Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, oui, 2020 aurait dû être enfin l’année de la réforme audiovisuelle promise par le Président de la République !
Après des débuts laborieux, Franck Riester l’avait remise sur les rails ; voilà que la crise sanitaire est le prétexte à tout abandonner !
Notre commission, qui milite de longue date pour une réforme systémique de toutes les chaînes historiques, n’a pourtant pas ménagé ses efforts, madame la ministre, pour que, au cours de l’été, nous puissions transposer rapidement la directive SMA et la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, contenues dans le projet de loi, et faciliter le recours aux ordonnances.
Notre colloque Comment réenchanter l’audiovisuel public à l’heure du numérique, organisé par notre commission en 2018, avait mis en exergue le grand retard accumulé par rapport aux audiovisuels publics européens et la nécessité d’une réforme de la gouvernance, du modèle économique, de la réglementation et de la régulation.
Sur ce dernier point, alors qu’existait une fenêtre de tir d’ici fin janvier, correspondant à la fin de mandat de plusieurs conseillers de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), qui permettait une fusion avec le CSA, nous ne disposons de plus aucun calendrier. Le piratage reste un fléau, privant la création d’environ 1 milliard d’euros par an.
Même s’il y avait indéniablement des gains de productivité à réaliser, face à une concurrence extraeuropéenne exacerbée, nous pouvons nous interroger, d’un point de vue stratégique, sur la baisse continue des moyens affectés à notre audiovisuel public depuis 2018. Cette année, la trajectoire est stable et, point de satisfaction, est assortie d’une dotation exceptionnelle pour répondre à la crise sanitaire, bien que la réponse doive être nuancée en fonction des opérateurs – j’y reviendrai.
Les chiffres et les coups de communication sont louables, mais nous avons aussi besoin d’une vision d’avenir. Quelle stratégie, quelle réponse structurelle adopter pour donner à nos médias les moyens d’une alternative à la standardisation d’une offre de plus en plus globale et anglo-saxonne ? L’ensemble du secteur de la création audiovisuelle et cinématographique est concerné, les chaînes, publiques comme privées, étant soumises à des obligations en matière d’investissement.
Nous veillerons aux équilibres entre les acteurs de la chaîne médiatique dans le futur décret de transposition des directives.
La manière dont nos entreprises audiovisuelles ont fait preuve d’adaptabilité et de résilience face à la crise ne doit pas cacher leur fragilité structurelle et budgétaire. Voyez la chute des recettes publicitaires ! Plus que jamais, les modèles sont à clarifier et la réforme de la CAP à mener, ne serait-ce aussi que parce qu’elle est profondément injuste. Sur ce point, nous insisterons toujours sur la nécessité d’une dotation publique et non d’État, seule garante de la véritable indépendance.
Objectifs et missions doivent être reprécisés. Personne n’a compris la suppression de France Ô et de France 4, présentée strictement sous l’angle budgétaire et non sous celui des besoins des publics. Quel sera l’avenir de la chaîne jeunesse temporairement réhabilitée ? La stratégie est-elle de désarmer l’audiovisuel public face à Disney et YouTube ? En l’état du réseau, tous les Français ne reçoivent pas Okoo.
France 4, désormais dépourvue de publicité grâce au Sénat, chaîne pour laquelle mon ancien collègue Jean-Pierre Leleux et moi-même avions déposé un moratoire, a démontré à quel point elle était un outil indispensable à l’éducation, à la culture et à la citoyenneté. Interrogé devant notre commission, Jean-Michel Blanquer lui-même est convenu de la nécessité de son maintien.
J’en viens à Arte et aux chaînes de notre audiovisuel extérieur, parents pauvres du budget malgré leurs bonnes performances.
Je regrette le peu d’ambition accordée à ces opérateurs, qui jouent un rôle crucial, aux niveaux européen et mondial, dans la bataille de l’information et de la désinformation. Pour s’en convaincre, il suffit de voir l’offensive d’Al Jazeera à la suite à l’assassinat de Samuel Paty. Alors que France Médias Monde aurait dû être renforcée – nous ne cessons de le dire ici, année après année –, voilà que l’entreprise est contrainte à des arbitrages douloureux entre nouveaux projets nécessaires et préservation des zones de diffusion.
La chaîne franco-allemande Arte, qui est de plus en plus européenne et innovante, enregistre toujours une baisse de la ressource publique.
