M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Monique de Marco, rapporteure. La création d’un enseignement immersif pose un problème de constitutionnalité. En effet, le Conseil constitutionnel a déduit à plusieurs reprises de l’article 2 de la Constitution disposant que « le français est la langue de la République », que l’usage d’une langue autre que le français ne pouvait être imposé aux élèves d’un établissement de l’enseignement public ni dans la vie de l’établissement ni dans l’enseignement de disciplines autres que la langue considérée. Ainsi, l’enseignement dit « immersif » ne serait pas possible.
La pratique de la langue régionale peut aller jusqu’à la parité horaire hebdomadaire dans l’usage de la langue régionale et du français en classe, sans qu’aucun domaine disciplinaire autre que la langue régionale soit exclusivement enseigné dans cette dernière langue.
La commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je reprends de nouveau à mon compte les arguments très justes de la commission.
Plusieurs décisions de justice, y compris une décision du Conseil constitutionnel, font très clairement référence à l’article 2 et à son caractère contradictoire avec l’enseignement immersif.
J’observe que certaines écoles privées réputées, bilingues français-anglais, ne font pas de l’immersif, mais, au contraire, du français et de l’anglais.
Je n’entrerai toutefois pas dans le débat pédagogique, car chat échaudé… fait attention ! Durant nos derniers échanges à ce sujet, j’avais indiqué à quel point cette question me semblait mériter de la subtilité, mais les débats médiatiques qui avaient suivi en ont été tout à fait dépourvus. Je vais donc peser chacun de mes mots et les rendre insécables, de manière que ma pensée ne soit pas travestie.
Ces éléments sont importants. Il existe donc un cadre juridique, mais également une grande ouverture, à travers les expérimentations menées.
Pour toutes les raisons que Mme la rapporteure a rappelées, nous ne pouvons pas être favorables à cet amendement.
M. le président. Madame Muller-Bronn, l’amendement n° 16 rectifié est-il maintenu ?
Mme Laurence Muller-Bronn. Oui, monsieur le président. J’ai déjà répondu à l’argument de l’inconstitutionnalité.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2 bis.
M. le président. L’amendement n° 13 rectifié bis, présenté par MM. Hassani, Mohamed Soilihi et Dennemont, Mmes Duranton, Evrard et Havet et MM. Iacovelli, Rohfritsch, Théophile et Patient, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 372-1 du code de l’éducation est abrogé.
La parole est à M. Abdallah Hassani.
M. Abdallah Hassani. L’article L. 312-10 du code de l’éducation reconnaît les langues régionales comme appartenant au patrimoine de la France et prévoit leur enseignement. Or l’article L. 372-1 du même code dispose que cet article n’est pas applicable à Mayotte.
Nous demandons que l’on nous sorte de ce carcan qui nous empêche d’être comme les autres en abrogeant cet article L. 372-1.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Monique de Marco, rapporteure. L’ancien article L.O. 6161-26 du code général des collectivités territoriales prévoyait des dispositions spécifiques concernant l’enseignement de la langue mahoraise, ce qui justifiait la non-application à Mayotte de l’article L. 312-10 du code de l’éducation.
Or, dans le cadre de la départementalisation, l’article du code général des collectivités territoriales a été abrogé, mais la correction correspondante n’a pas été opérée dans le code de l’éducation.
L’enseignement des langues et des cultures régionales doit être possible à Mayotte, c’est pourquoi la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Le shimaoré et le kibushi sont des langues très importantes à Mayotte, nous devons y être attentifs, comme dans d’autres territoires d’outre-mer. Même si cet amendement n’était pas adopté, il nous faut toujours tenir compte de ce qui se passe en pratique s’agissant des langues régionales.
J’ai entendu les arguments de Mme la rapporteure : je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2 bis.
Je suis saisi de sept amendements identiques.
L’amendement n° 1 rectifié bis est présenté par M. Brisson, Mme Drexler, M. Reichardt, Mme Muller-Bronn, M. Panunzi, Mme Micouleau, MM. Cadec et Klinger, Mme Dumas, MM. Savin et Sautarel, Mme Deromedi, MM. Savary, D. Laurent et Cardoux, Mme Imbert, M. Laménie, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Gremillet et Belin et Mmes Berthet et Canayer.
L’amendement n° 2 rectifié bis est présenté par MM. Calvet, Sol, A. Marc, Grand, E. Blanc, Chatillon, Rapin et Longeot.
