M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Max Brisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’école, ce sont d’abord des élèves : c’est pour eux que nous débattons ce matin à grand renfort de chiffres et de prévisions. Mais l’école, ce sont aussi des professeurs, et je suis de ceux qui pensent qu’il n’y a pas d’école de la confiance sans professeurs en confiance.
Permettez donc au professeur que je reste de rappeler dans cet hémicycle la réalité de ce que vivent les enseignants, réalité, qui, je le crois, nous aidera à comprendre l’urgence de renouer un pacte de confiance entre les professeurs, l’école et la société.
Je ne peux m’empêcher ce matin, en évoquant des professeurs, de penser à Samuel Paty. Il s’inscrivait dans une longue lignée, nous rappelant que notre école fut fondée pour partie par des professeurs, au point que l’on a pu parler, voilà cent ans, de « la République des professeurs », âge d’or mythifié durant lequel ils auraient bénéficié d’un prestige et d’une autorité incontestée.
Ce temps, bien sûr, n’a jamais existé. Les maîtres ont toujours eu des raisons de se plaindre de leur condition au sein de la société.
Aujourd’hui, les craintes d’entrer dans la carrière, le découragement des plus jeunes expédiés comme des Marie-Louise dans les territoires les plus difficiles, la lassitude des plus chevronnés, témoignent de la perte d’attractivité d’un métier exceptionnel.
Des signes d’espérance apparaissent. Le professeur que l’on pensait condamné par l’ordinateur retrouve sa place et l’école à distance nous rappelle ce que disait déjà Jules Ferry en 1879 : « Celui qui est maître du livre est maître de l’éducation. »
Enseigner est un métier exigeant qui nécessite appétence, compétences et formation. Voilà ce que de nombreux parents ont découvert, ou redécouvert, lors du premier confinement.
De plus, le professeur est en première ligne dans les territoires où chaque jour se livre un combat pour la laïcité, pour l’égalité entre les femmes et les hommes, pour la raison face à l’obscurantisme et au complotisme.
Monsieur le ministre, ce pacte de confiance nécessite à l’évidence un rattrapage en termes de rémunérations, de conditions de travail, d’humanisation et d’individualisation des carrières. Le Grenelle de l’éducation doit apporter des réponses précises à ces questions. Les tensions apparues cette semaine et les claquages de portes enregistrés voilà trois jours ne nous rassurent pas.
Certes, la hausse des crédits, notamment ceux qui sont affectés à la revalorisation des traitements, la création d’une dotation d’équipement informatique, l’instauration d’une prime d’attractivité de début de carrière, sont de bonnes mesures.
Cependant, l’effort devra être mené dans la durée et ne pourra pas se cantonner à des avancées matérielles. Comme les hussards noirs de la IIIe République, les professeurs du XXIe siècle doivent être armés philosophiquement pour combattre ceux qui veulent abattre la République. Ils doivent également être armés intellectuellement pour lutter contre les théories complotistes et les infox propagées sur la toile et pour former des citoyens éclairés par la raison.
Les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) seront-ils à la hauteur du défi, comme le furent les écoles normales de la IIIe République ? La formation continue des professeurs sera-t-elle érigée en impérieuse nécessité par un ministère qui la considère depuis si longtemps comme une variable d’ajustement ?
J’en suis sincèrement convaincu : l’une des clés de la réussite de l’école passe par la refondation de la formation des maîtres, dans une société où le savoir n’est plus placé sur un piédestal, où l’autorité du sachant est contestée, où la parole des experts autoproclamés prime sur celle du maître.
Les jeunes professeurs doivent se préparer à évoluer dans un écosystème où ils devront chaque jour imposer la légitimité de leurs fonctions. Y sont-ils aujourd’hui préparés ? Je ne le crois pas.
Toutefois, si la société doit réinvestir les professeurs de sa confiance, il convient aussi que l’école apaise les inquiétudes de la société en garantissant la maîtrise de l’écriture et l’acquisition des compétences élémentaires pour tous les élèves. Si des efforts ont été accomplis en ce sens – ce que l’on ne peut nier –, la Nation devra, en retour, agir en faveur de l’école.
