Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous avons déjà eu, hier, cette discussion sur l’assignation à résidence avec surveillance électronique. Nous considérons qu’il s’agit d’une option de remplacement de l’incarcération, donc d’une peine pouvant justement être adaptée à la situation des mineurs.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement a la même position. Nous avons effectivement déjà eu cette discussion hier.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 13, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 24
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le 2° de l’article L. 334-4 est abrogé ;
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Le recours à la détention provisoire ne doit avoir lieu que si cette mesure est indispensable ou s’il est impossible de prendre toute autre disposition.
Pourtant, son recours à l’égard des mineurs est massif et ne cesse de croître, selon l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, sur l’enfermement des mineurs. L’augmentation, à partir de l’année 2015, du nombre de placements en détention provisoire peut être rapprochée de la tension née des attentats terroristes, phénomène qui a renforcé la sévérité des juges dans tous les domaines, et non pas seulement envers les mineurs poursuivis dans des affaires en lien avec le terrorisme.
Ce recours accru à la détention provisoire ne permet pas de tenir suffisamment compte des éléments de personnalité et du parcours du jeune. Le placement en détention provisoire devient ainsi un quasi-préjugement, dont l’utilité, en matière éducative, paraît nulle, voire, pis encore, contre-productive dans de nombreux cas.
Les mineurs âgés de 13 ans révolus et de moins de 16 ans ne peuvent être placés en détention provisoire que s’ils encourent une peine criminelle ou s’ils se sont volontairement soustraits aux obligations d’un contrôle judiciaire ou à celles d’une assignation à résidence avec surveillance électronique.
Au regard des effets délétères, largement reconnus, de l’enfermement sur l’état psychique et parfois physique des mineurs – je pense que vous connaissez bien le sujet, monsieur le garde des sceaux –, nous souhaitons limiter les cas de détention provisoire pour les jeunes de 13 à 16 ans au seul cadre des affaires criminelles.
En ce sens, nous nous opposons à la détention provisoire des adolescents lorsque ceux-ci sont impliqués dans des affaires correctionnelles. Tel est le sens de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’un des objectifs du texte que nous étudions, qui modifie le code de la justice pénale des mineurs, est – nous l’avons identifié hier – la lutte contre la détention provisoire, qui est aujourd’hui excessive, on le sait ; les chiffres du placement en détention provisoire des mineurs parlent d’eux-mêmes.
Néanmoins, nous pensons que c’est la rapidité de la procédure qui permettra de lutter contre l’utilisation parfois excessive de cette procédure ; supprimer la détention provisoire pour les affaires criminelles des jeunes de 13 à 17 ans nous paraît être une restriction excessive. Certains actes sont graves, ils exigent des mesures fortes de détention, notamment quand il y a de la réitération, afin de garantir la présence du mineur, ou encore quand celui-ci ne répond pas à ses obligations de placement dans un centre éducatif fermé.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, bien sûr, chaque fois que l’on peut éviter la détention provisoire, on doit le faire, mais il est des situations dans lesquelles cela n’est pas possible. C’est parfois un mal nécessaire ; je pense notamment à des gamins qui sont réitérants…
Mme Éliane Assassi. Vous avez bien changé, monsieur le garde des sceaux !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mais non, je n’ai pas changé, madame, pas du tout ! Je ne suis pas un dogmatique ; j’essaie de vous dire qu’il est des situations…
Mme Éliane Assassi. C’est de la schizophrénie !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame, je voudrais pouvoir vous répondre complètement ; vous me prenez à partie personnellement, vous évoquez mon prétendu changement, mais nous ne nous connaissons pas suffisamment pour que vous puissiez l’exprimer de cette façon, pardon de vous le dire !
Je n’ai pas changé, je suis contre la prison, mais c’est parfois un mal nécessaire, et la détention provisoire peut parfois être utile.
Mme Éliane Assassi. Pour des adultes, pas pour des enfants !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ne vous ai pas interrompue, madame !
