Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je me suis, à l’évidence, mal exprimé parce que ma plaidoirie était non pour le tribunal de police, mais pour le juge des enfants. Je ne souhaite pas que celui-ci ait à connaître d’un contentieux dont la plupart des contraventions – je tiens à le rappeler, ce n’est pas rien – sont forfaitisées, délivrées par la police et payées par les parents. Si vous pensez qu’il est utile de charger, voire de surcharger, le tribunal pour enfants de ce genre d’infractions et du traitement qu’il connaît dans la réalité, cela me semble, pour ma part, inutile.
En outre, je me permets d’y insister, l’un de vos souhaits était que la justice des enfants fonctionne bien ; c’est l’une des raisons pour lesquelles vous souhaitez le report de la réforme. Est-il utile de leur donner 5 000 dossiers de plus ? Non, d’autant que – j’ouvre une dernière petite parenthèse – la protection du mineur est également assurée devant le tribunal de police, avec, notamment, l’intervention de l’avocat. Il y a donc une véritable garantie des droits des mineurs.
Pour moi, il y a une différence entre la délinquance traitée par le juge des enfants et celle dont connaît le tribunal de police.
Mme la présidente. L’amendement n° 68 rectifié, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Richard et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 121-7 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, les mots : « , le tribunal de police » sont supprimés.
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Je suis conscient que notre commission a tranché cette question. Néanmoins, si j’insiste, c’est pour qu’un débat se tienne en séance sur la compétence du tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes s’agissant des mineurs et sur la charge de travail du juge des enfants. Ce débat a d’ailleurs commencé.
Le présent amendement peut être vu comme un amendement de repli par rapport à la suppression pure et simple de la compétence du tribunal de police. Il vise à rétablir cette compétence en se limitant, toutefois, au cadre de l’ordonnance du 2 février 1945. C’est la différence avec l’amendement du Gouvernement, qui ne fait pas référence à la faculté pour le tribunal de police d’écarter l’atténuation de responsabilité.
Voilà ce que mon amendement propose de plus par rapport à celui du Gouvernement. J’espère que vous serez sensibles, chers collègues, à cette argumentation, car la charge de travail du juge des enfants reste un sujet de préoccupation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Par cohérence, l’avis est défavorable. À ce stade, nous sommes en effet favorables à la suppression de la compétence du tribunal de police, même si nous avons conscience que la faculté d’écarter l’excuse de minorité doit être aussi possible devant le tribunal de police.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous allez me dire, madame la rapporteure, que cette intervention a quelque chose d’un peu revanchard – je vous le concède. Vous avez dit que les violences traitées devant le tribunal de police étaient les prémices de la délinquance… Pourquoi pas ? Sachez cependant que les parquets les gèrent en alternative aux poursuites. C’est un peu tard pour vous le dire, mais je vous le dis quand même. Cela vaudra pour la suite de nos débats… (Sourires.)
Par cohérence également, je demande le retrait de l’amendement.
Mme la présidente. Monsieur Mohamed Soilihi, l’amendement n° 68 rectifié est-il maintenu ?
M. Thani Mohamed Soilihi. Oui, je le maintiens.
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L’amendement n° 10 est présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 33 est présenté par M. Sueur, Mme Harribey, M. Durain, Mme de La Gontrie, MM. Bourgi, Marie, Leconte, Kerrouche, Kanner, Antiste et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 61 rectifié est présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
4° L’article L. 121-7 est abrogé ;
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n °10.
Mme Cécile Cukierman. En droit, il y a des règles qui fixent des repères et des seuils qui, parce qu’ils sont respectés et non négociables, donnent toute leur force aux procédures. Ainsi, avant 18 ans, on est mineur et, après 18 ans, on est majeur.
L’histoire de notre droit a été de faire une justice spécifique pour les mineurs. Vous allez me répondre, monsieur le garde des sceaux, et peut-être n’avez-vous pas tort, que certains jeunes de 17 ans ont beaucoup plus de discernement que certains jeunes majeurs de 21 ans. Néanmoins, soit on fixe des règles, soit on n’en fixe pas.
