Sommaire
Présidence de M. David Assouline
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer, M. Joël Guerriau.
2. Sortie de l’état d’urgence sanitaire. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
Discussion générale :
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
M. Philippe Bas, président de la commission des lois, rapporteur
Clôture de la discussion générale.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
Article additionnel avant l’article 1er
Amendement n° 2 rectifié bis de Mme Maryse Carrère. – Rejet.
Amendement n° 18 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 23 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 19 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 24 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 25 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 5 rectifié bis de M. Stéphane Artano. – Rejet.
Amendement n° 22 de M. Franck Menonville. – Adoption.
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Stéphane Artano. – Rejet.
Amendement n° 20 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 11 de M. Jean-Pierre Sueur. – Adoption.
Amendement n° 21 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 3 rectifié bis de M. Stéphane Artano. – Retrait.
Amendement n° 26 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 1er
Amendement n° 14 de Mme Catherine Conconne. – Retrait.
Amendement n° 29 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 27 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 12 de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 28 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de l’article.
Amendement n° 6 de M. Gérard Poadja. – Rejet.
Amendement n° 7 de M. Gérard Poadja. – Adoption.
Amendement n° 10 de M. Gérard Poadja. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 8 rectifié de M. Gérard Poadja. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 17 juin a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Sortie de l’état d’urgence sanitaire
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire (projet n° 537, texte de la commission n° 541, rapport n° 540).
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de ce projet de loi ont été publiées. Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Discussion générale
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour le respect des règles sanitaires, il vous est demandé de n’occuper qu’un siège sur deux ou, à défaut, de porter un masque.
Je rappelle que l’hémicycle fait l’objet d’un nettoyage et d’une désinfection avant et après chaque séance et que les micros seront désinfectés après chaque intervention. J’invite chacune et chacun à veiller au respect des distances de sécurité.
Je rappelle également que les sorties devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.
Je rappelle enfin que, afin de limiter la circulation des documents, vous êtes invités à utiliser vos tablettes et la fonctionnalité « En séance » sur notre site internet pour prendre connaissance du dérouleur et des amendements. Des liasses resteront à votre disposition, à la demande.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de mars dernier, une situation exceptionnelle a justifié l’instauration d’un régime exceptionnel.
Il le fallait, et nul ne pense aujourd’hui que cet état d’urgence sanitaire était au mieux une option regrettable, au pire une fantaisie catastrophiste. Il l’était d’autant moins qu’il a été scrupuleusement travaillé, amendé, enrichi par les représentants de la Nation, car, quelles que soient les épreuves que nous traversons, notre arme la plus efficace demeure la démocratie.
L’état d’urgence sanitaire expirera le 10 juillet prochain. La fin de l’état d’urgence signifie-t-elle la fin de l’épidémie ? J’aimerais vous dire que oui. J’aimerais vous dire que le pire est derrière nous et que nous pouvons sans crainte retrouver une vie qui soit sereine, à défaut d’être insouciante… Mais ce serait malheureusement irresponsable. Les indicateurs sont certes rassurants, mais nous devons tous rester vigilants.
Le Gouvernement ne demandera pas une seconde prolongation de l’état d’urgence sanitaire, qui prendra donc fin comme prévu le 11 juillet prochain. La sortie de l’état d’urgence doit toutefois être organisée, parce que la prudence reste de mise et que de nombreuses mesures garderont toute leur pertinence dans les mois à venir.
Le choix éthique que nous devons faire est celui de la responsabilité. Si l’intégralité des mesures de l’état d’urgence sanitaire n’est plus justifiée, il ne faut pas nous bercer d’illusions et faire comme si les risques de redémarrage de l’épidémie n’existaient pas. Ces risques existent bel et bien, et une sortie précipitée de l’état d’urgence sanitaire ne ferait qu’augmenter leur poids.
Les deux articles de ce projet de loi ont fait l’objet de débats nourris à l’Assemblée nationale, qui a adopté plusieurs modifications. La durée du régime transitoire, initialement prévu jusqu’au 10 novembre, a été raccourcie au 30 octobre.
Par ailleurs, ce régime transitoire conserve des mesures dont la pertinence est indiscutable, y compris pour ceux qui ne sont pas épidémiologistes – nous sommes encore nombreux dans ce cas ! (Sourires.) –, telles que la limitation des déplacements et la réglementation de l’usage des moyens de transport, l’encadrement de l’ouverture des établissements recevant du public, ou enfin les restrictions de rassemblements. Ces trois items ont fait l’objet de débats en commission ce matin, et nous aurons de nouveau des échanges sur ces sujets lors de l’examen des articles ce soir.
L’application de la plupart des autres mesures prévues pendant l’état d’urgence sanitaire restera possible, mais dans les conditions du droit commun du code de la santé publique ou du code de commerce, notamment pour ce qui concerne la réglementation des prix.
Si le retour du droit commun marque la fin de l’exception, et nous en sommes heureux, vous aurez compris qu’il ne doit pas marquer la fin de la vigilance.
L’ensemble du dispositif devra en tout état de cause être réexaminé, puisque vous avez prévu qu’il deviendra caduc à compter du 1er avril 2021. Il faudra alors le repenser ensemble, à la lumière de l’expérience acquise, en espérant de tout cœur que ce virus aura alors trouvé sa place dans les livres d’histoire et qu’il aura complètement disparu de notre quotidien.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la sortie de l’état d’urgence que nous construisons dans ce projet de loi n’est pas une sortie sèche, parce que nous ne voulons pas faire comme si nous étions définitivement à l’abri du risque épidémique. Rien ne serait pire que la précipitation : ce serait tout à la fois oublier bien vite les semaines terribles que nous venons de connaître et augmenter le risque d’en connaître à nouveau.
Je crois d’ailleurs que les Français sont sensibles à ce point. J’en veux pour preuve les nombreuses réactions de nos compatriotes, qui se sont émus des regroupements de population parfois importants dans les rues de la capitale à l’occasion de la fête de la musique, alors même que les restrictions de circulation continuent de s’appliquer et que nous n’avons de cesse de rappeler que le respect des règles de distanciation sociale et, le cas échéant, le port du masque sont toujours importants pour assurer la protection de tous les Français.
L’état d’urgence sanitaire a été voté dans cet hémicycle, et je sais que vous vous êtes toujours montrés, à juste titre, très vigilants et exigeants.
L’état d’urgence sanitaire a eu des conséquences lourdes, très lourdes, notamment sur notre économie. Le Président de la République n’a pas manqué de rappeler que nous avions fait passer la santé avant le reste, « quoi qu’il en coûte ». Si c’était à refaire, nous ne ferions pas autre chose, car des vies étaient en jeu. Dans cette épreuve de vérité collective, nous avons affirmé nos valeurs les plus fondamentales.
Permettez-moi, avant de conclure, d’évoquer l’article 2. Je vous remercie des mots que vous avez eus dans votre rapport, monsieur Bas. L’utilité de prolonger la durée de conservation des données pseudonymisées pour la recherche et la veille épidémiologiques est bien réelle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si nous avions quelques points de désaccord, je reconnais et salue le travail constructif de la commission et vous remercie de donner au Gouvernement les moyens d’agir pendant cette phase nouvelle de gestion de la crise qui s’ouvrira à compter du 11 juillet prochain.
La santé de nos concitoyens et les solidarités pour que chacun soit protégé : telles sont les valeurs fondamentales que le Gouvernement a défendues pour notre Nation ces dernières semaines. Si certaines décisions coûtent, il y a des enjeux qui n’ont pas de prix. L’état d’urgence sanitaire va prendre fin, mais notre vigilance doit demeurer intacte, et elle le restera. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Monsieur le président, je suis très heureux de retrouver cette tribune, qui nous a manqué au cours des derniers mois ! (Marques d’assentiment.)
Monsieur le ministre, je vous remercie des explications que vous nous avez apportées. Mes chers collègues, je suis heureux de vous retrouver pour ce débat très important.
Monsieur le ministre, la commission des lois s’est réunie ce matin. Nous travaillons dans des conditions extrêmement tendues. Nous avons déjà accepté de le faire pour faire aboutir la loi du 23 mars dernier, puis celle du 11 mai dernier. Nous espérions que la sortie de l’état d’urgence sanitaire justifierait que le Parlement dispose de davantage de temps pour se concentrer sur sa mission et tenter, quand c’est possible, d’améliorer les textes qui lui sont proposés.
Nous constatons qu’il n’en est rien. Si cela ne nous a pas empêchés de travailler, l’ordre du jour prioritaire nous contraint à le faire dans des conditions telles que nous nous inquiétons de la qualité du travail que nous pourrons fournir.
Vous nous présentez ce texte comme organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Nous ne faisons pas la même interprétation de la rédaction proposée par le Gouvernement, puis confirmée par l’Assemblée nationale.
À l’article 1er, nous avons considéré que vous repreniez les mêmes pouvoirs que ceux qui vous ont été accordés par le Parlement du fait de l’état d’urgence sanitaire dans les trois domaines qui ont fait l’objet de vos décisions les plus nombreuses durant celui-ci : la liberté d’aller et venir et les conditions de circulation, l’ouverture des établissements recevant du public et la liberté de manifestation et de réunion.
Or il est tout de même singulier que, sur ces trois sujets, vous ayez repris les termes mêmes de la loi du 23 mars, tout en affichant une sortie de l’état d’urgence. De plus, sous couvert de sortie de l’état d’urgence, vous demandez la prorogation de ces pouvoirs pour une durée de quatre mois, alors que la précédente prorogation que nous avons consentie était d’une durée de deux mois.
Cette prorogation est donc doublement étonnante, d’une part parce qu’elle ne dit pas son nom, et, d’autre part, parce qu’elle porte sur une durée deux fois plus importante que la dernière prorogation que nous avons consentie.
Naturellement, ce n’est pas parce que vous réclamez les mêmes pouvoirs que ceux qui vous ont été accordés lors de l’état d’urgence sanitaire sur les sujets les plus sensibles pour les libertés individuelles et publiques que vous entendez prendre des mesures aussi radicales que celles qui ont été prises à l’époque, à commencer par le confinement.
Toutefois, même si nous devons rester prudents et vigilants sur toute régression en la matière, il reste que la situation sanitaire s’améliore. Il paraît donc très difficile de justifier, y compris devant le juge des libertés fondamentales qu’est le Conseil constitutionnel, le maintien sans le dire des pouvoirs étendus qui ont été conférés au Gouvernement pendant l’état d’urgence sanitaire… C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire d’examiner les choses de plus près.
Nous avons décidé de substituer à l’article 1er des dispositions qui nous semblent exactement proportionnées à vos besoins. Il vous reviendra de nous dire si nous y sommes parvenus, car il faut naturellement que vous puissiez amener progressivement à la sortie de l’état d’urgence en disposant des moyens qui vous seront nécessaires. Il n’est pas question pour nous de vous les marchander.
Nous tenons simplement à vous rappeler que, en matière de libertés essentielles, il n’y a aucune raison que le législateur vous autorise à faire plus que ce qui vous semble à vous-même nécessaire et que nous pourrions approuver après discussion avec vous.
Cette discussion n’a pas pu avoir lieu la semaine dernière en commission compte tenu de votre emploi du temps ; elle interviendra donc aujourd’hui.
Les dispositions que nous avons adoptées nous paraissent amplement suffisantes pour permettre de sortir de l’état d’urgence dans de bonnes conditions, tant en matière de liberté de circulation que d’ouverture des établissements recevant du public ou encore de droit de manifester.
Concernant ce dernier, le Conseil d’État, dans le cadre de son rôle de juge de l’excès de pouvoir, a d’ailleurs indiqué au Gouvernement qu’un certain nombre de mesures prises étaient disproportionnées à la situation sanitaire telle que le Gouvernement lui-même l’a décrite – en la matière, nous n’avons pas de meilleures informations que celles que vous nous apportez. Nous avons donc voulu circonscrire exactement vos pouvoirs.
Par ailleurs, nous pensons qu’il faut accorder une attention particulière à la situation de certaines collectivités telles que la Guyane et Mayotte.
Certains élus de Mayotte contestent la nécessité de reconduire l’état d’urgence sanitaire. Nous acceptons cette reconduction, tout en vous rappelant que si les conditions qui justifient l’état d’urgence sanitaire à Mayotte et en Guyane devaient fort heureusement disparaître, rien ne vous imposerait alors de maintenir cet état d’urgence sanitaire localement pendant les quatre mois qui vous seront accordés pour agir.
Nous vous faisons évidemment confiance pour ajuster vos décisions aux réalités. Si toutefois l’action publique se prolongeait au-delà de la période nécessaire, dans un état de droit tel que le nôtre, où la juridiction administrative exerce un contrôle sur les mesures de police, des recours pourraient intervenir.
Nous avons également voulu maintenir l’équilibre trouvé lors des travaux de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions sur les mesures que l’on appelle par commodité « mesures de quarantaine », mais qui sont devenues mesures de quatorzaine, puis – si vous me permettez ce néologisme – mesures de septaine.
Nous aurons à débattre des modifications que nous avons adoptées afin de faciliter les voyages entre l’outre-mer et la métropole, tout en assurant la plus grande sécurité sanitaire possible.
Au mois de mai dernier, nous avions rappelé que les tests de dépistage ne sont pas infaillibles, car, pendant une partie de la période d’incubation, la présence du virus chez un individu ne peut être détectée. C’est pourquoi nous avions alors privilégié des mesures de quatorzaine pour les personnes prenant l’avion.
Nous accepterons aujourd’hui des mesures de dépistage par test, car nous considérons que l’amélioration de la situation sanitaire justifie un système moins protecteur.
Nous avons eu une discussion assez longue sur votre souhait de prolonger les durées de conservation des données recueillies dans le cadre des systèmes d’information pour le dépistage de la maladie.
Le travail réalisé par l’Assemblée nationale, qui a restreint la portée du texte que vous aviez proposé, nous paraît satisfaisant. La rédaction retenue permettra en effet aux épidémiologistes de travailler sur des données pseudonymisées, pour reprendre un terme très élégant, sans pour autant que des données directement identifiantes soient divulguées.
Nous accepterons de prolonger la durée de conservation des données à cette fin, mais sous forme d’exception à la règle que nous avons voulu poser, selon laquelle la durée de conservation ne peut en principe excéder trois mois.
Tels sont les équilibres que nous avons recherchés, monsieur le ministre. En démocratie, il faut dire les choses telles qu’elles sont : ce texte n’était pas un texte de sortie de l’état d’urgence, mais un texte de prorogation des principales mesures de l’état d’urgence. Si le Sénat est suivi, ce sera un texte de sortie de l’état d’urgence.
Nous sommes allés jusqu’à modifier le fameux article L. 3131-1 du code de la santé publique, afin de doter le ministre de la santé, voire le Premier ministre, ou encore les préfets, d’une base juridique solide, dont vous ne disposiez pas avant le 23 mars dernier et dont vous ne disposerez plus quand l’état d’urgence sanitaire sera levé.
Nous avons donc eu le souci de contribuer à la sécurité sanitaire, tout en veillant, comme c’est le rôle du Sénat, à la préservation des libertés publiques et en ne consentant aucune restriction qui ne soit strictement justifiée par la situation sanitaire, qui elle-même, naturellement, évolue.
Enfin, il nous semble important que vous puissiez prendre des mesures plus sévères si cela est nécessaire. C’est pourquoi nous avons bien précisé que vous pouvez à tout moment prendre un décret pour déclarer l’état d’urgence sanitaire et prendre toutes les mesures auxquelles nous avons consenti au mois de mars dernier dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur !
M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous remercie d’avoir été si patient, monsieur le président. J’en ai justement terminé ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui à la vigilance, nous avez-vous dit, monsieur le ministre, mais non à l’état d’urgence. Nous avons bien compris votre approche et votre raisonnement.
Autorisez-moi cependant à poser une première question : ce texte est-il nécessaire ? Les mesures de droit commun, prévues notamment à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, permettent-elles, ou non, de répondre aux questions qui sont posées à l’exécutif ? J’estime pour ma part que la réponse serait plutôt oui.
Avant d’entrer dans ce débat introduit par le président de la commission des lois sur le fondement juridique de ces mesures, permettez-moi de formuler une observation préalable.
J’ai été élu sénateur en 2014. Pendant près de la moitié de mon mandat, nous avons vécu sous le régime de l’état d’urgence, celui-ci ayant été prorogé à sept reprises dans le cadre de l’état d’urgence lié au terrorisme, et deux, voire trois fois si l’on interprète ce texte comme une prorogation déguisée, dans le cadre de la crise sanitaire.
Ce qui est normalement l’exception devient donc une forme de règle, ou en tout cas de situation continue. C’est un vrai sujet pour notre société, monsieur le ministre. Et c’est pourquoi je m’interroge sur la nécessité des mesures auxquelles vous nous demandez de consentir.
Philippe Bas, notre président de la commission des lois, estime – nous en avons largement discuté ce matin – que ce texte est une prorogation de l’état d’urgence qui ne dit pas son nom, et qu’en aucun cas il ne met fin à cet état d’urgence.
Je le regrette, car je n’en vois pas l’utilité, dans la mesure où les dispositions que vous nous demandez de vous accorder sont déjà prévues à l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, dès lors, comme l’a indiqué le président Bas, que l’état d’urgence est déclaré. Dont acte !
Nous avons pourtant fait preuve d’anticipation, mes chers collègues, lors de nos travaux sur les dispositions de la loi du 23 mars 2020, puisque, par son article 2 complétant l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, nous avons expressément donné au ministre de la santé la totalité des pouvoirs faisant l’objet des dispositions qui nous sont présentées.
Ce fondement juridique est-il suffisamment solide ? La question était implicite dans l’intervention du président de la commission des lois. Il peut en effet paraître excessif d’accorder de telles possibilités de restriction des libertés au ministre de la santé. C’est d’ailleurs pourquoi, dans la période récente, le Premier ministre a pris des décrets donnant un effet juridique aux dispositions prises par le ministre de la santé.
J’estime pour ma part que la réponse est oui. Si l’article L. 3131-1 vous accorde des pouvoirs très larges, qui ont pu interroger le Conseil d’État, monsieur le ministre de la santé, c’est « afin d’assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire ». Cela m’apparaît donc normé.
En bref, mes chers collègues, l’exécutif a aujourd’hui les moyens d’agir pour répondre, si ce malheur se produisait, à une nouvelle situation de pandémie ou de crise de Covid-19. Il ne m’apparaît donc pas que nous avons besoin de l’article 1er, tel qu’il nous a été présenté.
Or une loi inutile est par définition une loi bavarde. Je n’irai pas jusqu’à dire, comme on a pu le lire dans de nombreuses interventions dans la presse, que c’est une loi liberticide – je ne vous prête pas ces intentions, monsieur le ministre. En revanche, c’est une loi dérogatoire, et à mon sens inutilement dérogatoire.
Mes chers collègues, nous sommes dans une situation institutionnelle de très grand déséquilibre entre les pouvoirs de l’exécutif et ceux de nos assemblées. Les vieux principes de Montesquieu ont été amplement remis en cause. Je ne vois donc pas de motif de renforcer encore les pouvoirs de l’exécutif, et cela d’autant moins – pardonnez-moi d’être direct, monsieur le ministre – que notre pays a été largement suradministré dans la période récente.
Autant je crois aux vertus de la médecine, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, et au rôle des médecins sur le terrain et dans les différents établissements pour lutter contre les pandémies, autant je ne suis pas certain que la saturation d’ordonnances et de dispositions juridiques soit le meilleur moyen d’y contribuer, sauf à confondre l’ordre public sanitaire et l’ordre public tout court.
Au reste, d’autres pays sont arrivés à de bons résultats en adoptant une approche plus pragmatique. Je n’en dis pas plus sur ce sujet, mais j’y suis particulièrement sensible.
Pour finir, j’en viens à l’article 2 et au fichier épidémiologique. Si j’approuve à la fois l’objectif de recherche épidémiologique et le passage par l’anonymisation, évitons de perdre toute mémoire, mes chers collègues ; la loi du 11 mai n’est tout de même pas si ancienne !
Lors de nos débats, nous avons été un certain nombre à nous opposer au projet de fichier centralisé que vous nous présentiez. Pour nous, la création d’un tel fichier ne pouvait être justifiée que par sa vocation épidémiologique, autrement dit, s’il rassemblait les différents éléments d’information sur la situation du patient, et à condition qu’il soit anonyme.
Or les présidents des commissions des lois et des affaires sociales, ainsi que M. Retailleau et vous-même, monsieur le ministre, nous ont expliqué que l’on avait absolument besoin de ce fichier pour casser les chaînes de contamination, mais que la ligne rouge était justement de ne pas lui donner un caractère épidémiologique par la réunion d’autres données. Cela figure même dans le petit compte rendu qui a été réalisé à l’issue de notre vote.
