Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Je souhaite apporter quelques précisions, notamment sur les points de vigilance ou d’inquiétude soulevés par M. Gontard.
D’abord, l’organisation au Sénat d’un débat sur une question aussi fondamentale afin de lever tout doute, s’il en demeure encore, me paraît une bonne chose, et j’en remercie le rapporteur et le président de la commission des affaires étrangères.
Je veux être très précis : l’accord ne facilite en aucune façon l’application de la peine de mort pour des raisons liées aux stupéfiants en Inde. Je ne redonnerai pas lecture des articles 2 paragraphe 3 et 5 paragraphe 3, qui ont été cités à plusieurs reprises : ils sont extrêmement clairs sur le plein respect de l’intégralité de nos engagements internationaux, en particulier du protocole n° 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – dont nous célébrons d’ailleurs aujourd’hui même le soixante-dixième anniversaire –, auxquels nous portons un attachement plein et entier.
Aurions-nous dû mentionner explicitement ces engagements internationaux dans les articles 2 paragraphe 3 et 5 paragraphe 3 ? Nous pouvons en débattre, mais, très honnêtement, il n’y a aucun doute sur le fond. Cela vaut aussi, puisque M. Temal a abordé le sujet, pour nos engagements dans un domaine certes moins sensible, mais également très important, à savoir la protection des données et le respect du règlement général sur la protection des données.
L’étude d’impact, qui a été évoquée, aurait-elle dû être plus spécifique et précise sur ce point ? Je l’ai sous les yeux : elle mentionne uniquement le cadre de coopération bilatérale entre l’Inde et la France, dont, par définition, ne font pas partie les engagements relatifs à la peine de mort. Je prends néanmoins note de cette remarque pour les prochains cas. Il est possible d’être encore plus spécifique, mais je crois qu’il n’y a aucun doute sur l’applicabilité et le respect de nos engagements internationaux.
J’insiste, car je tiens à ce qu’il n’y ait aucun malentendu sur ce sujet : cet accord est essentiel, mais il s’agit exclusivement d’un accord de coopération policière, opérationnelle et technique. Il ne permet pas le transfert de données liées à des enquêtes, par exemple sur des individus, ou dans le domaine judiciaire.
Si une coopération judiciaire faisait suite à des procédures en matière policière permises par cet accord, elle tomberait sous le coup d’une autre convention internationale liant la France et l’Inde : la convention d’entraide judiciaire – vous pouvez vous y référer, mesdames, messieurs les sénateurs – qui, elle, prévoit explicitement, car en l’espèce il s’agit d’un point important, le respect de nos engagements internationaux en matière de non-application de la peine de mort. Il n’y a aucune ambiguïté, et nous continuerons d’ailleurs notre combat contre la peine capitale auprès de l’Inde comme auprès des plus de cinquante pays qui ne l’ont pas abolie. L’engagement de la France ne souffre aucune ambiguïté.
L’accord fait-il naître la moindre ambiguïté sur ce point ? Non. Améliore-t-il notre coopération avec l’Inde dans le domaine essentiel de la coopération en matière de lutte contre les stupéfiants, lesquels – plusieurs orateurs l’ont rappelé – alimentent le financement du terrorisme ? Oui.
Il s’agit, je le crois, d’un accord utile, qui ne fragilise en rien les combats internationaux de la France sur d’autres sujets, notamment la question de la peine capitale. Je tenais à rappeler ce point important, particulièrement en ce jour de célébration du soixante-dixième anniversaire de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de l’inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes, signé à New Delhi le 10 mars 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Au terme de ce débat qui peut paraître inhabituel, puisqu’une part importante des accords internationaux soumis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est généralement approuvée par le Sénat selon la procédure simplifiée, je tiens à souligner l’intérêt d’une telle discussion et remercier les différents orateurs, le rapporteur Gilbert Bouchet, ainsi que M. le secrétaire d’État.
Ce débat illustre bien l’une des procédures originales du Sénat, qui, en application de l’article 47 de son règlement, peut, lorsque les accords internationaux visent des sujets importants, en débattre dans l’hémicycle, devant un nombre significatif de collègues, sur l’initiative d’un groupe ou, puisqu’elle en a maintenant la possibilité, de la commission.
