Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Monique Lubin, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Rémi Cardon, qui propose d’étendre le bénéfice du RSA aux jeunes de 18 à 24 ans, est une réponse concrète et immédiate à l’urgence sociale qui s’annonce et qui risque d’affecter durement les jeunes majeurs, déjà largement frappés par la pauvreté et par la précarité de l’emploi.
La situation des jeunes s’est dégradée depuis le début des années 2000. Alors que, en 2018, quelque 14 % de la population vivaient au-dessous du seuil de pauvreté monétaire, fixé à 60 % du revenu médian, ce sont 19,7 % des personnes âgées de 18 à 29 ans qui se trouvaient dans cette situation, soit près d’un jeune sur cinq.
Ce niveau de pauvreté n’est pas acceptable, sachant en outre que ces statistiques n’englobent pas tous les jeunes adultes en situation de précarité. Je pense aux étudiants, ainsi qu’aux jeunes qui sont contraints de rester chez leurs parents, car ils ne peuvent accéder à un logement autonome, faute de revenus suffisants.
Il est encore trop tôt pour évaluer les conséquences économiques et sociales de l’épidémie de covid-19 sur les jeunes majeurs. Toutefois, il ne fait aucun doute que la crise sanitaire aggrave la précarité des jeunes de moins de 25 ans et la pauvreté d’une partie d’entre eux, en particulier du fait de la dégradation attendue du niveau du chômage.
Le soutien des familles, qui n’est pas toujours possible, risque de se fragiliser du fait de la crise qui affecte l’ensemble de la population.
Dans ce contexte, les jeunes majeurs en difficulté doivent pouvoir compter sur la solidarité nationale, et plusieurs aides permettent de les soutenir.
La plupart des prestations sociales non contributives ne comportent pas de conditions d’âge ou sont ouvertes avant l’âge de 25 ans. C’est notamment le cas de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, qui est ouverte dès l’âge de 20 ans, et de l’allocation de solidarité spécifique, l’ASS, qui ne repose que sur une durée minimale d’activité.
La prime d’activité, ouverte dès l’âge de 18 ans aux personnes qui perçoivent des revenus tirés d’une activité professionnelle ne dépassant pas un plafond, et les aides au logement, qui sont versées sans condition d’âge, constituent les principales prestations non contributives bénéficiant aux jeunes adultes. Dans le paysage des aides sociales, le RSA, qui n’est ouvert qu’à partir de 25 ans, fait donc figure d’exception.
Alors que l’on peut voter et payer des impôts dès 18 ans, cette exception apparaît comme une anomalie. Rien ne semble justifier que les jeunes majeurs de moins de 25 ans ne puissent bénéficier de cette prestation en cas de difficulté, alors qu’ils contribuent à la solidarité nationale.
Pour rappel, le RSA, qui a succédé le 1er juin 2009 au revenu minimum d’insertion, est le premier minimum social en nombre d’allocataires. Versé à 2 millions de bénéficiaires en 2020, il prend la forme d’une allocation différentielle destinée à compléter les ressources initiales du foyer, afin que celles-ci atteignent le seuil d’un revenu garanti, dont le montant est fixé à 564 euros pour une personne seule sans enfant et à 847 euros pour une personne avec un enfant ou pour un couple sans enfant.
Si le RSA n’est ouvert qu’à partir de 25 ans, quelques exceptions permettent toutefois d’en bénéficier avant cet âge. La condition d’âge ne s’applique pas aux personnes assumant la charge d’un ou de plusieurs enfants nés ou à naître. Par ailleurs, une majoration du RSA est accordée sans condition d’âge au parent isolé assumant la charge d’un ou de plusieurs enfants ou à une femme enceinte isolée.
Le montant de ce RSA majoré s’élève, au 1er avril 2020, à 967 euros pour une personne isolée avec un enfant. Fin 2018, ses bénéficiaires étaient à 96 % des femmes. Environ un quart des 230 000 foyers bénéficiaires du RSA majoré au 31 décembre 2018 concernent des jeunes de moins de 25 ans, alors que seulement 2 % des bénéficiaires du RSA non majoré se trouvent dans cette tranche d’âge.
