Mme Esther Benbassa. Cet amendement a pour objet d’inclure parmi les crimes sexuels le rapport bucco-génital commis par une personne majeure sur un mineur ou une mineure.
Dans une décision de la Cour de cassation en date du 14 octobre 2020, les magistrats ont écarté la qualification de viol dans une affaire d’inceste par cunnilingus au motif que la pénétration vaginale par la langue de l’auteur n’aurait pas été suffisamment intense, profonde ou de longue durée. La jeune fille qui a subi ces abus sexuels depuis l’âge de 13 ans de la part de son beau-père s’est vu refuser la qualification de viol, donc un procès en cour d’assises.
Cette décision ne fait que creuser l’écart entre la réalité des violences sexuelles commises sur les mineurs, garçons et filles, et leur appréhension par la justice. Ces appréciations inadaptées des magistrats contribuent à une hiérarchisation des viols : les pénétrations digitales, les cunnilingus et les fellations ne sont, dans les faits, jamais criminalisés, jamais traduits devant une cour d’assises.
Sur ce sujet, la politique des petits pas se révèle inefficace. Nous l’avons récemment vu à la suite de l’affaire Duhamel : plus de 6 000 tweets ont été publiés avec le hashtag #MeToolnceste dénonçant les violences sexuelles commises dans le cadre familial. À ce titre, en 2020, un Français sur dix déclare avoir été victime d’inceste durant son enfance, selon une enquête Ipsos, et il ne s’agit là que d’une partie des crimes sexuels sur mineurs.
Montrons notre fermeté. Reconnaissons l’acte bucco-génital commis sur un mineur comme un crime sexuel, car les conséquences psychotraumatiques sont les mêmes pour toutes les victimes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, je vous félicite sincèrement pour cet amendement.
Nous avons tous été extrêmement surpris, voire choqués, par l’arrêt de la Cour de cassation du mois d’octobre dernier, lequel, entre nous, est extrêmement glauque. Quand on en arrive à discuter profondeur, millimètres, mouvement, langue ou doigt…, il faut dire stop !
Dans la dernière loi, nous avions fait en sorte que la victime puisse aussi être l’auteur, pour les cas des garçons pratiquant une fellation. En revanche, nous n’avions pas inclus le cunnilingus, alors qu’il peut être aussi extrêmement choquant pour une jeune fille et doit donc aussi être considéré comme un viol.
Je vous remercie donc de cet amendement sur lequel la commission émet un avis extrêmement favorable et dont l’objet souligne l’égalité – en l’espèce navrante ! – entre garçons et filles.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’ai procédé à une analyse de cet arrêt et mes conclusions ne sont pas du tout les mêmes que les vôtres. La Cour de cassation a simplement validé le raisonnement des juges du fond, en mettant en exergue les éléments de preuve qui leur avaient été soumis.
Pour le reste, les rapports bucco-génitaux, quels qu’ils soient, peuvent être qualifiés de viols selon notre jurisprudence.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable. (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)
Je peux vous fournir la jurisprudence ! La fellation ou le cunnilingus peuvent faire l’objet d’une qualification de viol : cela arrive très régulièrement et la jurisprudence consacre cette position.
M. le président. L’amendement n° 12 rectifié, présenté par Mmes Rossignol et Meunier, M. Sueur, Mmes Briquet, Le Houerou, Monier, M. Filleul, Jasmin, Lepage et Blatrix Contat, MM. Todeschini, Antiste, P. Joly, Stanzione et Jomier, Mmes Van Heghe et Benbassa, M. Marie, Mme S. Robert, MM. Bourgi et Fernique, Mmes Bonnefoy et Lubin, MM. J. Bigot, Raynal, Cozic, Durain et Kerrouche, Mme Lienemann, M. Jacquin, Mmes Poumirol, Féret, Harribey et Taillé-Polian, MM. Pla et Vaugrenard et Mmes de Marco et Poncet Monge, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer le mot :
treize
par le mot :
quinze
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Alors que la proposition de loi d’Annick Billon fixe le seuil d’âge à 13 ans, je propose, avec un certain nombre de mes collègues, de trancher en faveur du seuil de 15 ans, et ce pour plusieurs raisons.
