M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui débute l’examen du projet de loi de finances pour 2021. Le verbe « débuter » n’est d’ailleurs pas exact, puisque le marathon budgétaire a démarré dès le mois de septembre avec l’audition des ministres. Le rapporteur général, les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs pour avis se sont mobilisés depuis plusieurs semaines pour étudier en détail ce budget. Permettez-moi de saluer leur engagement, ainsi que celui des administrateurs de notre commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
J’en viens tout de suite aux principales caractéristiques de ce projet de loi de finances : un budget dit « de relance », mais qui est avant tout marqué par des incertitudes, des hésitations et quelques choix contestables.
Je voudrais commencer par les incertitudes : le cadrage macroéconomique qui nous est présenté est pour le moins mouvant et suit l’évolution de la situation sanitaire. Cette année a déjà été rythmée par quatre collectifs budgétaires et la situation est loin de se stabiliser. Le projet de loi de finances a été présenté au mois de septembre, au moment où il était question d’une offensive pour relancer l’économie, après une période estivale plutôt encourageante. Avec la décision d’un second confinement, un sérieux coup de frein a été donné.
Désormais, le Gouvernement révise l’estimation de croissance à 6 % au lieu de 8 % pour 2021, tout en espérant, comme nous tous, pouvoir éviter un troisième confinement l’an prochain. Nous sommes, maintenant, bien loin du rebond présenté qui aurait pu, selon vous, nous permettre de retrouver dès 2022 notre niveau de richesse d’avant la crise.
En termes d’hésitations, le ministre de l’économie annonce des mesures de soutien complémentaires à certains secteurs pour l’année 2021, mesures qu’il est en train d’examiner avec le Premier ministre et le Président de la République et qui, selon lui, seront décidées en fonction du calendrier sanitaire.
Autant dire que nous débattons d’un texte provisoire, appelé, très rapidement, à de nouvelles corrections. Le Gouvernement donnera les chiffres révisés de déficit et de dette au début du mois de décembre, sans doute – mais cela nous a été confirmé – pour la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, alors que nous terminerons l’examen du PLF le 8 décembre.
Dans le même temps, nous venons d’ouvrir des crédits en PLFR dont nous savons, d’ores et déjà, qu’une part considérable sera reportée, puisque pas moins de 47 programmes budgétaires, contre 20 l’an dernier, pourront faire l’objet de reports supérieurs à 3 % des crédits ouverts, ce qui brouille la lisibilité des exercices budgétaires. Quant à parler de la portée de l’autorisation parlementaire, je préfère passer…
Permettez-moi d’aborder quelques choix contestables. Il ne s’agit pas de remettre en cause des mesures de soutien aux entreprises et à l’emploi, comme les prêts garantis, le fonds de solidarité ou le chômage partiel. Même si le coût pour nos finances publiques se chiffre en dizaines de milliards d’euros, ces mesures étaient indispensables et vous avez su les mettre en œuvre rapidement.
La mission « Plan de relance », dotée, en 2021, de 36 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 22 milliards d’euros en crédits de paiement, prévoit également des moyens nouveaux, en particulier pour la rénovation énergétique, les infrastructures ou les énergies vertes.
Mais elle recycle aussi beaucoup de mesures plus classiques qui auraient dû figurer dans les missions budgétaires : équipement des forces de sécurité, rénovation du patrimoine, transformation numérique des administrations publiques, etc. Par bien des aspects, ce plan est avant tout un plan de rattrapage. Il faudra juger de celui-ci sur ses effets concrets, car ce n’est pas tout d’ouvrir des crédits, il faut les consommer, si possible sur des projets porteurs d’avenir.
Les crédits du plan de soutien sont loin d’être tous consommés cette année, qu’il s’agisse du fonds de solidarité ou des participations financières.
Il faudra donc, mes chers collègues, que nous soyons attentifs à l’engagement des crédits du volet « relance » et à l’association des territoires à la réalisation des projets, comme l’a dit M. le rapporteur général.
Le Gouvernement souhaite que le plan de relance soit temporaire, afin de ne pas grever durablement les finances publiques. Soit, mais comment expliquer alors que la baisse des impôts de production soit, elle, présentée comme pérenne ?
