Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le ministre, à la découverte de ce budget, j’ai d’abord cru à une provocation. Je vous revois à la même place, voilà quelques semaines, lors de l’examen du texte sur les néonicotinoïdes, vanter les mérites de la recherche agricole, seule solution à vos yeux pour trouver des alternatives rapides à ces pesticides.
Or vous êtes ici aujourd’hui pour justifier devant notre assemblée la baisse des moyens de recherche des instituts techniques. Si la recherche appliquée est la solution, il est étonnant d’en réduire le financement. C’est contradictoire !
Nous devons reconnaître que ce grand écart idéologique ne doit pas être confortable pour vous. Sachez qu’il est très problématique pour nos campagnes.
Les dépenses du Casdar permettent d’affecter les cotisations des agriculteurs au financement de la recherche agricole appliquée. C’est un système particulièrement vertueux, auquel nous sommes très attachés. Aucun argument technique n’est recevable : la réduction du plafond, même en cas de baisse de l’activité agricole, n’est pas inéluctable. Entre 2014 et 2017, le ministère de l’agriculture maintenait un plafond très au-dessus du niveau des recettes. Vous auriez pu, de la même manière, flécher les dépenses du budget général vers le Casdar, afin de sanctuariser les dépenses de recherche.
L’article 21 de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, le permet. C’est pourquoi nous défendrons un amendement en ce sens.
Finalement, la baisse de 10 milliards d’euros du Casdar est une manière d’imposer une économie aux chambres d’agriculture et aux instituts techniques. Elle va cependant bien au-delà de ce problème budgétaire. C’est à mon sens une erreur stratégique, particulièrement problématique.
Erreur stratégique, car ce plafond ne sera pas augmenté l’année prochaine, même en cas de reprise de l’activité. Je le rappelle, l’État a l’habitude de se servir du Casdar : en 2019 et 2020, respectivement 7 millions d’euros et 4 millions d’euros n’avaient pu être engagés, les recettes excédant le plafond.
Erreur stratégique, car de nombreux projets ne pourront pas être financés. Les instituts techniques nous ont transmis une liste de 47 projets majeurs, refusés ces dernières années, malgré leur intérêt.
Erreur stratégique, car les fonds du plan de relance affectés à la recherche sont des fusils à un coup, je vous l’ai déjà dit, monsieur le ministre, alors que la recherche nécessite un temps long et que le défi de la réduction des pesticides ne sera pas relevé en un an.
Erreur stratégique, enfin, car, au fond, la question que vous nous posez ne porte pas sur la baisse du Casdar : il s’agit de sa survie ! Une mission des corps d’inspection aura lieu et il faudra sans doute se battre l’année prochaine pour le sauver. Accepter cette mesure d’économie aujourd’hui, c’est déjà accepter sa suppression, j’en suis convaincu.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable sur les crédits de la mission et du Casdar. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce que l’agriculture a démontré une certaine résilience en garantissant le bon déroulement de la chaîne alimentaire durant le premier confinement, nous pourrions avoir le sentiment qu’elle a moins souffert des conséquences de la crise sanitaire.
Ce serait occulter les difficultés de certaines filières. Pour des raisons différentes, l’horticulture, la production de pommes de terre ou encore la viticulture ont été très touchées. Et je n’oublie pas les aléas habituels : le rendement des céréales, frappées cette année par une longue sécheresse, a baissé de 26 %.
Dans ces conditions, le budget est-il à la hauteur des enjeux ? Globalement, on peut regretter un budget peu dynamique, alors que l’agriculture doit amplifier sa transition écologique, en plus d’éponger les conséquences de la crise sanitaire.
Sans le plan de relance, le Fonds Avenir Bio est simplement reconduit pour 2021, alors que l’on observe un léger décrochage dans le cadre de l’objectif de 15 % de surfaces agricoles cultivées selon un mode biologique d’ici à 2022.
Par ailleurs, les crédits relatifs à la pêche sont stables, alors que le Brexit risque de peser sur l’activité des pêcheurs français.
Les crédits de la mission « Plan de relance », à hauteur de 390 millions d’euros en crédits de paiement, viennent en renfort, mais sans que l’on sache comment ces moyens, sous tutelle du ministère des comptes publics, s’articuleront avec ceux du ministère de l’agriculture.
Il est également regrettable que le Casdar voie ses moyens amputés de 10 millions d’euros, pour atteindre 126 millions d’euros.