C’est d’abord par souci de cohérence du droit pénal. Le seuil délictuel pour l’atteinte sexuelle est de 15 ans : pourquoi fixer un seuil différent en matière criminelle ? Je ne retiens pas l’objection d’une éventuelle inconstitutionnalité : celle-ci pourrait aussi bien concerner la dimension délictuelle… Il me paraît important de fixer des seuils aussi cohérents que possible dans le domaine des infractions sexuelles.
À cet égard, voyez la loi sur l’achat de services sexuels, donc les clients de la prostitution. La prostitution des mineurs nous mobilise énormément, y compris M. Taquet, je le sais. Cette loi prévoit que le client d’une prostituée mineure est passible d’une peine aggravée, et davantage encore quand la prostituée a moins de 15 ans.
Il en résulte que le client sera accusé de viol si la prostituée a moins de 13 ans, mais ne pourra pas être poursuivi pour ce motif si elle a entre 13 et 15 ans. Nous sommes pourtant unanimes à considérer que le problème de la prostitution des mineurs est le même à tout âge.
Je sais, monsieur le garde des sceaux, que vous n’accordez pas une grande attention à la loi sur la prostitution… N’hésitez tout de même pas à la regarder, même si vous ne la soutenez pas ! En tout cas, elle prévoit une qualification pénale spécifique pour les clients d’une prostituée de moins de 15 ans.
Mme Valérie Boyer. Oui !
Mme Laurence Rossignol. En outre, je crains que, en fixant le seuil à 13 ans, nous ne fragilisions les jeunes âgés de 13 à 15 ans : nous admettrions que, pour eux, on peut discuter d’un éventuel consentement, qu’il n’y aurait pas systématiquement viol. Mes chers collègues, ce que nous voulons pour les moins de 13 ans, nous devons le vouloir aussi pour les moins de 15 ans !
Au reste, si le seuil est maintenu à 13 ans, vous verrez que nous nous retrouverons dans deux ans pour modifier la loi, parce qu’entre-temps de nombreuses affaires auront prouvé qu’elle est inopérante – et choquante – s’agissant des mineurs âgés de 13 à 15 ans.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Il faut laisser aux lois un peu de temps pour vivre et s’appliquer. La loi Schiappa n’a que deux ans ! Annick Billon propose un crime autonome pour les mineurs de 13 ans. Pour le moment, tenons-nous-en là.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour ma part, je ne m’autorise pas des considérations d’ordre personnel. Seule importe la question qui nous préoccupe.
Le seuil de 15 ans comporte un risque constitutionnel réel, déjà identifié par le Conseil d’État dans son avis du 15 mars 2018 : un mineur de 17,5 ans ayant eu des relations avec un mineur de 14 ans deviendrait de facto un criminel au jour de ses 18 ans…
Ce n’est pas une question tranchée ; elle est délicate et mérite une vraie réflexion, un approfondissement de nos travaux.
J’ajoute qu’un certain nombre de notions importantes sont déjà prévues, notamment la présomption irréfragable, que j’ai évoquée précédemment.
Nous demandons donc le retrait de l’amendement, sans polémique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je soutiens fortement cet amendement.
L’argument le plus fort est que le vote de ce texte en l’état fragiliserait considérablement la situation des jeunes de 13 à 15 ans.
Mme Annick Billon. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. M. le garde des sceaux a objecté que le Conseil constitutionnel pourrait prononcer une censure. On n’a jamais autant parlé du Conseil constitutionnel que depuis le début de cette discussion… Le Conseil constitutionnel se prononce quand il est saisi, mais, à ce stade, c’est au Parlement d’accomplir pleinement son travail.