Hélas, le volet « cohésion » du plan de relance ne bénéficie pas de ce statut. Les plus démunis devront se contenter de mesures d’aide exceptionnelles et, pour tout dire, ponctuelles, qui ne sont malheureusement pas à la hauteur de la situation sociale de notre pays.
Au sein du plan de relance, le volet « soutien aux personnes précaires » représente 86 millions d’euros. Nous savons tous aussi que le risque de paupérisation des jeunes exclus du marché du travail est bien réel. Si de nombreux leviers visant à la formation des jeunes ou à leur accompagnement vers l’emploi sont bienvenus, la période commande d’expérimenter sans délai une dotation pour l’autonomie de la jeunesse, qui permettrait à tous les jeunes émancipés de 18 ans à 25 ans de bénéficier de ressources pour se lancer dans la vie active. Ne tardons plus. Travaillons-y sans délai ! Il serait d’ailleurs invraisemblable que ce plan n’aide pas fortement ceux qui, demain, devront contribuer à le payer.
Le PLF pour 2021 cumule donc des mesures nouvelles en dépenses, éminemment nécessaires, mais parfois insuffisantes, avec des propositions de baisse de prélèvements obligatoires, qui sont prises aujourd’hui à contretemps et qui pourraient, à tout le moins, être différées.
Il s’agit, par exemple, de la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % de la population ayant les plus hauts revenus (M. Philippe Dallier proteste.), pour 2,4 milliards d’euros cette année et 7,5 milliards d’euros annuellement au bout de trois ans.
D’un côté, monsieur le ministre, vous souhaitez libérer l’épargne des gens qui en ont beaucoup, laquelle – vous l’avez dit, et cela a été chiffré – s’est beaucoup renforcée pendant le confinement, et, de l’autre, vous augmentez encore ces économies. Difficile à suivre…
Il en est de même de la baisse de l’impôt sur les sociétés, pour 3,7 milliards d’euros, qui s’ajoute aux réformes de la fiscalité du capital, dont le coût s’élève à 5 milliards d’euros par an et qui ont, elles aussi, bénéficié aux catégories sociales les plus aisées.
Le Gouvernement fait également le choix de baisser les impôts dits « de production », pour un coût très important, de 10 milliards d’euros par an. Cette mesure, selon l’étude de l’Institut des politiques publiques, est ciblée non pas sur les entreprises fragilisées par la crise, mais plutôt sur les plus grosses, et beaucoup doutent de son efficacité. Le Gouvernement poursuit ainsi sa politique d’allégement de la fiscalité, sans prendre en considération son opportunité, alors que, dans le même temps, les dépenses publiques explosent.
Par ailleurs, aucune mesure supplémentaire n’est prise pour mettre davantage à contribution, ne fût-ce que par un prélèvement exceptionnel, les entreprises qui sont les grandes gagnantes de la pandémie, comme celles du numérique.
Une crise de cette ampleur ne peut que se traduire par une augmentation de la dette. Pour autant, monsieur le ministre, vous ne faites rien pour en limiter le montant. Le commissaire européen Paolo Gentiloni l’a encore dénoncé ce matin, estimant que ce n’était pas le moment pour la France de baisser les impôts. Ceux qui vous succéderont et qui seront confrontés d’ici peu à son remboursement constateront que vos décisions auront consisté à diminuer la participation des plus aisés, des actionnaires, des grosses entreprises. Ils n’hésiteront peut-être pas à proposer, comme le ministre Bruno Le Maire le fait régulièrement, des économies sur notre protection sociale, nos régimes de retraite ou d’assurance chômage ou, qui sait, une augmentation de TVA pour tous, aucun économiste sérieux ne s’en remettant comme vous à la seule croissance future.
En conclusion, je rappelle que Vincent Éblé, alors président de la commission des finances, avait regretté, dès le mois de septembre 2019, l’abandon de toute velléité de programmation à moyen terme de nos finances publiques. À l’époque, le Gouvernement avait justifié cet abandon par les incertitudes entourant la réforme des retraites.