Ce fichier devient aujourd’hui totalement épidémiologique, et bien sûr anonyme. Je vous donne volontiers acte de cette modification, qui correspond à ce que nous avions souhaité. Mais de grâce, ne perdons pas la mémoire des choses ! Ce revirement explique d’ailleurs la grande perplexité de l’Ordre national des médecins, qui s’est senti en quelque sorte mené en bateau, si j’ose dire.
En conclusion, mon groupe s’exprimera avec sa liberté habituelle. Toutefois, à titre personnel, vous l’aurez compris, je ne suis pas favorable à l’article 1er, tout en étant favorable à l’article 2. (M. Franck Menonville applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, cette crise est d’une gravité que vous connaissez – vous l’avez beaucoup dit – et la vigilance reste nécessaire aujourd’hui encore – vous l’avez aussi beaucoup dit.
Nous ne pouvons oublier toutes les épreuves qui ont été vécues et qui sont encore vécues actuellement ; nous ne pouvons méconnaître la situation du monde par rapport à ce fléau. J’ai parfois l’impression que certains de nos compatriotes dorment sur un volcan : tout semble aller bien, mais vous savez que le virus peut toujours se réveiller.
On sait aussi que de grandes épreuves en termes d’emploi, de vie quotidienne et en termes sociaux nous attendent. Pour nous, socialistes, elles appellent – je veux le dire ici – des mesures de solidarité et de redistribution très fortes.
Venons-en au présent texte. Monsieur le ministre, celui-ci ne nous paraît pas utile, du moins pour ce qui est de l’article 1er. Finalement, de deux choses l’une : soit l’on est dans l’état d’urgence, soit on le quitte. Notre collègue député Hervé Saulignac l’a dit à l’Assemblée nationale : vous créez quelque chose de neuf. On connaissait le droit commun, on connaissait l’état d’urgence, et vous créez une sorte de pseudo-état d’urgence à géométrie variable et à durée aléatoire, donc quelque chose de bizarre.
Ce texte, vous l’avez sans doute remarqué, monsieur le ministre, est un trompe-l’œil et un faux-semblant. En effet, comme l’ont indiqué M. le président Philippe Bas et M. Bonnecarrère à l’instant, vous nous dites que l’état d’urgence sanitaire est terminé, mais, derechef, vous nous dites qu’il se poursuit, puisque vous donnez l’ensemble des prérogatives de l’état d’urgence au Premier ministre.
Aussi, la question est simple : à quoi cela sert-il et pourquoi ? Cela fait un peu penser à ces chanteurs qui ont l’habitude – certains ne l’ont jamais fait, l’un d’entre eux notamment, qui m’est particulièrement cher, mais nous en parlerons un autre jour – de faire de fausses sorties : on sort de l’état d’urgence, mais, en fait, on n’en sort pas du tout, car il continue sous une autre forme.
C’est pourquoi, comme l’ensemble de la gauche et une bonne partie de la droite à l’Assemblée nationale, nous allons nous prononcer contre ce texte et voter résolument contre l’article 1er.
Je perçois les efforts de notre président Philippe Bas pour sauver un peu, mais finalement pas grand-chose, de l’article 1er. Pour notre part, nous avons déposé un amendement tendant à le supprimer : finalement, cela clarifierait les choses que de le voter, mes chers collègues.
Par prudence, nous avions également déposé des amendements de repli, l’un pour garantir la liberté de circulation – sur ce point, M. Bas est allé à notre rencontre ou nous sommes allés à la sienne, peu importe –, un autre pour garantir l’ouverture des établissements recevant du public, un dernier, enfin, pour garantir la liberté de manifestation.
À ce sujet, je tiens à insister particulièrement sur la décision du Conseil d’État, que chacun connaît : celui-ci a rappelé que la liberté de manifestation est une liberté fondamentale garantie par la Constitution. Il est bien sûr nécessaire de veiller à respecter toutes les exigences sanitaires, mais, dès lors qu’elles le sont, cette liberté doit être garantie.
Nous avions donc déposé un amendement, que la commission ne m’a pas fait l’honneur de retenir, mais auquel nous tenons, qui visait à ce que la liberté de manifestation soit garantie derechef, dès que la loi serait promulguée. Certes, on peut discuter des dates, mais nous pensons que cet amendement a une valeur symbolique et pratique.
Au total, l’article 1er est donc inutile, et ce pour les deux raisons qui ont déjà été explicitées.
Monsieur le ministre, vous êtes trop féru de la chose parlementaire et de la loi – comme souvent, je suis très gentil ; je le suis même parfois trop, mais enfin, la vie est courte (M. Bruno Retailleau s’exclame.) – pour ignorer l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, qui a déjà été beaucoup cité et qui sortira vainqueur de ce texte.
M. Philippe Bas, rapporteur. Même nous, nous le connaissons ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. M. Bas le connaît et l’a même précisé : c’est un point sur lequel nous sommes d’ailleurs d’accord. Monsieur Bas, nous sommes en désaccord avec votre position sur l’article 1er, mais c’était en revanche une très bonne chose que de préciser les dispositions de l’article L. 3131-1 et leurs conditions d’application à l’article 1er bis A.
Je pense, monsieur le ministre, que vous devriez en être satisfait, car cet article vous permet de prendre des décisions dont la portée est large et qui peuvent être importantes en cas de circonstances sanitaires exceptionnelles. Ceux qui ont introduit cet article savent bien qu’il existe des cas où il faut que le ministre de la santé intervienne de toute urgence : c’est prévu, et vous n’avez donc pas besoin de l’article 1er.
Par ailleurs, si vous aviez besoin de mettre en œuvre un nouvel état d’urgence, faites appel au Parlement. Nous ne sommes pas d’accord avec l’idée, qui consiste en quelque sorte à prendre une assurance pour éviter un retour devant le Parlement : s’il faut légiférer de nouveau, et même si c’est au mois de septembre, comme l’a dit tout à l’heure le président Bas en commission, nous reviendrons ! Nous connaissons les devoirs qui sont les nôtres. Vous pouvez donc saisir le Parlement et utiliser très largement cet article du code de la santé publique rénové. Notre position est à cet égard très claire.
J’ajoute quelques mots pour nos collègues de l’outre-mer et, tout particulièrement, pour Mme Catherine Conconne, qui, au nom de plusieurs de ses collègues, nous a incités à déposer un amendement pour maintenir des contrôles sanitaires, non pas aux frontières, mais pour les personnes qui souhaitent se rendre dans les territoires d’outre-mer, quand cela se justifie pour des raisons de santé publique.
Cette mesure nous semble tout à fait nécessaire, raisonnable et évidente, monsieur le ministre. Nos compatriotes d’outre-mer pensent qu’elle est utile pour que le tourisme puisse se développer – c’est une source de revenus – en toute sérénité dans leurs territoires. De même, il nous paraît nécessaire que des mesures spécifiques soient prises s’agissant de Mayotte et, surtout, de la Guyane.
Enfin, nous n’avons pas proposé la suppression de l’article 2. Nous ne serions d’ailleurs pas défavorables à une loi qui se réduirait à cet article. En effet, je dois dire que, à mon sens – je rejoins ainsi les propos de M. Bonnecarrère –, l’Assemblée nationale a fait un bon travail. Il me semble que, dès lors que le recueil des données est prolongé pour une durée très limitée et exclusivement pour des impératifs de recherche scientifique, il est raisonnable et peut être approuvé.
Voilà les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, nous pensons que ce texte n’est pas utile sous cette forme et voilà pourquoi nous serons malheureusement contraints de ne pas l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (M. Franck Menonville applaudit.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à l’heure où nous parlons, la vie des Français poursuit son retour vers la normalité et, avec elle, l’application des lois de la République.
Une grande part de l’activité économique a repris, avec, dès la première heure ce matin, la réouverture des cinémas, des centres de vacances et des casinos. Le retour en classe signe également la reprise de l’école républicaine obligatoire. C’est aussi, pour tous les élèves concernés, un moyen de retrouver camarades et professeurs pour clore symboliquement l’année scolaire avant les grandes vacances, après l’expérience souvent difficile du confinement.
Hier, déjà, dans les villes où elle n’avait pas été interdite, la fête de la musique a pu être célébrée, parfois avec des débordements, mais toujours dans un grand élan de liberté retrouvée, après des mois d’isolement.
Dans les hôpitaux et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), la situation sanitaire est désormais sous contrôle, à l’exception de certains territoires français d’outre-mer – je pense à Mayotte et à la Guyane où la situation est toujours préoccupante, j’y reviendrai.
Dans quelques jours, nos concitoyens seront également appelés à voter pour le second tour des élections municipales, après une période inédite de suspension de la vie démocratique locale.
Tous ces éléments laissent à penser que l’urgence sanitaire est dernière nous. Si tel est le cas, le maintien de l’état d’urgence n’est plus justifié.
Devant les juridictions, le retour à la normale ne manque pas de fragiliser les actes et les décisions pris sur le fondement de l’état d’urgence sanitaire. Le 13 juin dernier, par exemple, une ordonnance de référé du Conseil d’État a suspendu la décision d’interdiction des manifestations organisées par l’association SOS Racisme et plusieurs syndicats.
Après les nombreux bouleversements que nous venons de connaître, il importe que les règles applicables soient claires et les plus stables possible, afin de ne pas ajouter aux déstabilisations qui minent déjà le pays. Le retour au droit commun doit être la norme.
Au moment de la prorogation, nous avions insisté sur l’importance du principe de proportionnalité des mesures prises par rapport aux circonstances de temps et de lieu. Certains juristes regrettaient d’ailleurs que ce principe n’ait pas été appliqué plus rigoureusement dans les zones épargnées par le virus au nom de la protection des libertés.
La lecture des dispositions du code de la santé publique par le Conseil d’État est dorénavant claire : il en résulte que, sous le régime de l’état d’urgence sanitaire, les manifestations et les rassemblements ne sont illégaux que si les circonstances épidémiques le justifient et aucune précaution sanitaire adaptée n’est prise. Nous aborderons l’examen de ce texte avec ce même souci de la protection des libertés.
Or l’article 1er du projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui permet au Premier ministre, en même temps qu’il met fin à l’état d’urgence en France métropolitaine et dans la plupart des territoires d’outre-mer, de conserver un certain nombre de compétences au-delà de la période de l’état d’urgence, pour une période certes limitée.
La prudence du Gouvernement est compréhensible : à l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus scientifique, tant ce virus demeure mystérieux. Toutefois, les dernières semaines nous permettent d’exercer une vigilance optimiste, comme au moment de la prorogation de l’état d’urgence, dont la durée avait d’ailleurs été raccourcie du 23 juillet au 10 juillet par le Sénat, une position défendue par notre collègue Joël Labbé et plusieurs membres du groupe du RDSE.
Nous étions donc a priori majoritaires à nous opposer au maintien de compétences rappelant l’état d’urgence au-delà d’une véritable urgence sanitaire.
Compte tenu de l’évolution du texte, des amendements votés à l’Assemblée nationale et de ceux qui ont été adoptés ce matin sur l’initiative de notre rapporteur, la majorité d’entre nous s’apprêtent désormais à se prononcer en sa faveur, en vue d’une sortie définitive à l’automne. L’article 1er en ressort quasiment vidé de sa substance initiale.
En définitive, nos réserves portent essentiellement sur la façon de légiférer. Cette période a considérablement affaibli l’autorité de la loi, soit en la marginalisant au profit des ordonnances, soit en comprimant le calendrier du travail législatif, menaçant d’en détériorer la qualité, soit encore en fragilisant les accords trouvés au Parlement, via la mise en discussion répétée et constante de certains sujets.
Je pense notamment à la question de l’utilisation des données personnelles à des fins de lutte contre l’épidémie. La mise en débat simultanée de deux dispositifs aux finalités différentes – prévention ou recherche scientifique – et aux modalités différentes – application ou fichier – a considérablement brouillé les échanges. Il n’était pas très respectueux du Parlement de mettre une nouvelle fois ce sujet sur la table, comme l’article 2 du projet de loi le prévoyait avant l’intervention des deux chambres.
Lorsque la crise sera véritablement derrière nous, que des traitements efficaces et des vaccins auront été trouvés, il faudra réfléchir à la multiplication de ces régimes de crise et, après avoir tenu compte d’un retour d’expérience, évaluer la pertinence de ce nouveau régime pour l’ensemble des crises sanitaires graves qui sont envisageables.
C’était une exigence déjà formulée par le radical Jacques Genton, député du Cher et rapporteur à l’Assemblée nationale de la loi du 3 avril 1955 instituant un état d’urgence en Algérie : il eût été préférable, disait-il, « de légiférer à ce sujet de manière abstraite et générale, c’est-à-dire de faire une loi en une période où elle n’aurait pas eu à s’appliquer dans l’immédiat et de ne pas prendre le prétexte d’une situation spéciale et contemporaine sur un point du territoire pour provoquer une intervention législative ». Ses mots restent d’actualité.
N’oublions pas, enfin, la situation des outre-mer et les efforts que continuent de fournir ceux de nos concitoyens qui se trouvent aux confins du territoire français.
Ce n’est en réalité que le début de la fin de l’état d’urgence, pour reprendre le nom initial du projet de loi. Alors que le virus continue de circuler, cette vigilance optimiste que j’évoquais reste de mise. Aujourd’hui, elle passe essentiellement par le respect des gestes de précaution que chacun d’entre nous connaît désormais. (M. Joël Labbé applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de ce nouveau projet de loi, qui s’inscrit dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 et dans celui de la protection de la population face au virus, me pousse à employer un mot très utilisé au cours des différents débats sur l’état d’urgence, celui de responsabilité. Ce mot incarne une éthique, un état d’esprit qui anime ce projet de loi.
J’utilise le mot « responsabilité » comme l’employait Hans Jonas dans Le Principe responsabilité, qui décrit justement une attitude à prendre face aux crises. Cet auteur pensait plutôt aux crises écologiques, mais cette pensée sur la meilleure manière d’agir avec éthique, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, peut également s’appliquer aux crises sanitaires.
Alors que l’état d’urgence a été prorogé jusqu’au 10 juillet, il est nécessaire de créer toutes les conditions favorables à la confirmation, dans les semaines et les mois à venir, de l’amélioration de la situation sanitaire de notre pays. Pour ce faire, le texte s’articule autour de trois axes principaux.
Le premier axe consiste à instaurer un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire, qui confère au Premier ministre et aux préfets, pour une durée limitée, certains pouvoirs de police qui demeurent une faculté d’intervention – je tiens à le souligner.
Deux questions se posaient à cet égard : tout d’abord, la situation sanitaire justifie-t-elle que des mesures spécifiques soient encore prises ? Ensuite, si l’on répond à cette première question par l’affirmative, sur quels fondements juridiques prendre ces mesures ?
Il me semble que le Gouvernement, la majorité à l’Assemblée nationale et la commission, ce matin, par la voix du rapporteur, ont plutôt répondu favorablement à la première question : oui, nous avons encore besoin de mesures spécifiques. Certes, la situation s’améliore, mais le virus continue de circuler. On connaît les chiffres : il y a encore 715 cas graves nécessitant des soins en service de réanimation, par exemple.
Le chemin que nous traçons ne peut pas nier, gâcher et entrer en contradiction avec tous les efforts préalablement accomplis, je veux parler du confinement et de l’état d’urgence sanitaire qui ont permis de réduire la vitesse de prorogation du virus, mais aussi de l’investissement sans faille de nos personnels de santé. Je dirai que nous devons à nos concitoyens, bien sûr, mais aussi et surtout à nos personnels de santé de conserver cette vigilance. Certaines situations dégradées sur une partie du territoire, ainsi que la reprise de l’épidémie à l’étranger, nous y enjoignent aussi.
Nous sommes donc tous d’accord pour dire qu’il faut rester vigilant. Une fois ce constat partagé, la question qui se posait était de savoir comment le faire : prorogation de l’état d’urgence sanitaire, retour au droit commun ou instauration d’un régime transitoire ?
Il me semble contradictoire de dire à la fois, comme l’ont fait certains d’entre vous, que la situation n’est pas stabilisée et que plus aucune mesure ne se justifie. Il faut choisir parmi les critiques : à partir du moment où la situation n’est pas entièrement stabilisée, une sortie sèche de l’état d’urgence ne paraît pas satisfaisante ni responsable, pour reprendre le mot que j’ai utilisé.
Le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont donc fait le choix, confirmé par la commission ce matin, d’un régime transitoire permettant de mobiliser certains instruments jusqu’au 30 octobre.
Il n’est évidemment pas souhaitable de maintenir un même registre de contrainte pendant l’état d’urgence et après. Ce serait tout à fait illégitime. Il faut donc saluer le travail qui a été accompli : je pense à l’encadrement des pouvoirs de police du Premier ministre en matière de rassemblement sur la voie publique, par exemple, ou au fait de supprimer l’obligation de présenter les résultats d’un examen de biologie médicale pour les personnes en provenance ou à destination de territoires ultramarins, qui ne font pas partie des zones de circulation de l’infection.
Je tiens aussi à saluer la démarche de notre rapporteur, Philippe Bas, qui a exprimé certaines réticences. Il a modifié l’article 1er pour mieux en encadrer les dispositions. J’espère que la commission mixte paritaire pourra être conclusive sur ce point à l’issue des débats.
Au terme de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale et en commission, nous pouvons affirmer qu’il ne s’agit pas d’un état d’urgence déguisé, qui tairait son nom en vertu d’une pudeur mal venue.
Si les deux régimes peuvent se ressembler, c’est aussi par les garanties qu’ils prévoient, comme le caractère proportionné, approprié et nécessaire des mesures prises, toujours sous contrôle du juge administratif, qui peut être saisi en référé. Je pense aussi à la faculté de contrôle et d’évaluation du Parlement sur les mesures prises, ce qui permet d’envisager un retour à l’équilibre obtenu en commission mixte paritaire pour la loi du 23 mars dernier et à la position alors exprimée par la majorité sénatoriale.
Je serai plus bref sur le reste du projet de loi, puisque l’article 2 fait l’objet d’un large consensus. Soulignons là encore le travail de la rapporteure à l’Assemblée nationale : celle-ci a restreint le champ d’application aux données pseudonymisées, au consentement des personnes aux seules fins de contribuer à la recherche et à la surveillance épidémiologiques. Il me semble que l’équilibre qui avait été trouvé précédemment est là aussi respecté.
Enfin, comme cela a aussi été dit, il faut s’arrêter un instant sur les dispositions relatives aux outre-mer, dont les situations sont parfois différentes.
Antoine Karam reviendra bien sûr sur la situation en Guyane : au regard de l’évolution de l’épidémie et du pic qui est attendu, il n’est pas possible de ne pas soutenir la prorogation de l’état d’urgence.
Sur la situation spécifique de Mayotte, cette fois, j’attire votre attention sur la vigilance qu’exercent les collègues de mon groupe, Thani Mohamed Soilihi et Abdallah Hassani, sur les inquiétudes légitimes des acteurs économiques mahorais dans les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie, notamment.
Ce texte ménage les équilibres entre les objectifs de santé publique et la nécessité de rester vigilant, tout en retrouvant une vie normale. C’est pourquoi notre groupe le soutiendra.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis moi aussi ravie d’intervenir de nouveau à la tribune.
Depuis plusieurs semaines, la situation sanitaire est en voie de nette amélioration : en France, aucune dégradation notable n’a été enregistrée à la suite des premières phases de déconfinement, ce dont nous pouvons tous nous féliciter, même s’il faut effectivement encore faire preuve de vigilance, donc de responsabilité.
Le Gouvernement a décidé de ne pas prolonger officiellement l’état d’urgence sanitaire, qui devait prendre fin le 10 juillet, mais d’organiser une période dite « transitoire », qui permettra au Premier ministre, durant les trois mois et demi qui suivront la fin de l’état d’urgence, de réactiver par voie de décret plusieurs dispositions déployées dans le cadre même de cet état d’exception.
Autrement dit, au lieu de solliciter l’avis du Parlement pour prolonger l’état d’urgence sanitaire, le Gouvernement lui demande de lui octroyer, d’un coup, jusqu’au 30 octobre, toutes les compétences – ou presque – utiles pour agir seul par voie réglementaire, notamment en ce qui concerne les déplacements et l’accès aux transports, l’ouverture des établissements recevant du public et les rassemblements sur la voie publique.
Ces dispositions font dire à Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public, qu’il s’agit là « d’enrichir la grammaire des droits d’exception d’un nouveau régime dérogatoire ». En plus du droit commun et de l’état d’exception, il y aurait désormais la « sortie », une sorte de zone grise dans laquelle on ne sait pas vraiment si l’on est dans ou en dehors de l’état d’urgence.