Le Président de la République, citant Ferdinand Buisson, rappelait que la vocation fondamentale des professeurs était de faire des républicains. Or le philosophe insistait régulièrement sur le caractère toujours inachevé du processus de construction républicaine. Cet hommage à la modernité inaliénable du rôle et du métier de professeur reste d’actualité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous constatons de manière factuelle une hausse substantielle du premier budget de l’État, hors remboursement et dégrèvements, avec 1,9 milliard d’euros de crédits supplémentaires inscrits dans le projet de loi de finances pour 2021. Ils permettront d’accompagner un certain nombre de mesures volontaristes, ce dont nous pouvons nous féliciter.
S’il ne fallait retenir qu’un seul marqueur de ce budget, je citerais l’effort à destination du service public de l’école inclusive, qui est désormais doté d’un peu plus de 2 milliards d’euros. Je connais trop la détresse des familles qui ne peuvent pas scolariser leur enfant par manque d’un accompagnement à l’école pour ne pas insister sur cette action.
La création de 8 000 postes d’AESH dès la rentrée 2020 et de 4 000 autres à la rentrée 2021 est un signal fort envoyé aux 380 000 élèves concernés. Toutefois, au-delà de ce satisfecit quantitatif, la revalorisation salariale de ce métier me semble absolument indispensable.
Je partage également la conviction qu’il faut donner la priorité à l’enseignement du premier degré, tant il conditionne l’acquisition des savoirs fondamentaux. Rappelons qu’à l’entrée en sixième un élève sur cinq ne sait pas lire, écrire ou compter correctement, de l’avis même du directeur de l’enseignement scolaire. La limitation des effectifs dans toutes les classes de grande section de maternelle, puis en CP et en CE1, contribuera à améliorer les conditions d’apprentissage.
Par ailleurs, le programme de dédoublement des classes de CP et CE1 en REP et REP+ arrive quasiment à son terme, alors que la Cour des comptes persiste à pointer l’inefficacité de l’éducation prioritaire sous sa forme actuelle. L’annonce discrète d’une expérimentation qui pourrait préfigurer une prochaine réforme montre bien la délicatesse d’un chantier que l’exécutif prend soin de reporter au-delà de 2023.
Monsieur le ministre, nous avons pu apprécier votre sens de l’écoute, au cœur du premier confinement, lorsque vous avez accepté de geler toute fermeture de classes en milieu rural sans l’accord du maire, comme un certain nombre d’entre nous le demandaient. Cependant, nous n’avons aucune garantie que cette mesure qui concerne 1 800 ETP ne sera pas remise en cause dans les prochains mois.
Par ailleurs, des motifs d’inquiétude subsistent dans ce budget.
Au-delà des problèmes d’organisation que l’instruction obligatoire dès l’âge de 3 ans peut poser aux communes, le projet de loi de finances prévoit la compensation financière du coût de la mesure à hauteur de 100 millions d’euros.
Cependant, l’abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire à 3 ans porte atteinte à la liberté qu’ont les familles de choisir pour leurs enfants, notamment les plus petits, l’instruction qu’elles souhaitent, conformément à la loi Jules Ferry de 1882.
Le Gouvernement entend mettre tout le monde au pas, au motif qu’il faut éviter une dérive potentielle isolée et la montée de l’extrémisme religieux. Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen du projet de loi sur la défense des valeurs républicaines, mais je tenais d’ores et déjà à exprimer mes profondes réserves sur cette mesure.
M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. Absolument !
M. Stéphane Piednoir. L’anticipation de la décrue démographique dans l’enseignement secondaire se traduit par la suppression de 1 800 postes et par une utilisation décomplexée des heures supplémentaires d’enseignement, visant à compenser les absences et les déficits du recrutement dans certaines disciplines.