Je vais répondre très vite, car il est tard. La détention provisoire des mineurs est prévue à titre tout à fait exceptionnel, pour une durée très limitée et selon un régime adapté ; toutes les garanties figurent dans le code de la justice pénale des mineurs. Hélas, parfois, c’est indispensable. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
En outre, il faut laisser le juge faire son travail, en lui laissant un large panel de mesures possibles, en privilégiant l’éducatif ; seulement, parfois – hélas, je le répète –, quand cela n’est pas possible, il y a cette solution, par ailleurs parfaitement encadrée.
Je suis donc défavorable à votre amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 6.
(L’article 6 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 6
Mme la présidente. L’amendement n° 20, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article L. 334-1 du code de la justice pénale des mineurs, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, le mot : « treize » est remplacé par le mot : « seize ».
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Des textes, tant internationaux que nationaux, présentent la détention d’un mineur comme une anormalité, uniquement acceptable en dernier recours. Pourtant, le nombre de mineurs enfermés augmente ; 75 % à 80 % de ces derniers sont encore présumés innocents, mais placés en détention provisoire.
Les causes de cette augmentation du nombre de mineurs détenus doivent être scrutées, sans omettre de tenir compte, en plus des mineurs détenus dans un établissement pénitentiaire ou dans un centre de rétention administrative, de ceux qui sont enfermés dans un centre éducatif fermé ; nous avons eu l’occasion d’en débattre hier.
Entendez-moi bien, nous ne sommes bien évidemment pas pour dissoudre toute peine à l’égard des mineurs – que cela soit bien clair. Mais, que dire de la peine d’emprisonnement, déjà bien contestée dans le monde adulte ? Que dire de ce modèle, qui nous semble révolu et qui se rapproche davantage – passez-moi l’expression, je n’en trouve pas d’autre – des bagnes d’enfants d’avant-guerre que des centres éducatifs fermés que l’on nous vante comme des modèles en matière de redressement de la délinquance juvénile ? (M. le garde des sceaux proteste.)
Je vous ai prié de m’excuser par avance pour mes propos, monsieur le garde des sceaux. Vous saviez très bien le faire en d’autres temps ; je sais bien que cela ne vous plaît pas, mais c’est ainsi…
Il nous semble donc urgent de limiter la portée de cette mesure, en n’autorisant la détention provisoire des mineurs que lorsque ceux-ci sont âgés de plus de 16 ans.
À quoi ressemble un individu de 13 ans ou de 14 ans, sans faire de lien avec un autre texte dont nous avons débattu, il y a quelques jours, au Sénat ? À un grand enfant, à un tout jeune adolescent, avec, dans la majorité des cas, un degré de maturité et de discernement encore bien fragile, à tel point que ce texte fixe un seuil d’irresponsabilité pénale présumée pour les mineurs de 13 ans. Pourtant, en parallèle, les mineurs de plus de 13 ans encourent une peine pénale d’enfermement.
Selon nous, c’est un non-sens, auquel nous tentons de remédier au travers de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Le code de la justice pénale des mineurs autorise le placement en détention des mineurs uniquement lorsque ceux-ci ont plus de 13 ans.
Je le rappelle, entre 13 et 16 ans, la détention provisoire n’est possible qu’en matière criminelle ou si le jeune s’est volontairement soustrait à des obligations dans le cadre de son placement en centre éducatif fermé.
Il me semble donc difficile de se passer de la détention provisoire dans des situations – on vient de les évoquer – particulièrement graves de jeunes réitérants qui ne remplissent pas leurs obligations. Par moments, la détention provisoire est effectivement un mal nécessaire.
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je le répète, je n’ai pas changé ; je ne vais pas vous le chanter, mais je vous prie de le croire, madame la sénatrice ! (Sourires.)
