Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.
Mme Sophie Taillé-Polian. Je n’appelle pas à la création de postes de fonctionnaires par milliers à travers la France en vue de l’instauration d’un service public unifié. Bien entendu, il s’agit plutôt de structurer les acteurs présents, qui sont notamment des acteurs associatifs ou du secteur de l’économie sociale et solidaire.
Mais l’idée que je défends, surtout, c’est que l’éducation nationale, qui est en soi, déjà, un service public, doit servir de cadre, tout comme elle peut aussi servir de lieu pour propager l’éducation au numérique – outils, logiciels, mais aussi contenus – dans le temps scolaire et en dehors du temps scolaire.
L’investissement, je pense, n’est pas encore à la hauteur.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Le débat de ce jour intervient après l’adoption, hier soir, dans cet hémicycle, de la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. Je suis intervenue sur les problématiques liées à la captation de notre attention, une ressource très, voire trop prisée, avec un coût cognitif pour les usagers et un coût écologique pour notre planète.
Il y a le trop… Il y a aussi le pas assez !
Lutter contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique, c’est l’ambition que Raymond Vall a affichée, en qualité de sénateur du Gers, rappelant par la même occasion que le Sénat est aussi la chambre du numérique, puisque son développement et son accessibilité ont tout à voir avec l’aménagement du territoire.
Le constat d’une fracture, ou plutôt des fractures numériques traversant la France a conduit à l’adoption de nombreuses mesures au cours de dernières années et, très récemment, dans le cadre du plan de relance.
Dans un document publié en octobre, Jean-François Lucas, sociologue de la ville numérique, aborde certaines propositions tirées du rapport de notre ancien collègue. Il rappelle que « la période de confinement et la crise sanitaire, sociale et économique que nous vivons n’ont fait qu’accélérer la place du numérique dans notre société et amplifier les risques d’exclusion lui étant liés, rendant, de fait, la problématique de l’inclusion numérique plus actuelle que jamais ».
Deux constats ressortent, en effet, des conclusions du rapport de la mission d’information. D’une part, l’illectronisme, dont les conséquences sur le pacte social sont dévastatrices, a longtemps été sous-estimé. La crise en a été une révélatrice autant qu’une amplificatrice. D’autre part, la tendance a longtemps été à la couverture numérique du territoire, et non à la maîtrise des usages par les personnes. Il est notable que les moyens alloués par le passé – disons : au cours des vingt dernières années – n’ont pas été à la hauteur des enjeux.
C’est pourquoi je souhaiterais vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur l’intermédiation numérique et, plus spécifiquement, sur ces deux points : le développement des référents numériques au niveau des intercommunalités et l’état d’avancement dans la formation des médiateurs numériques et des médiateurs sociaux au numérique.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Vous avez commencé votre intervention, madame la sénatrice Havet, en évoquant la question du marché cognitif et de sa dérégulation. J’en profite pour conseiller aux membres de la Haute Assemblée la lecture du dernier livre de Gérald Bronner, intitulé Apocalypse cognitive, qui apporte des éléments tout à fait intéressants sur notre rapport aux réseaux sociaux et à l’information dans le cadre de la dérégulation du marché cognitif. Cela est parfaitement en lien avec la question que nous évoquons aujourd’hui : celle de l’illectronisme et de la capacité à comprendre comment évolue notre rapport à l’information.
Mais j’en reviens à la problématique de la formation des médiateurs numériques.
Nous avons donc annoncé le déploiement, dans les mois à venir, de 4 000 conseillers numériques sur le territoire. L’ensemble des acteurs engagés et, en premier lieu, les collectivités ont été invités dans ce cadre à postuler sur la plateforme en ligne conseiller-numerique.gouv.fr, ce que plusieurs milliers de collectivités ont fait.
Voilà quelques jours, j’ai signé la première convention de déploiement – pour trente conseillers – avec le département de l’Allier. Tous les niveaux de collectivités peuvent postuler au programme, mais nous avons effectivement choisi de nous appuyer sur les départements, compte tenu de leurs responsabilités en matière sociale, pour coordonner le déploiement au niveau local. Ce peut être également la région, quand celle-ci est investie sur le sujet.
