Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Chaize. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au risque de troubler mes collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, je vais être assez bienveillant avec les dispositions de cette proposition de résolution. D’abord, je souscris aux considérants : comment pourrait-il en être autrement ? Surtout, je peux faire mien le raisonnement qui les a conduits à formuler chacune de leurs quatre propositions.
Cependant, pour ne pas ébranler davantage les auteurs de la présente proposition de résolution, je préfère immédiatement les prévenir que je voterai contre ce texte. (Sourires.)
Je reviens un instant sur ces propositions. Concernant l’intégration de l’accès au très haut débit pour tous dans le service universel des télécommunications, je m’interroge sur le caractère superfétatoire de la mesure puisque le principe a été acté dans la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dite loi Ddadue. Certes, la loi mentionne un accès adéquat à l’internet haut débit, mais c’est une avancée notable puisque rien n’était prévu auparavant. Il faudra voir ce que recouvre ce caractère « adéquat ».
Surtout, je profiterai de l’occasion pour rappeler que le Sénat s’était mobilisé pour compléter l’article L. 35-1 du code des postes et communications électroniques ; nous souhaitions notamment préciser dans le texte que le raccordement devait s’effectuer en recourant à la meilleure technologie localement disponible. Malheureusement, notre proposition n’a pas été retenue, et c’est regrettable : sans la mention explicite selon laquelle le service universel se base sur le très haut débit, l’opérateur serait dans l’obligation de raccorder le bénéficiaire en fibre optique.
L’idée de créer un véritable pôle public des télécommunications pour garantir le service universel et la maîtrise publique des infrastructures numériques, notamment la fibre optique, appelle deux remarques.
D’une part, il existe déjà une autorité, qui fait très bien son travail, pour garantir le service universel. Nous la connaissons tous : c’est l’Arcep. Je salue d’ailleurs son président, dont le mandat s’achève dans quelques jours, ainsi que ses collaborateurs.
D’autre part, la mission Loutrel doit rendre ses conclusions prochainement sur la maîtrise publique des infrastructures numériques. À titre personnel, je pense que ce rôle devrait incomber au service placé sous l’autorité du directeur général délégué numérique de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Sur le principe, je ne puis qu’acquiescer à ce qui figure au onzième alinéa de la proposition de résolution : « Estime nécessaire de revoir les architectures de financement des réseaux d’initiative publique afin que l’État accorde un soutien exceptionnel aux collectivités volontaires […] ». Néanmoins, je formulerai deux observations.
Premièrement, sur la construction, le compte y est presque. Selon nos estimations, il faut 630 millions d’euros pour rendre raccordables 100 % des foyers. Or l’État propose 550 millions d’euros et pourrait facilement mobiliser 50 millions d’euros de plus sur la base d’un programme, aujourd’hui immobilisé, réservé aux opérateurs privés. Le reste pourra être abondé dans un futur PLF. En tout cas, monsieur le secrétaire d’État, vous savez que vous pourrez compter sur moi.
Deuxièmement, il faudra mobiliser plusieurs dizaines de millions d’euros supplémentaires pour les raccordements longs, qui demeurent la véritable problématique. Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes engagé à conduire une expérimentation dès 2021. Il conviendra ensuite de voir comment généraliser et, surtout, comment financer le dispositif.
Le dernier alinéa de la proposition est ainsi rédigé : « Souhaite que des mesures plus contraignantes soient mises en œuvre afin que les opérateurs privés respectent les obligations qu’ils ont actuellement contractées ». C’est une demande légitime, mais l’Arcep étant une autorité indépendante, nul ne saurait lui imposer de prendre des sanctions plus ou moins contraignantes à l’égard des opérateurs privés.
Je ne voterai pas la présente proposition de résolution, tout simplement parce que je trouve les solutions envisagées – vous me pardonnerez le qualificatif – anachroniques.