La crise sanitaire a mis les enseignants à rude épreuve depuis le printemps dernier et je tiens à saluer le dévouement et le professionnalisme sans faille de la grande majorité d’entre eux. Ces derniers mois ont toutefois montré les limites du numérique dans les domaines pédagogique et administratif. Une fracture en matière d’équipement et d’usages se constate, qu’il faudra traiter avec pragmatisme.
Enfin, l’instauration d’une prime pour revaloriser le métier d’enseignant, d’un montant oscillant entre 36 euros et 100 euros par mois selon l’échelon, ne peut constituer qu’un dispositif par définition fragile. Je ne crois pas que cette politique des petits pas pourra produire un quelconque effet ni venir enrayer la baisse d’attractivité de ce si beau métier. Rappelons qu’un certifié, recruté à bac +5, gagne 1 550 euros après deux ans d’ancienneté. Même si les fonctions peuvent évoluer, la grille indiciaire reste faible.
Si l’éducation est la plus belle manière d’investir dans notre jeunesse et dans notre avenir, donnons-nous les moyens d’attirer les talents dont les élèves ont besoin !
Pour toutes ces raisons et sous les réserves qu’exprimeront nos collègues rapporteurs, le groupe Les Républicains votera les crédits de la mission « Enseignement scolaire ». (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Fabien Genet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec humilité et émotion que j’interviens pour la première fois à la tribune du Sénat, comme nouveau sénateur de Saône-et-Loire.
Élu de Digoin, dans le Charolais, il me tient à cœur de défendre le programme 143, « Enseignement technique agricole », qui représente un enjeu crucial pour l’avenir de l’agriculture et de nos territoires ruraux.
Je suis allé rencontrer la direction et les élèves des établissements agricoles de mon département, à Fontaines, Tournus, Davayé, Anzy-le-Duc ou Étang-sur-Arroux, commune que vous connaissez bien, monsieur le ministre, pour y avoir accompagné le déplacement du Président de la République.
Le directeur de l’un de ces établissements m’a rapporté qu’au moment d’inscrire leur enfant en bac pro les parents avaient souvent la même réaction : « Nous n’avons pas réussi à le démotiver, alors nous venons l’inscrire dans votre établissement. » Comment mieux témoigner de la méconnaissance du grand public au sujet de la qualité des formations agricoles et des opportunités d’emplois qu’elles offrent ?
Cette réaction, que l’on retrouve même dans des familles d’agriculteurs, traduit aussi le malaise paysan que notre société laisse s’installer dans le pays, quand elle ne le provoque pas.
Comment nier, en effet, que certains parents issus du milieu de l’agriculture tentent de dissuader leurs propres enfants d’embrasser la profession qu’ils exercent, tant elle est maltraitée, victime de l’agribashing et des suspicions les plus injustes et les plus illégitimes ? Blessé par les crises conjoncturelles, ce métier exigeant qui consiste à nourrir les autres, peine à nourrir celui qui l’exerce. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Malgré ce contexte très sombre, certains jeunes restent motivés et font confiance à l’enseignement agricole pour réaliser leur rêve professionnel. Lors de mes visites, j’ai pu lire dans les yeux de ces jeunes la passion des animaux et l’amour de la nature, leur envie d’apprendre et de travailler. Ils m’ont dit combien ils appréciaient la possibilité d’une formation en alternance ou en apprentissage, mieux adaptée à leur situation.
J’ai également entendu les équipes de formateurs, de moniteurs et de professeurs, tous dévoués à leurs élèves. J’ai mesuré l’engagement des directeurs : tous passionnés par leur tâche, ils affrontent avec courage les difficultés de recrutement et de gestion liées à la crise du covid.
Malheureusement, monsieur le ministre, nous ne retrouvons ni cette motivation, ni cet engagement, ni cette passion dans ce budget. C’est un budget aussi aride que la terre, l’été dernier, après la sécheresse. Certes, la petite hausse de crédits qui permet de renforcer l’école inclusive et l’aide sociale aux élèves est une bonne chose. Malgré cela, les crédits ne sont pas à la hauteur des enjeux et de la situation, quand les établissements sont contraints d’épuiser leurs réserves, voire de recourir à des lignes de trésorerie pour payer les salaires.