Enfin, nous peinons à discerner une stratégie pour TV5 Monde, pour laquelle la France est restée en retrait pour le financement de sa plateforme numérique, lancée grâce au Canada.
En conclusion, la situation financière semble certes stabilisée pour 2021 – raison pour laquelle notre groupe votera ces crédits –, mais nous émettons de grandes réserves face aux nombreuses incertitudes qui pèsent à l’horizon 2022 et face à l’abandon de la réforme, très préjudiciable à tout le secteur de l’audiovisuel et du cinéma, lui-même très ébranlé par la crise.
Au-delà de la mobilisation des financements de l’État et des collectivités pour lutter contre la crise, nous devons continuer à faire preuve de la plus grande vigilance. (Applaudissements sur les travées du groupe UC – M. le rapporteur spécial applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Claudine Lepage. À la suite de l’année que nous venons de vivre et de l’épidémie de covid-19 qui a bouleversé tant de secteurs, je tenais à saluer la formidable capacité d’adaptation et de résilience de notre audiovisuel extérieur, tant France Médias Monde que TV5 Monde, dont les personnels ont, par leur dévouement et leur professionnalisme, fait honneur à l’audiovisuel public.
M. David Assouline. Bravo !
Mme Claudine Lepage. En diffusant des messages de prévention, TV5 Monde a relayé par exemple les messages de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’Unicef et de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), en luttant contre les fakes news – je pense notamment à l’initiative de France Médias Monde, qui s’est associée à une plateforme collaborative de lutte contre la désinformation nommée CoronaVirusFacts Alliance –, mais aussi en contribuant au service public d’éducation – je pense à Radio France internationale (RFI), qui a proposé « L’école à la radio » – notre audiovisuel extérieur a montré toute son implication et le rôle stratégique qu’il pouvait jouer.
Ce rôle a été justement plébiscité par le public, puisque toutes les chaînes ont vu leurs audiences sensiblement augmenter.
Compte tenu de cet apport, nous ne pouvons que regretter que France Médias Monde et TV5 Monde ne reçoivent que 500 000 euros chacune sur les 70 millions d’euros du plan de relance consacré à l’audiovisuel public.
Nous ne pouvons également que regretter que la dotation attribuée à France Médias Monde dans le PLF 2021 soit en recul de 0,5 million d’euros par rapport à l’année dernière, et que celle de TV5 Monde soit stable – seulement stable –, alors même que la France occupe pour 2020-2021 la présidence tournante de la chaîne.
Malgré cette trajectoire financière peu ambitieuse, nous devons nous féliciter de la poursuite par France Médias Monde de sa dynamique de progression mondiale et de développement de projets ambitieux, comme la diffusion de France 24 en espagnol, qui touche désormais 6,8 millions de foyers.
La coopération audiovisuelle franco-allemande doit également être saluée à sa juste mesure, tant le partenariat entre France Médias Monde et la Deutsche Welle est porteur d’espoir pour raviver l’idéal européen et lutter contre les populismes et la désinformation.
Pour conclure, madame la ministre, je souhaitais partager mon inquiétude sur la diminution des ressources commerciales – publicitaires notamment – qui touche France Médias Monde et TV5 Monde, à la suite des conséquences de l’épidémie de covid-19. Compte tenu du fait que ces ressources devraient continuer à diminuer en 2021, il sera nécessaire d’être vigilant sur ce point et de soutenir notre audiovisuel extérieur, pour qu’il continue dans la mission stratégique qui est la sienne. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, pour le secteur des médias, presse, livre et industries culturelles, l’année 2020 aura été dévastatrice. Les orateurs précédents l’ont répété.
Au mois de juillet dernier, avant même l’annonce du reconfinement le 28 octobre, le ministère de la culture évaluait les pertes de chiffre d’affaires du secteur des médias et des industries culturelles à 22,3 milliards d’euros.
Les plans d’urgence et les fonds de secours sectoriels se sont succédé jusqu’au projet de loi de finances. Cette cascade de financements, les uns urgents, les autres relevant de la classique discussion budgétaire, rendent l’exercice d’analyse plus complexe, mais néanmoins nécessaire.
Concernant la presse, si je salue le soutien continu apporté aux différents acteurs de la filière, dans le prolongement du sauvetage de Presstalis, je ne comprends toujours pas pourquoi la presse professionnelle, celle de la connaissance et du savoir, est systématiquement écartée des aides, alors que la presse d’information politique et générale (IPG) bénéficie d’un puissant soutien gouvernemental.