L’amendement n° 3 est présenté par MM. Dantec et Benarroche, Mme Benbassa, M. Dossus, Mme de Marco, MM. Fernique, Gontard et Labbé, Mme Poncet Monge, MM. Parigi et Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 6 rectifié est présenté par Mme S. Robert, M. Stanzione, Mme Espagnac, M. Kanner, Mme Le Houerou, MM. Fichet, Assouline et Bouad, Mmes G. Jourda et Lepage, MM. Lurel et Magner, Mmes Préville, Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 15 rectifié bis est présenté par MM. Decool, Wattebled, Médevielle et Chasseing, Mme Mélot, M. Lagourgue et Mme Paoli-Gagin.
L’amendement n° 17 rectifié quater est présenté par MM. Delcros, J.M. Arnaud, Laugier, Détraigne, Le Nay, Moga et Canevet, Mmes Billon, Saint-Pé et Perrot, MM. Cigolotti, Vanlerenberghe et P. Martin et Mme Vermeillet.
L’amendement n° 18 rectifié est présenté par Mme Havet, M. Rohfritsch, Mme Phinera-Horth, M. Haye, Mme Duranton et M. Buis.
Ces sept amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les sixième et septième alinéas de l’article L. 442-5-1 du code de l’éducation sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« La participation financière à la scolarisation des enfants dans les établissements privés du premier degré sous contrat d’association dispensant un enseignement de langue régionale au sens du 2° de l’article L. 312-10 fait l’objet d’un accord entre la commune de résidence et l’établissement d’enseignement situé sur le territoire d’une autre commune, à la condition que la commune de résidence ne dispose pas d’école dispensant un enseignement de langue régionale. »
La parole est à M. Max Brisson, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié bis.
M. Max Brisson. Cet amendement vise à préciser les dispositions du code de l’éducation, lequel énonce que la participation financière à la scolarisation des enfants dans un établissement du premier degré qui dispense un enseignement de langue régionale doit faire l’objet d’un accord entre la commune de résidence de l’élève, à la condition que cette dernière ne dispose pas d’école dispensant un enseignement de langue régionale, et l’établissement d’accueil situé sur le territoire d’une autre commune.
Il est proposé, par cet amendement, de préciser que cette participation financière est due lorsque la commune de résidence ne dispose pas d’école dispensant un enseignement de langue régionale afin de permettre une meilleure application de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance.
Il s’agit ainsi d’atteindre l’objectif que celle-ci assigne en apportant une modification rédactionnelle à l’article L. 442-5-1 du code de l’éducation afin de rendre opérationnelle l’intention de l’État et de permettre le versement du forfait scolaire à l’établissement d’enseignement bilingue.
À la suite de la déclaration du Premier ministre Édouard Philippe au président de la région Bretagne en février 2019, matérialisée dans le contrat pour l’action publique en Bretagne, sur la possibilité de faire bénéficier les écoles bilingues en français et en langue régionale du forfait scolaire communal et du vote favorable de la conférence territoriale de l’action publique (CTAP) en avril 2019, le ministre de l’éducation nationale s’est engagé, devant l’Assemblée nationale, à honorer les annonces du Premier ministre lorsque le texte serait en discussion au Sénat.
Dans ce cadre, le Sénat a voté un amendement, présenté par la sénatrice Maryvonne Blondin, qui réglait le problème. Cependant, en commission mixte paritaire, la rapporteure du texte à l’Assemblée nationale a proposé une réécriture qui a été adoptée. Or cette rédaction ne fonctionne pas de manière satisfaisante sur le terrain, les écoles concernées n’obtenant pas, dans de nombreux cas, la participation financière des communes.
Aujourd’hui, en Bretagne seulement, 56 demandes d’arbitrage sont à la charge des préfets. Les relations entre élus communaux, en premier lieu les maires, d’une part, et les parents et les structures des écoles, d’autre part, se tendent.
Une rédaction claire et sans ambiguïté sera en mesure de pacifier ce conflit. Cet amendement, qui tend à préciser que seuls les établissements dispensant un enseignement de langue régionale seront concernés, est de nature à limiter les contentieux.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis n’est pas défendu.
La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 3.
M. Ronan Dantec. En dehors d’un désaccord quant au nombre de contentieux, il a été très bien défendu.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié.
Mme Sylvie Robert. Il est défendu. Je rappelle au ministre que cet amendement, qui reste dans l’esprit de ce texte, reprend un engagement du Gouvernement et avait été adopté après accord de la CTAP.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour présenter l’amendement n° 15 rectifié bis.