Néanmoins, pourquoi vouloir mettre en place un tel régime ? Selon nous, celui-ci est profondément inutile, tant le Gouvernement dispose déjà de tous les outils pour faire face à une nouvelle situation de crise : comme certains l’ont déjà dit, l’article L. 3131-1 du code de la santé publique offre déjà des pouvoirs extrêmement larges au ministre de la santé en cas de circonstances exceptionnelles. Un décret pour les réactiver aurait suffi en cas de deuxième vague.
Nous le savons, le risque zéro n’existe pas, et plusieurs foyers endémiques resurgissent sur la planète. Mais n’avez-vous pas toutes les compétences nécessaires en cas de résurgence du virus dans notre pays ? N’êtes-vous pas prêt à y faire face normalement, en ayant recours au droit commun, comme le font d’ailleurs les pays européens voisins ? Ne devriez-vous pas plutôt continuer à consolider notre système de soins et à combler les carences en personnel au lieu de rogner sur nos libertés publiques ?
Réquisition, encadrement des prix, aide alimentaire, précarité énergétique, moratoire sur les loyers, gratuité des transports en commun pour les travailleurs, toute une série de mesures sociales auraient eu leur place dans un tel texte pour une réelle sortie de l’état d’urgence humaine et efficace, qui réponde aux préoccupations des Français et les rassure.
L’heure est davantage à l’état d’urgence social qu’au prolongement d’un état d’urgence coercitif.
Pourquoi décider de sortir de l’état d’urgence dans ces conditions ? C’est presque pire qu’une simple prolongation ! On nous demande de ne conserver que les mesures restrictives de liberté, alors qu’il existe des mesures pour faire face à une nouvelle crise.
Les peurs légitimes qu’a engendrées la crise sont ici instrumentalisées pour confiner nos libertés. Comme « avoir peur, c’est se préparer à obéir », pour reprendre les mots de Hobbes, il est bien connu que la peur est un outil aisé à mobiliser pour des politiques requérant une adhésion aveugle.
Seulement, les parlementaires que vous avez face à vous, monsieur le ministre, tout comme nos concitoyens, ne sont pas dupes : ils savent décrypter vos intentions, à l’heure où les tensions sociales émergent et sont vives, au moment où les jeunes générations, notamment, se lèvent pour exprimer leurs aspirations et nous faire entrer dans une nouvelle ère pour ce qui est de la lutte contre les discriminations et les violences quelles qu’elles soient, policières ou sociales.
Nous vivrons encore avec ce virus, ou avec d’autres : alors, l’exception ne sera plus, et les dispositions deviendront communes.
Nous définissons aujourd’hui les conditions dans lesquelles nous souhaitons gérer les urgences sanitaires à l’avenir. Pour notre part, nous ne voulons certainement pas le faire en limitant nos libertés publiques, pas plus qu’en étendant les méthodes de surveillance généralisée et le stockage des données personnelles, comme le propose l’une des mesures de ce projet de loi.
Quoi que vous puissiez en dire, les risques de marchandisation des données sont réels, sans parler des ressources et du budget que tout cela nécessite.
Quant à l’application StopCovid, c’est un fiasco, puisqu’elle n’a été activée que par 2 % de la population et que le nombre d’utilisateurs actifs est évalué par des chercheurs – pas par moi ! – à 0,5 % de la population française…
Enfin, monsieur le ministre, je vous alerte une nouvelle fois sur le peu de cas que le Gouvernement fait du Sénat et de son travail, à voir le bousculement de l’ordre du jour et l’examen précipité du texte, qui se déroule en commission et en séance publique le même jour.
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. Il serait bon de garder à l’esprit que le Parlement n’est pas une chambre d’enregistrement. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR, UC et Les Républicains.)
Finalement, vous l’aurez bien sûr compris, nous nous opposerons à ce texte. Certes, la commission des lois propose de réglementer plutôt que d’interdire, mais avouons que nous resterions ainsi au milieu du gué.
Sur le fond, ce projet de loi est inutile, parce qu’il met en place un régime d’exception hybride et dangereux, en pérennisant des mesures qui portent atteinte à notre droit commun. Et cela, j’en suis désolée, monsieur le ministre, mais nous n’en voulons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l’épidémie semble sous contrôle pratiquement partout sur le territoire métropolitain.
L’État doit néanmoins continuer à accompagner les territoires dans lesquels le virus circule encore très activement, avant que ces mêmes territoires puissent retrouver une vie normale. Nos compatriotes de Guyane – je salue notre collègue sénateur de ce territoire présent dans l’hémicycle – et de Mayotte doivent savoir que nous ne les oublions pas et que l’État reste à leurs côtés.
La crise sanitaire, que nous espérons être derrière nous, a coûté la vie à près de 30 000 de nos compatriotes. Ce virus a beaucoup perturbé la vie de nos concitoyens, de notre économie et de nos entreprises.
Nous vivons, depuis le 24 mars dernier, en état d’urgence sanitaire. À ce titre, les libertés individuelles ont été contraintes de manière exceptionnelle durant la période. Nous ne pouvons que saluer le civisme et l’esprit de responsabilité dont ont fait preuve nos concitoyens au cours de cette crise.
Si, aujourd’hui, nous retrouvons progressivement notre liberté et une certaine normalité, même si elle demeure contrainte, nous devons garder à l’esprit le caractère particulièrement imprévisible de cette épidémie.
Le projet de loi que nous examinons cette après-midi vise à organiser la fin ou la sortie de l’état d’urgence sanitaire, prévue le 10 juillet prochain. Pour cela, il prévoit une période transitoire, postérieure à l’état d’urgence, mais avec la prolongation de certaines de ses dispositions, et ce jusqu’au 30 octobre 2020.
Certaines d’entre elles n’en sont pas moins importantes, notamment en raison du contexte social tendu dans lequel notre pays est plongé depuis plusieurs mois. C’est le cas de la possibilité de restreindre la liberté de manifester.
Dès la fin du confinement, en dépit des interdictions, des manifestations se sont tenues. Les règles juridiques ont apparemment été balayées par l’émotion…
Dans une décision du 13 juin dernier, le Conseil d’État a jugé que l’interdiction de manifester n’était pas justifiée dans le contexte sanitaire actuel. C’est pourquoi le Gouvernement propose qu’on lui laisse la possibilité de réglementer ces rassemblements.
L’exercice n’est pas simple, et il est particulièrement sensible ! Ainsi, le texte prévoit de soumettre les manifestations sur la voie publique à autorisation, eu égard à la mise en œuvre des mesures barrières destinées à lutter contre l’épidémie.
Dès lors que les règles de distanciation physique ne peuvent être garanties, la seule de ces mesures qui puisse être imposée, nous semble-t-il, est le port du masque… Or cela pourrait poser problème, notamment sous l’angle du maintien de l’ordre et de la sécurité publique.
Pour autant, nous sommes conscients que l’épidémie n’est pas terminée et qu’il importe de ne pas favoriser sa reprise.
Nous serons donc très attentifs à ce que, au titre des dispositions prévues dans ce projet de loi, on n’interdise pas les manifestations pour d’autres motifs que la lutte contre le virus.
Il en sera de même pour la restriction de la liberté d’aller et venir des individus ou encore la réglementation de l’ouverture des établissements recevant du public. Ces mesures sont fortement attentatoires aux libertés individuelles. Nous devons donc veiller à ce qu’elles répondent à des circonstances très précises et qu’elles soient aussi limitées que possible dans le temps.
Force est de constater qu’elles ne seront pas nécessaires partout, car tous les territoires de la République n’ont pas été touchés de la même manière par le virus – certains ont eu la chance d’être plus épargnés que d’autres.
De ce fait, il nous semble important, dans une logique de décentralisation, que le partage de compétences entre l’État et les collectivités locales soit clarifié, en particulier dans les territoires ultramarins. Les collectivités doivent avoir les moyens de protéger au mieux leur population.
Les conditions sanitaires s’améliorent globalement en France, mais il n’en va pas de même dans le reste du monde : le chiffre des contaminations continue de croître ! Nous devons donc faire preuve d’une grande vigilance. Les mesures barrières devront être appliquées tant que le virus n’aura pas disparu et qu’un traitement ne sera pas disponible.
La période qui s’ouvre sera déterminante. La résurgence du virus dans plusieurs pays doit nous inciter à la prudence !
Par conséquent, le groupe Les Indépendants soutient les objectifs portés par ce projet de loi : il nous faut sortir de l’état d’urgence, tout en restant sur nos gardes. Mais les mesures prises pour faire face à cette situation exceptionnelle doivent rester exceptionnelles et limitées dans le temps. C’est la direction que la commission des lois a choisi de prendre, et nous partageons ses conclusions. (M. Julien Bargeton applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, ce texte s’inscrit dans la droite ligne des deux lois que nous avons précédemment votées dans le cadre de cette épidémie de Covid-19 : la loi du 23 mars 2020 et la loi du 11 mai 2020.
Ces deux textes avaient notamment pour objet de donner au Gouvernement des prérogatives lui permettant de prendre des mesures adaptées à la gravité de la situation sanitaire que nous connaissions, en raison de la propagation du virus.
La loi du 23 mars 2020, sorte de texte inaugural de cette crise sanitaire, lui a effectivement accordé des prérogatives relativement nombreuses.
Le second texte, la loi du 11 mai 2020, prenait acte d’une amélioration de la situation sanitaire et facilitait ce que l’on a appelé le « déconfinement », c’est-à-dire le desserrement progressif des restrictions appliquées à notre vie quotidienne.
Ce desserrement, vous vous en souviendrez, a été dans un premier temps différencié selon les territoires, certains départements étant classés en vert, rouge ou orange – c’est peut-être encore d’actualité… –, et vous vous rappellerez aussi que les libertés ont pu être progressivement rétablies, suivant la chronologie de l’évolution de l’état sanitaire.
L’école offre, à mon sens, le meilleur exemple de tout cela. Tout d’abord interdite, elle a ensuite été autorisée avec un protocole sanitaire assez resserré. Désormais, elle est autorisée par principe, donc plus que largement, avec un protocole sanitaire extrêmement léger.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a pour objet de prendre acte du fait que la situation sanitaire s’est encore très nettement améliorée – sauf, malheureusement, pour nos concitoyens de Guyane et de Mayotte, toujours soumis à des dispositions particulières –, et cela en dépit du déconfinement, qui aurait pu, on le sait, l’aggraver. Néanmoins, cette situation sanitaire peut à tout moment se détériorer.
Pour éclairer précisément l’objet du présent texte, je reprendrai un extrait de l’exposé des motifs accompagnant le projet de loi du Gouvernement :
« Pour respecter les principes de nécessité et de proportionnalité fixés par le législateur pour recourir à l’état d’urgence sanitaire, le moment est venu d’ouvrir un nouveau cycle dans la gestion de l’épidémie de Covid-19, qui permette tout à la fois de répondre à l’aspiration collective au rétablissement du droit commun et de garder la capacité d’agir rapidement face à une éventuelle dégradation de la situation sanitaire, à plus forte raison pendant la période estivale ».
J’avoue que je n’enlèverai pas une virgule à cette phrase ! C’est exactement ce que l’on souhaite faire au travers de ce texte, et c’est, me semble-t-il, parfaitement proportionné à la situation sanitaire actuelle !
Toutefois, ce qui est dit n’est pas ce qui est fait… Dans le texte, en effet, nous sortons de l’état d’urgence sanitaire – comment pourrions-nous y rester, dès lors que l’état d’urgence sanitaire se définit comme « un état de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population » ? –, mais le Gouvernement ne demande rien de plus que le maintien du régime d’état d’urgence sanitaire !
Plusieurs mesures ont été citées : possibilité d’interdiction de circulation pour les personnes et véhicules ; possibilité de fermeture des établissements recevant du public ; interdiction des rassemblements sur la voie publique, ainsi que des réunions de toute nature.
Voilà des atteintes relativement fortes aux libertés, qui, en plus, viennent s’ajouter aux dispositions auxquelles il est également fait référence dans l’exposé des motifs et dont il a souvent été question : celles de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. Cet article permet aux membres du Gouvernement, notamment au ministre de la santé, de prendre des mesures assez larges dans une situation de « menaces sanitaires », pour reprendre le titre de ce chapitre du code.
En résumé, il nous était demandé, dans le projet de loi initial du Gouvernement, de reconduire de quatre mois, alors que la situation sanitaire est en très nette amélioration, des mesures prises au plus fort de la crise sanitaire pour une durée de deux mois !
La commission des lois n’a pas permis qu’il en soit ainsi, et mon groupe s’alignera sur sa position. En effet, elle a mis en œuvre ce que décrivait le Gouvernement dans son exposé des motifs, c’est-à-dire une sortie graduelle de l’état d’urgence, au travers de mesures certes nécessaires, mais aussi proportionnées à l’état sanitaire du pays, sans omettre une possibilité de retour en arrière si cet état sanitaire venait subitement à s’aggraver.
Comment tout cela est-il inscrit dans la position de la commission des lois ?
Tout d’abord, en lieu et place des interdictions, nous nous contentons de réglementations, ce qui est tout de même sensiblement différent, contrairement à ce que j’ai pu entendre.
Ensuite, nous rétablissons le principe de la liberté, qui doit rester le principe en droit français, et ce n’est que par exception qu’une réglementation – non une interdiction – peut intervenir. S’agissant du droit de manifester, nous rétablissons une liberté totale, en tout cas telle qu’elle existe aujourd’hui. Cela doit être suffisant pour faire face à une situation sanitaire très nettement améliorée.
Néanmoins, qu’en sera-t-il, me demanderez-vous, si, comme c’est possible, la situation se dégrade ? En effet, nous partageons le constat dressé, toujours dans l’exposé des motifs, selon lequel la situation est fragile et pourrait s’aggraver, avec une résurgence de l’épidémie.
Dans une telle hypothèse, le Gouvernement pourrait tout d’abord invoquer les dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, qui a été aménagé pour le sécuriser, me semble-t-il, par la commission des lois et qui confère au Gouvernement, en particulier au ministre de la santé publique, des pouvoirs relativement vastes en termes de restrictions de libertés.
Cette possibilité de restriction ne devant pas être du ressort du ministre de la santé – je suis désolée de vous le dire ainsi, monsieur le ministre, mais je crois que vous ne vous en offusquez pas (M. le ministre le confirme.) –, la commission des lois a prévu que le ministre dispose de tels pouvoirs en vertu de ses attributions en santé publique, ce qui paraît relativement raisonnable.
Par ailleurs, si la dégradation est telle que nous nous retrouvons en état d’urgence sanitaire, il suffira, par décret en conseil des ministres, de déclarer de nouveau l’état d’urgence sanitaire, et nous reprendrons le cours normal de la vie législative.
Tel est le sens de la proposition qui a été avancée par la commission des lois et que le groupe Les Républicains soutiendra. Il s’agit tout simplement, face à une situation sanitaire en amélioration, de prendre des mesures restreintes, sachant que, en cas d’aggravation, nous aurons les moyens de revenir à l’état d’urgence sanitaire et d’appliquer le régime juridique approprié à cet état d’urgence.
Le projet de loi aborde un second point : celui de la conservation des données personnelles. Vous vous en souvenez, alors que nous avions autorisé la conservation des données personnelles – de santé, évidemment – dans un délai n’excédant pas trois mois après leur collecte, le Gouvernement a souhaité introduire de larges dérogations permettant qu’elles soient conservées six mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Cette prolongation, considérable par rapport à ce que nous avions prévu, n’est pas raisonnable, et cela pour deux motifs.
D’une part, le délai de conservation de trois mois après la collecte a été établi, par accord entre les deux chambres du Parlement, à l’occasion d’une commission mixte paritaire.
D’autre part, la loi du 11 mai 2020, dans laquelle ces mesures sont inscrites, a été soumise au contrôle du Conseil constitutionnel – de l’accord de tous, d’ailleurs. Si ce contrôle de constitutionnalité a pu être passé, c’est précisément parce que le Parlement, par cette durée limitée de conservation des données, avait apporté une garantie à un système de collecte dérogeant au secret médical.
Nous pouvons difficilement revenir sur ce qui a été acté par le Parlement et considéré comme apportant une garantie par le Conseil constitutionnel. Je ne suis pas la seule à le dire ; nos collègues de l’Assemblée nationale sont revenus sur ces dispositions et, si une dérogation au délai de conservation des données a été admise, elle l’a été à des fins scientifiques, afin d’améliorer la recherche et la surveillance épidémiologique du virus responsable du Covid-19. C’était donc une mesure extrêmement raisonnable.
Tel est l’état du texte, au sortir des travaux de la commission des lois. Comme cette rédaction nous convient, le groupe Les Républicains la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Je vous remercie de ces interventions en discussion générale, mesdames, messieurs les sénateurs.
Ne vous inquiétez pas, madame la sénatrice Muriel Jourda, je ne m’offusque jamais des remarques qui sont exprimées, et encore moins des travaux réalisés en commission !
En revanche, je suis un peu plus gêné, parfois, par les procès d’intention qui me sont intentés sur de supposées velléités cachées : au travers d’un texte visant à protéger les Français, nous chercherions en fait à limiter les libertés, comme si c’était une passion à laquelle nous nous adonnerions du soir au matin. Soyons raisonnables ! Ce n’est évidemment pas le cas. Et ce n’est pas l’esprit qui, jusqu’ici, a animé les débats dans cette belle assemblée sénatoriale.
Je ne serai pas plus long sur le fond, car nous allons échanger à l’occasion de l’examen de l’article 1er.
Après l’intervention du président Philippe Bas, j’ai effectivement compris, et je m’en réjouis, que la confiance était en passe d’être accordée sur l’article 2. Cela fait suite, notamment, aux travaux à l’Assemblée nationale. Nous concentrerons donc tous nos efforts et nos échanges, constructifs, sur cet article 1er.
M. le président. La discussion générale est close.
La commission va maintenant se réunir pour examiner les amendements de séance.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des lois se réunira en salle René Monory à dix-neuf heures.
M. le président. Je vais donc suspendre la séance. Mes chers collègues, je vous propose de reprendre nos travaux à vingt et une heures trente ; en effet, le ministre n’est disponible qu’après le dîner, et je pense que tout le monde souhaite sa présence dans l’hémicycle pour débattre de ce texte.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire.
Je rappelle que la discussion générale a été close. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire
Article additionnel avant l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Requier, Cabanel et Castelli, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Guérini et Jeansannetas, Mmes Jouve et Laborde et MM. Roux, Vall et Labbé, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 8° du I de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique est complété par les mots : « et les montants des prix contrôlés sont rendus publics et notifiés aux professionnels concernés ».
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Lors de l’examen de la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire du 11 mai dernier, le Sénat avait adopté l’amendement de notre collègue Véronique Guillotin, visant à renforcer les garanties contre tout effet d’aubaine concernant les produits sanitaires de première nécessité au moment d’une crise sanitaire. Il s’agissait de permettre une meilleure publicité des prix contrôlés, auprès des consommateurs, mais également des professionnels.
Au moment de l’épidémie, d’importants moyens de communication ont été déployés pour informer nos concitoyens des gestes barrières à appliquer, notamment via des messages radio ou des panneaux publicitaires. Les mêmes moyens pourraient être exploités à des fins de transparence sur ces prix contrôlés.
L’amendement adopté ayant malheureusement été supprimé en commission mixte paritaire, nous proposons de le réintroduire dans le présent texte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il existe un décret, public, fixant les règles de l’encadrement des prix ; l’information est donc assurée.
Par conséquent, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
I. – À compter du 11 juillet 2020 et jusqu’au 30 octobre 2020 inclus, hors des territoires mentionnés à l’article 1er bis, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19 :
1° Réglementer la circulation des personnes et des véhicules, ainsi que l’accès aux moyens de transport collectif et les conditions de leur usage et, pour les seuls transports aériens et maritimes, interdire ou restreindre les déplacements de personnes et la circulation des moyens de transport, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux, professionnels et de santé ;
2° Réglementer l’ouverture au public, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des locaux à usage d’habitation, en garantissant l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ;
3° Sans préjudice des articles L. 211-2 et L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public ;
4° Imposer aux personnes qui, ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l’infection, souhaitent se déplacer par transport public aérien à destination ou en provenance du territoire hexagonal ou de l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution, de présenter le résultat d’un examen biologique de dépistage ne concluant pas à une contamination par la covid-19. La liste des zones de circulation de l’infection est établie dans les conditions prévues au II de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique.
II. – (Supprimé)
III. – Lorsque le Premier ministre prend des mesures mentionnées au I, il peut habiliter le représentant de l’État territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions.
Lorsque les mesures prévues au même I doivent s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas le territoire d’un département, le Premier ministre peut habiliter le représentant de l’État dans le département à les décider lui-même. Les décisions sont prises par ce dernier après avis du directeur général de l’agence régionale de santé. Cet avis est rendu public.