Aussi, je souhaiterais que mon amendement instituant un crédit d’impôt pour un premier abonnement à l’un de ces titres puisse être conservé dans la loi de finances.
Concernant la musique et le spectacle vivant musical, le soutien qui lui est apporté via le Centre national de la musique est significatif, en complément du fonds de secours destiné aux PME et TPE du secteur.
Néanmoins, un vrai problème demeure, celui de la diminution des aides à la création allouées par les organismes de gestion collective, dans un contexte marqué par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 8 septembre 2020, qui divise par deux les « irrépartissables ». Cela représente une perte de 25 millions d’euros par an pour la diffusion du spectacle vivant ou la formation des artistes.
Le cinéma est également un secteur de la culture très sinistré. Pour le soutenir, j’ai déposé plusieurs amendements instituant des crédits d’impôt ou élargissant l’assiette de ceux qui existent.
Par ailleurs, un hiatus important demeure : si l’allongement de la période d’exonération de la taxe sur les entrées en salles de spectacles cinématographiques (TSA) jusqu’à la fin de décembre 2020 est une excellente mesure, qui soutient immédiatement la trésorerie des exploitants de cinéma, cet allongement représente en revanche un manque à gagner pour le CNC de près de 20 millions d’euros pour le financement de son plan de relance. Madame la ministre, je vous en conjure, demandez à Bercy de faire le nécessaire !
Enfin, j’insisterai sur le secteur du livre, qui me tient particulièrement à cœur.
La fermeture des librairies était – je le dis tout net – une erreur majeure. La forte mobilisation des professionnels et des élus a d’ailleurs démontré l’attachement à ce service de proximité essentiel, vecteur de lien social et lieu de diffusion de la culture, du savoir et de la connaissance. J’ajoute que l’on ne pouvait décemment croire que le « cliquer et collecter » était à lui seul de nature à sauver les librairies, de même que l’allégement des tarifs postaux, qui devront impérativement être pérennisés.
Il faut néanmoins saluer les efforts d’accompagnement mis en place en leur faveur dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 : par l’intermédiaire du Centre national du livre, 25 millions d’euros ont été alloués aux librairies pour soutenir leur trésorerie et 6 millions d’euros pour la modernisation de leur outil numérique. Cinq millions d’euros ont par ailleurs été fléchés vers les maisons d’édition.
Les auteurs et les artistes ont, quant à eux, pu accéder au fonds de solidarité, mais ils n’y étaient pas tous éligibles lors de sa mise en place, à défaut de disposer d’un numéro Siret. Je me réjouis que l’amendement de notre collègue Sylvie Robert et le mien, visant à défiscaliser et désocialiser les aides qui leur ont été versées par les fonds d’urgence sectoriels, aient été satisfaits.
Concernant le livre et la lecture, le budget 2021 progresse, mais cette augmentation correspond en grande partie au soutien consenti à la Bibliothèque nationale de France pour la réhabilitation du site Richelieu et le financement adéquat de ses missions.
Cependant, comme pour les autres industries culturelles, vous avez également décidé, madame la ministre, de présenter un plan « filière livre », soutenu par les crédits du plan de relance et orchestré par le CNL, à hauteur de 29,5 millions d’euros en crédits de paiement et 53 millions d’euros en autorisations d’engagement.
Que l’État accentue son soutien en faveur des collectivités territoriales, en modernisant leurs bibliothèques et en renforçant leur budget d’achat de livres imprimés auprès des librairies de proximité, est une excellente nouvelle. C’est un moyen de développer la pratique de la lecture chez nos concitoyens, notamment les plus jeunes, qui bénéficieront de la distribution de chèques « Lire ».
La poursuite de l’aide à la modernisation de l’outil numérique des librairies, qui sera doublée, après l’enveloppe de 6 millions d’euros déjà ouverte dans la troisième loi de finances rectificative, constitue un autre point positif de cette relance.
Toutes ces mesures indispensables permettront-elles cependant à l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre, auteurs, éditeurs, imprimeurs et distributeurs, de surmonter les conséquences des deux confinements et de prendre de nouveau des risques pour promouvoir la diversité culturelle française ?