Notre volonté est de proposer un dispositif le plus simple possible aux collectivités, afin d’avoir un déploiement le plus rapide possible. Nous discutons actuellement avec toutes celles qui ont présenté un dossier. J’aurai l’occasion, ce vendredi, de me déplacer dans un département limitrophe de Paris pour annoncer un autre déploiement de conseillers numériques.
Notre objectif, en tout cas, est bien de disposer, à la fin de l’année 2021, de plus de 2 500 conseillers numériques présents sur le terrain pour accompagner les Français.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Vous savez combien ce sujet est important pour le groupe du RDSE, monsieur le secrétaire d’État. Je me réjouis donc que nous puissions avoir ce débat et j’ai une pensée pour notre ancien collègue Raymond Vall, qui en est à l’origine.
Parallèlement à la lutte contre l’illectronisme, deux importants combats sont à mener.
D’abord, il faut s’assurer que les plus démunis aient accès aux outils informatiques. Nous parlons là de lutte pour l’inclusion numérique à tout âge et, sur ce sujet, je tiens à saluer le travail des collectivités. Ce sont elles qui, le plus souvent, fournissent, notamment aux jeunes, ces outils indispensables à leur réussite. Nous l’avons encore vu au moment du confinement.
Ensuite, il faut s’assurer que l’ensemble de la population dispose d’une connexion de haut ou de très haut débit. Ce rappel me semble important lorsque l’on sait que, dès demain, les plus de 75 ans pourront – et devront, peut-être – prendre rendez-vous dans un centre de vaccination par le biais de la plateforme Doctolib.
Je vous épargnerai les polémiques sur la collecte des données, mais, si l’initiative prise sous l’angle de la simplification est intéressante, il faudrait s’assurer que l’ensemble de nos concitoyens soient sur un pied d’égalité quant à l’accès à cette plateforme. Or je crains que ce ne soit pas le cas.
Pour une majeure partie, les nombreux Français concernés par l’illectronisme sont âgés et vivent dans des zones où l’accès à une connexion de qualité relève du parcours du combattant. Je ne souhaite pas polémiquer, ni même opposer les urbains aux ruraux, mais je crains que la solution Doctolib ne vienne surtout aider les populations non affectées par la fracture numérique.
Je ne suis pas opposée à la dématérialisation – loin de là ! Celle-ci permet de faire des économies, réduit les délais et évite de nombreux déplacements. Il faut néanmoins toujours veiller à ce qu’elle facilite les relations avec les usagers.
Mis en place depuis plus de cinq ans, le label « e-accessible » vise à valoriser les démarches d’accessibilité instaurées par les administrations.
Monsieur le secrétaire d’État, quand trois Français sur cinq, environ, estiment rencontrer des difficultés dans leurs démarches administratives en ligne, quel bilan pouvez-vous dresser de ce label ? Combien de nos administrations en sont titulaires ? Quelles pistes d’amélioration sont exploitables pour garantir un service public en ligne plus efficace ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Je voudrais d’abord apporter une correction à certains de vos propos, madame la sénatrice Carrère. La vaccination des plus de 75 ans, qui sera ouverte, je crois, à partir de demain, se fera en majeure partie dans des centres de vaccination et, effectivement, nous avons demandé à ces centres de vaccination de recourir à des systèmes d’information. Mais cela ne se réduit pas à Doctolib. Les centres ont le choix entre cette plateforme ou deux autres outils : KelDoc et Maiia. Ils sont parfaitement libres de choisir leur système de réservation.
Par ailleurs, si une réservation de créneaux par internet est prévue, le dispositif ne se limite pas à cela, pour tenir compte, évidemment, du fait que l’on s’adresse dans un premier temps à un public âgé. L’ensemble des 600 centres de vaccination disposeront également d’un numéro de téléphone.
D’ailleurs, j’invite les Françaises et les Français à se rendre, dès demain, sur le site sante.fr. Ils y trouveront la liste des 600 sites de vaccination, avec le lien pour réserver en ligne ou un numéro de téléphone pour prendre rendez-vous. En Allemagne, où la vaccination est ouverte aux plus de 70 ans – me semble-t-il –, on observe que la moitié des rendez-vous sont pris par téléphone et l’autre moitié via les plateformes de réservation.
