Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Votre description de la réalité du terrain, madame la sénatrice, montre bien à quel point – c’était l’objet de ma deuxième conviction – il est important de partir des territoires en matière de PAT.
Les PAT souffrent certainement de leur nom : les élus jugent souvent ces projets ou contrats territoriaux affreusement techniques. Ils font cependant font l’objet d’un consensus, tous les acteurs s’accordant à dire qu’ils fonctionnent bien. Ils permettent en effet, comme vous l’avez dit, madame la sénatrice, de structurer la filière de l’aval à l’amont. On remonte donc de la gestion des terres, que celle-ci soit qualitative ou quantitative, jusqu’aux assiettes de nos enfants à la cantine, en passant par la distribution.
Pour cette raison, je crois fondamentalement en ces PAT, et que je me suis battu pour qu’ils soient financés massivement dans le cadre du plan de relance. Je rappelle, une fois encore, que l’affectation de 80 millions d’euros sur deux ans représente une somme sans commune mesure avec les crédits consacrés à ce poste jusqu’à présent !
Votre question porte sur le rôle des départements. Mon approche sur ce sujet est simple : l’objectif est de consolider les 190 PAT déjà existants et, pour ce faire, de passer par les acteurs qui contribuent à leur mise en œuvre. Je ne souhaite en aucune façon modifier la gouvernance.
Les PAT sont d’ores et déjà développés par les territoires, cependant qu’ils bénéficient d’un très faible financement par l’État. Je propose donc que ce dernier finance bien davantage, en laissant la gouvernance telle qu’elle est.
Il existe différents échelons de développement : les EPCI – c’est le cas la plupart du temps – ; les territoires englobant plusieurs communes ; les départements. Au final, les PAT sont souvent consolidés à l’échelon des contrats de plan État-région (CPER), lesquels seront donc la porte d’entrée du dispositif, mais tout en maintenant les gouvernances locales telles qu’elles existent.
Nous continuerons à nous appuyer sur les territoires et l’intelligence territoriale, je m’y engage !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Dans mon territoire du Nord, sur la commune de Noordpeene en Flandres, un boulanger engagé montre la voie du circuit « ultracourt ». En juillet dernier, il a acheté un petit moulin autrichien pour moudre le blé d’une variété panifiable convenue avec l’agriculteur, cultivé sur la parcelle contiguë à sa boulangerie, et ainsi faire son pain.
La farine obtenue préserve les oligoéléments et le gluten du blé, grâce à un procédé plus lent que dans le circuit industriel et une température ne dépassant jamais les 40 degrés : ça, c’est du pragmatisme !
Les produits pâtissiers sont, eux aussi, fabriqués grâce au lait acheté à un laitier de la commune. Les fruits proviennent d’un maraîcher voisin respectant la saisonnalité. La qualité et la saveur des produits assurent à cet artisan de nombreux clients, certains n’hésitant pas à parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour acheter chez lui.
La période de crise que nous traversons met en lumière la nécessité de l’entraide. Le circuit « ultracourt » permet de recréer du lien et de développer une vie sociale parfois perdue dans certains de nos territoires. Ce nouveau dynamisme est un espoir pour nos communes.
Mais si l’alimentation locale est autant plébiscitée actuellement, c’est parce qu’elle est synonyme d’impact carbone moindre. L’alimentation représente le quart de l’empreinte carbone des ménages français. Or ces derniers sont de plus en plus attentifs à leur impact sur l’environnement, notamment dans leur choix de consommation alimentaire.
Votre ministère, avec le concours d’autres acteurs, a lancé au début du mois dernier un appel à candidatures pour expérimenter l’affichage environnemental des produits alimentaires. Cette initiative s’inscrit dans le cadre de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre gaspillage et à l’économie circulaire. La Convention citoyenne pour le climat a aussi émis l’idée d’un « score carbone » sur tous les produits de consommation et les services.
Quelles sont donc, monsieur le ministre, vos pistes de réflexion sur l’affichage du poids carbone de notre alimentation ? Je pense notamment à une définition, à un mode de calcul clair, et plus particulièrement à l’encouragement de ces pionniers parmi lesquels figure mon boulanger des Flandres.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je voudrais d’abord saluer, monsieur le sénateur, votre boulanger des Flandres et lui dire à quel point je soutiens son action !