Chers collègues, lorsque vous considérez « nécessaire de créer un opérateur national, propriétaire des réseaux et dont le financement serait assuré à la fois par les opérateurs, mais également par l’État », vous voulez rejouer le match !
Je n’ai pas d’a priori idéologique sur la propriété publique des réseaux de télécommunications : les réseaux d’initiative publique (RIP) en sont une forme décentralisée. Et c’est précisément pour réaffirmer mon soutien au travail effectué depuis la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, et donc aux RIP, que je me vois contraint de me désolidariser de la démarche de nos collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’État ne sait plus aménager le territoire ; l’exemple de la fibre optique en est une illustration flagrante.
Voilà dix ans, l’État, grand aménageur du territoire, avait promis d’amener la fibre optique à tous les Français, entamant même des discussions pour cela avec les grands opérateurs. Le résultat, ce sont les fameuses zones AMII. Il est vrai que le déploiement de la fibre optique n’offre pas la même rentabilité partout : avec quarante mètres de fibre, on raccorde deux immeubles dans un milieu hyperurbain, contre seulement deux maisons chez moi, à Crécy-sur-Serre… Dès lors, les grands opérateurs s’occupent des zones urbaines et ne font rien pour la ruralité !
Ce sont donc des élus locaux, généralement des conseils départementaux ou des syndicats mixtes dotés de cette compétence, qui ont organisé le raccordement à la fibre optique dans leur territoire. Il faut reconnaître que cela a plutôt bien marché. Les structures départementales ont monté des dossiers et supervisé l’organisation technique, puis l’État a fini par donner de l’argent, beaucoup d’argent, même s’il en faudrait certainement encore plus.
Regardons la réalité en face. Y a-t-il une fracture numérique ? Oui ! La ruralité a-t-elle payé son déploiement quand les zones urbaines ne payaient pas le leur ? Oui ! Les grands opérateurs ont-ils des retards sur leurs engagements ? Oui !
Pour autant, le fait est que les choses ont plutôt bien avancé. D’ailleurs, en matière de décentralisation, plutôt que de se faire des nœuds au cerveau en parlant de « 3D », de « 4D », voire de « 5D », il vaudrait mieux s’inspirer de ce qui s’est passé pour la fibre : les élus locaux ont identifié les priorités, puis sollicité l’accompagnement financier de l’État. Et cela a plutôt bien fonctionné.
Sur la téléphonie mobile, après plusieurs années de cheminement cahin-caha, force est de reconnaître que le New Deal va plutôt dans le bon sens. Les opérateurs sont juridiquement responsables et financièrement sanctionnables. Dans les territoires, cela avance plutôt bien. Nous parlions de décentralisation : permettre au département de cibler, en lien avec la préfecture les zones prioritaires, c’est, là encore, faire confiance au terrain.
Les débats sur la 5G sont, certes, passionnants, bien que l’essentiel à mes yeux soit le matériel et la gestion des données de demain. Mais, dans les territoires, nombre de nos concitoyens n’ont même pas le Edge ! La priorité dans les années à venir doit être de leur permettre d’y avoir accès.
Les auteurs de la proposition de résolution souhaitent une autorité de régulation ? Elle existe déjà, c’est l’Arcep. Comme je l’indiquais précédemment, le système dans lequel ce sont les collectivités qui ciblent les priorités et l’État qui finance fonctionne plutôt bien. N’y touchons donc pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, hasard du calendrier, hier, Paul-Henry Martin, habitant Pierre-Châtel dans le sud de l’Isère, m’interpellait pour me signaler les difficultés que rencontre sa commune pour être raccordée à la fibre optique.
La semaine dernière, un maire de ma région, le Trièves, m’indiquait qu’un jeune couple avait renoncé à s’installer dans sa commune, faute de liaisons internet et mobile.
Voilà quelque temps, un artisan me racontait qu’il était obligé de prendre sa voiture pour télécharger un dossier d’appel d’offres depuis un village mieux desservi.