Cette mesure est effectivement un mal nécessaire. Nous déplorons tous qu’un gamin soit envoyé en prison, mais je voudrais que vous entendiez, loin des caricatures – vous avez parlé de bagne à l’instant, n’était-ce pas un peu excessif ? –, que, parfois, le juge a besoin de cela. Il faut laisser des outils à sa disposition ; ensuite, il apprécie.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Pas pour des enfants !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Parfois, en fin de parcours, des gamins – j’en ai connu – vous disent que le premier séjour en prison, s’il est court, peut être salutaire. Ce n’est pas quelque chose que j’invente ! On doit y recourir le moins possible, mais, parfois, c’est particulièrement utile.
Voilà pourquoi je suis défavorable à votre amendement, madame la présidente Assassi.
Mme la présidente. L’amendement n° 55 rectifié bis, présenté par Mmes V. Boyer, Deroche et Belrhiti, M. Bouchet, Mme Dumont, MM. Cadec et Panunzi, Mme Dumas, M. Bascher, Mmes Garnier et Drexler, M. B. Fournier, Mme F. Gerbaud et MM. Klinger, Belin, Brisson, Bonhomme, Le Rudulier et Boré, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 521-9 du code de la justice pénale des mineurs dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 précitée, il est inséré un article L. 521-… ainsi rédigé :
« Art. L. 521-… – Un contrat d’engagements réciproques est signé entre les titulaires de l’autorité parentale et le service de la protection judiciaire de la jeunesse afin de garantir le respect par le mineur des obligations qui lui sont imposées dans le cadre de la période de mise à l’épreuve éducative.
« Le refus par les titulaires de l’autorité parentale de signer ce contrat est puni de 7 500 euros d’amende.
« En cas de refus manifeste de respecter leurs obligations contractuelles par les titulaires de l’autorité parentale, la protection judiciaire de la jeunesse saisit le juge des enfants. Celui-ci peut ordonner le séquestre par les organismes mentionnés à l’article L. 212-2 du code de la sécurité sociale des sommes perçues par les titulaires de l’autorité parentale au titre des allocations familiales jusqu’à la mise en œuvre de leurs obligations et pour une durée qui ne peut excéder neuf mois. »
La parole est à Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. Cela a été dit à plusieurs reprises dans cet hémicycle, à propos de la justice des mineurs, un mineur ne peut être complètement responsable de ses actes lorsqu’il commet une infraction ; nous devons donc rappeler aux adultes leur responsabilité éducative.
Le ministre de l’intérieur l’a rappelé abondamment au cours des derniers jours, à propos de la sinistre affaire du petit Yuriy, la responsabilité des parents est importante, puisque ce sont souvent des mineurs qui appartiennent à des bandes, et il a cité plusieurs chiffres.
Je souhaite donc vous rappeler que le devoir d’éducation doit primer par rapport au pouvoir de punir ; cela vient d’être souligné. Or le devoir d’éducation ne relève pas seulement de la justice ni de l’État ; il relève d’abord et avant tout des parents.
L’objet de cet amendement est donc de restaurer l’autorité que les parents ont le devoir d’exercer sur leur enfant, dont ils sont les auteurs, les ascendants, donc les premiers responsables.
Exercer son autorité sur un enfant, ce n’est pas nécessairement le brimer dans l’exercice de ses libertés, c’est lui donner un cadre, lui imposer des limites, dans lesquelles il pourra plus tard s’épanouir. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Maurice Berger, dont chacun de nous a lu, j’en suis sûre, les articles parus dernièrement.
Or, dans un contexte socio-économique souvent difficile, beaucoup de parents ont fini par baisser les bras pour ce qui concerne l’éducation qu’ils étaient censés donner à leur enfant. Disqualifiés socialement, ils ne sentent plus le devoir d’intervenir dans la vie sociale de leur enfant.
Ce rappel à la responsabilité parentale doit s’effectuer de façon ferme et solennelle. Il semble que, aujourd’hui, seule l’institution judiciaire soit en mesure d’avoir un impact réel sur les parents, souvent démobilisés. Toutefois, l’objectif premier de ce texte est non pas de punir les parents, mais de créer chez eux une sorte d’électrochoc, de prise de conscience, afin qu’ils se réinvestissent avec fermeté dans l’éducation et dans la surveillance de leurs enfants.