Mme la rapporteure pour avis a très bien décrit la crise existentielle que traverse l’enseignement agricole. La gestion uniquement comptable et le rationnement des moyens imposé par Bercy, avec encore 80 nouveaux ETP perdus cette année, freinent l’ouverture de nouvelles formations, ce qui empêche des jeunes, souvent issus de classes populaires, de poursuivre des études supérieures. De nombreux projets post-bac sont ainsi bloqués, faute de moyens.
Bien plus, ce budget n’est pas à la hauteur de l’ambition agricole qui devrait être celle de notre pays. La France doit soutenir la nouvelle génération d’agriculteurs dans sa volonté d’innover, de faire évoluer les productions et de prendre en compte les enjeux environnementaux. C’est pourquoi le programme 143 devra être beaucoup plus ambitieux.
Comme le constatait Alphonse de Lamartine, illustre Saône-et-Loirien (Sourires), dans son discours devant la Société d’agriculture de Mâcon, en 1839 : « Ce n’est pas seulement du blé qui sort de la terre labourée, c’est une civilisation tout entière. »
Prenons garde, monsieur le ministre, que la broyeuse de Bercy ne vienne faucher le blé encore vert et n’ensevelisse dans son sillon les espoirs de l’enseignement agricole, qu’elle n’enterre la vocation agricole de notre pays et n’enfouisse pour longtemps l’espérance de voir notre agriculture relever les défis du futur. C’est alors toute la société qui y perdrait. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, comme certains d’entre vous l’ont fait, je commencerai par exprimer une nouvelle fois mon soutien et ma reconnaissance à l’ensemble de la communauté éducative, quel que soit le niveau où les responsabilités s’exercent.
L’année 2020, qui n’est pas encore achevée, a été particulièrement éprouvante pour l’école, en France et dans le monde entier. Les risques scolaires liés à la pandémie et au confinement, qu’ils soient humains ou géopolitiques, sont considérables et ne doivent pas être minimisés : des millions d’enfants ont été déscolarisés pendant des mois dans le monde et certains ne retourneront plus à l’école.
Dans cette situation mondiale dont la durée et les conséquences sont inquiétantes, la France a réussi quelque chose, grâce à ses professeurs et à ses personnels et grâce aussi à la foi que la société française place dans l’école, foi que vous avez les uns et les autres rappelée et qui doit nous porter à l’optimisme. Oui, dans ces moments difficiles, le professeur se trouve au centre de la société. Certains d’entre vous l’ont souligné : la civilisation numérique n’abolit pas le professeur ; au contraire, cette crise a réaffirmé à quel point il était nécessaire. En effet, dans leur immense majorité, les professeurs ont été au rendez-vous.
M. Max Brisson. Oui !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Ils l’ont été non seulement aux mois de mars et avril derniers, lorsqu’a été mis en place l’enseignement à distance, aux mois de mai et juin derniers, au moment du déconfinement, mais aussi au mois de septembre, quand tous les élèves et tous les professeurs – j’insiste sur ce point – ont fait leur rentrée.
Nombreux sont les ministres de l’éducation nationale dans le monde qui aimeraient parvenir à ce constat. Plus nombreux encore sont ceux qui seraient heureux de pouvoir dire que tous les élèves et tous les professeurs sont désormais présents à l’école.
En France, cette situation constitue un acquis grâce à une trajectoire historique qui place l’école au centre de la République, mais aussi à la conscience professionnelle de tous les personnels de l’éducation nationale.
Je tiens à le rappeler à cette tribune, car il s’agit là d’une source d’optimisme et de confiance à l’origine de cette réussite collective. En témoigne le taux national de décrochage des élèves en 2020, qui a été inférieur à celui de 2019, malgré ceux que le système a perdus de vue aux mois de mai et juin derniers.