Je pourrais vous donner bien d’autres exemples, monsieur le secrétaire d’État. C’est – hélas ! – le quotidien de nombreux habitants en zones rurales, et plus encore en montagne.
Selon les données de l’Arcep du mois de juillet 2020, près d’un tiers des foyers français n’ont toujours pas accès à la fibre. Son déploiement est devenu un enjeu de politique locale ; la réalisation est assurée en grande partie par les départements. Or, force est de le constater, malgré les millions d’euros de fonds publics européens, régionaux, intercommunaux et même communaux engagés, les résultats ne sont pas au rendez-vous.
Les problèmes sont parfois techniques, parfois financiers, mais ils signent surtout l’échec d’un modèle privé qui ignore la cohérence, l’équité territoriale et la mission de service public, un modèle basé sur la rentabilité et la concurrence au détriment du service rendu aux habitants.
Corriger ce modèle défaillant, c’est tout l’objet de la présente proposition de résolution, que j’ai l’honneur d’avoir cosignée avec la présidente Éliane Assassi. Je remercie d’ailleurs vivement nos collègues du groupe CRCE d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour de nos travaux.
L’État doit redevenir moteur en matière d’aménagement du territoire. Comme d’habitude, les opérateurs privés s’intéressent seulement aux zones denses qui leur assurent un retour sur investissement. On ne peut nullement compter sur eux pour équiper les 43 % d’habitants des zones peu denses et non conditionnées.
Comme pour le rail, on aurait pu imaginer, même si ce n’est pas la panacée, un modèle où l’État déploie les réseaux, en détient la propriété et les loue aux opérateurs privés. Sans cohérence et sans faire d’économie, on a laissé les opérateurs déployer les réseaux, souvent sans concertation et sans assurer la couverture totale du territoire.
Pis, pour le déploiement de l’internet mobile, on a laissé les trois grands opérateurs installer chacun leurs propres antennes relais, sans incitation à la mutualisation, multipliant ainsi inutilement les infrastructures. Quelle aberration écologique ! Quel gâchis économique ! Et je ne parle même pas du déni démocratique puisque les habitants ne sont même plus informés en amont de l’installation de ces antennes…
Afin de stabiliser ce système hybride et bancal, l’État et les collectivités doivent investir des milliards d’euros pour se substituer aux opérateurs privés et compléter la couverture du pays. C’est l’objet du plan France Très haut débit, lancé en 2013. On mesure vingt ans plus tard toute la vision politique des gouvernements qui ont privatisé France Télécom ! Faute d’opérateur national, d’une stratégie nationale cohérente et d’une expertise publique suffisante, voilà la France incapable de fibrer correctement son petit territoire en moins d’une décennie.
Monsieur le secrétaire d’État, la promesse présidentielle de parvenir à la fin de l’année 2020 au 100 % de haut et très haut débit n’a pas connu plus de succès que celle de sortir du glyphosate à la même échéance. (M. Daniel Salmon applaudit.)
Les objectifs du plan France Très haut débit ont déjà été repoussés à 2025. Pour tenir cet horizon lointain, que nous impose d’ailleurs la Commission européenne, l’État doit accompagner les collectivités locales. Il est nécessaire, comme le proposent les auteurs de la résolution, de revoir l’architecture de financement des réseaux d’initiative publique et d’accorder un soutien exceptionnel aux collectivités les plus en retard.
Faute de soutien financier de l’État, de sanction effective et de mesures plus contraignantes à destination des opérateurs, nombre de nos concitoyens continueront à vivre des années durant en zone blanche.
Monsieur le secrétaire d’État, pour le seul intérêt de quelques entreprises, le gouvernement auquel vous appartenez ne pense qu’à déployer en urgence la 5G dans les grandes villes, sans débat démocratique et sans attendre le résultat des études sanitaires. Vous invoquez les besoins de téléconsultations de médecine en zone rurale dans des endroits où l’on ne peut parfois même pas envoyer un mail ou passer un coup de téléphone. Loin de résorber la fracture numérique et la fracture territoriale, votre politique l’aggrave. Vous pourriez a minima conditionner le déploiement de la 5G à la complétude préalable du réseau fibre ou 3G. Nous ne ferons pas nôtre cette proposition, mais voilà une idée pour vous permettre de tenir vos promesses aux Français et aux opérateurs.