En l’occurrence, l’accord qui est examiné aujourd’hui nous paraît très important.
D’abord, il porte sur la lutte contre le trafic de stupéfiants, de psychotropes et de faux médicaments. Les différents orateurs ont souligné le drame que constitue ce genre de trafic pour la santé des populations très souvent en difficulté.
Ensuite, il porte sur un grand pays, l’Inde. Cet accord conclu par la France avec ce pays est assez original, d’autant que l’Inde est elle-même directement concernée et menacée.
Enfin, dans la mesure où l’idée même du recours à la peine de mort par un pays tiers fait évidemment l’objet chez nous d’une hostilité totale et d’une opposition absolue, réitérer cette affirmation a permis d’apporter des garanties aux groupes qui ont soulevé ce problème.
En tant que président de la commission des affaires étrangères et dans le cadre du travail que nous y menons, je me réjouis de la ratification de cet accord.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Il est heureux que nous ayons eu ce débat. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons pu, avec plusieurs de nos collègues, vous faire part de nos inquiétudes, que vous avez eu l’occasion d’apaiser sans toutefois parvenir à les lever complètement.
J’ai manqué de temps lors de mon intervention en discussion générale, mais le sujet mérite que l’on s’y attarde. Sur l’initiative de Jacques Chirac, la France a inscrit son opposition à la peine capitale dans la loi fondamentale. Depuis plusieurs décennies, notre pays s’engage pour l’abolition de la peine de mort partout dans le monde. À ce sujet, je me permets de rappeler à notre assemblée que la France a adhéré au deuxième protocole facultatif se rapportant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.
Ce protocole prévoit notamment la compétence du Comité des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies pour examiner la situation de chaque État concernant le respect de ses obligations. La question de la non-inclusion d’un engagement de l’Inde à ne pas respecter l’interdiction de la peine de mort dans le présent accord signé par la France sera examinée par ce comité. Il y va du rayonnement et de la crédibilité internationale de notre pays.
S’agissant de l’Inde, le problème est encore plus grave. En droit indien, la présomption d’innocence en matière de détention de stupéfiants est écartée au profit d’une présomption de culpabilité. C’est au suspect de démontrer qu’il n’a pas commis l’infraction dont on l’accuse. Or la présomption d’innocence fait partie des principes directeurs de la procédure pénale à valeur constitutionnelle, aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et conventionnelle, avec l’article 6 alinéa 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Est également inclus le droit à un procès équitable.
Rappelons-le, il n’est pas loisible aux États contractants de conclure avec d’autres États des accords dont les dispositions sont en conflit avec leurs obligations au titre de la Convention.
Monsieur le secrétaire d’État, considérant le faible intérêt stratégique de cet accord pour la France – même si je ne nie pas vos propos –, la grave entorse aux droits humains qu’il implique pour notre République et vos réponses embarrassées, nous maintiendrons notre choix de voter contre cet accord en l’état.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Mes chers collègues, je rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
8
Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques
Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières (texte de la commission n° 94, rapport n° 93).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureuse de présenter aujourd’hui au vote de notre assemblée le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire qui s’est tenue le 29 octobre dernier.
Après des débats animés sur ce texte difficile, les députés et sénateurs membres de la commission mixte paritaire sont, à une très large majorité, parvenus à s’accorder sur un texte consensuel. Cet accord est clairement imputable au travail de compromis rapidement engagé avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Grégory Besson-Moreau, et ses équipes et, bien entendu, à la volonté du ministre de faire aboutir ce texte, « quoiqu’il en coûte » en matière médiatique, si vous me permettez l’expression. (Sourires.) Cet état d’esprit qui a permis la coconstruction d’un texte était nécessaire, car la situation était urgente.
Il en résulte un texte très clair.