Tous les grands événements autour du livre et de la lecture, notamment les salons et manifestations, attendus chaque année par les lecteurs, ont dû être annulés. Quelle tristesse de voir cette semaine les grands prix littéraires proclamés par visioconférence, même si je félicite chaleureusement les lauréats !
Je veux toutefois être optimiste : continuons à défendre ces enjeux essentiels pour notre pays que sont la vitalité culturelle, la diversité de la création, le rayonnement des idées et la diffusion des œuvres de l’esprit. Je sais pouvoir compter sur votre engagement personnel, madame la ministre. C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Brigitte Lherbier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le mois de mars, nous vivons dans l’incertitude la plus totale. La peur du coronavirus s’est installée chez chacun d’entre nous. Nous avons alors ressenti un immense besoin d’information. Le décryptage de l’épidémie par les médias et par leurs consultants spécialisés a été très suivi par les Français. L’accès à des données fiables sur la situation sanitaire, économique et sociale de notre pays était souhaité et recherché dans tous les médias.
Depuis que nous sommes confinés, nous avons aussi pris conscience du caractère fondamental des relations humaines et de la culture, vecteur de découvertes et d’évasion, échappatoire en période de pandémie. Les secteurs des médias, du livre et des industries culturelles se sont imposés à nous comme essentiels.
Malheureusement, ils font surtout partie des secteurs les plus fragilisés par la crise. En effet, depuis le mois de mars, les auteurs n’ont plus la possibilité d’intervenir ni de défendre leurs titres. Les librairies et les médiathèques ont fermé, puis testé le click and collect. Le transport des livres a été fortement ralenti. Les éditeurs ont perdu la plus grande partie de leurs interlocuteurs et les sorties ont dû être reportées. Les manifestations ont été annulées, ou reportées, et dans quelques cas proposées en version numérique.
Il est possible que cette période exceptionnelle fasse naître aussi des chefs-d’œuvre d’artistes inspirés par la crise. Toutefois, comment ces ouvrages seront-ils diffusés dans notre pays sans des maisons d’édition et des librairies en bonne santé économique ?
Le confinement a mis un coup d’arrêt au monde des livres, et la crise a montré toute la difficulté, notamment pour les librairies indépendantes, de faire face au numérique et de s’adapter aux nouveaux modes de consommation des Français.
Ces lieux, si chers à nos centres-villes, doivent être soutenus, afin qu’ils ne ferment pas définitivement, mais aussi afin qu’ils s’engagent, enfin, dans le numérique. L’enjeu est de taille et le défi urgent à relever, car les jeunes générations s’éloignent des commerces physiques au profit des plateformes de commerce en ligne. Elles s’éloignent également du format papier pour préférer le format numérique : les ventes de liseuses électroniques ont connu une belle embellie, dès le premier confinement, avec jusqu’à 130 % de ventes supplémentaires.
Le déconfinement et l’été n’ont pas freiné la tendance. Si les grands acteurs du livre s’en accommodent, les librairies indépendantes ne vont pas avoir d’autre choix que de s’adapter à ce nouveau marché et de devenir, elles aussi, un acteur dans le développement de ces nouvelles manières de lire.
Qu’en sera-t-il pour tous les imprimeurs, distributeurs, diffuseurs, qui voient leur modèle économique mis en jeu ? Leurs craintes pour l’avenir sont grandes et légitimes. En 2021, le programme 334, « Livre et industries culturelles », atteindra 317 millions d’euros. Le secteur bénéficiera de 10,8 millions d’euros de moyens supplémentaires pour répondre à ces enjeux culturels incontournables.
Dans cette démarche, l’État peut et doit s’appuyer sur les agences régionales du livre et de la lecture pour soutenir tous les acteurs du secteur. Dans les Hauts-de-France, par exemple, l’agence régionale du livre et de la lecture met en réseau les professionnels et fait un travail remarquable pour les accompagner et développer l’accès du livre et de la lecture pour tous. Elle soutient l’économie du secteur.
Le soutien au monde du livre est primordial et urgent. Nous sommes favorables à l’adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », conformément à l’avis de notre cher rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
7
Hommage à Valéry Giscard d’Estaing, ancien président de la République
Mme la présidente. Madame la ministre, mes chers collègues, le décès de l’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing a été annoncé ce soir. Il reviendra au Président Larcher d’organiser l’hommage que le Sénat lui rendra. Pour autant, je vous propose que nous observions ensemble, dès ce soir, quelques instants de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre de la culture, se lèvent et observent une minute de silence.)