Aujourd’hui, alors que la dette avoisine les 120 % du PIB, le ministre nous indique que la trajectoire et la situation de nos finances publiques nous obligent à une réflexion à moyen et long termes. De toute évidence, l’argument de la réforme des retraites a fait long feu… On ne peut que regretter que cette réflexion, que chacun appelle de ses vœux, s’ouvre au plus mauvais moment, dans l’urgence d’une situation de crise économique et sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° I-1069.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances pour 2021 (n° 137, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Éric Bocquet, pour la motion.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’heure est donc venue pour le Sénat d’examiner la question préalable que nous avons choisi de soumettre au débat.
Cette décision ne relève pas du rituel d’un opposant systématique. Elle n’est pas davantage une mesure dilatoire. Elle n’est pas non plus un pensum imposé à l’ensemble des collègues, alors que des journées de débats intenses nous attendent dans cet hémicycle. Elle n’est rien de tout cela.
Nous souhaitons proposer un moment pour essayer de prendre un peu de recul sur la situation économique, sociale et financière de notre pays. Les fins d’année relèvent toujours du marathon lors de l’examen du budget et nous laissent bien peu de temps pour mener des réflexions de fond. Cette tendance est renforcée par le présent exercice, compte tenu des conséquences lourdes de la pandémie, sur le plan économique bien sûr, mais aussi social. De ce point de vue, il y a urgence.
Une question préalable, c’est aussi du temps de débat pour le Parlement, alors que le Sénat demande à être écouté et respecté par un exécutif qui tend trop souvent à enjamber le nécessaire débat parlementaire.
Ce qui frappe, dans ce contexte inédit, c’est que les options fondamentales du Gouvernement ne sont nullement ébranlées par cette crise exceptionnelle. Vous vous entêtez ainsi, monsieur le ministre, à baisser les impôts. Le calendrier de baisse des impôts est maintenu. Il en va ainsi de l’impôt sur les sociétés, dont le taux atteindra 25 % en 2022.
De même, vous auriez dû faire le bilan des choix fiscaux initiaux du quinquennat. Contrairement à ce que vous prétendez, la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) n’a pas relancé l’investissement. Les 20 000 foyers les plus aisés ont vu leurs dividendes croître de plus de 100 000 euros. Cette réforme a accru la propension des ménages aisés à acquérir des titres en Bourse défiscalisés, sources de dividendes croissants sous-imposés. Un rapport récent confirme que les placements financiers des ménages les plus aisés sont passés de 45 milliards à 143 milliards d’euros entre 2017 et 2018. Les 1 500 premières fortunes de France ont chacune bénéficié d’une hausse des dividendes supérieure à 1 million d’euros.
Vous comptiez sur le ruissellement. Nous en attendons encore les premières gouttes !
Vous nous expliquez que cette suppression a permis le retour en France d’exilés fiscaux. La différence entre les départs et les retours montre un solde positif de 77 personnes. Rappelons, à cet instant, que le nombre de foyers fiscaux assujettis à l’ISF, en son temps, était de 358 000. Vous n’avez pas mis fin au séparatisme fiscal !
Dans le même temps, nous pourrions évoquer la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, la flat tax, véritable bombe à retardement pour les finances publiques. L’écart de 15 points entre la taxation des salaires et celle des dividendes coûtera, à terme, 10 milliards d’euros par an, du fait des stratégies d’optimisation fiscale mises en place.
Trois années plus tard, il convient d’établir un état des lieux de la société française. Des rapports successifs mettent régulièrement en évidence l’aggravation spectaculaire des inégalités dans notre pays. L’édition du journal Le Monde datée de ce lundi 16 novembre titrait : « La crise sanitaire a exacerbé les inégalités de revenus ». Elle évoquait, en même temps, « un plan de relance peu adapté au “choc covid” ».
La France comptera, en cette fin d’année, 1 million de pauvres en plus, alors que le taux de pauvreté s’était déjà établi à 14,8 % de la population en 2018. De l’autre côté du spectre, la fortune des milliardaires français a augmenté de 439 % en dix ans, passant de 82 milliards de dollars en 2009 à 442 milliards en 2020, indépendamment du covid.
