M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Jean-Marc Boyer, quand 150 citoyens tirés au sort, à l’image de notre pays (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), prennent sur leur temps personnel pour travailler avec beaucoup de détermination et de sérieux pendant neuf mois, cela mérite, selon moi, le respect.
Que nous disent ces citoyens ? Au départ, je tiens à le préciser, certains d’entre eux étaient, ils nous l’ont dit, climatosceptiques. Or, dès leur premier week-end de travail, ils ont pu échanger avec des experts et des scientifiques. Ils ont pris une claque en réalisant l’ampleur du défi climatique. Ils ont travaillé en auditionnant des industriels, des élus et, sans doute, des parlementaires. Ils nous ont ensuite remis de nombreuses propositions témoignant d’une vision globale de la situation. (Mêmes mouvements.)
Le respect impose de ne pas mettre en exergue quelques mesures, alors qu’il s’agit pour eux d’apporter des réponses globales concernant la rénovation des bâtiments, l’artificialisation des sols, le développement de la mobilité propre ou le renforcement du fret ferroviaire. Sur tous ces sujets, il existe, me semble-t-il, un large consensus. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion de débattre de projets de loi visant les mêmes orientations.
Certes, il est important que le débat se poursuive. Les consensus trouvés entre les citoyens doivent continuer à se construire dans la société, que ce soit à l’occasion d’un débat parlementaire ou d’un référendum. Nous sommes bien d’accord, monsieur le sénateur, le débat doit se poursuivre, en particulier au Sénat. (M. François Patriat applaudit.)
situation des travailleurs agricoles
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Yvon Collin. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Durant les deux mois et demi de confinement, alors qu’une grande partie de l’économie s’est retrouvée paralysée, le secteur agricole et agroalimentaire est resté sur le front, pour garantir à nos concitoyens la continuité d’un approvisionnement alimentaire de qualité et diversifié. Chacun d’entre nous a pu le mesurer sur son territoire, et vous l’avez souvent rappelé ici même, monsieur le ministre.
En effet, malgré les mesures barrières à mettre en place, la pénurie de main-d’œuvre dans certaines filières, les difficultés de transport des produits, la nécessité de réorienter une partie des débouchés, les agriculteurs n’ont jamais cessé de travailler et de produire. Comme toujours, malgré les aléas, ils ont su faire preuve de résilience et faire face. Cela mérite d’être souligné et salué.
Les agriculteurs, ce sont non seulement des exploitants, mais aussi des salariés, permanents ou saisonniers. Selon la Mutualité sociale agricole, l’agriculture mobilise chaque année 600 000 travailleurs saisonniers, dont 22,6 % sont étrangers.
La fermeture des frontières et la crise ont mis en lumière les difficultés des saisonniers français, mais aussi européens et nord-africains. Je souhaitais en particulier attirer votre attention sur la question de leur logement. Faute de structures adaptées, ils logent dans des habitats souvent précaires et insalubres. Aussi, je vous demande, monsieur le ministre, ce qu’entend faire le Gouvernement pour soutenir ces salariés et améliorer leur accueil et leurs conditions de vie, en particulier leur logement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Laurent Duplomb applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Yvon Collin, quel bel hymne d’amour à l’agriculture ! (M. Laurent Duplomb s’exclame.) Vous avez eu raison de saluer les agriculteurs et les salariés agricoles. Grâce à eux, grâce aux transformateurs et aux distributeurs, la chaîne alimentaire a tenu et nous avons pu continuer à nous alimenter. Merci du soutien que vous leur témoignez.
Le sujet du salariat agricole me tient particulièrement à cœur, et je suis très heureux que vous ayez posé cette question.
Le salariat agricole, ce sont plus de 700 000 emplois. Ce sont, en ce moment, et chaque année à cette période, 100 000 travailleurs supplémentaires, des travailleurs saisonniers étrangers, qui doivent venir en France pour faire tenir notre modèle agricole. Ce n’est pas rien ! Bien souvent, évidemment, ces salariés ont des contrats précaires et sont logés dans des conditions très compliquées.