Le groupe RDSE a déposé un amendement visant à revenir sur la baisse de la recette estimative de la taxe sur le chiffre d’affaires des exploitations agricoles, afin d’augmenter le plafond de dépenses du compte d’un peu plus de 12 millions d’euros.
Le Casdar doit avoir les moyens de sa politique, définie par le Programme national pour le développement agricole et rural. Il fixe notamment l’objectif de conforter le développement et la diffusion de systèmes de diffusion innovants et performants, du point de vue économique, environnemental, sanitaire et social. Il met en particulier l’accent sur les thèmes du développement des circuits courts ou encore la gestion intégrée de la santé animale et végétale. Ces thèmes répondent à des attentes sociétales fortes.
Aussi la baisse des crédits du Casdar est-elle un mauvais signal pour ceux qui ont la charge d’encourager la diffusion des systèmes de production innovants, à savoir les agriculteurs, les chambres d’agriculture, les instituts techniques agricoles et les organismes nationaux à vocation agricole et rurale.
Je salue en revanche l’effort financier réalisé en direction des projets alimentaires territoriaux (PAT), avec une dotation de 80 millions d’euros sur deux ans. Depuis leur création en 2014, les PAT peinent à se multiplier. Alors qu’un objectif de 500 PAT a été fixé pour 2020, nous avons atteint moins de la moitié de ce chiffre !
La loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim, oblige la restauration collective à servir des produits de qualité à hauteur de 50 %, dont 20 % doivent être issus de l’agriculture biologique, d’ici au 1er janvier 2022.
Les PAT participent à l’ancrage territorial de la restauration. Il faut donc les encourager, d’autant qu’ils sont consensuels. Si leur décollage est lent, sans doute convient-il de s’interroger sur leur technicité et flécher une partie des moyens sur leur promotion. Cela implique une simplification et une prise de conscience des élus locaux, sans lesquels rien ne pourra se faire.
J’en viens à la gestion des risques agricoles. La réserve pour aléas, portée à 190 millions d’euros pour 2021, risque, une nouvelle fois, de ne pas être à la hauteur des besoins. Cet été, pour répondre aux périodes de sécheresse qui se sont multipliées ainsi qu’aux charges liées aux apurements communautaires, le Fonds national de gestion des risques en agriculture s’est retrouvé sous-doté d’au moins 50 millions d’euros. Avec une augmentation de seulement 15 millions d’euros, on s’oriente vers le même problème, au regard d’aléas climatiques répétitifs.
Monsieur le ministre, je suis heureux que vous m’ayez confirmé votre volonté de travailler sur ce sujet primordial pour la pérennité de notre agriculture.
Je termine en évoquant le budget consacré à l’enseignement technique agricole, lequel a fait l’objet d’un avis défavorable de notre collègue Nathalie Delattre, rapporteure pour avis de la mission « Enseignement scolaire » examinée samedi dernier.
Nous avons abondé ce budget de 21 millions d’euros et j’espère que le Gouvernement lèvera le gage, monsieur le ministre. Il y a urgence à soutenir une quarantaine d’établissements en difficulté, qu’une augmentation de 0,5 % des moyens dans le projet de loi de finances pour 2021 ne suffira pas à sortir d’affaire.
Globalement, ce budget n’est pas assez audacieux. Il ne reflète pas suffisamment l’engagement de nos agriculteurs dans un nouveau mode de production, dans la révolution qui se dessine d’une agriculture durable.
Mon groupe ne votera pas ce budget, même si je sais que vous avez conscience des enjeux, monsieur le ministre. Derrière les chiffres, il y a des femmes et des hommes qui se battent au quotidien, simplement pour gagner leur vie et nous nourrir. Nos paysans souffrent. Certains préfèrent mettre fin à leur vie, car les obstacles sont trop grands. On déplore plus de deux suicides par jour, nous ne pouvons pas les oublier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme le rapporteur pour avis applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, ce budget consacré à l’agriculture n’est tout simplement pas à la hauteur. Il n’est pas à la hauteur des difficultés que connaissent les agriculteurs. Surtout, il n’est pas à la hauteur de leur participation vitale dans le cadre de la covid-19.