La question que vous posez concerne la vertu des circuits courts. Comme je le disais plus tôt, je pense qu’il ne faut surtout pas opposer les systèmes agricoles en France. On a besoin d’une agriculture forte qui exporte, mais aussi d’une agriculture de proximité plus importante, dont les bénéfices sont d’ordre nutritionnel, économique, et environnemental.
Comment le consommateur doit-il être informé de l’ensemble de ces bénéfices ? Plusieurs expérimentations sont en cours : elles permettront de démontrer si un affichage environnemental est pertinent ou non. Nous travaillons sur ce sujet, et le défendrons avec détermination à l’échelon européen, dans la mesure où l’étiquetage est une compétence européenne, et parce qu’il est important au sein d’un marché commun de pouvoir comparer les produits.
Il faut cependant veiller à ce qu’un excès d’étiquetage ne tue pas l’étiquetage ! Les rayons de produits laitiers en sont « gavés »… Le consommateur doit bénéficier d’une information simple. C’est précisément pour cette raison que j’ai obtenu de la grande distribution que soit apposée, en plus de tous ces étiquetages, une bannière commune intitulée « plus près de chez vous et de vos goûts ! ». Grâce à cette formule très simple, le consommateur comprend que le produit ne vient pas de loin et que cela signifie de moindres émissions carbone. Car je crois à l’intelligence des consommateurs et de nos concitoyens en général.
À court terme, nous mettons en place cette bannière, qui sera généralisée au début de l’année prochaine ; dans le même temps, nous continuons à travailler sur les étiquetages.
Je veux délivrer un message clair à nos concitoyens : manger des produits frais et locaux, c’est ce qu’il y a de meilleur pour la santé, pour l’environnement et parfois, voire souvent, pour le portefeuille !
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. À propos d’alimentation saine et durable, je souhaite vous interpeller, monsieur le ministre, sur une récente enquête réalisée en partenariat avec le laboratoire de toxicologie de l’hôpital Lariboisière, qui met en lumière la présence de cadmium dans les engrais phosphatés, les pommes de terre et, en bout de chaîne, dans les urines humaines.
Le cadmium est un métal lourd, classé comme « cancérigène certain » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Dès 2019, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) alertait sur ce risque pour la population et critiquait la décision de l’Union européenne de fixer à 60 milligrammes par kilo la teneur en cadmium dans les engrais phosphatés. D’après ses modélisations, il serait recommandé de l’abaisser dès maintenant à 20 milligrammes par kilo.
Dans la droite ligne de ce rapport, les révélations de l’enquête sont sans appel : cinq engrais phosphatés sur six, provenant en très grande majorité du Maroc ou de la Tunisie, dépassent les recommandations actuelles de l’Anses. Trois engrais de ce type sur cinq dépassent les maximales autorisées qui entreront en vigueur dans un an. On retrouve deux fois plus de cadmium dans les pommes de terre que ce qu’avait estimé l’Anses !
Enfin, 21 % des analyses d’urine font apparaître un dépassement de la concentration critique définie par l’Anses, au-delà de laquelle ont été démontrés des risques de toxicité osseuse puis, à plus haute dose, de toxicité rénale.
Les agriculteurs sont aussi concernés : si leurs sols présentent une trop forte concentration en cadmium, ils se retrouvent dans l’impossibilité de vendre leur production.
Que compte faire le Gouvernement pour préserver l’alimentation des Français de cette pollution au cadmium via les engrais phosphatés ? (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Votre question concerne à la fois les problématiques de santé et d’environnement.
Le cadmium, vous le savez, est un élément très répandu dans l’environnement à l’état naturel, du fait de l’activité humaine, notamment agricole, et de l’utilisation d’engrais minéraux.
Présent à l’état naturel dans les sols, le cadmium est aussi apporté par les matières fertilisantes qui en contiennent sous forme d’impuretés, en raison de la teneur des gisements de roche phosphatée, à partir desquels sont extraits les éléments servant à la composition des engrais. Autrement dit, il ne s’agit pas d’engrais dans lesquels on intègre volontairement du cadmium, mais plutôt de produits formés naturellement à partir de roche phosphatée, laquelle contient elle-même des impuretés, dont le cadmium, que les engrais embarquent au moment de leur production.