Pour Mme la rapporteure, il faut laisser vivre les lois. L’argument est quelque peu singulier. Si notre proposition de 15 ans est bonne, pourquoi ne pas l’adopter ? Faut-il procéder par étapes, laisser vivre un dispositif cependant que des personnes pâtiraient de son caractère incomplet ?
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. Je voterai cet amendement, parce que je ne comprends pas le seuil de 13 ans.
En tant que parlementaires, nous sommes des relais des territoires auprès du Gouvernement. Nous devons être à l’écoute. Or les gens que je rencontre ne comprennent pas non plus ce chiffre de 13 ans : ils ont le sentiment que c’est un recul.
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. J’entends que l’on débatte d’un seuil à 13 ou 15 ans. N’oublions tout de même pas que, il y a deux ans, aucun seuil n’existait ! Un seuil à 13 ans, c’est déjà un progrès.
Au demeurant, cet âge présente aussi une cohérence avec la responsabilité pénale. La création d’une infraction autonome balaie les réserves formulées antérieurement par le Conseil d’État. C’est une information majeure.
La délégation sénatoriale aux droits des femmes auditionne très régulièrement le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, dont font partie le juge Édouard Durand et Ernestine Ronai. Cette institution défend le seuil de 13 ans.
J’entends les débats, mais reconnaissons que 13 ans, c’est un progrès sociétal important.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Le citoyen que je suis dirait, comme Mme Rossignol : 15 ans. En revanche, le parlementaire que je suis aussi, au vu de ce que vient d’expliquer Mme Billon, se prononcera pour le maintien à 13 ans, en responsabilité. C’est dans cet esprit que je vous ai demandé, monsieur le garde des sceaux, de faire confiance au travail du Parlement et je vous remercie de m’avoir répondu.
L’évolution des textes doit être en phase avec celle de la société : nous sommes déjà tellement loin des débats de 2018 ! Ces débats se poursuivront donc, les choses évolueront encore et le Parlement aura certainement à travailler de nouveau sur ces questions.
M. le président. L’amendement n° 27 rectifié, présenté par MM. Mouiller et Favreau et Mme L. Darcos, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
treize ans
insérer les mots :
ou sur un mineur de seize ans atteint d’une déficience psychique
La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Cet amendement vise à étendre jusqu’à 16 ans la criminalisation de tout acte de pénétration sexuelle aux actes commis sur des mineurs atteints d’une déficience psychique.
Il s’appuie sur les constats dressés ces dernières années par divers travaux sénatoriaux. Je pense en particulier au rapport d’information du mois de mai 2019 de Marie Mercier, Michèle Meunier et Dominique Vérien sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions : on y apprend notamment que, selon Marie Rabatel, cofondatrice et présidente de l’Association francophone de femmes autiste, les enfants en situation de handicap, en particulier mental, ont un risque quatre fois plus élevé de subir des violences sexuelles que les autres.
La commission Samson, créée aux Pays-Bas au mois d’avril 2010, est parvenue à un ordre de grandeur comparable, en évaluant que les enfants souffrant d’un déficit de développement ou d’un handicap mental sont trois fois plus souvent victimes d’abus sexuels que les autres.
Enfin, le rapport d’information de la délégation sénatoriale aux droits des femmes du mois d’octobre 2019 sur les violences faites aux femmes handicapées fait mention d’une récente enquête estimant à près de 47 % la part des filles autistes de moins de 14 ans qui auraient subi une agression sexuelle.
Les violences sexuelles sur mineurs atteints d’un handicap d’origine psychique doivent donc être mieux encadrées par la loi pénale. Dans cette perspective, cet amendement a pour objet de sensibiliser le Gouvernement et la Haute Assemblée sur ce fait de société effroyable que constituent les agressions sexuelles dans le monde du handicap.
Nous devons collectivement nous saisir de ce sujet !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Je remercie notre collègue d’avoir déposé cet amendement. Les personnes handicapées sont particulièrement vulnérables, et les atteintes commises sur elles particulièrement révoltantes.
