M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet.
M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat proposé par nos collègues du groupe CRCE concernant l’avenir d’EDF, le contenu du projet Hercule et ses conséquences pour l’entreprise est à la fois opportun en termes de calendrier et légitime dans les interrogations qu’il suscite.
Il est opportun, car des craintes et des doutes sont en train de naître, faute d’informations officielles et de réponses claires de la part d’EDF et du Gouvernement. La presse se fait régulièrement l’écho du projet Hercule sans que nous soyons associés aux réflexions et aux décisions, sans que les salariés comprennent l’avenir qu’on leur trace.
Engagé sur l’initiative du précédent gouvernement, qui avait demandé au groupe EDF de réfléchir à sa propre transformation, le projet Hercule devrait aboutir à une réorganisation profonde des différentes composantes du secteur électrique français que sont les activités de production, de transport, de distribution et de fourniture d’électricité exercées par le groupe.
La présentation officielle du projet devait initialement avoir lieu en fin d’année 2019. Elle a été repoussée à de nombreuses reprises, en raison de la prolongation des discussions entre la France et les institutions européennes. Où en est-on, madame la ministre, de ce calendrier ?
Ce débat est opportun également, car toutes les rumeurs courent sur le fond du projet Hercule. Elles sont contradictoires et suscitent de l’inquiétude. Les nouvelles modalités d’organisation proposées suggèrent la création de plusieurs structures, parfois deux, parfois trois. On évoque une EDF Bleue, une EDF Verte, une EDF Azur, chacune reprenant une partie des activités actuelles : le nucléaire, l’hydraulique, le transport d’électricité, la distribution, la fourniture d’électricité, les énergies renouvelables. Le périmètre de chaque entité est également très évolutif.
L’État détient quasiment 84 % du groupe EDF. C’est donc bien à lui de définir les objectifs et les ambitions d’un tel projet de réorganisation. Madame la ministre, quelle est la stratégie du Gouvernement ? Quel cadre, quels objectifs et quelles ambitions avez-vous donnés au projet Hercule ?
Notre débat est également légitime sur le fond. La réorganisation d’EDF suscite de nombreuses interrogations en matière juridique, d’enjeux sociaux pour les salariés et d’avenir pour une entreprise dans un domaine stratégique. J’aimerais en relayer quelques-unes.
Concernant le nucléaire, par exemple, les critiques régulières autour du mécanisme d’accès régulé au nucléaire historique (Arenh) sont une des motivations principales de la réorganisation du groupe.
Celui-ci est fortement endetté, à hauteur de 41 milliards d’euros à la fin de 2019, et il fait face à un mur d’investissement, notamment au titre de la rénovation du parc existant et de la construction de l’EPR de Flamanville. Pour contribuer à ces investissements, une réforme de l’Arenh supposée mieux garantir les revenus d’EDF est sollicitée de longue date.
Le groupe souhaiterait à la fois l’augmentation du tarif de l’Arenh et une refonte du système, afin que les fournisseurs le dédommagent lorsqu’ils recourent au marché de gros.
C’est un enjeu essentiel pour le respect de la concurrence sur le marché de l’énergie, mais aussi, et surtout, pour le maintien d’un prix abordable pour les consommateurs. Cette réforme doit, à notre sens, être concomitante à celle de la réorganisation du groupe. Sans cela, le projet Hercule ne pourra être accepté.
Il faut donc garantir solidement la sécurité juridique en matière de respect du droit de la concurrence et de séparation des activités dans le projet Hercule.
Réformer le marché du nucléaire ne doit pas conduire à un démantèlement du groupe historique français ni à une augmentation des prix de l’électricité en France.
Enfin, d’un point de vue social, la crainte des salariés s’est manifestée lors de deux journées de grève en fin d’année 2020.
Madame la ministre, est-il possible de prendre des engagements sur l’avenir de l’emploi en France dans le secteur de l’énergie ? Comment associez-vous les salariés à cette réorganisation ?