Nous sommes attachés au fait que la justice des mineurs s’applique jusqu’à 18 ans. Aussi, nous n’acceptons pas l’exception à l’excuse de minorité pour les plus de 16 ans.
Nous observons depuis plus d’une décennie un durcissement de la réponse pénale. Nous pensons que l’exception à l’excuse de minorité participe pleinement à ce durcissement, qui ne fait pas toujours ses preuves. Bien au contraire, ce durcissement peut même parfois aggraver la situation des jeunes en perdition. Rappelons-le, les jeunes mineurs qui ont été incarcérés éprouvent les plus grandes difficultés à reprendre des études ou à exercer tout simplement leurs droits civiques et citoyens, tant l’enfermement les a fait décrocher de la vie en société. Or la justice des mineurs est précisément fondée sur le principe qu’ils ne sont pas perdus et qu’il faut, par les mesures éducatives et parfois pénales, les accompagner pour leur permettre d’être les citoyens de demain. C’est ce pari qu’a besoin de faire la société pour que nous puissions réussir tous ensemble.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 33.
M. Jérôme Durain. Cet amendement vise à supprimer l’article permettant d’écarter l’excuse de minorité et la diminution de moitié de la peine encourue. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec une présomption irréfragable de non-discernement au-dessous de 13 ans.
L’article L. 121-7 du code de la justice pénale des mineurs prévoit que « le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs peuvent, à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur ainsi que de sa situation, décider qu’il n’y a pas lieu de faire application des règles d’atténuation des peines ». Cet amendement vise donc à supprimer cet article au motif qu’il ne saurait y avoir d’exception à l’excuse de minorité.
Si le quantum des peines est divisé par deux, les sanctions demeurent très sévères. Comment justifier qu’un jeune puisse être tenu psychologiquement pour majeur avant ses 18 ans pour être condamné à trente ans d’emprisonnement, mais soit incapable de demander son émancipation ? Cette mesure revient à traiter des enfants de plus de 16 ans comme des adultes, ce qui n’est pas acceptable.
Rappelons que le Défenseur des droits recommande que l’excuse de minorité s’applique à tout mineur de 13 à 18 ans, sans aucune exception. La CIDE établit clairement, dans son premier article, qu’un enfant est une personne de moins de 18 ans et que, en vertu de l’article 40, un enfant a droit à une justice spécifique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 61 rectifié.
Mme Esther Benbassa. Il est défendu.
Mme la présidente. L’amendement n° 58 rectifié ter, présenté par Mmes V. Boyer, Deroche et Belrhiti, M. Bouchet, Mme Dumont, MM. Cadec et Panunzi, Mme Dumas, M. Bascher, Mme Garnier, M. B. Fournier, Mme F. Gerbaud, M. Klinger, Mme de Cidrac et MM. Belin, Brisson, Bonhomme, Le Rudulier et Boré, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
… Le même premier alinéa de l’article L. 121-7 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « peuvent, à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur ainsi que de sa situation, décider qu’il n’y a pas lieu de faire » sont remplacés par les mots : « ne font pas » ;
b) La seconde phrase est ainsi rédigée : « Toutefois, la juridiction peut ne pas faire application de cette disposition en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci. »
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Toujours dans l’esprit des amendements que j’ai défendus précédemment, il s’agit des mineurs très violents récidivistes.
L’un des rôles de la justice est de protéger la société. Je voudrais donc, à la lumière de l’actualité, poser une question : une fois qu’elle aura été arrêtée par la police, comment fera-t-on pour réinsérer la personne qui a donné des coups de marteau sur le crâne du petit Yuriy ? Cette question de l’hyperviolence à laquelle nous sommes confrontés nous taraude, et il nous faut y répondre.
L’ordonnance prévoit que, si le mineur est âgé de plus de 16 ans, « le tribunal de police, le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs peuvent, à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur ainsi que de sa situation, décider qu’il n’y a pas lieu de faire application des règles d’atténuation des peines ». Cette décision ne peut être prise que par une disposition spécialement motivée.