M. Jean-Pierre Decool. Il a été défendu par mes collègues.
M. le président. La parole est à M. Michel Laugier, pour présenter l’amendement n° 17 rectifié quater.
M. Michel Laugier. Il est défendu.
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour présenter l’amendement n° 18 rectifié.
Mme Nadège Havet. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Monique de Marco, rapporteure. Ces amendements concernent le forfait scolaire ; le Sénat avait déjà débattu de ce sujet lors de l’examen de la loi pour une école de la confiance. Or la rédaction issue de la commission mixte paritaire, notamment la notion de contribution volontaire, est source de tensions sur le terrain.
Ces amendements visent à clarifier la situation, l’avis de la commission est favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Il est toujours un peu étonnant de devoir revenir sur quelque chose qui a été décidé en commission mixte paritaire il y a très peu de temps.
La loi pour l’école de la confiance constitue une avancée concernant les langues régionales et je renvoie, à ce sujet, à la notion d’équilibre que j’évoquais dans mon discours initial et qui doit nous guider sur ces sujets. Nous devons en effet considérer l’ensemble des acteurs, en particulier les communes, lesquelles, si cet amendement était adopté, se trouveraient dans une situation d’obligation.
Ensuite, nous créerions un précédent. Je rappelle que, lorsqu’un en enfant est scolarisé dans une autre commune, cette obligation existe aujourd’hui pour trois types de motifs seulement, qui s’imposent chacun à l’enfant et à sa famille, comme le motif de santé. Si une commune doit verser cette contribution à une autre quand un enfant va s’y scolariser, c’est donc parce que celui-ci y est obligé par des raisons objectives.
Avec cet amendement, nous créerions le précédent, aussi légitime soit-il, d’une obligation liée à une « envie » de quelque chose. Je ne conteste pas la légitimité de ce sentiment, mais d’autres pourraient surgir dans le futur et demander à bénéficier de la même approche.
Ce serait donc créer un précédent, alors même que nous prenons un engagement qui est, selon moi, de nature à créer du liant et du consensus, puisqu’il suppose que l’on s’entende. Dans une région, tout le monde souhaite normalement l’enseignement d’une langue régionale, mais il peut y avoir des cas particuliers. J’ai entendu précédemment un sénateur s’inquiéter de ce que cela impliquait en matière d’équilibre entre le secteur public et le secteur privé, par exemple.
Je n’ai pas changé quant à l’esprit avec lequel j’aborde ces questions : oui à la promotion des langues régionales, à la possibilité pour une commune d’aider une autre commune lorsqu’un enfant de la première va dans la seconde pour recevoir l’enseignement de cette langue régionale, mais créer une obligation satisferait les uns en mécontentant les autres. Il me semble qu’un système de dialogue allié à un maillage, auquel l’éducation nationale est associée, me paraît plus opportun.
Encore une fois, il ne s’agit pas d’aller contre l’esprit de cette proposition de loi, mais d’être, dans la lettre, attentif à ne pas franchir un pas que nous pourrions être conduits à regretter. On peut constater des insatisfactions sur le terrain, gardons-nous d’en créer de plus grandes encore.
L’avis est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. L’amendement qui nous est soumis porte extension de la loi du 28 octobre 2009, dite loi « Carle », du nom de notre regretté collègue sénateur.
Vous l’avez dit très justement, monsieur le ministre, il s’agit d’ajouter une quatrième condition à un texte contre lequel nous avions voté, avec nos collègues socialistes. Nous étions alors ensemble pour refuser ce texte, nous restons, quant à nous, sur cette position.
Vous l’avez dit clairement, monsieur le ministre, et j’ai plaisir à constater que nous nous rejoignons dans l’hémicycle : cette quatrième condition nous semble dénaturer totalement l’équilibre de la loi Carle, à laquelle nous étions déjà opposés.
Nous ne pouvons pas voter cet amendement, je le dis avec une grande tristesse, mes chers collègues, parce que, à mon sens, il aurait été intéressant de construire un consensus global et de voter conforme le texte qui nous est arrivé de l’Assemblée nationale. Vous savez comme moi ce qu’il adviendra des dispositions que nous votons dans la suite du parcours législatif.
Nous aurions pu, symboliquement, travailler ensemble pour pousser le consensus jusqu’au bout, voter conforme ce texte et, ainsi, marquer un changement politique majeur de la façon dont la représentation nationale aborde le sujet complexe des langues régionales.
Je regrette de devoir vous l’indiquer après mon collègue Jérémy Bacchi : si cet amendement était adopté, nous ne pourrions pas voter ce texte.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. J’entends que, finalement, la loi pour une école de la confiance est gravée dans le marbre quasiment définitivement – pourtant, les lois changent ! – et que les paroles d’un Premier ministre qui s’engage solennellement à Rennes peuvent être remises en cause.