Pour vous inviter à agir sans tarder, nous voterons tout naturellement en faveur de cette proposition de résolution. Nous ne comprenons pas que le vote du Sénat ne soit pas unanime. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le numérique est plus que jamais essentiel dans nos vies, aussi bien pour apprendre, pour travailler, pour avoir accès à ses droits, pour se divertir que pour consommer. Le confinement et les contraintes sanitaires ne font qu’accentuer ce constat.
Le numérique n’est pas un luxe. C’est un droit essentiel au fonctionnement de notre pays. En effet, il faut garantir à chaque citoyen, en ville comme à la campagne, en métropole comme outre-mer, un accès à internet performant avec la construction ou le déploiement d’équipements de qualité.
En France, le déploiement du numérique et du mobile est bien en cours et s’accélère.
L’infrastructure numérique est un bien de première nécessité. C’est pourquoi le Gouvernement en a fait un marqueur de son action. C’est également un élément clé de la cohésion des territoires, d’inclusion des citoyens et de compétitivité de notre économie.
Soyons clairs et disons-le sans ambages : l’État agit en la matière avec détermination et a pris les mesures nécessaires pour obliger les opérateurs de téléphonie à accompagner les collectivités dans la couverture du territoire.
En effet, au mois de janvier 2018, le Gouvernement a conclu un accord historique avec les quatre opérateurs de téléphonie mobile pour généraliser la 4G en France. Pour ces opérateurs, cela représente cinq engagements forts et contraignants : convertir les pylônes 2G et 3G existants en pylônes 4G ; assurer la couverture mobile dans des zones stratégiques non ou mal couvertes ; généraliser la 4G dans les transports, dont 55 000 kilomètres d’axes routiers et 23 000 kilomètres de voies ferrées ; optimiser le passage de la 4G à l’intérieur des bâtiments ; proposer une offre de 4G fixe là où le débit n’est pas suffisant.
Par ailleurs, l’Arcep contrôle de manière indépendante le respect de chacune des obligations par les opérateurs. Ce contrôle est totalement transparent puisque les indicateurs de suivi de mise en œuvre des engagements sont accessibles sur le site internet de l’Autorité.
De plus, dans la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, le Gouvernement a donné des moyens complémentaires pour atteindre ces objectifs ambitieux de couverture de l’ensemble du territoire en très haut débit. Il est d’ailleurs à noter que le Sénat a fortement contribué à enrichir le texte lors de son examen.
Il faut aussi mettre l’accent sur l’évolution déterminante que constituent pour la ruralité la couverture en très haut débit et la résorption des zones blanches de téléphonie mobile. En effet, quand le très haut débit et la téléphonie mobile 4G, puis la 5G innerveront le monde rural, un obstacle majeur à l’installation d’entreprises et à l’arrivée de travailleurs qualifiés indépendants sera levé, répondant ainsi aux préoccupations de M. Gontard. C’est tout à fait essentiel, structurant. Cela induit une nouvelle forme d’aménagement du territoire et de nouveaux modes de vie pour les Français.
L’État a engagé un plan France Très haut débit. En 2022, 100 % des Français seront éligibles au très haut débit, dont 80 % grâce à la fibre optique. Le Gouvernement veut aller plus loin et se fixe un objectif ambitieux : la généralisation de la fibre optique jusqu’à l’abonné sur l’ensemble du territoire à l’horizon 2025. Dans le cadre du plan France Très haut débit, 75 % des départements ont déjà prévu la généralisation de la fibre optique sur leur territoire d’ici à 2025.
Si les départements sont généralement les maîtres d’ouvrage, l’État est le principal financeur, avec un apport historique de 3,3 milliards d’euros sous ce quinquennat, abondé par des crédits européens.