Je propose d’inverser cette logique et de dire que, si le mineur est âgé de plus de 16 ans, le tribunal de police, le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs ne font pas application des règles d’atténuation des peines. Toutefois, la juridiction peut ne pas faire application de cette disposition en considérant les circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur et les garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Les trois amendements identiques visent à supprimer la possibilité donnée au tribunal d’écarter l’excuse de minorité.
Il nous paraît opportun de laisser le juge apprécier s’il doit ou non lever l’excuse de minorité et, donc, prononcer des peines plus sévères pour des actes particulièrement violents ou sordides. Nous pensons, là encore, qu’il faut faire confiance au juge des enfants. L’avis est donc défavorable.
L’avis sur l’amendement n° 58 rectifié ter est également défavorable, parce que nous pensons qu’il n’est pas utile d’aligner le droit des mineurs de 16 à 18 ans, qui est plus protecteur, sur le droit des majeurs. Le principe est que l’excuse de minorité peut être levée. Néanmoins, le mineur reste mineur jusqu’à ses 18 ans.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. L’exception à l’excuse de minorité est utilisée dans les cours d’assises de notre pays entre neuf et dix-sept fois par an. Entre neuf et dix-sept mineurs sont donc concernés : voilà les statistiques ! Par conséquent, il est rare que cette exception soit appliquée.
L’un de nos grands principes fondamentaux est de distinguer entre mineurs et majeurs.
Madame la sénatrice Boyer, utiliser une affaire en cours pour en tirer un certain nombre de généralités est toujours extraordinairement dangereux. Vous ne savez pas ce qui s’est passé ; la justice est saisie et fera son travail.
Je n’entends pas commenter cette affaire, parce que je ne le peux pas. Vous ne devriez pas le faire non plus, parce que vous ne savez pas un certain nombre de choses que seuls, à cet instant, connaissent les enquêteurs et la justice.
Permettez-moi de vous dire qu’on ne peut pas se servir d’un fait, qui nous émeut forcément, pour écarter les grands principes fondamentaux qui sont les nôtres. Un mineur de 16 ans, même quand il commet un acte grave, reste un mineur de 16 ans, que vous le vouliez ou non, d’où le distinguo entre les peines que l’on peut lui appliquer et les peines que l’on applique à un majeur. Un acte grave commis par un mineur est un acte commis par un mineur !
L’avis est défavorable sur tous les amendements.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 10, 33 et 61 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 58 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 76, présenté par Mme Canayer, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 14 et 15
Rédiger ainsi ces alinéas :
a) Au premier alinéa, les mots : « le tribunal de police, » sont supprimés ;
b) Au deuxième alinéa, les mots : « du tribunal de police ou » sont supprimés ;
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er ter B, modifié.
(L’article 1er ter B est adopté.)