S’agissant du label que vous avez évoqué, je crois malheureusement qu’il a été supprimé, en raison de son efficacité assez réduite.
Pour autant, nous sommes en train de déployer une stratégie du numérique en santé, qui m’apparaît être soutenue par l’ensemble des associations de patients et des acteurs du secteur de la santé, notamment parce qu’elle est extrêmement inclusive et accorde une attention particulière à l’accompagnement des patients dans leur usage du numérique – donc, à leur inclusion numérique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nassimah Dindar.
Mme Nassimah Dindar. Je ne vais pas m’étendre, mes chers collègues, sur les chiffres qui ont été donnés : 14 millions de Français en situation d’illectronisme et 50 % de nos concitoyens reconnaissant ne pas être à l’aise avec le numérique. La situation est pire dans les territoires ultramarins, où la fracture générationnelle est plus précoce et plus prononcée.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué les outils et les usages. J’aimerais également parler des publics.
Nous avons abordé les difficultés rencontrées par les publics vulnérables, que sont les personnes âgées ou encore la jeunesse et les étudiants. À La Réunion, comme dans les autres territoires ultramarins, la crise sanitaire a largement modifié le fonctionnement de notre société, avec une accélération des mutations managériales liée à la généralisation du télétravail ou une amplification de l’utilisation du numérique comme outil de la continuité pédagogique.
Mais, en matière de démarches administratives, le virage ne peut pas être pris de la même façon dans nos territoires, dans la mesure où, chez nous, l’illettrisme se conjugue encore avec l’illectronisme. Je parle ici de La Réunion, mais c’est aussi le cas à Mayotte.
Par ailleurs, comment pouvons-nous aborder ce virage sans laisser certains de nos concitoyens au bord du chemin quand, on le sait, les personnes handicapées restent malgré tout largement éloignées de l’outil numérique et que seulement 13 % des sites sont accessibles pour ces publics ? Qu’en est-il des personnes âgées isolées ?
Monsieur le secrétaire d’État, dans les 250 millions d’euros du plan de relance affectés à l’inclusion numérique, quelle priorité l’État entend-il accorder aux personnes porteuses de handicaps, afin que la simplification, utile et indispensable, engendrée par les démarches administratives en ligne bénéficie au plus grand nombre ? Que compte faire le Gouvernement, en lien avec les collectivités, pour l’inclusion numérique des personnes handicapées ?
J’ai également bien noté l’existence du dispositif Aidants Connect. Comment se déploiera-t-il à La Réunion ? Combien de conseillers numériques y sont prévus ? Telles sont les questions que je me permets de vous poser pour mon territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Dans le cadre du déploiement de la stratégie nationale d’inclusion numérique, nous accordons une attention particulière aux territoires ultramarins.
Après ma visite en Guyane, voilà quelques mois, je vous annonce que je me rendrai normalement à La Réunion à la fin du mois de février, pour travailler sur cette thématique de l’inclusion numérique – mais pas uniquement, car La Réunion compte aussi des start-ups très prometteuses.
J’ai également eu l’occasion, récemment, d’évoquer la stratégie nationale d’inclusion numérique par visioconférence avec le Hub Ultra Numérique, qui est le hub d’inclusion numérique de La Réunion.
Je ne sais pas vous dire aujourd’hui, madame la sénatrice Dindar, combien de conseillers numériques seront déployés en outre-mer ou sur votre territoire en particulier. J’espère pouvoir avancer sur ce sujet d’ici à mon déplacement de la fin du mois de février.
Effectivement, vous mentionnez un problème qui vient percuter celui de l’illectronisme : l’illettrisme, s’il est présent dans certains territoires d’outre-mer, affecte aussi l’Hexagone. Je me suis rendu voilà peu dans l’Aisne, où le taux d’illettrisme atteint 17 %.
On se rend bien compte à quel point, en cas d’illettrisme, le numérique devient facteur de difficultés supplémentaires. Lorsqu’il y a accueil en guichet, la personne concernée peut toujours présenter sa demande à l’oral. N’ayant pas accès à la lecture ni à l’écriture, elle rencontre encore plus de difficultés face à l’outil numérique. D’où la nécessité de maintenir des guichets d’accueil physique.