Enfin, depuis 2010, le RSA peut être versé aux personnes de moins de 25 ans justifiant de deux ans d’activité en équivalent temps plein au cours des trois années précédant la demande.
À la différence du RSA de droit commun, qui est à la charge des départements, ce RSA jeune actif est entièrement financé par l’État. Toutefois, du fait de la condition d’activité très restrictive, le nombre de bénéficiaires s’est effondré de plus de 9 000 en 2011 à 734 en 2019, ce qui montre bien que ce dispositif a manqué sa cible.
Au total, on peut estimer que seuls 91 000 allocataires du RSA sont âgés de moins de 25 ans, sur un total de 1,9 million d’allocataires à la fin de l’année 2018. Du fait des conditions actuelles d’attribution de la prestation avant l’âge de 25 ans, il s’agit en grande majorité de jeunes femmes élevant seules leurs enfants, comme j’ai eu l’occasion de le constater dans mon département.
Il existe néanmoins d’autres aides ciblant les jeunes en situation de précarité. Ainsi, la garantie jeunes constitue selon moi l’un des meilleurs dispositifs d’accompagnement des jeunes vers l’emploi. Elle assure un accompagnement spécifique pour certains jeunes de 16 à 25 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation. On les appelle les « NEET ». On en dénombrait 960 000 en 2018, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la Dares.
La garantie jeunes est une modalité renforcée du parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie, le Pacea, qui accorde une aide financière à son bénéficiaire, couplée à un accompagnement intensif vers l’emploi assuré par les missions locales, en principe pendant un an, cette durée pouvant atteindre dix-huit mois. Elle a bénéficié à 91 124 jeunes en 2020, et le Gouvernement prévoit sa montée en charge en 2021, dans le cadre du plan de relance, pour atteindre 200 000 bénéficiaires.
Par ailleurs, il faut saluer le déploiement en urgence par l’État d’aides exceptionnelles de solidarité versées aux ménages modestes en juin, puis en novembre 2020, ainsi que la création pour 2021 de nouvelles aides exceptionnelles, destinées, d’une part, aux chômeurs de moins de 26 ans bénéficiant d’un accompagnement individuel intensif par Pôle emploi ou par l’Association pour l’emploi des cadres, l’APEC, et, d’autre part, aux jeunes diplômés de moins de 30 ans inscrits comme demandeurs d’emploi et anciennement boursiers de l’enseignement supérieur.
Toutefois, bien qu’elles soient positives en elles-mêmes, l’ensemble de ces mesures ne constituent nullement une garantie jeunes « universelle », contrairement à la présentation qui en est faite par Mme la ministre du travail. Il s’agit en fait d’un ensemble de réponses ponctuelles, qui ne permettront pas de soutenir tous les jeunes majeurs dont la situation sociale aura été aggravée par la crise.
En outre, j’estime qu’il ne faut pas tout attendre de la garantie jeunes, qui cible un public bien particulier. En effet, un jeune peut aujourd’hui se retrouver temporairement sans ressources sans être NEET. De plus, je rappelle que le bénéfice de ce dispositif a une durée limitée.
Au demeurant, une véritable garantie jeunes universelle nécessiterait des moyens considérables pour conserver ce qui fait sa spécificité, sous peine de décrédibiliser un dispositif qui fonctionne et a une bonne image.
Il apparaît dès lors nécessaire de revoir les conditions d’attribution du RSA aux jeunes adultes. Tel est l’objet de la proposition de loi que nous examinons : elle prévoit, à l’article 1er, d’ouvrir le bénéfice du RSA dès l’âge de 18 ans et, à l’article 2, de supprimer en conséquence le RSA jeune actif, qui deviendrait sans objet.
Cette proposition a été inspirée par plusieurs mouvements de jeunesse et elle reprend notamment une recommandation de l’ancien député Christophe Sirugue, auteur d’un rapport en 2016 sur les minima sociaux. Elle est en outre soutenue par de nombreuses associations, que j’ai pu rencontrer pour préparer l’examen de ce texte.