Je partage votre diagnostic sur les risques réels induits par cet élément chimique. Il faut donc impérativement trouver des solutions. Une fois présent dans les sols, le cadmium pénètre dans les végétaux destinés à l’alimentation humaine : cette problématique sanitaire doit être prise au sérieux, compte tenu des risques d’ostéoporose et de fractures osseuses.
Nous avons tous absolument intérêt, à limiter l’exposition au cadmium : les agriculteurs, pour préserver la fertilité et la qualité de leurs sols, comme les consommateurs.
Des travaux ont été lancés dès que les études ont confirmé ces risques. Sur la base des préconisations de l’Anses, un projet de décret limitant les apports de cadmium, tous usages confondus, est en cours de concertation. Notre objectif est de le publier à l’été 2021, après les phases de consultation du public et de notification européenne.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.
M. Joël Labbé. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse.
D’après les données dont nous disposons, les industriels sont en mesure de dépolluer les engrais phosphatés pour un surcoût évalué à seulement 3 %. Nous attendons du Gouvernement qu’il agisse dès maintenant, en publiant un décret.
Sur le plus long terme, il est possible de mettre en place des alternatives pour se passer d’engrais minéraux, par l’utilisation de compost ou de fertilisation animale comme le fumier, entre autres. Le modèle agricole biologique peut se passer de phosphates issus des mines.
N’oublions pas que l’on importe 30 % des produits d’agriculture biologique, faute d’une production suffisante en France ! (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. L’alimentation saine et durable est inscrite à tous les agendas. Le 20 mai dernier, la Commission européenne présentait sa stratégie « De la ferme à la fourchette ». Les recommandations alors établies traduisaient une ambition forte : bâtir une « chaîne alimentaire bénéfique pour les producteurs, les consommateurs, l’environnement et le climat », dans le cadre du pacte vert pour l’Europe.
II a notamment été proposé de porter la part de l’agriculture biologique à 25 % des terres cultivées en Europe, à l’horizon 2030. D’autres propositions doivent être faites en lien avec la lutte contre le gaspillage alimentaire, ou concernant la nécessité d’un étiquetage nutritionnel, deux problématiques abordées au Sénat au cours de la session passée.
En France, dans la continuité des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, qui a défini un objectif de 50 % de fermes en agroécologie pour 2040, le Gouvernement vient d’annoncer un plan de relance ambitieux pour l’agriculture et l’agroalimentaire. C’est d’ailleurs ce qu’ont souligné plus de cent quarante acteurs de la transition agroécologique dans une tribune parue le 9 octobre dernier, en recommandant d’« accélérer la transformation de notre modèle agricole » et d’agir « pour une agriculture du vivant ».
Se pose en même temps, et de manière accrue aujourd’hui, la question de notre indépendance protéique et de notre souveraineté, alors que la crise sanitaire a mis en exergue les effets désastreux pour les populations que pourrait avoir la rupture des circuits mondiaux.
Pour permettre cette transition, 1,2 milliard d’euros a été dédié au volet « Transition agricole, alimentation et forêt » dans le plan de relance.
Quelle sera l’articulation de cette action politique forte, européenne et nationale, compte tenu du budget en hausse qui la soutient, avec les collectivités, en particulier pour les PAT ? Les sous-préfets de la relance interviendront-ils également sur ces sujets ?
Les élus auront besoin de pouvoir identifier précisément les aides auxquelles ils peuvent prétendre lors de la mise en œuvre de leurs propres feuilles de route. (M. François Patriat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, la question que vous posez est absolument essentielle.
Le plan de relance s’inscrit dans une vision assez claire : il faut bâtir une France plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui. Ma conviction, c’est que ce n’est pas possible sans une agriculture forte. C’est pourquoi j’ai obtenu ce montant significatif pour le volet agricole du plan de relance ; nous l’avons d’ailleurs aussi obtenu à l’échelon européen.
Comment faire en sorte que ce plan de relance irrigue nos territoires et que chaque agriculteur y ait accès ? Sont prévus 135 millions d’euros pour l’agroéquipement, et 250 millions d’euros pour les élevages ou les abattoirs – depuis combien d’années réclamez-vous que l’État accompagne les abattoirs ? Les forêts sont confrontées au drame des scolytes : l’État investit 150 millions d’euros pour réaliser ce qui constitue probablement le plus grand plan de reboisement depuis l’après-guerre, avec l’introduction de nombreux résineux dans notre pays.