La fracture sociale dénoncée un temps ne fait que s’aggraver. Banques alimentaires, Secours catholique, Secours populaire, Restos du cœur voient arriver dans leurs permanences des milliers de nouvelles familles. Le nombre de demandeurs du revenu de solidarité active (RSA) dans les départements explose, parfois jusqu’à 40 %. Soyez bien conscients que l’urgence sociale est là !
Pandémie et confinement déstabilisent notre tissu commercial de proximité. Dans nos quartiers et nos communes, nous en faisons tous le constat. Pendant la même période, le e-commerce tire profit de la situation. La grande distribution, les compagnies d’assurances devraient contribuer fortement et davantage à la solidarité nationale. La situation de certains opérateurs du numérique, qui bénéficient des conditions d’une concurrence fiscale scandaleuse, nourrie par le Luxembourg, au cœur même de l’Union européenne, est carrément inacceptable.
Monsieur le ministre, vous refusez de taxer les hauts salaires et les dividendes et vous faites le choix d’avoir recours aux marchés financiers privés pour financer le budget. Ce faisant, vous choisissez la dette. Dans une réunion préparatoire de la commission des finances, notre rapporteur général, Jean-François Husson, faisait ce constat terrible, qu’il vient de rappeler : l’État français se finance désormais autant par l’endettement que par l’impôt.
Nous nous retrouvons de plus en plus sous la tutelle de ces marchés financiers qui dictent leur choix et qui exigent, avec l’Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE), le Fonds monétaire international (FMI), la Cour des comptes, des réformes structurelles. C’est au nom de la dette que l’on impose à nos concitoyens la réduction de la dépense publique, les privatisations, la dérégulation et l’affaiblissement de l’État.
La dette des États s’appelle « dette souveraine », mais on n’est pas souverain quand on dépend des marchés financiers ! Un pays est souverain quand le Parlement vote l’impôt, un impôt progressif, équitable et auquel, bien sûr, personne ne se soustrait. La « dette souveraine » est un oxymore ! C’est le « jeune vieillard » du Malade imaginaire de Molière. (M. Bruno Sido s’esclaffe.)
Ce débat sur la dette publique, il faudra bien que nous l’ayons un jour.
M. Philippe Dallier. Ça, c’est sûr !
M. Éric Bocquet. Il nous faudra sortir du catastrophisme systématique, sans stigmatiser nos concitoyens qui seraient coupables de vivre au-dessus de leurs moyens et d’endetter leurs descendants, en toute irresponsabilité. Dans l’Antiquité, on pouvait être condamné à l’esclavage pour dette.
Il faudra bien sûr que l’État retrouve sa pleine souveraineté budgétaire, sa liberté, en imaginant d’autres moyens que le recours au marché privé pour assurer son financement. Non, l’État n’est pas le parasite proliférant au détriment de l’économie privée que l’on nous décrit si volontiers. S’il n’est pas seul à créer la croissance, il en est, du moins, l’un des paramètres essentiels.
Depuis le printemps dernier, pas moins de 460 milliards d’euros d’aides en argent public ont été mobilisés sous diverses formes. Vous avez fait le choix de n’introduire aucun principe de conditionnalité à l’égard du monde économique, au nom de l’urgence, mais l’urgence n’est pas de revenir mécaniquement au monde d’avant. Cette crise bouscule, interroge. Le Président de la République, dans son intervention du 13 avril dernier, avait eu ces mots : « Sachons […] nous réinventer » et « bâtir un autre projet. » Précédemment, il avait déclaré : « Le jour d’après […] ne sera pas un retour au jour d’avant », ou encore : « Il nous faudra … interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies. »
Nous ne retrouvons pas ces belles envolées dans le projet de loi de finances qui nous est soumis : ce budget s’inscrit dans une continuité néolibérale qui ne répondra pas aux exigences de justice sociale.
Le PLF se limite à la politique de l’offre et néglige fortement la demande. On n’y trouve rien sur les salaires, rien de significatif sur le pouvoir d’achat des ménages, si ce n’est quelques mesurettes, ici et là, sur la pauvreté. Franchement, le compte n’y est pas du tout. Une relance de l’offre dans un contexte de demande durablement anémiée, de gains de productivité inexistants, de taux historiquement faibles et de financiarisation n’a pas beaucoup de sens. Comment croire que ce budget est un budget de relance ? Les chiffres présentés sont sans ambiguïté : le volume des dépenses publiques recule sur un an.