Pour répondre à la crise du Covid-19, la commission interministérielle pour le logement des populations immigrées a mis en place un guide pratique recensant un certain nombre de gestes barrières ; il était très important de le faire. Mais nous savons très bien que, dans le domaine agricole comme dans nombre d’autres domaines, celui de la restauration par exemple, ces salariés ont du mal à trouver un logement, ce qui rend difficile leur venue. Nos entreprises agroalimentaires, qui sont performantes et très nombreuses, notamment en Bretagne, ont par exemple du mal à les héberger. (Mme Françoise Gatel approuve.)
C’est la raison pour laquelle le Premier ministre, Julien Denormandie et moi-même avons travaillé avec Action Logement et pris deux mesures : nous avons décidé, d’une part, d’une aide exceptionnelle de 150 euros mensuels versée pour une durée de quatre mois, soit pendant toute la crise, pour aider à l’hébergement des salariés agricoles français ou étrangers. Nous avons aussi essayé de faire en sorte que tous les salariés agricoles qui sont en difficulté puissent toucher une autre aide, de 150 euros également. Ce dispositif que nous avons souhaité mettre en place est très important : si nous arrivons à aider les salariés à se loger, alors nous pourrons aller de l’avant.
Nous travaillons par ailleurs sur de nouvelles mesures pour la suite,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Didier Guillaume, ministre. … concernant notamment la rénovation énergétique des logements de ces travailleurs. Nous devons garder les salariés agricoles au plus près du terrain !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour la réplique.
M. Yvon Collin. Je remercie M. le ministre pour sa réponse ; nous serons vigilants sur l’application des mesures annoncées. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
situation de presstalis
M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Annie Guillemot. Ma question s’adresse à M. le ministre de la culture.
Monsieur le ministre, les marchands de journaux font partie de notre quotidien et de notre culture. Garantissant l’accès à près de 2 000 titres, ils sont des vecteurs essentiels de la culture et de l’information et des acteurs essentiels de la proximité. Par le biais de 23 000 points de vente répartis sur l’ensemble du territoire, ils assurent un véritable service public en permettant la diffusion et la pluralité d’une presse indispensable à notre vie démocratique. Mais, après cinquante-cinq jours de confinement qui ont mis à rude épreuve ces commerçants aux revenus généralement modestes, ceux-ci doivent désormais faire face à la crise du secteur de la distribution de la presse.
En effet, l’entreprise Presstalis, qui distribuait 75 % de la presse écrite sur l’ensemble du territoire national, est en faillite. La filiale régionale de Presstalis qui assurait la distribution dans la métropole de Lyon et dans le département du Rhône a été placée en liquidation judiciaire depuis le 15 mai dernier. Ainsi, depuis plus de cinq semaines, les marchands de presse sont dans l’incapacité de vendre à leurs clients nombre de journaux habituels, notamment les « nationaux », qu’ils ne reçoivent plus. Dans le même temps, les loyers de ces commerçants courent.
Cette situation pénalise très lourdement les 550 kiosques de la métropole de Lyon, dont la santé économique était souvent déjà fragile. Elle engendre une baisse du chiffre d’affaires de l’ordre de 75 %, qui risque de précipiter la fermeture de nombre de maisons de la presse. Marseille, Toulon, Nantes et de nombreuses autres villes connaissent des problèmes analogues.
Sans mauvais jeu de mots – les circonstances ne s’y prêtent pas –, le temps presse. Ces professionnels sont aux abois : entre le début de l’année 2020 et fin avril, 740 points de vente ont déjà tiré le rideau, contre 579 pour toute l’année dernière. Il faut donc éviter que cette situation, d’ores et déjà extrêmement préoccupante pour le pluralisme de la presse, ne vire à l’hécatombe.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire rapidement pour qu’une solution pérenne soit enfin trouvée à cette crise de la distribution de la presse ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Madame la sénatrice Guillemot, comme vous le savez, le Gouvernement s’intéresse de très près à l’avenir des marchands de presse. Ceux-ci représentent un maillage culturel et d’information très important, partout dans les territoires.
Le Gouvernement a pris la décision d’assouplir, dans sa réforme de la loi Bichet, les conditions de gestion qui s’appliquent aux marchands de presse, afin d’améliorer leur modèle économique. Il a veillé à ce que, pendant la crise de Presstalis, ils puissent toucher toutes les sommes qui leur étaient dues.