Le Premier ministre peut également habiliter le représentant de l’État dans le département à ordonner, par arrêté pris après mise en demeure restée sans effet, la fermeture des établissements recevant du public qui ne mettent pas en œuvre les obligations qui leur sont imposées en application du 2° dudit I.
IV. – (Non modifié) Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Les mesures individuelles font l’objet d’une information sans délai du procureur de la République territorialement compétent.
IV bis. – (Non modifié) Les mesures prises en application du présent article peuvent faire l’objet, devant le juge administratif, des recours présentés, instruits et jugés selon les procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative.
V. – (Non modifié) L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre du présent article. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures.
V bis. – Par dérogation à la dernière phrase de l’article L. 3131-19 du code de la santé publique, le comité de scientifiques mentionné au même article L. 3131-19 se réunit pendant la période mentionnée au I du présent article et rend périodiquement des avis sur les mesures prescrites en application des I et II du présent article ainsi que sur les mesures prises par le ministre chargé de la santé en application de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique.
VI. – (Supprimé)
VII. – Les troisième à septième alinéas et les deux derniers alinéas de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique sont applicables aux mesures prises en application des I et III du présent article.
VIII. – (Non modifié) Les I à VII du présent article s’appliquent sur tout le territoire de la République.
IX. – (Supprimé)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Mis en place le 23 mars dernier, l’état d’urgence sanitaire avait méthodiquement organisé le placement en quarantaine de nos libertés individuelles, fondamentales et politiques.
Face à la crise liée au Covid-19, nous avions accepté cet état de fait, tout en dénonçant les possibles dérives d’un tel droit d’exception. Force est de constater, hélas, que nos craintes étaient fondées : alors que le Gouvernement s’apprête à mettre fin à l’état d’urgence sanitaire le 10 juillet prochain, il estime également nécessaire de s’approprier certains de ses outils jusqu’au 30 octobre !
Si cet article était adopté, en cas d’un risque nouveau de propagation du virus, le Premier ministre et le préfet se verraient notamment attribuer le droit de réguler la circulation des individus, d’aménager le fonctionnement des établissements recevant du public et, surtout, de réglementer la tenue des rassemblements.
Une telle volonté est incompréhensible ! Si l’exécutif demande la fin de l’état d’urgence, c’est qu’il estime que la crise sanitaire est sous contrôle. Dès lors, pour quelles raisons souhaite-t-il entraver la capacité de nos concitoyens à se réunir et à manifester ?
Entre droit d’exception et droit commun, le Gouvernement veut désormais définir une troisième voie transitoire, dans laquelle le premier se fondrait dans le second. Une telle situation n’est pas souhaitable. Avec la fin de l’urgence sanitaire, devrait arriver le déconfinement de nos droits et libertés.
L’exécutif ne saurait se livrer à une gouvernance solitaire par décrets, venant restreindre et réguler nos moindres faits et gestes.
Mme Laurence Cohen. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.
M. Bruno Retailleau. Alors que nous abordons l’article 1er, la disposition la plus importante de ce texte de loi, je voudrais prendre quelques minutes, monsieur le ministre, pour bien vous expliquer l’état d’esprit dans lequel nous nous trouvons.
Tout d’abord, nous avons souhaité soutenir les deux premiers textes consacrant l’état d’urgence sanitaire, dans sa dimension juridique : la loi du 23 mars 2020, qui l’instaurait ; puis, deux mois plus tard, la loi du 11 mai 2020, qui le prolongeait.
Dans ce cadre, nous n’avons ni négocié ni mesuré notre soutien au Gouvernement. Nous pensions en effet – c’était notre ligne – que le devoir du Sénat, et plus largement du Parlement, était de lui donner les moyens nécessaires pour assumer sa mission, celle-ci étant évidemment, en cas de crise sanitaire, de protéger les Français.
Nous avons donc voté – les yeux fermés ou presque, allais-je dire – les deux textes relatifs à l’état d’urgence.
Dans le cas présent, il aura au contraire fallu toute la subtilité de notre président de la commission des lois – elle est grande –, toute la détermination des membres de cette même commission des lois – elle n’est pas moins grande – pour trouver un chemin qui, pour ne pas être nouveau, était très étroit, nous permettant de ne pas rejeter le texte.
Très franchement, lorsque nous avons constaté que ce projet de loi, dont le titre – « organiser la sortie de l’état d’urgence sanitaire » – est savoureux, pour ne pas dire sucré, avait pour seul but de prolonger de quatre mois des dispositifs contraignant la liberté de circulation ou de rassemblement, nous avons considéré que la demande présentée par le Gouvernement à la représentation nationale excédait ce que nécessitait l’état sanitaire actuel.
Il y aura, et j’en termine par cette observation, une singularité française qu’il conviendra d’étudier – pas ce soir, mais à l’avenir.
Nous avons eu le confinement le plus rugueux, le plus dur, le plus long. Nous avons sans doute eu, de toutes les économies occidentales et européennes, l’arrêt le plus brutal. Enfin, nous avons eu un état de droit parmi les plus contraints : le Parlement a travaillé difficilement, la justice s’est presque interrompue, et il y a eu un transfert massif des pouvoirs vers l’exécutif.
Le Sénat a profondément amendé ce texte, pour que les pouvoirs attribués à l’exécutif, notamment au Premier ministre, soient bien proportionnés à l’état réel de l’urgence sanitaire. Ce que je veux vous dire, monsieur le ministre, c’est que, malgré toute notre bonne volonté, nous sommes parvenus à la limite de nos capacités de souplesse et nous ne pourrons accepter des dispositifs plus contraignants.
Pour être encore plus clair, il ne faudra pas compter sur nous pour aller, en CMP, bien au-delà de ce que la commission des lois a fait et que nous allons voter ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 13 est présenté par MM. Sueur, Kanner, Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mmes Rossignol, Schoeller et Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 15 est présenté par Mmes Assassi, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 17 est présenté par MM. Labbé et Cabanel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Patrick Kanner, pour présenter l’amendement n° 13.
M. Patrick Kanner. Le 22 mars dernier, nous avons examiné un premier texte sur l’état d’urgence, adopté dans les conditions d’urgence que nous savons.
À cette occasion – j’ai relu mon intervention lors des explications de vote sur l’ensemble –, j’avais évoqué la notion d’« article 16 rampant à caractère sanitaire ». Je ne pensais pas avoir si bien dit, monsieur le ministre ! Le « en même temps et tout à la fois » que vous nous proposez ne convient pas, d’où cette demande, par le groupe socialiste et républicain, d’une suppression pure et simple de l’article 1er du projet de loi.
Nous pensions sortir de l’état d’exception. Quelle déception à la lecture du texte ! Être ou ne pas être… L’état d’urgence est en vigueur ou il ne l’est pas… Monsieur le ministre, un état d’urgence se déclare ou se lève. Si les conditions exceptionnelles définies par la loi sont réunies, on le déclare ; si elles ne le sont plus, on le lève. C’est noir ou blanc, blanc ou noir. Ce n’est pas gris ! Ou alors c’est que c’est flou, et vous connaissez la suite… (Sourires.)
Une sortie de l’état d’urgence, monsieur le ministre, ne s’organise pas, ne s’aménage pas, ne se décline pas. C’est une levée totale. On met fin à l’exception, et le droit commun redevient, et doit redevenir, la règle. En tout cas, c’est ainsi que, selon tous les bons juristes, doit prendre fin une situation à caractère exceptionnel.
Avec ce projet de loi, vous maintenez le régime de l’état d’urgence dans sa substance, tout en consentant à sortir formellement du cadre de la loi du 23 mars 2020, et ce pour une durée de quatre mois minimum, qui pourrait donc être potentiellement indéterminée. Il y a là une contradiction !
Vous jugez nécessaire le maintien de certains pouvoirs exorbitants. À nos yeux, au contraire, dès lors que l’état d’urgence est levé, c’est la fin des textes d’exception et des pouvoirs exorbitants, y compris ceux qui sont accordés au Premier ministre ou à ses ministres.
C’est notre position, et Jean-Pierre Sueur l’a très clairement rappelée dans son intervention générale : si le Gouvernement lève l’état d’urgence, il doit le faire en totalité ; si, parce que le nombre de clusters augmente et que la pandémie reprend, il doit de nouveau décréter l’état d’urgence, il nous trouvera à ses côtés, pour revenir à un État assumant la protection des Français.
Néanmoins, le texte que vous nous proposez aujourd’hui, monsieur le ministre, est un « milieu du gué » qui ne nous convient pas. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 15.
Mme Éliane Assassi. Nous partageons avec vous, monsieur le président de la commission des lois, le constat de l’ambiguïté de ce texte proposant une fin d’état d’urgence sanitaire qui, en fait, n’en est pas une !
Dans la presse, vous avez annoncé que vous ne proposeriez pas « au Sénat d’adopter tel quel un texte qui est profondément ambigu ». Vous avez même ajouté : « Je dis attention ; ou bien on sort de l’état d’urgence, et alors on en sort vraiment, ou bien on y reste, mais alors il faut le dire ».
Or les modifications que vous avez proposées et fait voter par la majorité de la commission des lois ne permettent pas, selon nous, de sortir de l’ambiguïté que vous dénoncez. Elles sont elles-mêmes, en effet, ambiguës.
Vous proposez par exemple non plus d’interdire les manifestations, mais de les réglementer. Pourtant, vous savez comme moi que la réglementation peut déboucher sur une forte dissuasion, et nous pouvons faire confiance à un préfet comme M. Didier Lallement en ce domaine… Autrement dit, un excès de réglementation pourra parfaitement masquer une forme d’interdiction.
Comme vous l’indiquiez, ou nous sommes dans un état d’urgence, ou nous ne le sommes pas. L’attitude claire, courageuse, pour faire respecter les libertés publiques et les pouvoirs du Parlement est donc celle du rejet de ce texte, tout particulièrement de son article 1er.
Comment ne pas remarquer que la prolongation de mesures d’exception – le texte de la commission s’inscrit, malgré tout, dans ce cadre jusqu’au 30 octobre – diminue encore, par rapport à l’état d’urgence sanitaire, classique ou d’exception, le pouvoir d’intervention des parlementaires, députés et sénateurs.
S’y ajoutent, j’y faisais allusion, les pouvoirs exorbitants confiés aux préfets en matière de liberté publique, notamment avec les alinéas 7 à 9 de l’article 1er.
Pour toutes ces raisons, nous proposons nous aussi la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 17.
M. Joël Labbé. Cet amendement, comme les précédents, vise à supprimer l’article 1er du projet de loi. En effet, cet article prolonge des mesures restrictives des libertés fondamentales et des droits qui ont été mises en place dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ; il vient ainsi brouiller la frontière entre l’exception et le droit commun, avec tous les risques que cela comporte pour l’État de droit.
Alors que la population est appelée à voter pour le second tour des municipales, que les activités économiques reprennent – et c’est tant mieux – et que la situation sanitaire continue de s’améliorer – et c’est aussi tant mieux –, la proposition du Gouvernement de créer ce nouveau régime dérogatoire est à la fois disproportionnée et inutile.
En effet, le droit existant, cela a déjà été expliqué à plusieurs reprises lors de nos débats, est largement suffisant pour gérer la situation sanitaire. Et, en cas de résurgence de l’épidémie, le Gouvernement et le Parlement auraient la capacité de prendre les mesures nécessaires, et cela en urgence.
Certes, cela a été souligné, la commission des lois a limité fortement la portée de cet article en proposant de donner au Premier ministre le pouvoir de réglementer, plutôt que d’interdire. Cela atténue indéniablement les restrictions de libertés proposées par le texte.
Toutefois, même s’il est quasiment vidé de sa substance, c’est malgré tout un nouveau régime dérogatoire au droit commun qui nous est proposé, et c’est de ce fait un entre-deux pour nous inutile.
De plus, le contexte actuel doit nous amener à être plus que vigilants sur la question des restrictions apportées aux libertés ; je pense en particulier au droit de manifestation.
Rappelons que le Conseil d’État a considéré la limitation de ce droit fondamental prise dans le cadre de l’état d’urgence comme une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion et à la liberté de manifester, alors que, après plusieurs mois de limitation des libertés publiques et à l’heure où s’organisent les débats sur le monde d’après, les citoyens ressentent légitimement le besoin d’exprimer collectivement leurs idées, et cela en toute liberté.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. J’aurais très bien compris le sens de ces amendements s’ils avaient porté sur le texte voté par l’Assemblée nationale…
Or la commission des lois du Sénat a supprimé cette rédaction, pour en adopter une autre. Toutes les mesures qui étaient le calque, à la virgule près, de celles qui avaient été prises dans le cadre du régime d’état d’urgence sanitaire – mesures relatives à la liberté d’aller et venir, à la fermeture d’établissements recevant du public, ou encore à d’autres libertés essentielles comme celle de manifester ou de se réunir – ont été purement et simplement retirées du texte par la commission des lois, qui a intégralement réécrit cet article.
Je ne renie rien des propos que j’ai tenus, chère présidente Assassi. En effet, et je l’ai dit à la tribune, je considère qu’un texte de sortie de l’état d’urgence sanitaire qui reproduit les mesures les plus importantes de l’état d’urgence sanitaire est un texte de prorogation de l’état d’urgence sanitaire !
En outre, je veux bien admettre que, comme l’indiquait le Gouvernement, s’il s’agit réellement d’un texte portant sur la sortie de l’état d’urgence sanitaire, alors il ne faut prendre que des mesures utiles à cette fin. Je crois que c’est ce que nous avons fait en réduisant le champ des mesures qui nous étaient proposées.
J’espère d’ailleurs, si vous vous rangez à la proposition de la commission des lois, que le Gouvernement s’y ralliera. En effet, nous lui permettons de prendre les mesures nécessaires pour les boîtes de nuit, d’imposer le port du masque dans les métros des grandes villes, mesures à mon avis assez raisonnables, auxquelles il faut certes donner une base légale, mais rien de plus.
Je ne vous demanderai pas de retirer vos amendements ; ils sont pour vous le moyen de marquer très clairement une position politique. Mais, pour ma part, j’essaie d’être pragmatique et d’apporter des réponses.
C’est notre rôle à nous, sénateurs, non pas d’adopter une position qui soit exclusivement politique, mais de chercher des solutions qui n’exposent pas les libertés individuelles et les libertés publiques à des restrictions aussi drastiques que ce que prévoit l’état d’urgence sanitaire, tout en permettant, malgré tout, de prendre, pendant une période qui est encore incertaine, dans l’intérêt général et dans l’intérêt de la santé publique, d’utiles précautions.
Bien entendu, s’il fallait prendre des mesures plus importantes, le Gouvernement pourrait toujours recourir à l’état d’urgence sanitaire.
Je crois que nous sommes sur une piste d’atterrissage,…
M. Patrick Kanner. Elle est glissante !
M. Philippe Bas, rapporteur. … et je vous convie donc à nous réunir autour de cette solution pratique, très respectueuse, me semble-t-il, des libertés. Je le sais bien, et vous avez raison de le dire, c’est la vocation du Sénat que d’affirmer dans la discussion parlementaire sa préoccupation des libertés, en même temps que celle de la santé.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, personne ne peut dire que le virus a disparu de notre pays.
Mme Muriel Jourda. Personne ne le dit !
M. Olivier Véran, ministre. Et personne ne le dit. Personne ne peut donc considérer qu’il faille aujourd’hui nous départir d’outils dont j’avais retenu des précédents débats qu’ils vous paraissaient, à vous qui avez rédigé ces amendements de suppression de l’article, indispensables dans la lutte contre la diffusion du virus.
Je vous donnerai un exemple : si vous supprimez cet article 1er, à la minute où l’état d’urgence prend fin, il n’existera plus aucune base légale pour imposer le port du masque dans le métro.
Je ne critique pas la légitimité de ces amendements, et il ne me revient pas de le faire. Mais j’avais cru comprendre, à la suite de récents échanges qui ont eu lieu au Sénat, que les sénateurs et sénatrices de l’ensemble des groupes, y compris ceux qui en sont signataires, étaient très sensibles à la question du port du masque.
Mme Éliane Assassi. Vous, vous ne l’étiez guère !
M. Olivier Véran, ministre. J’avais cru comprendre, monsieur le sénateur, qu’un certain nombre de débats avaient eu lieu, dans tous les groupes et dans tous les partis, pour savoir si, oui ou non, il fallait imposer le port du masque dans la sphère publique.
M. Patrick Kanner. Les Français l’ont compris d’eux-mêmes !
M. Olivier Véran, ministre. Aujourd’hui, je vous demande de permettre au Gouvernement de continuer à rendre obligatoire le port du masque dans certaines situations, par exemple dans le métro.
Le Gouvernement vous demande aussi de lui donner la base légale pour interdire les rassemblements de 40 000 personnes les unes à côté des autres dans un stade ou dans un lieu fermé.
Je n’ai pas participé à la fête de la musique – j’aurais pourtant adoré –, mais j’ai lu de nombreux commentaires sur Twitter à propos des scènes de liesse populaire auxquelles elle a donné lieu, en particulier dans la capitale, monsieur le sénateur – dans certaines villes, des mesures de restriction ont été appliquées.
Mme Esther Benbassa. Vous n’avez pas interdit ces rassemblements !
M. Olivier Véran, ministre. Des élus de tous bords s’étonnaient de voir quelques centaines de personnes danser les unes contre les autres, en plein air. Or, si cet article est supprimé, il n’existera plus aucune base légale pour interdire le rassemblement de milliers et de milliers de personnes, y compris dans des lieux clos, dont on sait, par expérience, qu’ils sont tout à fait propices à la circulation du virus.
Lors des différentes occasions où je me suis présenté devant vous, nous avons eu des débats à la fois intéressants et nécessaires sur la situation dans les outre-mer et sur les mesures de précaution que nous devions prendre à l’égard de ces territoires.
À l’heure où je vous parle, le facteur de reproduction du virus, son incidence et le nombre de tests positifs en Guyane suscitent de vives inquiétudes, et nous sommes totalement mobilisés. Or, si vous supprimez cet article 1er, il n’existera plus de base légale pour réguler les flux aériens entre la métropole et la Guyane, pour effectuer des contrôles, des tests de dépistage ou pour prendre des mesures d’isolement des personnes arrivant dans ce territoire, en particulier en provenance de l’étranger, par exemple du Brésil, un pays où le virus circule activement.
Deux possibilités s’offriraient alors à moi : ou je dis aux Français que, n’ayant pas obtenu la confiance du Parlement, je ne peux continuer à mettre en œuvre des mesures ajustées et adaptées à la situation de restriction des libertés, faute de base légale ; ou nous passons par la voie réglementaire, en prenant autant de décrets qu’il en faudra.
En tant qu’ancien parlementaire, je considère que le respect des règles démocratiques nécessite d’en passer par le Parlement et d’obtenir sa confiance. La voie du décret, sans doute plus rapide, n’est pas celle que le Gouvernement a retenue.
J’entends toutes les critiques et, au nom du Gouvernement, monsieur le président de la commission, je m’excuse des conditions et des délais contraints dans lesquels, une fois de plus, vous avez dû examiner ce texte. Croyez-moi, je passe plus souvent qu’à mon tour un certain nombre d’heures, de journées et parfois de nuits sur les bancs de l’Assemblée nationale et du Sénat, et je sais votre diligence, votre implication et le sérieux de votre travail.
Toutefois, je ne crois pas, au fond, que nous soyons ici dans un débat partisan et politique au sens classique du terme, parce que le virus n’a pas de parti, parce que les moyens de lutter contre lui n’ont pas de parti, et parce que j’ai toujours cru, et je continue de le croire, que, dans une période d’épidémie comme celle que nous traversons, nous devons aussi envoyer aux Français un signal de responsabilité collective.
Bref, j’émets un avis défavorable sur ces amendements de suppression de l’article 1er, tout en soulignant, même si je n’y siège pas, que certaines des modifications apportées par la commission des lois du Sénat sont peut-être susceptibles de faire l’objet d’un accord en commission mixte paritaire.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le ministre, il ne nous a pas échappé que nous examinions le texte de la commission des lois, et non pas celui du Gouvernement ; pour autant, cela ne nous empêche pas de critiquer ce dernier.
Vous parlez de l’obligation du port du masque. Mais vous-même à un moment n’étiez pas convaincu – je vous renvoie notamment aux déclarations que vous avez faites dans cet hémicycle – de l’utilité d’une telle mesure, certainement en raison des connaissances que l’on avait alors sur ce virus.
Il ne faut pas mélanger les genres ! Vous parlez de sujets qui ne sont pas ceux dont il est question ici.