La politique contre le décrochage des élèves s’inscrit dans la durée. Menée sous trois quinquennats successifs, elle a d’abord consisté à repérer les élèves en difficulté. Elle s’approfondit désormais en prévoyant l’obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans, que nous prenons en compte dans ce budget.
Si l’on considère que les individus et les systèmes se révèlent à l’occasion d’une crise, celle que nous traversons montre bien que l’école de la République française est solide et que la société peut être fière de ses professeurs.
Dans ce contexte, le Grenelle de l’éducation paraît encore plus pertinent, lui qui a pour objet de renouer le contrat de confiance entre les professeurs, l’école et la société, répondant ainsi au vœu de M. Brisson.
Ce budget donne un avant-goût de la stratégie qui en ressortira, puisque non seulement il revalorise la rémunération des professeurs et des personnels de l’éducation nationale, mais il lui donne du sens et ouvre des perspectives significatives. Ainsi, d’aucuns l’ont souligné, la prime informatique ne vise pas qu’un début d’amélioration du pouvoir d’achat des enseignants ; elle est aussi un signal qui marque l’importance accordée à la compétence numérique et au rôle que le professeur doit tenir dans la transmission des savoirs indispensables à l’exercice de cette compétence.
Les stratégies de crise que nous avons adoptées pour faire face à l’épidémie ont donné lieu à des critiques, notamment sur les protocoles sanitaires trop stricts au moment du déconfinement – j’en ai repéré quelques traces fossiles dans certaines interventions (Sourires) –, sur la rentrée de septembre dont certains estimaient qu’elle n’aurait pas dû avoir lieu ou bien encore sur le retour des vacances de la Toussaint qui aurait dû être différé.
Pourtant, il n’est qu’à voir où nous en sommes : en plus d’avoir réussi à traverser la crise, nous préparons désormais l’avenir, grâce à ce budget et à la vision pluriannuelle qui découlera du Grenelle de l’éducation, lequel s’achèvera à la fin du mois de janvier prochain. La représentation nationale – en particulier vous que le sujet intéresse particulièrement, mesdames, messieurs les sénateurs – aura tout loisir d’y participer. Vos travaux, notamment les rapports d’information, nourrissent déjà les réflexions en cours et je vous invite à les enrichir grâce aux expériences auxquelles vous êtes chaque jour confrontés sur le terrain.
Le remaniement du Gouvernement, au mois de juillet dernier, a été l’occasion d’élargir le ministère de l’éducation nationale. Dans une volonté de synergie, il est devenu le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Je suis très heureux de travailler désormais avec Mme Roxana Maracineanu, ministre déléguée chargée des sports, Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de la jeunesse et de l’engagement, et Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État chargée de l’éducation prioritaire – à ce titre, la création d’une telle fonction, qui est inédite, a une portée significative.
Entre le ministère des sports et celui de l’éducation nationale, la dynamique est ancienne et durable : rappelons que leurs inspections générales ont fusionné depuis déjà deux ans. Dès le mois de janvier prochain, une nouvelle organisation territoriale de l’État élargira le champ d’action des recteurs en y incluant la jeunesse et les sports. Tout cela va de pair avec le budget qui vous est présenté, mesdames, messieurs les sénateurs.
En effet, à quatre ans des jeux Olympiques, l’objectif d’un « esprit sain dans un corps sain » doit tous nous mobiliser. Des progrès restent à accomplir pour développer cette stratégie à destination de l’ensemble des élèves dans les domaines tant scolaire que périscolaire. Ces raisons font qu’il était important que la jeunesse, première de toutes les priorités, soit accolée à l’éducation nationale et au sport, dans la création d’un grand ministère.
Nous pourrons ainsi avoir une vision complète de l’enfant, au-delà du temps scolaire. Dans la fameuse Lettre aux instituteurs et institutrices, que nous avons relue récemment, Jaurès écrit que ce qui s’est fait pendant le temps scolaire peut se défaire après le temps scolaire. En créant un grand ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, nous privilégions une approche de l’enfant dans toutes ses temporalités. Elle nous permettra de considérer tous les enjeux, en particulier ceux de l’éducation prioritaire.