Quid des collectivités territoriales ? Pour ma part, je privilégie les idées simples : aujourd’hui, de nombreux canaux existent. Ainsi, les PAT sont pris en charge par les collectivités et sont souvent définis à l’échelon du contrat de plan État-région (CPER). C’est le cas des abattoirs. La modernisation des élevages est très souvent cofinancée avec les régions au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Pour ma part, je considère que, si un canal existe déjà, on l’utilise, on le renforce et on le finance.
Par ailleurs, on tente, car il faut être innovant ! C’est pourquoi j’essaie de lancer au maximum des appels à projets sur le modèle du catalogue.
Dans certains appels à projets, on en fait vraiment beaucoup… Pourquoi ne pas plutôt créer des listes de catalogue, par exemple pour l’agroéquipement ? Cela ne dispense pas de passer par un appel à projets, mais c’est beaucoup plus simple pour nos agriculteurs.
Mon rôle consiste à simplifier en bonne intelligence avec les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Yves Détraigne. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le ministre, dans un contexte de second confinement, avec une première période, de mars à mai, très tendue durant laquelle une grosse partie de l’économie a été paralysée, les agriculteurs nourrissent les Français. Cette crise sanitaire nous rappelle le cap à tenir, à savoir l’indépendance alimentaire, vous l’avez souligné.
La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014 avait abordé cette problématique en créant les projets alimentaires territoriaux (PAT). Les états généraux de l’alimentation ont entraîné en 2018 l’adoption de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi Égalim », qui contraint la restauration collective à servir 50 % de produits de qualité, dont 20 % au moins sont issus de l’agriculture biologique, d’ici au 1er janvier 2022. Au mois de décembre 2019, ma collègue Françoise Laborde a été à l’origine de l’examen d’une proposition de résolution sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale.
Toutes ces initiatives vont dans le même sens : favoriser une alimentation durable et locale. Pourtant, ce ne sera possible qu’avec une réelle volonté politique des territoires. Les PAT ont du mal à décoller. Pourtant, leurs enjeux sont nombreux : d’ordre économique, au travers de l’aménagement du territoire, de l’emploi non délocalisable, de l’installation ; d’ordre environnemental, avec la valorisation de nouveaux modes de production agroécologique ; d’ordre social, par l’éducation alimentaire, la création de liens, la valorisation du patrimoine.
Monsieur le ministre, vous allez annoncer des moyens considérables pour les PAT. Pour autant, comment rendre plus efficient cet outil et, surtout, quels moyens forts comptez-vous déployer pour sensibiliser les élus et les inciter à s’engager ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir salué les travaux de votre collègue Françoise Laborde sur la question très importante de la résilience alimentaire de nos territoires.
Comment convaincre de la pertinence des PAT et comment faire pour accélérer leur mise en œuvre ?
D’abord, ce dispositif fait ses preuves dans de nombreux endroits. Frédéric Marchand a évoqué le PAT du Douaisis, qui se déploie très bien. Dans le Jura où je me suis rendu récemment, deux PAT m’ont été présentés : là aussi, cela fonctionne extrêmement bien.
Les PAT font partie de ces projets qui diffusent au fur et à mesure, car les élus qui les voient mis en œuvre dans d’autres territoires que les leurs se rendent compte que c’est utile ! Les projets alimentaires territoriaux pâtissent d’un sigle atroce – PAT ne veut pas dire grand-chose – et peut-être aussi de l’accumulation de contrats, plans et autres, ce qui peut expliquer une certaine réticence.
Ensuite, je crois à l’intelligence collective. Mon rôle consiste à accompagner et à trouver la faille. Ne nous mentons pas : en quatre ans, l’État a fait des projets alimentaires territoriaux un dispositif important, qu’il a financé à hauteur de 6 millions d’euros, soit 40 000 ou 50 000 euros sur quelques dizaines de PAT. Reste que, si l’on veut avoir les moyens de l’ambition qu’on affiche et si l’on croit à ces projets, il faut se retrousser les manches et mettre un paquet d’argent, c’est-à-dire passer de 6 millions d’euros sur quatre ans à 80 millions d’euros sur deux ans !