Mme Laurence Cohen. Les critiques peuvent vous contrarier, vous irriter, mais il faut tout de même que vous les entendiez, monsieur le ministre. Quel est l’objet de votre texte ? Passer d’un régime de manifestations libres et déclarées – c’est la loi – à un régime de manifestations autorisées. C’est cela le problème. On en arrive ainsi à des mesures liberticides.
Monsieur le ministre, vous nous parlez des masques ou de la situation en Guyane. Moi-même, je ne suis pas autant au fait de celle-ci que certains collègues ici présents ; mais vous, vous savez ce qu’elle est et vous entendez les appels au secours de nos collègues de Guyane et des territoires ultramarins, qui disent le manque de masques, d’équipements, le besoin de médecins, les hôpitaux trop peu nombreux.
Aussi, ne mélangez pas les genres et tentez plutôt de nous convaincre en assumant les mesures que vous portez.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Nous sommes tous ici attentifs à l’efficacité de notre société dans la lutte contre la pandémie ; il n’y a aucun débat sur ce point. Doit-on pour autant en passer obligatoirement par un texte supplémentaire ? Voilà ce sur quoi porte le débat sur l’article 1er et sa possible suppression.
Pour répondre à cette question, nous devons connaître les moyens dont dispose à ce jour l’exécutif, à savoir les moyens traditionnels de tout pouvoir exécutif, mais aussi ceux qui lui ont été donnés par la loi du 23 mars dernier, non pas en autorisant la mise en place de l’état d’urgence sanitaire, mais en prévoyant les modalités transitoires de sortie de cet état d’urgence. Parmi celles-ci, l’article L. 3131-1 du code de de la santé publique vous donne, pour cette période, des moyens identiques à ceux qui sont prévus à l’article L. 3131-15 du même code.
Aussi, pour une part importante des membres du groupe Union Centriste, vous disposez de tous les moyens pour prendre les décisions utiles face au risque d’un retour de la pandémie, et un texte supplémentaire n’est pas nécessaire. En particulier, au regard de la question du port du masque, cet article autorise le Premier ministre à réglementer l’accès aux moyens de transport collectif ou – autre point que vous avez évoqué, monsieur le ministre – les rassemblements publics.
Aussi, j’aimerais vous poser la question en sens inverse : puisque, selon vous, ce texte est nécessaire pour vous permettre d’interdire, si besoin est, les rassemblements, pour réglementer les déplacements aériens, pour gérer les questions liées au port du masque, dites-moi alors, si l’on suit votre raisonnement, dans quelles circonstances seriez-vous amené à demander au Parlement de rétablir l’état d’urgence, et quels moyens supplémentaires cette mesure vous offrirait-elle ?
À mon avis, si je me réfère à l’exposé que vous venez de nous faire, vous nous demandez, par ce texte, de rétablir un état d’urgence qui n’en porte pas le nom. Pour une partie d’entre nous, ce n’est pas nécessaire et cela ne contribue pas à la nécessaire clarification dont a besoin notre société. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.
M. Rémi Féraud. Monsieur le ministre, j’ai été un peu surpris de vos explications. En tant qu’élu parisien, j’y ai vu la confirmation que quelque chose n’allait pas.
Vous avez parlé de la fête de la musique, qui a eu lieu hier. Certes, vous n’avez cité le nom d’aucune commune, mais j’imagine que vous faisiez allusion aux scènes qu’on a pu observer à Paris, en particulier dans l’arrondissement dont je suis l’élu.
Ces manifestations spontanées relèvent de la responsabilité non pas de la maire de Paris, mais du préfet de police, qui, alors que nous sommes encore en état d’urgence, n’a pas estimé devoir interdire purement et simplement la fête de la musique. Je ne conteste pas ce choix, d’autant que la police était présente pour faire son travail. Toujours est-il que ces rassemblements spontanés ont pris une trop grande ampleur au regard de la situation de crise sanitaire que nous vivons.
Pareillement, refusant de leur faire confiance, vous avez obligé les élus locaux à maintenir fermés les parcs et jardins de l’Île-de-France durant cette période d’état d’urgence, pour une durée qui, de l’avis général, a été beaucoup trop longue.
Par conséquent, le prolongement des mesures inscrites dans la loi relative à l’état d’urgence n’est pas une réponse adaptée à la situation et aux enjeux auxquels nous devons faire face. C’est particulièrement vrai en milieu urbain dense, comme nous l’avons bien vu notamment à Paris et en Île-de-France.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13, 15 et 17.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 125 :
Nombre de votants | 319 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Pour l’adoption | 100 |
Contre | 215 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 18, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et Apourceau-Poly, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, M. P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le dimanche 14 juin dernier, le chef de l’État, Emmanuel Macron, nous annonçait que l’ensemble de la France métropolitaine passait en zone verte sur le plan sanitaire. Nous accueillions avec soulagement, mais prudence, cette nouvelle, qui laissait présager un prochain retour à la normale.
Dans ces conditions, il semble légitime que l’état d’urgence sanitaire, instituée par la loi du 23 mars 2020, prenne fin. Nous tenons donc à pointer du doigt l’incohérence du Gouvernement, qui souhaite ici créer un droit hybride entre le droit commun et le droit d’exception en vigueur pendant l’épidémie.
Monsieur le ministre, si vous estimez que la pandémie est suffisamment sous contrôle pour que nous puissions nous passer de l’état d’urgence sanitaire, agissez en conséquence !
Que des réglementations soient conservées un temps, notamment en matière de port du masque ou de respect des gestes barrières dans les transports en commun, nous l’entendons parfaitement. Ces précautions nous semblent tout à fait raisonnables. Mais il nous paraît excessif de conférer ces prérogatives au Premier ministre.
Une telle mesure, attentatoire à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur la liberté de circulation, est disproportionnée à l’heure où l’exécutif souhaite assurer une transition vers la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Ainsi, par le présent amendement, nous demandons la suppression de l’alinéa 2 de l’article 1er.
Le virus est toujours présent, mais il est latent. Nous sommes donc favorables à ce que des précautions soient de mise, mais sans disproportion.
M. le président. L’amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
ou restreindre
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Cet amendement du Gouvernement vise à préciser la portée des notions retenues au premier alinéa de l’article 1er, dans sa rédaction issue des travaux de la commission des lois.
La faculté générale de réglementer la circulation des personnes et des véhicules doit permettre d’intégrer, le cas échéant, des mesures de restriction de la circulation des personnes ou des véhicules au-delà d’un certain périmètre géographique, sans donner pour autant la possibilité de prendre des mesures assimilables à des interdictions de sortie du domicile, comme le prévoyait l’état d’urgence sanitaire.
C’est ce qui permettrait d’ailleurs, en cas de cluster ou, plus largement, en cas de résurgence de l’épidémie, de limiter la circulation au-delà d’une zone, par exemple une ville, comme cela s’est fait dans beaucoup de pays, encore cette semaine.
Dans le cas d’un cluster avec dissémination du virus au sein d’une commune ou d’une intercommunalité, il serait alors possible de limiter les sorties en dehors de cette zone, afin d’éviter la diffusion non contrôlable du virus.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je suis heureux de constater que la commission a retenu une position médiane, qui permet de calibrer exactement les mesures susceptibles d’être prises pendant la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Elle est donc défavorable à ces deux amendements.
Non, madame Benbassa, le texte de la commission ne contrevient pas à l’une des libertés fondamentales garanties par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Non, monsieur le ministre, nous ne souhaitons pas vous permettre de faire plus que réglementer la circulation de nos compatriotes, que, quant à vous, vous voulez restreindre. Nous voulons que vous puissiez imposer le port du masque dans le métro, bien sûr, mais nous ne voulons pas que vous puissiez interdire un certain nombre de déplacements. Si vous devez le faire, vous pourrez toujours prendre un décret pour déclarer l’état d’urgence sanitaire, même si vous n’en utilisez pas toutes les potentialités.
J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 18 ?
M. Olivier Véran, ministre. Je puis comprendre, monsieur le président de la commission des lois, les restrictions que vous entendez apporter à ce texte.
Toutefois, est-ce à dire que, dans le cas où apparaîtrait un nouveau cluster, nous devrions prendre un décret pour déclarer l’état d’urgence sanitaire dans tout le pays, de peur de ne pouvoir maîtriser la chaîne de contamination, et ce afin de limiter la circulation des personnes contaminées en dehors de la zone géographique concernée ?
Vous savez, c’est non pas le virus qui circule, mais les personnes contaminées, la plupart du temps sans qu’elles sachent qu’elles le sont, et elles n’y sont pour rien. C’est ainsi que l’épidémie s’est propagée, à partir de foyers épidémiques dont, par définition, on ignorait l’existence, dès lors que les personnes contaminées ont commencé à circuler en nombre et quitté ces zones.
Or il peut arriver que l’on assiste à une résurgence en masse de cas épidémiques, ce qu’on appelle les clusters. Dès lors que l’on en est informé, il est possible de prendre des mesures d’anticipation. Je vous renvoie à l’exemple des Contamines-Montjoie en Haute-Savoie, où nous avons dû limiter la circulation, fermer les écoles, procéder à des hospitalisations, tracer les contacts de personnes contaminées et les placer à l’isolement. C’est ainsi que nous avons pu « éviter la balle », si je puis dire, c’est-à-dire éviter que le virus ne se propage dans toute la Haute-Savoie trois ou quatre semaines plus tôt.
Où avez-vous vu que, au cours des quatre mois qui viennent de s’écouler, nous aurions pris des mesures abusives et disproportionnées de limitation de la circulation des personnes, en ciblant un endroit particulier ? Quel serait le sens d’une telle mesure ?
Dès lors, pourquoi vouloir interdire ou retirer au Gouvernement la possibilité de limiter temporairement la circulation en dehors d’une zone d’activité du virus ? Quel usage considérez-vous que nous pourrions faire de cette faculté temporaire, si ce n’est protéger les personnes de tout risque épidémique en adoptant des mesures urgentes ? J’ai beau creuser la question, y compris en me mettant à la place de gens qui ne m’aimeraient vraiment pas, je ne trouve pas de réponse…
Par conséquent, je vais nécessairement émettre un avis défavorable sur cet amendement n° 18, tout en insistant sur l’amendement n° 23 du Gouvernement.
Même si, je le répète, je respecte les travaux de la commission, j’essaie – c’est bien pour cela aussi que je suis là ce soir – de vous rendre compte, de manière aussi pratique que possible, des situations de vie que j’ai rencontrées au cours de ces quatre derniers mois et des décisions que j’ai été amené à prendre, dans l’urgence, pour protéger les personnes.
Vous pouvez estimer que ces mesures ont été abusives et faire en sorte que notre pays et ses représentants ne puissent plus prendre aucune décision en ce sens. Encore une fois, si je suis ici ce soir, devant le Parlement, c’est bien parce que j’accepte le débat démocratique. Simplement, je veux vous avertir des conséquences potentielles sur notre arsenal de lutte conte la diffusion du virus des décisions que vous pourriez être amenés à prendre, mus par des craintes que j’ai du mal à concevoir ; mais, encore une fois, chacun est libre.
J’émets donc un avis défavorable sur amendement n° 18.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le ministre, il est en effet heureux que vous soyez présent pour mener un débat approfondi sur toutes ces questions.
Vous dites ne pas concevoir quelle pourrait être une mesure de substitution à la limitation de la liberté de circulation des personnes en cas de cluster. Pourtant, les mesures que vous entendiez vous-même mettre en œuvre au mois de mars n’ont pas pu l’être, parce qu’elles demandaient des préparatifs, une organisation, nécessitaient que du matériel et des tests de dépistage soient disponibles.
À présent, vous savez bien que, quand des cas se déclarent, les plateformes qui ont été obligatoirement mises en place par l’assurance maladie permettent de remonter les filières de contamination, d’identifier les personnes atteintes et de les placer en quatorzaine.
Indépendamment de la question des autorisations de circuler ou non, ce qui permettra de lutter efficacement contre la propagation du virus, sans doute à une certaine échelle, ce sont des mesures de substitution aux restrictions majeures des libertés publiques que vous avez, avec notre accord, fait supporter au pays, faute de mieux, faute de meilleurs moyens disponibles.
Avions-nous les tests de dépistage ? Avions-nous les masques ? Avions-nous le système d’information que nous vous avons autorisé à mettre en place par la loi du 11 mai ? Non, nous n’avions rien de tout cela ! Maintenant, nous avons tout cela et nous conservons aussi la possibilité, si un territoire connaît de nombreux cas de contamination, de l’isoler en y déclarant l’état d’urgence sanitaire. C’est d’ailleurs ce que nous allons faire pour la Guyane et pour Mayotte.
Vous disposez de toute une panoplie, de tout un arsenal qui ne vous laisse pas les mains nues face à des contaminations locales. Je crois donc que vous pouvez maîtriser ces foyers de contagion autrement que par des mesures majeures de restriction des libertés publiques, comme la liberté d’aller et venir, qui est très importante.
Afin de prévenir la contagion, il sera naturellement plus efficace qu’une personne contaminée accepte de se placer en quatorzaine pour préserver son entourage de travail, sachant par ailleurs que son employeur ne l’acceptera pas sur son lieu de travail tant qu’elle n’est pas rétablie.
Je crois que l’on peut envisager une autre politique que celle que nous avons été condamnés à accepter, faute de mieux, depuis le confinement généralisé des Français. Il ne faut surtout pas se mettre dans l’idée que la première décision à prendre, quand des cas de contamination surviendront quelque part, sera de restreindre les libertés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Monsieur le rapporteur, ce ne serait en aucun cas la première décision de cette nature : sinon, je serais conduit à la prendre cinquante fois par jour depuis le déconfinement !
Il ne vous aura pas échappé que des clusters sont détectés tous les jours ; heureusement, nous en maîtrisons les chaînes de contamination. Il ne vous aura pas échappé non plus que nous n’avons pas édicté d’interdiction de circulation : nous sommes parfaitement au fait de cet enjeu.
Je puis faire miennes certaines de vos analyses ; mais quand vous dites que, si nous avons confiné, c’est parce que nous n’avions ni masques ni tests, vous faites au mieux un raccourci. Il me semble que, dans cette assemblée, l’on a cité en exemple un certain nombre de pays ayant opté pour le confinement.
Ainsi, la Chine n’a jamais connu de pénurie de masques ou de tests : elle en est la première productrice au monde. Or, il y a trois jours, j’ai lu dans la presse que Pékin avait fermé ses écoles, suspendu son trafic aérien et interdit les sorties de la ville.
M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas notre modèle !
M. Olivier Véran, ministre. Je ne dis pas le contraire ! Je mentionne simplement des pays que vous avez régulièrement cités en exemple…
M. Bruno Retailleau. Nous n’avons jamais cité la Chine !
M. Olivier Véran, ministre. Alors Singapour, si vous préférez, ou encore l’Allemagne ! Quoi qu’il en soit, on ne peut pas voir les choses par le petit bout de la lorgnette. Il faut avoir une vue d’ensemble.
Mesdames, messieurs les sénateurs, personne ici n’a envie de reconfiner. Nous mettons tout en œuvre pour ne pas être réduits à cette extrémité pour le pays tout entier, ni même pour une ville. Nous sommes donc tous d’accord quant à l’objectif. Néanmoins – j’y insiste –, il faut avoir de la suite dans les idées.
Vous avez été très nombreux à nous dire de suivre les avis du conseil scientifique. Or ce dernier nous certifie qu’il faut rester armé.
Je ne citerai pas de ville en particulier – dès que je le fais, tout le monde prend peur. Imaginez une magnifique ville de France qui s’appellerait Atlantide, avec ses rivières et ses parcs ; imaginons qu’elle connaisse un cluster, que ses habitants subissent une super-contamination. Tout d’un coup, on découvre que 150 personnes sont malades. Imaginez que la population inquiète se dise qu’il faut faire ses valises au plus vite, monter dans sa voiture et quitter la ville, alors même que nous mettons en place des opérations de traçage…
M. Philippe Bas, rapporteur. État d’urgence sanitaire !
M. Olivier Véran, ministre. Monsieur le rapporteur, qu’ai-je entendu sur l’état d’urgence sanitaire dans cette assemblée ? Aujourd’hui, on m’assure qu’il y avait consensus. Mais, pour avancer, il a fallu reprendre l’ouvrage un certain nombre de fois, et – je le répète –, c’est tout à fait naturel.
Cela étant, si l’on déclenche l’état d’urgence sanitaire dans tout le pays, on donne aux autorités tous les pouvoirs qui vont avec, même localement ; on doit assumer une nouvelle limitation des libertés…
M. Jérôme Bascher. Ne refaites pas l’histoire !
M. Olivier Véran, ministre. Je ne refais pas l’histoire, monsieur le sénateur : je l’ai vécue, avec vous !
Je souhaite bel et bien n’avoir jamais à appliquer une telle mesure, mais je pourrais être conduit à la mettre en œuvre. Si je vous affirmais le contraire, vous ne seriez pas les derniers à me dire : « Vous n’avez pas anticipé. » Autour de nous, plusieurs pays ont déconfiné, mais, temporairement, ont été obligés d’instaurer des mesures de limitation de circulation sans pour autant revenir à l’état d’urgence sanitaire.
Vous m’avez donné vos arguments, je vous donne les miens ; le Sénat va sans doute voter contre l’amendement du Gouvernement. Je reviendrai à la charge en seconde lecture, parce que j’y crois. Si je n’y croyais pas, je vous dirais : il est tard, passons à autre chose.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez toujours été très vigilants, parfois piquants, en nous disant de mettre en œuvre les mesures qui s’imposent pour protéger les Français. Il m’est arrivé un certain nombre de fois de vous demander un certain nombre de mesures, et vous ne les avez pas votées. Je reste cohérent !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, que je remercie par avance de sa concision…
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le président, vous le savez, je suis toujours vos conseils avec beaucoup de déférence ; vous avez la charge de nous faire accoucher du texte avant que nous ne nous couchions. (Sourires.) Néanmoins, nous sommes ici pour débattre.
Monsieur le ministre, je me contenterai de quelques remarques.
Tout d’abord, je citerai un grand pays moderne, celui qui obtient les meilleurs résultats dans la lutte contre le Covid-19 : la Corée du Sud. Cet État a maîtrisé l’épidémie sans confinement.
Je ne prétends pas qu’il s’agit d’un modèle pour nous : chacun sa culture. Toutefois, cet exemple le prouve : on pouvait obtenir ce résultat sans porter atteinte aux libertés publiques si fortement que nous avons dû le faire – je l’ai dit, nous avons donné notre accord à ce titre, faute de mieux, mais les libertés publiques ont été réduites dans des proportions sans précédent dans l’histoire de notre République – et sans mettre en péril l’économie, à un degré tel que nous nous attendons tous à une vague de chômage dont les conséquences sociales et sanitaires, liées à la précarité, sont l’horizon des Français pour les années à venir.
M. Bruno Retailleau. Bien sûr !
M. Philippe Bas, rapporteur. Si vous, ministre de la santé, considérez qu’il n’y a rien de mieux que le confinement face à une nouvelle propagation du virus, nous vous répondrons que nous avons encore beaucoup de travail à faire conjointement pour trouver de meilleures solutions !
M. Philippe Bas, rapporteur. Ensuite, si, dans un territoire donné, il faut porter fortement atteinte aux libertés publiques, vous disposez de l’état d’urgence sanitaire. On ne l’a pas conçu pour rien, tout de même !
D’ailleurs, si la situation sanitaire du pays ne justifiait pas l’état d’urgence sanitaire, le Conseil constitutionnel ne vous permettrait pas de prendre des mesures attentant si fortement aux libertés publiques. Vous avez entendu un certain nombre de signaux forts venant du Conseil d’État comme du Conseil constitutionnel : il y a des limites à la restriction des libertés publiques ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 19, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et Apourceau-Poly, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, M. P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. L’alinéa 3 de cet article confie au Premier ministre la capacité de réglementer le fonctionnement des établissements pouvant recevoir du public. Ce pouvoir lui serait confié après la fin de l’état d’urgence sanitaire, le 10 juillet, et jusqu’au 30 octobre prochain en cas de rebond du nombre de contaminations liées au coronavirus.
Ces dispositions pourraient notamment être appliquées aux monuments historiques, aux lieux de culte et aux restaurants.
Une telle mesure semble disproportionnée et peu raisonnable au regard de la conjoncture économique. Les secteurs du tourisme et de la restauration ont été durement frappés par la crise liée au Covid-19. Leurs pertes s’élèvent aujourd’hui à plusieurs milliards d’euros.
Il est vital que ces pans de l’économie puissent reprendre une activité normale dans les plus brefs délais. Si l’on peut concevoir de maintenir, quelque temps, certaines réglementations par précaution – je pense notamment au respect des gestes barrières –, il semble excessif de confier ces prérogatives au Premier ministre, à l’heure où le Gouvernement estime qu’il est temps de mettre fin à l’état d’urgence sanitaire.