Nombreux parmi vous sont ceux qui ont insisté sur l’importance de transmettre aux élèves les valeurs républicaines. Je partage vos convictions sur cet enjeu. Nous devons relever ce défi : le drame de l’assassinat de Samuel Paty nous y oblige. Je tiens une nouvelle fois à rendre hommage à ce professeur qui a accompli son métier et rempli sa mission jusqu’à en périr. La mission de l’éducation nationale n’est pas seulement de transmettre des savoirs, elle doit aussi transmettre des valeurs, avec fermeté et sens éducatif. Tel est le sens des mesures que nous souhaitons mettre en œuvre et que je ne rappelle pas en cet instant.
Le budget de l’enseignement scolaire dont j’ai la responsabilité est le premier budget de la Nation. C’est bien normal et j’espère qu’il en sera ainsi, si vous me permettez l’expression, « pour les siècles des siècles ». (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) En effet, il n’y a pas de budget plus important pour un pays que celui de son avenir.
La priorité accordée à l’éducation par le Président de la République et le Gouvernement est non seulement intacte, mais surtout renforcée. Le Gouvernement vous présente un budget de consolidation et d’approfondissement de ces réformes. Il est aussi celui d’une nouvelle dynamique, celle du Grenelle de l’éducation, qui se concrétise dans l’enveloppe de 400 millions d’euros – première marche dans la revalorisation des rémunérations des personnels enseignants –, qui s’ajoute à l’augmentation naturelle du budget.
Je suis heureux que plusieurs d’entre vous souhaitent aller plus loin dans cette voie et j’espère que le projet de loi de programmation qui viendra consacrer la vision pluriannuelle de cette stratégie fera alors l’unanimité. (M. Max Brisson acquiesce.)
Le budget de la mission « Enseignement scolaire » pour 2021 s’établit à 53,6 milliards d’euros, hors cotisations aux pensions de l’État, soit une augmentation de plus de 3 %, avec 1,6 milliard d’euros supplémentaires. C’est deux fois plus que la trajectoire budgétaire qui a été initialement définie l’année dernière pour l’exercice 2021.
Par ailleurs, les emplois du ministère sont sanctuarisés pour la seconde année consécutive. M. Longuet a à juste titre rappelé l’importance de ne pas considérer uniquement la quantité des moyens budgétaires dégagés, mais aussi la qualité des priorités auxquelles on les affecte.
Je veux y insister, car cela répond à notre exigence : ce budget poursuit l’ambition exigeante et constante depuis 2017 de donner la priorité à l’école primaire. Ce quinquennat se caractérise par des augmentations budgétaires inédites au profit de ce secteur : plus de 6 milliards d’euros entre septembre 2017 et septembre 2021. L’objectif est non de saupoudrer les moyens, mais, de façon raisonnée, de les concentrer là où sont les besoins.
Chacun sait que le budget consacré à l’enseignement du premier degré a évolué avec retard. C’est pourquoi nous créons 2 039 postes supplémentaires, alors même que nous compterons 65 000 élèves de moins à la rentrée 2021. Comme l’a indiqué M. Longuet, cette baisse du nombre des élèves n’est pas une bonne nouvelle.
Je profite de l’occasion pour alerter sur l’enjeu démographique dont nous ne parlons pas assez.
M. Jérôme Bascher. À qui la faute ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. En effet, le rebond démographique est l’appui indispensable dont nous avons besoin pour construire une politique rurale qui consistera à enclencher un cercle vertueux, en développant notamment l’attractivité de l’école rurale. J’y reviendrai dans un instant.