Mme Marie Mercier, rapporteur. La question mérite une réflexion plus approfondie, parce qu’il existe de nombreuses sortes de handicap mental ; 16 ans n’est peut-être pas toujours le bon seuil d’âge. À titre personnel, je ne suis pas véritablement attachée à ce critère : je pense profondément que chaque personne a un développement propre, qui n’a rien à voir avec son âge.
Le problème fort opportunément soulevé par notre collègue est grave, nous devons absolument essayer de le résoudre. Je demande le retrait de l’amendement justement parce que le sujet est si important qu’il mérite que l’on s’y attarde beaucoup plus.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je rejoins l’explication de Mme la rapporteure et je m’associe à ses remerciements à votre égard, monsieur le sénateur.
Comme je l’ai souligné dans la discussion générale, cette question, complexe, doit nous occuper dans les mois qui viennent. On a parlé de dernier tabou à propos de l’inceste : je ne veux pas établir de hiérarchie entre les crimes, mais, quand nous parlons d’inceste sur des enfants en situation de handicap, nous sommes saisis par l’horreur auxquels certains de nos enfants sont soumis.
C’est Marie Rabatel qui, lorsque j’étais député, m’a sensibilisé au problème des violences, notamment sexuelles, sur les femmes en situation de handicap.
Mme la rapporteure a raison : moins qu’une question d’âge, c’est une question de discernement et de vulnérabilité. Pour une personne avec un trouble du spectre de l’autisme, la question du consentement n’a pas du tout la même signification, n’est pas du tout vécue de la même façon que pour vous et moi. Ce n’est pas une affaire d’âge, c’est du domaine du neurodéveloppement.
Aussi, je ne crois pas que la réponse par un seuil d’âge soit la bonne.
En outre, une autre dimension, éminemment complexe, doit être abordée : comment libérer la parole d’un enfant avec autisme non verbal ? Comment faire en sorte de libérer la parole d’un enfant en situation de handicap avec, par exemple, une déficience mentale, lorsqu’il est dans une institution ? Comment éviter que ces enfants-là restent sur le bord de la route, alors qu’un mouvement de société formidable se développe, que nous devons accompagner ?
Je ne doute pas que, avec Marie Rabatel, les associations et vous-même, monsieur le sénateur, nous aurons l’occasion de travailler sur ces sujets.
Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Monsieur Mouiller, l’amendement n° 27 rectifié est-il maintenu ?
M. Philippe Mouiller. J’entends vos explications, monsieur le secrétaire d’État, et ne puis que vous inviter à vous saisir plus fortement de cette question, qui justifierait une mission particulière, de portée interministérielle.
Je retire l’amendement, qui m’a néanmoins permis d’insister sur la nécessité de traiter ce sujet particulier, qui ne peut être abordé dans le cadre de ce texte.
M. le président. L’amendement n° 27 rectifié est retiré.
L’amendement n° 17 rectifié, présenté par Mmes de La Gontrie, Meunier, Rossignol, Le Houerou, Briquet, Harribey et Conconne, M. Bourgi, Mmes Lepage et Monier, MM. P. Joly, Antiste, Houllegatte, Durain, Kanner, Sueur, Marie, Leconte, Kerrouche et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. - Après l’alinéa 3
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« L’infraction est également constituée lorsque la victime est mineure et lorsque l’auteur est :
« 1° Un parent au premier, deuxième ou troisième degré ;
« 2° Le conjoint, le concubin, ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité, de l’une des personnes mentionnées au 1°.
II. - Alinéa 4
Remplacer les mots :
au premier alinéa
par les mots :
aux premier et troisième alinéas
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cet amendement est particulièrement important.
Nous avons décidé de fixer un seuil d’âge pour une infraction spécifique : le seuil de 13 ans, qui vient d’être débattu. En revanche, aucun seuil d’âge spécifique n’est prévu pour l’inceste. Nous proposons donc que, lorsqu’il s’agit d’une victime mineure, l’inceste soit inclus dans cette infraction spécifique, et donc criminalisé.
