M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, sur l’article.
M. Daniel Salmon. Un certain nombre de dispositions m’ont conduit à m’interroger, à douter. L’article 1er n’en fait clairement pas partie, ou plutôt n’en fait plus partie, tant il est vrai que j’ai cheminé sur cette question.
L’élargissement de l’accès à l’AMP à toutes les femmes est indéniablement une mesure sociale de justice et d’égalité. Cette mesure est très attendue par de nombreuses femmes et de nombreuses familles. Aujourd’hui, des milliers de femmes ont recours à l’AMP à l’étranger et se mettent en danger, en effectuant une démarche coûteuse et éprouvante. En tant que législateurs, notre devoir est de sécuriser les parcours de toutes ces femmes et de leur apporter une sécurité financière, juridique, mais aussi médicale.
Aujourd’hui, en France, l’AMP est une technique légale réservée aux couples hétérosexuels. Est-il juste qu’elle leur soit réservée à eux seuls ? Peut-on continuer d’en exclure les couples de femmes et les femmes seules ?
Mes chers collègues, le besoin de stabilité et de sécurité affective des enfants n’est ni genré ni exclusivement biologique. Je ne pense pas que la vulnérabilité d’un enfant résulte de l’absence de père. Ce qui compte, c’est que l’enfant soit entouré de gens qui l’ont désiré, qui l’aiment et qui lui servent de repères. L’amour est la base du foyer familial, le socle d’une famille heureuse. C’est la notion la plus importante lorsque l’on veut transmettre, chérir et éduquer.
Nous connaissons tous des enfants élevés par des femmes seules ; nous connaissons aussi des enfants nés de couples de femmes. Je ne pense pas que nous ayons de leçon d’amour et d’éducation à donner à ces parents.
La société française a évolué vers un modèle familial qui ne se résume plus à une configuration unique, fruit d’un modèle conjugal unique. Ce modèle, dont on parle beaucoup, est une construction historique récente. D’autres modèles ont existé par le passé ; d’autres existent ailleurs dans le monde ; de nouveaux modèles sont apparus ces dernières décennies.
Les deux tiers des Français sont favorables à cette avancée sociale majeure.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je voterai avec conviction l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Ce projet de loi est porteur de nombreuses avancées très attendues de toutes parts, particulièrement en son chapitre 1er ayant trait à la procréation. Néanmoins, le texte qui nous est proposé, tel qu’il résulte des travaux de la commission spéciale du Sénat, est quelque peu insatisfaisant.
L’Assemblée nationale n’a pas voté le principe de l’assistance médicale à la procréation post mortem ni l’ouverture de l’AMP aux personnes transgenres. Ces évolutions m’apparaissent pourtant importantes et nécessaires. Il appartient donc au Sénat de trancher. J’appelle de mes vœux l’adoption par cette assemblée des amendements tendant à introduire ces dispositions, qui correspondent à des mutations de la société.
En outre, dans sa rédaction actuelle, le texte autorise les couples de femmes à avoir recours à l’assistance médicale à la procréation, mais interdit son remboursement par l’assurance maladie en réintroduisant le critère d’infertilité comme condition d’accès à l’AMP.
Cette modification, introduite par la commission spéciale du Sénat, constitue une rupture d’égalité entre les couples hétérosexuels et les couples de femmes, laquelle risque d’entraîner la censure par le Conseil constitutionnel de la disposition tout entière. Elle constitue surtout pour les couples de femmes une discrimination que nous ne saurions tolérer.
Par ailleurs, rétablir l’évaluation psychologique et sociale des demandeurs au moment où nous inscrivons dans la loi l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes revient à stigmatiser de manière manifeste ces couples.
Mes chers collègues, comme je l’ai dit dans mon introduction, ce texte est porteur d’avancées majeures. N’adoptons donc pas de positions iniques et montrons que le Sénat peut être moderne et porteur de progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, sur l’article.
M. Roger Karoutchi. Avant de débattre des quarante amendements déposés sur cet article, je souhaite poser deux questions au Gouvernement. En fonction des réponses, peut-être mon vote changera-t-il.
Ma première question est la suivante : pourquoi inscrire le texte relatif à bioéthique à l’ordre du jour de nos travaux, alors que le texte sur les retraites et celui sur la décentralisation, pas plus essentiels, mais pas moins non plus, sont passés à la trappe ? Et je ne parle même pas de la réforme constitutionnelle, à laquelle nous viendrons un jour, si Dieu le veut. Pourquoi ce texte plutôt que les autres ?