8
Loi de finances pour 2021
Suite de la discussion d’un projet de loi
Mme la présidente. Nous reprenons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2021, de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public ».
Médias, livre et industries culturelles (suite)
Compte de concours financiers : Avances à l’audiovisuel public (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la présidente, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur spécial, madame, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, tout d’abord, je veux m’associer à l’émotion qui a envahi votre Haute Assemblée à l’annonce du décès du Président Valéry Giscard d’Estaing, et saluer avec vous sa mémoire.
Valéry Giscard d’Estaing, c’est le droit à l’avortement, c’est l’abaissement de la majorité civile, c’est le divorce par consentement mutuel, c’est l’élargissement du droit de saisine du Conseil constitutionnel et c’est la fin de la tutelle de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) sur la télévision publique, ce qui, dans ce débat, n’est pas sans signification.
Il fut l’auteur de nombreuses réformes novatrices, qui marquent, encore aujourd’hui, la société française. Un hommage lui sera rendu, et ce sera justice. (Applaudissements.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en reviens à ce budget.
Comme la mission « Culture », que nous avons examinée lundi, la mission « Médias, livre et industries culturelles » va connaître en 2021 une importante hausse de son budget, en progression de 3,2 %, ce qui va donc cranter le prochain budget. La mission comportera 19 millions d’euros de moyens nouveaux, dont bénéficieront l’ensemble des filières, en particulier la presse, le livre, l’audiovisuel et le cinéma.
L’action menée par le ministère de la culture pour accompagner les industries culturelles s’appuiera également sur les financements exceptionnels inscrits dans le cadre du plan de relance, qui s’élèvent à 428 millions d’euros sur deux ans, et dont la majeure partie, à hauteur de 347 millions d’euros, sera mobilisée dès 2021.
Je remercie le rapporteur spécial Roger Karoutchi d’avoir parfaitement détaillé ce budget.
Au total, l’an prochain, c’est donc plus de 1 milliard d’euros qui seront consacrés aux médias et aux industries culturelles. À ces moyens s’ajouteront 400 millions d’euros sur cinq ans, dans le cadre du quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA 4).
Ces fonds seront consacrés à la mise en œuvre d’une ambitieuse stratégie d’avenir pour nos industries culturelles et créatives, qui vise à répondre à notre objectif de réconciliation entre les pratiques culturelles et patrimoniales, ces pratiques étant considérées comme traditionnelles, et les pratiques numériques.
Cette mobilisation budgétaire exceptionnelle va nous permettre de soutenir les filières culturelles qui ont été durement touchées par l’application des mesures sanitaires du printemps dernier, et dont certaines pâtissent encore – vous l’avez tous souligné.
Je pense en particulier au cinéma, qui, depuis le début de la crise, bénéficie d’un accompagnement spécifique constamment adapté à l’évolution de la situation sanitaire.
Au-delà des mesures d’urgence dont ont bénéficié les acteurs de la filière au printemps dernier, nous avons favorisé la reprise d’activité en mettant en place un fonds d’assurance et de garantie financé par l’État à hauteur de 50 millions d’euros, pour que les tournages puissent de nouveau avoir lieu.
Depuis septembre, le secteur a bénéficié de 80 millions d’euros d’aides nouvelles destinées en particulier aux distributeurs, aux salles de cinéma, dont la fréquentation a été limitée par l’application des mesures de distanciation physique, puis de couvre-feu.
Jérémy Bacchi, vous avez appelé mon attention sur les cinémas en régie directe, qui représentent 400 établissements sur le parc de 6 000 salles. Ce sont des maillons essentiels de la vie culturelle locale, des cinémas dont le modèle économique dépend directement des collectivités territoriales, et qui ne supportent donc pas de risques d’exploitation directs.
En raison de cette différence, et par application du principe d’égalité, évidemment, le fonds de compensation cinématographique, créé par l’État et porté par le CNC, n’intègre pas les 400 régies directes. Toutefois, celles-ci bénéficient évidemment de l’intégralité des autres mesures de relance : mesures transversales, mesures spécifiques de renforcement du soutien prévues pour les exploitants de salles de cinéma, soit 30 millions d’euros pour l’ensemble du parc.