Le plan de relance permet d’ajouter 240 millions d’euros au bénéfice de cette priorité politique pour en accélérer encore la mise en œuvre. Un investissement de cette ampleur est inédit et permet d’accélérer la couverture numérique du territoire.
D’ici à la fin de l’année, quasiment tous les Français auront un accès à internet haut débit. Le très haut débit, lui, sera accessible d’ici à 2022. L’accès à internet par la fibre optique sera généralisé à l’horizon 2025.
Ces trajectoires et les moyens dévolus pour les atteindre font de ce quinquennat le plus volontariste pour renforcer la couverture du territoire depuis des décennies. En zone d’initiative publique – cela concerne en premier lieu les territoires ruraux –, au deuxième trimestre de 2020, ce sont 4,3 millions de locaux qui ont été raccordés au réseau fibre à l’abonné, contre 2,5 millions à la fin du deuxième trimestre de 2019, soit une hausse de 72 % en un an.
Le Gouvernement a ensuite pour objectif la généralisation de la 4G sur l’ensemble du territoire national. À ce jour, 76 % du territoire est couvert par tous les opérateurs, contre 45 % seulement au 1er janvier 2018. Un effort important a également été fourni pour améliorer la couverture mobile dans les zones blanches ou mal couvertes. Alors qu’au cours des quinze dernières années, seulement 600 nouveaux pylônes avaient été inaugurés, ce sont plus de 2 000 nouveaux pylônes qui vont être déployés en deux ans. Parmi ceux-ci, 462 ont déjà été mis en service, et le rythme des inaugurations est soutenu.
Le très haut débit devrait également nous permettre d’avancer sur un sujet stratégique pour la population française, particulièrement en zone rurale : la prise en charge sanitaire de la population, avec la télémédecine, qui continue de se développer puisque nous sommes passés de 50 000 consultations l’année dernière à un million au cours du premier confinement.
Avec la loi ÉLAN et le plan France Très haut débit, l’État a octroyé des moyens sans précédent pour la couverture numérique de notre pays. Ces efforts inédits doivent se poursuivre jusqu’en 2025, la représentation nationale devant avoir la possibilité d’en contrôler et d’en évaluer à chaque pas les avancées.
Ce sont autant de raisons qui poussent le groupe RDPI à voter contre la présente proposition de résolution, tout en remerciant le groupe CRCE de l’avoir inscrite à l’ordre du jour de nos débats.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’examen de la proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament et des produits médicaux, nous débattons à présent de cette proposition de résolution concernant la création d’un pôle public des télécommunications.
Dans les deux cas, la crise que nous vivons depuis plusieurs mois a fait émerger de manière encore plus prégnante le besoin de réformes et d’accélération de celles qui sont déjà engagées.
Sur le constat, nous ne pouvons qu’adhérer à cette proposition de résolution. Le numérique renforce l’accès de nos concitoyens aux services, à plus forte raison en période de confinement, de distanciation physique et de gestes barrières : démarches administratives, télémédecine, accès à l’information, aux savoirs et à la culture, ouverture sur le monde et, bien sûr, télétravail, dont la montée en puissance au printemps a été brutale, nous invitant à accélérer le déploiement du très haut débit.
Le numérique est également un outil de désenclavement et d’attractivité des territoires, en particulier en zone rurale, où l’accès aux services est plus difficile. La polarisation de notre modèle d’aménagement du territoire autour des métropoles a entraîné pour de nombreuses régions une perte de population avec, en corollaire, une inquiétante diminution de l’accès aux services essentiels. Or, si l’on veut désengorger les métropoles et relancer la dynamique des zones rurales et périurbaines, il faut nécessairement un accès internet de qualité partout et pour tous.
On ne peut nier le besoin exprimé depuis le début de la crise sanitaire par de nombreux Français, qui aspirent à une vie hors des centres-villes. À nous de leur proposer des solutions pour qu’ils réalisent leur rêve et celui de tous les élus des territoires que nous représentons.