Les causes de l’aggravation de la violence des mineurs sont multiples, mais elles tiennent en partie à l’affaiblissement de l’autorité et de l’encadrement parental. Les enfants concernés sont souvent victimes d’une perte de repère et d’un désengagement de leur famille.
L’autorité parentale se définit comme l’ensemble des droits et devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant.
Du point de vue pénal, le principe selon lequel « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » empêche toute sanction directe à l’encontre des parents pour des faits commis par leurs enfants. Il s’agit non pas de remettre en cause ce principe, en instaurant une responsabilité pénale du fait d’autrui, mais de replacer l’autorité parentale au cœur de l’éducation des enfants.
Ainsi, il est proposé de diversifier les possibilités d’action contre les parents qui resteraient passifs face à l’évolution défavorable de leurs enfants mineurs et qui maximiseraient, par un défaut de surveillance, le risque de dérive vers la délinquance.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Valérie Boyer. C’est pourquoi le présent amendement tend à instaurer un contrat d’engagements réciproques, signé par les titulaires de l’autorité parentale et le service de la protection judiciaire de la jeunesse,… (Marques d’impatience sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme la présidente. Vous avez largement dépassé votre temps de parole, ma chère collègue !
Mme Valérie Boyer. … afin de garantir le respect, par les mineurs, de leurs obligations.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Effectivement, on doit nécessairement introduire, dans le code de la justice pénale des mineurs, une place pour les parents, dont la responsabilisation est essentielle dans le cadre de l’accompagnement de leurs enfants mineurs, afin qu’ils s’impliquent dans les mesures éducatives prononcées à l’égard de ces derniers.
Certes, dans un certain nombre de cas, les parents sont défaillants, mais, dans d’autres, ils ne s’impliquent pas véritablement.
Tel est le sens de l’amendement déposé par ma collègue Valérie Boyer. Il s’agit, en l’espèce, d’un contrat, c’est-à-dire d’un accord, d’un engagement, destiné à responsabiliser les parents et auquel seraient associées des sanctions. Je ne sais pas si les sanctions sont adaptées, mais il s’agit d’une faculté laissée au juge, permettant de favoriser – nous l’espérons – l’implication des parents.
La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis totalement, viscéralement, absolument opposé à cet amendement, qui est, selon moi, d’une totale injustice, risquant de précariser des personnes qui sont déjà souvent fragiles sur le plan économique !
En effet, voyez-vous, la délinquance est souvent, d’abord, l’affaire des pauvres gens ; pas toujours, mais souvent. Les statistiques le démontrent, et mon expérience professionnelle aussi, mais il suffit de consulter tous les livres de sociologie qui traitent de la délinquance pour s’en convaincre.
À l’Assemblée nationale, pour répondre à Mme Marine Le Pen, qui est sur la même position, j’ai évoqué un souvenir – je serai très bref, je vous rassure –, celui d’une femme qui élève seule ses trois enfants. Deux de ces derniers ne posent strictement aucun problème, mais le troisième est délinquant.
J’ai indiqué, en discussion générale, que nous parlions des enfants en général, mais également de nos enfants. Avec ce que vous suggérez, madame Boyer, cette femme se retrouverait financièrement entravée. Mais pour quel crime ? Je suis profondément opposé à cela ; cela me semble totalement inhumain, injuste. Cela dit, chacun voit midi à sa porte…
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement. (Mmes Esther Benbassa et Gisèle Jourda applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.
Mme Valérie Boyer. Vous êtes bien évidemment libre de votre position, monsieur le garde des sceaux, tout comme je suis libre de défendre la mienne.
Toutefois, je suis assez perturbée par la façon dont vous nous répondez, en vous plaçant sur le plan de la morale, comme s’il y avait, d’un côté, les gentils, et, de l’autre, les méchants, comme si la proposition que je formule était injuste et amorale.