Nous appelons l’exécutif à faire preuve de cohérence : si la situation sanitaire est propice à la fin de l’état d’exception, elle l’est également à la fin des mesures qui y ont trait. Ainsi, nous proposons de supprimer l’alinéa 3 de l’article 1er.
M. le président. L’amendement n° 24, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Avant le mot :
Réglementer insérer les mots :
Ordonner la fermeture provisoire et
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Comme tout à l’heure, le Gouvernement souhaite, à l’inverse, rétablir la faculté d’ordonner la fermeture provisoire de certaines catégories d’établissements recevant du public, laquelle figure dans le texte adopté par l’Assemblée nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, une telle faculté est nécessaire pour maintenir fermés les établissements d’une certaine catégorie, compte tenu des risques sanitaires associés, au-delà du 10 juillet prochain.
Croyez-moi, nous ne faisons pas ce choix de gaieté de cœur. J’ai entendu que les responsables de lieux de sortie nocturne, comme les discothèques, devaient se mobiliser cette semaine, et je les comprends. Ils aspirent légitimement à vivre de leur activité en rouvrant leurs établissements. On sait aussi l’aspiration des Français à aller danser.
Mme Esther Benbassa. Oui !
M. Olivier Véran, ministre. Madame Benbassa, on peut considérer qu’il n’y a plus de danger ni de situation à risque, et que tout va pour le mieux ! On peut aussi considérer que, même si c’est un crève-cœur, il faut prendre certaines mesures, car toute autre décision exposerait les Français à des risques beaucoup trop lourds.
Monsieur le rapporteur, vous avez cité l’exemple de la Corée du Sud. Vous le savez, nous n’aspirons absolument pas au confinement, et rien dans ce texte ne nous permet de confiner le pays, en aucune façon. C’est justement la grande différence entre ce projet de loi et l’état d’urgence sanitaire. Nous ne pourrons plus confiner et nous ne le voulons pas. Je le dis, et je le redirai autant que nécessaire.
En Corée du Sud, en fréquentant des lieux de sortie nocturne, un seul individu a contaminé plusieurs dizaines de personnes, qui en ont contaminé d’autres encore : l’épidémie, jusqu’alors parfaitement maîtrisée, est ainsi repartie. Certaines situations sont plus à risques que d’autres.
N’y voyez aucune volonté d’empêcher les gens de danser : moi-même, j’aime beaucoup danser, surtout quand l’été vient ! (Sourires.) Mais il est important de conserver une capacité d’action, tout en accompagnant les responsables de discothèques, pour leur permettre de les reconvertir en bars ou en salles de spectacles, et tout en les soutenant financièrement. Il est hors de question de laisser qui que ce soit au bord du chemin.
Ces dispositions sont importantes : elles permettent au Gouvernement de fermer des lieux a priori, même si l’épidémie a décru.
De surcroît, pour déclencher l’état d’urgence sanitaire, il faut être placé face à une catastrophe sanitaire. La contamination de quarante personnes dans une commune ne peut pas être considérée comme telle. Mais si l’on attend la catastrophe pour déclencher l’état d’urgence, on est sûr qu’elle surviendra. Encore une fois, mieux vaut prévenir que guérir : ce vieil adage médical se vérifie souvent !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Pour des raisons de principe, que j’ai déjà développées, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 19 ?
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 25, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
4° Imposer aux personnes souhaitant se déplacer par transport public aérien à destination ou en provenance du territoire métropolitain ou de l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution de présenter le résultat d’un examen de biologie médicale.
I. – Alinéa 17
Rétablir le IX dans la rédaction suivante : IX. – À la première phrase du premier alinéa du II de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le mot : « national » est remplacé par le mot : « hexagonal ».
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à aborder un point important relatif au quatrième alinéa, qui a pour objet les rassemblements et manifestations.
À ce titre, le Gouvernement n’a pas déposé d’amendement pour modifier le texte de la commission, mais les enjeux sont importants : il faut s’assurer que nous en avons la même compréhension.
La commission propose d’écrire que, « sans préjudice des articles L. 211-2 et L. 211-4 du code de la sécurité intérieure », le Premier ministre peut « réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public ».
Nous comprenons ainsi que le Premier ministre pourra réglementer tous les rassemblements mentionnés au quatrième alinéa, y compris, le cas échéant, pour les soumettre, non à autorisation préalable, comme c’est aujourd’hui le cas en vertu de l’état d’urgence sanitaire, mais à une simple déclaration préalable.
Le préfet aurait dès lors la possibilité de les interdire en cas de troubles graves à l’ordre public, au sens de l’article L. 211-4, lequel inclut les risques sanitaires, comme l’a jugé le Conseil d’État dans son ordonnance du 13 juin dernier. (M. le rapporteur le confirme.) Nous sommes donc d’accord.
J’en viens à l’amendement n° 25, qui vise à rétablir la faculté d’imposer des tests virologiques avant l’embarquement en avion, sous conditions particulières, et la faculté de prescrire des mesures de mise en quarantaine pour les voyageurs arrivant dans l’Hexagone depuis l’outre-mer.
Ces mesures de précaution pour l’entrée en métropole sont justifiées par la situation épidémique dans certains territoires ultramarins, que je déplore sincèrement ; elles sont de nature à limiter les risques de reprise épidémique sur le territoire métropolitain.
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par MM. Artano, Requier et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Castelli, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gabouty, Guérini et Jeansannetas, Mme Laborde et MM. Roux et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
4° Imposer aux compagnies de transport aérien de prévoir un examen de biologie médicale préalable pour les passagers en provenance du territoire métropolitain vers l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Introduit par l’Assemblée nationale, l’alinéa 4 de l’article 1er vise à imposer aux personnes ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l’infection et qui souhaitent se déplacer par transport public aérien à destination ou en provenance de l’Hexagone ou de l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution de présenter le résultat d’un examen biologique de dépistage ne concluant pas à une recontamination par le Covid-19.
Bien sûr, toutes les mesures doivent être prises pour protéger les citoyens qui, en raison de leur situation aux confins du territoire national, sont particulièrement vulnérables face à un risque épidémiologique.
En revanche, comme l’a pointé notre collègue Stéphane Artano, qui a inspiré cet amendement, qui, en ce moment, nous écoute et que je salue, soumettre nos concitoyens ultramarins à un test avant d’entrer en métropole nous semble particulièrement discriminant. En effet, ces derniers n’ont pas d’autre solution de transport que l’avion.
À la veille des grandes vacances, nous nous interrogeons également sur la capacité actuelle de dépistage. Nous craignons que, faute de tests, beaucoup ne renoncent à leurs déplacements. Une telle entrave à la liberté d’aller et venir serait susceptible de porter atteinte au secteur touristique insulaire et d’infliger un grave manque à gagner aux compagnies aériennes.
C’est pourquoi nous proposons que ces compagnies contribuent à l’organisation des tests propres aux déplacements aériens : chacun semble y avoir intérêt.
M. le président. L’amendement n° 22, présenté par M. Menonville, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Après le mot :
Dépistage
insérer le mot :
virologique
La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Cet amendement de précision vise à clarifier l’obligation de présentation d’un résultat d’examen biologique de dépistage lors d’un déplacement à destination ou en provenance du territoire national.
D’une part, le dépistage virologique semble le plus pertinent pour savoir si une personne est, ou non, contagieuse. Dans ce cas, le test sérologique serait trop complexe et son résultat serait trop long à obtenir.
D’autre part, un voyageur peut être déclaré positif par un test sérologique sans être encore contagieux pour autant. Il ne faut pas contraindre les déplacements de telles personnes, dont les tests ne font que révéler une contamination antérieure.
Pour prévenir de graves conséquences pour les déplacements des individus comme pour l’économie des territoires, nous proposons de simplifier le dispositif proposé, tout en gardant à l’esprit l’enjeu sanitaire.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Artano et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mme Costes, MM. Gabouty et Guérini, Mme N. Delattre, M. Jeansannetas, Mme Laborde et MM. Labbé, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et de s’y soumettre après leur déplacement
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Les dispositions de cet amendement ont également été inspirées par notre collègue Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Dans la même logique – adapter les règles de santé publique aux besoins des populations les plus vulnérables –, cet amendement vise à imposer un test obligatoire sept jours après l’arrivée outre-mer.
Un tel dispositif est demandé par les résidents ultramarins. Il permettrait d’établir un filtre sanitaire en remplaçant la quatorzaine par une septaine.
Cette contrainte paraît nécessaire pour les populations ultramarines. Le test serait aussi sensible que celui qui est imposé avant de prendre l’avion. Dans la pratique, le passager s’engagerait à faire ces deux tests lors de sa réservation auprès de la compagnie aérienne.
Les informations apportées à l’Assemblée nationale concernant ce second test ne paraissent pas suffisantes à nos compatriotes ultramarins ; en l’état, il ne s’agirait que de simples recommandations des préfets. Pourquoi ne pas inscrire ce second test dans la loi ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le ministre, les mesures figurant dans notre texte nous paraissent suffisantes. Vous voulez imposer une obligation générale, sans distinction entre collectivités : présenter le résultat d’un examen de biologie médicale avant de se déplacer en avion, à destination ou en provenance du territoire métropolitain ou d’une collectivité d’outre-mer. Mais cette rédaction est beaucoup trop large !
Il faut préciser que ce dispositif s’applique uniquement aux personnes venant de zones encore infectées ; c’est la règle pour les quarantaines ou pour les mesures d’isolement. En prenant une mesure générale, on s’exposera aux reproches que le Conseil d’État a pu faire à un certain nombre de restrictions décidées dans le cadre de l’urgence sanitaire.
Ainsi, le Conseil d’État s’est opposé à l’interdiction des cérémonies religieuses en général : il convenait – a-t-il indiqué – de les réglementer pour faire en sorte qu’elles n’entraînent pas de contamination. Nous sommes face au même enjeu : vous ne pouvez pas édicter une obligation de test pour tous les voyageurs circulant entre la métropole et l’outre-mer. Vous devez tenir compte des zones encore infectées.
Votre arrêté du 22 mai dernier met en œuvre une disposition de l’état d’urgence sanitaire relative aux zones infectées.
Or il couvre l’ensemble du territoire national, et même du monde. On peut le comprendre lorsqu’il y a beaucoup de contaminations, mais cet arrêté devrait très rapidement devenir illégal. Quand la loi impose de déterminer des territoires, on ne peut pas englober le monde entier ! Il faudra délimiter précisément les zones dangereuses.
La commission est donc défavorable à l’amendement n° 25, étant entendu que notre texte vous permet déjà d’appliquer les mesures qui s’imposent où elles sont nécessaires. Dans les territoires ultramarins en situation d’urgence sanitaire, comme la Guyane et Mayotte, vous pourrez évidemment interdire les déplacements : la sécurité sera donc assurée.
Nous sommes également défavorables à l’amendement n° 5 rectifié bis de M. Artano. En vertu de ces dispositions, les compagnies aériennes seraient tenues de faire respecter l’obligation de procéder à des tests de dépistage, alors que c’est la responsabilité de l’État.
Avec son amendement n° 22, M. Menonville pose une question à laquelle je ne suis pas capable de répondre, n’ayant pas, à cet égard, de conviction personnelle. Monsieur le ministre, je ferai donc mienne votre réponse : faut-il préciser que le dépistage dont nous parlons est le dépistage virologique ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Dans ce cas, je donne un avis favorable à cet amendement !
Enfin, l’obligation de réaliser un second test à l’arrivée sur le territoire, proposée via l’amendement n° 4 rectifié bis, nous paraît excessive : nous émettons donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 5 rectifié bis, 22 et 4 rectifié bis ?
M. Olivier Véran, ministre. Malgré leurs qualités, les dispositions de l’amendement n° 22 sont d’une portée moindre que celles de l’amendement n° 25.
Je suis donc défavorable à l’amendement n° 22, ainsi qu’aux amendements n° 4 rectifié bis et 5 rectifié bis.
M. le président. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. Je souscris pleinement aux propos de M. Bas et je saisis cette occasion pour apporter quelques précisions.
Personne en France ne l’a contesté : le pouvoir de nous confiner est du ressort du Gouvernement. C’est indiscutable, même si nous, Ultramarins, pouvons regretter d’avoir été confinés alors même qu’aucun cas n’était recensé dans nos territoires.
Monsieur le ministre, à l’inverse, le déconfinement ne peut pas être appliqué de manière unilatérale aux outre-mer. Il doit être différencié, collectivité par collectivité – c’est absolument indispensable. Cette différenciation doit s’appliquer partout, y compris entre Saint-Barthélemy et Saint-Martin, même si ces deux îles ne sont séparées que par vingt kilomètres de mer. On ne peut pas imposer à tels ou tels des mesures qui ne sont plus valables chez eux.
Il y a quelques jours, je me suis rendu de Saint-Barthélemy à Saint-Martin : on ne m’a demandé ni test ni attestation. De Saint-Martin à Pointe-à-Pitre et de Pointe-à-Pitre à Paris, il en a été de même.
Or, si votre amendement était adopté, en retournant chez moi la semaine prochaine, je devrais fournir le résultat d’un test – j’ai bien l’intention de le faire – et, surtout, rester chez moi pendant quinze jours. Trouvez-vous que ce soit normal ?
De plus, serait-il normal d’imposer aux personnes se rendant dans nos territoires de subir des tests, puis d’être confinées pendant sept jours, lorsque, entre les territoires ultramarins eux-mêmes – je pense par exemple à quelqu’un qui partirait de Saint-Barthélemy pour aller à Pointe-à-Pitre ou à Fort-de-France –, l’on n’impose pas la même exigence ? Il y a une véritable difficulté : vous ne pouvez pas appliquer le déconfinement de manière unilatérale. Vous ne pouvez pas faire autrement que de le décliner collectivité par collectivité.
Actuellement, à Saint-Barthélemy, seul le BTP travaille : en d’autres termes, vous avez créé les conditions pour couler l’économie touristique. On ne peut pas se contenter du tourisme intérieur sur vingt-cinq kilomètres carrés : nous dépendons du tourisme extérieur.
Or vous dites à un Américain devant passer une semaine de vacances à Saint-Barthélemy qu’il devra d’abord rester quinze jours confiné. Cela n’a pas de sens ! De grâce, traitez les collectivités d’outre-mer de manière différenciée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Antoine Karam applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 20, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et Apourceau-Poly, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, M. P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. En vertu de l’alinéa 12, le Parlement est informé « sans délai des mesures prises par le Gouvernement » dans le cadre de la mise en application de l’article 1er du présent projet de loi.
Bien sûr, il est nécessaire que l’Assemblée nationale et le Sénat puissent exercer un suivi des lois votées.
Toutefois, avec cet amendement d’appel, nous dénonçons l’attitude du Gouvernement à l’encontre du pouvoir législatif. En effet, cet alinéa est particulièrement révélateur du rôle que l’exécutif souhaite confier au Parlement dans le cadre de la sortie progressive de l’état d’urgence sanitaire. Alors que le Premier ministre serait habilité à légiférer par décret, le Parlement, lui, serait cantonné dans un rôle d’observateur, que l’on informe par courtoisie institutionnelle.
Faut-il le rappeler ? C’est bien le Gouvernement qui est responsable politiquement devant le Sénat et l’Assemblée nationale, et c’est bien le Parlement qui a pour mission constitutionnelle de légiférer. Il n’est pas acceptable que les chambres soient réduites à un rôle d’enregistrement et d’habilitation de l’exécutif à légiférer par ordonnances ou par décrets.
En conséquence, nous demandons la suppression de l’alinéa 12. Le Gouvernement n’a pas, envers le Parlement, un simple devoir d’information : il doit garantir les conditions lui permettant d’exercer ses fonctions législatives et il est urgent que les élus de la Nation et des territoires retrouvent leur capacité d’édicter les lois !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission des lois préfère conserver un contrôle parlementaire digne de ce nom : elle est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par MM. Sueur, Kanner, Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mmes Rossignol, Schoeller et Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les avis du comité de scientifiques sont rendus publics sans délai.
La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Cet amendement vise à renforcer encore le poids du conseil scientifique, sur lequel le Gouvernement se fonde pour prendre de nombreuses décisions. Son président, le professeur Delfraissy, a toujours considéré, à juste titre d’ailleurs, que son rôle était de conseiller et celui du Gouvernement de décider.
Or cette décision doit s’appuyer sur l’information la plus large et la plus rapide possible des Français. Dans cet esprit, nous proposons que les avis du conseil scientifique soient rendus publics sans délai, et non pas, comme nous l’avons constaté pour certains, après deux, trois, voire quatre jours.
Il arrive que le conseil scientifique ne soit pas consulté : ce fut le cas pour l’arrêt des compétitions sportives – j’en ai un souvenir ému… Quand il l’est, autant que les Français connaissent son avis le plus vite possible !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Plusieurs fois, monsieur le ministre, les avis du comité scientifique ont été retenus par le Gouvernement pendant plusieurs jours. S’il s’était agi d’un organe interne au Gouvernement, on aurait pu le comprendre ; mais les lois sur l’urgence sanitaire lui ont conféré un statut législatif.
Dès lors, il est plus démocratique d’assurer la transparence de ses avis. C’est pourquoi nous sommes favorables à la proposition, particulièrement heureuse, de nos collègues du groupe socialiste.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Je ne puis qu’être heureux que le Parlement souligne la transparence dont le Gouvernement a fait preuve… Je me félicite de la mise en place du conseil scientifique et j’en remercie les membres pour les appuis et les avis éclairés qu’ils nous ont donnés.
Je m’enorgueillis d’avoir fait de la transparence et de la mise en ligne de ces avis une constante, alors que rien encore ne m’y obligeait. Une fois, certes, une erreur de mise en ligne a été commise. Elle a été rectifiée quelque huit minutes après que l’alerte eut été donnée dans le cadre du débat sénatorial… Pour le reste, la plupart des avis ont été mis en ligne, je crois, dans des délais plus que raisonnables.
Je n’ai donc aucune difficulté à vous donner satisfaction sur le principe d’une mise en ligne sans délai. C’est une première dans la gestion d’une crise sanitaire : nous n’avons rien à cacher, depuis le premier jour !
J’émets donc un avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 21, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 15
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Par les lois des 23 mars et 11 mai 2020, le législateur a institué un certain nombre de dispositions pénales répressives, visant à garantir la sécurité de nos concitoyens pendant la crise sanitaire en sanctionnant le non-respect des règles édictées en vue de contrer la pandémie : le confinement, puis le port du masque et l’application des gestes barrières dans les transports en commun et les lieux publics.
L’alinéa 15 de l’article 1er du présent projet de loi permet au Premier ministre de recourir à ces dispositions après la sortie de l’état d’urgence sanitaire, le 10 juillet prochain, si une augmentation du nombre de cas de Covid-19 est à déplorer. Les auteurs du présent amendement dénoncent la banalisation à laquelle s’adonne l’exécutif s’agissant de mesures coercitives et répressives : introduites dans notre législation en raison de la crise sanitaire, elles ne sauraient être utilisées en dehors du cadre dans lequel elles ont été édictées.
Figurant à l’article L. 3136-1 du code de la santé publique, ces dispositions pénales n’ont pas vocation à voir leur champ d’application élargi. Dans un État de droit, les mesures adoptées dans des circonstances sanitaires exceptionnelles ne peuvent devenir la règle !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Quand on énonce des règles, il faut bien prévoir des sanctions pour ceux qui ne les respectent pas… Sans quoi il n’y a plus de règles !
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Artano, Requier et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Castelli, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gabouty, Guérini et Jeansannetas, Mme Laborde et MM. Roux, Vall et Labbé, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – À la seconde phrase du dernier alinéa du II de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, après les mots : « sont assurés », sont insérés les mots : « la mise en œuvre des constatations médicales préalables au placement à l’isolement, ».
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. La campagne de tests de dépistage du Covid-19 est une préoccupation partagée par l’ensemble de nos concitoyens, mais peut-être encore plus par ceux de l’outre-mer. Dans les territoires insulaires, en effet, la suspension des moyens de transport a des conséquences beaucoup plus importantes qu’en métropole sur toutes les chaînes d’approvisionnement, et réguler la saturation des hôpitaux y est encore plus problématique.
La quarantaine, seule solution de rechange aux tests, est très contraignante : elle risquerait de nuire gravement à la vie économique et familiale de nos concitoyens d’outre-mer, qui dépendent fortement des liaisons avec la métropole.
Des flottements ayant été observés au cours des premières semaines de campagnes de tests, notre collègue Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon, propose que ces campagnes, compte tenu de leur importance, fassent l’objet d’engagements gouvernementaux au niveau réglementaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Mon cher collègue, je ne crois pas aux vertus d’un décret pour suppléer au manque de moyens et aux défauts d’organisation.