Depuis 2017, nous avons créé plus de 7 000 postes dans l’enseignement du premier degré, alors que le nombre d’élèves a baissé de 200 000 durant la même période. Cet effort garantira, à la rentrée prochaine, un meilleur taux d’encadrement dans tous les départements de France, des plus ruraux aux plus urbains. Il permet aussi de mettre en œuvre une série de mesures de justice sociale, reposant sur la réduction du nombre d’élèves dans les classes.
Le dédoublement des classes de CP et CE1 en REP et REP+ concerne désormais 20 % d’une classe d’âge, soit 300 000 élèves par an. Cette année, nous étendons le dispositif aux grandes sections de maternelle des réseaux d’éducation prioritaires, soit 20 000 élèves supplémentaires. Nous poursuivrons cette croissance l’année prochaine.
Nous plafonnerons également à 24 élèves par classe les grandes sections de maternelle, les CP et CE1, dans tous les territoires. Ce mouvement, largement engagé, concerne déjà plus de la moitié des classes de l’école primaire. À la fin du quinquennat, l’objectif est que ce plafond s’applique à 100 % des classes.
L’accueil des élèves supplémentaires, en raison de l’abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire à 3 ans, est désormais réalisé. Nous souhaitons que tous les élèves de 3 ans soient accueillis dès la rentrée prochaine, sauf exception, notamment pour raison de santé.
Enfin, le plan de relance prévoit une série de bienfaits budgétaires pour la vie éducative, qui s’ajoutent au budget général, quand bien même ils n’apparaissent pas dans ce budget. Il s’agit par exemple d’appels d’offres pour l’équipement numérique des écoles, à hauteur de 71 millions d’euros. Certains d’entre vous ont rappelé combien l’enjeu était important, notamment dans les écoles rurales.
De même, à la suite des appels d’offres, nous consacrerons plus d’un milliard d’euros pour soutenir les collectivités locales dans leurs efforts de rénovation des bâtiments scolaires. Le plan de relance appuiera les mesures en faveur de la rénovation thermique et des équipements sportifs.
Une ligne est également inscrite dans le plan de relance pour le développement des internats d’excellence. Nous nous sommes fixé l’objectif d’un établissement par département. Vous connaissez l’intérêt social et territorial de ce dispositif.
Ce budget accompagne plus que jamais tous les élèves vers la réussite. Le volume d’enseignement du second degré public sera maintenu en 2021. Certes, 1 800 emplois sont redéployés, mais ils sont compensés par le recours aux heures supplémentaires d’enseignement. J’ai entendu les critiques qui ont été formulées à ce sujet. Cependant, notre objectif est de maintenir le taux d’encadrement des élèves, en gardant à l’esprit que la vague de baisse démographique constatée dans le premier degré fera effet dans le second degré à partir de l’année prochaine.
Nous devons donc investir dans l’enseignement du premier degré pour que les élèves arrivent dans le second degré avec un meilleur niveau. Voilà qui me semble une vision raisonnable. Les évaluations en classe de sixième montrent que nos efforts ont déjà porté cette année, malgré la crise épidémique. Si l’on constate des régressions de niveau en début d’école primaire, il n’y en a pas à la fin du cycle. Nous poursuivons cette politique, car il est indispensable que les élèves arrivent dans le secondaire en maîtrisant les savoirs fondamentaux.
Nous prévoyons que le taux d’encadrement dans le second degré s’améliore dans les années à venir par la démographie, ce qui explique notre volonté de cibler surtout le premier degré. Procéder au fil de l’eau aurait eu pour effet de surdoter le second degré et d’accentuer le déséquilibre.
Encore une fois, les raisons qualitatives doivent venir à l’appui des enjeux quantitatifs.
L’année 2021 sera aussi celle de l’aboutissement de la refonte du baccalauréat. M. le rapporteur spécial a souligné la logique de personnalisation du parcours des élèves que nous souhaitons privilégier. Nous donnons aussi aux lycées une plus grande autonomie pour qu’ils puissent opérer des choix pédagogiques quant à leurs enseignements de spécialité et à l’usage qu’ils font de leurs moyens.