Le Gouvernement veille aussi à ce que, malgré les difficultés de Presstalis, que vous avez rappelées – redressement judiciaire, reprise du siège parisien et de la plateforme de Bobigny, mais liquidation des dépôts de presse –, l’avenir de la distribution de la presse soit garanti, pour que les marchands de journaux, notamment, puissent continuer de vivre.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement soutient la reprise du siège parisien de Presstalis et de son centre de Bobigny par la coopérative des quotidiens : il investit 80 millions d’euros pour accompagner cette reprise. Et c’est la raison laquelle il travaille avec les dépositaires indépendants, avec les Messageries lyonnaises de presse et avec les préfets de région afin de trouver des solutions pour les quinze dépôts qui doivent être repris après la liquidation de Presstalis.
En ce qui concerne Lyon, une solution a été trouvée et un plan de secours est d’ores et déjà mis en œuvre. Concernant Toulon et Marseille, des solutions devraient être trouvées dans les tout prochains jours. L’avenir de la distribution de la presse est essentiel aux yeux du Gouvernement. Il y va du pluralisme de la presse et de la bonne qualité de l’information de nos compatriotes, que cette distribution garantit. Le Gouvernement investit, depuis des années, beaucoup d’argent pour préserver cette distribution. Nous allons continuer de le faire, notamment pour les petits éditeurs de presse et pour les marchands de journaux particulièrement touchés par les perturbations affectant Presstalis dans les régions de Lyon et Marseille.
M. le président. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour la réplique.
Mme Annie Guillemot. Le problème n’est pas résolu à Lyon, monsieur le ministre, puisque nous ne recevons toujours pas les journaux nationaux, Libération, Le Monde, etc. Les maisons de la presse perdent des clients. Elles ont pourtant joué le jeu pendant le confinement : elles ont ouvert et répondu présent en distribuant les journaux.
Il y a là, vraiment, un drame économique pour les salariés de Presstalis, qui vont se retrouver au chômage, mais aussi un drame humain pour tous les patrons de ces maisons de la presse, qui ne comprennent pas pourquoi on ne répond pas plus vite à leurs préoccupations. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
mineurs délinquants étrangers
M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Les chiffres le montrent : la délinquance n’a cessé de croître ces dernières années. L’année 2020 a mal commencé. L’aggravation est inquiétante, et le répit lié au confinement déjà derrière nous.
Il existe un phénomène alarmant – il n’est pas nouveau, mais en pleine expansion –, auquel vous n’avez apporté, à ce jour, aucune réponse : de jeunes étrangers mineurs, ou qui prétendent l’être, multiplient les cambriolages, les vols avec violence et les agressions en tout genre. Ils ont souvent entre 10 ans et 17 ans, du moins lorsqu’ils sont mineurs, ce qui n’est pas toujours facile à déterminer.
Si le phénomène est très présent à Paris, il se répand désormais dans les grandes métropoles françaises. À Bordeaux, il y a quelques semaines, on a découvert un réseau de recel en bande organisée dirigé par des adultes qui instrumentalisaient de tels jeunes. Ces délinquants, mineurs isolés, étrangers, parfois sans domicile fixe, empoisonnent la vie des habitants. J’ai pu le constater très récemment dans mon arrondissement, via de nombreux témoignages. Il ne s’agit pas de faits marginaux.
Mais ces voyous savent qu’un simple rappel à la loi est souvent le solde de tout compte de leurs délits, et ils recommencent à l’envi. Ils se rient de la France ! C’est désespérant pour les forces de l’ordre et, pour les victimes, aussi injuste qu’incompréhensible.
Or la réponse pénale n’est pas adaptée à la situation. La position de Mme la garde des sceaux, qui souhaite instaurer une justice « restaurative » pour « faire dialoguer victimes et auteurs d’infractions », ne rassure personne, sinon les délinquants.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que ces jeunes sont instrumentalisés par des réseaux d’adultes ? Qu’a fait le Gouvernement, depuis le déconfinement, pour lutter contre ce phénomène ? Comment compte-t-il restaurer l’autorité de l’État en cette matière ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Boulay-Espéronnier, vous posez une question dont je connais la sensibilité. J’ai eu l’occasion d’en parler souvent avec des maires, qui sont venus me voir, notamment ceux dont les communes sont situées à proximité des terminus des lignes de RER et connaissent des intrusions violentes et fréquentes dans certains commerces. De ce dialogue sont issues un certain nombre de mesures qui figurent dans le code de la justice pénale des mineurs publié le 13 septembre dernier.