Selon une estimation réalisée par la Drees en 2016, le dispositif proposé pourrait bénéficier à 1,4 million de jeunes majeurs, pour un coût net estimé à 5,8 milliards d’euros.
Alors que les dépenses sociales des conseils départementaux progressent fortement, mettant certains d’entre eux en difficulté financière, je considère que le coût d’une telle mesure ne devrait pas être à la charge de ces collectivités. Dans le prolongement de l’expérimentation du projet de recentralisation des dépenses du RSA, des travaux sont donc à engager sur ce terrain avec l’État.
Cette proposition de loi, circonscrite au bénéfice du RSA, constitue un premier pas pour soutenir les jeunes. C’est une réponse urgente face à la crise qui va les toucher durement.
À moyen terme, les dispositifs d’aide et d’accompagnement des jeunes adultes devraient, selon moi, être revus en profondeur.
D’une part, de nombreuses situations de fragilité sociale nécessitent un traitement spécifique. Il faut mieux accompagner les familles monoparentales ou encore les jeunes sortis de l’aide sociale à l’enfance.
Je pense également aux problèmes de précarité de l’emploi qui frappent les jeunes en contrat court, qui font des extras ou, de façon plus récente, qui travaillent pour les plateformes numériques de travail. Quant aux étudiants défavorisés, qui ne sont pas concernés par le RSA, ils mériteraient que le système de bourses soit réformé.
D’autre part, je considère que la lutte contre la pauvreté dans notre pays devrait passer par la mise en place d’un revenu de base versé automatiquement et sans contrepartie. Cette idée, promue par l’association des départements solidaires dont j’ai entendu plusieurs représentants, me paraît être la bonne solution, à terme, pour soutenir les plus pauvres, notamment les jeunes majeurs. Par son automaticité, cette allocation aurait en outre le mérite d’apporter une réponse au problème du non-recours aux droits.
Avant que ces évolutions, que j’appelle de mes vœux, ne puissent être engagées, la proposition de loi a le mérite de répondre à la détresse sociale des jeunes. Elle me paraît nécessaire dans le contexte actuel, alors que la mise en place d’un revenu universel d’activité, comme l’envisage le Gouvernement, a peu de chances de se concrétiser avant la fin du quinquennat.
Offrir aux jeunes majeurs un filet de sécurité, dans un contexte de crise, ne signifie pas qu’ils seront désincités à trouver un emploi. Il convient aujourd’hui de dépasser l’idée que les minima sociaux piègent leurs bénéficiaires dans une trappe à inactivité.
Mme Laurence Cohen. Très bien !
Mme Monique Lubin, rapporteure. Plusieurs études, comme celles de l’économiste Esther Duflo, tendent à réfuter cette idée, qui reste pourtant fortement ancrée dans les esprits, comme l’ont montré nos débats en commission. Il faut donc renouveler notre regard, ou du moins nous appuyer sur ces travaux. Dans cette perspective, ce dispositif permettrait de préserver, en cas de difficulté, la capacité des jeunes adultes à s’émanciper et à s’insérer dans la société.
La commission des affaires sociales n’a pas adopté cette proposition de loi. À titre personnel, j’y suis toutefois favorable, car je considère que la solidarité nationale ne doit pas laisser nos jeunes de côté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Rémi Cardon, je suis heureux de pouvoir m’exprimer devant vous sur un sujet sur lequel, contrairement à ce qui a été dit, le Gouvernement est pleinement engagé.
Malgré les épreuves, et au-delà de la gestion de la crise sanitaire, nous restons bien sûr concentrés sur l’ensemble des politiques publiques que nous menons, particulièrement en matière de lutte contre la pauvreté, ce combat nécessitant de la persévérance, des convictions et des ambitions, mais également de l’humilité.
Selon l’Insee, environ 20 % des 5,4 millions de jeunes adultes âgés de 18 à 29 ans étaient touchés par la pauvreté dans notre pays en 2018. Plus précisément, ce sont 1,3 million de jeunes qui sont en situation précaire. Ce nombre a par ailleurs augmenté du fait de la crise sanitaire et économique que nous traversons.