Article 1er ter
(Supprimé)
Mme la présidente. L’amendement n° 72, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est ainsi modifié :
1° Après le 3° de l’article L. 12-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 3° bis Le juge des libertés et de la détention chargé spécialement des affaires concernant les mineurs ; »
2° L’article L. 423-9 est ainsi modifié :
a) À la fin du premier alinéa, les mots : « le juge des enfants afin qu’il soit statué sur ses réquisitions tendant » sont supprimés ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 1° Le juge des enfants afin qu’il soit statué sur ses réquisitions tendant : » ;
c) Au début du 1°, la mention : « 1° » est remplacée par la mention : « a) » ;
d) Au début du 2°, la mention : « 2° » est remplacée par la mention : « b) » ;
e) Au début du 3°, la mention : « 3° » est remplacée par la mention : « c) » ;
f) Le 4° est ainsi modifié :
- au début, la mention : « 4° » est remplacée par la mention : « 2° » ;
- la première phrase est ainsi rédigée : « Le juge des libertés et de la détention, pour le mineur âgé d’au moins seize ans et lorsque le tribunal pour enfants est saisi aux fins d’audience unique en application du troisième alinéa de l’article L. 423-4, afin qu’il soit statué sur ses réquisitions tendant au placement en détention provisoire du mineur jusqu’à l’audience, dans les conditions prévues aux articles L. 334-1 à L. 334-5. » ;
g) Après le même 4°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le procureur de la République avise sans délai le juge des enfants afin qu’il puisse communiquer au juge des libertés et de la détention tout élément utile sur la personnalité du mineur et, le cas échéant, accomplir les diligences prévues à l’article L. 423-10. » ;
h) Le sixième alinéa est ainsi modifié :
- à la première phrase, après les mots : « juge des enfants », sont insérés les mots : « ou le juge des libertés et de la détention » ;
- à la dernière phrase, les mots : « Le juge des enfants » sont remplacés par le mot : « Il » et les mots : « parents du mineur, ses » sont supprimés ;
i) À l’avant-dernier alinéa, les références : « 1° et 2° » sont remplacées par les références : « a) et b) du 1° » ;
j) Le dernier alinéa est complété par les mots : « et du juge des libertés et de la détention » ;
3° À l’article L. 423-10, après la référence : « L. 423-9 », sont insérés les mots : « ou avisé de la saisine du juge des libertés et de la détention aux mêmes fins » ;
4° L’article L. 423-11 est ainsi rédigé :
« Art. L. 423-11. – Le juge des enfants est compétent, jusqu’à la comparution du mineur devant la juridiction, pour statuer sur la mainlevée ou la modification des mesures d’investigation, éducative judiciaire provisoire et de sûreté, d’office, à la demande du mineur ou de son avocat, ou sur réquisitions du procureur de la République conformément aux dispositions des titres II et III du livre III.
« Lorsqu’il constate que le mineur n’a pas respecté les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique, le juge des enfants peut, si les conditions prévues aux articles L. 334-4 ou L. 334-5 sont réunies, communiquer le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions et saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de révocation de la mesure de contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique et de placement du mineur en détention provisoire.
« Le mineur placé en détention provisoire ou son avocat peut, à tout moment, demander sa mise en liberté. La demande est adressée au juge des libertés et de la détention, qui communique immédiatement le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions et demande au juge des enfants tout élément utile sur la personnalité et l’évolution de la situation du mineur. Le juge des libertés et de la détention statue dans les cinq jours suivant la communication au procureur de la République dans les conditions prévues par aux troisième et avant dernier alinéas de l’article 148 du code de procédure pénale. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Votre commission a adopté l’amendement déposé par Mme la rapporteure visant à supprimer l’intervention du juge des libertés et de la détention avant l’audience de culpabilité, contrairement à ce qui avait été voté par les députés.
La modification apportée par la commission des lois du Sénat vise à ménager la spécialisation du juge des enfants en supprimant le JLD, tout en garantissant l’impartialité au moment du jugement, puisqu’elle prévoit que le juge des enfants qui aura mis le mineur en détention ne pourra pas le juger par la suite. C’est une fausse bonne idée, parce que cette solution revient, en réalité, à méconnaître le principe de spécialisation dans la mesure où ce n’est pas le juge qui connaît le mineur qui statuera sur sa détention ou qui le jugera. De surcroît, dans les petites juridictions, où un seul juge des enfants est affecté, la mise en œuvre de cette disposition sera purement et simplement inapplicable.
L’amendement que je présente vise à rétablir l’intervention du juge des libertés de la détention, qui, je vous le rappelle, devient un juge spécialisé pour le placement ou le maintien en détention provisoire des mineurs avant l’audience de culpabilité. Cette disposition avait été introduite à l’Assemblée nationale, afin de garantir l’impartialité du juge des enfants qui aura à juger le mineur, tout en sauvegardant le principe de spécialisation et de continuité de l’intervention du juge des enfants auprès du mineur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La suppression de la place du JLD n’a pas été décidée par le Sénat par simple opposition à l’Assemblée nationale, mais parce que, lors de nos visites de juridictions, plusieurs magistrats ont soulevé devant nous les difficultés du recours au juge des libertés et de la détention ainsi que l’atteinte que cela constituait au principe de spécialisation des juridictions des mineurs. On le voit bien, il y a, d’un côté, le principe d’impartialité et, de l’autre, celui de spécialisation des juridictions. Comme souvent en droit, il faut arriver à les concilier et à faire jouer la balance.