Le Gouvernement a une politique générale pour les mineurs, confiée à Adrien Taquet. Le code de la justice pénale des mineurs n’est qu’un des éléments de cette politique générale, celui qui répond à la situation des mineurs délinquants. Au sein de ce code, dont nous débattrons au Parlement, parce qu’il s’agit d’un sujet tout à fait important, figurent des éléments qui concernent spécifiquement les mineurs isolés dont vous parlez.
En effet, nous avons fondé cette réécriture de l’ordonnance de 1945 sur les principes fondateurs de cette ordonnance : une justice spécialisée, la primauté de l’éducatif, mais aussi une procédure adaptée aux exigences de notre moment.
Nous savons par exemple qu’un certain nombre de mineurs isolés, pas tous – il ne faut pas considérer qu’ils sont tous des délinquants –, refusent de donner leur identité, et sont donc difficiles à appréhender pour la justice. Nous avons décidé, dans le code de la justice pénale des mineurs, que ceux qui refuseraient de se soumettre aux procédures qui permettent d’établir leur identité seraient assimilés à des récidivistes, ce qui, concrètement, nous permettra de les déférer au parquet. Ils seront alors jugés en une audience unique dans un délai d’un à trois mois suivant le défèrement ; ainsi pourrons-nous répondre à ces situations de façon rapide – c’est l’objet général de ce code de la justice pénale des mineurs – et efficace.
Vous avez évoqué, madame la sénatrice, la justice restaurative. Permettez-moi de préciser que cette procédure n’est pas une peine : c’est un complément, qui peut être mis en œuvre dans un certain nombre de cas, pour les mineurs comme pour les adultes. Cela n’a rien à voir avec les sanctions qui sont prononcées à l’égard des mineurs récidivistes…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Nous cherchons l’équilibre entre la fermeté et l’éducation. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mercredi 1er juillet, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Assurance récolte
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de résolution visant à encourager le développement de l’assurance récolte, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Yvon Collin, Henri Cabanel, Mme Nathalie Delattre et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 708 [2018-2019]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution.
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en pleine crise sanitaire, la filière agroalimentaire a démontré sa capacité à garantir aux Français confinés l’accès à une diversité de produits agricoles et alimentaires – j’ai déjà eu l’occasion de le dire pendant les questions d’actualité au Gouvernement.
Si beaucoup de nos concitoyens ont dû cesser leur travail, la grande majorité des agriculteurs ont continué, sur leur exploitation, d’assurer la production, malgré les difficultés et les risques. Le maintien de la chaîne alimentaire dans son ensemble, de l’amont à l’aval, a en effet pris, dans cette épreuve difficile, un caractère éminemment stratégique. En témoigne l’inquiétude de certains de nos concitoyens qui – on s’en souvient –, au début de l’épidémie, ont cru bon de stocker des aliments.
Aussi n’est-il pas inutile de rappeler l’impérieuse nécessité de préserver cette richesse agricole qui irrigue notre territoire et pèse dans l’économie du pays. La France est en effet riche de ses agriculteurs, mais pour combien de temps encore ? Chaque semaine, deux cents fermes mettent la clé sous la porte. Quant à tous ceux qui restent, force est de leur reconnaître un certain courage, et même un courage certain, allant parfois jusqu’à l’abnégation, car – on le sait – l’horizon agricole est fait de nombreux aléas, menaçant parfois l’investissement de toute une vie. Problèmes sanitaires, volatilité des marchés, aléas climatiques : ces fléaux frappent régulièrement les agriculteurs, et parfois de façon cumulée.
Aujourd’hui, je veux évoquer plus particulièrement l’aléa climatique, qui est au cœur de la proposition de résolution que le RDSE a décidé de soumettre à votre examen. On le constate chaque année : les intempéries sont de plus en plus fréquentes. Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a rappelé, dans son dernier rapport, qu’il fallait s’attendre à ce que « le réchauffement climatique provoque des événements météorologiques extrêmes plus intenses, tels que des sécheresses, des pluies diluviennes et des ouragans plus fréquents ».
