compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
M. Yves Daudigny.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Éloge funèbre d’Alain Bertrand, sénateur de la Lozère
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, chers membres de la famille d’Alain Bertrand, et vous qui les entourez, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris, le 3 mars dernier, la disparition de notre collègue Alain Bertrand, sénateur de la Lozère, qui nous a quittés à l’âge de 69 ans, après avoir mené pendant de longs mois un combat courageux et digne contre la maladie. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, se lèvent.)
Nous étions présents à ses obsèques, le 6 mars, à Mende, avec le président Requier, avec la présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, et avec d’autres de nos collègues encore. Ce fut une émouvante cérémonie d’adieu, à laquelle assistaient nombre d’habitants de la Lozère et de personnalités politiques et d’élus de son département. Didier Guillaume, présent aujourd’hui et que je salue, lui a rendu un hommage empreint à la fois d’affection profonde et de grand respect.
Alain Bertrand a attaché son nom à « l’hyper-ruralité ». Souvenez-vous comme il prononçait ce mot avec sa pointe d’accent que je ne saurais imiter, moi qui suis du nord de la Loire. (Sourires.) Il en fut l’ardent avocat dans notre hémicycle tout au long de ses dix années de mandat.
Nous garderons de lui le souvenir d’un collègue fortement impliqué dans le travail parlementaire, particulièrement sur les questions concernant l’aménagement du territoire et l’agriculture, mais aussi d’un élu de terrain très attaché à son territoire et d’une personnalité chaleureuse, affable et pleine d’humour.
Né le 23 février 1951 à Saint-Juéry dans le Tarn, Alain Bertrand avait choisi la profession d’inspecteur des domaines après des études à l’École nationale des finances publiques de Clermont-Ferrand.
Il se fixa dans le département de la Lozère, qui devint sa terre d’adoption. C’est là qu’il s’engagea en politique en adhérant au parti socialiste, dont il devint premier secrétaire de la fédération départementale, et qu’il exerça de nombreux mandats locaux.
Il siégea au conseil régional du Languedoc-Roussillon de 1998 à 2011 et en devint à la fois vice-président et président de la commission « Montagne-élevage, chasse et pêche » de 2004 à 2011. À partir de 2001, il fut aussi conseiller municipal de Mende, puis maire de cette ville de 2008 à 2016. Au cours de cette période, il fut également président de la communauté de communes Cœur de Lozère.
Alain Bertrand a largement marqué de son empreinte la ville de Mende. Ainsi est-il à l’origine de bien des réalisations locales : il s’est notamment beaucoup investi pour doter l’hôpital de Mende Lozère des équipements les plus modernes.
En 2011, Alain Bertrand fit son entrée au Sénat, devenant le premier sénateur de gauche du département de la Lozère depuis la Seconde Guerre mondiale. Réélu lors des élections sénatoriales de 2017, il se consacra alors prioritairement à son mandat sénatorial. Il avait en effet choisi de conserver son mandat de sénateur « pour défendre fidèlement les intérêts de toute la Lozère ».
Au Sénat, c’était un membre particulièrement actif de la commission des affaires économiques, dont il était vice-président depuis 2014, après avoir été vice-président de la commission des affaires européennes. Il intervenait très régulièrement, en commission comme en séance, dans les débats concernant notamment l’aménagement du territoire et l’agriculture.
Alain Bertrand s’était en particulier illustré par son combat pour cantonner la présence du loup dans les seuls territoires inhabitables, considérant que le retour de ce grand prédateur semait le trouble et l’insécurité des biens et des personnes dans les campagnes, attaché qu’il était aussi au pastoralisme et à l’élevage.
La proposition de loi qu’il déposa, tendant à créer des « zones d’exclusion totale » au sein desquelles la présence du loup serait déclarée indésirable, répondait à ce dessein. Ce texte fut adopté ici même en 2013, et certaines de ses dispositions furent prises en compte par le Gouvernement dans le cadre du plan Loup 2013-2017.