Le texte qui est soumis aujourd’hui à l’examen du Sénat vise à apporter une réponse face à ce constat, en ouvrant le bénéfice du revenu de solidarité active dès la majorité.
Vous le savez, le Gouvernement n’est pas favorable à cette mesure.
Deux logiques, qui n’ont rien d’idéologique, je pense, s’opposent : celle qui privilégie l’ouverture d’une allocation à tous les jeunes, avant même de réfléchir à leur trouver une formation ou un emploi ; celle qui les encourage, dans tous les cas, à trouver une formation ou un emploi, en plus de leur ouvrir droit à une allocation s’ils en ont besoin.
Le Gouvernement a choisi la seconde option. Nous préférons en effet offrir une solution à tout jeune qui en fait la demande, mais nous voulons aussi aller chercher ceux qui ne la font pas afin de les accompagner. C’est non pas en permettant aux jeunes de 18 à 25 ans d’avoir accès au RSA que nous lutterons efficacement contre la pauvreté des jeunes, mais bien en créant, nous en sommes convaincus, les conditions d’une meilleure insertion sociale et professionnelle.
Tel est le sens du choix fait par le Gouvernement de contractualiser avec les départements en ce qui concerne l’accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Depuis le 1er janvier dernier, le nouveau service public de l’insertion et de l’emploi se déploie sous l’égide de la ministre Brigitte Klinkert. C’est une rupture fondamentale, dont on retrouve aussi l’esprit dans le plan de relance, d’une ampleur historique, qui doit nous permettre de retrouver le rythme des créations d’emplois qui était le nôtre avant la crise.
Ces dispositifs s’inscrivent pleinement, vous l’avez noté, dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, présentée en septembre 2018 par le Président de la République.
Depuis 2018, nous avons par exemple renforcé l’accompagnement des jeunes sortis de l’aide sociale à l’enfance, et ces mesures font leurs preuves. Plus de 50 % aujourd’hui des 20 000 jeunes de l’aide sociale à l’enfance devenus majeurs en 2019 ont bénéficié d’une prise en charge, dans le cadre du référentiel de la stratégie pauvreté.
Avec Brigitte Klinkert, j’ai signé le mois dernier un accord avec l’Union nationale des missions locales, l’UNML, et la Convention nationale des associations de protection de l’enfance, la Cnape, afin qu’un référent aide sociale à l’enfance soit désigné dans chaque mission locale.
Leur rôle sera d’aller vers les jeunes de l’aide sociale à l’enfance, pour leur présenter, sur leur lieu de vie, l’ensemble des dispositifs auxquels ils ont droit. La question de l’accès aux droits se pose en effet pour un certain nombre de ces jeunes, pour lesquels nous réfléchissons par ailleurs à des dispositifs complémentaires.
Les actions prévues ont par ailleurs été renforcées en 2020 par des mesures exceptionnelles en faveur des personnes les plus fragiles, particulièrement touchées par la crise, ainsi que par des dispositifs de plus long terme.
C’était évidemment indispensable : la crise économique touche de plein fouet les jeunes. Chacun d’entre nous a conscience des difficultés que notre jeunesse traverse, des sacrifices qu’elle a dû faire et du sentiment d’injustice que cela a pu entraîner. Certains n’ont pas pu achever leur formation, quand d’autres font leur entrée sur un marché du travail dégradé.
Protéger l’avenir des jeunes est l’une des priorités du Gouvernement, le Premier ministre a eu l’occasion de le répéter tout à l’heure. Pour cette raison, nous leur avons consacré le premier volet du plan de relance, contrairement à ce que j’ai pu entendre. Oui, c’est le plan « 1 jeune, 1 solution » qui a permis l’adoption de diverses mesures renforçant l’accès à l’emploi des jeunes ayant des difficultés d’insertion.
Ce plan prévoit tout d’abord de faciliter leur entrée dans la vie professionnelle grâce, d’une part, à l’octroi d’une aide exceptionnelle de 5 000 euros pour recruter un alternant de moins de 18 ans en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation, ou de 8 000 euros pour recruter un alternant de plus de 18 ans, et, d’autre part, à une compensation de charges de 4 000 euros instaurée pour tout jeune recruté entre août 2020 et janvier 2021.