Permettez-moi de vous le dire, je ne comprends pas, dans ces conditions, comment le ministre de l’intérieur – votre partenaire, votre binôme dans le cadre du continuum police-justice… – peut avoir insisté très lourdement sur cette possibilité.
Par ailleurs, dans de grands pays démocratiques, comme le Royaume-Uni, cette contractualisation existe ; cela s’appelle l’acte parental, le Parenting Act. Par ailleurs, certaines villes ont mis en place une sorte de cautionnement, de contrat portant sur des allocations facultatives – plusieurs maires ont témoigné en ce sens sur des chaînes d’information en continu –, et, quand des familles ou des adolescents dérapent, ces allocations supplémentaires facultatives sont supprimées.
Mme Éliane Assassi. Et alors ?
Mme Valérie Boyer. Je veux bien tout entendre, mais pouvez-vous nous indiquer, monsieur le garde des sceaux, où est la cohérence entre les déclarations du ministre de l’intérieur et les vôtres ?
Alors que la solidarité nationale s’engage à des prestations pour certaines familles, en quoi serait-ce amoral que ces familles, quand elles ne remplissent pas leur contrat en se désintéressant de leurs enfants, ne continuent pas à recevoir ces prestations ? (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.) Et il ne s’agit pas d’une suppression, monsieur le ministre, mais d’un cautionnement.
Chacun est libre de défendre ses positions, mais accuser la représentation nationale et plusieurs parlementaires – je sais que nous sommes nombreux à soutenir cette position – d’avoir une attitude amorale me semble totalement déplacé.
Mme Éliane Assassi. Si, c’est amoral !
Mme Valérie Boyer. En effet, ce qui est amoral, monsieur le ministre, c’est de ne pas prendre ses responsabilités.
Quand on est parent, on est également responsable de ses enfants. (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Arrêtez !
Mme Éliane Assassi. Madame Boyer, c’est vous qui nous dites cela ?
Mme Valérie Boyer. Lorsque l’on ne remplit pas ses obligations, il faut aussi que la société dise « stop ».
Mme la présidente. Chère collègue, il faut conclure.
Mme Valérie Boyer. Et cela ne signifie pas que l’on abandonne les enfants.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Cela fait de très nombreuses années, peut-être vingt ou trente ans, que l’on nous parle de cette suppression des allocations familiales.
Mme Valérie Boyer. Il s’agit de cautionnement !
M. Jean-Pierre Sueur. Pour notre part, nous avons toujours refusé cette suppression, parce que les allocations familiales sont le droit de l’enfant et le droit de la solidarité.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Sueur. J’entends le discours, que nous connaissons par cœur, de ceux qui demandent ce qu’ils vont faire avec l’argent des allocations familiales.
M. le ministre a eu raison de dire qu’il s’agit souvent de familles en grande difficulté. Que l’on ne croie pas qu’en exerçant une telle pression, on va régler les problèmes, car tel n’est pas le cas.
M. Fabien Gay. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est pourquoi, dans cette affaire, nous soutiendrons fortement la position de M. le ministre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. L’implication des parents doit évidemment être forte. Aussi n’ai-je pas compris, monsieur le ministre, pourquoi, hier, vous étiez contre la remise à parents. Celle-ci constitue pourtant un premier pas vers un dialogue entre le juge et les parents pour évoquer cette responsabilisation, qui me semble importante.
Mme Valérie Boyer. C’est bien ce qui est proposé : un contrat d’engagement !
Mme Dominique Vérien. Jouer sur les allocations familiales, pourquoi pas. Mais il me semble, dans ce cas, que cela doit se faire avec un véritable accompagnement de la famille. Or cet aspect n’est pas du tout présent dans l’amendement.
Mme Valérie Boyer. Si !
Mme Dominique Vérien. Je ne voterai donc pas cet amendement, puisqu’il me semble qu’il y a un véritable besoin d’accompagnement des parents et de prise en charge de la famille avant la suppression des allocations.