En 2014, Alain Bertrand fut chargé par le gouvernement d’alors d’une mission temporaire sur les territoires hyper-ruraux qui a donné lieu à un rapport remarqué, dans lequel notre ancien collègue mettait l’accent sur la situation « critique, voire au seuil de l’effondrement » de ces territoires…
Selon lui – je cite les conclusions de son rapport –, « il ne peut y avoir de sous-territoire, de même qu’il ne peut y avoir de sous-citoyen et de minorité sacrifiée et interdite d’avenir au profit… non pas tant du bien-être de la majorité, mais plutôt du seul respect d’une vision dominante, nourrie par les habitudes, les indicateurs et la mécanique des processus de décision.
« La solidarité républicaine et la cohésion nationale doivent donc l’emporter, en s’appuyant sur un État modernisé et “vertébré”. »
Aussi formulait-il des propositions originales en ce sens, comme la création d’un « guichet unique hyper-ruralité » pour favoriser les initiatives, un droit à pérennisation pour les expérimentations efficientes et une règle de « démétropolisation », c’est-à-dire une « troisième décentralisation intelligente […] depuis les métropoles, les grandes villes et les capitales régionales vers les territoires hyper-ruraux ». Cette idée est à méditer en ces temps de propositions du Sénat sur une nouvelle étape de la décentralisation… Nous avons d’ailleurs mené un débat sur ces questions la semaine dernière.
Ces propositions ont permis l’éveil d’une prise de conscience au sein de l’exécutif. Des progrès ont été réalisés. Il reste encore beaucoup à faire.
La voix d’Alain Bertrand nous manque. La leçon de ce jour est aussi de rester fidèle au message qu’il a su porter ici avec tant de passion.
Au-delà de sa carrière politique brillante, de sa grande maîtrise de ses dossiers, de sa connaissance profonde du terrain, Alain Bertrand laissera le souvenir d’un homme convivial et bon vivant, amateur de rugby et de football.
Il avait une prédilection particulière pour la pêche – je puis le comprendre… Il fut ainsi longtemps – je n’ai jamais accédé à cette dignité ! (Sourires.) – président de la Fédération de pêche de son département. Cette activité, comme la chasse, le plongeait dans la nature riche et diverse et dans la beauté des paysages de la Lozère, dont il était si familier.
Je tiens à rendre hommage à ses qualités humaines et à saluer son empathie, sa générosité, son attention aux autres. Oui, il aimait la Lozère, et il aimait encore plus ses habitants, dont il aura défendu inlassablement les intérêts. Au-delà, il s’était engagé sans compter pour que des réponses adaptées soient apportées aux difficultés spécifiques des habitants de ces territoires si chers à son cœur.
À ses anciens collègues des commissions des affaires économiques et des affaires européennes, à ses amis du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, j’exprime de nouveau notre sympathie.
À toute sa famille, à ses proches, à ses collègues qui lui ont succédé à Mende, à tous ceux à qui il était cher et qui ont partagé ses engagements, je souhaite redire, en ce moment de partage et de recueillement, la part que le Sénat continue de prendre à leur deuil.
« Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille… Le courage, c’est d’aller à l’idéal », écrivait Jean Jaurès, qu’il admirait tant. Alain Bertrand a profondément aimé la vie. Sans doute a-t-il affronté la mort d’un regard tranquille ; nous sommes certains qu’il est aujourd’hui allé à l’idéal que décrivait Jean Jaurès.
La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice de Lozère, chère Guylène Pantel, monsieur le maire de Mende, cher Laurent, madame la présidente du département, mesdames, messieurs les membres de la famille, vous l’avez rappelé, monsieur le président, nous étions présents, avec la présidente Primas, avec le président Requier et avec de très nombreux autres élus, le 6 mars dernier, pour rendre un dernier hommage à Alain Bertrand.
Nous étions entourés de sa famille, de nombreux Mendois et Mendoises et de nombreux Lozériens et Lozériennes – celles et ceux qu’Alain Bertrand appelait les « vraies gens » et qui le rapprochaient de cette vie qu’il aimait tant –, pour rendre hommage à un élu de la Nation, à un républicain atypique et attachant, à un homme, tout simplement.