En effet, elles et ils ont tenu et nourri le pays ; grâce à elles et eux, nous n’avons pas connu de pénurie. Pourtant, certains secteurs ont été durement atteints par cette crise sanitaire, notamment du fait des fermetures dans le secteur de la restauration et des petits commerces.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’agriculture, qui satisfait pourtant un besoin essentiel, ne représente que 1 % du plan de relance. Alors que le capital et les actionnaires profiteront allègrement de ce plan, les « premiers de corvée », dont les agriculteurs font partie, sont les grands oubliés. Nous le regrettons !
Monsieur le ministre, pensez-vous sincèrement que la baisse de 23 millions d’euros des crédits dédiés à la modernisation et au renouvellement des exploitations est aujourd’hui justifiable ? Que dire aussi de la baisse de 12 millions d’euros du budget consacré à la gestion équilibrée des territoires ? C’est incompréhensible !
De nombreux opérateurs, pourtant essentiels, comme FranceAgriMer, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et l’Agence Bio voient leurs subventions diminuer de 4 millions d’euros, au nom de la « maîtrise des dépenses publiques » ! Monsieur le ministre, nos fonctionnaires – vos équipes ! – ont besoin de moyens humains et financiers pour répondre aux défis qui nous sont posés.
Ce budget représente également l’échec des politiques publiques menées jusqu’à présent en matière de transition agroécologique.
Cette année, contrairement aux engagements présidentiels, nous ne sommes pas sortis du glyphosate. Pire, vous avez de nouveau autorisé les néonicotinoïdes pour la filière betterave. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le pire, c’est que vous amputez l’enveloppe allouée au Casdar de 10 millions d’euros par rapport à 2020, alors même qu’il s’agit d’un levier pour accompagner la transition agroécologique de notre agriculture.
Comment construire des alternatives viables et pérennes, si nous ne donnons pas les moyens à la recherche de les trouver ?
Monsieur le ministre, la transition agroécologique est un enjeu essentiel si nous voulons continuer à nourrir l’humanité, tout en préservant notre planète déjà très durement atteinte. C’est un enjeu environnemental, mais également sanitaire et social. Surtout, c’est un enjeu pour nos agricultrices et agriculteurs, pour leur santé, pour la santé des terres qu’elles et ils cultivent, sans qu’ils se retrouvent pour autant dans la misère. Les investissements et les accompagnements sont donc essentiels.
Je poursuis, tout naturellement, sur les revenus des agricultrices et des agriculteurs.
Ce projet de loi de finances ne tient aucun compte de l’échec de la loi Égalim, en matière de revenus des agriculteurs notamment. Cette loi avait pourtant pour objectif affiché, en même temps que la promotion d’une alimentation saine, durable et accessible à tous, l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire… Deux ans après sa promulgation, on peut dire que nous sommes loin du compte !
Par ailleurs, monsieur le ministre, on ne vous entend pas sur un sujet majeur : que pensez-vous des traités de libre-échange ? Il y en a quinze sur la table et on ne connaît pas votre avis ! C’est pourquoi je pose de nouveau la question : quand aurons-nous le droit de voter le CETA, l’Accord économique et commercial global, ici, au Sénat ? Il est impensable qu’un traité de libre-échange d’une telle ampleur, qui fait courir tant de risques à notre agriculture, mais aussi à nos normes environnementales et sociales et à nos services publics, ne soit toujours pas soumis à la ratification du Parlement dans son ensemble !
Cela est révélateur d’un véritable mépris du Parlement et du processus démocratique de la part du Gouvernement.
Je conclus sur le volet de l’alimentation en revenant sur un problème fondamental et urgent qui nous est posé, celui de la précarité et de l’extrême pauvreté, qui ont explosé avec la crise de la covid-19. Avant la crise, en 2019, 5,5 millions de personnes bénéficiaient de l’aide alimentaire, chiffre déjà gigantesque.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Eh oui !
M. Fabien Gay. Les associations nous font part, dans la période que nous traversons, d’une augmentation des inscriptions. Elles prévoient des hausses d’environ 30 %, peut-être de 40 %, du nombre de leurs bénéficiaires.
Certes, à l’échelon européen, des aides ont été prévues, notamment au sein du programme React–UE, mais le risque est que ces aides soient élevées pour les deux prochaines années, et moindres les années suivantes, alors que la crise sociale ne sera pas finie. On peut très vite basculer dans l’extrême pauvreté. Il est urgent d’agir, monsieur le ministre, au-delà de vos seules prérogatives, pour mettre fin à cette précarité, en relançant le travail et en augmentant les salaires notamment.
Vous l’aurez compris : notre groupe ne votera pas les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Martine Filleul et Émilienne Poumirol applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Herzog.
