein du couple relevant de l’article 132-80 du code pénal, il ne peut pas être procédé à une mission de médiation ; ». – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 5
Mme la présidente. L’amendement n° 12 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Cohen, Prunaud, Apourceau-Poly et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, M. P. Laurent, Mme Lienemann et MM. Ouzoulias et Savoldelli, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 1° de l’article 41-1 du code de procédure pénale est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque des violences ont été commises par le conjoint ou l’ancien conjoint de la victime, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son ancien partenaire, son concubin ou son ancien concubin, l’auteur des violences fait l’objet d’une orientation vers une structure sanitaire, sociale, psychologique ou professionnelle.
« Cette mesure exécutée au sein de ladite structure consiste dans l’accomplissement par l’auteur, à ses frais, d’un stage, d’une thérapie comportementale ou d’une formation de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple ou d’un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes, en application du 2° du présent article. »
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Très souvent, lorsqu’une femme dépose plainte contre son conjoint ou son compagnon pour des faits de violences conjugales, ce dernier n’écope que d’un simple rappel à la loi.
Loin de produire l’effet escompté, cette mesure nourrit plutôt une fausse impression d’impunité chez l’agresseur, qui ne mesure alors nullement la gravité de ses actes. Pour les victimes, le sentiment d’insécurité se fait plus fort, et nombre d’entre elles font ensuite l’objet de représailles de la part du compagnon contre qui elles ont porté plainte.
Il semble donc qu’un simple rappel à la loi soit purement et simplement inefficace, car il n’est ni répressif ni éducatif. Il ouvre plutôt la voie à une récidive des actes violents et met de ce fait la victime en danger.
Le présent amendement vise à prévoir qu’un rappel à la loi pour violences conjugales soit systématiquement accompagné d’une formation de prévention et de lutte contre les brutalités au sein du couple ou d’un stage de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes. Si le profil de l’agresseur s’y prête, une thérapie comportementale devrait également lui être proposée, afin de soigner des attitudes colériques et pathologiques.
Ces mesures viseraient à responsabiliser l’agresseur, afin qu’il ne réitère pas ses actes de violence contre la victime. Nous sommes persuadés qu’une approche éducative visant à accompagner et à sensibiliser la personne coupable de sévices physiques et moraux permettrait de réduire les risques de récidive.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Je partage complètement votre opinion : il faut s’occuper des auteurs, que ce soit de violences conjugales ou de violences intrafamiliales, et leur proposer une prise en charge sanitaire et sociale adaptée, afin d’éviter les récidives. La prison n’est pas adaptée dans le cas de ces pathologies.
Cependant, j’attire votre attention sur le fait qu’une telle prise en charge peut déjà être ordonnée, notamment dans le cadre d’une peine de suivi socio-judiciaire, assortie d’une injonction de soins. Il existe des maisons qui prennent en charge les hommes violents, dont Le Monde a parlé dans ses articles la semaine dernière.
Comme l’amendement paraît déjà satisfait, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je tiens tout d’abord à vous dire, madame la sénatrice, que nous travaillons beaucoup sur ce sujet. Pendant le confinement, nous avons ainsi soustrait des conjoints violents du domicile conjugal en leur proposant des hébergements. De ce fait, nous avons souvent assuré leur suivi. Nous leur avons également proposé des stages, en complément des rappels à la loi.
Comme l’a dit Mme la rapporteure, l’article 41-1 du code de procédure pénale permet à la fois de faire un rappel à la loi et de proposer des stages ou toute autre procédure, même si ce complément n’est pas systématique.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Ce cas est déjà prévu dans la loi, nous le savons, mais la proposition de loi que nous sommes en train d’examiner développe plutôt un versant répressif.
Pour notre part, nous trouvons extrêmement important – Mme la rapporteure l’a très bien compris, puisqu’elle nous soutient – de prévoir un versant préventif et d’accompagnement. Pour empêcher la récidive, il faut organiser des stages de sensibilisation.
Par ailleurs, le magistrat Édouard Durand, que nous avons auditionné dans le cadre du travail parlementaire que nous avons mené au Sénat, et singulièrement au sein de la Délégation aux droits des femmes, signalait que les stages étaient tellement limités dans le temps, tellement réduits à la portion congrue, qu’ils en devenaient inutiles.
Madame la garde des sceaux, il me semble que l’adoption de cet amendement contribuerait justement à cadrer l’accompagnement et le traitement des hommes violents, afin que le stage soit vraiment efficace et ne se transforme pas finalement en excuse pour le mari violent, qui a besoin d’une remise en cause profonde de ses structures de pensée, de la façon dont il considère l’autre, etc.
Je ne doute pas que des mesures législatives existent, mais nous sommes là pour approfondir les choses et rendre la loi encore plus efficace. C’est le sens de notre amendement, et c’est pourquoi il importe d’avoir un échange sur ce point.