Le Gouvernement s’associe à l’hommage que vous venez de lui rendre, monsieur le président, un hommage – cela n’étonnera personne – plein de sincérité, d’amitié et de vérité.
Alain Bertrand nous a quittés au moment où la France et le monde entraient de manière inédite en confinement. Je m’imagine parfois comment Alain Bertrand, cet homme de dialogue et d’ouverture, aurait pu traverser cette période de deux mois et demi, lui qui ne vivait jamais aussi bien que dehors, au bord des cours d’eau, dans la forêt ou dans la montagne… Je me plais à penser que le bon sens qui le caractérisait nous aurait montré la voie, sans perdre de vue l’essentiel. Et l’essentiel, pour ce genre d’homme, c’est de savoir d’où l’on vient, pour comprendre où l’on va.
Tarnais comme Jean Jaurès, que vous avez cité, monsieur le président, Alain Bertrand découvre la Lozère à l’occasion d’un séjour de pêche avec son frère. Il tombe immédiatement et irrémédiablement amoureux de ce territoire dans lequel il va désormais puiser sa force.
Peu le savent : en 1983, alors que l’ENA lui tend les bras après sa réussite au concours d’entrée, il n’écoute que son cœur et devient inspecteur des impôts à Marvejols. Pour lui, les choses sont claires : aucun poste de haut fonctionnaire ne saurait être une source de bonheur équivalente à une vie en Lozère. Il s’y établira et ne la quittera plus.
Alain Bertrand fait de ce département son terrain de jeu et son terrain d’engagement politique. Il aimait raconter que, à la sortie d’une réunion publique, à Mende, il s’était précipité dans une cabine téléphonique pour appeler son père et lui dire : « J’ai rencontré un véritable leader politique, un visionnaire érudit d’une intelligence rare. Il voit loin et juste, et il est Tarnais ». Cet homme, c’était Georges Frêche, avec lequel il siégera au conseil régional et dont il deviendra un ami et un fidèle, avec notre ancien et regretté collègue, Christian Bourquin.
Je ne reviendrai pas sur son parcours politique, long et difficile dans cette terre lozérienne – vous l’avez très bien fait, monsieur le président –, mais je retiendrai deux événements.
Tout d’abord, le courage et la ténacité dont il fit preuve pour devenir maire de Mende en 2008. Une élection difficile, une victoire historique, une confiance renouvelée par ses amis administrés et un acquis solide revendiqué par l’actuelle équipe municipale, qui poursuit son œuvre – je veux saluer Laurent Suau, son successeur à la mairie de Mende, réélu dès le premier tour.
Ensuite, bien évidemment, sa bataille homérique pour le siège de sénateur face à Jacques Blanc. Pensez donc : ces deux hommes du terroir lancés face à face. Une bataille frontale d’hommes rusés, d’hommes forts, d’hommes aux forts accents. Âmes sensibles s’abstenir ! (Sourires.)
Je me souviens – je ne suis pas le seul ! – du jour de son arrivée dans cette belle institution : poursuivi par des huissiers qui lui demandaient de ne pas allumer sa « roulée » dans la salle des Conférences, il leur répondit, tabac gris en main, qu’il représentait la Lozère, le plus grand et important département français. Le ton était donné dès le premier jour de son arrivée.
Je veux également saluer la mémoire d’un homme, son engagement social, socle de ses convictions politiques les plus fortes, et surtout son engagement en faveur de la ruralité, de l’hyper-ruralité, source inépuisable d’idées pour apporter un nouvel élan à nos campagnes.
Qui aurait imaginé que le terme « hyper-ruralité » allait être créé ici même, au Sénat ? Et qui aurait osé affirmer, au moment où l’on va beaucoup parler des métropoles, comme vous l’avez souligné, monsieur le président, que les questions fondamentales de l’unité républicaine et de la vie commune se posent aussi dans la ruralité et dans l’hyper-ruralité ? Il ne faut jamais oublier les habitants de toute la France, de tous les territoires, les grands comme les plus petits.
« À Mende, on n’a pas le Fouquet’s, mais on a Hyper U ! », disait-il (Sourires.) Les services publics sont importants dans nos territoires. Nous savons toutes et tous combien ce genre d’homme est précieux pour la République.