Mme Christine Herzog. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans cette mission consacrée à l’agriculture, plusieurs points me tiennent à cœur : premièrement, les conséquences du confinement sur la filière agricole et leur non-prise en compte, à l’heure où nous sommes réunis ; deuxièmement, la baisse des crédits du Casdar ; troisièmement, la tentative de mise en faillite des fermes photovoltaïques via le non-respect de la parole de l’État, non-respect ô combien paradoxal en projet de loi de finances.
Ancienne maire de la commune rurale de Hertzing et actuelle conseillère départementale du canton de Sarrebourg, dans le département de la Moselle, la ruralité me parle : j’y suis née.
Tous les jours, je rencontre des agriculteurs responsables et imaginatifs. Ils ne comptent pas leurs heures et connaissent tous les risques inhérents à leur métier, qu’il s’agisse de l’état sanitaire de leurs animaux, des attaques parasitaires subies par la forêt ou des rendements catastrophiques par manque d’eau des cultures.
Ils sont malgré tout résilients, comme toujours, telles des vigies de notre bien-être et de notre sécurité alimentaire.
Durant cette pandémie, ils se sont tus, par décence, souhaitant privilégier ceux qui avaient peu de moyens, distribuant souvent leurs invendus pour les nourrir, sans rien demander, car telle est leur mission morale. Ils n’ont cependant pas été épargnés par les impayés, l’effondrement des ventes et l’impossibilité de stocker une production à très courte durée de vie, quand les charges, elles, sans cesse demeurent.
Cette filière a besoin de 1,2 milliard d’euros, de toute urgence, au titre du plan de relance. Elle n’a quasiment rien touché, contrairement à d’autres secteurs, hormis une aide européenne pour la filière viticole.
Les effets du confinement sont ignorés dans ce projet de loi de finances pour 2021, alors que la filière a payé au prix fort l’arrêt des commandes liées à la restauration hors foyer.
Le manque de bras saisonniers a sévi, faute d’ouverture des frontières, et chacun se rappelle la déclaration d’une membre du Gouvernement conseillant aux enseignants d’« aller cueillir des fraises » !
Les agriculteurs auront-ils, avec huit mois de retard, ce qui a été promis à toutes les filières ? La commission des finances du Sénat ne le pense pas.
La filière forêt-bois emploie, quant à elle, 400 000 personnes, pour 17 millions d’hectares. Cette forêt que nous aimons tant est en grand danger. La sécheresse et les attaques parasitaires sévissent. Le repeuplement tarde à compenser l’abattage des arbres malades ; elle se révèle aléatoire, car 30 % des plants ne survivent pas. Le réchauffement climatique exige le remplacement des essences par des arbres capables de résister à la chaleur.
A-t-on anticipé ? Je ne le pense pas.
Le Casdar provient d’une taxe prélevée sur le chiffre d’affaires des exploitations agricoles, qui ne coûte donc rien au contribuable et doit financer la recherche, en matière de transition agroécologique notamment.
Au titre du Casdar ont été collectés 143 millions d’euros en 2019. L’objectif, pour 2021, est de 126 millions d’euros. Son avenir est-il donc à la baisse ? Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer ?
Vendredi 27 novembre dernier, les sénateurs de toutes les travées ont supprimé l’article 54 sexies, qui prévoyait, sans concertation ni étude d’impact, de revoir à la baisse le prix de rachat du kilowattheure produit par les fermes photovoltaïques d’une puissance crête de plus de 250 kilowatts.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Christine Herzog. Les fermiers ont été assimilés à d’affreux spéculateurs grugeant l’État.
Monsieur le ministre, nous sommes tous conscients des dérives qui ont existé – elles sont inacceptables, mais ne concernent pas les installations. Écoutez cependant les sénateurs sur la suppression de cet article !
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le secteur agricole traverse depuis de nombreuses années de profondes difficultés, qui se sont d’ailleurs accrues, pour certaines filières, avec la crise sanitaire : sécheresses et aléas climatiques répétés, conflits commerciaux, mais également nouvelles charges et contraintes imposées aux agriculteurs.
La profession agricole est aujourd’hui habitée par le doute et par l’incertitude, alimentés par les injonctions contradictoires de nos politiques publiques et des attentes sociétales.