Ma seconde question est bien plus importante, à mon sens. En première lecture, le Gouvernement nous avait assuré qu’il entendait les positions que nous défendions au Sénat. Sans pouvoir nous garantir que le texte serait voté en des termes identiques à l’Assemblée nationale, il s’était engagé à le faire évoluer en favorisant des positions consensuelles. J’ai été très déçu de constater que cela n’avait évidemment pas du tout été le cas, puisque 90 % des avancées que nous avions proposées ont été balayées par les députés, avec l’accord du Gouvernement.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez dit chercher un consensus, et M. le garde des sceaux a redit après vous qu’il souhaitait que nous nous exprimions sur toutes les travées, pour qu’un compromis se dégage à partir des idées qui auront été formulées.
Par conséquent, soyons clairs : que ferez-vous du texte issu des travaux du Sénat lorsqu’il sera examiné à l’Assemblée nationale ? Est-ce que vous partez du principe que, quoi que nous votions, vous en reviendrez au texte de l’Assemblée nationale, parce que c’est ce que vous avez décidé avant même que le débat ait lieu au Sénat ? Ou bien considérez-vous que les textes qui portent sur des sujets comme la bioéthique doivent être l’occasion de construire un consensus, car ils ne s’inscrivent pas dans un cadre strictement politique, mais engagent des évolutions de la société qui exigent que les chambres trouvent des solutions de compromis ?
Monsieur le secrétaire d’État, opposerez-vous l’Assemblée nationale et le Sénat ou bien chercherez-vous un compromis ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 1er ouvre l’accès à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules. L’AMP est bien sûr aussi utilisée en cas d’infertilité des couples composés d’un homme et d’une femme.
Cet article est essentiel dans le projet de loi. Comme je l’ai dit dans la discussion générale, les structures familiales actuelles ne sont plus celles d’hier. C’est un fait dont il faut tenir compte.
La commission spéciale a rétabli la rédaction du texte adoptée en première lecture et maintenu le critère médical pour bénéficier du remboursement de l’AMP à 100 % par la sécurité sociale, ce qui a pour conséquence d’écarter les couples de femmes et les femmes seules.
J’avais voté l’amendement visant à introduire ce critère en première lecture, mais ma position a évolué, car il est souvent difficile de déterminer si une raison médicale justifie ou pas le recours à la procréation médicalement assistée. Dans le cas d’une femme de 40 ans, dont le nombre d’ovocytes diminue, le critère est-il médical ou physiologique ?
J’avais donc déposé un amendement visant à limiter le bénéfice du remboursement à 100 % par la sécurité sociale aux seules interventions dont le caractère médical était avéré, le ticket modérateur restant à charge pour les autres.
Cependant, il ne suffit pas pour une femme de se présenter et de rencontrer l’équipe pluridisciplinaire pour bénéficier d’une PMA. Les femmes, qu’elles soient seules ou en couple, reçoivent une information très précise lors d’un entretien particulier au cours duquel une équipe médicale, renforcée par des biologistes cliniciens et des psychiatres, leur explique ce qu’il est possible de faire en fonction de leur cas et quels sont les effets secondaires.
Par conséquent, nous devons voter l’article 1er. La PMA est encadrée par des recommandations de bonnes pratiques et les couples sont informés de ce que vont devenir leurs embryons.
Même si l’Académie nationale de médecine indique que la présence du père dans une famille est préférable, de nombreuses études, que certains qualifient d’« études de militants » – mais elles sont nombreuses –, montrent que les enfants qui sont élevés par un couple de femmes ou par une femme seule se développent comme les autres.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, sur l’article.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous vivons en ce moment des crises inédites, qui posent des questions éthiques fondamentales, et nous devons préparer le monde d’après.
Pourtant, nous examinons ce projet de loi relatif à la bioéthique dont la portée anthropologique et les conséquences risquent de fragiliser encore plus la société française et même notre civilisation.
Adopter l’article 1er reviendrait pour le législateur à permettre la suppression délibérée du père et à priver certains enfants du droit d’en avoir un. Or peut-on considérer qu’un enfant n’a pas besoin de père ?