Il serait inexact d’affirmer que l’inceste n’est pas aujourd’hui réprimé par le code pénal, mais il ne constitue qu’une circonstance aggravante des agressions sexuelles et du viol. On retombe donc, comme toujours, dans les questions du consentement, de la contrainte, de la surprise, de la violence – vous connaissez bien ces différentes données.
L’inceste sur un jeune de moins de 18 ans doit être reconnu comme un crime, et il est très important que cette mesure soit votée aujourd’hui. C’est pourquoi, comme je l’ai indiqué au cours de la discussion générale, sur cet amendement, mon groupe demande un vote par scrutin public.
L’actualité fait ressortir ce sujet, mais, en réalité, son actualité est permanente : de manière permanente, on nous parle de cas d’inceste. L’inceste n’est identifié dans le code pénal que depuis quelques années.
Mes chers collègues, il ne faut pas avoir peur des situations ou craindre les mots : sur une personne de moins de 18 ans, inceste égale crime. C’est aujourd’hui pour le Sénat l’occasion de l’affirmer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à qualifier de crime tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur quand cette relation présente un caractère incestueux. Seraient concernés les parents aux premier, deuxième et troisième degrés, soit les parents, grands-parents, frères et sœurs, neveux et nièces et oncles et tantes. Seraient concernés également le conjoint, concubin ou partenaire lié par PACS de l’une des personnes précédemment mentionnées.
Je comprends l’intention des auteurs de cet amendement, mais je m’interroge beaucoup sur la constitutionnalité du dispositif qu’ils proposent…
Mme Laurence Rossignol. Bien sûr…
Mme Marie Mercier, rapporteur. … au regard de la nécessité de caractériser l’élément intentionnel du délit.
Soyons concrets. Actuellement, un mineur de plus de 15 ans peut avoir des rapports sexuels consentis avec un majeur. Avec un tel dispositif, si une mineure de 17,5 ans a un rapport consenti avec le concubin de sa sœur,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ah oui ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. C’est possible !
… lequel n’a peut-être que quelques années de plus, celui-ci serait automatiquement envoyé aux assises, alors que les deux personnes n’ont aucun lien de sang ni surtout aucun rapport d’autorité dont le concubin aurait pu abuser.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Non, il n’y a pas d’automaticité et vous le savez très bien !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Une telle situation relève d’un écart dans le contrat, si je puis dire ; elle peut se régler gentiment sans que l’on aille aux assises…
Le dispositif proposé me paraît poser un sérieux problème au regard du respect des droits de la défense et du principe de nécessité des délits et des peines.
En revanche, la commission émettra un avis favorable sur l’amendement n° 25, qui sera examiné dans quelques instants.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est incohérent !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Non, notre position n’est pas incohérente, parce que cet amendement pose moins de problèmes : il tend à introduire une circonstance aggravante sur un délit ; le seuil d’âge n’est pas le même et le périmètre retenu pour qualifier l’inceste est beaucoup mieux défini.
Bien sûr, la commission est prête à avancer sur la question de l’inceste, mais il faut le faire avec rigueur sur le plan juridique. Nous risquons sinon de décevoir les victimes elles-mêmes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est pour moi une époustouflante démonstration des difficultés qui se posent quand… Je ne sais comme le dire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Faites attention !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame de La Gontrie, je suis toujours très attentif quand vous êtes là : je vous sais tellement vigilante, tellement aimable aussi !
J’ai parlé de hâte et de besoin de réfléchir. Je suis convaincu que vous n’aviez pas songé à l’exemple développé par Mme la rapporteure.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Oh si !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Sans quoi, vous n’auriez pas présenté cet amendement.
Je vous adresse donc une aimable demande de retrait.
Envoyer aux assises à l’emporte-pièce, pour le dire ainsi, ce n’est pas le but de la loi pénale. J’ai essayé de l’expliquer tout à l’heure avec les mots qui étaient les miens. On y a vu une forme de réticence, ce qui n’est pas du tout le cas. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie manifeste son scepticisme.) Je le répète : nous souhaitons travailler pleinement avec vous sur ce texte ! Reste que l’exemple de Mme la rapporteure montre bien que nous ne devons pas donner suite à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. « C’est inconstitutionnel » est devenu the new « Je ne suis pas d’accord » !