De plus, j’ai demandé que, sur un certain nombre de sujets spécifiques, si vraiment des salles étaient en très grande difficulté, le CNC puisse, à titre exceptionnel, intervenir.
Je voulais donc vous rassurer.
Nous continuons à soutenir le cinéma face aux conséquences du confinement et nous serons au rendez-vous pour accompagner la mise en œuvre du protocole sanitaire et des nouvelles modalités de couvre-feu à partir du 15 décembre.
Enfin, pour permettre une reprise durable et pérenne de la filière, le volet culturel du plan de relance comporte une enveloppe de 165 millions d’euros, dont bénéficieront l’ensemble des acteurs du secteur. Cette aide exceptionnelle s’ajoutera aux ressources habituelles du CNC, qui demeureront, en 2021, relativement stables, jouant ainsi un important rôle contracyclique.
Les moyens que nous mobiliserons en 2021 pour les médias et les industries culturelles visent non seulement à répondre aux difficultés immédiates, mais aussi à préparer la reprise. Ils doivent aussi nous permettre de mener un important effort de consolidation et de modernisation des filières culturelles confrontées à des difficultés structurelles qui se sont trouvées exacerbées par la crise sanitaire.
En 2021, l’ensemble des programmes de la mission « Médias, livre et industries culturelles » contribueront à ces objectifs, à commencer par le programme « Presse et médias », qui verra son budget progresser de 2,9 %, soit 8 millions d’euros.
Cet effort a été salué par Michel Laugier, mais également par Pierre-Antoine Levi.
Ces moyens nouveaux et pérennes s’intégreront dans le cadre du plan de filière pour la presse, présenté par le Président de la République le 27 août dernier, et doté de 483 millions d’euros sur la période 2020-2022.
Le financement de ce plan de modernisation massif repose en majeure partie sur la LFR 3 de 2020 et le plan de relance, qui apporteront des moyens afin de remédier sur le long terme à une situation de fragilité qui s’aggravait depuis des années.
Ainsi, le fonds stratégique pour le développement de la presse sera renforcé, tout comme l’aide à la modernisation des diffuseurs de presse. Des moyens nouveaux seront mobilisés dans le cadre d’un fonds de transformation des imprimeries de la presse régionale, d’un fonds pour la transition écologique et d’un fonds de lutte contre la précarité, qui assureront une meilleure prise en compte d’impératifs absolument fondamentaux pour l’avenir de la filière.
Les mesures nouvelles, inscrites dans le PLF 2021, permettront, quant à elles, la mise en place de nouvelles aides au pluralisme, l’une à destination des services de presse en ligne d’information politique et générale, à hauteur de 4 millions d’euros par an, et une autre à destination de la presse ultramarine, pour 2 millions d’euros par an. Elles contribueront ainsi à conforter l’accès de tous nos concitoyens à une information diverse et de qualité sur tous les territoires.
Le programme « Livre et industries culturelles » connaîtra également une hausse de ses moyens l’an prochain de 3,5 %, soit 10,8 millions d’euros. Il y a des mesures à destination de la filière musicale, en particulier le renforcement des moyens du CNM, et, je rassure Monique de Marco, il ne s’agit pas d’exclure de ces mesures les musiques actuelles, dont la musique électronique. Bien entendu, elles font partie des secteurs aidés dans ce cadre.
J’ai déjà beaucoup évoqué, lors de l’examen de la mission « Culture », les nouveaux crédits qui financeront l’achèvement du chantier de restauration du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France. J’ajoute que 30 millions d’euros seront également ouverts en autorisations d’engagement pour que la BNF puisse lancer la construction d’un nouveau centre de stockage pour ses documents, lequel devrait être opérationnel d’ici à 2027.
Mon intervention va vous apparaître un peu décousue, mais, comme j’ai cité Mme de Marco, et qu’elle m’a également interrogée sur la fermeture des antennes locales de Fip, je vais lui répondre sur ce point à ce stade de mon propos.
Madame la sénatrice, je suis attachée à Fip, comme à tous les programmes de Radio France. Dans le cadre de son nouveau projet stratégique, Radio France a fait le choix de recentrer Fip sur son programme national, qui forme le cœur de son identité, de sa force prescriptrice, tout en démultipliant la couverture territoriale du programme. Aujourd’hui, Fip est disponible dans seulement dix villes. Désormais, avec le numérique terrestre, elle sera disponible auprès de 85 % de la population. C’est un vrai choix territorial.