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Serge Mérillou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, démanteler et privatiser, tels semblent être les maîtres mots du Gouvernement quand il s’agit du sort de nos entreprises publiques. Après Aéroports de Paris (ADP), l’avenir du groupe EDF inquiète…
Le projet Hercule, qui va hypothéquer l’évolution d’un de nos fleurons industriels et mettre à mal notre service public de l’énergie, est la seule proposition que le Gouvernement ait trouvée pour satisfaire aux exigences européennes. Salariés, collectivités territoriales, élus et consommateurs montent au créneau pour exprimer leurs craintes de voir cette entreprise, héritage du Conseil national de la Résistance, démantelée et l’énergie, ce bien commun, soumis aux lois du marché.
Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur le devenir des activités hydroélectriques. Ce sujet m’est cher, car mon département compte plusieurs barrages EDF sur la rivière Dordogne.
La Commission européenne a mis la France en demeure d’ouvrir ses concessions à la concurrence pour respecter le droit européen et son propre cadre législatif – il s’agit de la loi de 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, et de la loi de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques.
Ces textes ont amorcé la dangereuse libéralisation des activités hydroélectriques, alors que nombre de pays de l’Union européenne ont su protéger leurs concessions.
Le groupe socialiste s’était alors fermement opposé à ce processus en déposant une proposition de loi permettant de prolonger les concessions hydroélectriques.
Vous affirmez désormais ne pas souhaiter leur mise en concurrence en les intégrant dans EDF Azur. Quid des concessions qui n’appartiennent pas à EDF ?
Dans les territoires, l’inquiétude monte. La SHEM, filiale d’Engie, pourrait faire l’objet d’une mise en concurrence qui, si elle était actée, menacerait inexorablement sa survie.
L’eau n’est pas un produit quelconque, c’est un bien commun. Les barrages sont acteurs de la gestion de l’eau sur nos territoires. Le tourisme, la pêche, l’irrigation, l’eau potable, la régulation des débits, donc des crues, dépendent directement de leur activité. La mise en concurrence des concessions serait un coup dur pour cette gestion.
Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que la filialisation de l’hydroélectricité ne se traduira pas in fine par une sortie de l’hydraulique d’EDF pour faire face aux exigences de la Commission européenne ?
Votre projet de scission d’EDF ouvre à terme une brèche, prélude à une désintégration du groupe, dans une logique purement libérale. Ce n’est pas acceptable pour les membres du groupe socialiste, car nous tenons au service public et à la préservation de l’aménagement du territoire.
Le moment est venu que l’État stratège prenne le pas sur l’État régulateur, voire liquidateur, qui plie devant les diktats de l’Union européenne. C’est pourquoi nous avons décidé de déposer une proposition de référendum d’initiative partagée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a soixante-quinze ans, le général de Gaulle affirmait en ces lieux, devant l’Assemblée consultative provisoire : « C’est le rôle de l’État d’assurer lui-même la mise en valeur des grandes sources de l’énergie. »
Dans l’immédiat après-guerre, « le retour à la Nation des sources d’énergie », adopté par le Conseil national de la Résistance, conduisait à la création d’EDF.
Depuis lors, si l’organisation et les activités du groupe ont évolué, celui-ci continue d’occuper une place éminente dans notre politique énergétique et notre activité économique : il constitue un pan incommensurable de notre héritage collectif, auquel les Français sont très attachés.
Avec 165 000 salariés et 49 milliards d’euros de chiffre d’affaires, EDF est un fleuron français et européen dont la construction a pris du temps. Face à l’urgence climatique, le groupe est plus que jamais le garant de notre souveraineté énergétique et le fer de lance de notre transition énergétique.
Dans ce contexte, les réformes du marché de l’électricité engagées par le Gouvernement nous inquiètent tous au plus haut point, sur toutes les travées de l’hémicycle.
Le Gouvernement mène en effet trois négociations auprès de la Commission européenne sur le dispositif de l’Arenh, le groupe EDF et les concessions hydrauliques. Le projet Hercule pourrait conduire à un partage des activités du groupe, que les salariés n’hésitent pas à qualifier de démantèlement en plusieurs filiales : mes collègues ont déjà mentionné EDF Bleu, EDF Vert et EDF Azur.
Ces réformes posent de lourdes difficultés tant dans la méthode adoptée que dans le contenu.
S’agissant de la méthode, tout d’abord, les négociations sont conduites dans la plus grande opacité, excluant tout à la fois parlementaires et élus locaux. Pourtant, dès le mois de juin dernier, la commission des affaires économiques du Sénat avait appelé le Gouvernement à associer le Parlement aux réflexions de l’exécutif.