M. Le Maire s’est aussi félicité que le Gouvernement ne crée pas d’emplois publics. Or la pandémie a mis en évidence de manière très criante les immenses besoins dans nos hôpitaux publics, par exemple. En 2021, il y aura même une légère réduction nette d’emplois publics, avec 157 postes en moins. Certes, la communication autour des 100 milliards d’euros a été abondante depuis le mois de septembre, mais l’examen minutieux des dispositions budgétaires montre qu’il faut singulièrement nuancer ce chiffre.
Quant aux 40 milliards d’euros de l’Union européenne, tout nous conduit à la plus grande prudence. Les 10 milliards d’euros de baisse des impôts de production viendront impacter fortement les budgets des collectivités bénéficiaires, alors que les collectivités ont elles aussi été en première ligne pour faire face à la pandémie ces derniers mois et restent encore, dans notre pays, un levier essentiel de la relance économique, elles qui représentent plus de 70 % de l’investissement public. Faites confiance aux territoires et appuyez-vous sur eux, au lieu de les considérer systématiquement comme une variable d’ajustement budgétaire !
Ce budget est donc un budget de continuité de la politique menée par M. Macron depuis le début de son quinquennat en 2017. Vous vous cramponnez à vos choix fondamentaux, lesquels ont des conséquences sociales graves, ainsi que nous l’avons illustré. S’installe, dans le pays, un climat qui devrait tous nous interpeller. L’inquiétude quant à l’avenir grandit et la confiance recule.
Oui, il faudrait demander un effort aux très hauts revenus. Il ne s’agit pas de punir qui que ce soit : il s’agit simplement d’essayer de construire des normes de justice acceptables pour le plus grand nombre. Au printemps, le Gouvernement disait que personne ne paierait, que l’on augmenterait l’endettement, mais qu’il n’était pas nécessaire de demander des efforts supplémentaires aux plus riches. Aujourd’hui, le discours n’est plus du tout le même : on nous dit qu’il va falloir payer cette dette.
Oui, il y a urgence à aller vers un système de plus grande justice fiscale. Ces débats ont lieu partout dans le monde. Il ne s’agit pas d’un tropisme français. Les mêmes questions se sont posées durant la campagne électorale américaine. Elles se posent au Royaume-Uni ou encore en Belgique.
Telles sont, mes chers collègues, les raisons qui nous ont amenés à déposer cette question préalable. Il nous paraît indispensable d’échanger avant d’entrer dans la mécanique du PLF. À situation exceptionnelle, décisions exceptionnelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, contre la motion. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai d’autant plus bref que je suis absolument persuadé que, en leur for intérieur, nos collègues communistes n’ont absolument pas envie que nous votions cette question préalable. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Julien Bargeton. En effet !
M. Philippe Dallier. Chers collègues, vous vouliez dix minutes de temps de parole supplémentaires : vous les avez eues ! Pourtant dans cet hémicycle, personne n’est jamais privé de temps de parole… (Si ! sur les travées du groupe CRCE.)
Cela dit, sur le fond et plus sérieusement, ce PLF, c’est le plan de relance, ce plan de relance dont on parle depuis l’examen, au mois de mars dernier, du premier projet de loi de finances rectificative. Le Gouvernement nous avait dit qu’il serait pour juin. On nous avait dit, ensuite, qu’il serait pour juillet. Puis on a parlé de septembre… Nous sommes à la fin du mois de novembre. Le pays a donc perdu entre six et huit mois sur ce plan de relance, comme M. le rapporteur général l’a dit. Nous le regrettons tous.
Dans ces conditions, le mieux que nous ayons à faire est, je crois, d’engager la discussion. Nous avons tous des choses à dire dans la discussion générale. Surtout, nous avons des propositions à faire, car, une chose est certaine, le pays ne peut pas se permettre d’aborder l’année 2021 sans que nous votions des mesures fortes pour relancer l’activité. Je pense que nous pouvons tous être d’accord sur ce point. Le mieux que nous ayons à faire est donc de passer à la suite. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je veux d’abord remercier nos camarades (Rires sur les travées des groupes CRCE et SER.) de ces dix minutes de temps de parole supplémentaires qu’ils se sont accordées. C’est un procédé intelligent.