Le principe d’égalité doit aussi être appliqué aux enfants. Si certains d’entre nous estiment qu’il faut faire évoluer les lois en écoutant la demande des adultes, les droits des enfants ne peuvent pas pour autant être assujettis aux désirs des parents.
L’article 1er suscite une autre inquiétude : en assujettissant la loi naturelle au désir personnel, nous mettons le doigt dans un engrenage, car il y a autant de désirs que de femmes et d’hommes, qu’il s’agisse de faire un enfant avec une personne décédée, d’obtenir une présomption de maternité pour la femme de la mère, d’être « mères », au pluriel, d’un même enfant, ou bien encore d’être déclarée mère d’un enfant conçu et porté par d’autres femmes.
Comment satisfaire toutes ces revendications ? Quelles souffrances provoqueront-elles chez les enfants à naître ? Bien des questions restent sans réponse claire.
Soyons prudents sur le sujet de la procréation, car les conséquences sont trop importantes et incertaines pour les générations futures.
Lorsqu’on légifère sur le vivant et sur les êtres humains, il faut éviter tout projet aventureux et appliquer le principe de précaution, lequel est pleinement justifié sur cet article.
N’y a-t-il pas non plus une réelle contradiction entre l’exigence désormais bien partagée de respecter l’environnement et la volonté d’introduire la possibilité de manipuler notre humanité, dans un texte sur la bioéthique ?
J’en appelle à la conscience de chacun et au bon sens afin que cet article 1er soit supprimé. Je sais qu’il ne m’appartient pas d’emporter l’adhésion de tous, mais je tenais à exprimer ma conviction sur le sujet, tout en respectant les positions différentes.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec le plus profond respect de la conscience des uns et des autres que j’interviens afin d’apporter l’éclairage d’un historien de la très longue durée.
Vous dites que la famille existe depuis la nuit des temps. En êtes-vous bien sûrs ?
Quand j’interroge mes collègues préhistoriens, ils me répondent que, dans la nuit des temps, la horde primitive, dans la caverne, ressemblait plutôt à une société de bonobos avec lesquels nous partageons 98,7 % de notre génome ! (Rires sur certaines travées. – Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues ; je vous rassure, je n’ai déposé aucun amendement visant à introduire la sexualité des bonobos dans la loi ! (Nouveaux rires. – M. Xavier Iacovelli et Mme Nadia Sollogoub applaudissent.)
La famille n’est pas un fait naturel. C’est une construction idéologique, sociale et historique. Ce point est fondamental. N’allez pas chercher des lois naturelles en matière de société : elles n’existent pas. Nous fabriquons nous-mêmes, tous les jours, notre société.
J’ajouterai que, sur ces travées, chacun pense la loi en fonction de sa conscience. Si celle-ci est religieuse, elle a autant de valeur que ma conscience d’athée.
En revanche, il nous revient aussi d’essayer de trouver, par la délibération, un consensus qui fera loi, et dans cette perspective, seule compte notre volonté d’écrire ensemble une loi qui soit au-dessus de toutes les autres.
Nous examinerons prochainement le projet de loi confortant le respect des principes de la République. Ne pourrions-nous pas anticiper cette discussion et prendre en compte dès à présent les principes républicains laïcs dans notre débat sur les questions de la famille ?
Je suis intimement persuadé que vous ne manquerez pas, lorsque nous examinerons ce texte, de citer la phrase d’Aristide Briand, chère au président Larcher : « La loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi. » Nous devrions nous imposer cette règle essentielle. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.
M. Olivier Paccaud. En en faisant l’éloge, M. le garde des sceaux a rappelé le « courage de la nuance » si étroitement attaché à la pensée d’Albert Camus. Les passions s’animent et la caricature n’est jamais loin, sur un sujet de société pourtant, ô combien intime, puisque comme Muriel Jourda l’a très bien dit, il pose en réalité la question de savoir ce qu’est l’homme et ce que nous voulons le voir devenir.
Je fais partie de ceux qui ont cosigné l’amendement de Mme Chain-Larché. Je soutiens les arguments développés par André Reichardt, Guillaume Chevrollier et Pierre Cuypers, et j’espère que le souci de la nuance, dont le garde des sceaux a fait l’éloge, ne me vaudra pas d’être traité de « rétrograde » ou de « radicalisé », et je n’ajouterai pas de « bonobo », car nous apprécions tous l’humour et l’esprit de Pierre Ouzoulias. (Sourires.)