D’une part, les néonicotinoïdes demeurent interdits en France ; leur interdiction a d’ailleurs été consolidée juridiquement par le projet de loi. Seule la filière betterave sucrière pourra bénéficier, par arrêté des ministres de la transition écologique et de l’agriculture, de dérogations pour l’usage de semences jusqu’au 1er juillet 2023, soit pour trois campagnes.
D’autre part, des garanties essentielles pour l’équilibre du projet de loi ont été annoncées lors de la navette parlementaire. Je pense au plan national de recherche et d’innovation pour accélérer la recherche d’alternatives aux néonicotinoïdes, au plan de prévention proposé par la filière et au conseil de surveillance.
La commission mixte paritaire a également consolidé le rôle du conseil de surveillance, modifiant en cela le texte adopté par le Sénat sur quelques points.
Il s’agit, d’abord, de changer légèrement la composition du conseil de surveillance pour le rendre plus efficace. Ne seront ainsi mentionnés dans la loi que les acteurs concernés par la problématique de la culture, et le ministre de la santé y sera associé. Le Gouvernement pourra, s’il le souhaite, ajouter d’autres acteurs.
Dans le même esprit, les parlementaires siégeant au sein de cette instance seront nommés non plus par les commissions compétentes, mais par les présidents des assemblées, afin de garantir la présence de membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et de membres de l’opposition.
Ensuite, la procédure de rédaction de l’arrêté de dérogation a été simplifiée pour répondre aux impératifs d’urgence.
Par ailleurs, considérant que la rédaction retenue posait des difficultés opérationnelles, notamment au regard du droit européen, la commission mixte paritaire a proposé de supprimer l’article 3, ajouté par le Sénat, qui prévoyait une étude d’impact sur l’ensemble des alternatives avant la décision de toute interdiction.
Enfin, le Sénat a adopté un amendement ayant un lien avec l’interdiction des néonicotinoïdes réaffirmée dans ce texte. Le principe d’une interdiction d’un produit phytopharmaceutique en raison de ses dangers pour l’environnement ou pour la santé ne doit pas pénaliser uniquement les agriculteurs français. Nous avons donc adopté à l’unanimité un amendement essentiel rappelant explicitement au ministre de l’agriculture, si besoin en était, qu’il dispose du pouvoir, en cas de danger sanitaire ou environnemental et en l’absence de mesure européenne, de suspendre les importations de denrées alimentaires ne respectant pas les normes européennes, notamment en raison de l’usage de produits phytopharmaceutiques interdits.
C’est une avancée en matière de lutte contre les importations déloyales et un signal fort envoyé par la France à l’Union européenne, notamment à l’heure où la politique agricole commune est en cours de renégociation. L’article 44 de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim, est donc renforcé, consolidé. La commission mixte paritaire a souhaité conserver cet article ; j’en remercie l’ensemble des groupes du Sénat et nos collègues députés.
Telles sont les grandes lignes du texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. Si elles sont adoptées aujourd’hui, le travail ne s’arrête pas là pour autant, monsieur le ministre. Sur le sujet spécifique de la betterave et du sucre, outre la publication des textes réglementaires qui devront respecter des délais imposés par l’urgence, les betteraviers et – j’y insiste – les industriels attendent l’annonce d’un plan d’indemnisation pour les dissuader de ne pas planter l’année prochaine.
D’autres filières sont dans l’impasse technique. Le Sénat vous a signifié à plusieurs reprises son inquiétude sur les autres filières orphelines, monsieur le ministre. Le texte de la commission mixte paritaire permet de faire du conseil de surveillance une instance de suivi de toutes les filières ayant utilisé dans le passé des néonicotinoïdes. Sur invitation de son président, cette instance pourra ainsi étudier les avancées de la recherche sur les autres filières, comme la filière de la noisette, sans pour autant leur octroyer de dérogations. Ainsi les plus petites filières, moins puissantes mais tout aussi importantes pour la diversité de l’agriculture et la régionalisation de celle-ci, pourront-elles être entendues et suivies.
Enfin, vous le savez, monsieur le ministre, nous avons longuement insisté sur une véritable stratégie de recherche pour toutes les filières qui sont dans une impasse technique. Nous attendons des actes très concrets.