J’ajoute que cette évolution se fait avec une grande attention portée au personnel, et a fait l’objet de discussions approfondies avec les organisations syndicales. Un accompagnement individuel est ainsi prévu pour les collaborateurs concernés, ce qui est essentiel.
Je reprends le fil de mon propos, et j’en reviens au secteur du livre, pour souligner que ce dernier bénéficie par ailleurs d’un plan global de 89 millions d’euros sur trois ans financé par la LFR 3 de 2020 et le plan de relance, dont l’un des grands objectifs est de soutenir l’activité des librairies et des bibliothèques. Laure Darcos et Julien Bargeton en ont parlé abondamment.
J’en arrive au financement de l’audiovisuel public, qui a concentré un certain nombre d’interventions, et qui est certainement la partie qui a suscité le plus d’oppositions, de polémiques et de regrets lors de cette séquence budgétaire.
Cet audiovisuel public continuera en 2021 à respecter la trajectoire décidée en 2018 dans le cadre d’une ambitieuse stratégie de transformation. Ainsi, le compte de concours financiers pour l’audiovisuel public s’élèvera l’an prochain à 3,72 milliards d’euros. Le montant de la contribution à l’audiovisuel public dont s’acquitteront nos concitoyens restera stable par rapport à l’an dernier, à 138 euros.
Afin de tenir compte de la décision que j’ai prise l’an dernier de prolonger jusqu’à l’été 2021 la diffusion linéaire de la chaîne France 4, l’effort d’économies demandé aux sociétés de l’audiovisuel public, qui devait s’élever à 80 millions d’euros, a été réduit de 10 millions d’euros.
Je veux dire à Catherine Morin-Desailly qu’il ne s’agit pas de renoncer au rôle d’éducation de la jeunesse assuré par le service public. Il s’agit de réfléchir à un média jeunesse qui ne saurait se résoudre à être une chaîne du confinement. Il faut bien analyser les besoins de la jeunesse dans ce cadre et adapter cette chaîne à ses nouveaux modes de consommation dans l’audiovisuel. Ce délai que j’ai accordé, c’est pour permettre cette réflexion afin d’être en mesure de leur apporter de l’éducation, du divertissement, bref, quelque chose qui corresponde vraiment à leurs besoins.
Parallèlement, afin de compenser les impacts de la crise sanitaire et de préserver la capacité de l’audiovisuel public à investir dans la création, 70 millions d’euros lui seront accordés dans le cadre du plan de relance. Cette dotation a été saluée sans entrain, j’en conviens, pour reprendre la formule de Jean-Raymond Hugonet, mais l’essentiel est d’être salué ; l’entrain vient en supplément. (Sourires.)
Je tiens à souligner que cette enveloppe spécifique ne vaut pas annulation de l’effort financier demandé aux sociétés de l’audiovisuel public, mais elle répond à un besoin ponctuel et impérieux lié au contexte de la crise.
Claudine Lepage, Joëlle Garriaud-Maylam et André Guiol m’ont interrogée sur l’audiovisuel extérieur, et en particulier sur la plateforme franco-allemande.
Rappelez-vous, en janvier 2019, la France et l’Allemagne ont affirmé leur volonté, dans le cadre du traité d’Aix-la-Chapelle, de soutenir le développement d’une plateforme numérique franco-allemande destinée au public jeune et exposant des contenus audiovisuels et d’information. Des travaux de coordination sont en cours avec l’ensemble des parties prenantes, c’est-à-dire les diffuseurs et les administrations, afin d’aboutir à une articulation satisfaisante. Ces travaux continuent et ils sont approfondis, mais ils sont retardés par des dissensions persistantes du côté allemand, liées au partage des compétences dans le champ audiovisuel entre les niveaux fédéral et fédéré.
Se sont aussi développés un certain nombre de projets parallèles, en sus des projets Collection européenne et Enter présentés initialement.
Il y a donc une sorte de cafouillage, si l’on peut dire, qu’il convient de régler avant d’avancer, mais notre volonté est toujours extrêmement forte pour faire en sorte que ces dispositions issues du traité d’Aix-la-Chapelle voient le jour. J’y veille.
Au-delà du financement pour l’an prochain, une vaste réflexion doit avoir lieu, comme vous le savez, au sujet des ressources de l’audiovisuel public, compte tenu de la suppression totale, à l’horizon 2023, de la taxe d’habitation, à laquelle est adossée la contribution à l’audiovisuel public.