Chacun doit prendre conscience que l’extension de la PMA aux femmes seules ou aux couples de femmes aboutit à légaliser la conception d’orphelins de père. Est-ce une avancée sociale majeure, comme notre collègue Salmon l’a dit ? Est-ce un progrès humain ? La question mérite d’être posée, mais sincèrement je ne le pense pas. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, sur l’article.
M. Jean-Michel Houllegatte. Dans ce débat sur l’extension de la PMA, qui fait l’objet de l’article 1er, deux logiques s’opposent. L’une privilégie le droit des individus et prend sa source dans le désir tout à fait naturel d’avoir des enfants. Dans une société où chacun exerce son libre arbitre de manière de plus en plus autonome, ce désir d’enfant peut devenir un absolu.
À cela s’oppose le fait que pour faire communauté – qu’il s’agisse de la communauté nationale ou de la communauté de vie, comme elle existe, je n’en doute pas, chez les bonobos –, chacun doit dépasser son individualité, voire son égoïsme, et renoncer à certains de ses désirs pour cimenter le collectif. Albert Jacquard disait : « La liberté n’est pas la possibilité de réaliser tous ses désirs ; elle est la possibilité de participer à la définition des contraintes qui s’imposeront à tous. »
Je crains que l’extension de la PMA ne crée chez les enfants qui en seront issus des vulnérabilités et des fragilités inhérentes à toute quête des origines, parce que nous ne pouvons pas échapper à notre culture humaine qui nous impose de nous inscrire dans une lignée.
Ces fragilités seront peut-être dues aussi à l’absence de père. Dans son rapport sur les 1 000 premiers jours, Boris Cyrulnik indique que les pères et les mères ont des rôles et des relations différenciés et complémentaires ; que l’engagement du père auprès du bébé a des effets positifs sur son développement, ce qui justifie la décision de porter à vingt-huit jours la durée du congé de paternité.
Parce que le fait de contenir la vulnérabilité doit l’emporter sur l’autonomie, parce que la force et la fraternité du collectif, qui permet à chacun de se dépasser et d’être fécond en participant à la construction de la société, sont plus forts que l’individu et ses désirs, aussi compréhensibles soient-ils, je voterai ces amendements de suppression. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements identiques.
L’amendement n° 3 rectifié ter est présenté par Mme Chain-Larché, M. Retailleau, Mme Thomas, MM. Cuypers et Piednoir, Mme Chauvin, MM. Cardoux et E. Blanc, Mme Deseyne, M. B. Fournier, Mme Deromedi, M. de Legge, Mme Garriaud-Maylam, M. J.M. Boyer, Mmes Eustache-Brinio et Pluchet, MM. Chatillon, Bonne, H. Leroy, Sautarel, D. Laurent et Bascher, Mmes Puissat et Gruny, MM. Bouchet, Saury, Courtial, Somon, Vogel, Chevrollier, Meurant, Bouloux, Reichardt, Babary et Bas, Mmes de Cidrac, Malet et Lavarde, M. Klinger, Mmes Lopez et Deroche, MM. Gremillet, Laménie et Longuet, Mmes Di Folco, Micouleau et F. Gerbaud et MM. de Nicolaÿ, Dallier, Mandelli, Paccaud, Sido, Frassa, Pointereau, Sol et Segouin.
L’amendement n° 6 rectifié est présenté par MM. Mizzon, Duffourg et Kern, Mme Herzog, M. Masson, Mme Belrhiti, M. Moga, Mme Morin-Desailly et M. L. Hervé.
L’amendement n° 38 rectifié bis est présenté par MM. Le Rudulier et Boré et Mmes V. Boyer et Garnier.
L’amendement n° 103 rectifié quater est présenté par Mmes Noël et Joseph et M. Charon.
L’amendement n° 142 est présenté par M. Ravier.
Ces cinq amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Anne Chain-Larché pour présenter l’amendement n° 3 rectifié ter.
Mme Anne Chain-Larché. Mes chers collègues, l’amendement que je vous propose de voter, cosigné par un grand nombre d’entre nous, vise à supprimer l’article 1er, qui prévoit l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation pour les femmes seules et les couples de femmes.