Au mois de novembre suivant, madame la ministre, vous aviez déclaré devant la même commission : « Si le projet Hercule aboutit, il nécessitera une loi et donnera donc lieu à un débat au Parlement. »
Où en sont donc les négociations avec la Commission européenne ? Quand associerez-vous enfin les parlementaires et les élus locaux à ces négociations ? Quels sont le véhicule juridique et le calendrier envisagés ? Pouvez-vous nous confirmer que ces réformes ne seront pas présentées, au détour d’une lettre rectificative ou d’un amendement, dans les projets de loi Climat ou 4D ?
Madame la ministre, il faut respecter la place du Parlement. Le sujet est important pour l’avenir de l’économie de notre pays et pour notre indépendance énergétique, au service de nos concitoyens.
En ce qui concerne leur contenu, ces réformes soulèvent trois craintes légitimes.
Le premier motif de préoccupation tient au caractère public et intégré du nouveau groupe. Interrogé par la commission des affaires économiques, M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF, avait indiqué que la réorganisation devrait respecter « le caractère intégré du groupe ».
Nous attendons du Gouvernement qu’il indique comment il entend garantir l’unicité du groupe. Il doit surtout préciser les activités qu’il souhaite ouvrir aux capitaux privés. Nos élus locaux sont très inquiets face à la perspective d’une éventuelle ouverture à la concurrence du réseau public de distribution d’électricité ou des concessions hydroélectriques.
Le deuxième motif de préoccupation a trait à l’intérêt de ces réformes. Sollicité par la même commission, M. Jean-Bernard Lévy avait affirmé que le but de la réorganisation était « de dégager 2 milliards d’euros supplémentaires chaque année ».
Nous attendons du Gouvernement qu’il précise l’impact financier de ces réformes. Est-ce seulement à la hauteur du « mur de l’investissement » auquel EDF est confrontée ? Avec une dette de 40 milliards d’euros, le groupe doit en effet parvenir à financer, tout à la fois, le grand carénage, les chantiers des EPR ou encore les énergies renouvelables, sans compter la construction des trois nouvelles paires d’EPR à l’étude.
Le dernier motif de préoccupation concerne les répercussions de ces réformes, car elles auront un impact sur les salariés du groupe, sur les concessions des collectivités et sur le prix de l’électricité.
Le Gouvernement doit apporter des réponses claires à la représentation nationale dans tous ces domaines. Il est dangereux de réformer dans le brouillard, sur un sujet aussi sensible, alors que la crise sanitaire est toujours devant nous.
Je tiens à remercier le groupe CRCE, à l’initiative de ce débat sur un sujet stratégique pour nos concitoyens et pour l’avenir de notre économie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Jacques Michau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis de nombreux mois, nous sommes interpellés directement par les élus et par les salariés d’EDF au sujet du projet baptisé Hercule. Tous pointent le risque que fait peser cette réorganisation à marche forcée sur le service public de l’électricité et sur la transition énergétique.
Madame la ministre, il y a en effet de quoi s’interroger. Dans la mesure où le sujet est stratégique, puisqu’il concerne l’avenir d’un géant de l’énergie, garant de notre souveraineté énergétique, il aurait été normal que vous informiez régulièrement le Parlement, les élus locaux et les acteurs concernés des négociations entamées avec Bruxelles.
Malheureusement, vous avez fait le choix de mener ces tractations dans l’opacité la plus totale, et la représentation nationale n’a pas pu disposer en temps réel des informations auxquelles elle aurait dû avoir accès, puisque celles-ci concernent une entreprise publique et un patrimoine national produisant un bien de première nécessité, l’électricité.
Ces réclamations figuraient déjà dans le rapport d’information sénatorial du 17 juin 2020 sur le plan de relance : « Les sénateurs jugent essentiel que le Parlement soit pleinement associé aux travaux stratégiques de l’exécutif, alors que se profilent plusieurs réformes majeures et notamment au sein du groupe EDF. »
Il aura pourtant fallu attendre l’initiative du Parlement, en l’occurrence de nos collègues du groupe CRCE, que je remercie, pour que ce débat soit enfin programmé au Sénat.
Madame la ministre, nous nous interrogeons : pourquoi ne pas avoir associé la représentation nationale à ce projet qui touche directement à la souveraineté énergétique de notre pays ?