Autre axe majeur, l’orientation et la formation de 200 000 jeunes, rendues possibles grâce à 100 000 nouvelles formations qualifiantes ou préqualifiantes qui seront proposées aux jeunes sans qualification ou en échec dans l’enseignement supérieur, mais aussi à des formations dans le secteur du soin, qui seront déployées pour doubler les capacités de formation des aides-soignants, des infirmiers et des auxiliaires de vie dans les cinq prochaines années.
Nous allons également accompagner les jeunes éloignés de l’emploi en construisant 300 000 parcours d’insertion sur mesure, via, d’une part, le renforcement des dispositifs d’inclusion durable dans l’emploi, à savoir le parcours emploi compétences et le contrat initiative emploi, et, d’autre part, l’augmentation des dispositifs d’accompagnement vers l’emploi, à savoir la garantie jeunes et le parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie.
Ce plan est le fruit d’un travail nourri avec les partenaires sociaux, les associations de jeunes, que je salue à cette occasion à mon tour, les associations représentant les élus locaux et les entreprises.
Par ailleurs, des aides exceptionnelles de solidarité ont été versées aux différentes étapes de la crise. Vous les connaissez ; je les rappelle brièvement.
En juin dernier, 800 000 jeunes ont reçu une aide de 200 euros ciblant les étudiants ultramarins isolés, les étudiants ayant perdu un stage ou un emploi, ainsi que les jeunes non-étudiants touchant des aides au logement. En novembre dernier, une nouvelle aide de 150 euros a été versée aux 740 000 étudiants boursiers, ainsi qu’à 570 000 jeunes de moins de 25 ans non étudiants bénéficiaires des APL.
En complément, le Premier ministre a annoncé plusieurs mesures essentielles à la fin du mois de novembre. Je pense notamment au doublement du plafond annuel du parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie, au renforcement de la garantie jeunes, mais aussi à la mise en place d’une aide financière pour les jeunes diplômés en recherche d’emploi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous demandons beaucoup de sacrifices à notre jeunesse pendant cette crise sanitaire. Il est aujourd’hui de notre devoir, nous partageons cette conviction, de leur tendre la main : aucun ne doit rester au bord du chemin, le Gouvernement s’y est engagé ; il a fixé comme objectif de permettre à chaque jeune de trouver une place.
Le défi est grand, mais nous sommes prêts à l’affronter. Nous le relevons à travers l’ensemble des actions que nous prenons depuis plusieurs mois déjà et que nous continuerons à prendre.
Mme le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, rares sont les secteurs de l’économie et les pans de la société qui sortiront indemnes de la crise que nous traversons, mais tous ne sont pas également affectés. Les difficultés que rencontre notre jeunesse la placent dans une situation particulièrement préoccupante.
Nous avons été alertés, depuis plusieurs mois, sur la gravité de cette situation. C’est pourquoi je tiens à saluer l’initiative du groupe socialiste et de l’auteur de la proposition de loi. Elle a le mérite de placer au cœur de nos débats le sujet de l’avenir de notre jeunesse, donc l’avenir de la Nation, et de nous inciter toujours à améliorer notre modèle social.
Personne ne conteste la situation très préoccupante de notre jeunesse, mais les moyens à mobiliser peuvent diverger. En l’occurrence, nous sommes aujourd’hui amenés à nous prononcer sur l’ouverture de nouveaux droits pour les jeunes par l’extension du RSA aux 18-25 ans. Cette proposition n’est pas nouvelle, mais elle se présente sous un jour nouveau dans le contexte actuel.
Avec cette pandémie, les Français qui se sentent privés de leurs belles années ne réclament pas uniquement plus d’allocations, comme le RSA, mais plus de considération et d’accompagnement dans leurs études ou vers l’emploi et la formation.
La question que nous devons nous poser est la suivante : quelles sont les opportunités, les perspectives d’avenir qui se présentent aujourd’hui à nos jeunes ? Plutôt que de créer de nouveaux droits dès 18 ans, nous devons nous attacher à créer de nouvelles chances.