Le plan France Très haut débit prévoit une couverture intégrale du territoire en 2025. Ainsi, 20 milliards d’euros ont été mis sur la table, en l’occurrence 14 milliards d’euros par les opérateurs privés et 6 milliards d’euros par les pouvoirs publics.
Après des investissements jugés insuffisants, l’État a inscrit dans le projet de loi de finances rectificative et dans le plan de relance des crédits supplémentaires, le total s’élevant à 550 millions d’euros.
Selon l’Arcep, plus 10 millions de locaux seront abonnés à la fibre à la fin de l’année, soit 50 % de plus qu’en 2019. À ce rythme, l’ensemble des 41 millions de locaux français pourraient être fibrés d’ici à quatre ans. L’Arcep indique que 96 % du territoire est couvert par la 4G par au moins un opérateur.
Les chiffres sont donc encourageants. À cet égard, nous devons saluer le formidable travail des RIP, qui pallient effectivement l’absence des opérateurs privés, plus attirés par les zones denses et rentables que par les zones blanches que nous connaissons tous. Chez moi, la régie Auvergne Numérique permettra bientôt à 91 % des locaux auvergnats d’être couverts par la fibre, grâce aux 300 millions d’euros investis par la région, les quatre départements, l’État et l’Europe.
Nous pensons qu’il faut accompagner les initiatives déjà engagées plutôt que de renverser cet équilibre fragile. Les budgets alloués par l’État et l’aide que l’ANCT apporte aux collectivités devraient permettre d’accélérer le déploiement du très haut débit dans les zones qui en sont encore exclues. Car tel est le sujet qui nous préoccupe : seul un quart des Français sont raccordables à la fibre en zone rurale, contre 80 % dans les grandes villes.
Pour cela, cette proposition de résolution appelle à la création d’un nouveau droit, sous la forme d’un service universel. C’est ce que prévoit déjà le plan France Très haut débit à l’horizon 2025… Cet horizon peut, en effet, paraître bien lointain pour ceux dont la connexion défaillante renforce les fractures territoriales que nous ne parvenons déjà pas à résorber.
Nous sommes toutefois convaincus qu’une nouvelle réforme n’est pas la bienvenue en la matière. C’est pourquoi notre groupe s’abstiendra sur ce texte. Il faut avant tout sécuriser les investissements publics et privés, sanctionner les opérateurs lorsqu’ils ne respectent pas leurs engagements, renforcer l’ingénierie des collectivités et accroître la transparence et la concertation lorsque des oppositions locales se manifestent.
Avant de conclure, j’évoquerai un autre aspect du numérique qui mérite, lui aussi, des investissements à la hauteur : l’illectronisme.
En 2020, en France, une personne sur deux n’est pas à l’aise avec le numérique et 13 millions d’entre nous en demeurent éloignés. Si ces inégalités se sont accrues depuis le début de la crise sanitaire, avec le recours parfois indispensable au télétravail, la dématérialisation généralisée des services publics laisse depuis des années sur le bord de la route trois Français sur cinq, incapables de réaliser des démarches administratives en ligne. C’est notamment le cas des personnes en situation de handicap, pour qui 13 % seulement des démarches sont réellement accessibles.
L’État a récemment débloqué 250 millions d’euros, en particulier pour le recrutement et la formation de 4 000 conseillers numériques. Dans son rapport, la mission d’information du groupe du RDSE évalue à un milliard d’euros la somme à mobiliser d’ici à 2022 pour financer l’inclusion numérique.
Loin de nos débats sur le déploiement du très haut débit, ceux qui sont exclus de cette société hyperconnectée ont le sentiment d’être des citoyens de seconde zone. Je vous invite à ne pas les oublier.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objectif de la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui est très louable : améliorer l’aménagement numérique de nos territoires.