C’est l’engagement du Premier ministre que vous êtes en train de remettre en cause par vos propos, cet après-midi, monsieur le ministre ! Certes, depuis que celui-ci l’a pris, nous avons changé de Premier ministre, mais il me semblait que vous nous décriviez une continuité de la parole de l’État, alors que, de surcroît, la majorité, elle, n’a pas changé.
Lisez bien le dispositif de cet amendement. Il y est écrit : « fait l’objet d’un accord entre la commune de résidence et l’établissement d’enseignement situé sur le territoire d’une autre commune ». L’idée d’un dialogue y est toujours présente.
La rédaction issue de la commission mixte paritaire indique simplement que ce processus est facultatif, sans obligation, alors qu’un accord est tout de même nécessaire, ce qui entraîne des contentieux. Cela ne fonctionne pas et nous vous proposons justement de recréer le dialogue entre les uns et les autres.
Votre position remet en cause ce qu’a dit Édouard Philippe à Rennes.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Je partage ce que vient de dire Ronan Dantec. Monsieur le ministre, vous êtes cohérent avec vous-même, permettez au Sénat de l’être tout autant. Nous avions voté ainsi ce texte en première lecture de la loi pour une école de la confiance.
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour explication de vote.
Mme Frédérique Espagnac. En effet, nous avions voté ce texte comme l’a indiqué M. Brisson, dans la rédaction proposée dans cet amendement.
Il est nécessaire de faire preuve de pragmatisme : nous constatons tous les problèmes qui surgissent dans les régions et nous essayons de leur apporter une solution. Bien entendu, celle-ci se trouve dans la discussion avec les élus, mais il ne s’agit pas d’ouvrir des précédents. Monsieur le ministre, vous mettez en garde, à juste titre, contre la tentation d’opposer les différents modes d’enseignement. Restons dans le cadre de l’école publique et consolidons-y l’enseignement et la place des langues régionales.
Nous sommes tous ouverts, vous-même avez apporté votre soutien aux langues régionales et je vous en remercie. Or il ne saurait être question aujourd’hui de restrictions ; nous sommes là pour faire en sorte que tout se passe bien.
Je tiens d’ailleurs à rendre hommage à Paul Molac, avec qui j’avais travaillé au sein de la commission Filippetti ainsi que sur la charte des langues régionales.
Cette mesure est de bon sens, c’est pourquoi, comme beaucoup de nos collègues, nous vous demandons de faire preuve de bienveillance.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Monsieur le ministre, nous ne modifions pas l’esprit de la loi par cet amendement. Nous l’avions voté ici et, comme le rappelait M. Dantec, cette rédaction a fait l’objet d’un engagement de votre gouvernement.
En Bretagne, nous avons respecté la validation par la CTAP de cet engagement et de cet amendement, comme notre collègue Maryvonne Blondin nous l’avait bien expliqué.
Nous modifions simplement la rédaction pour que la loi soit bien appliquée et bien comprise. C’est une question de cohérence pour le Sénat et je forme le vœu qu’il en aille de même pour votre gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Cet amendement important est un des points principaux du débat qui nous occupe cet après-midi.
J’ai bien entendu les arguments des uns et des autres et je comprends que ceux de nos collègues pour qui la langue régionale correspond à quelque chose de très profond entendent défendre ce dispositif.
Néanmoins, ce qui prime, ce n’est pas l’expression d’une somme de sénateurs impliqués, du fait de leur histoire personnelle, dans la défense des langues régionales, mais la position du Sénat, qui va s’exprimer. Nous allons envoyer un message, notamment à l’Assemblée nationale.
Je ne vais pas reprendre mot pour mot les arguments du ministre et de Pierre Ouzoulias, mais je les partage entièrement.
À travers cet amendement, nous sommes tout de même en train de créer une dépense obligatoire pour nos communes ! Il n’est pas anodin que le Sénat, dans le contexte actuel, connaissant les difficultés financières auxquels nos villes et nos villages sont confrontés, alors que la priorité, pour un certain nombre d’entre eux, est le financement des écoles publiques, crée une telle dépense, aussi méritoire et légitime que soit sa cause.
En outre, effectivement, le cadre général du financement des écoles privées ou associatives est construit ainsi : quand celles-ci sont situées sur le territoire de la commune, la commune a l’obligation de les financer, quand elles sont situées sur le territoire d’une autre commune, cela devient une possibilité et non plus une obligation.