Toutes ces questions restent ouvertes et elles nourriront sans doute les débats à venir. Pour aujourd’hui, il me semble que le texte issu de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi est équilibré. Il apporte une réponse pragmatique et adaptée à la crise connue par la filière betteravière, tout en posant la question directement liée de la stratégie plus globale suivie par la France, notamment à l’égard des produits importés.
C’est la raison pour laquelle je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Frédéric Marchand applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis de nouveau devant vous cet après-midi pour évoquer le sujet de la pérennisation et de l’accompagnement dans la transition de la filière betterave sucrière.
Nous l’avons tous indiqué dans cet hémicycle : nous faisons preuve d’un engagement résolu en faveur de la transition agroécologique et d’une agriculture moins dépendante de l’ensemble des intrants.
Toutefois, s’agissant de la filière de la betterave sucrière, nous sommes aujourd’hui face à une situation exceptionnelle, dont nous avons largement débattu. Nous devons apporter une réponse rapide afin de permettre à cette filière d’excellence, qui représente près de 46 000 emplois dans notre pays, de sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve aujourd’hui.
Je le dis une nouvelle fois clairement, il ne s’agit en aucune manière d’opposer économie et écologie. Ce dont il est question ici, c’est de notre souveraineté. Souhaitons-nous faire la transition agroécologique avec une filière betterave sucrière française ou acceptons-nous la disparition de cette dernière ? Préférons-nous n’avoir demain que du sucre importé sur les étals de nos magasins ?
Oui, la filière de la betterave sucrière est aujourd’hui en danger, par la faute de ce puceron vert dont nous avons tant parlé. Depuis nos précédents débats, les premières récoltes ont d’ailleurs montré à quel point notre crainte était fondée, parfois même dans des proportions encore plus fortes que nous ne l’avions estimé, puisque des parcelles ont été très lourdement touchées.
Cette conviction est, je crois, partagée sur l’ensemble de ces travées : nous sommes tous ici favorables à l’arrêt des néonicotinoïdes et à la transition agroécologique. Les premiers à le souhaiter sont d’ailleurs les agriculteurs eux-mêmes. Cependant, cette transition est confrontée à ce qu’il y a de plus difficile dans la nature, comme d’ailleurs dans la sphère politique, à savoir le temps.
Je pose clairement la question : comment s’assurer que la transition agroécologique pourra se faire avec une filière française ? En aucun cas, cette transition ne peut consister à tuer une filière d’excellence française pour importer du sucre de pays qui sont parfois en retard de dix ans sur nous en matière environnementale. Il ne peut en être ainsi ! Ce projet de loi n’est en aucun cas un texte de renoncement. Bien au contraire, il s’agit d’un texte volontaire pour engager la transition avec la filière française.
Pour être plus précis, ce projet de loi réintroduit, comme c’est déjà le cas pour de nombreux États membres, et jusqu’en 2023 au maximum, la possibilité de recourir au fameux article 53 du règlement européen et de solliciter des dérogations si la situation le nécessite.
Je ne reviens pas sur le contenu exact du projet de loi, que vous connaissez parfaitement, mesdames, messieurs les sénateurs, mais j’appelle votre attention sur le fait qu’il s’insère dans un plan global, qui comprend notamment 7 millions d’euros supplémentaires mobilisés au travers d’un programme de recherche publique et privée visant à accélérer l’identification d’alternatives véritablement efficaces et leur déploiement en conditions réelles.
Ce plan comprend également des engagements pris par la filière au travers d’un plan d’action et de prévention. Le suivi de ces engagements, que ce soit sur le volet de la recherche ou sur celui du plan de prévention prévu par la filière, sera l’une des missions dévolues au conseil de surveillance, qui comptera des parlementaires et qui devra veiller avec une grande exigence à la mise en œuvre du plan global.
Nous avons eu également de larges échanges en séance publique sur l’intégration des termes « betterave sucrière » dans le projet de loi, non seulement dans son intitulé, mais également dans le corps même du texte. Le choix de limiter les dérogations à la betterave sucrière peut en effet poser question au regard du principe d’égalité.