Pour que le débat sur votre projet de scission et de démantèlement d’EDF ne soit pas confisqué, nous avons décidé, avec d’autres parlementaires, de déposer une proposition de référendum d’initiative partagée.
En effet, nous ne pouvons accepter que notre réflexion sur ce projet ne soit guidée que par des impératifs de mise en concurrence. Nous craignons que cette réorganisation ne conduise à sacrifier les intérêts des salariés, des usagers, des contribuables et in fine de la France, au profit exclusif d’actionnaires privés.
Un autre sujet d’inquiétude majeur concerne la possible privatisation des barrages. Quel sera leur destin ? Là encore, nous n’en savons rien.
Enfin, cette restructuration suscite beaucoup d’inquiétudes quant à son impact social.
Madame la ministre, la représentation nationale a besoin de réponses précises. Pouvez-vous nous indiquer l’état d’avancement des négociations avec la Commission européenne ? Comment comptez-vous préserver les secteurs essentiels et stratégiques pour notre pays afin de préparer une transition écologique qui nécessitera des investissements massifs ? Allez-vous associer la représentation nationale à vos travaux et quel véhicule législatif utiliserez-vous pour soumettre cette réforme au Parlement ? Enfin, comment répondez-vous au désarroi des salariés ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Michel Savin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2015 et la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la Commission européenne réclame l’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques françaises exploitées par EDF.
L’hypothèse de mise en concurrence de ces concessions soulève de nombreuses inquiétudes auxquelles ni le Gouvernement ni la Commission n’ont apporté à ce jour de réponse.
Outre leur fonction de production d’électricité, les barrages jouent un rôle essentiel dans l’aménagement du territoire. N’y a-t-il pas un risque à faire passer la rentabilité de ces concessions avant les usages agricoles, touristiques et d’irrigation qui font vivre nos territoires ?
Les conséquences du changement climatique affectent déjà nos ressources en eau. Étant donné l’intérêt stratégique de cette ressource vitale, notre pays ne devrait-il pas plutôt affirmer et défendre sa souveraineté nationale en la matière ?
L’entretien de ces ouvrages est un élément essentiel pour la sécurité des populations. La multiplication d’opérateurs ne risque-t-elle pas de compliquer le travail du gestionnaire de réseau de transport d’électricité, RTE, ou de son successeur, au risque d’augmenter les risques de blackout ? Rappelons en effet que ces ouvrages permettent de gérer les pointes de consommation, mais aussi d’approvisionner nos centrales nucléaires en cas de besoin urgent de refroidissement des réacteurs !
Enfin, cette ouverture à la concurrence ne risque-t-elle pas de faire gonfler le prix de l’électricité française ? Des exploitants privés seront certainement tentés de maximiser leurs profits au détriment des consommateurs.
Lors d’un précédent débat, Mme Élisabeth Borne, alors ministre de la transition écologique et solidaire, a reconnu devant cette assemblée que la situation de notre pays était unique en Europe. En effet, les pays voisins ne sont pas soumis, de par leurs régimes spécifiques, à la même obligation de mise en concurrence de leurs exploitations hydroélectriques.
La conséquence absurde de cette situation, c’est que la France, voulant faire figure de bonne élève aux yeux de la Commission européenne, se retrouverait seule en Europe à ouvrir ses concessions à la concurrence. Le groupe EDF, champion national, perdrait ainsi une part importante de son activité.
Consciente de cette situation, votre prédécesseur avait mentionné des hypothèses de travail visant à éviter la mise en concurrence de nos barrages, grâce notamment à la création de structures publiques à 100 %.
Ces propos font forcément écho aux derniers scénarios du projet Hercule évoqués dans la presse. La création d’une filiale EDF Azur spécialisée dans l’hydroélectricité pourrait, selon le statut qui lui sera donné, jouer ce rôle de structure publique à 100 % permettant d’éviter la mise en concurrence. Encore faut-il que l’intention y soit…
Au cours des derniers mois, madame la ministre, mes collègues parlementaires vous ont régulièrement interpellée sur la mise en concurrence des concessions hydroélectriques françaises. Chaque fois, vous vous êtes contentée d’indiquer que les discussions avec la Commission européenne étaient en cours, et vous vous êtes réfugiée derrière la mise en demeure faite à la France pour ne pas répondre.