Je rappelle à mes collègues que l’intervention du JLD se fait avant l’audience de culpabilité ; pour les mineurs qui sont emprisonnés, le suivi de leur détention est fait par le juge des enfants. Il s’agit donc uniquement de la phase première, avant l’audience de culpabilité.
Monsieur le garde des sceaux, quand il y a peu de juges des enfants, notamment dans les petites juridictions, il y a aussi peu de JLD. Il faudra donc habiliter ou spécialiser tous les JLD, ce qui va faire perdre de la puissance à cette notion d’habilitation et de spécialisation du JLD. C’est pour cette raison que nous avons prévu que, s’il n’y a pas suffisamment de juges des enfants, le président du tribunal judiciaire puisse désigner un autre magistrat qui a une appétence particulière pour les questions éducatives. Cela nous paraît mieux concilier le principe de spécialisation et celui d’impartialité. Notre avis sur cet amendement est donc défavorable.
Mme la présidente. En conséquence, l’article 1er ter demeure supprimé.
Article 2
Le titre préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa de l’article L. 12-4, les mots : « l’effectue » sont remplacés par les mots : « effectue ce choix » ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 13-1, après le mot : « réglementaires », sont insérés les mots : « en matière ». – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 2
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 7, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre II du titre préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complété par un article L. 12-… ainsi rédigé :
« Art. L. 12-…. – Par dérogation à l’article 706-71 du code de procédure pénale, les mineurs ne peuvent pas faire l’objet de l’utilisation de moyens de télécommunication audiovisuelle tout au long de la procédure. »
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous sommes opposés à ce que l’outil numérique devienne la norme pour la justice des majeurs. Nous ne souhaitons donc pas, bien évidemment, qu’il se généralise pour la justice des mineurs.
Même si nous comprenons qu’il est compliqué de déplacer des jeunes placés en centre fermé ou en établissement pénitentiaire pour mineurs, nous pensons que le caractère éducatif réside également dans la fréquentation des lieux, dans la rencontre des différents acteurs, comme les magistrats.
À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles : c’est bien pour cela que, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures sont dérogatoires. Dès lors que nous sortirons de cette situation sanitaire, nous ne pensons pas que l’outil numérique doive devenir la norme.
Mme la présidente. L’amendement n° 60 rectifié, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre II du titre préliminaire du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, est complété par un article L. 12-… ainsi rédigé :
« Art. L. 12-…. – Par dérogation à l’article 706-71 du code de procédure pénale, les enfants ne peuvent pas faire l’objet de l’utilisation de moyens de télécommunication audiovisuelle tout au long de la procédure. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Par cet amendement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaite inscrire l’interdiction de l’utilisation de moyens de télécommunication audiovisuelle, c’est-à-dire la visioconférence, tout au long de la procédure lorsqu’un mineur est en cause. Nous formulons nos craintes quant au déploiement massif d’un mode de gestion dématérialisé des auditions impliquant des enfants.
En premier lieu, des dysfonctionnements informatiques peuvent nuire à la qualité des débats.
En second lieu, la dématérialisation ne permet pas d’assurer pleinement la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. La solennité des audiences est fortement réduite lors des procédures par écrans interposés.
Pour l’ensemble de ces raisons, l’utilisation de ces moyens de télécommunication audiovisuelle va à l’encontre des principes cardinaux de la justice des mineurs et de l’intérêt supérieur des enfants. Nous nous opposons donc au maintien de l’utilisation de la visioconférence au cours d’une procédure concernant un mineur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?