Nous sommes donc en train de sortir de ce cadre général, qui intégrait déjà quelques exceptions très précises. Or la question du financement des écoles privées et associatives repose sur un équilibre qui s’est construit au fil du temps et qui, s’il donne assez largement satisfaction et fait l’objet d’un consensus, est néanmoins précaire.
Encore une fois, je comprends parfaitement vos motivations, mais je voterai contre cet amendement, malgré toute la bienveillance que je nourris envers ce texte et je vous alerte sur ses conséquences.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je veux tout d’abord saluer l’éloquence du président Lafon. En quelques mots, il a parfaitement résumé la question de principe à laquelle nous sommes confrontés, car – il est très important de le souligner – c’est bien d’une question de principe qu’il s’agit, derrière ce débat.
Je souhaite en profiter pour aborder une seconde question de principe.
Je suis échaudé, je le répète, par les débats que nous avons déjà eus sur cette question ; ce thème se prête souvent à des échanges, dans lesquels chaque parlementaire veut se montrer plus généreux que le ministre. Ce n’est pas forcément le problème, me direz-vous, mais nous devons, en tout cas, tâcher de préserver un certain équilibre.
La notion d’équilibre a été abordée au travers de la question du privé et du public. C’est, à mes yeux, un point majeur et il est dans l’intérêt de tout le pays, de tous les acteurs, que nous sachions conserver cet équilibre.
Il faut également maintenir un équilibre dans notre manière de concevoir le sujet qui nous occupe aujourd’hui. Or ce qu’il y avait de désagréable dans la précédente discussion – j’y ai déjà fait allusion, mais je souhaite y revenir –, c’est que, alors que la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a incontestablement représenté un progrès pour les langues régionales et tandis que notre discussion d’aujourd’hui pourrait encore aboutir à de nouvelles avancées pour ces langues – bref, quels que soient les progrès accomplis –, les commentaires qui sont faits ensuite sont toujours des commentaires d’insatisfaction et de stigmatisation du jacobinisme prétendu du ministre.
En vous écoutant, celui qui vous parle s’est rendu compte qu’il a des ascendances – Dieu sait que je n’aime pas faire référence à cela ni, d’ailleurs, utiliser cette expression – catalanes, alsaciennes ou encore bretonnes. Un de mes arrière-grands-pères a été obligé de changer plusieurs fois de langue, comme le vôtre, madame Drexler ; il a même été contraint de quitter l’Alsace pour continuer de parler le français. Quant à moi, je me suis inscrit à l’épreuve de breton lorsque j’ai passé le baccalauréat et le catalan m’est une langue extrêmement sympathique.
Il est donc pénible d’être sans cesse obligé d’occuper la position du jacobin rétif, sur la défensive, alors même que nous avons une politique de promotion des langues régionales. Simplement, à certains moments – par exemple avec la rupture de l’équilibre entre enseignement public et enseignement privé ou avec la création d’une obligation supplémentaire pour les communes –, les propositions vont trop loin et cela conduit à me placer, face aux générosités diverses, dans la position désagréable du gardien des principes ou dans celle du gardien de l’intérêt général. En effet, derrière ces débats se pose la question de l’intérêt général et de la postérité de la loi Carle, car vous risquez de créer un déséquilibre alors que cette loi représentait un point d’équilibre.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié bis, 3, 6 rectifié, 15 rectifié bis, 17 rectifié quater et 18 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 47 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Pour l’adoption | 253 |
Contre | 59 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains.)
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2 bis.
L’amendement n° 10 rectifié, présenté par M. Reichardt, Mmes Muller-Bronn, Berthet et Deromedi, M. Grand, Mme Dumont, MM. Daubresse, H. Leroy, Savary, Moga, Charon et Klinger, Mmes Lassarade et Gruny, M. Calvet, Mmes Drexler et Belrhiti, MM. Gremillet, P. Martin et Longeot et Mme Chain-Larché, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article L. 1111-4 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Dans ces domaines, l’action de ces collectivités territoriales peut notamment prendre la forme de soutiens financiers attribués à l’investissement ou au fonctionnement d’institutions publiques ou privées agissant pour la promotion des langues régionales, notamment dans les domaines éducatif ou scolaire. »
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Cet amendement tend simplement à reconnaître la faculté, pour les collectivités territoriales, auxquelles la mission de promotion des langues régionales est déjà formellement attribuée, de contribuer au financement d’institutions publiques ou privées agissant en faveur des langues régionales, notamment dans le domaine de l’éducation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?