De fait, chaque fois que vous n’êtes pas d’accord avec l’une de nos propositions, en particulier, comme l’a fait observer Jean-Pierre Sueur, sur ces sujets, vous affirmez : « C’est inconstitutionnel ». Pour ma part, je ne connais qu’une façon de savoir si une disposition est constitutionnelle ou non : c’est que le Conseil constitutionnel se prononce ! En général, c’est ce qu’il fait.
Depuis quelques années, nous parlons de consentement et d’emprise. Or de quoi s’agit-il en matière d’inceste ? De consentement et d’emprise. Qui pense sérieusement que l’emprise s’arrête à 15 ans, qu’elle ne va pas jusqu’à la majorité ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Et au-delà !
Mme Laurence Rossignol. Parfois même au-delà, mais nous ne pouvons pas le prendre en compte.
Dans mon département, dans une commune voisine de la mienne, voilà une dizaine d’années, un père a été poursuivi parce qu’il violait ses trois filles. Il a purgé deux ans de prison, après quoi il est parti avec l’un d’elles et ils ont eu un enfant. Plus tard, la fille l’a quitté : il l’a tuée, avec le pauvre garagiste qui l’hébergeait. Qu’avaient alors plaidé les avocats ? L’inceste heureux, l’inceste consenti…
Mme Valérie Boyer. Ah !
M. Hussein Bourgi. Quelle horreur !
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement ne vise qu’à une chose : qu’on ne parle plus jamais d’inceste heureux et consenti devant les cours d’assises ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour explication de vote.
Mme Maryse Carrère. Comme je l’ai rappelé dans la discussion générale, le groupe du RDSE a déposé en 2019 une proposition de résolution visant à engager diverses mesures pour intensifier la lutte et la prévention contre l’inceste et à demander sa surqualification pénale. Françoise Laborde, dont vous connaissez l’engagement sur ces sujets, y soulignait combien il est important de faire évoluer le droit pénal pour reconnaître comme il convient la gravité du traumatisme subi par les victimes d’inceste.
De fait, les conséquences sur l’enfant sont prouvées, sur les plans neurobiologique, comportemental, cognitif et affectif. Notre ancienne collègue estimait aussi que, en matière d’inceste, la reconnaissance du non-consentement devrait être un principe inaliénable s’agissant des mineurs, limite d’âge ou pas.
Aujourd’hui, l’inceste, sans être nommé, est considéré comme une circonstance aggravante. Cette définition générale ne correspond ni à la réalité ni à la complexité des implications pour les victimes.
Mme Valérie Boyer. Exactement !
Mme Maryse Carrère. Pour ces raisons, le groupe du RDSE votera cet amendement, dont l’adoption marquerait un pas important.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 56 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l’adoption | 97 |
Contre | 229 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Permettez-moi une observation générale. Lorsque, au banc des commissions, un rapporteur, quel qu’il soit, évoque l’éventualité qu’un amendement aurait un caractère inconstitutionnel, ce n’est pas pour essayer de contourner l’obstacle ou de renvoyer le sujet à plus tard. C’est le résultat d’une analyse juridique faite par la commission – en l’occurrence, la commission des lois.
Il y a une Constitution et une jurisprudence constitutionnelle, que nul n’est censé ignorer. C’est sur ces bases que nous travaillons. Si nous nous fichions de la jurisprudence, je crains que nous n’en venions à faire n’importe quoi ou presque. Notre travail n’aurait alors plus de sens.
Cela ne veut pas dire que, que par moments, il ne faille pas savoir bouger les choses, mais cela relève d’une autre démarche.
En tout cas, les positions exprimées par Mme le rapporteur résultent d’une analyse de fond à laquelle la commission des lois s’est attachée avec une grande précision.
Articles additionnels après l’article 1er