Je le répète : des arguments solides peuvent aujourd’hui être avancés pour expliquer la différence de traitement instituée au profit de la filière betterave sucrière. Cette filière est en effet dans une situation particulière par rapport aux autres cultures au regard de l’objet de ce texte.
D’abord, l’impact sur les pollinisateurs de l’utilisation de semences enrobées est plus limité pour la culture de la betterave sucrière que pour d’autres cultures si celles-ci disposaient des mêmes dérogations. Cela signifie non pas que cet impact n’existe pas, mais qu’il est – j’y insiste – plus limité.
Ensuite et surtout, l’impact économique de l’interdiction des substances que nous évoquons aujourd’hui, à savoir les néonicotinoïdes, est particulièrement grave pour la filière de la betterave à sucre, car cette dernière est dépendante de l’outil de production que sont les sucreries. Aujourd’hui, faute d’alternative raisonnable, les pertes de rendement, qui sont très importantes et qui conduisent nos agriculteurs à faire le choix de ne plus planter des betteraves, auront comme conséquence de réduire les volumes à disposition des sucreries. Il suffira d’une à deux saisons pour que celles-ci soient mises à l’arrêt ou qu’elles voient leur rendement tellement chuter qu’elles finiront par cesser leur activité. (M. Fabien Gay s’exclame.)
À partir du moment où les sucreries fermeront, c’est toute la filière qui s’arrêtera. Nous aurons ainsi mis à bas en l’espace de quelques mois ou de quelques années une filière d’excellence, laquelle ne pourra pas s’engager dans la transition agroécologique, faute d’exister ! Cette écologie nous conduirait à importer du sucre de l’étranger.
Le projet de loi a fait l’objet de nombreux échanges tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez adopté la semaine dernière trois évolutions améliorant grandement le caractère opérationnel du futur texte. Je pense à l’élargissement du conseil de surveillance, à l’encadrement du délai dans lequel il doit rendre son avis et à l’avancée de l’entrée en vigueur de la loi au 15 décembre prochain.
La commission mixte paritaire, qui s’est tenue jeudi dernier, a battu tous les records en termes de durée pour parvenir in fine à un accord. Je remercie très sincèrement le rapporteur ainsi que les équipes qui l’entourent du travail accompli.
M. Laurent Duplomb. Excellent travail !
M. Julien Denormandie, ministre. C’est l’intelligence collective entre les deux chambres qui a permis de faire aboutir la commission mixte paritaire. Celle-ci a su concilier les positions des deux assemblées pour proposer des évolutions visant à clarifier encore davantage la mise en œuvre de la future loi.
Je souscris aux précisions apportées à la composition du conseil de surveillance : elles permettront notamment une nomination de ses membres explicitée et sécurisée. Je prends également acte de l’ajout d’un article rappelant la faculté pour le ministre de l’agriculture, mais aussi pour son collègue de la consommation, de prendre des mesures conservatoires afin de suspendre l’introduction, l’importation et la mise en marché en France de denrées alimentaires ou produits agricoles ou de fixer des conditions particulières avant de les autoriser. Je connais l’attachement de la Haute Assemblée à ce sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui est soumis à votre vote cet après-midi est un texte difficile, mais extrêmement important. Il ne tend aucunement à opposer économie et écologie, il vise à la souveraineté agroalimentaire et agricole de notre pays. Vous m’avez souvent entendu l’affirmer : à mon sens, s’il est un seul objectif qui doit être ardemment défendu au sein du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, c’est celui de la souveraineté.
Notre pays perd en souveraineté agroalimentaire, alors même que la période que nous vivons montre à quel point celle-ci est impérieuse ! Toute notre action doit être tournée vers cet objectif, car il n’y a jamais eu dans l’histoire – et il n’y aura probablement jamais dans le futur – de pays fort et de civilisation forte sans une agriculture forte.