Cette réalité, hélas, nos agriculteurs la vivent depuis quelques années. Souvenons-nous de l’année 2018, particulièrement difficile, avec, l’été, une sécheresse atypique, et un déficit hydrique qui s’était prolongé durant l’automne. L’année dernière encore, 86 départements avaient été concernés par des restrictions d’eau, et de violentes averses de grêle avaient dévasté, parfois en totalité, des vergers dans la région de Bordeaux, en Auvergne-Rhône-Alpes, ainsi qu’en Occitanie. Cette année, ce n’est guère mieux : une sécheresse s’abat un peu partout sur des sols fragilisés par les épisodes des années précédentes.
Face à cette situation, les exploitants tentent de garder la tête hors de l’eau, si je puis m’exprimer ainsi. Ils essaient de protéger leurs champs. Quand cela est possible, ils ont recours à des moyens de protection préventifs, notamment en arboriculture et en viticulture, par exemple la pose de filets anti-grêle. Mais ces techniques ne suffisent pas à limiter les dégâts. Et quand le drame arrive, les récoltes sont bien souvent totalement abîmées, parfois anéanties.
Dans ces conditions, de nombreux exploitants voient leurs revenus affectés. En moyenne, un agriculteur subit actuellement une perte de revenus de 20 % tous les trois à quatre ans – pour les arboriculteurs, la perte est de 30 % tous les 3,6 ans.
Comme vous le savez, mes chers collègues, le risque climatique est partiellement pris en charge à la fois par les assurances et par l’État. Mais, comme je l’ai rappelé, ce risque étant de plus en plus prégnant, on doit se poser la question de l’efficience du système actuel d’assurance et d’indemnisation des dommages et des pertes d’exploitation.
Aujourd’hui, ce système est composé de deux piliers.
Les agriculteurs peuvent se tourner vers le régime des calamités agricoles, qui a été créé en 1964, financé par le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA). Ce régime permet d’indemniser les agriculteurs en cas d’aléas climatiques non assurables. En tant qu’élus, nous connaissons bien ce régime – ce n’est pas sans fébrilité que nous attendons le fameux arrêté ministériel de reconnaissance de l’état de calamité agricole lorsque notre département est concerné par des intempéries.
En 2005, l’État a transféré une partie du risque aux assureurs. Depuis, l’offre a été améliorée, avec le lancement, en 2015, du contrat dit « socle ». Dans le cadre de ce contrat socle, en cas de sinistre, l’agriculteur est couvert au niveau d’un prix de vente calculé sur les trois dernières années ou sur la moyenne olympique des cinq dernières années.
Je rappelle que ce premier niveau, qui peut être déclenché à partir d’un seuil de 30 % de pertes, bénéficie d’une subvention publique au taux maximum de 65 %. Il permet ainsi à l’assuré de poursuivre son activité et de relancer un cycle de production après avoir subi des pertes de rendement dues à un événement climatique.
Un second niveau de couverture, subventionnable à un taux inférieur allant jusqu’à 45 %, permet à l’agriculteur d’être indemnisé sur la base de son chiffre d’affaires.
Enfin, un troisième étage, non soutenu par des aides publiques, permet de souscrire une garantie complémentaire comprenant par exemple une réduction ou un rachat de franchise, ou encore une prise en compte des frais de resemis.
L’Union européenne participe aux deux premiers niveaux de garantie par la prise en charge partielle des primes ou cotisations d’assurance, via les aides puisées dans le second pilier de la politique agricole commune (PAC).
Malgré ce soutien, qui s’est amélioré au fil des décennies, la diffusion de l’assurance récolte progresse très lentement et inégalement selon les cultures : 30 % des surfaces viticoles et 26 % des grandes cultures sont couvertes par un contrat multirisque climatique, tandis que le taux de couverture est très marginal pour les exploitations d’arboriculture, et nul pour les prairies. Par conséquent, de nombreux agriculteurs se trouvent le plus souvent démunis face à un sinistre.
Plusieurs raisons expliquent ce manque d’attractivité.