Enfin, derrière tout cela se trouve la grande famille agricole, que je salue, qui est composée d’individus à la fois passionnés mais aussi très bien organisés ; c’est d’ailleurs sa force. Elle nous accompagne dans la mise en œuvre de ce plan de relance. Nous travaillons énormément ensemble pour que, partout dans les territoires, les chambres d’agriculture deviennent des lieux d’accompagnement de toutes les parties prenantes – élus locaux, agriculteurs, éleveurs….
Le plan de relance, ce n’est pas celui du Gouvernement et encore moins celui du ministre de l’agriculture : c’est le plan de relance des Français, des agriculteurs et de ceux qu’ils nourrissent. Il nous faut donc absolument faire vivre toute cette famille. Les chambres d’agriculture jouent un rôle fondamental. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai veillé à préserver leur budget dans le projet de loi de finances que vous examinerez bientôt, mesdames, messieurs les sénateurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.
M. Henri Cabanel. Il est vrai que les PAT ont du mal à décoller. En six ans, très peu ont vu le jour.
Vous allez mettre les moyens, dites-vous, monsieur le ministre. Vous vous étiez fixé un objectif de 500 PAT pour 2020. Aujourd’hui, vous pensez en réaliser un par département. Tout le monde a bien compris ici qu’ils sont des outils indispensables pour permettre une alimentation locale et de proximité. Je suis d’accord avec vous : avec les budgets que vous prévoyez, le bouche-à-oreille sera tel que d’autres élus s’engageront.
Toutefois, monsieur le ministre, il ne faudrait pas que votre volonté et votre objectif se limitent à un PAT par département. Si plusieurs projets se font jour, il faut permettre à ceux-ci, par les moyens que vous déploierez, d’aller à leur terme. Laissez les choses se faire pour le bien de tous ! (M. le ministre acquiesce.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Nous remercions le groupe RDPI d’avoir inscrit ce débat sur l’agriculture durable et locale.
Notre groupe est un défenseur acharné et un fervent promoteur de l’agriculture paysanne, biologique, respectueuse de l’humain et de la planète, et rémunératrice pour le monde paysan. Or cette agriculture durable et locale est menacée, notamment par le libre-échange, dont le gouvernement auquel vous appartenez est un grand partisan, monsieur le ministre.
En effet, le libre-échange détruit l’agriculture durable et locale en cassant nos normes. Il aggrave le réchauffement climatique en augmentant les émissions de gaz à effet de serre, avec des produits qui font parfois trois fois le tour de la planète !
Le meilleur exemple en est le CETA, ce traité de deuxième génération, ou traité mixte, signé entre l’Union européenne et le Canada, qui fait tomber les barrières tarifaires et douanières mais aussi les barrières non tarifaires, en s’attaquant aux normes sociales et environnementales ainsi qu’à nos services publics. Pire, des tribunaux d’arbitrage privés seront mis en place, qui mettront les lois des entreprises au-dessus de celles des États.
Négocié pendant dix ans, ce traité a été mis en place de façon provisoire en 2017. Il devait être ratifié au bout d’un an. L’an dernier, il a été voté par l’Assemblée nationale en catimini au cœur de l’été. Il n’est toujours pas à l’ordre du jour du Sénat. Pourquoi ? De quoi avez-vous peur, monsieur le ministre ?
Notre interrogation est simple. Quand allez-vous cesser de faire appliquer un traité dans l’illégalité ? À quelle date le CETA sera-t-il inscrit à l’ordre du jour du Sénat, pour donner la parole à la totalité du Parlement et enfin permettre un débat démocratique ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, vous connaissez mon souci de toujours apporter des réponses précises.
M. Fabien Gay. Ce ne sera donc pas le cas aujourd’hui ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. Julien Denormandie, ministre. Malheureusement, je ne suis pas maître de l’inscription des textes à l’ordre du jour des travaux du Parlement, en particulier du Sénat.
M. Fabien Gay. Ah bon ?
M. Julien Denormandie, ministre. Je ne saurai donc vous dire à quel moment le texte sera inscrit. Qui plus est, vous l’avez constaté comme moi, l’ordre du jour du Parlement est quelque peu chamboulé.
M. Fabien Gay. Cela fait trois ans !
M. Julien Denormandie, ministre. Il n’en reste pas moins que je tiens à répondre à la question que vous posez, car elle est fondamentale.