La question des personnes handicapées est, je pense, un sujet un peu particulier et différent de celui de l’illectronisme.
D’abord, parce que la dématérialisation peut être un facteur essentiel de simplification, notamment pour les personnes handicapées en situation de handicap physique. D’ailleurs celles-ci sont demandeuses d’une dématérialisation plus importante.
Ensuite, parce que cette question concerne plus l’accessibilité des sites internet que l’illectronisme, même si des recoupages existent entre les deux problématiques. À l’occasion de la Conférence nationale du handicap, j’ai annoncé notre volonté d’atteindre, d’ici à 2022, un taux de 80 % des sites internet de l’État respectant le référentiel général d’accessibilité pour les administrations, ou RGAA. C’est un progrès très important et je crois que, sous la responsabilité de Sophie Cluzel, puis, aujourd’hui, d’Amélie de Montchalin, cette question de l’accessibilité des sites aux personnes en situation de handicap est traitée avec énormément d’attention.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.
Mme Viviane Artigalas. À mon tour, je souhaite remercier le groupe du RDSE d’avoir mené cette mission d’information sur l’illectronisme, ayant abouti au constat – cela a déjà été dit – que 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et que près d’un Français sur deux n’est pas à l’aise dans cette pratique.
L’obligation de tenir les cours à distance a révélé une nette carence des compétences numériques, tant au sein du corps enseignant que chez les élèves et les étudiants.
La dématérialisation des services publics souligne également les graves inégalités existant entre les territoires, inégalités risquant de s’aggraver si cette dématérialisation est généralisée et exclut les autres moyens d’accès à ces services. Il est impératif de conserver des portes de sortie pour les usagers qui ne maîtrisent pas encore les outils numériques ou ne parviendront pas à le faire rapidement.
Le numérique est un écosystème global, qui touche désormais toute notre économie et une grande partie de notre vie quotidienne. Le besoin d’accompagnement est donc incontournable.
Le rapport sénatorial sur l’inclusion numérique propose, pour y répondre, la création d’une filière professionnelle de médiateurs.
Toute la question consiste, monsieur le secrétaire d’État, à s’assurer que ces emplois de médiateurs numériques soient pérennes et bien rémunérés, afin d’attirer des profils compétents. Il ne peut s’agir d’emplois mobiles et sans aucune durabilité. Pourquoi ne pas faire de ces médiateurs des agents de service public employés, notamment en milieu rural, dans les maisons France Services, lesquelles seront déployées dans chaque canton d’ici à 2022 ?
Que les médiateurs soient dépendants des collectivités territoriales ou rattachés au monde associatif, il apparaît indispensable que leur financement soit en partie, si ce n’est en totalité, pris en charge par l’État. Sur ce point précis, le Sénat a préconisé la mobilisation d’un fonds de 1 milliard d’euros d’ici à 2022, soit quatre fois plus que le montant alloué par le Gouvernement dans le cadre du plan de relance. Ces sommes pourraient participer à l’émergence de cette nouvelle filière professionnelle, par le lancement d’un plan national de formation et par une meilleure reconnaissance du métier de médiateur numérique.
Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, dans quelle mesure le Gouvernement mettra en œuvre ces propositions ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Votre intervention, madame la sénatrice, me donne l’occasion de revenir sur la stratégie de long terme en matière de soutien à l’inclusion numérique du Gouvernement.
Premier élément, nous travaillons au développement de la validation des acquis de l’expérience pour les médiateurs numériques actuellement en poste, afin de consolider la situation des personnels qui s’impliquent déjà sur le terrain. Jusqu’ici, effectivement, on avait plutôt recours au système D, ce qui n’ouvrait pas la voie à la certification professionnelle. Nous visons donc la professionnalisation du secteur, la médiation numérique étant un vrai métier.
Deuxième élément, nous travaillons sur le pass numérique, dont le sénateur Éric Gold a indiqué qu’il avait connu quelques difficultés de lancement.