Les exploitants agricoles considèrent le coût des primes comme trop élevé, et l’exigence d’un taux de perte de 30 % est jugée trop haute.
Pour ce qui est de l’indemnisation au titre des calamités agricoles, plusieurs reproches lui sont adressés. Parmi ceux-ci, les sinistrés pointent la lenteur des procédures – le délai avant prise en charge peut aller jusqu’à dix-huit mois –, l’inadaptation des seuils, notamment ceux qui s’appliquent à la couverture des exploitations en polyculture – ce problème est récurrent –, les limites du zonage de l’indemnisation, ou encore le fait que le prix de vente assurable soit calculé sur la moyenne olympique.
En outre, pour l’arboriculture et les prairies, l’assurance récolte et le régime des calamités agricoles entrent en concurrence, ce qui peut engendrer des situations inéquitables : il arrive qu’un agriculteur assuré soit moins bien indemnisé que celui qui est dédommagé par le Fonds national de gestion des risques en agriculture.
Certes, l’exploitant peut aussi compter sur d’autres outils pour faire face à un sinistre. Je pense en particulier au dispositif de déduction pour épargne de précaution. Ce dispositif suppose toutefois de pouvoir mobiliser de la trésorerie sur plusieurs années ; il exige donc un niveau de revenu permettant cette épargne.
Monsieur le ministre, vous connaissez bien tous ces obstacles, et vous savez la faiblesse du taux de couverture des risques climatiques chez les exploitants. Aussi avez-vous lancé, en juillet dernier, une concertation entre le monde agricole et les assureurs afin d’améliorer les choses. Sans doute aurez-vous des éléments à nous communiquer sur l’état de ces négociations.
Quoi qu’il en soit, les pouvoirs publics doivent rester mobilisés pour construire un système plus attractif que celui qui a cours aujourd’hui.
Le Sénat est globalement vigilant sur cette question. Au-delà de la proposition de résolution que le RDSE présente aujourd’hui, je rappellerai le travail de nos collègues de la mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation, qui a fait des propositions pour mieux protéger le secteur agricole face aux intempéries.
Il y a donc là, du moins sur le principe, un sujet qui nous rassemble. C’est pourquoi mon groupe souhaiterait que soit clairement exprimée la nécessité d’encourager la couverture des risques climatiques auxquels sont confrontées les exploitations. Pour parvenir à cet objectif, nous avons fait quelques recommandations que mon excellent collège Henri Cabanel développera au cours de la discussion générale.
En attendant, mes chers collègues, je vous invite à porter un regard bienveillant sur notre texte, qui s’attache en somme à mieux sécuriser l’avenir des acteurs du monde rural, en réponse à leur investissement. Cet investissement contribue à faire de notre pays une grande nation agricole ; et, bien sûr, nous entendons le demeurer. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM et UC, ainsi que sur des travées des groupes SOCR, Les Indépendants et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Constant.
Mme Agnès Constant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis une dizaine d’années, l’agriculture française est confrontée à une succession d’événements climatiques qui ont gravement impacté toutes les régions et toutes les productions.
Au cours de ces quatre dernières années, les agriculteurs ont dû faire face à des événements d’ampleur – citons les excès d’eau en 2016, le gel en 2017, la grêle en 2018, la sécheresse en 2019.
Cette année, nous battons à nouveau des records de température moyenne. Et, si la recharge hivernale a été bonne, il n’empêche que la sécheresse menace à nouveau plusieurs régions de France. La crise sanitaire et économique que nous vivons est une nouvelle illustration des aléas que doivent affronter les agriculteurs. Ces aléas ont des conséquences sur les volumes de production, et donc sur les cours, qui sont de plus en plus volatils.
Face à cette situation, les mécanismes d’assurance récolte semblent en théorie une protection efficiente pour nos agriculteurs.
L’assurance récolte constitue en effet un outil de gestion des risques reconnu sur le plan international pour son efficacité. L’évaluation du programme national de gestion des risques et d’assistance technique, commandée par le ministère de l’agriculture en 2019, permet d’affirmer que l’assurance récolte est aujourd’hui tarifée de manière justifiée.
Pourtant, malgré les efforts entrepris par les différentes parties prenantes, cette assurance ne s’est pas suffisamment développée en France.