Si cet amendement a le mérite de poser le problème de la manière la plus claire, la solution proposée ne le réglera pas. M. le ministre va nous dire ce qu’il compte entreprendre pour régler cette difficulté : peut-être sera-t-il suffisamment convaincant pour que vous retiriez votre amendement ?…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Monsieur le sénateur, vous entendez que soient précisées par décret les conditions de mise en œuvre des constatations médicales préalables aux placements à l’isolement. La loi qui encadre ces mesures d’isolement renvoie déjà à un décret pour en fixer les conditions d’application.
L’amendement est satisfait, et je vous suggère donc de le retirer.
M. le président. Monsieur Requier, l’amendement n° 3 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Claude Requier. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 26, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Les attributions dévolues au représentant de l’État par le présent article sont exercées à Paris et sur les emprises des aérodromes de Paris-Charles de Gaulle, du Bourget et de Paris-Orly par le préfet de police.
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. J’ose tenter de défendre de nouveau un amendement gouvernemental… Quelque chose me dit que celui-ci peut passer ! (Sourires.)
Il s’agit de donner compétence au préfet de police pour l’application des dispositions de sortie de l’état d’urgence sanitaire en Île-de-France à Paris et sur les emprises des trois aéroports parisiens – cela fait écho à certains débats…
De fait, c’est le préfet de police qui exerce dans ce ressort territorial les attributions du représentant de l’État en matière de menaces sanitaires et d’état d’urgence sanitaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Vous avez convaincu la commission, monsieur le ministre ! (Exclamations amusées.)
M. Bruno Retailleau. Vous nous avez pris par les sentiments, monsieur le ministre !
M. Philippe Bas, rapporteur. J’émets donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par Mme Conconne, M. Antiste, Mme Jasmin, MM. Lurel, Sueur et Kanner, Mme Artigalas, M. Roger, Mme G. Jourda, MM. Raynal, Assouline, Bérit-Débat, Jacques Bigot et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, Boutant et Carcenac, Mme Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny et Daunis, Mme de la Gontrie, MM. Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mmes M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais, Guillemot et Harribey, MM. Houllegatte, P. Joly, Jomier, Jacquin, Kerrouche, Lalande et Leconte, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Magner, Manable, Marie et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont, Préville, S. Robert, Rossignol et Schoeller, M. Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et prorogé par l’article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire avait été déclaré, et jusqu’au 30 octobre 2020 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique imposer aux personnes souhaitant se déplacer par transport public aérien à destination ou en provenance du territoire métropolitain ou de l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution de présenter le résultat d’un examen de biologie médicale.
Le premier alinéa du présent article ne s’applique pas aux déplacements par transport public aérien en provenance de l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution qui n’est pas mentionnée dans la liste des zones de circulation de l’infection mentionnée au II de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique.
La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Je défends cet amendement au nom de ma collègue sénatrice de la Martinique, Catherine Conconne.
Les territoires d’outre-mer ont été diversement touchés par l’épidémie de Covid-19 : si le virus circule encore fortement en Guyane et à Mayotte, il a relativement épargné la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion – à ce jour, on n’a détecté sur ces trois territoires que des cas importés, à l’exclusion de tout cas autochtone.
Dans ces trois territoires, l’enjeu est donc de permettre la reprise normale des liaisons aériennes, ainsi que le retour progressif des touristes et des Ultramarins de l’Hexagone qui rentrent passer les grandes vacances dans leur famille, tout en maintenant des mesures de contrôle sanitaire pour empêcher l’importation du virus.
Depuis le 9 juin dernier, un dispositif expérimental est en place. Pour chaque voyageur, la réalisation d’un test virologique est préconisée dans les soixante-douze heures qui précèdent son départ pour l’outre-mer : si le test est négatif, le voyageur doit respecter une période de confinement de sept jours, à l’issue de laquelle il doit réaliser un nouveau test ; si le second test est négatif, le voyageur peut se déplacer librement. Quant aux voyageurs qui n’ont pas réalisé de test avant leur départ, ils sont astreints à une quatorzaine stricte.
Ces mesures de septaine et de quatorzaine ont vocation à disparaître avec la fin de l’urgence sanitaire. C’est heureux, car, comme l’a souligné notre collègue Michel Magras, elles sont assez dissuasives pour la reprise du tourisme.
Néanmoins, il est nécessaire de maintenir un contrôle sanitaire pendant les prochains mois, sous la forme de tests virologiques obligatoires pour les personnes souhaitant se rendre en outre-mer, afin de permettre la reprise du tourisme tout en protégeant la population. Il s’agit d’une demande très forte des territoires concernés.
Dans cette perspective, le présent amendement vise à maintenir jusqu’au 30 octobre prochain la possibilité donnée au Premier ministre de prendre un décret pour imposer des tests virologiques aux personnes désireuses de se rendre dans les outre-mer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Madame Artigalas, lorsque cet amendement a été rédigé, ses auteurs partaient du principe que l’article 1er serait supprimé.
Or il vient au contraire d’être adopté, avec, dans son alinéa 5, un 4° énonçant, certainement avec moins d’élégance que votre amendement et dans un style qui n’a pas le même souffle, le dispositif que vous avez défendu.
Cet amendement est donc inutile, et je vous demande de bien vouloir le retirer : je regretterais de devoir appeler au rejet d’un amendement que la commission approuve, mais nous ne pouvons pas laisser dans la loi le même dispositif formulé deux fois, en des termes et à des articles différents.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Artigalas, l’amendement n° 14 est-il maintenu ?
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le rapporteur, notre amendement me paraît plus précis et de plus grande portée que le dispositif inscrit à l’article 1er.
Néanmoins, je me range à l’avis de la commission et retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 14 est retiré.
Article 1er bis A (nouveau)
L’article L. 3131-1 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est remplacé par un I ainsi rédigé :
« I. – En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de prévenir et de limiter les conséquences de cette menace sur la santé de la population, prescrire :
« 1° Toute mesure réglementaire ou individuelle relative à l’organisation et au fonctionnement du système de santé ;
« 2° Des mesures de mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement, dans les conditions prévues au II des articles L. 3131-15 et L. 3131-17.
« Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l’état d’urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis du présent titre, afin d’assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire. » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, est ajoutée la mention : « II. – » ;
b) La seconde phrase est supprimée ;
3° Le troisième alinéa est supprimé ;
4° Il est ajouté un III ainsi rédigé :
« III. – Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Les mesures individuelles font l’objet d’une information sans délai du procureur de la République territorialement compétent. »
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. Ce projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire achemine doucement la société vers un retour à la normale, en la faisant sortir des règles d’exception. Sauf dans un domaine : le droit du travail. En effet, à la faveur de la loi du 23 mars dernier établissant l’état d’urgence, vous avez fait adopter un catalogue de mesures régressives pour les salariés, au prétexte de l’épidémie de Covid-19.
Vous avez ainsi autorisé les employeurs à imposer unilatéralement des jours de congé aux salariés et aux fonctionnaires, et les entreprises considérées comme « relevant de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale » à déroger au temps de travail maximal, au repos hebdomadaire et au repos dominical – sans que jamais aucune liste desdites entreprises ait été publiée…
Depuis trois mois, donc, les entreprises peuvent pleinement profiter du dérèglement du travail pour exploiter toujours plus les travailleuses et les travailleurs, sans compensation. Pourquoi le projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ne prévoit-il pas aussi un retour à la normale pour les droits des salariés ? Pourquoi faudra-t-il attendre la fin décembre pour que soient rétablis le repos dominical et la liberté des jours de repos ?
Hier, vous nous expliquiez que les dispositifs mis en place par le Gouvernement étaient justifiés par l’urgence de la pandémie et l’impossibilité pour les entreprises de travailler normalement.
Aujourd’hui, à vous entendre, c’est la reprise économique qui justifierait de remettre en cause les règles essentielles de santé et de sécurité au travail.
Demain, les risques d’une seconde ou d’une troisième vague de Covid-19 justifieront le maintien de ces dispositifs dérogatoires temporaires. Ainsi le Gouvernement transformera-t-il des dispositifs exceptionnels en dispositifs permanents, transgressant largement les droits des salariés…
Nous demandons que la sortie de l’état d’urgence sanitaire concerne aussi les dérogations au droit du travail !
M. le président. L’amendement n° 29, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. Nous ne disons pas qu’il ne faudra pas évaluer l’article L. 3131-1 du code de la santé publique et ses effets dans la gestion des crises sanitaires. En revanche, nous considérons qu’il est beaucoup trop tôt pour cela : en modifier les contours, fût-ce pour en renforcer certaines dispositions, serait extrêmement prématuré.
Nous aurons l’occasion de dresser le bilan de cette crise sanitaire et des outils juridiques, notamment législatifs, utilisés et utilisables. Nous avons fixé l’échéance du mois d’avril – au plus tard. Un peu de temps est nécessaire à la réflexion.
Pour le coup, monsieur le rapporteur, c’est le Gouvernement qui est pris de court par l’adoption en commission de modifications à un article fondamental, dans la mesure où il instaure des pouvoirs dérogatoires dont nous avons vu la portée dans une situation aussi inédite que celle que nous venons de traverser.
Très sincèrement, je ne crois pas que nous puissions, par le truchement d’un amendement à ce projet de loi, donner une portée nouvelle à l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. Nous souhaitons le conserver en l’état, tout en prenant l’engagement qu’il sera évalué et qu’une réflexion collective sera menée sur les modifications à introduire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je dois une explication à M. le ministre.
Nous aussi, nous travaillons, par la mise en place d’une commission d’enquête, à dresser le bilan de cette crise sanitaire, pour pouvoir mettre en place les instruments qui nous permettront à l’avenir, lorsque de nouvelles épidémies surgiront – car ce sera le cas –, de les surmonter sans porter d’atteintes trop graves aux libertés individuelles et collectives ni entraîner, par un confinement généralisé, des conséquences dévastatrices sur le plan économique et social.
Telle est la réflexion que nous devons mener, les uns et les autres, pour la faire converger. Au Sénat, nous n’instruisons pas de procès : nous avons été constructifs, pour donner au Gouvernement les moyens d’action dont il estimait avoir besoin et pour traverser cette crise.
Pourquoi ne pas attendre ? Telle est, en définitive, monsieur le ministre, la question que vous nous posez. Eh bien, pour une raison très simple. Si nous avions adopté votre article 1er, reprenant textuellement trois dispositions essentielles de l’état d’urgence sanitaire, vous auriez disposé de moyens que nous jugions excessifs, beaucoup plus importants que ceux que nous vous accordons dans l’article 1er que nous venons d’adopter.
Il nous a donc paru nécessaire de ne pas baisser la garde, en permettant au Gouvernement, dans cette période de sortie de l’état d’urgence sanitaire et non dans un an, de recourir à un instrument juridique qui s’est révélé, de l’aveu même du Gouvernement comme du point de vue du Conseil d’État, d’une très grande fragilité.
L’article L. 3131-1 du code de la santé publique, que la France entière connaît par cœur tant et tant il a été cité, donne au ministre de la santé, en réalité, les pleins pouvoirs. Je pense que le législateur n’a pas entendu lui donner de tels pouvoirs, mais, comme vous avez dû décider le confinement toutes affaires cessantes, avant même le vote de la loi du 23 mars dernier – le confinement date du 16 mars –, vous vous êtes fondé sur les dispositions de cet article.
Or je crois que, s’il y avait eu des recours contre les textes réglementaires pris sur la base de cet article – de simples arrêtés ministériels, mais qui restreignaient les libertés individuelles comme on ne l’avait jamais vu en France –, vous auriez très probablement été confronté à de multiples annulations pour excès de pouvoir.
Nous avons donc considéré que, au cas où le Gouvernement, tout en sortant de l’état d’urgence sanitaire, devrait prendre, compte tenu de la persistance, même locale, de l’épidémie, un certain nombre de mesures, cet instrument s’étant révélé insuffisant à la lumière de l’expérience, il était nécessaire de le modifier maintenant.
Cela ne nous interdit pas de proposer, dans le cadre de notre commission d’enquête, d’autres dispositions dans quelques mois. Mais c’est maintenant que vous pouvez avoir besoin de recourir à cet article, lequel est trop fragile. Voilà pourquoi la commission a adopté cet article 1er bis A. Nous préférons le maintenir, quitte à ce que vous nous le fassiez modifier – nous y sommes prêts.
C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis A.
(L’article 1er bis A est adopté.)
Article 1er bis
I. – L’état d’urgence sanitaire, déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et prorogé par l’article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, est prorogé jusqu’au 30 octobre 2020 inclus sur les seuls territoires de la Guyane et de Mayotte. Le 4° du I de l’article 1er de la présente loi est également applicable, jusqu’à cette date, aux déplacements par transport public aérien en provenance ou à destination de ces territoires.
II (nouveau). – Dans les circonscriptions territoriales autres que celles mentionnées au I du présent article et pendant la période mentionnée au même I, l’état d’urgence sanitaire peut être déclaré dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 3131-13 du code de la santé publique, lorsque l’évolution locale de la situation sanitaire met en péril la santé de la population.
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, sur l’article.
M. Antoine Karam. Je profite de cette intervention pour remercier tous les sénateurs, de toutes tendances confondues, qui ont eu une attention particulière pour la Guyane, après en avoir eu une pour Mayotte.
Je le fais avec une profonde émotion, parce que, au moment où je vous parle, mes chers collègues, la situation se dégrade considérablement : 500 % d’augmentation en moins de quinze jours, la barre des 2 500 cas qui sera franchie demain, un huitième mort – et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sont pas les plus de 70 ans qui meurent en Guyane.
Je me garderai bien de dire ce soir : c’est la faute de tel ou tel. Le temps des responsabilités viendra, et on déterminera pourquoi nous en sommes arrivés là. Nous avons vécu une situation à l’envers : au moment où il fallait que nous soyons confinés, on nous a déconfinés ; et au moment où il fallait que nous soyons déconfinés, on nous a confinés.
On a tendance à oublier que la Guyane est non pas en Europe, mais en Amérique du Sud ! Il est vrai que, ce matin, BFM a expliqué que l’hiver arriverait dans quelques jours en Guyane… Peut-être même va-t-il neiger sur ce département ? (Sourires.)
Monsieur le ministre, vous le savez : le pic de l’épidémie de Covid-19 est attendu à la mi-juillet. En outre, nous sommes frappés terriblement par deux autres épidémies : la dengue et la leptospirose, une maladie véhiculée par les rats, semble-t-il. Tout cela vient alourdir la charge d’un système hospitalier très en retard : nous vivons dans un véritable désert médical ! Tout le monde le sait, et certains collègues présents ce soir peuvent en témoigner.
Néanmoins, je veux être optimiste : nous devons nous mettre en état de surmonter la vague et d’empêcher qu’elle ne se transforme en tsunami.
Au reste, Mme la ministre de l’outre-mer arrive demain en Guyane pour jouer les sapeurs-pompiers… On ne peut que s’en réjouir, mais j’espère qu’elle apportera des réponses aux questions que nous avons posées voilà trois mois. Qu’est-ce que cela coûtait de mettre en place un hôpital de campagne dans la région cayennaise, de passer de 400 ou 500 tests par jour à 2 000, voire 3 000 tests ? C’est parce que le nombre de tests a quintuplé que nous découvrons tous les jours ce qui se passe en Guyane.
Il faut maintenant que l’État soit à la hauteur et qu’il mette à notre disposition les moyens humains et matériels nécessaires pour tester massivement la population et éviter les évacuations sanitaires !
Le temps court, mais je voudrais encore vous dire ceci : ce n’est pas parce que Bolsonaro est fâché avec la France que nous ne devons pas traiter la question de nos relations avec le Brésil, où la pandémie frappe très fort, sur le plan international ; il y va de la survie des populations, qu’elles soient brésiliennes ou françaises ! (Applaudissements.)
M. le président. L’amendement n° 27, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
et pendant la période mentionnée au même I
La parole est à M. le ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par MM. Sueur, Kanner, Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Botrel, Boutant et Carcenac, Mmes Conconne et Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daudigny, Daunis, Devinaz, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, M. Lalande, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable et Mazuir, Mmes Meunier et Monier, M. Montaugé, Mmes Perol-Dumont et Préville, M. Raynal, Mme S. Robert, M. Roger, Mmes Rossignol, Schoeller et Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
au premier alinéa
par les mots : aux premier et deuxième alinéas
La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Comme je viens d’entendre Mme Assassi le faire remarquer, nous aurions bien aimé, monsieur le ministre, que vous répondiez à l’intervention, très forte, de M. Karam – peut-être le ferez-vous plus tard.
Cet amendement de confirmation vise à conforter le code de la santé publique en prévoyant une information immédiate du Parlement sur les mesures prises par le Gouvernement et en permettant à l’Assemblée nationale et au Sénat de requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation des mesures prises lors de l’état d’urgence sanitaire.
Comme nous en avons débattu en commission, je sais ce que M. le rapporteur va me demander ; j’annonce d’emblée que je lui donnerai satisfaction.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous remercie, mon cher collègue, car vous avez tout dit… (Sourires.)
En cas de rétablissement de l’état d’urgence sanitaire, en effet, toutes les procédures seront également rétablies, notamment en matière de contrôle parlementaire. Il était bon que vous présentiez cet amendement pour que ce principe soit clairement réaffirmé, mais, comme le ministre peut vous le confirmer, le contrôle du Parlement étant prévu dans la loi du 23 mars dernier, il n’est pas nécessaire d’y revenir dans le présent texte.
Par conséquent, mon cher collègue, si vous retiriez votre amendement, j’en serais tout à fait heureux.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Monsieur Karam, j’attendais pour vous répondre la discussion de l’amendement visant les outre-mer.
Vous avez tout dit sur la situation en Guyane : l’incidence augmente, la positivité des tests et le facteur de reproduction du virus aussi – bref, les signes d’une alerte sérieuse.
D’après les dernières informations dont je dispose, les malades sont plutôt jeunes. Il y a donc moins de formes graves et moins de malades admis en réanimation.
Néanmoins, nous considérons la situation guyanaise avec une extrême attention. Nous sommes en mesure d’augmenter le nombre de lits en réanimation et d’envoyer des renforts supplémentaires ; il est envisagé qu’un A400M participe aux évacuations sanitaires qui ont commencé à destination des Antilles, ce qui sera nécessaire si ces évacuations doivent être multipliées.
La ministre des outre-mer, Annick Girardin, est sur le point d’arriver en Guyane, avec du matériel pour renforcer les capacités de test et de prise en charge médicale sur place.
Comme nous le répétons semaine après semaine, il y a deux situations inquiétantes en France : Mayotte et la Guyane. À Mayotte, le nombre de malades décroît, mais il augmente en Guyane.
De mémoire, près de soixante-dix personnes de la réserve sanitaire ont été dépêchées sur place, de même que des épidémiologistes et des médecins référents en matière de lutte contre les épidémies, déployés sur l’ensemble du territoire guyanais. Une surveillance particulière est assurée dans la région de Saint-Laurent-du-Maroni, jusqu’ici plutôt épargnée. De même, au niveau de la frontière avec le Brésil, des actions de dépistage sont menées le long des fleuves auprès des populations à risque.
La proximité du Surinam et du Brésil est un facteur de risque supplémentaire, compte tenu du nombre élevé de malades dans ces pays et de la difficulté de contrôler les flux de migrations. Néanmoins, comme vous l’avez justement souligné, monsieur le sénateur, si des personnes d’origine brésilienne sont malades sur le territoire guyanais, le droit et l’humanisme s’appliquent évidemment – la France, je crois, n’a pas à rougir à cet égard.
S’agissant de cet amendement, le Gouvernement demande lui aussi son retrait.
M. le président. Monsieur Kanner, l’amendement n° 12 est-il maintenu ?
M. Patrick Kanner. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 12 est retiré.
L’amendement n° 28, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – L’article 1er de la présente loi est applicable dans les territoires mentionnés aux I et II du présent article, lorsque l’état d’urgence sanitaire n’y est pas en cours d’application.
La parole est à M. le ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis, modifié.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Le troisième alinéa du I de l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions est complété par deux phrases ainsi rédigées : « La durée de conservation de certaines données à caractère personnel peut être prolongée, pour la seule finalité de traitement mentionnée au 4° du II et dans la limite de la durée mentionnée au premier alinéa du présent I, par décret en Conseil d’État pris après avis publics du comité mentionné au VIII et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ce décret précise, pour les données collectées avant son entrée en vigueur, les modalités selon lesquelles les personnes concernées sont informées sans délai de cette prolongation. »
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Voilà quelques mois, lors de la discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, nous avions demandé des mesures préventives pour endiguer l’augmentation du nombre de cas de Covid-19 sur notre territoire ; mais à la production de masques et de tests le Gouvernement a préféré le confinement, puis la mise en place d’un système informatique retraçant les chaînes de contamination au sein de la population.