Il semble à cet égard plus pertinent de renforcer les dispositifs d’accompagnement qui ont fait leurs preuves. Les jeunes sont en mal d’insertion pendant leurs études ou en inclusion dans le travail. C’est pourquoi le déploiement par le Gouvernement du plan « 1 jeune, 1 solution », qui vise à faciliter l’accès des jeunes aux différents dispositifs dont ils peuvent bénéficier, nous paraît important.
Dans cet éventail de mesures, le mécanisme de la garantie jeunes est sans doute l’un des plus prometteurs pour les publics précaires, notamment les décrocheurs. Il faut capitaliser sur les réussites et amplifier son déploiement.
La logique de contractualisation sur laquelle repose la garantie jeunes me paraît adaptée aux enjeux actuels. Il est important de proposer aux jeunes un accompagnement de proximité, avec en retour un engagement à retrouver un parcours de formation ou un emploi. Dans ce cas, l’allocation ne serait qu’un élément d’un accompagnement qui doit être plus global et plus personnalisé.
Cependant, je doute que le bornage dans le temps de ces contrats soit véritablement bénéfique. J’avais proposé un amendement visant à inscrire dans la loi le fait que la garantie jeunes se poursuive tant que le contrat n’a pas débouché sur une sortie positive, soit en formation, soit en emploi, donc de maintenir le contrat tant que les objectifs ne seraient pas atteints, avec un accompagnement.
À cette fin, le maillage territorial des missions locales se révélera déterminant, bien sûr s’il est renforcé, ainsi que la mobilisation des collectivités et des entreprises pour accueillir, former et proposer un avenir aux jeunes.
Je veux souligner les besoins très importants en aides-soignantes et en infirmières dans les Ehpad et en milieu hospitalier.
J’aborderai enfin l’apprentissage, qui est sans doute l’une des rares bonnes nouvelles de la crise, puisque le nombre d’apprentis a augmenté en 2020. Ce dispositif a fait ses preuves pour l’installation des jeunes ; nous devons l’encourager et le développer. À cet effet, le Gouvernement doit tenir ses promesses de financement auprès des entreprises qui ont embauché un apprenti ; il y a eu quelques difficultés.
En ce qui concerne les étudiants qui n’ont pas pu, pendant leurs vacances ou leurs études, exercer des CDD, il faut mieux les prendre en compte et les aider en amplifiant les actions menées ; je pense notamment aux bourses, à l’augmentation des tutorats ou aux repas à un euro.
En conclusion, notre groupe ne souhaite pas ouvrir le bénéfice du RSA aux 18-25 ans, mais considère que nous devons faire plus pour les étudiants et mieux en faveur de l’insertion de tous les jeunes par le travail.
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, face à la pauvreté, face à la précarité, face à l’exclusion d’une partie grandissante de la jeunesse, il y a urgence. Entre 2002 et 2018, le taux de pauvreté des jeunes est passé de 8 % à 13 %. Pour les personnes seules, qui ne vivent pas chez leurs parents et ne sont pas en couple, le chiffre augmente encore, avec 22 % de jeunes sous le seuil de pauvreté.
Ces chiffres de 2018 sont les derniers communiqués par l’observatoire des inégalités, mais la crise sanitaire a aggravé la situation des jeunes précaires. Toutes les organisations que nous avons auditionnées, au niveau national ou dans les territoires, nous disent la même chose : la jeunesse de ce pays a été percutée par la crise.
L’incertitude qui pèse sur son avenir et l’impossibilité de trouver rapidement du travail plongent toute une génération dans l’impasse, sans aucun filet de sécurité. Le recours à l’aide alimentaire d’urgence explose, et la détresse psychologique prend des proportions dramatiques. La voilà l’urgence, la voilà la conséquence de la crise : la jeunesse est au bord de la rupture, et il est temps d’agir.
La France, qui peut être fière de son modèle social, en a exclu en partie sa jeunesse. C’est une anomalie européenne : chez quasiment tous nos voisins, les droits sociaux s’ouvrent pleinement avec la majorité.