Monsieur le ministre, depuis votre arrivée à la tête de ce ministère, vous portez une voix claire et déterminée de soutien à l’agriculture et à la forêt. Certes, nos agriculteurs ont besoin d’être soutenus par l’État, mais ils ont surtout besoin d’une politique et d’une stratégie clairement définies pour le long terme !
Cette stratégie doit s’incarner dans la réforme de la PAC, dans le plan de relance évidemment, mais aussi dans le budget que nous examinons aujourd’hui. Or cette incarnation nous semble encore insuffisante.
Le budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » est relativement stable : pour 2021, les crédits s’élèvent à près de 3 milliards d’euros.
Permettez-moi d’en commenter certains aspects.
Tout d’abord, le programme 149 connaît une diminution de près de 5 % de ses crédits par rapport à 2020. Si cette diminution est principalement liée à un recul des crédits prévisionnels destinés aux mesures agroenvironnementales et climatiques, on note des baisses regrettables en matière d’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) et de plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET).
Au chapitre des autres points d’insatisfaction, je mentionne la baisse des crédits relatifs à l’enseignement agricole, qui n’est pas à la hauteur des défis actuels, notamment des enjeux de renouvellement des générations – nous avons évoqué cette question samedi dernier à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».
Autre motif d’insatisfaction : le Gouvernement a clairement affiché sa volonté d’accorder d’importants moyens à la recherche, en particulier lors des récentes discussions sur l’utilisation de certains produits phytosanitaires. Alors qu’il y a véritablement urgence en matière d’accompagnement de la transition de notre agriculture, le budget du Casdar subit une baisse de 10 millions d’euros. Comment ne pas être surpris par cette contradiction ? Nous avons déposé des amendements visant à la lever.
Quant aux aides annoncées durant le premier confinement, elles peinent pour le moment à se concrétiser.
Venons-en aux points positifs. Ce budget comporte de réelles avancées qu’il convient de souligner.
Parmi les plus importantes, je veux tout d’abord saluer la reconduction du dispositif TO-DE, précieux pour les agriculteurs et véritable levier de compétitivité face à la concurrence internationale et européenne. Il est reconduit jusqu’en 2022, alors que sa suppression était prévue fin 2020. À quand sa pérennisation ?
Ce budget prévoit aussi le maintien des crédits des chambres d’agriculture et l’abandon du projet de baisse de 45 millions d’euros envisagé l’année dernière par le Gouvernement. C’est une excellente nouvelle, monsieur le ministre.
Certes, la revalorisation de la réserve pour aléas, de 175 millions à 190 millions d’euros, est un signe positif, mais ce montant nous semble encore très sous-dimensionné au regard de ce qu’il s’est passé ces dernières années et de la situation climatique et sanitaire.
J’évoque enfin la hausse de près de 8 millions d’euros des crédits de l’action n° 26, Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois. Le budget de la politique forestière enregistre donc un coup de pouce de 3,9 %. En outre, dans le cadre du plan de relance, une enveloppe de 200 millions d’euros est dédiée à la forêt, dont 150 millions pour le reboisement.
Comme je l’ai indiqué lors du débat intitulé « La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux », tout cela doit être une première étape, qu’il est nécessaire d’inscrire dans une politique de plus long terme. Aussi la situation très préoccupante de l’Office national des forêts (ONF), principal opérateur de la politique et de la gestion forestières, devra-t-elle faire au plus vite l’objet d’un véritable débat parlementaire. Il nous faut garantir l’avenir de l’ONF !
En conclusion, monsieur le ministre, de nombreux signes positifs figurent dans ce budget. Celui-ci est néanmoins perfectible, comme nous tâcherons de le montrer dans la suite de la discussion. J’ajoute qu’il est essentiel que l’examen du budget de cette année n’occulte ni la question de la place de l’agriculture dans le plan de relance ni celle des négociations en cours sur la PAC. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, nous commençons à nous connaître : ni mes propos ni mes conclusions, hélas, ne devraient trop vous surprendre…
Une fois de plus, selon nous, ce budget est loin d’être suffisamment ambitieux au regard des défis auxquels l’agriculture est confrontée aujourd’hui.
La crise du covid-19 nous l’a rappelé : les enjeux de souveraineté alimentaire se font de plus en plus pressants et l’urgence écologique est toujours plus prégnante. Il nous reste très peu de temps pour réagir face au réchauffement climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Les moyens proposés sont hélas, à cet égard, insuffisants.