Cet amendement est guidé par la raison davantage que par l’émotion. En effet, il faut rappeler que l’assistance médicale à la procréation est un dispositif qui vise à compenser l’infertilité d’un couple. Or l’article 1er, en ouvrant l’accès de l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes, a pour objet non pas de compenser une infertilité, mais une impossibilité d’avoir un enfant. Nous ne sommes donc plus sur le terrain du raisonnable.
Cet article n’est pas facteur d’égalité, car il ne compense pas une infertilité, comme c’est le cas pour les couples hétérosexuels. Il n’est pas non plus facteur d’égalité vis-à-vis des hommes seuls ou des couples d’hommes, qui ne bénéficieront pas du même droit et qui réclameront inévitablement, demain, l’accès à la GPA. Où sera la défense de la condition féminine ? Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.
Prenons le temps de nous pencher sur l’avenir que nous allons réserver à l’humain, aux enfants, aux enfants des enfants !
Nous débattons d’un sujet fondamental, qui oppose deux conceptions de la vie. Dans la première, les désirs individuels doivent être satisfaits à tout prix et sans aucune limite ni pare-feu, y compris en instituant un droit à l’enfant pour compenser l’impossibilité de procréer. Dans la seconde, les désirs individuels doivent être soumis à certaines limites, notamment éthiques, notre système de santé ayant vocation non pas à compenser des impossibilités biologiques, mais plutôt à soigner et à réparer les corps.
Chers collègues, il est de notre devoir de reconnaître l’utilité de certaines limites. Elles ne sont pas là pour empêcher ; elles sont là pour distinguer ce qui mérite d’être préservé. Je vous propose donc de supprimer l’article 1er en votant cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié.
M. Jean-Marie Mizzon. Pour les mêmes raisons que celles qui viennent d’être exposées par Mme Chain-Larché, je propose, moi aussi, la suppression de cet article.
Nous connaissons tous des familles sans père, mais de là à institutionnaliser la famille sans père en « zappant » complètement celui-ci, il y a un fossé que je ne suis pas prêt à franchir. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour présenter l’amendement n° 38 rectifié bis.
Mme Laurence Garnier. Cet amendement que je défends au nom de mon collègue Stéphane Le Rudulier, et dont je suis cosignataire, vise à supprimer l’article 1er, qui nous conduit sans détour vers le droit à l’enfant.
Certains accidents de la vie peuvent bien sûr priver un enfant de son père, mais s’il était adopté, cet article aurait pour conséquence d’institutionnaliser l’absence de père en l’inscrivant dans la loi. C’est un pas que nous ne souhaitons pas franchir.
En outre, la médecine a vocation à soigner et non pas à rendre possible ce qui ne l’est pas naturellement. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël, pour présenter l’amendement n° 103 rectifié quater.
Mme Sylviane Noël. L’article 1er oriente radicalement l’objet de l’AMP vers un droit à l’enfant, en supprimant les conditions actuelles d’accès qui visent les couples composés d’un homme et d’une femme, confrontés à une infertilité médicalement constatée ou au risque de transmission à l’enfant d’une maladie grave. L’AMP est détournée de son objet palliatif pour des cas médicaux. Il convient donc de rétablir les dispositions en vigueur.
Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 142 n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission spéciale sur ces amendements identiques ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Avant de donner l’avis de la commission spéciale, j’insisterai sur un point. J’ai entendu les positions des uns et des autres, qui sont toutes parfaitement respectables. Certains, dont je fais partie, ne souhaitent pas l’extension de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules ; d’autres y sont favorables.
Cette dernière position est respectable, parce que tout désir d’enfant chez une femme est respectable, quelle que soit la situation matrimoniale ou conjugale de celle-ci, ou encore son orientation sexuelle.
Elle est également respectable parce que les femmes et les hommes sont tout aussi capables les uns que les autres d’élever des enfants.
En revanche, il me semble que certains arguments ne peuvent pas être utilisés, parce qu’ils sont faux et qu’ils ne servent pas ceux qui y ont recours.
On entend beaucoup parler d’égalité et de discrimination. Il faut rappeler à la fois la jurisprudence du Conseil constitutionnel et celle du Conseil d’État, car l’égalité est une notion de droit. Elle consiste à traiter de la même façon des personnes qui sont dans une situation identique.