Ce travail a déjà débuté, en lien étroit avec le ministre chargé des comptes publics, Olivier Dussopt. Je souhaite que nous puissions l’approfondir avec l’ensemble des parlementaires, que je sais très attentifs à ce sujet d’importance tant pour l’audiovisuel public que pour l’équilibre du secteur.
L’année 2021 verra également l’aboutissement d’une évolution majeure de notre système de financement de la création audiovisuelle et cinématographique, qui permettra aux acteurs français de ces filières d’accéder à de nouvelles ressources. Je veux saluer ici le travail mené par le Parlement dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (Ddadue).
Je me souviens, cher David Assouline, de votre implication dans cette affaire. Vous aviez voté en me disant : « N’y revenez pas ! Les ordonnances, ça va une fois ! » (Sourires.) Vous avez aussi été nombreux à insister sur l’importance de la transposition de ces directives européennes. J’y veille également, selon le calendrier prévu.
Vous avez témoigné de votre volonté unanime d’intégrer les plateformes numériques ciblant le public français à notre système de contribution à la création. Céline Boulay-Espéronnier s’est expliquée sur ce sujet.
Cette véritable révolution dans le processus de transposition est en cours et sera effective prochainement grâce à l’ordonnance et au décret SMAD. Elle permettra de refonder et restructurer notre modèle en l’adaptant aux nouveaux équilibres entre les acteurs des médias et ceux du numérique.
Je souhaite, en effet, que la mise en œuvre de la directive ouvre la voie à rééquilibrage d’ensemble de notre système de financement de la création, qui passera également par une révision des obligations des chaînes historiques. Des concertations vont d’ailleurs s’engager avec les acteurs concernés.
Beaucoup d’entre vous, notamment Brigitte Lherbier Pierre-Jean Verzelen ou encore Nathalie Delattre, ont souligné que nous n’avions pas reçu un solde de tout compte pour avoir pris à bras-le-corps ces difficultés conjoncturelles liées à la crise, qu’il fallait certes traiter, mais qui ont été surtout puissamment révélatrices de difficultés structurelles dans le secteur de la culture et des industries culturelles et créatives.
Pour terminer, je veux donc évoquer, en réponse à ces intervenants, la stratégie d’avenir pour les industries culturelles et créatives, dont j’ai dit quelques mots au début de mon intervention.
Financée à hauteur de 400 millions d’euros sur cinq ans, dans le cadre du quatrième programme d’investissements d’avenir, elle sera également soutenue en 2021 grâce aux 19 millions d’euros de crédits inscrits dans le plan de relance. En étant intégrée à ce programme, la culture se trouve pleinement reconnue comme un secteur stratégique, au même titre que l’hydrogène ou les intelligences artificielles.
Cette stratégie d’avenir repose sur une démarche inédite, qui rassemblera l’ensemble des filières culturelles, y compris le patrimoine, les arts visuels, le spectacle vivant, autour d’objectifs communs.
Les moyens que nous déploierons visent à accompagner les acteurs culturels afin d’accélérer la transition numérique de l’ensemble du secteur et donc de préparer l’avenir.
Il s’agira notamment de développer des projets culturels innovants, comme la diffusion de captations de spectacle et le déploiement de nouveaux outils de valorisation du patrimoine, qui offriront de nouveaux moyens de toucher tous les publics.
Il s’agira enfin de renforcer la place des acteurs culturels français dans le contexte de forte concurrence internationale, en favorisant le recours à des technologies innovantes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les moyens grâce auxquels le budget de la mission « Médias, livre et industries culturelles », soumis à votre examen, nous permettra de mener l’an prochain une action ambitieuse pour consolider nos filières culturelles, prendre un temps d’avance sur les évolutions à venir et engager une étape décisive de la modernisation de notre politique d’accès à la culture au service de tous les publics.
Il est, comme le budget de la mission « Culture », un budget de responsabilité bâti en complémentarité avec le plan de relance, qui apporte des moyens à la hauteur des nombreux défis structurels qui s’imposent au monde de la culture.
Je veux remercier les rapporteurs, ainsi que tous les intervenants, du soutien très important qui a été apporté à ce volet de mon budget, que j’ai l’honneur de présenter devant vous. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)
médias, livre et industries culturelles