Ce budget présente notamment un recul majeur, et éminemment problématique, à savoir l’abaissement du plafond du Casdar. Ce fonds abondé par les agriculteurs constitue pourtant un outil essentiel de la transition agroécologique : en finançant la recherche appliquée, il finance notamment l’Institut technique de l’agriculture biologique (ITAB), qui réclame à juste titre des moyens à la hauteur de la croissance de cette forme d’agriculture. Je sais, monsieur le ministre, que vous y prêtez une oreille attentive ; nous allons donc continuer à demander que des moyens beaucoup plus importants soient alloués à cette institution.
Certes, ce budget est complété par le volet agricole du plan de relance, mais les moyens mobilisés dans ce cadre ne sont malheureusement pas non plus suffisants et ne sont pas fléchés comme ils devraient l’être.
On peut cependant reconnaître des signaux positifs, monsieur le ministre. Nous avons régulièrement et depuis longtemps défendu des amendements visant à donner aux collectivités les moyens de mettre en œuvre les dispositions de la loi Égalim sur la restauration collective et à augmenter massivement le budget des projets alimentaires territoriaux.
Après plusieurs années de refus de nos propositions, ces axes sont aujourd’hui enfin reconnus. Nous avions, dans le même sens, via un amendement que j’avais présenté lors de l’examen du projet de loi Égalim, inscrit l’autonomie protéique parmi les objectifs de la politique agricole française. Que des moyens y soient désormais consacrés est donc une avancée que nous reconnaissons volontiers, monsieur le ministre.
Cependant, l’ensemble reste décevant. Les axes du plan de relance qui concernent la territorialisation de l’alimentation et la transition écologique bénéficient d’enveloppes réduites par rapport aux besoins des territoires et par rapport au cœur du plan de relance, qui consiste en un soutien au modèle existant, celui d’une agriculture de plus en plus industrialisée.
L’axe principal de ce projet de budget concerne ainsi les agroéquipements, qui contribuent à la fuite en avant du modèle industriel. En effet, les crédits engagés doivent notamment permettre de financer du matériel d’épandage plus précis pour optimiser l’utilisation des intrants. Plutôt que de miser sur des changements de pratiques agronomiques et sur des approches territoriales, on finance du matériel. Il y a là surtout un soutien au secteur de l’équipement, au risque d’augmenter l’endettement des fermes et de pérenniser l’usage des pesticides. Cela ne nous convient pas !
De la même façon, pour ce qui est du plan Protéines végétales, rien ne garantit que les filières véritablement vertueuses sur le plan environnemental seront soutenues à la hauteur de leurs besoins.
Le manque de soutien à l’agriculture biologique est une autre source de déception. J’ai déjà évoqué le cas de l’ITAB. Si le Fonds Avenir Bio est désormais porté à 13 millions d’euros, l’Agence Bio manque de moyens pour effectuer correctement son travail d’accompagnement. Quant aux groupements d’agriculteurs biologiques (GAB), ils mériteraient de se voir accorder les moyens de jouer un rôle beaucoup plus important dans les territoires, en l’occurrence les départements.
Par ailleurs, le fait que le crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique ne soit renouvelé que pour deux ans est problématique ; il conviendrait au contraire de renforcer cet outil et de le revaloriser. L’agriculture biologique est la plus performante du point de vue environnemental et économique, comme le rappelle France Stratégie dans son rapport sur les performances de l’agroécologie.
La Commission européenne a fixé un objectif de 25 % de surfaces agricoles biologiques pour 2030. Il va falloir mettre le paquet pour y arriver !
Nous sommes d’autant plus méfiants sur la question du soutien à l’agriculture biologique que le Gouvernement a fait le choix d’accorder un financement considérable, et sans limite de temps, à la haute valeur environnementale (HVE), qui pose fortement question au sein de la société civile et d’une partie du monde agricole. Il est évidemment intéressant de soutenir des pratiques d’amélioration, mais, en l’espèce, celles-ci ne sont – ou ne sont censées être – que des pratiques intermédiaires entre le biologique et le conventionnel. Même si l’agriculture biologique reste aujourd’hui la plus performante, il existe de nombreuses pratiques alternatives à soutenir.
Je conclurai en évoquant d’un mot la forêt. Hélas, les moyens alloués à l’ONF diminuent encore et les budgets ne sont pas orientés vers les pratiques qui permettraient de développer une forêt résiliente.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, avec regret – mais sous réserve du sort réservé à nos amendements –, le groupe écologiste votera contre l’adoption des crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)