Aujourd’hui, pour un agriculteur qui se bat pour produire selon les plus hautes normes de qualité, il est décourageant de constater que le concombre qu’il trouve au supermarché est parfois beaucoup moins cher et produit avec des substances qui n’ont strictement rien à voir… C’est aussi vrai pour le poulet et la liste est longue !
Sur ce sujet, ma conviction est simple et je le dis très clairement : l’Europe a fait preuve de naïveté pendant trop de temps. D’ailleurs, vous le savez, l’Europe est compétente pour la négociation des accords commerciaux. C’est pourquoi, comme plusieurs ministres de l’agriculture européens, je me bats avec force. Pour la première fois, la politique agricole commune sur laquelle nous nous sommes accordés pose un socle commun de normes environnementales dans le cadre du premier pilier.
À partir du moment où, au sein du marché commun, on s’est mis d’accord sur un socle décidé dans le cadre de la politique agricole commune, il faut que celui-ci soit transcrit dans la politique commerciale. C’est à mes yeux un minima ; cette première avancée doit être finalisée par le trilogue sur ce socle commun. Je l’ai redit pas plus tard qu’hier à tous mes homologues européens : maintenant que nous nous sommes mis d’accord sur un socle commun concernant la politique agricole, celui-ci doit trouver sa traduction dans la politique commerciale.
Ainsi, pour le Mercosur, puisque la question va se poser, c’est non ! Ce traité ne respecte en rien le socle commun environnemental, en termes de déforestation ou de production de poulets. Il n’est pas question de voir arriver tous les poulets brésiliens, ce n’est pas possible !
Je ne peux pas être plus clair dans ma réponse, monsieur le sénateur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, je vous le dis, ce n’est pas entendable !
Mes chers collègues, combien de temps allons-nous laisser perdurer cette situation ? Allons-nous accepter encore longtemps qu’un traité de libre-échange qui fait débat et que vous défendez, monsieur le ministre, ne nous soit pas soumis ? Pour nous, la question est d’ordre démocratique : ce traité a été mis en place en 2017, il devait être ratifié par les deux chambres dans l’année qui suivait. Cela fait trois ans ! Avant la crise du covid, c’étaient les élections législatives au Canada… Il y a toujours une excuse !
Vous êtes dans l’incapacité de faire ratifier ce traité, parce que vous n’avez pas la majorité du peuple français pour vous soutenir. Si vous soumettez ce texte au Sénat, vous n’obtiendrez pas la majorité. L’ensemble des groupes politiques ici devraient interpeller le Gouvernement pour demander l’inscription dans l’année du CETA à l’ordre du jour de nos travaux et enfin avoir un débat démocratique sur cette question, qui est centrale pour l’avenir de notre agriculture et, au-delà, pour l’avenir du peuple français. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le ministre, je tiens à souligner une fois de plus votre engagement aux côtés de nos agriculteurs et de notre modèle agricole, dont nous sommes si fiers. Il n’est qu’à lire l’article de The Economist, qui salue le modèle français comme étant le plus durable, et ce pour la troisième année consécutive. Il faut le répéter !
J’évoquerai moi aussi les PAT et l’enjeu de leur mise en œuvre sur les territoires.
Monsieur le ministre, envisagez-vous des PAT à périmètre concentrique ? En effet, dans la mesure où l’on ne pourra pas trouver dans un même territoire toute la gamme de produits disponibles, malgré l’engagement fort des chambres d’agriculture que l’on peut attendre, peut-on imaginer une coopération avec différents PAT ? On aurait ainsi une complémentarité qui rendrait accessible à notre restauration collective et à nos cantines, dans moins d’un an, cette large gamme de denrées.
Serons-nous capables de relever ce défi à un coût accessible ? Faut-il le redire, le coût est devenu un sujet essentiel et les impayés dans les cantines scolaires sont en train d’exploser ! Pourrons-nous apporter cette alimentation saine et durable, telle qu’elle a été définie, à un coût accessible pour nos concitoyens ?
Enfin, concernant les démarches environnementales à haute valeur environnementale (HVE), qui se développent dans nos territoires, les chiffres montrent une réelle dynamique de cette certification environnementale. Selon vous, les efforts de nos agriculteurs seront-ils suffisants pour nous permettre d’atteindre les objectifs en termes de produits, de volume, de délais et de coûts fixés par la loi Égalim ?