Cette situation ne peut plus durer. Nos concitoyens ont besoin et ont le droit de savoir quelle politique mène ce gouvernement. Travaillez-vous à l’arrivée de nouveaux exploitants dans notre pays au nom du libéralisme, ou bien êtes-vous partisane de la défense de notre souveraineté nationale ?
Mes collègues ont été nombreux à vous interroger sur l’état d’avancement des discussions avec la Commission européenne. Je vous demanderai seulement de préciser votre position : êtes-vous oui ou non favorable à la mise en concurrence des concessions hydroélectriques françaises ?
M. François Bonhomme. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Mesdames, messieurs les sénateurs, ce soir, dans l’hémicycle, nous parlons de l’avenir d’un opérateur historique et d’un fleuron national, mais aussi de l’avenir de notre pays. Le sujet dépasse le champ de nos mandats et les clivages politiques, car nous avons tous à cœur de construire un avenir meilleur.
M. Fabien Gay. Pas de la même manière !
Mme Barbara Pompili, ministre. J’ai entendu trop de contre-vérités dans ce débat, et je vais essayer de les corriger. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. Fabien Gay. Ça commence bien !
Mme Barbara Pompili, ministre. Comme le Président de la République l’a réaffirmé, le 8 décembre dernier, au Creusot, la France a fait le choix d’un mix électrique décarboné avec une part de nucléaire. Nous prenons désormais massivement le tournant des énergies renouvelables. Nous faisons le choix de la résilience et de la transition vers un mix électrique plus équilibré, ce dont je me réjouis.
Nous empruntons cette voie en responsabilité, pour atteindre la neutralité carbone tout en diversifiant notre approvisionnement, comme vous l’avez voté, et pour nous doter d’une économie écologique.
La France figure déjà parmi les pays les plus vertueux dans la lutte contre le changement climatique. Un Français émet en moyenne 20 % de gaz à effet de serre en moins qu’un Européen et 35 % en moins qu’un Allemand. Notre pays dispose d’une électricité décarbonée, socle sur lequel nous pouvons développer la mobilité électrique comme la production d’hydrogène non issu des fossiles.
M. François Bonhomme. Grâce au nucléaire…
Mme Barbara Pompili, ministre. Un tel constat ne doit cependant pas nous empêcher de regarder vers l’avenir. La performance française est le fruit de l’histoire, de choix politiques inscrits dans un contexte très différent de celui d’aujourd’hui.
Le débat aura lieu en son temps sur l’évolution du mix de notre production d’électricité. Ce n’est pas le sujet de ce soir.
En revanche, j’ai entendu les craintes que vous avez exprimées, et qui sont parfaitement légitimes, tout autant que les interrogations et les doutes, dès lors que l’enjeu porte sur un fleuron français.
En tant que ministre de l’écologie et de l’énergie, je tiens à rappeler que, à l’heure où nous parlons, partout en Europe, les concurrents d’EDF montent en puissance sur les énergies renouvelables, sur cette grande révolution qu’est l’hydrogène, mais aussi sur l’efficacité énergétique et le stockage.
M. Fabien Gay. Et donc ?
Mme Barbara Pompili, ministre. Je le dis tout net : le Gouvernement refuse que la France et EDF soient reléguées au second plan de cette bataille, faute d’avoir su adapter notre régulation aux évolutions des marchés de l’énergie.
Ce serait le prix de l’immobilisme, de l’attentisme, et je le refuse !
M. Fabien Gay. Donc, vous privatisez !
Mme Barbara Pompili, ministre. Il y va, et vous en avez parlé, de notre souveraineté, de notre rayonnement, et il y va encore une fois, tout simplement, de l’avenir de notre pays.
Alors, oui, EDF doit être un champion mondial de la transition écologique et énergétique. C’est mon engagement et celui du Gouvernement, et c’est ce que je suis venue rappeler ce soir.
M. Fabien Gay. Voilà un bon discours libéral !
Mme Barbara Pompili, ministre. Atteindre cette ambition, cela demande de regarder la réalité en face, toute la réalité.