Quatre demandes sont formulées : l’intégration du très haut débit dans le service universel des télécommunications, la création d’un pôle public des télécommunications, le soutien de l’État dans le financement des réseaux d’initiative publique et le renforcement de mesures plus contraignantes pour les opérateurs privés.
Nous sommes néanmoins partagés sur les propositions énumérées dans ce texte, même si l’intention est bonne. Nous souscrivons à l’idée que les réseaux constituent un bien commun, répondant non seulement à des exigences d’universalité, mais aussi de maîtrise de leurs conséquences environnementales. Pour autant, nous nous trouvons actuellement dans une situation de relatif équilibre. Nous pouvons légitimement espérer qu’avec le plan de relance, l’État va accélérer le déploiement de la fibre et veiller à résorber la fracture numérique que connaissent trop de territoires.
Cependant, nous sommes sur une corde raide, marchant pour l’heure entre emballement et retard par rapport à l’innovation. Je soulèverai donc plusieurs points cruciaux qui me semblent appeler notre vigilance.
La couverture en fibre du territoire national doit indéniablement être totale. Pour autant, possibilité doit être laissée à chacun de choisir son niveau de débit. Je pose la question : tous nos concitoyens ont-ils besoin du très haut débit ?
Certes, les périodes de confinement ont pu montrer qu’au sein d’un même foyer, la résilience du réseau pouvait être éprouvée lorsque plusieurs personnes sont connectées en même temps. Néanmoins, à l’heure où la sobriété doit être recherchée, y compris dans le numérique, la mise en place d’un « bon » haut débit peut parfois suffire. Ce serait déjà un véritable saut dans le monde moderne que d’avoir une couverture équilibrée et stable n’excluant plus personne.
J’en viens à la question des usages et de l’inclusion numérique, qui me paraît particulièrement importante pour soutenir l’accès de nos concitoyens et de nos entreprises aux outils en ligne.
La crise a montré à quel point le développement des usages du numérique était nécessaire, que ce soit pour le télétravail, pour le suivi des cours, mais aussi pour les artisans, pour déposer une demande d’aide auprès de l’État, ou, pour nos concitoyens, pour accéder aux services publics dématérialisés.
La mission d’information que nous avons menée au Sénat a cependant montré que près de trois Français sur cinq étaient exclus des usages numériques. Elle préconise entre autres d’évaluer plus finement l’exclusion numérique, de mieux cartographier les zones d’exclusion numérique, de passer d’une logique « 100 % dématérialisation » à une logique « 100 % accessible » pour les sites publics en ligne, d’octroyer un crédit d’impôt pour la formation au numérique aux entreprises et en particulier aux PME-TPE, aux commerçants et aux artisans, ou encore de combattre plus efficacement l’exclusion par le coût, avec la création d’un chèque-équipement destiné à la location ou à l’achat d’un équipement de préférence reconditionné, ce qui permet d’ailleurs de servir les objectifs de sobriété numérique en luttant contre l’obsolescence programmée des ordinateurs et des logiciels.
Ces propositions nous semblent à même de favoriser la réussite de la stratégie nationale pour un numérique inclusif, que le Gouvernement a dotée de 250 millions d’euros dans le cadre du plan de relance. À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, je réitère ma question concernant la pérennité de ces financements au-delà des deux ans du plan.
En conclusion, le numérique ne saurait se réduire à la seule question de l’aménagement du territoire. Il représente tout un écosystème qui doit contribuer à forger une société plus égalitaire, sobre et durable. Mais pour atteindre cet objectif, il nous faut rester vigilants sur la stratégie, comme sur le type de réseaux que nous souhaitons déployer. Il faut multiplier les études d’impact, afin de bien mesurer les conséquences de nos choix, avant de les mettre en œuvre. C’est le rôle du politique d’anticiper, d’évaluer les risques et les avantages. Aujourd’hui, aucun domaine n’est cloisonné ; tout est interdépendant. À nous de prendre en compte les multiples dimensions du problème. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)