Les effets de cette logique se mesurent aussi dans le contexte de l’épidémie, puisque, en fonction des choix qu’ont opérés les lycées, les classes sont plus ou moins hybrides et les usages du numérique différenciés.
Ce budget renforce aussi le soutien aux élèves les plus fragiles. Nous sommes fiers de l’école inclusive, conscients de tous les efforts qui ont été accomplis ces dernières années et de tout ce qu’il reste à faire, comme vous l’avez indiqué, mesdames, messieurs les sénateurs.
Le nombre d’élèves scolarisés en situation de handicap continue d’augmenter : ils seront 380 000 cette année, ce qui représente plus de 3,3 milliards d’euros par an et une augmentation de 250 millions d’euros par rapport à l’année dernière. C’est de très loin la plus forte hausse budgétaire dans ce projet de loi de finances, tous budgets confondus. Depuis 2017, les crédits consacrés à cette politique ont augmenté de 60 %.
En 2021, nous créerons 4 000 nouveaux postes d’AESH. J’insiste encore, comme nous le faisons régulièrement avec Sophie Cluzel, sur les enjeux qualitatifs à prendre en considération : de ce point de vue, la formation des AESH, leurs perspectives de carrière, la stabilisation à laquelle nous parvenons en matière de recrutement, sont importantes. Même s’il reste des marges de progrès – et je suis d’accord avec ce qui a été dit à la tribune à ce sujet –, il faut regarder la trajectoire que nous avons suivie.
Nous sommes également confrontés à un autre enjeu important, celui de l’accompagnement social des élèves : nous y répondons, d’abord au travers des bourses et des fonds sociaux, via une enveloppe de 860 millions d’euros, en hausse de 51 millions d’euros cette année, destinée à accompagner les familles les plus défavorisées. Ces crédits s’ajoutent à toute une série de mesures : je pense à l’augmentation de 100 euros de l’allocation de rentrée scolaire au mois de septembre dernier ou à ce que nous réalisons au titre des cités éducatives.
Je tiens aussi à rassurer – j’y reviendrai de manière plus précise au cours des débats – tous ceux qui ont exprimé leur inquiétude au sujet de l’éducation prioritaire. Dans le cadre du Grenelle de l’éducation, il n’y aura que du mieux ! Oui, il faut renouveler cette politique d’éducation prioritaire pour la rendre plus efficace, mais ce changement ne doit justement pas entraîner de régression là où elle est déjà mise en œuvre.
S’il faut rassurer les acteurs de cette politique, nous devons en revanche en transformer la logique et le faire dans l’intérêt de tous, c’est-à-dire des professeurs et des personnels, mais aussi de nos élèves : l’objectif, je le répète, est d’être plus efficace, comme c’est le cas avec le dédoublement des classes de CP et de CE1 en réseau d’éducation prioritaire.
Globalement, la masse salariale augmentera aussi très nettement, conformément à notre politique de revalorisation et d’attractivité des carrières : ce sont en définitive 950 millions d’euros – car il n’y a pas que les 400 millions d’euros dont j’ai déjà parlé – qui bénéficieront directement aux personnels du ministère et à la revalorisation de leur carrière.
En conclusion, je dirai que ce budget de l’enseignement scolaire est constant dans ses lignes directrices. Ses priorités sont les mêmes, année après année, ce qui traduit une vision sur le long terme.
Ce budget prépare également une stratégie de plus long terme, qui se concrétisera dans la loi de programmation dont je vous ai rappelé les principes : je pense que l’on pourrait faire preuve d’unité nationale sur ce sujet, parce que l’éducation est un sujet d’intérêt général et de long terme, dont on voit bien, à écouter vos différentes interventions, qu’il nous rassemble sur les valeurs essentielles de la République. Bien sûr, des désaccords peuvent surgir sur tel ou tel sujet – c’est bien normal –, mais pas sur l’essentiel : notre but à tous est évidemment l’élévation du niveau de chaque enfant et l’élévation du niveau de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)