M. Fabien Gay. Ah oui ?
Mme Barbara Pompili, ministre. Quelle est-elle ? Aujourd’hui, les cadres de régulation ne sont pas adaptés. Ils ne permettent pas à EDF de relever cette ambition ; ils ne lui donnent pas les moyens suffisants pour investir, notamment dans les énergies renouvelables.
M. Jean-Claude Tissot. À qui la faute ?
Mme Barbara Pompili, ministre. D’un côté, s’agissant du nucléaire, le tarif historique, l’Arenh, qui permet à tous les fournisseurs d’acheter la production nucléaire à un prix régulé, a certes rempli un rôle en permettant qu’émerge une concurrence dans la fourniture d’électricité (Eh oui ! sur les travées du groupe CRCE.) et que les Français puissent choisir librement leur contrat. Les fournisseurs alternatifs assurent désormais la commercialisation de 40 % des volumes d’électricité.
M. Fabien Gay. Mais pas la production !
Mme Barbara Pompili, ministre. C’est juste !
Ce dispositif, créé en 2010, ne permet pas de garantir correctement la couverture des coûts et des investissements nécessaires au fonctionnement du parc nucléaire existant. Son prix n’a plus été révisé depuis 2012 et, vous le savez comme moi, le nucléaire a un coût. Beaucoup d’entre vous ont parlé d’un mur d’investissement. La sécurité aussi a un coût ; la maintenance, l’entretien, la modernisation ont un coût.
M. Fabien Gay. La sous-traitance !
Mme Barbara Pompili, ministre. De l’autre côté, la régulation de l’hydroélectricité, à laquelle vous êtes très attachés, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, est aussi dépassée. Notre pays doit faire face à deux contentieux européens et, disons-le clairement, cela nous met aujourd’hui dans une situation de blocage qui empêche d’engager de nouveaux développements et la modernisation de nos installations, qui en ont bien besoin.
M. Jean-Claude Tissot. C’est faux !
Mme Barbara Pompili, ministre. Nous devons, là aussi, évoluer, parce qu’il ne s’agit pas seulement d’électricité produite par les barrages d’EDF, il s’agit aussi, et vous l’avez mentionné, de la gestion d’une ressource rare et de plus en plus précieuse, l’eau.
Oui, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est exact, le Gouvernement a engagé une réflexion et ouvert une discussion avec Bruxelles, en lien étroit avec l’entreprise, afin de donner à EDF tous les moyens d’assumer son rôle dans la transition de notre pays.
Très concrètement, cela veut dire, d’abord, garantir le financement du parc nucléaire existant et donc réformer les conditions de vente de sa production. Oui, je crois qu’EDF doit être rémunérée à hauteur des coûts qu’elle supporte. D’ailleurs, monsieur le sénateur Gay (M. Fabien Gay s’exclame.), que j’ai écouté avec attention sans l’interrompre, notre projet de régulation du nucléaire vise précisément à garantir la couverture des coûts et la rémunération du parc nucléaire, et ce quelles que soient les évolutions de prix sur les marchés, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ce serait une garantie très forte, inédite à cette échelle en Europe, qui assurerait à EDF le fait de disposer des ressources financières suffisantes pour faire face aux dépenses liées à l’exploitation du parc existant, y compris le remboursement de la dette qui y est attachée.
Oui, les consommateurs français doivent être protégés contre les variations imprévisibles des prix de gros, avec un prix de l’énergie nucléaire existant, stable et prévisible ne fluctuant pas au gré des variations de marché. À ce titre, je veux rassurer Mme la sénatrice Saint-Pé : l’évolution de l’organisation du groupe n’aura aucun impact sur l’existence des tarifs réglementés et la péréquation ne sera pas remise en cause.
Mme Céline Brulin. Si ce n’est pas une contre-vérité !
Mme Barbara Pompili, ministre. C’est avec ces deux principes au cœur que nous poursuivons la discussion.
De même, nous entendons mettre un terme aux contentieux sur les concessions hydrauliques d’EDF, car notre objectif est simple : conforter le parc hydraulique en permettant à EDF de conserver la gestion de ces concessions sans mise en concurrence.
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Barbara Pompili, ministre. Alors, vous le voyez, nous ne cachons rien : rien de nos ambitions, et rien de notre exigence. Bien sûr, certains voudraient faire croire que la discrétion qui préside à tout type de négociation avec Bruxelles est le signe d’un complot, pour je ne sais quel résultat. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)