Derrière ses engagements politiques, parfois durs, toujours chronophages, il y avait l’homme. Il chérissait sa famille, sa fille Sylvie. Il aurait tant aimé connaître Pablo, son petit-fils, né à peine un mois avant sa mort. Je veux saluer sa sœur, son frère et sa famille, qui comptaient beaucoup pour lui.
Il était heureux, bon vivant, souriant et surprenant. Un homme simple, bon, généreux, partageant ce qu’il aimait avec ceux qu’il aimait. Sa passion pour la pêche, vous l’avez rappelé, monsieur le président, l’a amené à découvrir tous les cours d’eau. Armé de patience, de mouches fabriquées maison, bien évidemment, de sa canne et de ses clopes roulées, il traquait la truite partout dans les ruisseaux de la Lozère. À d’autres saisons, il chassait les bécasses et les grives, arpentant des hectares de forêt lozérienne avec son chien à la recherche de cèpes, de girolles et de morilles. Il revenait alors, comme il le disait, « aux sources de la vraie vie ».
Il n’y a aucune fatalité pour qui se bat pour une cause juste et noble.
Il était l’homme du terroir, l’homme d’une région qu’il aimait plus que tout, mais aussi l’homme des idées de gauche qu’il ne lâcha jamais. Il savait écouter, respecter, discuter et débattre avec tous, sans distinction, parce qu’il aimait les gens, tout simplement. Alain Bertrand savait que, sans amour des gens, sans humilité et sans empathie, autrement dit sans humanité, il n’y a pas de vie politique digne.
Au nom du Gouvernement, je voudrais adresser toute ma sympathie à vous-même, monsieur le président, ainsi qu’à toutes les sénatrices et à tous les sénateurs, aux commissions dont il a fait partie, ainsi qu’au groupe du RDSE, dont je salue le président, qu’il aimait tant pour la liberté de parole et la liberté de vote qui lui étaient autorisées.
Je veux de nouveau adresser à Mmes et MM. les membres de sa famille, à vous, Sylvie, à son gendre, à ses petits-enfants, à sa sœur, à son frère et à leurs conjoints, au maire de Mende et aux élus, mes plus sincères condoléances. La République perd un homme, un grand élu que nous regretterons longtemps.
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite maintenant à partager un moment de recueillement à la mémoire d’Alain Bertrand. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, observent une minute de silence.)
Conformément à notre tradition, en signe d’hommage à Alain Bertrand, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants ; nous les reprendrons à quinze heures dix.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies
Adoption d’une proposition de résolution dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, présentée par le président du Sénat (proposition de résolution n° 512, texte de la commission n° 547, rapports nos 524 et 546).
proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion
Article unique
En application de l’article 51-2 de la Constitution et de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est créé une commission d’enquête, composée de 36 membres, pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
La commission des lois a déclaré cette proposition de résolution conforme aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Le Sénat a fixé les explications de vote à deux minutes trente par groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative du Sénat et de son président de créer, au sein de la Haute Assemblée, une commission d’enquête sur les politiques publiques menées durant la pandémie de covid-19 pour en tirer toutes les conclusions pour l’avenir de notre pays.
Une telle commission d’enquête est indispensable pour comprendre les défaillances de notre système de santé, en particulier celles des missions des agences régionales de santé, mais aussi du pilotage national et de la gestion des stocks de médicaments et fournitures médicales.
Notre objectif doit être non pas de recopier le travail de nos collègues députés, mais d’y apporter un éclairage complémentaire sous le prisme de nos élus locaux qui ont été en première ligne durant la pandémie.
Nous espérons que cette commission sénatoriale permettra de mettre en lumière un certain nombre de fragilités de notre système de santé dont l’origine remonte aux gouvernements précédents et actuel.
La pandémie a apporté un terrible démenti aux politiques publiques qui ont œuvré avec obstination à l’affaiblissement de notre système de santé et des infrastructures publiques de soin. Elle a mis à mal notre souveraineté sanitaire, comme le révèlent de manière dramatique les difficultés de notre industrie pharmaceutique à éviter les ruptures de stock de médicaments. Par conséquent, elle a permis de démontrer l’erreur de ceux qui ont pensé profitable de soumettre à la logique du marché la production française et européenne de matériel médical.