Aujourd’hui, seules 30 % des surfaces viticoles et 26 % des grandes cultures sont couvertes par un contrat multirisque climatique. Les prairies ne sont pas assurées ; l’arboriculture ne l’est quasiment pas. En outre, les indemnités versées par le régime des calamités agricoles, conçu comme un dispositif de solidarité nationale, ne permettent pas toujours aux agriculteurs de relancer un cycle de production dans des conditions satisfaisantes.
Je me félicite donc de ce que la Haute Assemblée se saisisse aujourd’hui de ce sujet si essentiel pour notre agriculture.
Cela a été dit : le problème face auquel nous nous trouvons est un problème d’attractivité de l’assurance. Personnellement, je ne crois pas à l’assurance récolte obligatoire. Il faut trouver une solution qui mêle des aides publiques et de l’assurance privée. Ce système assurantiel doit être généralisé, mutualisé, le plus large possible, et incitatif d’un point de vue financier.
Pour atteindre cet objectif, nous devons nous reposer sur le triptyque suivant : simplification, adaptation, modernisation.
Alors que les agriculteurs n’ont pas toujours les moyens de s’assurer, nous devons prévoir des mécanismes de financement innovants, en ayant notamment davantage recours aux fonds européens. Les propositions contenues dans le présent texte vont dans cette direction.
Il faut également renforcer l’attrait des assurances récolte, car tous les agriculteurs ne sont pas convaincus de leur utilité. Une meilleure évaluation des pertes et un règlement rapide de l’indemnisation seraient ainsi de nature à renforcer cet attrait. Nous pourrions également faciliter la création d’associations d’agriculteurs, afin que ces derniers disposent d’un plus grand pouvoir de négociation avec les assureurs.
Concernant la viticulture, il est urgent de revoir les bases de rendement sur lesquelles on calcule l’indemnisation de l’exploitant. La moyenne olympique sur cinq ans est particulièrement inadaptée ; ce laps de temps est en effet trop court pour que le chiffre obtenu soit représentatif de la performance de l’exploitation, du fait des aléas climatiques.
Monsieur le ministre, j’en suis convaincue, vous partagerez notre objectif commun, qui est de mieux sécuriser nos agriculteurs et de faire face au développement dramatique des risques climatiques en France en assurant la pérennité de l’assurance récolte et en augmentant les surfaces agricoles assurées.
En juillet dernier, vous avez décidé de lancer une large consultation sur les voies d’amélioration ou de refondation des outils de gestion des risques en agriculture.
Cependant, avec un ratio de plus de 100 % entre les indemnités versées aux agriculteurs et les cotisations encaissées sur la période 2005-2019, le marché de l’assurance des récoltes n’a pas atteint son équilibre technique. Celui-ci est aujourd’hui fragilisé et menacé par un risque d’antisélection et de moindre couverture des agriculteurs les plus exposés. Dans ce contexte, et afin de pérenniser et de développer ce dispositif assurantiel, le Conseil de l’agriculture française a proposé de faire évoluer le système actuel vers un modèle « à l’espagnole » qui fait, depuis plus de trente ans, la démonstration de son efficacité.
Il s’agirait ainsi de constituer un pool national de marché réunissant l’ensemble des assureurs désireux de proposer des garanties d’assurance récolte à leurs clients, y compris les assureurs qui ne disposent pas aujourd’hui des moyens suffisants pour le faire.
En bénéficiant des subventions attachées à l’assurance des récoltes, ce pool fixerait les conditions contractuelles et la prime de risque y afférente commune à tous, chaque assureur y ajoutant ses chargements propres dans une logique concurrentielle de distribution et de gestion.
L’établissement de la prime de risque bénéficierait en particulier du résultat de la mutualisation de tous les aléas de la ferme France, limitant ainsi l’effet de leur volatilité. Ce pool s’accompagnerait d’une gouvernance associant les assureurs, les réassureurs, les agriculteurs ainsi que l’État en tant que tiers de confiance.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe La République En Marche votera en faveur de cette proposition de résolution. Donnons à l’assurance récolte les moyens de faire de nouveaux progrès dans les mois et les années à venir, afin qu’elle soit un véritable outil de soutien d’un secteur stratégique pour notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)