Mme Valérie Boyer. Je prévois un contrat d’engagement !
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, vous avez déjà, hier, tenté de créer entre les ministres de l’intérieur et de la justice une sorte de fossé artificiel.
Je connais les propos qu’a tenus le ministre de l’intérieur, qui, effectivement, a parfois parlé d’une responsabilité au sens où une éducation carencée peut, hélas, amener des mineurs vers la délinquance. Mais cela n’a strictement rien à voir avec une sanction d’ordre pécuniaire, qui viendrait frapper des familles qui sont déjà handicapées.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Valérie Boyer. Et les familles des victimes ?…
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Par ailleurs, madame, n’inventez pas des mots qui ne sont pas sortis de ma bouche : je n’ai pas parlé de morale et je ne suis pas un moralisateur. Vous avez votre morale, j’ai la mienne et j’ai parlé de justice, ce qui est singulièrement différent.
Enfin, concernant la remise à parents, ma remarque d’hier était la suivante : envisager la remise à parents comme sanction est quelque peu désarçonnant, surtout quand les parents sont présents. En effet, il y a aussi des parents qui connaissent la délinquance de leurs enfants et qui sont très présents. Voilà ce que j’ai dit et je ne suis évidemment pas contre la remise à parents et n’entends pas opposer les enfants délinquants et leurs parents, surtout quand ils sont bien élevés.
Je le redis, je trouve cette proposition profondément injuste, socialement injuste. L’exemple que j’ai donné méritait peut-être une réponse différente et pas polémique.
Vous montez sur vos grands chevaux en disant : « Mais comment s’adresse-t-il à la représentation nationale ? » En l’occurrence, avec mon cœur ! Cette dame dont j’ai le souvenir précis est une femme honnête qui élève bien ses enfants. Deux d’entre eux sont sur la bonne route, pas le troisième. Doit-on la handicaper ?
Mme Valérie Boyer. Mais elle n’est pas concernée par cet amendement !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Voilà la question qui est posée. Le reste, ce sont des conjectures.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Madame la présidente, j’avais aussi demandé la parole, tout à l’heure, pour présenter les amendements de Mme Boyer – celle-ci était absente –, qui ont été brillamment défendus par M. Belin, mais vous ne m’aviez pas vu. Je vous invite donc à regarder un peu la montagne de temps en temps.
Monsieur le garde des sceaux, c’est vous qui êtes monté sur vos grands chevaux ! Vous avez créé un moment d’indignation pour un contrat proposé entre la justice et les parents, une sorte de prise de responsabilité. Après vous avoir vu indigné, j’ai relu deux fois l’amendement que j’ai cosigné pour me demander si je n’avais pas commis quelque chose contre le bon sens et contre la justice, puisque vous avez parlé d’injustice !
Vous accusez Mme Boyer de vouloir crisper le débat, mais c’est vous qui venez de le crisper avec, bien sûr, le soutien d’une partie de la gauche, qui réagit dès que l’on touche à la question de la responsabilité des parents. Toutefois, celle-ci me semble appartenir au pacte républicain.
Je reste profondément un professeur et, à ce titre, j’estime que la justice peut demander aux parents d’être responsables de leurs enfants mineurs, ainsi que d’envisager un contrat.
On est en train de s’offusquer et de crier à l’indignation pour un simple contrat demandé par la justice ! Permettez-moi, monsieur le garde des sceaux, de ne pas être d’accord avec vous. Je voterai sans état d’âme l’amendement de Mme Boyer.
Mme Valérie Boyer. Merci, monsieur Brisson !
Mme la présidente. Mon cher collègue, je suis désolée de ne pas vous avoir vu. Je serai plus attentive à la montagne, c’est promis ! (Sourires.)
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est sans aucune surprise, madame Boyer, que nous n’allons pas voter votre amendement.
À une problématique sociale, vous répondez, une fois de plus, par une approche répressive.