Ce n’est pas totalement faux. Jusqu’à présent, nous avons consacré 40 millions d’euros à ce programme de pass numérique, déployé auprès de 87 collectivités. Mais nous avons fait face à une difficulté en termes de temporalité : le temps que nous signions les conventionnements, que les collectivités votent leur budget et entament le déploiement, les pass numériques sont arrivés sur le terrain au début de l’année 2020. Or, pour dépenser un pass numérique, il faut se rendre quelque part et les lieux ont tous fermé !
Mais notre volonté est bien de développer ce dispositif, pour faire du pass numérique, à long terme, une sorte de monnaie ou de moyen de financement des lieux qui ont une activité de médiation numérique.
Autrement dit, nous accélérerons le mouvement et la montée en compétences des lieux de médiation par le déploiement des conseillers numériques. Mais nous continuerons, au-delà du plan de relance, à financer l’inclusion numérique et nous entendons pour cela nous appuyer sur ce pass numérique, déployé par la société Aptic, dont le dirigeant Gérald Elbaz avait, je crois, été auditionné par la mission d’information.
Cet outil, à notre sens, peut être extrêmement efficace dans le financement de la lutte contre l’exclusion numérique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Nous ne doutons pas que le Gouvernement souhaite faire de la lutte contre l’exclusion numérique une politique publique structurelle. La meilleure preuve de cela sera d’abonder de façon significative les crédits alloués à l’inclusion numérique. Au regard des enjeux que j’ai évoqués, enjeux essentiels pour notre société, 250 millions d’euros, ce n’est pas assez ! Il nous faut une véritable ambition politique !
Je crois vous avoir entendu dire, monsieur le secrétaire d’État, que vous aviez fait mieux que vos prédécesseurs. Je vous rappelle tout de même que c’est vous qui avez voulu la dématérialisation des services publics et que la crise est passée par là. Il est donc extrêmement important de former aux usages. Vous devez y mettre les moyens !
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. La numérisation provoque une transformation globale de l’économie et les PME sont amenées à opérer rapidement leur propre révolution numérique, sous peine de ne plus être compétitives, voire de disparaître.
Or la France accuse un réel retard en la matière, comme en atteste son quinzième rang européen selon l’indice DESI, pour Digital Economy and Society Index, de la Commission européenne.
Quelques chiffres : un tiers des dirigeants ne se sentent pas à l’aise avec les outils numériques ; l’illectronisme frappe 19 % des Français ; la pénurie de compétences en matière numérique se traduit par 191 000 postes à pourvoir d’ici à 2022.
Tout comme l’illettrisme empêche de s’exprimer à l’écrit, l’illectronisme exclut des modes de communication modernes et freine l’insertion professionnelle. Le premier confinement a révélé au grand jour les difficultés rencontrées par ces salariés contraints de passer au télétravail et ne maîtrisant pas l’outil numérique.
Il est donc urgent d’accompagner les TPE-PME pour relever le défi du numérique et de doter tous les actifs des compétences numériques minimales pour garantir leur employabilité. Cela exige de faciliter le financement de la formation au numérique dans les entreprises.
Monsieur le secrétaire d’État, compte tenu de l’importance du capital humain dans l’économie numérique, envisagez-vous de considérer enfin les dépenses de formation au numérique comme un investissement, en permettant aux PME et TPE soit d’amortir ces dépenses, soit de bénéficier d’un crédit d’impôt intégrant la formation des dirigeants et des salariés à l’utilisation des outils numériques ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, vous évoquez les retards de numérisation que subissent une partie de nos TPE et PME. En la matière, la France est effectivement classée seizième ou dix-septième sur les vingt-sept pays de l’Union européenne ; et vous avez pleinement raison de souligner que cette situation est liée, très largement, à une forme d’illectronisme des dirigeants et des salariés de ces entreprises.
En résulte une nécessité absolue : accompagner les créateurs, fondateurs ou présidents des entreprises, ainsi que leurs salariés, pour accélérer la digitalisation de nos TPE et PME. Pour certaines d’entre elles, c’est une question de survie – on l’a vu particulièrement pendant le confinement, avec la problématique de la digitalisation des commerces de centre-ville.
C’est pourquoi, en lien avec Alain Griset, nous travaillons pour que les 4 000 conseillers numériques que nous allons déployer puissent répondre à cette demande d’accompagnement, qu’il s’agisse des petits patrons ou de leurs employés.