Face à cette situation, le Gouvernement a multiplié des dispositifs, dont la garantie jeunes, dont l’extension à 200 000 bénéficiaires est prévue en 2021. Elle consiste en une aide financière et un dispositif d’accompagnement temporaire d’un an et demi au maximum, pour permettre l’accès à l’emploi et à une formation. C’est un dispositif correct, mais finalement assez lourd, qui n’est pas à la hauteur de la crise actuelle.
Pourquoi ce choix, alors que l’on dispose déjà d’un dispositif simple, le RSA, qui n’est certes pas parfait, mais dont toute la mécanique administrative est en place ? On préfère multiplier d’autres dispositifs, avec un seul but : décourager les potentiels bénéficiaires.
Celles et ceux qui n’ont d’ordinaire que « la simplification de l’État » à la bouche lorsqu’il s’agit d’attaquer notre modèle social rechignent aujourd’hui à une simple mise à jour du RSA.
Les raisons, nous les connaissons : le dogmatisme libéral et le mépris pour la jeunesse. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, l’a affirmé sans détour sur BFM TV vendredi dernier : « À 18 ans, ce qu’on veut, c’est un travail. On veut une rémunération de son travail, on ne veut pas une allocation ».
M. le ministre de l’économie va sûrement expliquer aux jeunes comment trouver un travail, alors que le taux de chômage a littéralement explosé au troisième trimestre 2020, passant à 22 % chez les jeunes, et que les organismes de statistiques s’attendent à une vague sans précédent de défaillances d’entreprises pour 2021. Il est donc urgent d’agir, d’investir dans la jeunesse.
Le Gouvernement a fait preuve d’une impressionnante célérité pour soutenir nos industries parfois très polluantes. Il est aujourd’hui temps de mettre la même volonté et la même conviction pour sauver notre jeunesse.
La proposition de nos collègues socialistes est simple, elle tient en une phrase : étendre le RSA aux jeunes âgés de 18 à 25 ans. Permettre aux jeunes qui ne suivent pas d’études ou de formation et qui n’ont pas de travail de disposer d’un minimum de ressources et d’autonomie.
La croyance selon laquelle une allocation encouragerait l’oisiveté et la paresse a été battue en brèche par toutes les dernières recherches académiques. Je pense notamment aux travaux d’Esther Duflo, prix Nobel d’économie, qui a montré que plus on aide les gens, plus ils sont capables de repartir d’eux-mêmes et plus ils sont aptes à sortir de la trappe à pauvreté dans laquelle ils sont enfermés.
Les jeunes ont donc besoin de tout, sauf du paternalisme d’une génération d’hommes d’État qui n’a jamais poussé les portes d’un Crous ou d’une agence Pôle emploi.
Monsieur le secrétaire d’État, entendez l’appel de toutes les associations de jeunesse, de toutes les associations de lutte contre la pauvreté, de tous les collectifs d’aide aux précaires qui demandent l’extension du RSA aux 18-25 ans. Entendez l’appel du Conseil économique, social et environnemental qui, le 2 décembre 2020, a demandé solennellement l’extension du RSA aux 18-25 ans.
Chers collègues de droite, pour ceux qui sont encore là (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), entendez l’appel d’Aurélien Pradié, secrétaire général Les Républicains, qui lors d’un débat à l’Assemblée nationale, le 12 janvier dernier, déclarait que « les fous sont ceux qui n’osent plus se poser les vraies questions : la question des jeunes qui, de 18 à 25 ans, ne bénéficient d’aucun dispositif universel ».
Nous ne sommes pas ici dans un débat idéologique ou partisan. Nous sommes en train de statuer sur une question de dignité et de lutte contre la pauvreté.
La présente loi propose un dispositif simple, concret, qui s’appuie sur l’existant. Tout est déjà en place. Les départements sont en mesure d’effectuer ces versements dès demain, ou presque, à condition de les accompagner financièrement.
Alors que vos politiques économiques et sociales hypothèquent l’avenir de toute une génération, ayez la décence d’investir d’urgence sur leur présent, quoi qu’il en coûte.
Il est urgent de faire sortir les jeunes des mesures d’exception pour les faire entrer dans l’universel, comme tous les autres citoyens. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)