M. Daniel Gueret. Bravo !
M. Julien Denormandie, ministre. Pour que notre pays soit fort, nous avons besoin d’une agriculture forte, permise par ces femmes et ces hommes qui, en cette période si particulière et à l’heure d’un nouveau confinement, continuent à travailler ardemment. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Toute la chaîne alimentaire de notre pays a tenu pendant le premier confinement. Elle tiendra pendant ce nouveau confinement, grâce à celles et ceux qui se lèvent très tôt le matin et se couchent très tard le soir pour la faire vivre. Je me permets de vous associer, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’hommage que je tiens une nouvelle fois à leur rendre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la grandeur de la démocratie réside dans le débat contradictoire. Sans surprise, nous allons une fois de plus réaffirmer notre opposition à ce texte. À l’issue des débats, nous restons plus que jamais convaincus que la solution aux difficultés économiques rencontrées par la filière de la betterave sucrière ne peut, en aucun cas, consister à réautoriser l’usage préventif de poisons, sur plus de 400 000 hectares.
Alors que la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a été votée voilà déjà quatre ans, ni l’État ni les filières n’ont pris leurs responsabilités pour amorcer la transition nécessaire à son application.
Même dans une situation d’urgence, des alternatives restaient possibles. En effet, le Gouvernement aurait pu davantage étudier la piste des mécanismes de compensation ou de mutualisation, auxquels par exemple l’Italie a eu recours.
De même, la France aurait pu combattre avec force, à l’échelle européenne, le principe de dérogations pour autoriser l’utilisation de certains produits phytopharmaceutiques, puisque, je le rappelle, la Commission européenne a estimé que ces dérogations restaient problématiques.
Par ailleurs, nous regrettons que le débat ait été tronqué à la suite d’une erreur de vote, ce qui nous a empêchés de présenter nos amendements. Nous considérons notamment qu’il aurait été nécessaire de préserver a minima les zones Natura 2000 ainsi que les parcs et réserves naturels de l’usage de ces dérogations. Nous aurions souhaité que la Haute Assemblée puisse se prononcer sur la protection minimale et essentielle de ces zones par un vote.
Encore une fois, nous restons convaincus que, face à des difficultés économiques réelles, il était possible de faire autrement. Ce texte ne fait qu’étendre la trop longue liste des renoncements aux ambitions fortes que nous devrions nourrir pour être à la hauteur de l’urgence écologique qui menace.
En effet, nos débats interviennent deux ans après la promulgation de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim, dont le bilan est tellement amer qu’hier, mardi 3 novembre, pour l’anniversaire de cette loi, trente syndicats et associations rendaient publique une analyse consacrant l’échec du texte à atteindre ses objectifs. Qu’il s’agisse du revenu des agriculteurs, de la relocalisation de l’alimentation, de la sortie des pesticides, nos réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Nos débats interviennent également alors qu’au fil des négociations la réforme de la politique agricole commune (PAC) s’annonce décevante : son chapitre environnemental reste d’autant plus flou que rien ne garantit, à ce stade, que la réforme soit compatible avec le pacte vert européen.
Enfin, l’examen du projet de loi de finances pour 2021 laisse envisager, encore une fois, un manque criant de moyens pour le développement de l’agriculture biologique et de l’agroécologie, en particulier dans le domaine de la recherche.
Face à l’urgence du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, le temps presse. Des solutions existent, qui devraient être étudiées.
Ainsi, dans son rapport de 2018, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a montré qu’une Europe entièrement agroécologique, qui serait affranchie des intrants de synthèse et qui reposerait sur la polyculture, l’élevage et le déploiement de prairies naturelles, pourrait nourrir durablement 530 millions d’Européens en 2050.
Par conséquent, le débat sur les néonicotinoïdes est étroitement lié au choix de notre modèle agricole. Certains défendent le modèle actuel d’industrialisation de l’agriculture, ce qui reste parfaitement légitime. D’autres, de plus en plus nombreux, n’y croient plus et prônent, contre les excès du modèle actuel, un modèle agroécologique basé sur l’agriculture paysanne, pourvoyeuse d’emplois et capable de redynamiser les territoires ruraux.
En guise de conclusion, je précise que la fin de mon intervention précédente, la semaine dernière, dans cet hémicycle, était inspirée de Georges Brassens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)