Enfin, j’espère que la commission d’enquête soulignera l’importance de couvrir les dépenses de santé au niveau des besoins réels des hôpitaux. Sur ce point, la proposition de résolution ouvre la perspective d’une réorganisation d’ensemble de notre système de santé.
Je le rappelle, 5 milliards d’euros ont été supprimés du budget de la santé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, dont 1 milliard au détriment de l’hôpital public. En vingt ans, 100 000 lits ont disparu, dont 17 500 au cours des six dernières années.
Notre objectif n’est pas de faire le bilan politique de l’action gouvernementale. Les élections sont et seront seules juges de l’action menée par l’exécutif : les résultats des municipales de dimanche semblent nous donner un aperçu de ce jugement.
Sans esprit partisan, cette commission d’enquête permettra de faire la lumière sur les dysfonctionnements et leur origine, d’identifier les responsabilités et de mieux appréhender les moyens efficaces de lutte contre la pandémie qui nous frappe. Celle-ci risque en effet de perdurer et de se reproduire, comme nous l’assurent malheureusement nombre de spécialistes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, à mon tour, je veux vous remercier de l’initiative que vous avez prise en votre nom, mais aussi au nom de l’ensemble des présidents de groupe.
Les commissions d’enquête – je parle sous le contrôle de M. le président de la commission des lois – sont aussi anciennes que le régime parlementaire. C’est un droit constitutionnel qui nous est donné et dont nous devons nous saisir pour exercer notre mission de contrôle.
Cet après-midi, plutôt que de m’emparer de ce droit, je veux évoquer notre devoir, miroir de ce droit. Selon moi, la création de cette commission d’enquête est un devoir pour nous, d’abord vis-à-vis des Français : il y a eu plus de 30 000 décès et nos concitoyens ont le droit de savoir. Pour ce qui concerne la mortalité par tranche de 100 000 habitants, notre pays, par rapport aux autres pays occidentaux et peut-être aux autres pays du monde, est en tête.
C’est aussi un devoir démocratique. Je m’exprime aujourd’hui 48 heures après le scrutin de dimanche : la très faible participation a révélé l’importance de la crise démocratique. Au cœur de celle-ci se trouve la question de la terrible impuissance publique de l’État, qui est étouffé par la bureaucratie.
La bureaucratie fait primer l’accessoire, c’est-à-dire la procédure, sur l’essentiel, l’intérêt général, l’objectif à atteindre. Souvenez-vous, le Président de la République, le 13 avril dernier, a lui-même reconnu qu’il y avait eu des lourdeurs, des lenteurs et des failles.
La démocratie est également une question de légitimité. Le Président de la République et l’exécutif ont leur légitimité, tout comme le Parlement. En démocratie, nous sommes confrontés à des blocs de légitimités, en vertu de la séparation des pouvoirs. Et le Sénat, notamment sous votre présidence, monsieur le président, assume son rôle dans cette séparation des pouvoirs, pour notre démocratie.
J’ai entendu l’exécutif affirmer qu’il y aurait une contre-commission d’enquête. Comment, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, l’exécutif pourrait-il s’autocontrôler ? Cela ne correspond pas à notre définition de la démocratie. C’est la raison pour laquelle, monsieur le président, je tiens de nouveau, au nom de mon groupe, à vous remercier de l’initiative que vous avez prise et que nous serons unanimes à voter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, sans surprise, nous voterons votre proposition de résolution.
Le 16 février dernier, Olivier Véran est nommé ministre des solidarités et de la santé en pleine crise de la covid-19. Il succède à Agnès Buzyn, exfiltrée pour cause d’élections municipales, dont elle dira plus tard qu’il ne fallait pas les tenir. Nous connaissons désormais les résultats de ces élections…
Le 27 février, une première réunion se tient à Matignon autour du Premier ministre avec les chefs de parti et les chefs de groupe. Je la résumerai par cette phrase – permettez-moi l’expression : cela sera dur, mais tout est sous contrôle !
Le 16 mars, le Président de la République tient un discours de guerre, où il est question d’ennemi, d’armées, de champ de bataille, de morts au combat, de première ligne. La grandiloquence de ce langage guerrier est inadaptée. Certes, nous avons dû affronter une très grave crise sanitaire ; certes, la covid-19 a tué, tue et tuera des centaines de milliers de personnes dans le monde. Mais ce virus, mes chers collègues, n’a pas ni conscience, ni projet d’envahissement, ni histoire, ni, du moins je l’espère, avenir. Ses seuls alliés potentiels sont les hommes et les femmes qui le diffusent auprès de la population.
Monsieur le président, nous avons été frappés par une crise d’une violence inouïe. Celle-ci n’est pas encore derrière nous. Il faut donc comprendre, comme le disait Bruno Retailleau, ce que nous venons de traverser.
Dans son adresse aux Français du 13 avril dernier, le Président de la République a eu un moment de sincérité, pour ne pas dire de lucidité, en parlant de « failles » et d’« insuffisances » dans la gestion de la crise. Je n’aimerais pas être ministre dans de telles circonstances ! Le rôle du Sénat est de déceler ces failles et ces insuffisances pour les combler, les réparer et, surtout, les prévenir.
Nous nous félicitons que la Haute Assemblée ait pris cette décision extrêmement utile, d’une manière beaucoup plus fluide qu’à l’Assemblée nationale. Encore une fois, comme dans d’autres épisodes politiques récents, nous allons tenir notre rang. Nous estimons que la mission de contrôle du Parlement est essentielle pour notre démocratie.
Certes, une deuxième vague réduirait à néant les efforts fournis jusqu’à présent et viendrait heurter de plein fouet un système de santé déjà très affaibli par la première vague. À cet égard, je vous invite à écouter ce que nous disent les soignants qui sont dans la rue, à Paris, aujourd’hui.
Le groupe socialiste prendra toute sa part dans le travail collectif qui sera le nôtre durant ces prochains mois et comptera pour demain : audit de l’État, préparation de la France à la gestion de la crise sanitaire et esquisse des perspectives pour la suite, soit autant d’étapes nécessaires, car nos concitoyens ont le droit et même le devoir de savoir. Cet esprit animera notre présence au sein de la commission d’enquête. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons s’inscrit dans le cadre de l’exercice par le Sénat de ses missions de contrôle de l’action du Gouvernement prévues par la Constitution.
Il ne s’agit ni d’un exercice de style qui mimerait la commission d’enquête ouverte à l’Assemblée nationale ni d’un procès politique à l’encontre de notre gouvernement.
L’esprit à la fois critique et constructif de cette commission d’enquête nous permettra d’établir, du moins je l’espère, un bilan de l’action publique de ces derniers mois, qui n’ont ressemblé à aucun autre.
Nous accorderons une attention toute particulière à la cohérence et à la clarté de la communication de crise, à la gestion des fausses informations dans un contexte de grandes incertitudes et à l’analyse de l’éthique des décisions. Seront mises au clair les raisons du manque de masques, les décisions relatives aux durées de confinement et à ses modalités, ainsi que les conséquences de l’épidémie sur la continuité des soins.
En tant que membre du groupe Les Indépendants, à l’origine de la mission d’information sur les pénuries de médicaments et de vaccins, j’accorderai une attention particulière au problème de la dépendance de la France à l’égard de la Chine en matière de produits de santé prioritaires, dans le prolongement du rapport de Jean-Pierre Decool, qui avait prédit ce danger dès le mois d’octobre 2018.
Cette commission sera avant tout un exercice pragmatique, qui servira à alimenter l’action future en matière de santé publique. En accordant une large part au débat contradictoire, elle complétera et approfondira utilement l’exercice réalisé par l’Assemblée nationale.
La France a trop longtemps négligé sa politique de prévention. Cet exercice de rigueur et d’humilité permettra à notre société d’avancer dans le bon sens. Vous l’avez compris, mes chers collègues, nous voterons donc, avec détermination, la proposition de résolution de M. le président Gérard Larcher. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)