Or il a été rappelé, d’une façon assez claire et qui ne paraît pas contestable, que les couples homosexuels, les couples hétérosexuels et les personnes seules ne sont pas dans la même situation face à la procréation, car la procréation humaine est sexuée. En disant cela, il ne s’agit pas de dénier un droit, qui par ailleurs n’existe pas, mais de constater une réalité juridique.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement se montre parfois soucieux d’égalité. Je recommande à chacun de consulter l’étude d’impact de ce projet de loi qui analyse très bien cette notion.
Cependant, ce n’est pas sur elle que porte le débat, car nous sommes en train d’évaluer une décision politique que chacun votera en son âme et conscience. Ne la parons pas d’atours qui ne sont pas les siens.
J’en viens à la suppression de l’article 1er. Je vous ai indiqué les raisons, par ailleurs largement explosées ici, pour lesquelles j’y suis favorable à titre personnel. Néanmoins, la commission spéciale ne m’a pas suivie sur ce point et a préféré rétablir le texte que nous avions voté en première lecture. Elle a donc émis un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Si vous me le permettez, monsieur le président, je répondrai assez longuement, à la fois aux orateurs qui se sont exprimés en discussion générale, sur l’article et sur les amendements qui viennent de nous être présentés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai entendu les craintes que vous avez exprimées sur les conséquences psychologiques de l’extension de la PMA sur les enfants à naître, sur les risques de dérive vers un droit à l’enfant, de détournement de la médecine, ou encore de glissement vers la gestation pour autrui.
Je tiens à vous dire, ou du moins à vous redire, car je l’ai déjà fait à deux reprises à l’Assemblée nationale, mais également au Sénat, tout comme l’avait déjà rappelé Agnès Buzyn, et comme le garde des sceaux vient de le confirmer : l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation sera sans incidence sur l’interdiction de la gestation pour autrui, qui est antinomique des grands principes bioéthiques auxquels nous sommes tous attachés. C’est une ligne rouge pour le Gouvernement, qui ne sera pas remise en question, à l’avenir. (Mme Catherine Deroche et M André Reichardt se montrent dubitatifs.)
Madame la rapporteure, je reprends vos arguments pour rappeler que le projet de loi relatif à la bioéthique n’est pas une loi d’égalité ni de lutte contre les discriminations. Même si elle peut avoir pour conséquences de rétablir certaines formes d’égalité, elle scrute avant tout les techniques médicales au prisme des principes éthiques, ce qui est le principe même d’une loi de bioéthique.
La gestation pour autrui met immédiatement en tension des principes fondamentaux de notre droit, à commencer par celui qui exclut la marchandisation du corps humain. Il n’y aura donc pas de glissement, je le redis ici, vers la gestation pour autrui.
M. André Reichardt. Jusqu’à quand ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Il n’y aura pas non plus de droit à l’enfant. Il n’y en avait pas hier, il n’y en a jamais eu, et il n’y en aura pas demain.
Aujourd’hui, les couples hétérosexuels qui s’engagent dans l’assistance médicale à la procréation ne disposent pas d’un droit à l’enfant, comme l’a rappelé le sénateur Chasseing. Il en ira de même, demain, pour les couples de femmes et pour les femmes non mariées.
La légitimité d’un projet monoparental ou homoparental a déjà été tranchée, comme l’a dit la sénatrice de La Gontrie. La loi de 1966 autorise l’adoption d’un enfant par une personne seule et celle de 2013 élargit la possibilité d’adopter à tous les couples mariés, y compris aux couples de même sexe.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’essentiel pour un enfant, c’est l’affection et l’attention dont on l’entoure, car on lui donne ainsi un sentiment de sécurité matérielle et affective. Dans le rapport de la conférence de consensus commandé par la ministre Laurence Rossignol, le docteur Martin-Blachais avait identifié ce méta-besoin d’où découlent tous les autres. Un enfant se construit dans l’altérité, de sorte que la composition du foyer compte moins que la dynamique familiale. Tous les pédopsychiatres s’accordent sur ce point. (Marques d’agacement sur des travées du groupe Les Républicains.)
Chaque histoire personnelle montre que ces liens d’attachement, fondamentaux pour la construction de l’identité d’un enfant, sont multiples et divers. Ils vont bien au-delà des liens biologiques que nous pouvons entretenir avec notre père ou notre mère. Ils peuvent se nouer avec un grand-père, un frère, un cousin, un entraîneur, voire un copain. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) C’est ainsi que chacun de nous s’est construit, et non pas exclusivement dans le lien biologique.