À l’époque déjà, nous vous avons alerté sur les dangers nés d’une telle collecte de données numériques personnelles : nous craignions de basculer progressivement dans une société orwellienne de tracking généralisé.
Autant vous dire que l’article 2 de ce projet de loi n’est pas de nature à nous rassurer… De fait, l’exécutif nous propose désormais d’allonger la durée de conservation des données collectées dans le cadre des systèmes d’information mis en œuvre pour lutter contre la pandémie.
Or la conservation des données pose un sérieux problème de confidentialité et porte manifestement atteinte à la vie privée des Français.
Pour seule assurance, le Gouvernement nous avait affirmé que la collecte et la conservation des données seraient strictement limitées à la durée de l’état d’urgence sanitaire. Si l’exécutif estime nécessaire que nous sortions le 10 juillet prochain de ce régime d’exception, pourquoi s’entête-t-il à vouloir conserver plus longtemps les informations liées à la pandémie ?
J’ai bien peur que, une fois de plus, le Gouvernement ne fasse fausse route : pour réussir la sortie de l’urgence sanitaire et prévenir le risque d’une recrudescence du virus, il faudrait plutôt dépister que pister !
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, sur l’article.
M. Philippe Bonnecarrère. L’article 2 marque un changement de pied assez important.
Dans la loi du 11 mai 2020 a été mis en place un fichier national centralisé, dont l’objectif était de lutter contre les chaînes de contamination. Nous avons eu, à son sujet, un débat assez vif, qui a été tranché, avec le soutien de plusieurs commissions de notre assemblée, dans le sens souhaité par le Gouvernement.
Considérant que la priorité était donnée à la casse des chaînes de contamination, il a alors été admis qu’un fichier centralisé sans anonymisation, mais ne comportant pas d’objectifs épidémiologiques – conduisant simplement à enregistrer les cas positifs et les contacts – était justifié.
Un certain nombre d’entre nous se sont élevés contre cette approche et ont demandé, si fichier il devait y avoir, que celui-ci soit respectueux du secret médical, donc, par définition, anonymisé.
C’est déjà avec vous que nous en avions débattu, monsieur le ministre. Vous nous avez alors indiqué qu’il fallait effectivement s’en tenir à la lutte contre les chaînes de contamination : peu importe de savoir si la personne est asthmatique ou diabétique et de connaître les autres caractéristiques de son environnement médical, nous avez-vous dit. Le choix qui a été fait à l’époque était donc un choix non épidémiologique.
J’avoue que j’apprécie l’évolution qui a eu lieu sur ce sujet, ce qui explique pourquoi je ne suis pas tout à fait Mme Benbassa sur la prorogation : celle-ci pose moins problème dès lors que l’objet du fichier a changé et qu’il contient désormais des données anonymes à vocation épidémiologique.
Je fais simplement observer à M. le ministre que la construction du fichier qui nous est proposé aujourd’hui, à l’article 2, s’inscrit à rebours de ce qui a été fait précédemment. Autrement dit, cela revient à reprendre à zéro des opérations déjà assez avancées… Je ne suis pas sûr que nous y ayons un grand intérêt, mais j’admets volontiers qu’il y a une évolution importante de l’appréciation du Gouvernement sur la question.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié bis est présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Requier, Cabanel et Castelli, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Guérini et Jeansannetas, Mmes Jouve et Laborde et MM. Roux, Vall et Labbé.
L’amendement n° 16 est présenté par Mmes Assassi, Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié bis.
M. Joël Labbé. Cet amendement a été déposé par notre collègue Maryse Carrère, sénatrice des Hautes-Pyrénées.
Dans le projet de loi initial, l’article 2 visait à revenir sur l’accord trouvé entre l’Assemblée nationale et le Sénat lors de la commission mixte paritaire sur le projet de prorogation à propos des données collectées par les brigades médicales. Les députés ont modifié cet article pour respecter cet accord.
L’exploitation de leurs données personnelles à des fins épidémiologiques inquiète grandement nos concitoyens, qui craignent qu’elle ne soit dévoyée. Récemment, un chercheur a accusé l’application StopCovid de collecter des données plus importantes que ce qui était annoncé, notamment le nom des utilisateurs se situant à plus d’un mètre.
Nous comprenons l’intérêt de la collecte de certaines données anonymisées pour la communauté scientifique. Cependant, l’examen du présent projet de loi se déroule dans des conditions de grande rapidité, qui ne nous paraissent pas satisfaisantes pour décider d’une nouvelle modification de ces règles quelques semaines seulement après l’adoption de la loi du 11 mai.
Nous souhaitons supprimer l’article 2, dans l’attente d’un examen approfondi et transversal de toutes les modifications intervenues dans ce domaine.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 16.
Mme Laurence Cohen. Nous demandons également la suppression de l’article 2.
Après l’article 1er, dont nous avons longuement discuté, nous abordons, avec l’article 2, un nouveau volet particulièrement controversé du texte.
Comme mon collègue vient de le dire, il soulève une vive inquiétude parmi nos concitoyennes et nos concitoyens, mais également au sein de l’Ordre national des médecins, puisqu’il permet de prolonger la conservation de certaines données collectées par des systèmes d’information de santé, alors que celle-ci devait être limitée à trois mois.
Le combat que nous sommes censés mener contre la pandémie ne justifie en rien ce débordement par rapport à ce qui a été annoncé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Bien évidemment, nous ne saurions être favorables à ces amendements, qui visent à supprimer des articles que nous avons largement approuvés en commission des lois.
En effet, les données qui seront utilisées ne permettront pas d’identifier les personnes qui auront été atteintes de la maladie et serviront exclusivement à des enquêtes épidémiologiques. Nous sommes exactement dans le cadre des perspectives que nous avons tracées quand nous avons décidé de voter la possibilité d’enquêtes épidémiologiques.
En revanche, pour ce qui concerne l’exploitation des données à des fins de dépistage, nous avons approuvé les restrictions apportées par l’Assemblée nationale au texte du Gouvernement. D’ailleurs, nous les aurions apportées nous-mêmes si elle ne l’avait pas fait.
Lors de réunion de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, nous avons veillé à ce que ces données ne puissent pas être conservées au-delà de trois mois. Il n’est pas question de céder sur ce point. Oui aux enquêtes épidémiologiques dépourvues de données permettant l’identification directe des personnes. Non à toute conservation de données personnelles à d’autres fins.
J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié et 16.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
I. – L’article L. 3841-2 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa du 2° est complété par une phrase ainsi rédigée : « À ce titre, ils peuvent notamment habiliter le haut-commissaire à adapter, après consultation des autorités sanitaires de Nouvelle-Calédonie ou de Polynésie française, les dispositions du II de l’article L. 3131-15 portant sur les durées des mesures de mise en quarantaine et de placement en isolement, dans la limite des durées maximales prévues par le même article L. 3131-15, ainsi que sur le choix du lieu où sont effectuées ces mesures afin de lui permettre de s’opposer au choix du lieu retenu par l’intéressé s’il apparaît que ce lieu ne répond pas aux exigences sanitaires qui justifient la mise en quarantaine de ce dernier. » ;
1° bis Au début du deuxième alinéa ainsi qu’au début et à la fin du dernier alinéa du même 2°, il est ajouté le signe : « “ » ;
2° Il est ajouté un 3° ainsi rédigé :
« 3° À la fin de la première phrase du premier alinéa du II du même article L. 3131-17, les mots : “du directeur général de l’agence régionale de santé” sont remplacés par les mots : “des autorités sanitaires compétentes”. »
II (nouveau). – Au 3° de l’article L. 3841-3 du code de la santé publique, le mot : « cinquième » est remplacé par le mot : « sixième ».
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Poadja, Mme Tetuanui et M. Bonnecarrère, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – L’article L. 3841-2 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa sont ajoutés les mots : « I. – À l’exception des articles L. 3131-15 à L. 3131-17, » ;
2° Le 2° est abrogé ;
3° Il est ajouté un paragraphe ainsi rédigé : « II. – Lorsque la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française adoptent, au titre de leurs compétences en matière de santé publique et de contrôle sanitaire aux frontières, des mesures réglementaires et individuelles poursuivant le même objet que les dispositions des articles L. 3131-15 à L. 3131-17, ces mesures sont soumises, afin de garantir les libertés publiques, aux dispositions suivantes :
« 1° Ces mesures sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.
« 2° Sont applicables aux mesures de mise en quarantaine ou de placement et de maintien en isolement décidées par les autorités compétentes de la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont soumises aux dispositions des articles L. 3131-15 et L. 3131-17 relatives à la durée initiale, à la durée totale, aux conditions de prolongation, au choix du lieu où peut être effectuée la mesure, à l’obligation d’un diagnostic médical, à la garantie d’accès aux biens et services essentiels, aux possibilités de recours devant le juge de la détention et des libertés et à la protection des personnes et enfants victimes des violences.
« Toutefois, sur des durées limitées et sous condition d’une réévaluation régulière, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française peuvent adopter des mesures plus contraignantes que celles prévues par ces articles L. 3131-15 et L. 3131-17 dans les quatre premières matières citées au 2° du présent paragraphe, afin de tenir compte de leur situation préservée de l’épidémie, ainsi que de leur caractère insulaire et étendu. »
II. – Le IV de l’article 12 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions est complété par les mots : « sauf en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française ».
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Si vous le permettez, monsieur le président, je présenterai en même temps l’amendement n° 7.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 7, présenté par M. Poadja, Mme Tetuanui et M. Bonnecarrère, et ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Après la première occurrence du mot : sanitaires
insérer les mots : territorialement compétentes
II. – Alinéa 5
Après le mot :
sanitaires
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
territorialement compétentes de Nouvelle-Calédonie ou de Polynésie française”. »
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Philippe Bonnecarrère. L’amendement n° 6, comme l’amendement n° 7, qui est un amendement de repli, vise à soulever la question non pas d’une aggravation des mesures de confinement en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, mais de l’articulation des pouvoirs dans ces deux collectivités.
Depuis il y a fort longtemps maintenant – ce mouvement a commencé en 1957 –, la compétence en matière de santé a été dévolue au gouvernement local.
Cet amendement tend à exprimer une critique. Il s’agit de dire au Gouvernement que la rédaction actuelle du texte donne au haut-commissaire le pouvoir de prendre un certain nombre de dispositions réglementaires, quand les autorités locales considèrent que ces décisions doivent être prises soit conjointement par le haut-commissaire et par l’autorité territoriale de Nouvelle-Calédonie ou de Polynésie française, donc par le Congrès – c’est le sens de l’amendement n° 6 –, soit, a minima, après consultation des autorités locales – c’est le sens de l’amendement n° 7.
Cet amendement vise donc l’organisation des pouvoirs : il s’agit non pas tant de permettre une augmentation des mesures de confinement, même si celle-ci est demandée par la population – c’est un autre débat –, que de respecter les compétences, telles qu’elles ont été définies. Au-delà du sujet de police administrative ou sanitaire, il y va largement de l’exercice de la compétence en matière de santé, qui appartient aux autorités polynésienne et néo-calédonienne.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’y insiste, il faut vraiment entendre la demande unanime, tous mouvements politiques confondus, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, y compris dans la perspective du référendum du 4 octobre prochain.
Si nous n’entendons pas qu’il nous est demandé de respecter les pouvoirs accordés à la Nouvelle-Calédonie ou à la Polynésie française, cela nous reviendra à tous en boomerang le 4 octobre prochain ; ce sera un argument en faveur de l’indépendance.
Par conséquent, je vous remercie de voter ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il nous faut aborder des problèmes complexes dans un temps bref.
L’amendement n° 6 vise, tout d’abord, à permettre de prendre des mesures plus contraignantes en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Nous ne pouvons le nier, mon cher collègue, ce qui est écrit dans le texte : sur des durées limitées et sous condition, « la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française peuvent adopter des mesures plus contraignantes que celles prévues » par le code de la santé publique.
Cela pose un problème particulier, dès lors que ces collectivités ont été moins atteintes par le virus que le reste de la France. Pourquoi faudrait-il leur permettre de prendre des mesures plus contraignantes ? Celles-ci seraient probablement inconstitutionnelles. Il faut le dire à nos amis !
Nous comprenons que ces îles aient été bien préservées et qu’elles veuillent se protéger, mais elles doivent elles aussi comprendre que la restriction des possibilités de circulation qui permettent aux visiteurs de s’y rendre ne sert pas leur développement économique.
Qui décide quoi ? Je veux rappeler que les mesures de quarantaine ou d’isolement qui peuvent être nécessaires sont prises par un arrêté conjoint du président de la collectivité et du haut-commissaire. En revanche, les mesures qui sont prises au nom de l’État, parce qu’elles touchent aux libertés, ne sauraient être déléguées, parce qu’elles relèvent, en réalité, de la police administrative. Nous considérons que l’État doit continuer à prendre de telles mesures, les élus de Polynésie comme de Nouvelle-Calédonie étant consultés.
Je ne dis pas que ce système est idéal, mais il est très difficile de le faire évoluer à la faveur de ces amendements, malgré toutes les susceptibilités qui s’expriment, compte tenu du très grand partage qui existe déjà. Je sais bien que la santé est dévolue aux territoires et que l’ordre public relève de l’autorité de l’État, mais les uns et les autres se rencontrent pour prendre les décisions en commun.
Dès lors, la commission, dans sa bienveillance sincère à l’égard des élus de ces territoires, a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 6. En revanche, elle est favorable à l’amendement n° 7.
Par la suite, elle ne sera pas favorable à l’amendement n° 8 rectifié, qui vise à supprimer des sanctions pénales. En effet, ce serait un comble de vouloir à la fois plus de contraintes et moins de sanctions ! Ce ne serait pas cohérent.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Véran, ministre. Même avis défavorable sur l’amendement n° 6 et favorable sur l’amendement n° 7.
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par M. Poadja, Mme Tetuanui et M. Bonnecarrère, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
dans la limite des durées maximales prévues par le même article L. 3131-15,
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. L’amendement adopté en commission vise à supprimer la possibilité donnée au haut-commissaire de déroger aux mesures de quarantaine et d’isolement. On prive ainsi l’article 3, tel qu’il a été introduit à l’Assemblée nationale, de l’un de ses principaux objectifs, qui était justement de pouvoir envisager des durées plus importantes.
La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, ayant une compétence exclusive en matière de santé publique, revendiquent la possibilité de prendre, sur leur territoire, des mesures de quarantaine qui peuvent être différentes de celles qui sont prévues sur le territoire national.
De même, leur stratégie de prévention doit pouvoir être différente. À cet égard, monsieur le président de la commission des lois, ces collectivités souhaiteraient retrouver la main sur les sanctions pénales.
Fondamentalement, l’objet de cet amendement est d’autoriser une différenciation. Les Polynésiens comme les Néo-Calédoniens estiment que les résultats qui ont été obtenus sur leur territoire sont précisément liés à la qualité du travail qu’ils estiment avoir pu réaliser grâce à la compétence dont ils disposent en matière de santé. Ils voudraient conserver cette différenciation.
Dans le cas précis, ils souhaitent que l’on rétablisse la possibilité de recourir à des sanctions pénales en cas de non-respect.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il s’agit d’augmenter les possibilités de restrictions apportées par les quarantaines, en les faisant passer de quatorze à vingt et un jours.
Le dispositif de cet amendement était compris dans celui de l’amendement n° 6, déposé par les mêmes auteurs, qui a été rejeté.
J’émets donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. Je rebondis sur les propos de notre collègue Philippe Bonnecarrère, que j’ai appréciés.
Notre débat met en évidence une réalité ultramarine. Pour avoir auditionné récemment les exécutifs de tous les départements d’outre-mer et de toutes les collectivités ultramarines et pour avoir écouté les présidents de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, je tire le bilan que cela ne s’est pas mal passé dans le Pacifique.
En effet, pour faire simple, le haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie n’a pris aucune décision sans concertation avec le président de la collectivité et sans cosignature de celui-ci. En Polynésie française, la concertation a eu lieu, mais sans cosignature.
Sauf erreur de ma part, en votant l’état d’urgence, les parlementaires ont redonné à l’État le pouvoir sur l’ensemble du territoire de la Nation. Il était donc logique que l’État reprenne en main cette compétence et compréhensible qu’il gère la crise.
Monsieur le ministre, il faudrait penser à appliquer cette différenciation dans les autres territoires, en particulier – je prêche pour ma paroisse – dans les collectivités dotées de l’autonomie relevant de l’article 74.
Même si nous ne disposons pas de la compétence en matière de santé, il serait à tout le moins logique que les représentants de l’État se concertent avec les présidents des collectivités, qu’ils écoutent ce que ceux-ci ont à leur dire, ce qui n’est pas toujours le cas, et que les décisions, même signées par le seul État, soient prises d’un commun accord. En tant qu’élus, nous sommes tout de même les mieux placés pour connaître les réalités de nos territoires !
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
L’article 1er est applicable en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, sous réserve des adaptations suivantes :
1° Après le 4° du I, il est inséré un 5° ainsi rédigé :
« 5° Habiliter le haut-commissaire à prendre des mesures de mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affectées et de placement et maintien en isolement des personnes affectées dans les conditions prévues au II de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique et au II de l’article L. 3131-17 du même code. » ;
2° Le III est ainsi rédigé :
« III. – Lorsque le Premier ministre prend des mesures mentionnées au I et les rend applicables à la Nouvelle-Calédonie ou à la Polynésie française, il peut habiliter le haut-commissaire à les adapter en fonction des circonstances locales et à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions, lorsqu’elles relèvent de la compétence de l’État et après consultation du Gouvernement de la collectivité.
« Lorsqu’une des mesures mentionnées au même I doit s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française, le Premier ministre peut habiliter le haut-commissaire à la décider lui-même, assortie des adaptations nécessaires s’il y a lieu et dans les mêmes conditions qu’au premier alinéa du présent III. » ;
3° Le VII est applicable, sous réserve des adaptations prévues à l’article L. 3841-3 du code de la santé publique.
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Poadja et Bonnecarrère et Mme Tetuanui, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Après la première occurrence de la référence :
II
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
de l’article L. 3131-17 du code de la santé publique
II. – Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
3° Le VII n’est pas applicable.
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Le présent texte a été amélioré par la commission des lois, ainsi que M. le rapporteur l’a rappelé à plusieurs reprises. Toutefois, mes chers collègues, il y a le texte et le contexte…
Nous nous sommes montrés responsables en votant, au mois de mars dernier, en faveur de la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire. Nous ne pouvons néanmoins accepter que, une fois de plus, la gravité de la situation serve de prétexte pour faire entrer peu à peu un état d’exception dans le droit commun.
Ce n’est pas la première fois que l’on nous ferait le coup, si vous me permettez l’expression. Ainsi, en 2017, vous avez opté pour l’intégration de mesures d’exception dans le droit commun, au travers de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Je pourrais également citer l’effarante « loi Avia », justement censurée par le Conseil constitutionnel, sur l’initiative, d’ailleurs, de nos collègues du groupe Les Républicains, que je félicite. Je pense également au texte contre les fake news.
Je constate progressivement une disparition de ce que l’on pourrait appeler notre amour pour les libertés publiques. Cet amour laisse progressivement place à une tolérance inquiétante pour la tutelle de l’État, que l’on nous impose par petites touches.
Mes chers collègues, il ne faut pas s’habituer à cette grammaire, qui ne surprend plus grand monde, y compris parmi nos concitoyens… Bien évidemment, monsieur le ministre, il ne s’agit pas de minimiser la crise que nous traversons. Il s’agit de poser les bonnes questions.
L’urgence commande-t-elle de prendre des mesures dont les conséquences à long terme ne peuvent pas toujours être mesurées ? Plutôt que de mal faire, n’est-il pas possible d’utiliser ce qui existe déjà, comme le code de la santé publique ?
Mes chers collègues, je vous incite à méditer sur cette belle phrase d’André Breton : « On ne prend pas sans danger des libertés avec la liberté. »
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire.
(Le projet de loi est adopté.)
3
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 23 juin 2020 :
À quatorze heures trente :
Débat sur la situation du logement et du bâtiment.
À dix-sept heures trente :
Débat sur le bilan de l’application des lois.
À vingt et une heures trente :
Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 juin 2020.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures trente-cinq.)
nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des lois pour faire partie de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :
Titulaires : M. Philippe Bas, Mmes Jacky Deromedi, Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Luc Fichet, Jean-Pierre Sueur et Alain Richard ;
Suppléants : Mmes Catherine Di Folco, Marie Mercier, MM. Vincent Segouin, Hervé Marseille, Jean-Yves Leconte, Mmes Nathalie Delattre et Esther Benbassa.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication