Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir le quatrième texte traitant d’un régime dont l’objet est de répondre à la crise sanitaire à laquelle nous sommes confrontés depuis le mois de mars.
Ce quatrième rendez-vous était une nécessité, dès lors que le régime transitoire institué par la loi du 9 juillet 2020 arrive à échéance le 30 octobre. Comme l’ont souligné le conseil scientifique et le Conseil d’État lui-même, le retour au droit commun n’est en effet pas de nature à endiguer la reprise, malheureusement bien réelle, de l’épidémie.
Cet état de fait sanitaire, qui sollicite notre pleine vigilance – je ne vous apprends rien ! –, s’illustre par les 74 départements en situation de vulnérabilité élevée, les 1 500 personnes atteintes par le covid-19 aujourd’hui prises en charge par les services de réanimation, ou encore l’occupation à hauteur de 40 % des lits de réanimation par des patients en Île-de-France, un taux en progression. Cela devrait d’ailleurs nous alerter sur l’effet d’éviction au détriment de personnes requérant des soins lourds qu’il n’est pas possible de différer de nouveau.
Les travaux de contrôle de notre Haute Assemblée ont bien montré la dimension profondément éthique de l’urgence sanitaire. Une fois que l’état de la situation est décrit et que ce constat, par nature partagé, est exprimé, j’ai conscience en tant que législateur de n’avoir pas tout dit. Le constat ne saurait en lui-même permettre de préjuger avec une évidence certaine du choix du régime juridique adéquat. Là est bien le sujet qui a animé les navettes et les débats successifs dans cet hémicycle.
Je salue, à ce titre, la position sur le présent texte de notre rapporteur, qui, suivi par la majorité de la commission des lois, n’a pas remis en cause le principe d’une prorogation du régime transitoire, instituée par la loi du 9 juillet dernier, et qui n’en a pas non plus modifié les contours. Ces derniers avaient d’ailleurs été consolidés par le Sénat lui-même, je veux le rappeler, lors de l’examen en première lecture de la loi du 9 juillet 2020.
Les prérogatives conférées au Premier ministre et aux préfets par ce régime ont accompagné une reprise de l’activité et permis une adaptation territoriale de la gestion des résurgences de l’épidémie, et ce par une agilité indispensable, comme peuvent en témoigner les modifications successives de l’annexe du décret du 10 juillet 2020 listant les zones de circulation active du virus.
L’assise du régime a, en outre, été confortée par la décision de conformité du Conseil constitutionnel, qui a bien précisé que, au terme de nos travaux parlementaires, la faculté d’interdire la circulation des personnes ne pouvait conduire à une interdiction de sortie du domicile.
Notre rapporteur s’est également accordé sur les dispositions introduites à l’Assemblée nationale, tout à fait bienvenues, permettant d’adapter le fonctionnement des organes délibérants des collectivités territoriales à la situation sanitaire.
La commission a enfin utilement confirmé le principe d’une prorogation des systèmes d’information mis en œuvre pour lutter contre l’épidémie de covid-19 et, par là même, de la conservation des données pseudonymisées aux seules fins de suivi épidémiologique et de recherche sur le virus. Ces systèmes apparaissent en effet indispensables à la mise en œuvre du triptyque stratégique « tester, tracer, isoler ».
Sur ce point, je salue le travail du rapporteur, qui a apporté des garanties juridiques supplémentaires, en tirant notamment les conséquences d’une censure et d’une réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, que le Gouvernement propose de préciser.
Finalement, et notre groupe avait déjà pu le dire pour défendre le régime transitoire sous le précédent projet de loi, ce régime pourrait être comparé à la figure mythologique de Janus, non pour le caractère double de son visage qui traduirait ici un faux-semblant ou un état d’urgence déguisé, comme certains persistent à le penser sur ces travées, mais bien au contraire et parce que cette figure incarne la transition entre deux temps, parce qu’elle est orientée vers l’avenir tout en ne se détournant pas du passé, une approche que nous force à adopter la crise sanitaire.
Ce soir, c’est précisément sur cette question de temporalité, mes chers collègues, que les positions divergent. La commission a en effet ramené au 31 janvier 2021 l’échéance de la prorogation du régime transitoire et des autres dispositions précitées, que le Gouvernement avait fixée au 1er avril 2021 dans le texte initial.
Cette seconde échéance, qui diffère de deux mois de la date de la commission, nous paraît plus opportune et raisonnable en ce qu’elle correspond à l’échéance de l’applicabilité du régime de l’état d’urgence sanitaire, qu’un projet de loi justement présenté en janvier 2021 viendra réviser.
Cet alignement n’est pas une position doctrinale. Comme le souligne l’avis du Conseil d’État lui-même, il s’agit de laisser à la disposition du Gouvernement jusqu’au 21 avril une gamme d’outils de réaction à l’évolution de l’épidémie, et de lui permettre d’apprécier, à la lumière d’une analyse globale, le régime juridique qui pourrait utilement s’appliquer aux situations de crise sanitaire pour mieux fonder son projet de loi. Dans cette même logique, il semble cohérent de réserver la révision nécessaire de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique à cette réforme plus globale.
En conclusion, mes chers collègues, je dirai que des débats importants vont se poursuivre ce soir dans l’hémicycle. Je pense à la durée de prorogation, mais aussi aux mesures visant les adaptations utiles en matière de droit électoral. Je pense enfin aux mesures visant à protéger, s’agissant des loyers, les entreprises faisant l’objet de restrictions dans leur activité professionnelle, ou encore aux mesures visant à adapter les règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants de personnes morales, telles que les fédérations sportives.
Vous l’aurez compris, le groupe RDPI réserve sa position finale à l’issue que connaîtront ces différents points.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui car la situation de notre pays va nous contraindre, une nouvelle fois, à prolonger un état de fait, ce que je regrette profondément.
À la veille de l’allocution du Président de la République, nous pouvons craindre que de nouvelles annonces ne viennent renforcer un état d’urgence qui ne dit pas son nom. La situation que nous connaissons depuis mars est sans commune mesure et nous marquera tous durablement. J’ai, à ce titre, une pensée sincère pour tous nos concitoyens qui sont les premières victimes des mesures, pourtant nécessaires, que nous prenons.
Nombreux sont les Français qui ont souffert et qui souffrent encore, soit du covid-19, soit des mesures de restriction de libertés auxquelles la situation sanitaire nous oblige à consentir. Depuis le mois de mars, ces mesures ont un impact sur tous les secteurs économiques de notre pays, qu’il s’agisse de l’artisanat, du commerce, du tourisme, de l’aéronautique, et de bien d’autres secteurs.
La vie sociale avec nos proches, les pratiques sportives et culturelles, les sorties au théâtre, au concert, au spectacle, les sorties entre amis, les repas au restaurant sont aussi lourdement impactés. Les visites à nos parents âgés qui sont dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ainsi que les fêtes familiales, deviennent impossibles pour raisons sanitaires, ce qui contribue progressivement à un éloignement brutal et subi de ceux qu’on aime.
J’aimerais saluer le courage et la ténacité d’une majorité silencieuse de Français qui respectent les gestes barrières et les règles d’éloignement, bien que ceux-ci suscitent de la frustration et de l’incompréhension.
Cette incompréhension et la perte de confiance qui en découle naissent de trop nombreuses volte-face, de retours en arrière, de mesures incompréhensibles de la part du Gouvernement, et de règles parfois difficilement applicables sur le terrain, tout cela à grand renfort de spots télévisuels anxiogènes et d’une communication frénétique.
L’augmentation à la fin de l’été de la propagation du virus, du nombre de cas confirmés et d’hospitalisations appelle toutefois notre vigilance. Ces indicateurs épidémiologiques ne sont bien entendu pas les mêmes partout. Car, vous le savez, le virus ne circule pas de manière uniforme sur le territoire. Nous ne sommes certes pas dans la même situation qu’en mars, mais la prudence s’impose si l’on souhaite lutter efficacement contre ce qui s’apparente de plus en plus à une deuxième vague.
Pour en revenir au texte, je salue le travail effectué par la commission des lois tout juste renouvelée et par son rapporteur, Philippe Bas. Le raccourcissement à trois mois, au lieu de cinq, de la durée de prorogation du régime de sortie d’état d’urgence sanitaire est une bonne chose, même si lors de nos précédents débats, le groupe RDSE avait regretté que l’on fasse du droit d’exception le droit commun.
Force est de constater que nous ne sommes plus réellement en état d’urgence, du fait de la sortie du confinement généralisé, mais que nous sortons du champ du droit commun au vu des dispositions que nous prorogeons aujourd’hui et qui deviennent de facto de moins en moins exceptionnelles.
Pour ce qui concerne les dispositions prévues aux articles 2 et suivants, les membres de mon groupe et moi-même nous retrouvons dans les mesures ajoutées par la commission, qui apportent certaines garanties en matière d’encadrement de la mise en œuvre des systèmes d’information.
Nous demandions depuis le départ la pseudonymisation de certaines données traitées. Je me félicite de ce qu’elle ait été ajoutée et que la commission se soit rangée à la décision rendue par le Conseil constitutionnel en mai dernier.
Autre apport que je tiens à souligner : la volonté de mettre fin aux retards systématiques du Gouvernement concernant la publication des avis du comité scientifique.
Nous sommes ici, je crois, tous d’accord pour dire que la forme de rétention d’informations à laquelle nous faisons face est une anomalie. D’autant que ces avis sont des outils majeurs pour nous permettre d’exercer notre contrôle parlementaire et de légiférer convenablement.
Sur l’article 2 encore, je dirai un mot de l’application StopCovid, dont l’utilisation est, hélas, plus que limitée. Si près de 2,5 millions de Français seulement l’ont téléchargée, plus de la moitié d’entre eux l’ont d’ores et déjà désinstallée. La faute en revient au manque d’informations, mais surtout à une protection des données jugée trop faible. En effet, les craintes soulevées par de nombreuses associations et parlementaires se sont avérées fondées : la première version de l’application ne respectait manifestement pas les normes du règlement général sur la protection des données (RGPD) jusqu’au 3 septembre dernier.
Enfin, nous validons pleinement les mesures permettant la réunion des organes délibérants des exécutifs locaux. Si la période est difficile, la vie démocratique est un impératif qui doit aussi suivre son cours. Il est logique de conserver l’idée selon laquelle un simple avis du préfet est nécessaire pour modifier le lieu de la réunion de l’organe délibérant.
Que ce soit dans nos agglomérations, nos territoires ruraux ou encore nos collectivités d’outre-mer, les restrictions sont de plus en plus pénibles pour la population. À nous de continuer le travail de pédagogie auprès de nos concitoyens.
En conclusion, je dirai que, vous vous en doutez, mes chers collègues, nous ne votons pas ces mesures de gaieté de cœur, mais l’accélération rapide de la circulation du virus ne nous laisse pas d’autre choix.
Vous l’aurez compris, le groupe RDSE votera cette prorogation de la sortie de l’état d’urgence sanitaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour faire face à l’épidémie de covid-19, le Gouvernement nous demandait initialement de proroger le régime transitoire organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, mis en place par la loi du 9 juillet 2020, jusqu’au 1er avril 2021. Ce délai a été ramené au 31 janvier par notre commission des lois, afin de permettre une intervention plus régulière du Parlement, ce qui à nos yeux est plutôt salutaire, ne serait-ce que d’un point de vue démocratique. Nous convenons toutefois que le virus circule encore et qu’il circule vite, trop vite.
D’autres amendements du rapporteur, Philippe Bas, ont également permis d’améliorer ce texte dans le souci du bon fonctionnement de notre démocratie et de ses instances délibérantes, notamment au niveau local. Cependant, aucune amélioration n’est selon nous suffisante, comparée au nouveau blanc-seing qui nous est demandé pour attribuer de larges pouvoirs au Gouvernement et aux préfets, pendant plusieurs mois.
Comme vous toutes et tous, les membres du groupe CRCE sont plus que préoccupés par cette crise sanitaire, et nous appelons au respect des gestes barrières.
Nous ne doutons en rien du constat dressé et de la nécessité des réponses à apporter. Mais une question se pose : ces dites mesures sanitaires adaptées ne sont-elles pas d’ores et déjà à la portée du Gouvernement dans le cadre de notre droit commun ? La réponse est pour nous claire : elles le sont.
En cas de recrudescence de l’épidémie, plusieurs dispositifs juridiques pourraient être utilisés. Aussi ce texte est-il, selon nous, aussi dangereux qu’inutile.
D’abord, la législation prévoit des dispositions permettant au ministre de la santé de prendre des mesures préventives en cas de danger sanitaire, et la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a spécifiquement prévu le cas de la sortie de l’état d’urgence sanitaire, à l’article L. 3131-1 du code de la santé publique.
Ensuite, en cas de nouveau pic de contamination, rien n’empêcherait le Gouvernement de recourir une nouvelle fois à l’état d’urgence sanitaire, par décret en conseil des ministres sur le rapport du ministre chargé de la santé, comme cela est prévu à l’article L. 3131-13 du code de la santé publique.
J’entends les arguments, notamment de M. le rapporteur, relatifs à ces articles du code de la santé publique. Peut-être faut-il revisiter ces mesures. Mais une chose est avérée aujourd’hui : elles sont inscrites dans le code de la santé publique et le Gouvernement aurait pu les dégainer.
Enfin, les autorités locales de police administrative – maires et préfets – sont habilitées à adopter toutes les dispositions préventives nécessitées par les circonstances sanitaires locales particulières.
En séance, lors de l’examen du projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, en juin dernier, nous alertions déjà sur le risque que certaines mesures dérogatoires soient finalement intégrées au droit commun, comme cela s’est produit avec la banalisation des mesures de l’état d’urgence sanitaire pérennisées par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, dont nous reparlerons demain.
Or, précisément, le Gouvernement nous annonce un projet de loi à venir d’ici à janvier 2021, visant à instituer un dispositif pérenne de gestion de l’urgence sanitaire, afin d’éviter « les rendez-vous intermédiaires de prorogation des mesures transitoires ». Le risque est donc bien avéré.
Cette loi a créé un nouveau régime juridique, un régime de sortie dans lequel le Premier ministre conserve des pouvoirs exorbitants, notamment celui de réglementer la circulation des personnes, les conditions d’ouverture des établissements recevant du public, ou encore les manifestations et rassemblements sur la voie publique, et celui d’exiger des personnes circulant par voie aérienne sur le territoire national qu’elles présentent un certificat de biologie médicale.
Aussi, comme le relève à raison la professeure de droit, Stéphanie Hennette-Vauchez : « [La loi] réduit la voilure de l’état d’urgence sanitaire tel que défini par la loi du 23 mars 2020, mais ce sont bien des pouvoirs exceptionnels de restriction des libertés fondamentales qui demeurent à la main du Gouvernement. »
De même, un groupe d’associations, de syndicats, d’universitaires et d’avocats, membre du Réseau de veille sur l’état d’urgence sanitaire, souligne très justement : « Une sortie d’état d’urgence ne s’organise pas, ne s’aménage pas, ne se décline pas : il se lève dans sa totalité pour mettre fin à l’exception. Ce brouillage inédit des frontières est inacceptable. L’exception doit demeurer l’exception et le droit commun la règle. »
Alors que le Gouvernement reconnaît que les conditions d’un état d’urgence sanitaire ne sont plus réunies, il estime en même temps nécessaire de maintenir des pouvoirs exorbitants aux autorités administratives. Cette contradiction ne résiste à aucune logique. Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, indique ainsi : « L’état d’urgence ne trouve de justification que dans la faculté pour le Gouvernement de réprimer les manifestations, de limiter les libertés de réunion et les libertés de manifestation. »
En effet, à l’heure où les plans sociaux se multiplient, la possibilité accordée au Premier ministre d’interdire les manifestations ne peut que susciter une inquiétude sérieuse. Des pseudo-motifs de santé publique aux véritables raisons politiques, toute la nuance semble se trouver dans ce énième texte d’exception, auquel nous nous opposons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation sanitaire dans notre pays est grave et s’aggrave. Nous sommes réunis pour la quatrième fois en huit mois afin d’étudier un texte d’exception ayant pour but d’adapter le droit existant à la crise sanitaire à laquelle nous devons faire face.
La situation est grave pour notre santé, mais ce type de projet de loi pourrait être également très grave pour nos libertés si nous n’y mettons pas les garde-fous nécessaires… Cela a été dit, le droit d’exception ne doit pas devenir le droit commun.
Peut-être devons-nous voter ce texte pour des raisons sanitaires, mais pas sans débat. Il y a toujours un risque à vivre libre. C’est à la représentation nationale d’en mesurer le prix et de définir l’éventuel périmètre de restriction que nous serions durablement prêts à consentir. Cela ne peut se faire par voie d’ordonnance ou de décret.
Or ce projet de loi permet au Gouvernement, jusqu’au 1er avril 2021, de poursuivre la prise de décret dans de nombreux domaines. Il prolonge également le régime du système d’information de cas contacts covid jusqu’au 1er avril 2021, soit cinq mois, alors que le premier texte, celui de juillet dernier, prévoyait une période transitoire de trois mois et demi. Du fait de sa longueur, cette durée est inappropriée.
Inappropriée en raison de la nature des mesures dérogatoires qui peuvent être prises. Inappropriée parce qu’elle exclut durablement le Parlement d’un débat nécessaire au sein d’une démocratie. C’est pourquoi nous sommes favorables à la proposition de notre rapporteur, votée par la commission, de raccourcir cette durée à trois mois. Ainsi, ce régime d’exception prendra fin en janvier ou, à tout le moins, ne pourra être prolongé sans débat.
De plus, vous nous avez annoncé, monsieur le ministre, votre souhait de proposer un texte permettant de sortir du droit d’exception. Le plus vite sera le mieux. Une échéance à la fin janvier paraît tout à fait atteignable, voire souhaitable. Dans le pire des cas, nous prorogerons le délai en connaissance de cause et en fonction de l’inscription de ce projet de loi.
À propos de droit commun, je salue l’initiative de notre rapporteur visant à réécrire l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, ce qui permet de préciser le champ d’intervention du ministre de la santé en cas d’état d’urgence sanitaire.
Cette proposition vient consolider juridiquement ce régime de droit commun, qui était à la limite de la constitutionnalité et dont la situation sanitaire actuelle nous a montré l’utilité.
Ce texte comprend néanmoins des points positifs ! Je voudrais particulièrement souligner les apports de nos collègues de l’Assemblée nationale concernant les collectivités locales : la possibilité de réunir le conseil en dehors du lieu habituel, la limitation de l’accès au public, ainsi que les visioconférences, sont autant d’outils utiles pour garantir, à la fois, le respect des gestes barrières et la continuité de la démocratie locale.
En effet, il est préférable pour une collectivité de choisir le meilleur lieu afin de maintenir la tenue de son assemblée, gage de bon fonctionnement démocratique, tout en préservant la santé de ses conseillers.
Des conseils municipaux n’ont pu se tenir dans de bonnes conditions en septembre dernier, en raison du refus des préfectures d’autoriser le déplacement du lieu de réunion de l’organe délibérant. Des décrets permettaient de déroger à tout, mais pas à cela, ce qui semblait pourtant être une mesure de bon sens…
Si l’Assemblée nationale a apporté une touche positive à ce texte, la commission des lois a également permis de clarifier certains points. Par exemple, sur les fichiers de cas contacts de malades de la covid anonymisés, qui sont utiles pour les scientifiques dans la lutte contre l’épidémie, elle a prévu plusieurs garde-fous. Ceux-ci permettent de concilier l’intérêt médical de cet outil et le respect de la vie privée, qui ne doit pas être oublié, même en temps de crise.
Nous avons ainsi voté la « pseudonymisation » des coordonnées électroniques et téléphoniques, comme l’avait préconisé le Conseil constitutionnel le 11 mai dernier, ainsi que l’obligation de préciser, dans les décrets qui tendent à créer ces fichiers, une liste limitative de données pouvant être collectées, comme le recommande la CNIL.
Je voudrais enfin aborder un point qui n’a malheureusement pas pu être traité dans ce texte par voie d’amendement, et qui semble éloigné de notre sujet alors qu’il y est pourtant intimement lié : les plans d’occupation des sols, les POS, et plus largement la question des délais.
Lors de la loi Engagement et proximité, les POS en cours de transformation en plans locaux d’urbanisme intercommunal, ou PLUI, ont été prorogés jusqu’au 31 décembre 2020. Malheureusement, les études en cours ont été interrompues par le confinement, et 520 POS n’auront pas « fait la bascule » dans les temps.
Ce sujet – je viens de le dire – ne pouvant être traité ici et maintenant, je remercie Françoise Gatel de la proposition de loi qu’elle a déposée à ce sujet. J’espère que celle-ci pourra être rapidement adoptée.
Les POS sont une première urgence, mais il est évident que les délais prévus dans diverses dispositions, comme dans la loi Mobilités, doivent être repensés. Je pense aussi aux modalités de vote : comment imaginer ne plus voter parce que la covid a encore cours ? Combien de temps nous priverions-nous de vote ?
En conclusion, le groupe Union Centriste souhaite revenir rapidement à un État de droit sans exception et, dans sa majorité, il valide cet effort de trois mois encore. Nous voterons donc le texte issu de la commission des lois du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, que faisons-nous ici, ce soir ? Nous sommes réunis pour la quatrième fois et l’on nous demande de débattre et de délibérer sur la prorogation de l’organisation de la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Pour autant, nous ne savons plus très bien de quoi il s’agit.
Nous découvrons à l’instant que le Gouvernement a déposé il y a quelques minutes un amendement supplémentaire visant à prolonger des ordonnances prises antérieurement. Le ministre n’a pas fait état de cet amendement dans son intervention liminaire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous continuons donc de subir une forme d’improvisation.
Nous avons pourtant été depuis le début – vous le savez, monsieur le ministre – au rendez-vous de la responsabilité. Nous avons travaillé dans des conditions souvent difficiles. Malgré cela, nous ne savons pas très bien quel rôle vous voulez nous faire jouer.
Demain – le président de mon groupe l’a rappelé –, le Président de la République s’exprimera ; demain, les grandes chaînes de télévision seront mobilisées. Personne ne sait ce qu’il va annoncer.
M. Jérôme Bascher. Lui non plus ! (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Les rumeurs les plus rudes circulent : on parle de couvre-feu, sans savoir d’ailleurs très exactement ce que recouvre réellement ce terme, d’interdiction de circuler, alors qu’un ministre nous dit qu’il faut penser à réserver pour les vacances de la Toussaint et de Noël…
M. Alain Houpert. C’est « bison futé » ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le Parlement est très attaché aux libertés publiques et au débat parlementaire. Mais nous débattons d’autre chose que de ce qui aurait dû nous occuper, du sujet dont nous devrions être saisis : les mesures privatives de liberté que le Président de la République entend annoncer et imposer au pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Pourtant, monsieur le ministre – cela vous a été rappelé tant par le rapporteur que par Mme Assassi à l’instant et par d’autres collègues –, ces mesures sont déjà à votre disposition. En effet, le code de la santé publique est extrêmement bien fait : ses articles L. 3131-1 et L. 3131-13 vous donnent déjà toutes les possibilités pour agir.
D’ailleurs – rappelez-vous ! –, quand le confinement était déclaré le 17 mars dernier, la loi du 23 mars n’existait pas, et pour cause ! Le Gouvernement avait déjà en main les moyens d’instaurer un régime très rude.
En réalité, le régime qui nous est présenté aujourd’hui comme une sortie de l’état d’urgence sanitaire maintient toutes les règles permises par cet état d’urgence, à l’exception du confinement général, qui était déjà rendu possible par le code de la santé publique.
Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, notre désarroi. Ce soir, nous ne parlons ni de couvre-feu ni de StopCovid.
Pourtant, le Sénat a tout de même été le théâtre d’une scène très étrange : lors de son audition par la commission d’enquête, il y a quelques jours, le secrétaire d’État chargé de la transition numérique nous a montré tous les avantages de l’application StopCovid – des avantages qu’un grand nombre de Français ont d’ailleurs mesurés à leur juste valeur.
M. Max Brisson. Pas le Premier ministre…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Or nous apprenons par le Premier ministre trois jours plus tard que cette application allait être modifiée. Il n’est d’ailleurs plus question de l’appel d’offres évoqué par le passé. Une nouvelle version de StopCovid sortira le 22 octobre prochain. En avons-nous débattu ici ? Le secrétaire d’État l’a-t-il évoquée devant la commission d’enquête ? Jamais ! Le Parlement est donc « invisibilisé » par le Gouvernement.
Le débat porte aussi sur la durée de la prolongation que vous demandez, monsieur le ministre. Je vous ai écouté avec attention, mais je ne suis pas sûre d’avoir très bien compris la raison pour laquelle cette prolongation courrait jusqu’au mois d’avril prochain. Je n’imagine pas que cette durée serve, par malice, à « enjamber » les élections à venir…
Une chose est certaine : nous sommes à la fois très attentifs aux libertés publiques et très soucieux du rôle du Parlement, et nous ne voulons pas d’une prolongation aussi longue. C’est la raison pour laquelle les représentants de mon groupe qui sont membres de la commission des lois ont voté la proposition du rapporteur de limiter la prolongation à la fin du mois de janvier prochain.
Deux autres points ont attiré notre attention.
Il s’agit, premièrement, de la fourniture de matériels de protection pour les personnes en situation de détention. Nous le savons – nous sommes tous ici masqués –, le port du masque est obligatoire dans la rue, dans les endroits publics clos, sur les lieux de travail, mais pas en prison.
Un tribunal administratif a relevé que cette situation était étrange et que le centre pénitentiaire devait fournir des masques aux prisonniers. Le Conseil d’État a cependant annulé ce jugement. À l’heure actuelle, le masque n’est donc pas obligatoire en prison. Ironie cruelle, la prison concernée est depuis hier considérée par l’ARS comme un probable cluster, puisque plusieurs détenus et gardiens sont malades. J’interroge donc le représentant du Gouvernement : entend-il mettre un terme à cette situation qui n’a aucun sens ?
Il s’agit, deuxièmement, de la question du vote par correspondance. Le rapporteur, le président Bas, a sans doute voulu préserver la modestie bien connue des membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (Sourires.), en omettant de rappeler que c’est sur l’initiative de notre groupe que ces dispositions ont été proposées par amendement pour le texte dont nous discutons ce soir.
Ce fut un grand bonheur, car le fait est rare, que la commission des lois et son rapporteur soient convaincus de l’intérêt de ces dispositions, qui nous permettront, lors des prochaines élections, de ne pas nous retrouver dans les difficultés que nous avons connues au moment des élections municipales. Armée de courage, la commission des lois a donc travaillé et délibéré sur un dispositif – nous nous en réjouissons –, auquel le rapporteur a apporté sa contribution précieuse.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, après l’ensemble de ces observations, le groupe socialiste, qui a toujours largement contribué à répondre aux difficultés nées de la situation sanitaire, reste, comme nous tous, et même davantage encore, attentif aux libertés publiques et au rôle du Parlement.
C’est la raison pour laquelle nous approuvons la limitation de la durée de prolongation et avons proposé un certain nombre de dispositions complémentaires. À ce stade, nous avons décidé de nous abstenir sur l’ensemble de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)