C’est souvent lorsque ces dirigeants d’entreprise se présentent au guichet d’une maison France Service ou d’un secrétariat de mairie que l’on s’aperçoit qu’ils sont concernés par l’illectronisme. Par la même occasion, on peut alors se pencher sur leur situation personnelle et sur la situation de leur entreprise.
Pour autant, nous n’avons pas prévu de transformer les crédits de formation au numérique en crédits d’investissement pour les entreprises : cette question plus globale relèverait davantage de la ministre du travail. En tout état de cause, la digitalisation des TPE et PME est étroitement liée à la lutte contre l’illectronisme, partout dans nos territoires !
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.
Mme Pascale Gruny. Monsieur le secrétaire d’État, vous ne répondez pas du tout à ma question. Vous me renvoyez à vos collègues : soit ! Mais j’espère tout de même que vous les croisez de temps en temps et que vous pouvez appeler leur attention sur tel ou tel sujet…
Au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises, j’ai consacré un rapport à l’accompagnement de la transition numérique des PME. J’ai mené un certain nombre d’auditions dans ce cadre et je vous assure qu’il s’agit là d’un frein considérable.
Vous insistez sur les 4 000 conseillers numériques : mais pour aider tout le monde, particuliers et entreprises confondus, ces effectifs sont dérisoires ! J’ai bien peur que de graves difficultés ne persistent, alors même que les enjeux numériques ne s’imposeront pas dans dix ans, mais demain, et que la maîtrise de ces outils est essentielle pour l’employabilité.
Cela étant, je saisis cette occasion pour saluer l’initiative lancée, dans mon département, par le conseil départemental et par le préfet pour bâtir un plan inédit de lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme – les deux vont effectivement de pair.
Mon département, dont vous avez parlé, est le berceau de la langue française : il a vu naître Jean de La Fontaine, Jean Racine et Alexandre Dumas. Mais aujourd’hui il est le premier département frappé par l’illettrisme, avec tout ce que cela implique en termes de RSA ou de chômage !
De leur côté, les entreprises ont besoin de personnes formées ; or, si elles ne viennent pas chez nous, c’est précisément parce qu’elles ne trouvent pas à y recruter. Vous ne cessez de citer les 4 000 conseillers qui vont être déployés pour accompagner je ne sais combien de personnes ; vous nous parlez également de France Service, mais ce n’est pas la réponse que j’attendais, et j’en suis bien triste !
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Monsieur le secrétaire d’État, ma question rejoint celle de M. Chaize et j’espère qu’elle vous donnera l’occasion d’approfondir la réponse que vous lui avez apportée.
S’il existe un foisonnement d’offres de médiation et d’initiatives pour former nos concitoyens à l’utilisation du numérique, les difficultés, comme dans le cas de la lutte contre l’illettrisme, tiennent pour beaucoup à la capacité à identifier et à atteindre les bénéficiaires. Or La Poste peut jouer un rôle fondamental à cet égard.
Tout d’abord, grâce à son maillage territorial, avec ses 17 000 points de contact et par le biais de ses postiers, qui sillonnent toute la France, elle couvre toutes les zones géographiques, y compris les plus reculées.
Ensuite, ses agents sont régulièrement en contact avec des publics éloignés du numérique, personnes fragilisées ou isolées. Ils peuvent détecter leurs besoins avant de les orienter vers une formation. La Poste a ainsi mis en place, dès 2019, un plan pour l’inclusion numérique, des tests de détection, du matériel en libre-service, des médiateurs et des formations « coup de pouce » : elle pourrait très vite former un million de personnes.
Son président-directeur général, M. Wahl, l’a indiqué : il serait tout à fait favorable à ce que La Poste soit l’un des acteurs d’une politique publique de l’inclusion numérique.
À cette fin, il faudrait ajouter cette problématique à ses missions de service public. Néanmoins, il est évident que des ressources humaines et financières doivent, en contrepartie, lui être attribuées.
Votre gouvernement serait-il, de son côté, prêt à ajouter aux missions dévolues à La Poste l’inclusion numérique et à lui octroyer les moyens nécessaires à son exercice ?