Mme Cécile Cukierman. C’est le règlement qui le permet !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cher collègue Éric Bocquet, j’ai bien entendu le regret que vous formuliez sur la manière dont le Gouvernement « enjambe » le Sénat dans la discussion parlementaire.
Je redis avec gravité que, dans ces circonstances inédites, l’attention aux propos, au dialogue, au choix des partenaires doit être irréprochable, monsieur le ministre, même si vous n’êtes que le messager. De ce point de vue, je reprends à mon compte le regret exprimé par M. Bocquet.
Pour ce qui concerne la trop grande part qui serait donnée aux entreprises à travers la baisse des impôts de production, il faut faire attention à ne pas se tromper de combat ni d’adversaire en ces temps difficiles. Nous sommes tous ici attentifs aux difficultés et au risque de déprime qui touchent aujourd’hui les commerçants, les indépendants, les petites entreprises. Le développement de ces acteurs, dans l’exercice de leur métier, et de leurs outils de production n’est permis que par les entreprises qui structurent la vie économique de notre pays à grande échelle.
Pour garder des capacités de production, pour éviter des pertes d’emplois, nous avons évidemment besoin de soutenir les entreprises. De ce point de vue, le Gouvernement a pris sa part. Vous savez – il suffit pour s’en convaincre de regarder les chiffres très objectivement – que les entreprises de France subissent une charge fiscale tout à fait exceptionnelle – on pourrait même parler de « fardeau » –, puisqu’elles sont victimes du taux d’imposition le plus fort d’Europe.
Il faut donc, mes chers collègues, faire en sorte de retrouver des marges de manœuvre pour permettre aux entreprises de toutes tailles de conserver les emplois, aujourd’hui menacés à la fois par la crise et par la répétition des périodes de confinement.
Enfin, comme Philippe Dallier l’a très bien dit, nous ne voulons pas que la discussion s’arrête. Non seulement nous nous tirerions une balle dans le pied, mais on ne comprendrait pas que les sénateurs, qui regrettent de ne pas être considérés par le Gouvernement, n’aient rien à dire, refusent le débat, ne cherchent pas à amender ce budget ni à faire entendre la voix des territoires.
Nous faisons, au contraire, le choix de porter la voix des élus de la France qui souhaitent, à leur manière, participer au redressement. Je sais que vous allez démontrer très rapidement que vous prendrez toute votre part à cette démarche.
Pour cette raison, la commission émet un avis défavorable sur cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Vincent Capo-Canellas et Emmanuel Capus applaudissent également.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. L’exercice qui consiste, pour le Gouvernement, à donner un avis sur une motion qui vise à rejeter le texte qu’il présente est toujours particulier. Par définition, l’avis est défavorable.
Je saisis cependant l’occasion pour faire trois remarques à l’intention de M. le sénateur Bocquet.
Premièrement, sur la question de la dette, que vous avez évoquée à la fin de votre propos, le Gouvernement défend effectivement le principe que la dette doit être remboursée. Cette position est parfois remise en cause – pas forcément, du reste, par des membres de votre groupe.
Nous savons que le mode de financement de l’État nous amène essentiellement à rembourser des intérêts et à renouveler le capital de la dette, d’où l’importance des taux d’intérêt, mais nous restons convaincus que la solvabilité et la crédibilité de l’État passent par son engagement et sa capacité à faire face à ses échéances et à rembourser. En cela, nous nous distinguons très nettement de celles et de ceux qui considèrent que la dette pourrait être perpétuelle – cela s’appelle une rente de situation ad vitam aeternam pour le système bancaire –, voire qu’elle serait effaçable, ce qui serait pire.
J’ai toujours considéré – pardonnez cette familiarité – qu’il est assez peu probable que votre voisin accepte de vous prêter de l’argent si vous commencez par vous engager à ne pas le rembourser !